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  • Poutine, l’homme qui les rend tous fous


    Les Occidentaux étaient persuadés que sur le front syrien, on ne pouvait rien attendre de la Russie. Et voilà que Poutine lance une initiative diplomatique qui fait bouger les lignes. Comment expliquer ce tête à queue ?

    Ce sont les aléas d’une actualité mouvante mais aussi les conséquences des esprits formatés par des a priori idéologiques. Dans son numéro de cette semaine, L’Express publie un article fort circonstancié titré : «Poutine ou les calculs de « M. Niet ». Décryptons la formule pour les plus jeunes et pour ceux qui ne sont pas férus de Kremlinologie. En somme, à l’instar de feu Andreï Gromyko, ministre des affaires étrangères de l’époque soviétique, l’actuel président d’un pays appréhendé comme un remake de l’URSS ne peut que dire Non à tout.

    Manque de chance, il n’a pas dit « Niet » mais « Da » à la suggestion de John Kerry sur les armes chimiques de la Syrie. Patatras. C’est le monde à l’envers. Du coup, l’analyse de L’Express tombe complètement à plat (ce n’est pas exceptionnel) tout comme les clichés véhiculés dans les médias occidentaux pour qui Poutine est à la fois un Diable, un Soviétique en peau d’ours et un imbécile.

    Certes, on ne peut comprendre la Russie sans son passé soviétique ou même tsariste. Et pourtant, rien ne ressemble moins à l’URSS que la Russie d’aujourd’hui, convertie aux dogmes de l’hyper capitalisme fou. De même, si Poutine n’a rien d’un petit Saint orthodoxe, s’il perpétue des traditions antidémocratiques tenaces, il est absurde de le réduire à une marionnette de l’ex KGB, comme on le lit en permanence dans Le Monde ou dans les écrits des nostalgiques de la guerre froide. Quand Bush père était à la Maison Blanche, on ne rappelait pas permanence son passé de dirigeant de la CIA.

    La Russie a donc pris tout le monde à contre-pied en ouvrant une porte diplomatique. Surprise dans les chaumières. Quoi ? Les Russes, ces rustres que l’on dit incapables de sortir de l’obstruction permanente au Conseil de sécurité de l’ONU peuvent reprendre une suggestion américaine afin d’ouvrir une alternative à la guerre ? Comment est-ce possible ? Manifestement, ça l’est. On ne peut d’ailleurs exclure que Barack Obama en soit fort satisfait, lui qui voyait arriver l’hypothèse d’un Waterloo politique au Congrès comme un Tomahawk mal dirigé tombant sur la Maison Blanche. On peut même penser que des discussions secrètes ont été menées depuis plusieurs jours entre les représentants des deux pays.

    Certes, la question de la Syrie n’est pas réglée pour autant. Certes, il faut s’assurer de la faisabilité du projet. Certes, on peut douter de la bonne volonté de Bachar El Assad. Certes, on peut penser que dans les rangs de la rébellion, certains auront tout intérêt à faire capoter l’opération. Certes, il ne sera pas facile d’aller chercher les armes chimiques dans un pays déchiré par la guerre civile. Bref, le plus dur est à venir.

    Reste que le pire a été (peut être) évité, à savoir l’engrenage guerrier aux lendemains indécis. Force est de reconnaître que la Russie y aura pris une part non négligeable, prouvant ainsi qu’elle ne se réduit pas aux raccourcis manichéens en vogue dans les gazettes. Les adeptes de la diplomatie du missile diront qu’une telle perspective aurait été inenvisageable sans la menace militaire exhibée par les Etats-Unis et la France. C’est possible, mais ce n’est pas certain. On peut aussi y voir la volonté de ne pas rajouter la guerre à la guerre dans un pays d’ores et déjà éclaté.

    Dans ce conflit, rien ne pourra se faire sans la Russie et a fortiori contre elle. Ses liens avec la Syrie sont connus. On peut sans doute les critiquer compte tenu de ce qu’est le régime en place à Damas, mais ils ne sont guère différents de ceux entretenus par les Etats-Unis avec l’Arabie Saoudite et le Qatar, qui ne sont pas vraiment des modèles de démocratie. Quoi qu’on pense de Poutine, il ne fait que dire à haute voix ce que disent les dirigeants de nombre de pays (comme l’Inde, le Brésil, l’Argentine, l’Afrique du sud, la Chine) et la plupart des membres de l’Union Européenne).

    Evitons les raccourcis, les diabolisations et les procès d’intention qui font écrire au Monde que « la nouvelle donne diplomatique suscite des inquiétudes ». Ah bon ? Parce que l’ancienne donne, celle qui devait déboucher sur les bombardements suscitait de l’espoir ? Si, pour l’heure, le risque d’un aventurisme guerrier a été écarté, c’est parce que certains pays, à commencer par la Russie, ont su trouver une voie que d’autres, aveuglés par la folie guerrière, n’ont pas voulu étudier.

    Cela ne change rien à la nature du régime syrien. Cela n’enlève rien à la nécessité de faire toute la lumière sur des exactions qui ont conduit la Commission d’enquête de l’ONU à dénoncer les « crimes contre l’humanité » commis par les forces gouvernementales et les « crimes de guerre » perpétrés par une opposition gangrenée par les djihadistes, comme en témoigne le journaliste de La Stampa, Domenico Quirico, détenu cinq mois en Syrie. Mais cela devrait amener à regarder le monde avec les lunettes d’aujourd’hui et non avec des clichés hérités d’une époque révolue.

    Jack Dion http://www.voxnr.com/cc/etranger/EFZAEylklZVpHZyWtm.shtml

  • La dette française va exploser tous les records en 2014

    Le taux d’endettement du pays grimpera jusqu’à 95,1% du PIB fin 2014. Soit environ 1950 milliards qui équivaudront, en théorie, à une ardoise de plus de 30.000 euros par Français.

    En présentant la semaine dernière les grandes lignes du projet de loi de finances pour 2014, les ministres de Bercy, Pierre Moscovici et Bernard Cazeneuve, se sont montrés particulièrement discrets sur un sujet: l’endettement. Et pour cause, la dette va crever tous les plafonds l’année prochaine.

    Le texte qui sera présenté dans huit jours montrera qu’après avoir atteint 90,2% du PIB en 2012, la dette de la France en représentera 93,4% en 2013 et grimpera jusqu’à 95,1% fin 2014! Un record, bien supérieur au taux de 94,3% envoyé au printemps par Paris à Bruxelles dans le programme de stabilité.

    Il faudra en fait attendre 2015 pour que l’endettement hexagonal entame sa décrue. «Avec le retour à un équilibre structurel des finances publiques et une croissance de l’activité de 2% en volume, le ratio de dette diminuerait de 2 points par an en moyenne», anticipe déjà l’exécutif pour la période 2015-2017.

    Hausse de 120 milliards en deux ans

    Mais d’ici là, la dette de la France dépassera 1950 milliards d’euros à la fin 2014, si la croissance atteint 0,9% comme le prévoit le gouvernement. Soit une hausse de plus de 120 milliards en deux ans et un total qui équivaudra, en théorie, à plus de 30.000 euros par Français.

    Le pic de 2014 est «le reflet de la situation du déficit public», souligne-t-on dans les rangs du gouvernement où on reconnaît qu’«on est à un sommet et qu’il faut que ça change». Certes, Bercy prévoit que ce déficit recule de 4,1% cette année à 3,6% fin 2014. Mais, d’une part, c’est moins que ce qui était initialement prévu – Paris ayant décidé de profiter de la flexibilité de deux ans, jusqu’en 2015, offerte par la Commission européenne pour ramener ses finances publiques dans les clous du pacte de stabilité; et d’autre part, ce n’est pas suffisant pour inverser la courbe.

    Le chiffre «intègre en outre les plans de soutien financiers à la zone euro», insiste-t-on. Ces derniers ont déjà eu un impact sur la dette 2012 de la France de 48 milliards. Une note qui grimpera en cumulé à 62,5 milliards fin 2013 avant de culminer à 68,7 milliards fin 2014. Hors soutien à la zone euro, la dette atteindrait 91,8% du PIB à la fin 2014, un chiffre plus avenant sur lequel l’exécutif a prévu de communiquer beaucoup plus.

    «Le risque d’emballement de la dette n’est pas que théorique»

    À la veille de l’été, le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, lors de la présentation de son rapport annuel sur les finances publiques, avait prévenu qu’«aussi longtemps que notre pays aura une dette élevée, il se situera dans une zone dangereuse qui l’expose à un risque en cas de hausse des taux d’intérêt». Avant de prévenir que «le risque d’emballement de la dette n’est pas que théorique», rappelant au passage que la charge d’intérêt des administrations publiques (environ 46 milliards en 2012, comme en 2013) représente en France plus du double de l’effort budgétaire consacré à la recherche et à l’enseignement supérieur.

    La semaine dernière, le ministre de l’Économie ne pouvait s’empêcher de lâcher: «L’opposition prophétisait une attaque spéculative; nous n’avons jamais emprunté si peu cher.» Avec un tel record d’endettement à venir, l’Agence France Trésor, la cellule de Bercy chargée de placer au mieux la dette de la France, doit croiser les doigts pour que cela dure…

    Le Figaro  http://fortune.fdesouche.com

  • Front national : Alain Juppé bientôt isolé au sein de l’UMP ?

    BORDEAUX (NOVOpress via Infos Bordeaux) – Le terrorisme intellectuel, imposé depuis des années par la gauche, semble imploser ces derniers temps au sein de l’UMP. Un grand nombre d’électeurs de droite semblent désormais ouverts à une alliance avec le Front national. Selon un récent sondage Ifop/Atlantico, près de la moitié des sympathisants UMP souhaitent des accords avec le parti de Marine Le Pen aux élections locales de 2014.

     

    Ce virage à l’UMP vient même de toucher François Fillon, qui appelle ses amis à voter « pour le moins sectaire », dans le cas d’un second tour Front national/ Parti socialiste.

    Pour le maire de Bordeaux (photo), depuis longtemps très opposé au Front national, ce revirement est « incompréhensible ». Dans un article rédigé dimanche sur son blog, l’ancien premier ministre (condamné dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris) « ne comprend pas ce qui a pu pousser François Fillon à déclarer qu’en certaines circonstances, il pourrait apporter sa voix à un candidat du Front National ».

    Si le calcul politicien de François Fillon semble évident, il n’en demeure pas moins qu’Alain Juppé semble de plus en plus isolé au sein de son propre parti. Une majorité d’électeurs de droite refusent désormais de se plier aux diktats d’une gauche qui n’hésite pas à s’allier avec son aile gauche.

    Au sein même de la fédération de Gironde, le virage à droite se fait sentir. En novembre 2012, lors des élections internes, la motion arrivée en tête était celle d’un ancien du Front national, Guillaume Peltier (La Droite Forte) avec près de 25% des suffrages.

    http://fr.novopress.info

  • [Nantes] Cercle d'étude sur l'Histoire de l'Action française

    Le CRAF de Nantes et l’URBVM ont créé pour cette nouvelle année militante un cycle d’étude afin de former les jeunes de l’Action Française Etudiante de Nantes.

    Le premier cercle aura lieu le 28 deptembre 2013.

     
  • Du paganisme au christianisme, la mémoire des lieux et des temps

    p. 75-92, Résumé
    Deux textes du vie siècle illustrent des aspects importants de la « mémoire des lieux et des temps » dans le passage du paganisme au christianisme. Dans le premier, Grégoire de Tours relate l’initiative pastorale d’un évêque auvergnat qui, impuissant à déraciner une fête païenne se déroulant sur le mont Helarius, construit sur les lieux une église en l’honneur du saint chrétien Hilarius. Dans le second, Grégoire le Grand donne aux missionnaires qu’il a envoyés en Angleterre des instructions sur la façon de transformer les temples païens en églises chrétiennes. Ces deux textes révèlent une stratégie pastorale complexe qui, face au paganisme, mêle adroitement les catégories de la destruction et de l’oblitération avec celle de la récupération.
    1 Dans un essai de synthèse sur les rapports entre la culture cléricale et la culture folklorique à l’époque mérovingienne (circa 500-750), le médiéviste Jacques Le Goff avait proposé d’intéressantes lignes de réflexion sur la dynamique de ces rapports (1977 : 223-235). Il concédait, dans son analyse, qu’« il y a sans doute un certain accueil de ce folklore dans la culture cléricale », à cause notamment de trois facteurs importants. D’abord, l’existence de structures mentales en partie communes aux deux cultures, comme la croyance en des pouvoirs surnaturels et la possibilité d’interventions divines. Ensuite, le fait que l’évangélisation réclamait nécessairement de la part des clercs un effort d’ajustement culturel, effort dont l’adaptation linguistique, par l’utilisation d’un sermo rusticus dans la prédication, est un symbole évident. Enfin, le fait que la culture cléricale avait dû, dans plusieurs domaines de la vie ordinaire, s’insérer dans les cadres de la culture folklorique, en s’adaptant par exemple, avec l’institution des Rogations, aux exigences du nouveau contexte rural. Il lui semblait néanmoins que, en dernière analyse, « l’essentiel (de ces rapports) est un refus de cette culture folklorique par la culture ecclésiastique ». Ce refus se serait opéré selon trois lignes ou trois catégories distinctes : la destruction, l’oblitération et la dénaturation (Le Goff, 1977 : 236-279)1.
    2 La destruction est la catégorie la plus facile à définir et à documenter, par un très grand nombre de textes et parfois aussi par l’archéologie : rites perturbés, temples détruits, arbres sacrés coupés, sources sacrées souillées. L’histoire de la mission chrétienne est remplie de récits qui exaltent comme des actes de courage héroïque ces campagnes de destruction, souvent violemment contestées par le peuple. On citera comme récits emblématiques les témoignages tirés de la vie de saint Martin, rédigée par Sulpice Sévère, vers la fin du ive siècle : « un autre jour, en certain village, il avait détruit un temple fort ancien et entrepris d’abattre un pin tout proche du sanctuaire ; mais alors le prêtre de ces lieux et toute la foule des païens commencèrent à lui opposer de la résistance » (13,1) ; « il avait mis le feu, en certain village, à un sanctuaire païen tout à fait ancien et très fréquenté » (14,1) ; « dans un autre village, du nom de Levroux, Martin voulut démolir également un temple que la fausse religion avait comblé de richesses, mais la foule des païens s’y opposa tant et si bien qu’il fut repoussé, non sans violence » (14,37 ; Fontaine, 1967 : 281, 283, 285). Cette même violence continuera, même après la conversion des campagnes, envers les cultes populaires syncrétistes jugés inacceptables par l’Église officielle. Ainsi le prédicateur général et inquisiteur Étienne de Bourbon, au xiiie siècle, informé de l’existence d’un culte rural à un lévrier guérisseur d’enfants, dans le diocèse de Lyon, ne se limitera pas à condamner ce culte dans des sermons, mais tâchera d’en détruire physiquement les conditions : « nous avons fait exhumer le chien mort et couper le bois sacré, et nous avons fait brûler celui-ci avec les ossements du chien. Et j’ai fait prendre par les seigneurs de la terre un édit prévoyant la saisie et le rachat des biens de ceux qui afflueraient désormais en ce lieu pour une telle raison » (Schmitt, 1979 : 17). Comme dans bien d’autres cas, toutefois, ce culte survivra à cette tentative de destruction, puisqu’il sera encore attesté, dans les mêmes lieux, au xxe siècle.
    3 L’oblitération est une catégorie plus complexe. Elle consiste en « la superposition des thèmes, des pratiques, des monuments, des personnages chrétiens à des prédécesseurs païens ». Le Goff a tenu à souligner que cette oblitération « n’est pas une “succession », mais, à sa façon, une abolition. En refusant l’idée de la « succession », il faisait sans doute allusion au titre et aux thèses de Pierre Saintyves sur Les saints successeurs des dieux, thèses assez largement répandues chez les folkloristes anglais et français, et chez certains hagiologues allemands, au début du xxe siècle2. Par l’oblitération, autant que par la destruction, « la culture cléricale couvre, cache, élimine la culture folklorique ».
    4 La dénaturation, enfin, « est probablement le plus important des procédés de lutte contre la culture folklorique : les thèmes folkloriques changent radicalement de signification dans leurs substituts chrétiens ». On peut en citer comme exemple typique celui du dragon, figure qui est ambivalente dans le folklore, bonne ou mauvaise selon les contextes, mais qui est négative et « démonisée » dans la culture des clercs, notamment dans leur littérature hagiographique.
    5 On se propose ici de présenter et de commenter deux textes importants et relativement peu étudiés de cette même période, textes qui, sans invalider en rien la pertinence et la valeur interprétative des catégories proposées par Le Goff, laissent entrevoir que le processus du passage de la culture païenne à la culture chrétienne a été plus complexe. Si destruction, oblitération et dénaturation il y a eu, ces catégories n’ont pas été les seules et, surtout, elles ont rarement existé à l’état pur. Dans la réalité des situations concrètes, elles se présentent à nous comme entremêlées dans une variété de synthèses originales, qui comportaient à la fois destruction de certains éléments de la culture païenne antérieure, « récupération orientée » d’autres, et dénaturation proprement dite, dans un processus original qu’on pourrait appeler de « récupération re-sémantisante ».
    6 Il faudrait par ailleurs discuter à part, à cause de la nature particulière et de l’abondance des documents, le problème des rapports entre culture cléricale et traditions folkloriques dans la littérature hagiographique, aussi bien dans les textes que dans les cultes que cette littérature proposait aux fidèles et dont elle soutenait l’exercice. Selon Le Goff, à l’époque mérovingienne « la récolte de thèmes proprement folkloriques est mince, même dans la littérature hagiographique a priori privilégiée à cet égard », tandis que le folklore « fera irruption dans la culture occidentale à partir du xie siècle, parallèlement aux grands mouvements hérétiques », et trouvera son plein épanouissement dans la Légende dorée. On sera d’accord, sans la moindre réserve, sur la seconde affirmation. La Légende dorée (c. 1260-1270), que l’on peut maintenant consulter dans une édition critique enfin fiable, et dans une traduction française exemplaire (Boureau, 2004)3, est en effet une mine inépuisable de thèmes folkloriques, qui vont du petit détail narratif à des scènes vastes et complexes, jusqu’à des biographies entières, construites en totalité avec des matériaux folkloriques, comme celles des saints Christophe, Eustache, Alexis, Julien l’Hospitalier et tant d’autres, ainsi que celle de Judas, qui applique au traître l’histoire d’Œdipe4.
    7 Mais il semble que, même pendant le haut Moyen Âge, d’importants éléments folkloriques se sont glissés tels quels dans les récits hagiographiques, tout en se pliant au service de la figure du saint ou des exigences de son culte. On pourrait appeler cette catégorie supplémentaire celle de la « récupération orientée ». Un cas typique est celui du miracle de la résurrection d’animaux tués et consommés dans un contexte d’hospitalité, dans un épisode de la vie de saint Germain comme dans bien d’autres : « après le dîner, il fit déposer tous les os du veau sur sa peau et, à sa prière, le veau se leva sur le champ » (Boureau, 2004 : 562)5. On peut citer aussi, comme autre exemple, celui de l’araignée bienfaisante, qui tisse rapidement sa toile pour cacher l’innocent poursuivi (Boureau, 2004 : 126). On concédera néanmoins que la moisson de thèmes folkloriques demeure, à tout prendre, mince par rapport aux thèmes d’origine biblique ou patristique.
    8 Par ailleurs, il semble également certain que, dans les formes du culte concret rendu aux saints par le peuple, les éléments folkloriques (à savoir des habitudes cultuelles héritées du paganisme) sont prépondérants. Aussi, dans la tradition hagiographique irlandaise, dont les plus anciennes rédactions remontent peut-être déjà au viiie siècle, la symbiose entre données chrétiennes et données folkloriques est prépondérante et omniprésente. Dans l’introduction à son édition des Vitae sanctorum Hiberniae, Charles Plummer a montré que leur caractéristique structurale consiste justement dans l’intégration du substrat culturel celtique, à savoir « l’incorporation, dans les structures de la nouvelle foi, de fragments de matériaux – “pierres étrangères à l’édifice” – empruntés à l’ancienne culture »6. Il identifiait trois modalités, qui peuvent valoir aussi pour les autres cas, de cette appropriation de thèmes ou matériaux : la direct importation, lorsque des thèmes, ou des épisodes, ou des cycles entiers de la culture ethnique sont attribués au saint ; la conscious imitation, lorsque ces thèmes lui sont attribués de façon identique quant au fond, mais modifiés dans la forme ; et finalement la inconscious permeation, lorsqu’il s’agit d’éléments fluides ou épars, pour lesquels on ne peut ni prouver ni même supposer la conscience de l’emprunt7.
    9 Venons-en à nos deux textes témoins. Leurs auteurs, Grégoire de Tours et Grégoire le Grand, sont deux personnages particulièrement importants, par leur position dans la hiérarchie de l’Église, et par la claire intentionnalité ou conscience de leur démarche. De plus, ils écrivent tous les deux au moment, crucial pour notre propos, du passage du paganisme au christianisme, le premier pour les populations rurales de Gaule et le second pour les peuples germaniques récemment installés en Angleterre. Leurs textes comportent, par là, une valeur de principe et pour ainsi dire emblématique.
    Grégoire de Tours et les fêtes païennes sur le mont Helarius
    10 Ce texte, rédigé vers la fin du vie siècle par l’évêque Grégoire de Tours († 594), relate une tentative de christianisation du paganisme par la superposition d’un culte chrétien à un culte païen. On peut le résumer ainsi : un évêque, incapable de déraciner une fête annuelle païenne destinée à obtenir la pluie, tente de la christianiser, en faisant construire sur les lieux de la fête païenne (aux abords du lac Helarius) une église au saint chrétien Hilarius. Le texte est tiré du Livre à la gloire des confesseurs, et reflète probablement, tout en relatant une histoire antérieure, des situations et des préoccupations qui devaient hanter Grégoire lui-même, dont le diocèse comprenait un très vaste territoire rural.
    Dans le territoire des Gabales il y avait une montagne, dont le nom était Helarius, et qui comprenait un grand lac. À certaines dates, la foule des paysans jetait dans ce lac, comme pour lui faire des libations, des linges et des tissus destinés à la confection de vêtements. Certains y jetaient des toisons de laine. Le plus grand nombre y jetaient, chacun selon ses possibilités, des pièces de fromage ou de cire, et diverses sortes de pains, qu’il serait trop long d’énumérer8. Ils s’y rendaient avec des chariots, apportant de la boisson et de la nourriture, immolant des animaux et banquetant trois jours durant. Le quatrième jour, lorsqu’il fallait redescendre, une terrible tempête avec des tonnerres et de violents éclairs les prenait de vitesse, et un orage si violent tombait du ciel, comme s’il s’agissait de pierres, qu’à peine chacun des assistants pensait pouvoir s’en échapper.
    Les choses se passaient ainsi tous les ans, et le peuple imbécile était de plus en plus confirmé dans l’erreur. Après une longue période de temps, un prêtre qui avait été promu à l’épiscopat, vint de la même ville9 en ce lieu, et il prêcha aux foules qu’elles seraient consumées par la colère de Dieu si elles n’abandonnaient pas leurs usages, mais sa prédication ne fut en aucune manière acceptée par ces rustres sauvages. Alors, sous l’inspiration divine, le prêtre de Dieu fit construire, à quelque distance du bord du lac, une église en l’honneur du bienheureux Hilaire de Poitiers (Hilarius) et y plaça des reliques du saint en disant au peuple : « Gardez-vous, mes fils, gardez-vous de pécher à la face de Dieu. Il n’y a rien à vénérer dans cet étang10. Ne salissez pas vos âmes par ces vaines observances [ou : rituels], mais reconnaissez plutôt [le vrai] Dieu et vénérez ses amis. Vénérez donc le pontife de Dieu Saint Hilaire, dont les reliques sont ici déposées. C’est lui, en effet, qui peut être votre intercesseur auprès de la miséricorde de Dieu ».
    Alors ces gens, touchés dans leur cœur, se convertirent et abandonnèrent le lac. Ce qu’ils avaient coutume d’y jeter, ils le portèrent à l’église sainte, et furent ainsi délivrés des liens de l’erreur où ils étaient retenus. La tempête aussi fut par la suite écartée de ce lieu, et on ne la vit plus sévir dans une fête, dès lors consacrée à Dieu, depuis le moment où avaient été placées là les reliques du bienheureux confesseur11.
    11 Sous réserve d’inventaire aucune analyse approfondie de ce texte n’a jamais été proposée, mais on se limitera ici à mettre en évidence des points qui semblent importants et assurés, en évoquant au passage les recherches qui restent à faire pour une analyse plus complète.
    12 La description de la festivité agraire par Grégoire nous apparaît comme sommaire et quelque peu floue. Il est fort probable qu’elle n’a pas été bien comprise par l’auteur, un évêque de la haute aristocratie, qui relatait une histoire concernant un autre évêque, accumulant ainsi une double possibilité de brouillage du fait ethnologique rapporté. Il est fort probable que ni l’un ni l’autre de ces évêques, représentants d’une culture savante et urbaine, n’étaient en bonne position (et n’étaient sans doute pas intéressés) pour bien comprendre et bien décrire une réalité culturelle populaire et rurale.
    13 L’action se situe « dans le territoire des Gabales », à savoir le Gévaudan actuel, dans le Sud de l’Auvergne. Le Pagus Gabalitanus (territoire des Gabali), inclus par Auguste dans la Province de l’Aquitaine I, fut appelé au Moyen Âge Pagus gavaldanus, d’où le nom actuel de Gévaudan donné à la région. Le site est peut-être à identifier avec l’actuel lac de Saint-Andéol (Lozère).
    14 Il est probable que l’épisode soit à situer dans un contexte de culture celtique, plutôt que de culture romaine. Nous nous trouvons en effet dans une région éloignée, et dans un contexte rural, où l’on peut supposer une persistance plus tenace de la culture celtique, par rapport à la plus récente culture romaine, enracinée d’abord dans les villes. Le texte lui-même fait jouer l’opposition entre campagne et ville. Par ailleurs, selon les archéologues et les folkloristes, les monuments celtes sont nombreux dans le Gévaudan, et les traces de la culture celtique y sont tenaces.
    15 La date des événements n’est pas indiquée. Le récit est raconté au passé, sans autres détails. Il suppose par ailleurs la présence d’un évêque dans la ville voisine de Javols, et l’existence de régions rurales non encore christianisées, ou mal christianisées, ce qui pourrait correspondre, pour l’Auvergne, à la situation du ve, voire de la première moitié du vie siècle. Il s’agit d’une fête annuelle (« il en était ainsi tous les ans »), qui selon l’auteur durait trois jours. Cette fête était célébrée depuis fort longtemps (« après une longue période de temps »), et elle était donc culturellement et socialement enracinée. C’est pour cela, peut-on supposer, que la prédication de l’évêque « ne fut en aucune manière acceptée par ces rustres sauvages ».
    16 Nous sommes de toute évidence dans un milieu rural, non seulement du point de vue physique (la montagne, le lac), mais aussi du point de vue sociologique et économique : ce sont des rustici, des « rustres sauvages » (cruda rusticitas), des paysans, comme le prouvent aussi bien la nature de leurs offrandes que l’importance attribuée à la pluie.
    17 Le nom de la montagne, Helarius, est peut-être (ou probablement ?) aussi le nom d’une divinité locale qui était censée habiter dans le lac, car, et cela semble un élément important, l’évêque dira aux paysans : « il n’y a aucune religio (= aucune réalité sacrée) dans ce lac ». Mais aucun nom de divinité celtique (ou romaine) n’a pu être repéré qui pourrait correspondre à ce terme, utilisé ici comme toponyme12.
    18 La signification du rite ne semble pas avoir été bien comprise par l’auteur, ou en tout cas elle n’est pas bien explicitée. Il semble s’agir d’un rite pour favoriser la venue de la pluie : par un effet d’analogie, les offrandes jetées dans l’eau devaient favoriser le don de l’eau venant du ciel. Si tel est le cas, il s’agit probablement des pluies du printemps, typiques de la région, qui marquent la fin de l’hiver. La date de la fête de saint Hilaire, le 28 février, pourrait confirmer cette hypothèse, et donner encore plus de poids à l’opération de « transfert culturel » entreprise par l’évêque. Selon l’hypothèse intéressante de Jean-Claude Schmitt (1988 : 450), cette date pourrait aussi « marquer le début de l’année (1er mars, dans le calendrier romain) ».
    19 La description de cette grande fête populaire, bien que volontairement incomplète (comme pour la description des types d’offrandes, dont l’auteur abrège la liste, pour la raison qu’« il serait trop long de les énumérer »), nous signale quand même nombre d’éléments intéressants :
    20 La fête se tient à des dates déterminées (« à certaines dates »), que l’on ne précise pas, même s’il est probable qu’il s’agisse d’une fête annuelle (« les choses se passaient ainsi tous les ans ») ; la durée de la fête est indiquée comme étant de trois jours, avec le voyage de retour pendant le quatrième jour, mais cette donnée pourrait ne pas être fiable, s’il s’agit d’une fête qui devait durer jusqu’à l’arrivée de la pluie.
    21 La participation collective est un élément essentiel : c’est une fête de la collectivité (« la foule », « le peuple »), non un ensemble de pèlerinages individuels à un lieu sacré ; la mention des chariots suppose aussi une convergence, une installation collective.
    22 Un aspect important de la dimension religieuse de la fête est représenté par des objets jetés dans le lac « en guise de libation », le sens du terme libatio, emprunté à la culture savante, nous cachant probablement un terme vernaculaire spécifique, ainsi que le sens du geste tel que perçu par les paysans. On remarquera la liste fort intéressante de ces objets, apparemment liés à la vie quotidienne et au travail, qui mériterait une analyse plus détaillée : « des linges et des tissus destinés à la confection de vêtements... des toisons de laine. Le plus grand nombre y jetaient, chacun selon ses possibilités, des pièces de fromage ou de cire, et diverses sortes de pains ». La tournure « qu’il serait trop long d’énumérer » relève du manque d’intérêt de l’auteur pour des détails ethnologiques, étrangers à son propos principal. On remarquera aussi la distinction entre les dons ou offrandes de « certains » et ceux du « plus grand nombre ».
    23 Un autre élément important de la fête est l’immolation d’animaux, qui se prolonge dans des banquets, avec boisson et nourriture abondantes. Il est probable que ces grands banquets comportaient eux aussi, comme les sacrifices, une signification ou portée religieuses.
    24 Il va de soi que chacun de ces éléments, ici sommairement relevés, serait à analyser en détail, dans une perspective ethnologique. Comment interpréter ces éléments en comparaison avec des fêtes analogues, en Gaule et ailleurs, à la même époque, et dans les mêmes contextes ? Peut-on documenter l’existence de survivances de cette fête ? Il faudrait au moins évoquer et étudier des fêtes analogues, dans la région ou des régions voisines, documentées jusqu’à des époques récentes. On cite comme exemple la procession annuelle, encore suivie au début du xixe siècle, qui réunissait au lac Marchais, le 15 novembre, les paroissiens de Deuil, Grolay et Montmagny à l’occasion de la fête de saint Eugène décapité à Deuil et précipité dans le lac. L’origine celtique du culte de ce lac semble certaine, de même que le lien entre la légende de saint Eugène et le lac même. Il faudrait aussi évoquer et étudier les trouvailles archéologiques d’offrandes dans des lieux de culte liés à l’eau, par une enquête ethnologique approfondie, qui est hors de propos ici.
    25 Le fait que des pluies torrentielles, avec tempête ou grêle, surprennent chaque année les paysans à leur retour, selon ce qu’affirme Grégoire, peut aisément être compris selon la logique de la fête, qui devait justement durer jusqu’à l’arrivée des pluies souhaitées. L’auteur n’en comprend pas le sens, et prend le but réel de la fête pour un accident récurrent : « les choses se passaient ainsi tous les ans ».
    26 Face à cette coutume, présentée comme ancienne et indéracinable, l’évêque de la ville voisine, Javols, intervient. On se rappellera qu’à cette époque il n’y avait pas encore de réseau de paroisses rurales : la ville dominait la campagne, du point de vue pastoral, et cet épisode peut être interprété aussi comme une opposition entre culture rurale et culture urbaine. L’évêque tente d’abord une stratégie de destruction, indirecte (par la main de Dieu) mais réelle : « il prêche aux foules qu’elles seraient consumées par la colère de Dieu si elles n’abandonnaient pas leurs usages », mais « la foule des paysans », ne l’accepte pas : « sa prédication ne fut en aucune manière acceptée par ces rustres sauvages ». Dans cette opposition entre ville et campagne, le peuple rural et sa culture sont constamment et lourdement dévalorisés dans le récit de Grégoire : « le peuple imbécile », « ces rustres sauvages ».
    27 L’évêque recourt alors à une technique d’oblitération-remplacement, hautement valorisée par l’auteur, puisqu’elle se fait, dit-il, « sous l’inspiration divine » : « il fit construire, à quelque distance du bord du lac, une église en l’honneur du bienheureux Hilaire de Poitiers (Hilarius) et y plaça des reliques du saint ». Le projet pastoral de l’évêque consiste donc à remplacer le (probable) dieu celtique Helarius par le saint chrétien Hilarius, cet Hilaire de Poitiers qui avait été non seulement un grand personnage, mais aussi un personnage historiquement et géographiquement proche. On remarque immédiatement que le nom du saint chrétien, Hilarius en latin, est pratiquement identique au toponyme païen Helarius, qui était aussi probablement le nom de la divinité tutélaire du lieu. Dans le latin tardif, en effet, la prononciation d’une voyelle i non accentuée ressemblait beaucoup à celle d’une e non accentuée, de sorte que les noms Helarius et Hilarius étaient prononcés à peu près de la même façon. Ce jeu de quasi-homonymie ou homophonie, et la stratégie culturelle qu’il sous-entend, sont une astuce qu’on ne peut pas ne pas remarquer.
    28 Les éléments de cette récupération-transfert des traits folkloriques originaux sont multiples :
    29 il y a d’abord la récupération du lieu (« à quelque distance du bord du lac ») ; la nouvelle réalité chrétienne profitera donc de l’enracinement et de la stabilité topographiques de l’ancienne réalité païenne ;
    30 il y a ensuite la récupération du nom (de Helarius à Hilarius), qui favorise un transfert complet et naturel des traits et des fonctions de l’ancienne figure païenne à la nouvelle figure chrétienne ;
    31 il y a, ce qui semble essentiel pour la réussite de l’opération, une récupération de la fonction de la divinité païenne : « c’est lui (à savoir, le nouvel Hilarius) qui peut être votre intercesseur auprès de la miséricorde de Dieu » ;
    32 il y a la récupération des dates (implicite) et des gestes rituels des paysans : « ce qu’ils avaient coutume d’y jeter, ils le portèrent à l’église sainte » ;
    33 il y a enfin le remplacement global, du lac à l’église (avec ses reliques).
    34 Selon Grégoire, ce transfert fut une stratégie heureuse, une réussite pastorale totale : « Alors ces gens, touchés dans leur cœur, se convertirent et abandonnèrent le lac. Ce qu’ils avaient coutume d’y jeter, ils le portèrent à l’église sainte, et furent ainsi délivrés des liens de l’erreur où ils étaient retenus ».
    35 On ajoutera, comme dernier élément de la faible sensibilité ethnographique de Grégoire de Tours, ou peut-être comme indice d’une transformation de la fonction originale de la fête, l’affirmation du passage final de notre texte : « la tempête aussi fut par la suite écartée de ce lieu, et on ne la vit plus sévir dans une fête, dès lors consacrée à Dieu, depuis le moment où avaient été placées là les reliques du bienheureux confesseur ». Le nouveau sanctuaire n’a donc plus une fonction propitiatoire, mais une fonction apotropaïque, de protection contre les tempêtes et les orages. Mais cette interprétation de l’évêque, aristocrate et théologien, correspond-elle à la réalité de la perception paysanne ?
    Grégoire le Grand : des temples païens aux églises chrétiennes
    36 Le contexte de ce second document est beaucoup plus clair que celui du premier, et il est nettement daté : il s’agit de la mission envoyée en Angleterre par le Pape Grégoire le Grand, à la fin du vie siècle, pour convertir les Anglo-Saxons, encore païens. Déjà, en septembre 595, Grégoire avait donné des consignes à ses agents en Gaule, pour qu’ils achètent sur le marché local, probablement à Marseille, des jeunes esclaves anglo-saxons, à éduquer dans la foi chrétienne en vue d’une mission future auprès de ces peuples. Cette première démarche révélait déjà une attention particulière de Grégoire pour les aspects anthropologiques et culturels de la mission. Une première équipe de moines missionnaires, recrutés dans son propre monastère du Monte Celio à Rome, était arrivée dans le royaume de Kent au printemps 597, sous la direction d’Augustin, en emmenant avec elle ces esclaves recueillis en cours de route. Une seconde équipe fut envoyée, quatre années plus tard (juillet 601), sous la conduite de Mellitus. Et c’est justement par Mellitus, encore en route vers l’Angleterre, que Grégoire fait parvenir au chef de la mission, Augustin, ses nouvelles instructions concernant l’utilisation chrétienne des temples païens13.
    À notre fils bien-aimé l’abbé Mellitus, dans le pays des Francs, Grégoire serviteur des serviteurs de Dieu.
    Après le départ de la petite troupe rassemblée par nos soins, qui voyage avec toi, nous avons été plongés dans une vive inquiétude, en l’absence de nouvelles sur le succès de votre voyage. Une fois donc que Dieu tout-puissant vous aura menés auprès de notre très révéré frère l’évêque Augustin, dites-lui ce que, après avoir longuement médité au sujet des Angles, j’ai décidé : qu’il ne faut en aucun cas détruire les temples des idoles (fana idolorum) chez le peuple en question, mais seulement les idoles qui s’y trouvent ; que l’on bénisse de l’eau et que les temples en question en soient aspergés ; enfin qu’on bâtisse des autels et qu’on y dépose des reliques.
    En effet, si les temples dont nous parlons ont été bien construits, il faut impérativement qu’on les transforme (commutari) pour qu’ils passent du culte des démons à l’observance du vrai Dieu, afin que lorsque la population verra que ses temples justement ne sont pas détruits, elle quitte son erreur et reconnaissant enfin et adorant le vrai Dieu, elle accoure avec plus de confiance en ces temples auxquels elle est habituée.
    De même, comme ces populations ont coutume de sacrifier de nombreux bœufs aux démons, il faut transformer (inmutari) aussi cet usage en solennité chrétienne : le jour où une église est dédiée à un saint ou bien pour l’anniversaire des martyrs, dont les reliques y sont déposées, qu’ils se fassent des huttes de branchages autour de ces anciens temples transformés en églises et qu’ils y célèbrent la fête par des banquets religieux. Que ce ne soit plus au Diable qu’ils immolent des animaux, mais que dorénavant ce soit à la gloire de Dieu qu’ils tuent les animaux qu’ils mangent et qu’ils rendent grâce de leur satiété à Celui qui donne tout, de sorte que par ces quelques joies extérieures qui leur sont conservées, ils puissent consentir plus facilement aux joies intérieures.
    Il ne fait aucun doute en effet qu’il est impossible de faire brusquement table rase dans des esprits obtus, car aussi celui qui veut escalader un sommet, ne s’élève pas par bonds mais progressivement pas à pas. Ainsi, s’il est vrai que notre Seigneur se révéla au peuple d’Israël en Égypte, il leur permit toutefois de conserver pour son propre culte l’usage des sacrifices rendus jusque là au Diable, puisqu’Il ordonna qu’on immolât des animaux dans les sacrifices qu’on Lui rendait, afin qu’en changeant leurs cœurs, ils perdissent certains aspects du sacrifice mais qu’ils en gardassent d’autres (Lev 7,2-7). De la sorte même si c’étaient les mêmes animaux qu’ils avaient l’habitude de sacrifier, maintenant qu’ils les sacrifiaient au vrai Dieu et non plus à des idoles, ce n’étaient plus les mêmes sacrifices. Voilà ce qu’il faut, très cher, que tu dises à notre frère Augustin, afin qu’il juge par lui-même, lui qui est présentement en place là-bas, quelle est la meilleure façon de tout organiser. Que Dieu te garde, mon fils bien-aimé.
    37 Comme pour le texte précédent, on rassemblera les principales remarques et conclusions qui se dégagent d’une analyse rapide.
    38 Il faut d’abord relever que ces directives contredisent une lettre antérieure envoyée par Grégoire au roi Éthelbert, dans laquelle le pape semblait prôner clairement la destruction, puisqu’il y demandait à Éthelbert : « multiplie le zèle de ta rectitude dans leur conversion, élimine le culte des idoles, détruis les bâtiments des temples » (Épist. I,32). Le changement de perspective que révèle cette deuxième lettre assume alors la valeur d’une théorisation pastorale consciente, doublement réfléchie : « dites-lui ce que, après avoir longuement médité au sujet des Angles, j’ai décidé ». Ce texte est d’une importance capitale, par son intention et par les circonstances de sa rédaction, autant que par l’importance de son auteur.
    39 Comme pour Grégoire de Tours, Grégoire le Grand connaît mal le paganisme anglo-saxon. Il n’y a, en effet, aucune preuve archéologique de l’existence des temples auxquels il fait allusion, ni des coutumes évoquées par lui (Hutton, 1993). Il semble probable que Grégoire se base ici sur une reconstruction livresque de la religion des Angles, composée par un mélange de religion rurale méditerranéenne (les temples : fana) et de coutumes germaniques, peut-être empruntées à la Germania de Tacite. On n’a pas trouvé non plus de preuves archéologiques d’une application de ces conseils de Grégoire.
    40 En ce qui concerne les lieux (à savoir, les temples païens), la destruction-remplacement est partielle (on ne détruira que les idoles, remplacées par des reliques), mais les lieux restent les mêmes : « il ne faut en aucun cas détruire les temples des idoles chez le peuple en question, mais seulement les idoles qui s’y trouvent » ; « que l’on bénisse de l’eau et que les temples en question en soient aspergés ; enfin qu’on bâtisse des autels et qu’on y dépose des reliques ». Le remplacement des idoles par des reliques, et des reliques de martyrs, semble un aspect important, voire essentiel. Des reliques étaient également mentionnées dans le texte de Grégoire de Tours (« il y plaça des reliques du saint... Saint Hilaire, dont les reliques sont ici déposées »), et l’on peut se demander si, sur le mont Helarius, il n’y avait pas aussi, à côté du lac, une idole. Le parallélisme de la situation et de la stratégie pastorale serait alors complet.
    41 Les consignes de Grégoire sont basées sur une motivation consciente, à savoir la conviction qu’une condescendance pédagogique favorisera la conversion des indigènes, et que l’accoutumance culturelle et sociale (les « lieux accoutumés ») facilitera pour eux la fréquentation des temples christianisés : « afin que la population accoure avec plus de confiance en ces temples auxquels elle est habituée ». Il faut remarquer aussi que, pour justifier ces instructions, Grégoire fait appel à la plus haute autorité possible, à savoir Dieu lui-même qui, lorsque le peuple juif quitta l’Égypte, « leur permit de conserver pour son propre culte l’usage des sacrifices » que ce peuple avait appris dans ses années d’esclavage. Les consignes pastorales de Grégoire ont donc, à ses yeux, un fondement biblique et théologique très solide.
    42 Il est important de relever aussi que Grégoire ne souhaite pas récupérer uniquement les temples dans leur matérialité, mais le système païen tout entier, dans sa structure de base, qui tourne autour des temples : il veut récupérer les lieux, mais aussi, avec et par les lieux, les habitudes culturelles (à savoir, les réunions à des dates fixes), les repas sacrificiels et la socialisation qu’ils comportent. Dans ce cadre, les repas sacrificiels, pièce essentielle de la culture religieuse germanique, sont transformés en fêtes paraliturgiques chrétiennes, puisque liés à la date anniversaire de la dédicace ou re-consécration de ces édifices.
    43 Le texte révèle également la conscience de la nécessité incontournable d’une acculturation graduelle (« il est impossible de faire brusquement table rase dans des esprits obtus », ou, selon une autre traduction possible, « il est impossible de procéder à une extirpation totale des habitudes des âmes encore rudes »). On prône donc une stratégie de la destruction partielle, avec récupération partielle, de sorte que ces Angles abandonnent quelques éléments de leurs sacrifices, et en conservent certains autres (« qu’ils perdissent certains aspects du sacrifice mais qu’ils en gardassent d’autres »).
    44 Le terme-clé de toutes les démarches suggérées par cette lettre est sans doute inmutare, commutare (« transformer », « re-sémantiser »). Le but de Grégoire est de « transformer », non de « détruire ». Le passage final est particulièrement révélateur de cette stratégie consciente de récupération-transformation : « de la sorte, même si c’étaient les mêmes animaux qu’ils avaient l’habitude de sacrifier, maintenant qu’ils les sacrifiaient au vrai Dieu et non plus à des idoles, ce n’étaient plus les mêmes sacrifices ». Ce jeu sémantique sur l’identité et la non identité des faits culturels, qui passent d’une valeur païenne à une valeur chrétienne tout en restant matériellement les mêmes (ipsa essent animalia ... iam sacrificia ipsa non essent), constitue l’essentiel de la stratégie proposée. Il est plus explicite que celui que nous avait décrit Grégoire de Tours, mais tout aussi remarquable.
    Entre destruction, oblitération et récupération de mémoires
    45 Dans le passage du paganisme au christianisme il y a donc eu, du moins chez certains des intellectuels et des hauts pasteurs de l’Église, une stratégie pastorale qui privilégiait la récupération orientée ou ré-interprétation plutôt que la destruction pure est simple. S’il y a destruction (voir la lettre de Grégoire le Grand sur les idoles), c’est une destruction sélective.
    46 Cette stratégie est consciente et hautement valorisée : « sous l’inspiration divine », « après une longue méditation ». Les deux cas évoqués ont valeur d’exemple, de programme, voire de plan pastoral à la portée universelle. Cette récupération ne vise pas des éléments culturels isolés, mais des ensembles structurés et complexes. Elle reconnaît la valeur des anciennes « habitudes » (terme qui revient souvent, sous diverses formes), dans lesquelles doivent se couler les nouvelles réalités chrétiennes. Ces éléments récupérés sont laissés autant que possible intacts dans leur structure extérieure et leur organisation, tout l’effort étant orienté vers le changement de sens : inmutare, commutare.
    47 Les éléments partiels impliqués dans cette opération sont multiples, et orientent vers autant d’aspects extrêmement riches du phénomène du passage du paganisme au christianisme, car il touchent à la mémoire des lieux, mais aussi à la mémoire du temps, des gestes, des fonctions, des valeurs :
    48 Le thème de la récupération des lieux (les édifices, mais aussi les lieux sacrés naturels), renvoie à des dimensions multiples, et sans doute extraordinairement ramifiées : le problème de la superposition des églises (ou ermitages, lieux de pèlerinage, voire monastères) aux édifices païens est la dimension la plus apparente. Après une large enquête, Émile Mâle affirmait, justement pour la Gaule, que « la basilique chrétienne a pris d’ordinaire la place d’un sanctuaire païen » (Mâle, 1905 : 5). Mais il y a aussi la récupération des grottes, des sommets, des sources, des arbres, des bois, des pierres sacrées, dont certains sanctuaires majeurs (comme le Mont Gargan) peuvent témoigner de l’importance générale, mais dont seulement l’étude du folklore local peut permettre de mesurer l’extraordinaire diffusion et enracinement.
    49 La récupération des dates évoque le thème des origines païennes de certaines fêtes chrétiennes, très évidentes pour une douzaine au moins de grandes fêtes (et la notion en est encore claire au xiie et xiiie siècles, chez les liturgistes et dans la Légende dorée), mais tout aussi indubitables pour un grand nombre des fêtes mineures, locales, et des fêtes de saints (comme sainte Brigitte) ; une recherche récente en dresse un remarquable tableau historiographique (Brossard-Pearson, 2008).
    50 La récupération des rites (réunions festives, libations, offrandes d’objets variés, repas, processions en chariot) évoque le thème des éléments d’origine païenne dans la liturgie chrétienne, surtout dans les liturgies populaires : l’incubatio, la mensuratio, le poisage et contrepoisage, l’humiliation des saints, les ex-voto. L’étude des rituels, tels qu’on peut les analyser dans le recueil des bénédictions médiévales (Franz, 1909), ainsi que l’étude parallèle des charmes et des formules magiques (Bozóky, 2002), illustreraient l’aboutissement ultime et omniprésent de cette ligne de récupération.
    51 La récupération des fonctions (dans le cas de Helarius-Hilarius, faire venir la pluie) nous renvoie au monde inépuisable des spécialisations thaumaturgiques des sanctuaires et des saints, aux fonctions sociales des fêtes, à certaines fonctions politiques et identitaires du culte des saints, et, finalement, à toutes les fonctions de la religion dans la structure de la société. Une étude récente et très articulée le montre pour le paganisme carnute (Robreau, 1997), tandis qu’une autre étude montre l’importance du thème des survivances du paganisme dans la pastorale du haut Moyen Âge (Filotas, 2005).
    52 Ces deux textes, si intéressants soient-ils, posent toutefois un problème historique majeur. Bien qu’apparemment isolés, ils semblent avoir eu une efficacité pratique réelle. On peut souscrire au commentaire de Claude Lecouteux, pour qui « ce que Grégoire recommande de faire aux temples païens a été appliqué, mutatis mutandis, aux traditions et aux croyances, et c’est ce travail d’adaptation et d’amalgame qui leur a permis de survivre sous les habits neufs du christianisme » (Lecouteux, 1994 : 8). Comment expliquer, alors, la discordance entre le témoignage massif des faits et la rareté des affirmations de principe ? Voilà un problème que les historiens de la mission chrétienne devraient nous aider à résoudre.
    53 Cette stratégie audacieuse et consciente de « christianiser le paganisme » comportait néanmoins un risque certain, par un choc en retour, de « paganiser le christianisme », possibilité dont les pasteurs ne semblent pas avoir été, dans les deux textes commentés, assez conscients. En transformant Helarius en Hilarius, n’y avait-il pas le risque de transformer Hilarius en Helarius ? Et quelle utopie d’intellectuel, peut avoir poussé Grégoire à croire, à propos des banquets sacrificiels, qu’après leur christianisation, « par ces quelques joies extérieures qui leur sont conservées, les païens pourront consentir plus facilement aux joies intérieures » !
    54 Mais cette stratégie consciente, et le danger qu’elle comportait, nous ouvre à l’immense et extraordinaire domaine de la religion populaire au Moyen Âge. Car qu’est-ce au juste que cette religion ? Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, on a assisté à une floraison d’études dans ce domaine. Or, dès le début de ce mouvement, historiens et sociologues furent confrontés au problème de définir ce qu’est au juste la religion populaire, et de comment la distinguer de la religion savante et officielle. Dans ce débat, on vit émerger deux lignes principales d’interprétation.
    55 Selon une première ligne, la religion populaire de l’Occident chrétien, n’est pas une réalité foncièrement différente par rapport à la religion officielle. Elle représente plutôt l’ensemble des variations et des adaptations que la religion officielle subit chez les fidèles ordinaires, selon les différents contextes historiques et sociaux. Selon des formulations particulièrement nettes de cette approche, « la religion populaire est l’expression populaire de la foi chrétienne » ; « la religion populaire [chrétienne] est catholicisme populaire, distinct, mais non différent par rapport au catholicisme cultivé » ; « la religion populaire chrétienne est la forme dans laquelle le peuple chrétien... a reçu, intériorisé et exprimé le message chrétien, prêché par la hiérarchie et formulé par la théologie » (De Rosa, 1981 : 82-83)15. En somme, selon cette approche, le « populaire » ne serait, surtout dans le domaine religieux, que du « popularisé ».
    56 Selon une seconde, et plus intéressante, approche, la religion populaire du Moyen Âge est une synthèse de christianisme et de cultures pré-chrétiennes. Elle constitue par là une forme originale de religion, ou tout au moins une variante originale du christianisme officiel. L’élément essentiel qui caractérise la religion populaire est en effet la présence en elle de la culture folklorique, comme composante primordiale et structurale (Schmitt, 1976 : 944)16. Le postulat de cette approche est que la religion officielle n’a pas réussi à éliminer la culture folklorique et que celle-ci, au contraire, s’est appropriée la religion officielle, en la folklorisant17. « On observe partout – a-t-on dit de la Pologne médiévale, mais on pourrait le répéter pour le Moyen Âge dans son ensemble – le même double processus : d’une part, christianisation d’un folklore extrêmement puissant et résistant, d’autre part folklorisation d’un christianisme de plus en plus solide et enraciné dans la réalité socioculturelle de chaque groupe, chaque région, chaque pays. [...] Il subsiste une culture populaire chrétienne, une sorte de mélange des éléments de la religion cosmique, naturelle, avec ceux du christianisme, mais capables d’être intégrés dans le vécu populaire dans un ensemble, dans un système dont on pressent la cohérence » (Kłoczowski, 1979 : 21-22).
    57 Cette perception de la religion populaire est partagée par Jacques Le Goff, dans une affirmation synthétique que l’on aurait pu mettre en exergue de notre étude :
    « Les grands ennemis ou concurrents du catholicisme n’ont été ni le paganisme officiel antique qui s’est effondré rapidement, ni le christianisme grec cantonné dans l’ancienne partie orientale de l’empire romain, ni l’Islam contenu puis refoulé, ni même les hérésies ou les religions comme le catharisme qui, avant d’être vaincues par le catholicisme, n’avaient en définitive pu se définir que négativement, par rapport à lui. Le véritable ennemi du catholicisme, ce fut bien l’antique serpent qu’il conjura sans l’anéantir, le vieux fond de croyances traditionnelles, ressurgies sur les ruines du paganisme romain qui tantôt s’enfoncèrent sans disparaître dans le sous-sol du psychisme collectif, tantôt survécurent en s’incorporant au christianisme et en le déformant, en le folklorisant » (1972 : 749).
    58 Dans cette perspective, les deux textes ici évoqués et commentés représentent bien plus que deux curiosités d’érudits : ils constituent des clés essentielles pour la compréhension de la religion et de la culture du peuple au Moyen Âge.
    Pietro BOGLIONI, Université de Montréal http://www.voxnr.com/cc/ds_alternativesr/EFZAFAVVAZZhlVZrYb.shtml
    Bibliographie
    Boureau Alain, (dir.), 2004, Jacques de Voragine. La légende dorée. Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 504.
    Bozóky Edina, 2003, Charmes et prières apotropaïques, Turnhout, Brepols, coll. « Typologie des sources du Moyen Âge occidental », 86.
    Brossard-Pearson Stéphane, 2008, L’origine païenne des fêtes chrétiennes. Recherche historiographique. Mémoire de MA, Université de Montréal.
    De Rosa Giuseppe, 1981, La religion popolare. Storia, teologia, pastorale, Roma, Edizioni Paoline.
    Filotas, Bernadette, 2005, Pagan Survivals, Superstitions and Popular Cultures in Early Medieval Pastoral Literature, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, coll. « Texts and Studies », 151.
    Fontaine Jacques, (éd., trad., introd.), 1967, Sulpice Sévère. Vie de saint Martin. Paris, Édition du Cerf, coll. « Sources Chrétiennes », 133.
    Franz Adolf, 1909, Die Kirchlichen Benediktionen im Mittelalter, 2 vol., Freibourg/Brisgau, Herder (réimpr. Graz 1960).
    Hutton Ronald, 1993, The Pagan Religions of the Ancient British Isles: Their Nature and Legacy, Oxford – Cambridge (USA), Blackwell (notamment le chap. VIII, Legacy of Shadows).
    Kłoczowski J., 1979, « Du Moyen Âge aux Lumières », in La religion populaire. Colloque international du CNRS, Paris, 17-19 octobre 1977, Paris, Éditions du CNRS, pp. 15-23.
    Lecouteux Claude, 1994, Mondes parallèles. L’univers des croyances au Moyen Âge, Paris, Honoré Champion, coll. « Essais », 14.
    Le Goff Jacques, 1972, « Le christianisme médiéval en Occident du Concile de Nicée (325) à la Réforme (début du 16e s.) », in Puech Henri-Charles, (éd.), Histoire des religions, II, Paris, Gallimard, coll. « Encyclopédie de la Pléiade », pp. 749-868.
    –, 1977, « Culture cléricale et traditions folkloriques dans la civilisation mérovingienne », in Le Goff J., Pour un autre Moyen Âge, Paris, Gallimard, pp. 223-235.
    –, 1977, « Culture cléricale et culture folklorique au Moyen Âge : saint Marcel et le dragon », in Le Goff J., Pour un autre moyen âge, Paris, Gallimard, 236-279.
    Mâle Émile, 1950, La fin du paganisme en Gaule et les plus anciennes basiliques chrétiennes, Paris, Flammarion.
    Robreau Bernard, 1977, La mémoire chrétienne du paganisme carnute, Tours, Université François Rabelais.
    Schmitt Jean-Claude, 1976, « “Religion populaire” et culture folklorique », Annales. ESC, 31, pp. 941-953.
    –, 1979, Le saint lévrier Guinefort, guérisseur d’enfants depuis le 13e siècle, Paris, Flammarion.
    –, 1988, « Les superstitions », in Le Goff J. et Rémond R., (éds.), Histoire de la France religieuse, I, Paris, Seuil, pp. 417-551.
    Sébillot Paul, 1908, Le paganisme contemporain chez les peuples celto-latins, Paris, O. Doin.
    notes :
    1 Son essai sur saint Marcel et le dragon constitue un exemple fort convaincant d’application concrète de ces catégories, notamment la dernière.
    2 Cette idée et cette ligne de recherche ont été poursuivies par l’auteur dans toute son œuvre. Voir, à titre d’exemple : Pierre Saintyves, Les saints successeurs des dieux. Essais de mythologie chrétienne, Paris, Émile Nourry, 1907 ; Les Vierges-Mères et les naissances miraculeuses. Essai de mythologie comparée, Paris, Émile Nourry, 1908 ; Les reliques et les images légendaires, Paris, Émile Nourry, 1912 (sur le sang qui se liquéfie, les talismans, les reliques et statues qui tombent du ciel) ; En marge de la légende dorée : songes, miracles et survivances. Essai sur la formation de quelques thèmes hagiographiques, Paris, Émile Nourry, 1930 (sur les saints céphalophores, l’incorruptibilité des cadavres, les sorts des saints et leurs modèles païens) ; Saint Christophe successeur d’Anubis, d’Hermès et d’Héraclès, Paris, Émile Nourry, 1936.
    3 Cette traduction, enrichie d’une vaste introduction et d’un riche apparat de notes, se base sur la récente édition critique : Iacopo da Varazze, Legenda aurea. Edizione critica a cura di Giovanni Paolo Maggioni, 2a edizione rivista dall’autore, Firenze, Edizioni del Galluzzo, 1998.
    4 Parmi les innombrables thèmes qui, dans la Légende dorée, supposent un substrat folklorique, certains ont été spécifiquement étudiés. Je citerai à titre d’exemple : Paul Canart, 1966, « Le nouveau-né qui dénonce son père. Les avatars d’un conte populaire dans la littérature hagiographique », Analecta Bollandiana, 84, pp. 309-333 ; Isabelle Grangé, 1983, « Métamorphoses chrétiennes des femmes-cygnes. Du folklore à l’hagiographie », Ethnologie française, 13-2, pp. 139-150 ; J. Haudry, 1985, « Saint Christophe, saint Julien l’Hospitalier et la “traversée de l’eau de la ténèbre hivernale », Études indo-européennes Lyon, 14, pp. 25-31 ; G. Milin, 1991, « La traversée prodigieuse dans le folklore et l’hagiographie celtiques : de la merveille au miracle », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 98-1, pp. 1-25 ; Pierre Saintyves, 1912, « Le thème du bâton sec qui se reverdit. Essai de mythologie liturgique », Revue d’histoire et de littérature religieuses, n.s., 3, pp. 330-349 ; B. Sergent, 1997, « Saints sauroctones et fêtes celtiques », Cahiers internationaux de symbolisme, 86-88, pp. 45-69 ; Simone Vierne, 1997, « La sainte et le dragon », Cahiers internationaux de symbolisme, 86-88, pp. 289-299.
    5 Le contexte explicatif de ce thème est proposé par Maurizio Bertolotti, 1979, « Le ossa e la pelle dei buoi. Un mito popolare tra agiografia e stregoneria », Quaderni storici, 41 (sous le titre Religioni delle classi popolari), pp. 470-499.
    6 Charles Plummer, (éd.), Vitae sanctorum Hiberniae, 1910 [1968], Oxford, Clarendon Press ; voir en particulier la section : Heathen Folklore and Mythology in the Lives of the Celtic Saints, I, pp. cxxix-clxxxviii (pour la citation, cf. p. cxxix).
    7 Ibidem, I, p. cxxxii.
    8 Le texte peut aussi se traduire : « du fromage, de la cire et des pains auxquels on avait donné une forme spéciale ». Dans ce cas, les formes choisies devaient avoir une signification rituelle.
    9 Alors Anderitum, aujourd’hui Javols.
    10 Littéralement : « il n’y a aucune religio dans cet étang ».
    11 Grégoire de Tours, Liber in gloria confessorum, 2 ; dans M. G. H., Script. rer. merovingic., t. I, Hanovre, 1884, p. 749.
    12 C’est probablement à cause de ce manque de repères dans la culture écrite que la tradition manuscrite semble témoigner des incertitudes sur le nom Helarius, transmis dans certains manuscrits comme Helanus, ou Elarum (Helarum).
    13 L’authenticité de cette lettre a soulevé quelques doutes dans le passé, du fait qu’elle n’apparaît pas dans le registre conservé des lettres de Grégoire, mais seulement dans l’Histoire ecclésiastique de Bède. Puisque, par ailleurs, Bède assure l’avoir trouvée dans les archives romaines, où il a fait transcrire toutes les lettres de Grégoire concernant la mission en Angleterre, et que nous savons que l’actuel registre romain des lettres de Grégoire ne conserve probablement qu’une petite partie de l’ensemble de ses lettres, les critiques sont presque unanimes à reconnaître l’authenticité de ce document, prouvée aussi par des analyses philologiques et linguistique. Voir R. Markus, 1963, « The chronology of the Gregorian mission to England: Bede’s narrative and Gregory’s correspondence », Journal of Ecclesiastical History, 14, pp. 16-30, et « Gregory the Great and a papal missionary strategy », in Cuming G., (ed.), The Mission of the Church and the Propagation of the Faith, Cambridge, University Press, 1970, pp. 29-38.
    14 Bède le Vénérable, Histoire ecclésiastique du peuple anglais, livre I, ch. 30. Paris, Les Belles Lettres, 1999. vol.1, pp. 65-67.
    15 Pour le Québec, on a pu se demander s’il existe vraiment une religion populaire. Guy Laperrière, en comparant l’historiographie sur la religion populaire en France, et celle au Québec, constatait, au moins à une première analyse, une différence fondamentale entre les deux courants, car « les réalités étudiées ne sont pas du même ordre » : « L’étude de la religion populaire, en France, consiste[rait] à rechercher toutes ces manifestations religieuses qui échappent à la régulation sociale du clergé, tous les écarts par rapport à une religion dite officielle, prescrite ou cléricale... Rien de tel au Québec » (entre les années 1837 et 1960). « Durant toute cette période, l’emprise du clergé sur les domaines que l’Église considère comme siens est pratiquement totale... En somme, au Québec, la religion populaire, c’est la religion des clercs, destinées au fidèles et consommée (ou non) par eux. Il n’y aurait pas au Québec de religion populaire autonome, il n’y aurait qu’une religion cléricale ou, plus simplement, une religion catholique hiérarchisée, où le clergé propose et où les fidèles suivent (plus ou moins) docilement ». Voir Guy Laperrière, 1984, « Religion populaire, religion de clercs ? Du Québec à la France, 1972-1982 », in Lacroix & Simard, (éds.), Religion populaire, religion de clercs ? Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, pp.19-45 (texte cité pp. 21-22).
    16 Ces vues ont été exprimées de façon articulée par Jean-Claude Schmitt (1976 : 941-953), selon un principe résumé dans la formule : « la religion populaire ne peut être dissociée de l’ensemble de la culture folklorique » (p. 944).
    17 Plus extrême encore était la thèse de certains folkloristes du siècle dernier, dont Paul Sébillot (1908), pour lesquels le paganisme avait traversé les siècles pratiquement intact, jusqu’à nos jours. Sa thèse fondamentale : « le paganisme contemporain ne diffère pas souvent dans ses grandes lignes de celui qui était pratiqué il y a des milliers d’années, et cette sous-religion n’a pas été entamée dans ses parties essentielles par les religions plus savantes et plus raffinées qui se sont succédées dans les diverses contrées de l’Europe celto-latine » (p. xxvi).
    Pietro BOGLIONI, « Du paganisme au christianisme », Archives de sciences sociales des religions, 144 | 2008, 75-92.
    Référence électronique
    Pietro BOGLIONI, « Du paganisme au christianisme », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 144 | octobre-décembre 2008, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 17 septembre 2013. URL : http://assr.revues.org/17883 ; DOI : 10.4000/assr.17883

  • Le Dr Dor condamné pour avoir offert des chaussons

    Communiqué de Laissez-les-Vivre :

    D"Fort du soutien inconditionnel et financier ( avec les fruits de nos impôts) du Gouvernement, le Planning Familial vient de faire lourdement condamner le docteur DOR.

    Celui-ci était poursuivi par deux plaignants :

    1) L'hôpital St Vincent de Paul à Paris pour un banal rosaire pour la vie dans la rue en 2011, comme SOS Tout Petits en organise régulièrement.

    2) Le Planning Familial parisien pour s'être introduit à deux reprises en 2012 dans les locaux public de cet organisme, y avoir déposé quelques tracts, et remis une médaille miraculeuse et des bottons de bébé en laine à une femme croisée dans l'escalier, alors qu'il quittait les lieux.

    S'il a été relaxé pour la première plainte, le docteur Dor a été condamné pour la deuxième à 10.000€ d'amende et 2.000€ de dommages et intérêts à la personne croisée en repartant. Circonstance aggravante dit la Cour, celle-ci étant catholique, elle fut d'autant plus traumatisée du geste compassionnel du docteur Dor.

    Sachant que même tricoté à la main, un botton de bébé en laine n'a pas spécialement de connotation confessionnelle, cela fait cher la marche d'escalier !"

    Cette peine pour entrave à l'avortement dépasse les réquisitions du parquet, qui avait demandé une peine de 8000 euros d'amende. Le lobby pro-mort se défend bien. Le parquet avait souligné "la pression morale et psychologique" et "les actes d'intimidation" (sic) exercés par le vieillard de 84 ans auprès de cette femme.

    http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • Université d’été de La Manif pour tous : un an de combats, et après ?

    PARIS (NOVOpress via Bulletin de réinformation) – La Manif pour tous tenait son Université d’été, et l’on peut parler d’un succès…

    Salles pleines, 1.100 participants, 70 intervenants, quatre séances plénières, quarante‑huit forums, deux jours de débats et d’échanges… : la 1ère université de La Manif pour tous fut bel et bien un succès. L’occasion pour ses sympathisants venus des quatre coins de France de faire le point sur une année de mobilisation historique et atypique et de lancer les actions à venir.

     

    Ce qu’il en ressort

    La Manif pour tous poursuit ses actions pour le retrait de la loi Taubira, contre l’identité de genre — et sur ses conséquences logiques, l’ouverture de la PMA aux couples de même sexe et la GPA.

    La Manif pour tous lance également un Grenelle de la famille. Objectif : préparer une proposition de loi‑cadre sur la famille.

    D’autres actions de grande ampleur ont été annoncées : la mise en place du plan Vigi‑gender, avec un appel à tous les parents d’élèves à se constituer en « comités de parents vigilance‑gender ».

    La Manif pour tous souhaite éviter l’intervention malvenue de l’Etat dans un domaine intime et la déconstruction de repères élémentaires.

    Par ailleurs, nous pouvons noter quelques victoires juridiques

    Le collectif Maires pour l’enfance, qui regroupe 20.000 élus municipaux hostiles à la loi Taubira, avait déposé, en juillet, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur l’absence d’une clause de conscience pour les élus refusant de célébrer un mariage gay. Le Conseil d’Etat a jugé cette requête recevable. Elle sera donc transmise au Conseil constitutionnel.

    En outre, la Cour de cassation a reconnu que le recours de la GPA à l’étranger en vue d’une transcription dans l’état civil français constituait une démarche frauduleuse. Ainsi, la Cour a mis un coup d’arrêt à la « Circulaire Taubira » sur la reconnaissance en droit français d’une convention de Gestation pour autrui (GPA) réalisée à l’étranger.

    http://fr.novopress.info/

  • Futur centre européen du judaïsme : 2 millions d’euros apportés par l’Etat, 700 000 euros par l’IdF et terrain prêté par la mairie de Paris

    Si c’est pas beau ! On détruit des églises chaque années en France (contre la volonté populaire), mais pour un centre du judaïsme de 5OOO mètres carré, les collectivités territoriales trouvent rapidement l’argent nécessaire…

    Lors de ses vœux aux autorités juives pour la nouvelle année, le ministre de l’Intérieur a répondu à leurs craintes sur la laïcité.(…)

    Dans sa réponse, Manuel Valls dont l’entourage a montré quelques petits signes d’agacement aux propos de Joël Mergui, s’est voulu rassurant. «Il ne faut pas avoir peur de la laïcité», a-t-il lancé, soutenant la charte de son collègue, ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon. Malgré ce différend, les relations semblent au beau fixe entre le ministre de l’Intérieur et la communauté juive. Manuel Valls partage ainsi l’analyse de cette dernière sur les nouvelles formes d’antisémitisme.

    Il a aussi confirmé la subvention de deux millions d’euros qu’apportera l’Etat au futur centre européen du judaïsme.

     

    Dans les cartons depuis plusieurs années, c’est un projet d’envergure de 5 000 m2 sur cinq étages, comprenant notamment une synagogue, un hall d’exposition, des salles de réunion et des bureaux. Les travaux devraient commencer prochainement. Ils seront achevés au plus tôt en 2015. «La France compte la communauté juive la plus importante d’Europe», rappelle Joël Mergui, soulignant que le judaïsme français a une vocation particulière de rayonnement sur le vieux continent.

    Évalué à neuf millions d’euros, le projet de centre européen bénéficie de l’appui, outre de l’État, du conseil régional d’Ile de France (qui versera, lui, 700 000 euros) et de la mairie de Paris, propriétaire du terrain.

    Source : Fdesouche

    http://www.contre-info.com/futur-centre-europeen-du-judaisme-2-millions-deuros-apportes-par-letat-700-000-euros-par-lidf-et-terrain-prete-par-la-mairie-de-paris#more-29457

  • Julius Evola : "Métaphysique de la Guerre" partie 2

    Puis il faudrait ensuite spiritualiser le principe guerrier. Le point de départ pourrait être le développement virtuel d’une expérience héroïque dans le sens de la plus haute des trois possibilités que nous avons envisagées.
    Montrer comment cette possibilité plus haute, spirituelle, a été pleinement vécue dans les plus grandes civilisations qui nous ont précédées, illustrant ainsi son aspect constant et universel, ne relève pas de la simple érudition. C’est ce que nous nous proposons de faire, à partir des traditions propres à la romanité antique et médiévale.
    Nous venons de voir comment le phénomène de l’héroïsme guerrier a pu revêtir plusieurs formes et obéir à différentes significations qui, quand on veut en fixer les valeurs d’authentique spiritualité, le différencient profondément.
    C’est pourquoi nous allons commencer par examiner certaines conceptions relatives aux anciennes traditions romaines.
    On n’a, en général, qu’un concept laïc de la valeur du Romain de l’antiquité. Le Romain n’aurait été qu’un soldat au sens le plus étroit du mot, et, grâce à ses vertus militaires unies à un heureux concours de circonstances, il aurait conquis le monde. Fallacieuse opinion, s’il en fut.
    Avant tout, le Romain nourrissait l’intime conviction que l’imperium et son aeternitas étaient dus à des forces divines. Pour considérer cette conviction romaine sous un angle uniquement "positif", il suffit de substituer à cette croyance un mystère: mystère, qu’une poignée d’hommes, sans aucune nécessité, de "terre" ou de "patrie", sans être poussés par un de ces mythes ou une de ces passions auxquels recourent si volontiers les modernes pour justifier une guerre et soulever l’héroïsme, mais sous une impulsion étrange et irrésistible aient été entraînés, toujours plus loin, de pays en pays, en pliant tout à une "ascèse de la puissance". D’après les témoignages de tous les classiques, les premiers Romains étaient très religieux – nostri maiores religiosissimi mortales – rappelle Salluste et répètent Cicéron et Aulu-Gelle – mais cette religiosité ne restait pas dans une sphère abstraite et isolée, elle débordait dans la pratique, dans le monde de l’action et par conséquent dans celui de l’expérience guerrière.
    Un collège sacré formé par les Fétiaux présidait à Rome à un système bien déterminé de rites, servant de contrepartie mystique à toute guerre, de sa déclaration jusqu’à sa conclusion. D’une manière plus générale, il est certain que l’un des principes de l’art militaire des Romains était d’éviter de livrer bataille avant que des signes mystiques n’en aient, pour ainsi dire, indiqué le "moment".
    Avec les déformations et les préjugés de l’éducation moderne, on ne voudra voir en cela qu’une superstructure extrinsèque faite de superstitions. Quant aux bienveillants, ils n’y verront qu’un fatalisme extravagant. Ce n’est ni l’un ni l’autre. L’essence de l’art augural pratiqué par le patriciat romain, comme d’autres disciplines analogues, aux caractères plus ou moins identiques dans le cycle des plus grandes civilisations indo-européennes, n’était pas de découvrir des "destins" à suivre avec une superstitieuse passivité. Il s’agissait davantage de découvrir les points de jonction avec des influences invisibles, pour y greffer les forces des hommes afin de les rendre puissantes, de les multiplier et les engager à agir également sur un plan supérieur dans le but de balayer – quand la concordance était parfaite – tous les obstacles et toutes les résistances sur le plan à la fois matériel et spirituel. Il est donc difficile, à partir de cela, de douter que la valeur romaine, l’ascèse romaine de la puissance n’ait eu sa contrepartie spirituelle et sacrée, instrument de sa grandeur militaire et temporelle, mais aussi contact et lien avec les forces supérieures.
    Si c’en était le lieu ici, nous pourrions citer une nombreuse documentation pour confirmer cette thèse. Nous nous limiterons à rappeler que la cérémonie du triomphe eut à Rome un caractère beaucoup plus religieux que laïco-militaire, et que de nombreux éléments permettent de déduire que le Romain attribuait la victoire de ses duces davantage à une force transcendante qui se manifestait réellement et efficacement à travers eux, leur héroïsme et parfois même leur sacrifice (comme dans le rite de la devotio où les chefs s’immolaient) qu’à leurs qualités simplement humaines. Ainsi le vainqueur, en revêtant les insignes du Dieu capitolin suprême, lors du triomphe, s’assimilait à lui, en était une image, et allait déposer dans les mains de ce Dieu le laurier de sa victoire, hommage au véritable vainqueur.
    Enfin, l’une des origines de l’apothéose impériale, le sentiment que sous l’apparence de l’Empereur se cachait un numen immortel, est incontestablement dérivé de l’expérience guerrière: l’imperator, originellement, était le Chef militaire acclamé sur le champ de bataille au moment de la victoire: mais à cet instant, il apparaissait aussi comme transfiguré par une force venue du haut, terrible et merveilleuse, qui donnait l’impression du numen. Cette conception d’ailleurs n’est pas seulement romaine, on la trouve dans toute l’antiquité classico-méditerranéenne, et elle ne se limitait pas aux généraux vainqueurs, mais s’étendait prfois aux champions des jeux olympique et des sanglants jeux du cirque. Dans l’Hellade le mythe des Héros se confond avec des doctrines mystiques comme l’Orphisme, identifiant le guerrier vainqueur à l’initié, vainqueur de la mort.
    Témoignages précis sur un héroïsme et une valeur qui deviennent plus ou moins consciemment des voies spirituelles, bénies non seulement par la conquête matérielle et glorieuse où elles conduisent, mais aussi par leur aspect d’évocation rituelle et de conquête matérielle.
    Passons à d’autres témoignages de cette tradition qui, par sa nature, est métaphysique, et où, par conséquent, l’élément "race" ne peut avoir qu’une part secondaire et contingente. Nous disons cela, car plus avant, nous traiterons de la "guerre sainte" qui fut pratiquée dans le monde guerrier du Saint Empire Romain Germanique. Cette civilisation se présentait comme un point de confluence créatrice de plusieurs éléments : un romain, un chrétien et un nordique.
    Au sujet du premier, nous y avons déjà fait allusion dans le cadre qui nous intéresse. L’élément chrétien se manifestera sous les traits d’un héroïsme chevaleresque supranational avec les croisades. Reste l’élément nordique. Afin que nul ne s’allarme à ce sujet, nous tenons à souligner que celui dont il s’agit à un caractère essentiellement supraracial, donc incapable de valoriser ou dénigrer un peuple par rapport un peuple par rappor à un autre (…).
    Ceci dit, il est intéressant de reproduire cette significative formule d’exhortation guerrière de l’antique tradition celte : "Combattez pour votre terre et acceptez la mort s’il le faut: car la mort est une victoire et une libération de l’âme". C’est le même concept qui correspond dans nos traditions classiques à l’expression: mors triumphalis. Quant à la tradition réellement nordique, nul n’ignore la part que le Walhalla, lieu d’immortalité céleste réservé, non seulement aux "hommes libres" de souche divine, mais aussi aux Héros morts au champ d’honneur (Walhalla signifie littéralement: "le royaume des élus"). Le Seigneur de ce lieu symbolique, Odhin-Wodan, nous apparaît, d’après la Ynglingasaga, comme celui qui, par son sacrifice smbolique à "l’arbre du monde", aurait indiqué aux Héros comment atteindre le divin séjour où l’on vit éternellement sur une cime lumineuse et resplendissante, au-delà des nuées. Selon cette tradition aucun sacrifice, aucun culte n’étaient autant agréables au Dieu suprême, ni plus riches de récompenses dans l’autre monde, que celui accompli par le guerrier qui combat et meurt en combattant. Mais il y a quelque chose de plus. L’armée des Héros morts sur le champ de bataille doit renforcer la phalange des "héros célestes" qui lutte contre le Ragna-rökkr, c’est-à-dire contre le destin "d’obscurcissment du divin" qui selon ces enseignements, comme d’ailleurs selon les Grecs (Hésiode), pèse sur le monde depuis les âges les plus reculés.
    Nous retrouvons ce thème sous une forme différente dans les légendes moyenâgeuses concernant la "dernière bataille" que livrera l’empereur jamais mort. Ici, pour préciser l’élément universel, nous tenons à mettre en lumière la concordance des antiques conceptions nordiques (que, disons-le en passant, Wagner a rendu méconnaissable par son romantisme fumeux, boursouflé et teutonique) avec les antiques conceptions iraniennes et perses. Certaine s’étonneront peut-être d’apprendre que les fameuses Walkyries qui choisissent les âmes des guerriers destinés au Walhalla ne sont que la personnification de la part transcendantale de ces guerriers, dont l’équivalent exact sont les fravashi qui, dans les traditions irano-perses, sont représentées comme femmes de lumières et vierges emportées des batailles. Elles personnifient plus ou moins les forces surnaturelles en qui les forces surnaturelles en qui les forces humaines des guerriers "fidèles au Dieu de Lumière" peuvent se transfigurer et produire un effet terrible et bouleversant dans les actions sanglantes. La tradition iranienne a également la conception symbolique d’une figure divine – Mithra conçu comme "le guerrier sans sommeil" – qui, à la tête des favrashi de ses fidèles, combat contre les émissaires du dieu des ténèbres, jusqu’à l’apparition de Saoshyant, seigneur d’un règne à venir de paix "triomphale".
    Déjà ces éléments des antiques traditions indo-européennes, où reviennent toujours les mêmes thèmes de la sacralité de la guerre et du héros qui ne meurt pas réellement, mais devient soldat de l’armée mystique dans une lutte cosmique, interfèrent visiblement avec des éléments du christianisme: du moins de ce christianisme qui put assumer concrètement la devise Vita est militia super terram et reconnaître que non seulement avec l’humilité, la charité, l’espérance et le reste, mais aussi avec une sorte de violence – l’affirmation héroïque, ici – il est possible d’accéder au "Royaume des Cieux". C’est précisément de cette confluence de thèmes que naquit la conception spirituelle de la "Grande Guerre" propre au Moyen Age des Croisades, et que nous allons analyser en nous penchant davantage sur l’aspect intérieur individuel toujours actuel de ces enseignements.
    Examinons à nouveau les formes de la tradition héroïque, qui permettent à la guerre d’assumer la valeur d’une voie de réalisation spirituelle, au sens le plus rigoureux du terme,donc aussi d’une justification et d’une finalité transcendante. Nous avons déjà parlé des conceptions qui, à cet égard, furent celles du monde romain antique. Nous avons ensuite jeté un coup d’oeil sur les traditions nordiques et le caractère immortalisant de toute mort réellement héroïque sur le champ de bataille. Nous devions nous référer à ces conceptions, pour arriver au monde médiéval, au Moyen Age comme civilisation résultant de la synthèse des trois éléments: d’abord romain, ensuite nordique, et enfin chrétien.
    Nous nous proposons maintenant d’examiner l’idée de la "sacralité de la guerre", telle que la connut et la cultiva le Moyen Age. Evidemment nous devrons nous référer aux Croisades, prises dans leur signification la plus profonde, sans les réduire à des déterminismes économiques et ethniques, comme le font les historiens matérialistes, et encore moins à un phénomène de superstition et d’exaltation religieuse, comme le veulent les esprits "avancés", enfin, pas davantage à un phénomène simplement chrétien. Sur ce dernier point, il ne faut perdre de vue le juste rapport de moyen et de fin. On dit: dans les Croisades, la foi chrétienne se servit de l’esprit heroïque de la chevalerie occidentale. C’est plutôt le contraire qui est vrai. La foi chrétienne et ses buts relatifs et contingents de la lutte religieuse contre "l’infidèle", de "libération du Temple" et de la "Terre Sainte", ne furent que les moyens qui permirent à l’esprit héroïque de se manifester, de s’affirmer, de se réaliser dans une sorte d’ascése, distincte de la contemplation, mais non moins riche de fruits spirituels. La majeure partie des chevaliers qui donnèrent leurs forces et leur sang pour la "guerre sainte" n’avaient qu’une idée et une connaissance théologale des plus vagues de la doctrine pour laquelle ils se battaient.
    D’autre part, le cadre des Croisades était riche d’éléments susceptibles de leur conférer une signification symbolique spirituelle supérieure. A travers les voies du subconscient, des mythes transcendentaux réaffleuraient dans l’âme de la chevalerie médiévale: la conquète de la "Terre Sainte" située "au-delà des mers" présenta en effet infiniment plus de rapports réels que ne pouvaient le supposer les historiens avec l’antique saga selon laquelle "dans le lointain Orient, où se lève le Soleil, se trouve la ville sacrée où la mort ne règne pas mais les bienheureux héros qui savent l’atteindre jouissent d’une céleste sérénité et d’une vie éternelle". Par ailleurs, la lutte de l’Islam eut, de par sa nature, dès le début, la signification d’une épreuve ascétique. "Il ne s’agissait pas de combattre pour les royaumes de la terre – écrivait Kugler, le célèbre historien des Croisades – mais pour le royaume de cieux: les Croisades n’étaient pas du ressort des hommes, mais de Dieu – on ne devait donc point les considérer comme les autres évènements humains". La guerre sainte devait, selon l’expression d’un ancien chroniqueur, se comparer "au baptême semblable au feu du purgatoire avant la mort". Les Papes et les prédicateurs comparaient symboliquement ceux qui étaient morts à de "l’or trois fois essayé et sept fois purifié par le feu", et pouvant conduire au Dieu Suprême. "N’oubliez jamais cet oracle – écrivait Saint Bernard – que nous vivions ou que nous mourrions, nous appartenons au Seigneur. Quelle gloire pour vous de sortir de la mêlée tous couverts de lauriers. Mais quelle joie plus grande pour vous est celle de gagner sur le champ de bataille une couronne immortelle… O condition fortunée, où se peut affronter la mort sans crainte, même la désirer avec impatience et le recevoir d’un coeur ferme!". La gloire absolue était promise au Croisé – glorie asolue, en provençal – donc, en dehors de la figuration religieuse, la conquête de la supravie, de l’état surnaturel de l’existence. Ainsi, Jérusalem, but convoité de la conquête, se présentait-elle sous le double aspect d’une ville terrestre et d’une ville symbolique, céleste et immatérielle, et la Croisade prenait une valeur intérieure, indépendante de tous ses apparats, ses supports, et de toutes motivations apparentes.
    Du reste, ce furent les ordres de chevalerie qui fournirent le plus grand tribut aux Croisades, comme ceux des Templiers et des Chevaliers de Saint Jean, composés d’hommes qui, comme le moine ou l’ascète chrétien, "avaient appris à mépriser la vanité de cette vie; dans ces ordres se retrouvaient guerriers fatigués par le monde, qui avaient tout vu et goûté à tout", prêts à une action totale, que soutenait aucun des intérêts de la vie temporelle et de la politique ordinaire, au sens le plus strict. Urbain II s’adressa à la chevalerie comme à la communauté supranationale de ceux "prêts à accourir partout où éclatait une guerre pour y porter la terreur de leurs armes afin de défendre l’honneur et la justice", à plus forte raison devaient-ils entendre l’appel à la "guerre sainte"; guerre qui, d’après l’un des écrivains de l’époque, n’a pas pour récompense un fief terrestre, toujours révocable et contingent, mais un "fief céleste".
    Mais le déroulement même des Croisades, en couches plus vastes et sur le plan d’idéologie générale, provoqua une purification et une intériorisation de l’esprit de l’initiative. Après la conviction initiale que la guerre pour la "vraie" foi ne pouvait avoir qu’une issue victorieuse, les premiers revers militaires essuyés par les armées des croisés furent une source de surprise et d’étonnement, mais à la fin ils servirent cependant à mettre en lumière l’aspect le plus haut de la "guerre sainte". Le sort désastreux d’une Croisade fut comparée par les clercs de Rome à celui de la vertu malheureuse qui n’est jugée et récompensée qu’en vertu d’une autre vie. Et cela annonçait la reconnaissance de quelque chose de supérieur aussi bien à la victoire qu’à la défaite, à la mise au premier plan de l’aspect propre à l’action héroïque accomplie indépendemment des fruits visibles et matériels, presque comme une offrande transformant l’holocauste viril de toute la partie humaine en "gloire absolue" immortalisante.
    Il est évident qu’ainsi on devait finir par ateindre un plan, pour ainsi dire, supratraditionnel, je prends le mot "tradition" dans son sens le plus étroit, le plus historique et religieux. La foi religieuse particulière, les buts immédiats, l’esprit antagoniste devenaient donc des éléments aussi contingents que l’est la nature variable d’un combustible destiné seulement à produire et à alimenter une flamme. Le point central restait la valeur sainte de la guerre. Mais il se préfigurait également la possibilité de reconnaître ceux qui, adversaires du moment, semblaient attribuer au combat la même signification traditionnelle.
    C’est un des éléments grâce auquel les Croisades servirent, malgré tout, à faciliter un échange culturel entre l’Occident gibelin et l’Orient arabe (point de rencontre, à son tour, d’éléments traditionnels plus antiques) dont la portée va bien plus loin que la plupart des historiens ne l’ont vu jusqu’à présent. De même que les ordres de chevalerie des croisés se trouvèrent devant des ordres de chevalerie arabe, qui leur étaient presque analogues sur le plan de l’éthique, des moeurs, parfois même des symboles, de même la "guerre sainte" qui avait dressé les deux civilisations l’une contre l’autre au nom de leurs religions respevtives, permit également leur rencontre et que, tout en partant de deux croyances différentes, chacune finit par donner à la guerre une valeur de spiritualité, analogue et indépendante. C’est d’ailleurs ce qu’il ressortira quand nous étudierons comment, fort de sa foi, l’antique chevalier arabe s’éleva au même point supratraditionnel, que le chevalier-croisé par son ascétisme héroïque.
    Ici, c’est un autre point que nous voudrions effleurer. Ceux qui jugent les Croisades de haut, les ramenant à un des épisodes les plus extravagants du "sombre" Moyen-Age, ne soupçonnent pas que ce qu’ils appellent "fanatisme religieux" est la preuve tangible de la présence et de l’efficacité d’une sensibilité et d’un type de décision dont l’absence caractérise la barbarie authentique. Car, enfin, l’homme des Croisades savait encore se dresser, combattre et mourir pour un motif qui, dans son essence, était suprapolitique et suprahumain. Il adhérait ainsi à une union basée non plus sur le particulier mais sur l’universel. Et ceci reste une valeur, un point de repère inébranlable.
    Naturellement il ne faut pas se méprendre, et penser que la motivation transcendante puisse être une excuse pour rendre le guerrier indifférent, pour lui faire négliger les devoirs inhérents à son appartenance à une race et à une patrie. Il ne s’agit pas de cela. Il s’agit au contraire, essentiellement, de significations profondément différentes selon lesquelles actions et sacrifices peuvent être vécus et qui, vus de l’extérieur, peuvent être absolument les mêmes. Il y a une différence radicale entre qui fait simplement la guerre et qui, par contre, dans la guerre fait aussi la "guerre sainte", en vivant une expérience supérieure, désirée et désirable pour l’esprit.
    Julius Evola, (extraits – 1935) http://la-dissidence.org/

  • Julius Evola : "Métaphysique de la Guerre" partie 1

    Le principe général, auquel il serait possible d’en appeler pour justifier la guerre sur le plan de l’humain, c’est "l’héroïsme". La guerre – dit-on – offre à l’homme l’occasion de réveiller le héros qui sommeille en lui. Elle casse la routine de la vie commode, et, à travers les épreuves les plus dures, favorise une connaissance transfigurante de la vie en fonction de la mort. L’instant où l’individu doit se comporter en héros, fut-il le dernier de sa vie terrestre, pèse, infiniment plus dans la balance que toute sa vie vécue monotonement dans l’agitation des villes. C’est ce qui compense, en termes spirituels, les aspects négatifs et destructifs de la guerre que le matérialisme pacifiste met, unilatéralement et tendancieusement, en évidence. La guerre, en posant et faisant réaliser le droit d’un "plus que la vie", a toujours une valeur anti-matérialiste et spirituelle.
    Ces considérations ont un poids indiscutable et coupent court à tous les bavardages de l’humanitarisme, aux pleurnicheries sentimentales et aux protestations des paladins des "principes immortels" et de l’Internationale des héros de la plume. Cependant il faut reconnaître que pour bien définir les conditions par quoi la guerre se présente réellement comme un phénomène spirituel, il faut procéder à un examen ultérieur, esquisser une sorte de "phénoménologie de l’expérience guerrière", en distinguer les différentes formes et les hiérarchiser ensuite pour donner tout son relief au point absolu qui servira de référence à l’expérience héroïque.
    Pour cela, il faut rappeler une doctrine qui n’a pas la portée d’une construction philosophique particulière et personnelle, mais qui est à sa manière une donnée de fait positive et objective. Il s’agit de la doctrine de la quadripartition hiérarchique et de l’histoire actuelle comme descente involutive de l’un à l’autre des quatres grades hiérarchiques. La quadripartition, dans toutes les civilisations traditionnelles – ne l’oublions pas – donna naissance à quatre castes distinctes : serfs, bourgeois, aristocratie guerrière et détenteurs de l’autorité spirituelle. Ici, il ne faut pas entendre par caste – comme le font la plupart – une division artificielle et arbitraire, mais le "lieu" qui rassemblait les individus ayant une même nature, un type d’intérêt et de vocation identique, une qualification originelle identique. Normalement, une "vérité" et une fonction déterminée définissent chaque caste, et non le contraire. Il ne s’agit pas de privilèges et de modes de vie érigés en monopole et basés sur une constitution sociale maintenue plus ou moins artificiellement. Le véritable principe d’où procédèrent ces institutions, sous formes historiques plus ou moins parfaites, est qu’il n’existe pas un mode unique et générique de vivre sa propre vie, mais un mode spirituel, c’est-à-dire de guerrier, de bourgeois, de serf e, quand les fonctions et les répartitions sociales correspondent vraiment à cette articulation, on se trouve – selon l’expression classique – devant une organisation "procédant de la vérité et de la justice".
    Cette organisation devient "hiérarchique" quand elle implique une dépendance naturelle – et avec la dépendance, la participation – des modes inférieurs de vie à ceux qui sont supérieurs, étant considérés comme supérieure toute expression ou personnalisation d’un point de vue purement spirituel. Seulement dans ce cas, existent des rapports clairs et normaux de participation et de subordination, comme l’illustre l’analogie offerte par le corps humain: là où il n’y a pas de conditions saines et normales, quand d’aventure l’élément physique (serf) ou la vie végétative (bourgeoisie) ou la volonté impulsive et non contrôlée (guerriers) assume la direction ou la décision dans la vie de l’homme, mais quand l’esprit constitue le point central et ultime de référence des facultés restantes auxquelles il n’est pas pour autant dénié une autonomie partielle, une vie propre et un droit afférent dans l’ensemble de l’unité.
    Si l’on ne doit pas génériquement parler de hiérarchie, mais il s’agit de la "véritable" hiérarchie, où celui qui est en haut et qui dirige est réellement supérieur, il faut se référer à des systèmes de civilisation basée sur une élite spirituelle et où le mode de vivre du serf, du bourgeois et du guerrier finit par s’inspirer de ce principe pour la justification suprême des activités où il se manifeste matériellement. Par contre on se trouve dans un état anormal quand le centre se déplace et que le point de référence, n’est plus le principe spirituel, mais celui de la classe servile, ou bourgeoise, ou simplement guerrière. Dans chacun de ces cas, s’il y a également hiérarchie et participation, elle n’est plus naturelle. Elle devient déformante, subversive et finit par excéder les limites, se transformant en un système où la division de la vie, propre à un serf, oriente et compénètre tous les autres éléments de l’ensemble social.
    Sur le plan politique, ce processus involutif est particulièrement sensible dans l’histoire de l’Occident jusqu’à nos jours. Les Etats de type aristocratico-sacral ont été remplacés par des Etats monarchico-guerriers largement sécularisés, eux-mêmes supplantés par des Etats reposant sur des oligarchies capitalistes (castes de bourgeois ou des marchands) et finalement par des tendances socialistes, collectivistes et prolétaires qui ont trouvé leur épanouissement dans le bolchevisme russe (caste des serfs).
    Ce processus est parallèle au passage d’un type de civilisation à un autre, d’une signification fondamentale de l’existence à une autre, si bien que dans chaque phase particulière de ces concepts, chaque principe, chaque institution prend un sens différent, conforme à la note prédominante.

    C’est également valable pour la "guerre". Et voici comment nous allons pouvoir aborder positivement la tâche que nous proposions au début de cet essai: spécifier les diverses significations que peuvent assumer le combat et la mort héroïque. Selon qu’elle se déclenche sous le signe de l’une ou l’autre caste, la guerre a un visage différent. Alors que dans le cycle de la première caste, la guerre se justifiait par des motifs spirituels et mettait en valeur une voie de réalisation surnaturelle et d’immortalisation pour le héros (c’est le thème de la "guerre sainte"), dans celui des aristocraties guerrières on se battait pour l’honneur et pour le principe avec un loyalisme qui s’associait volontiers au plaisir de la guerre pour la guerre. Avec le passage du pouvoir aux mains de la bourgeoisie, on a une profonde transformation. Le concept même de nation se matérialise et se démocratise; il se crée une conception anti-aristocratique et naturelle de la patrie, et le guerrier donne naissance au soldat et au "citoyen" qui se bat simplement pour défendre ou pour conquérir une terre; les guerres n’étant plus, en général, que frauduleusement guidées par des raisons ou des primautés d’ordre économique et industriel. Enfin, là où le dernier stade a pu se réaliser ouvertement – nous avons encore une autre signification de la guerre, parfaitement exprimée par les mots de Lénine: "La guerre entre les nations est un jeu puéril, une survivance bourgeoise qui ne nous regarde pas. La véritable guerre c’est la révolution mondiale pour la destruction de la bourgeoisie et pour le triomphe du prolétariat".
    Ceci établi, il est évident que le "héros" peut être un dénominateur commun, embrassant les types de significations les plus divers. Mourir, sacrifier sa vie, peut être valable seulement sur le plan technique et collectif, mais sur le plan de ce que l’on appelle aujourd’hui, un peu brutalement, le "matériel humain". Evidemment, ce n’est pas sur ce plan que la guerre peut revendiquer une authentique valeur spirituelle pour l’individu, quand celui-ci se présente non comme "matériel" – à la manière romaine – mais comme personnalité. Cela ne peut se produire que s’il existe un double rapport de moyen et de fin, quand l’individu, occasion ou voie ayant pour fin sa réalisation spirituelle, favorisée par l’expérience héroïque. Alors il y a synthèse, énergie et maximum d’efficacité.
    Si l’on entre dans cet ordre d’idée et en fonction de ce que nous avons dit plus haut, il est évident que toutes les guerres n’offrent pas les mêmes possibilités. Et ceci en raison d’analogies, nullement abstraites mais positivement actives, selon des voies, invisibles pour la plupart, qui existent entre le caractère collectif prédominant dans les différents cycles de civilisation et l’élément qui correspond à ce caractère dans le tout de l’entité humaine. Si l’ère des marchands et des serfs est celle où prédominent des forces correspondantes aux énergies qui définnissent dans l’homme l’élément pré-personnel, physique, instinctif, "tellurique" et simplement organo-vitale, dans l’ère des guerriers et celle des chefs spirituels s’expriment des forces qui correspondent, respectivement, dans l’homme au caractère de la personnalité, spiritualisée, réalisée selon sa destination surnaturelle. Selon tout ce qu’elle déchaîne de transcendant chez l’individu, il est évident que dans une guerre la majorité ne peut que subir collectivement le réveil correspondant, plus ou moins, à l’influence prédominante dont par ailleurs dépendent les causes qui pesèrent dans la déclaration de cette guerre. En fonction de chaque cas, l’expérience héroïque aboutit à des points divers, et surtout de "trois" sortes.
    Au fond, ils correspondent aux trois types possibles de rapport qui peuvent se vérifier pour la caste guerrière et son principe, par rapport aux autres articulations déjà examinées. Il peut se vérifier l’état normal d’une subordination au principe spirituel, d’où l’héroïsme comme déchaînement conduisant à la super-vie et à la super-personnalité. Mais le principe guerrier peut être une fin en soi, se refusant à reconnaître quoique ce soit de supérieur à lui, l’expérience héroïque donnera alors un type "tragique", arrogant, trempé comme l’acier, mais sans lumière. La personnalité reste, est même renforcée, comme sera la limite de son coté naturaliste et humain. Toutefois ce type de "héros" offre une certaine grandeur et, naturellement, pour les types hiérarchiquement inférieurs, "bourgeois" ou "serfs", cet héroïsme et cette guerre signifient dépassement, élévation, réalisation. Le troisième cas se réfère au principe guerrier dégradé, au service d’éléments hiérarchiquement inférieurs (dernière caste). Ici, l’expérience héroïque s’allie fatalement à une évocation, un déchainement des forces instinctives, personnelles, collectivistes, irrationnelles, provoquant finalement une lésion et une régression de la personnalité de l’individu, qui ravalé à un tel niveau, est conditionné à vivre l’évènement d’une manière passive ou sous la suggestion de mythes et d’impulsions passionnelles. Par exemple, les célèbres romans d’Erich Maria Remarque ne reflètent que des possibilités de ce genre: gens poussés à la guerre par de faux idéalismes et qui constatent que la réalité est tout autre chose. Ils ne deviennent pas déserteurs ou lâches, mais au coeur de leurs terribles épreuves, ils ne sont soutenus que par des forces élémentaires, impulsions, instincts, réactions à peine humaines, sans plus connaître un instant de lumière.
    Pour préparer une guerre sur le plan matériel, mais aussi spirituel, il faut voir clairement et fermement tout cela, afin de pouvoir orienter âmes et énergies vers la solution la plus haute, la seule qui convienne aux idéaux traditionnels.

    Julius Evola, (extraits – 1935) http://la-dissidence.org