Le débat sur les retraites semble ne jamais devoir trouver son épilogue tant, d'année en année, il égrène un peu toujours les mêmes alertes, inquiétudes, arguments et hypothèses ressassées à l'infini, sans que pour autant ne paresse jamais advenir le naufrage annoncé. Menace lointaine pour les uns, marronnier journalistique pour d'autres mais, surtout, perspective de l'indigence d'une retraite qu'il convient de dénier pour écarter de sombres perspectives. Pourtant, l’avenir des retraites se précise à mesure du déficit de leurs régimes.
Les données les plus conventionnelles du problème sont connues, principalement l'allongement de l'espérance et de la durée de vie, d'autres, plus gênantes, se trouvent prudemment écartées du débat et des analyses prétendument éclairées des spécialistes agréés sur le sujet, telles les incidences de la dénatalité et de son corollaire, l'immigration, sur lesquelles nous reviendrons.
Il est indéniable que l'espérance de vie à la naissance continue d'augmenter légèrement pour atteindre en 2014, 85,4 ans pour les femmes et 79,2 ans pour les hommes. En vingt années, l'espérance de vie a donc crû de 5,6 années pour les hommes et de 3,6 pour les femmes, réduisant progressivement l'écart entre les hommes et les femmes. Cet écart entre les sexes s'élevait à 8,2 ans en 1994, 7,1 ans en 2004 pour se réduire à 6,2 ans en 2014. L'égalitarisme obsessionnel ambiant et la course à la parité finiront-ils par obtenir jusqu'à une stricte égalité de l'espérance de vie entre les hommes et les femmes ?
Ces réalités imposées par la démographie, seule science humaine intégralement scientifique, ont abouti au déséquilibre que l'on sait des différentes caisses de retraite par répartition dont le principe repose sur la cotation des actifs a» bénéfice des retraités du moment selon un principe de solidarité sur lequel repose l'ensemble de notre système de protection sociale. Pareil principe présuppose, cela va sans dire, une certaine homogénéité des cotisants, un relatif équilibre entre cotisants et bénéficiaires et une situation économique à peu près stable.
De réforme en réforme des retraites, rien n'y fait et le lent naufrage de notre système par répartition se confirme au fil des différents rapports officiels sur le sujet. En première ligne, les déficits des régimes de retraite complémentaire promettent des débats épiques tant la situation s'avère inquiétante. Ces régimes piochent allègrement dans leurs réserves depuis des années mais, hélas, il n'est de réserve qui ne finisse par s'épuiser comme s'épuisera un jour l'épargne de nos concitoyens, de plus en plus sollicitée pour maintenir un niveau de vie qu'il leur importe d'assurer à tout prix malgré l'étau fiscal et le gel voire la régression des ressources.
Sur le sujet, les curseurs ne sont pas légion puisqu'ils se limitent à trois entre lesquels les autorités compétentes ont toujours feint de croire qu'il suffirait de choisir. Augmentation de la durée de cotisation avec comme pendant le recul du départ à la retraite, augmentation des cotisations et baisse des pensions versées. II était déjà prévisible, il y a plus de dix ans, qu'il ne suffirait évidemment pas de choisir mais qu'il conviendrait d'actionner les trois leviers simultanément et de plus en plus fort, ce qui commence enfin à être ouvertement évoqué par les parties prenantes du débat. Nos élites démocratiquement élues et bonimenteuses à souhait ont préféré celer ces évidences le plus longtemps possible, conscientes de la sensibilité du sujet et surtout soucieuses qu'elles étaient de leur réélection à venir.
Aujourd'hui les régimes de retraite complémentaire AGIRC, pour les cadres et ARRCO pour les non-cadres sont en déroute. Malgré l'ensemble des restrictions et rabotages de ces dernières années, l’AGIRC aura épuisé ses réserves en 2018, dans trois petites années et l'ARRCO en 2027, dans une douzaine d'années.
Le leurre de l’allongement de la durée de cotisation
Selon les tenants du dossier, partenaires sociaux et représentants du patronat, l'arithmétique imposerait un allongement progressif de la durée de vie au travail jusqu'à sans doute 67 ans, comme s'y sont déjà résignés certains de nos voisins européens. Fort bien mais il faudra alors expliquer à nos concitoyens salariés du privé comment atteindre le fameux mât de cocagne de la retraite à taux plein dans un pays où l'on se retrouve étiqueté "senior*1 à 45 ans et dans lequel il devient quasiment impossible de trouver un emploi passé cet âge. Où le salarié de 50 ans, victime d'un licenciement, d'un plan social ou d'un accident de parcours ira-t-il chercher la quinzaine d'années de cotisations lui manquant pour espérer une retraite à taux plein ? Ajoutons à cette situation la multiplication des contrats à durée indéterminée, les inévitables périodes de chômage en résultant, la folle pression sur les salaires qui diminuent d'autant la rémunération globale d'une retraite calculée sur les vingt-cinq meilleures années. Quand certains s'extasient de la progression du taux d'actifs à 60 ans, atteignant aujourd'hui péniblement 40 % en 2014, cela signifie quand même que 60 % de la population active de cette tranche d'âge ne sont pas ou plus en activité. C'est le grand tabou des négociations actuelles sur l'avenir de la retraite dans lesquelles chacun fait feint d'oublier cette donnée fondamentale pour faire semblant de croire à un rééquilibrage arithmétique des caisses de retraite par un allongement de la durée de cotisation alors qu'il se fera, dans les faits, sur le dos des retraités dont les pensions seront amputées par un nombre croissant de trimestres manquants. C'est pourquoi le Medef ne manque pas d'air lorsqu'il réclame un âge minimum de départ en retraite passant de 62 à 65 ans, à compter de la génération née en 1961, ce qui, sur un plan strictement arithmétique et théorique, permettrait de renvoyer l'épuisement des réserves AGIRC-ARRCO à 2040. Même cette mesure ne suffirait pas et de loin. Les pistes en cours de discussion concernent maintenant des abattements temporaires ou permanents des pensions complémentaires, le gel des pensions pour, a minima, les trois prochaines années, la révision à la baisse des pensions de réversion, une hausse exponentielle du prix d'achat des points de retraite manquants par les cotisants. Sans parler d'une hausse des cotisations réclamée par certaines organisations syndicales.
Patronat et partenaires sociaux unis dans la régression
Les plans et mesures en faveur des retraites se succèdent sans jamais arriver même à stabiliser la situation, ni à sécuriser en rien l'avenir et ce grignotage progressif paupérise jour aptes jour les retraités dont le sentiment d'injustice et d'iniquité grandit à mesure de l'amère impression d'avoir été dupés.
Ainsi, par exemple, un an après la présentation par Jean-Marc Ayrault de sa réforme des retraites au titre prometteur, « Loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites » dont certaines mesures s'avéraient pourtant loin d'être indolores, force est de constater que la situation a continué à se dégrader au point de la rendre complètement inefficace. Le brave ministre annonçait fièrement que « (Notre) projet de loi permettra de garantir la pérennité financière de notre système de retraite ». Moins d'une année plus tard, force était de reconnaître l'insuffisance de ladite loi adossée à des hypothèses de croissance économique fantaisistes et à un taux de chômage de trois points inférieur à la réalité. Dans le monde de l’entreprise privée, pareilles sous-estimations auraient immédiatement valu à leur auteur un débarquement avec pertes et fracas, sans le moindre parachute, fût-il doré ou non. La réforme dite Ayrault omettait de plus la simple évocation du comblement du trou des retraites des fonctionnaires pour la bagatelle de 8,6 milliards d'euros à l'horizon rapproché de 2020. Les mesures envisagées n'étaient même pas financées au moment du vote de la loi mais, de plus, ne visaient qu'à équilibrer le régime général en négligeant d'aborder le sujet du financement global de l'ensemble du système qui s'élèvera à 13 milliards d'euros par an dans cinq petites années. Tout se passe donc comme si la facture des retraites n'existait pas et comme si l'ultime enjeu consistait à dissimuler le plus longtemps possible à nos concitoyens la réalité présente et à cacher ce qui les attend en matière de retraite. La vérité obligerait pourtant à expliquer que les hausses de cotisation vont se poursuivre, au détriment d'une compétitivité de nos entreprises pourtant bien mal en point, tandis qu'une baisse du taux de remplacement — c'est-à-dire du rapport entre le montant de la retraite et celui de la dernière rémunération perçue — continuera d'entamer le pouvoir d'achat des retraités. Le gel partiel des pensions est d'ailleurs déjà acté et envisagé pour au moins les trois prochaines années et vient aggraver leur désindexation, c'est-à-dire leur déconnexion d'une inflation officielle pourtant modérée ces dernières années. Les futurs retraités mariés risquent de payer le prix fort d'une révision des règles de la réversion puisque le Medef propose que, dès le 1er janvier 2016, les cotisants expriment le choix, au moment de leur retraite, d'assurer au conjoint survivant une réversion identique à celle d'aujourd'hui, en acceptant en contrepartie une baisse de pension de 2,4 ou 5,5 % ou alors de conserver une pension complète mais en acceptant que le conjoint ne touche qu'une réversion comprise entre un tiers et la moitié de la pension du défunt. La mesure pourrait rapporter 300 millions à l'État-vampire. C'est une spoliation d'une ampleur sans précédent qui s'annonce, dans la quasi-indifférence générale.
L’avortement cause majeure de l’effondrement démographique
La dynamique démographique, qu'elle soit positive ou négative, relève d'un ensemble de phénomènes complexes au rang desquels la légalisation de l'avortement puis sa libéralisation figurent incontestablement au premier rang. Les tenants de la culture de mort auront beau psalmodier à l'infini le droit des femmes, la liberté de disposer de son corps et tous ces mensonges qui nous ont fait tant de mal, le constat est là, accablant, effrayant, du suicide d'une nation par anéantissement, par auto-destruction même, de sa population qu'il convenait pour certains groupes d'influence de remplacer en l'espace de quelques décennies par des populations venues d'ailleurs. On ne devrait jamais plus omettre d'associer le débat sur l'avortement à celui sur l'immigration. L'effondrement à venir, inscrit dans les données chiffrées les plus officielles, de notre système de retraite ne modère en rien l'opiniâtreté des sectateurs de la culture de mort à vouloir libéraliser toujours plus le meurtre des enfants à naître. Une partie d'entre eux feint de réclamer à cor et à cri, le sauvetage de notre système de protection sociale dont leurs folles aspirations cèlent pourtant radicalement le sort Suppression de la notion de situation de détresse, de la clause de conscience pour le corps médical, rallongement des délais pour un possible avortement, leur frénésie meurtrière semble ne jamais devoir rencontrer de limites. Tout cela au nom des droits de l’homme et de la femme en l’occurence bien entendu.
Médecins, démographes et observateurs ont été nombreux à dénoncer pareille inconséquence s'étalant au mépris de la plus élémentaire logique. « À quel degré place-t-on le niveau d'intelligence du Français moyen pour oser lui assurer, avec une certitude qui fait redouter l'inconscience ou la mauvaise foi, que des centaines de milliers d'embryons et de fœtus jetés dans les incinérateurs des hôpitaux ou des cliniques ne peuvent manquer dans le maintien au taux de natalité ? » écrivait le Professeur J.H. Soutoul dans son ouvrage Conséquences d'une loi — Avortement an II (p. 215) en dressant un constat terrifiant, moins de deux années après la vote de la loi légalisant l'avortement. La chute de la natalité avait d'ailleurs accompagné les débats en faveur de l’avortement, dès l’année 1973, environ deux ans avant le vote de la loi. Les régressions sociales et surtout financières évoquées suffiront-elles à assurer enfin l'équilibre des caisses de retraite complémentaire ? Sans doute pas si l’on se réfère aux différents rapports du Conseil d'orientation des retraites (COR) dont les projections financières reposent sur des estimations infiniment plus réalistes que celles proposées par la classe politique. Après le temps des folles utopies soixante-huitardes, meurtrières en l'occurrence, voici venu le moment de régler la facture. Au temps de disposer librement de son corps succédera celui de ne plus disposer d'un niveau de vie convenable pour ses vieux jours.
Arnaud RAFFARD de BRIENNE. Rivarol du 28 mai 2015