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anti-national - Page 1131

  • Tragédie yougoslave : L'Europe, les États-Unis, la Russie et la Yougoslavie ; par Pierre M. GALLOIS

    Article rédigé en 1994 pour la Revue d'Europe Centrale.

    Avec un décalage de près de quarante ans, cette fois non plus à cause du Canal, mais de l'ex-Yougoslavie, Paris a réussi un doublé inattendu : le "coup de Suez". 

    Pierre M. GALLOIS.jpgC'est-à-dire faire les frais d'une expédition militaire et y souffrir des pertes pour constater qu'il revient à nouveau aux États-Unis et à la Russie de négocier le règlement d'une crise que l'on n'a pas su prévenir, encore moins conclure. 

    Et, de surcroît, devoir admettre que les pourparlers aient lieu à Bonn, origine du drame yougoslave et à Vienne, par où transitaient les armes inondant les Balkans en dépit de l'embargo. Enfin, voir rejeter les plans d'organisation de la Bosnie qui avaient l'approbation des nations — dont la France au premier chef — qui contribuèrent activement à la sauvegarde des populations les plus meurtries par la guerre. Gribouille n'aurait pas fait pis. 

    Le 5 février 1994, au soir, le jour même où la destruction du marché de Markale causa la mort de 68 personnes et en blessa 197, le président de la République et le Premier ministre s'accordèrent sur la nécessité d'agir, d'en appeler aux principales nations concernées par le drame des Balkans afin que, par l'action, l'on réponde à l'attente de l'opinion publique. Il est vrai que mise en condition par une intense propagande — dont on évoquera plus loin les sources — profondément émue par cette tuerie, la population réclamait des mesures immédiates, y compris l'usage de la force. En démocratie, la règle est d'entendre l'électeur même, et surtout, s'il a été quelque peu abusé par la "désinformation". Mais si puissante et si convaincante qu'elle ait pu être, il n'en demeurait pas moins que Sarajevo était assiégée depuis des mois et que, chaque jour, on y mourrait par le fer et par le feu. 

    Solliciter l'ONU ? Les Résolutions précédemment votées permettaient le recours à la force (interprétation de la Résolution 836 de juin 1993). C'eût été risquer un veto russe. Et puis, régulièrement et consciencieusement informé de la situation locale par les chefs militaires de la FORPRONU, le Secrétaire général se serait montré réservé. ("Toutes ces gesticulations à propos de frappes aériennes ne riment à rien. Chaque fois qu'on approchait d'un accord, elles ont envenimé la situation", déclarait le général Francis Briquemont.) Que demander aux Douze qui n'ait déjà été fait. Assez paradoxale était la démarche française, la France ayant, à terre, en ex-Yougoslavie, le contingent le plus nombreux et l'un des plus exposés à d'éventuelles représailles, la retenue britannique paraissant mieux inspirée. Mais l'opinion publique réclamait que l'on mit un terme à l'inaction.

    Aussi, le lendemain de la triste affaire de Markale, le ministre français des Affaires étrangères s'adressa-t-il à son collègue américain. Difficile requête pour Paris : on n'y avait cessé de revendiquer la reconnaissance de l’"identité de défense européenne", des pouvoirs et des moyens (?) de l'UEO, l'emprise militaire américaine sur l'Europe devant leur faire place. Et voici que pour une guerre spécifiquement européenne, ensanglantant une région dont M. Clinton avait dit qu'elle ne présentait pas d'intérêt stratégique pour les États-Unis, voici que Paris demandait à Washington de prendre l'initiative d'un ultimatum adressé aux Serbes, éventuellement suivi d'interventions aériennes. À Bruxelles, le ministre français de la Défense afficha la détermination de Paris. "On nous dit, déclara-t-il en substance, que la présence de la FORPRONU interdit que nous frappions en utilisant la force aérienne. Intenable position..." Sous-entendu il convient de passer outre et d'en venir à la menace d'emploi de la force si l'ultimatum n'est pas suivi d'effet. "On nous dit" ? C'est bien l'opinion qui le disait, lassée des souffrances indéfiniment tolérées de la population de Sarajevo. 

    À Washington l'appel fut entendu. Certes, aussi longtemps que seuls Serbes et Croates s'affrontaient, la Maison-Blanche demeura passive. Il y eut bien, de sa part, quelques velléités d'agiter la menace aérienne, mais devant les objections de Paris et de Londres, Washington sembla se désintéresser des événements des Balkans. Et cela jusqu'à ce que, gagnant la Bosnie, la guerre mobilise à nouveau le Département d'État. Les intérêts pétroliers américains sont assez puissants pour que l'allié musulman soit secouru. Pour les États-Unis, la démarche française présentait l'avantage de justifier l'Otan — en dépit de la disparition du Pacte de Varsovie. Elle répondait à l'attente de Bonn, l'Allemagne étant désireuse d'étendre la garantie américaine à ses voisins de l'est et du sud. La démonstration était faite que l'Amérique était bien la seule superpuissance et, qu'à ce titre, il lui revenait de contribuer à rétablir un "ordre international" convenable là où il était gravement menacé. L'intervention des États-Unis renforçait également l'allié turc et elle allait appuyer la présence en Macédoine du petit contingent qui y avait été dépêché. Bref, les Européens invitaient les États-Unis à jouer un rôle dans les Balkans mettant en évidence leur leadership en Europe. À l'initiative de la France. 

    Nous sommes directement concernés, affirma alors Bill Clinton, qui disait le contraire l'année précédente. Préparé depuis longtemps à intervenir en Yougoslavie — et déplorant de ne pas y avoir été invité l'état-major de l'Otan prit aussitôt sous sa coupe les formations maritimes et aériennes déployées en Adriatique et sur le littoral italien. Et, sous l'autorité de l'amiral Jeremy Boorda, commandant la 6e Flotte des États-Unis, "l'identité de défense européenne" devint "l'identité de défense américaine". 

    Chacun s'attendait à l'emploi de la force, le souhaitait ou le redoutait. C'était compter sans la manœuvre diplomatique et les avantages que Washington pouvait retirer de l'invitation qui lui avait été adressée. Alors que Moscou venait de réitérer son opposition aux attaques aériennes, y procéder eût placé Boris Eltsine dans une situation critique. Ni le peuple russe, ni la Chambre basse, la Douma, n'eussent admis que leur pays subisse une nouvelle humiliation. Bien que l'échec des réformes socio-économiques dont on attendait bien prématurément des résultats bénéfiques ait conduit à l'élimination de Galdar et d'une partie de ses conseillers économiques, Washington misait toujours sur Boris Eltsine de crainte que la Russie ne succombe aux sollicitations des extrêmes, unis dans un même nationalisme. Aussi fallait-il ménager Moscou, tenir compte des liens l'unissant à Belgrade et l'inviter à un tête-à-tête américano-russe qui devrait trouver un compromis acceptable par les trois belligérants. 

    C'est sans doute la raison pour laquelle, devenu le maître tout-puissant des forces alliées déployées face aux Balkans, l'amiral Boorda, à son tour et probablement sur ordre de son gouvernement, déclara "... qu'il ne lancerait aucune attaque aérienne sans l'ordre de l'ONU". Paris avait souhaité contourner l'Organisation des Nations Unies, mais l'amiral annonçait qu'il n'agirait que selon les instructions qu'il en recevrait. 

    Peut-être sans illusion, mais soucieux d'utiliser le prétexte bosniaque pour servir leurs intérêts nationaux, Américains et Russes ont pris à leur compte le puzzle balkanique devant lequel l'ONU et les Douze avaient échoué. Mais c'est aux Russes qu'il est revenu de jouer le rôle principal. Non seulement Washington les sollicitent et les placent en vedette sur la scène internationale mais, par les pressions qu'ils sont en mesure d'exercer sur les Serbes — et grâce aux garanties qu'en échange ils leur promettent — ils sont les seuls à pouvoir éviter l'extension du conflit de Bosnie. Moyennant les assurances qu'ils donneront à Belgrade sur l'issue des négociations auxquelles, désormais, ils participent, les Serbes replieront leur artillerie à distance de Sarajevo sans paraître obéir à l'ultimatum, mais à la demande de leur allié ; les Américains y gagnent d'éviter un engagement militaire qu'à juste titre ils redoutent et la FORPRONU ne risquera pas d'être la cible facile d'éventuelles représailles. Les "va-t-en-guerre" manifesteront leur satisfaction, la force ayant été brandie et les "pacifiques" également puisqu'elle ne sera pas utilisée, du moins comme sanction d'un ultimatum qui n'aurait pas eu d'effet. Enfin, et surtout, Sarajevo bénéficie d'une accalmie. 

    Pour Boris Eltsine ce fut là une occasion inespérée d'être à nouveau le principal interlocuteur de la superpuissance, de fournir un motif de satisfaction au peuple russe meurtri par toutes les manifestations d'une grandeur perdue et aussi atténuer la virulence des attaques des partis nationalistes. Peut-être sans l'avoir voulu, Eltsine fit mieux à propos des Balkans que Gorbatchev lors de la guerre du Golfe. 

    Avant d'étudier la proposition des nouveaux négociateurs, Américains et Russes s'étant substitués aux deux médiateurs représentant l'un l'ONU, l'autre les Douze, il faudrait revenir sur le très étrange comportement de la communauté internationale devant le drame yougoslave. 

    Il apparaîtrait que les Serbes ne furent pas les auteurs de la tragédie de Markale. Il est vraisemblable que les experts militaires qui étudièrent les traces de la détonation — ou des détonations — et qui évaluèrent les dégâts matériels qui en résultèrent, sans être assurés, s'étaient cependant formé une opinion. Adressée au Conseil des Ministres des Douze, deux jours après l'ultimatum, une lettre de la FORPRONU accuserait les Bosniaques musulmans. Fort courageusement, Bernard Volker l'avait révélé lors du "journal de TF1" le 18 février, mais allant à l'encontre de la thèse officielle, l'annonce avait été étouffée. Techniquement l'attentat suscitait l'interrogation. Les mortiers, fut-ce de 120 mm, identifiés lors des premières investigations, sont trop imprécis pour qu'un seul tir atteigne un objectif relativement réduit en dimensions (quelque 1200 mètres carrés). Ou alors, quel qu'ait été le camp des tireurs, le hasard est à incriminer et, seul, il dissiperait le mystère s'il s'agissait vraiment d'un projectile lancé par un mortier. L'autopsie des victimes aurait peut-être permis de préciser la nature de l'explosif et celle des projectiles ayant fait un tel carnage : les malheureux avaient été mis en terre précipitamment. Belgrade obtint la réunion d'une commission d'enquête. Mais, autre singularité, la tragédie fut attribuée aux Serbes et l'ultimatum lancé contre eux, avant que les experts aient déposé leurs conclusions. Enfin, il est pour le moins étrange qu'une association "TV carton jaune animé par des magistrats, des juristes et des journalistes" soit sortie de l'ombre pour porter plainte contre TF1 sous prétexte de "défendre l'honnêteté de l'information diffusée" alors que la scandaleuse désinformation subie par le téléspectateur lors de la guerre du Golfe, par exemple, n'avait pas heurté ses conceptions de la déontologie. C'est sans doute pourquoi, le 11 mars, M. Bernard Volker appuyait sa révélation du 18 février par la publication de la lettre officielle de la FORPRONU aux Douze. Lettre dont la teneur fut démentie par le Quai d'Orsay. 

    Tout s'est donc passé comme si n'ignorant rien du caractère équivoque de l'accusation dirigée contre les Serbes, les capitales occidentales avaient décidé de leur faire porter la responsabilité de l'attentat afin de légitimer l'ultimatum et, si nécessaire, l'attaque aérienne de leurs positions autour de Sarajevo. Peu importait le coupable du massacre. Il était assez révoltant pour que les opinions publiques approuvent toute action de guerre, quel que soit l'ennemi plus ou moins arbitrairement désigné. 

    Ce comportement, des plus discutables, est à rapprocher de celui qui fut adopté après l'attentat du 27 mai 1992 (20 morts, 70 blessés) également attribué à l'artillerie serbe. Le 22 août 1992, le journal britannique The Independent l'imputait à une machination bosniaque. Mais la grande presse se garda de reprendre la révélation. Elle fut confirmée plusieurs mois plus tard par le général MacKenzie, commandant en second de la FORPRONU, lors de la publication de son livre Peacemaker (1) : "... la rue (Vase Miskina où se trouvait la boulangerie de Sarajevo) a été bloquée à ses deux extrémités juste avant l'incident. Après que la foule ait été admise et que la queue se soit formée, les médias apparurent mais se tinrent à distance. L'attaque eut lieu et les médias se trouvèrent immédiatement sur place. La majorité des morts étaient des Serbes tenus pour être des 'modérés'. Qui peut savoir ? La seule chose certaine, c'est que des innocents furent tués..." 

    De même que l'attentat de Markale permit l'ultimatum et justifia d'éventuelles attaques aériennes, de même celui du 27 mai 1992 fut le prétexte de l'embargo imposé à la Serbie et au Monténégro. Bien qu'il ait été officiellement reconnu que les Serbes n'étaient pas impliqués dans le massacre dit de la boulangerie, l'embargo ne fut pas levé. Il a déjà fait des milliers de victimes parmi la population civile et atteint pour longtemps non seulement l'économie de la nouvelle République fédérale de Yougoslavie, mais aussi celle de ses voisins. 

    Pour celui qui se soucie de morale politique — l'un à côté de l'autre les deux mots surprennent — et, plus généralement, de la dignité des peuples dans les relations internationales, ces deux événements ne laissent pas d'être préoccupants. Ils provoquent au moins deux questions :

    — Sommes-nous devant une nouvelle ruse de guerre ? L'Histoire n'en offre guère d'exemples malgré la malignité des hommes. L'on s'en prend à son propre parti, l'on massacre les siens et l'on accuse l'adversaire du forfait (2). Grâce à la toute-puissance des médias et, en particulier, de l'image télévisée, l'on bénéficie aussitôt de la commisération, puis de l'assistance internationale. 

    Celle-ci donne la victoire au coupable en croyant prendre parti pour la victime ou en feignant de le croire. Les succès du procédé invitent à la répétition. Les Bosniaques musulmans y eurent recours à la veille de chaque importante négociation où leur sort allait être évoqué. Et chaque fois à leur avantage. Devant l'émotion provoquée par la mort de civils en quête de pain ou faisant leur marché, les dirigeants musulmans furent en mesure de rompre les négociations lorsqu'elles leur étaient défavorables. Il suffisait d'évoquer les souffrances que l'adversaire infligeait à leur peuple. 

    Seconde question également suscitée par les guerres récentes, celle du Golfe et celle de l'ex-Yougoslavie : pour les démocraties également, la "désinformation" des populations est-elle devenue, officieusement, une des composantes de l'art de gouverner ? Afin de sataniser Saddam Hussein en mobilisant contre l'Irak une opinion publique indifférente, le président Bush reprit à son compte, dans ses discours officiels et au moins une demi-douzaine de fois, le récit mensonger de la fille de l'ambassadeur du Koweït aux États-Unis qui prétendait avoir été témoin du pillage d'un hôpital pédiatrique à Koweït City. Amnesty International démontra le subterfuge, mais il avait atteint ses objectifs. En toute bonne conscience, les Alliés pouvaient déverser 90.000 tonnes de bombes sur l'Irak, puis lui imposer un embargo qui fit plus de 200.000 victimes parmi la population civile. 

    Mystérieuse serait également la partialité dont firent preuve les médias rendant compte par l'écrit et par l'image des événements de Yougoslavie. L'étrangeté de ce comportement ne s'explique que par la mise en œuvre de très puissants intérêts stratégiques et économiques, sans doute la force du mark et l'argent du pétrole lorsque la Bosnie fut en guerre. 

    Le véritable diktat allemand des 16 et 17 décembre 1991, une semaine après la signature du Traité de Maastricht d'où devait naître une "diplomatie et une défense communes", fut à peu près ignoré. Pourtant les ministres des Affaires étrangères des Douze réunis à Bruxelles, sous la houlette de M. H.D. Genscher, furent soumis à une rude épreuve et ce n'est qu'après des heures de débats que le 17, au petit matin, le ministre allemand obtint satisfaction. On reconnaîtrait l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie le 15 janvier suivant. Bonn et le Vatican, ce dernier manifestant son hostilité millénaire aux schismatiques orthodoxes, devancèrent l'engagement du 17 décembre et, le 23, reconnurent l'indépendance des Républiques sécessionnistes. Celle de la Bosnie suivra inéluctablement. C'était priver de citoyenneté près de trois millions de Serbes vivant en Slovénie, en Croatie et en Bosnie, en faire des minorités plus ou moins bien traitées. C'était également décider de l'éclatement de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, violer la Constitution yougoslave de 1974 en transformant des limites administratives en frontières internationales et faire bon marché de l'Acte final d'Helsinki et de la Charte de Paris. Bref, les Douze piétinaient les textes qu'ils avaient eux-mêmes conçus, défendus et signés, s'inclinant devant la volonté de la déjà toute-puissante Allemagne. Il est vrai qu'elle était réunifiée, officiellement, depuis un an et qu'elle bénéficiait largement de son unité reconstituée sans avoir encore à en payer le prix. Mais, de ces manigances, les populations ne furent pas informées. Pas plus que, dès le début du conflit, on ne leur révéla la chasse aux Serbes de Croatie, leur fuite par centaines de milliers vers la mère-patrie, leurs villages rasés, leurs biens perdus à jamais : première phase de l'épuration ethnique pratiquée par les Croates et dont on ne s'émut que lorsque les Serbes, à leur tour, ripostèrent contre les exactions dont ils venaient d'être les premières victimes. Bien rares ont été les commentaires relatifs à la visite de M. Delors à Belgrade, réclamant du gouvernement fédéral, alors en fonction, qu'il maintienne l'unité du pays et subordonnant l'assistance de la CEE à la cohésion de la fédération yougoslave. Les Douze justifiaient ainsi les tentatives de l'armée fédérale cherchant à stopper les mouvements sécessionnistes. Ses unités furent encerclées dans leurs casernes et contraintes à la capitulation ou à un combat tenu alors par les Serbes eux-mêmes pour fratricide. Lorsque Sarajevo devint le symbole menacé d'une nouvelle construction politique fondée sur une confession et non sur la volonté des diverses nationalités de vivre ensemble, l'on s'est gardé de préciser que 30% de ses habitants étaient Serbes, tandis que près de 11% se déclaraient encore Yougoslaves, si bien qu'il était légitime que l'armée serbe ait pris position pour défendre ses concitoyens contre les 49% de Musulmans bosniaques. La dictature exercée en Croatie par M. Tudjman et son parti a été discrètement escamotée, de même que la profession de foi de M. Izetbegovic selon laquelle : "... il n'y a pas de paix, ni de coexistence entre la religion islamique et les institutions sociales non islamiques. Ayant le droit de gouverner lui-même son monde, l'Islam exclut clairement le droit et la possibilité de la mise en œuvre d'une idéologie étrangère sur son territoire". Allez, ensuite, imposer aux 32 % de Serbes et aux 17% de Croates vivant en Bosnie- Herzégovine d'accepter la loi d'un gouvernement bosniaque musulman faisant de l'exclusion des autres confessions le fondement de sa politique ! Enfin, bien rares ont été seulement les allusions au rôle des Croates et des Musulmans aux côtés des forces du Reich, pas plus qu'il n'a été rappelé qu'à défendre la cause des Alliés contre l'empire wilhelminien, puis hitlérien, la Serbie a perdu 23% de sa population en 1914-1918 et encore 15% entre 1941 et 1945. 

    Les voix des nombreux experts en science politique et en relations internationales ne se sont guère fait entendre lorsque la Communauté européenne a repris à son compte l'héritage du maréchal Tito décidant qu'une religion donnait droit à former un État. On ne les a pas davantage entendus au moment où les pays occidentaux concernés par le drame yougoslave luttaient pour le maintien et le développement d'une République musulmane bosniaque. 

    Après la proposition de Lord Peel relative au partage de la Palestine (1937), dix ans de lutte et les terribles années d'extermination par les Nazis, les Juifs réussirent à s'installer en milieu musulman et, par leur vaillance guerrière, à s'y maintenir. Mais au prix d'un demi-siècle de guerres. Probablement plus encore. Aujourd'hui, les Occidentaux s'efforcent de créer et de renforcer une République musulmane (confession islamique minoritaire) en milieu chrétien. Sans doute en acceptant l'éventualité de conflits permanents. De surcroît, peut- être un jour membre d'une Union très grandement élargie, la Bosnie- Herzégovine en sera-t-elle à part entière pour être alors l'antichambre de l'Islam en Europe. Curieusement, les États-Unis s'en réjouissent : "Il serait important qu'il y ait en Europe un État où coexistent Musulmans et non- Musulmans", déclarait un haut fonctionnaire du gouvernement américain (3). En somme, il serait important de créer en Europe une "nouvelle Palestine". Afin, sans doute, que Washington y trouve prétexte à intervention. 

    Discutables certes, ces sombres perspectives sont bien rarement évoquées par des médias qui nous avaient habitués à plus de liberté. Les difficultés économiques dont souffrent plus particulièrement les pays industrialisés sont-elles à incriminer ? Privés des ressources normalement fournies par les diverses activités publicitaires des entreprises hier prospères, les médias deviennent-ils dépendants des soutiens gouvernementaux ? Il ne faudrait pas que, la crise aidant, les démocraties rejoignent les autocraties dans leurs méthodes d'information. 

    Mais la crise yougoslave a d'autres conséquences moins sujettes à l'interrogation. Elle a détruit les derniers vestiges de la victoire de 1945. Vainqueurs sur terre, les Russes font modeste figure devant l'Amérique, puissance de la mer. Tenants du statu quo balkanique, Français et Britanniques se sont inclinés devant les Allemands qui l'avaient mis à mal en 1941. La politique, la diplomatie et la défense communes dont les partisans du Traité de Maastricht nous ont rebattu les oreilles, s'évanouissent dans les brumes d'un très lointain et très incertain avenir. Et le "couple franco-allemand", mariage de raison, en a tous les défauts tant sont nombreuses et graves les infidélités. 

    Lors de son retour de Maastricht, le président de la République déclara que le texte qu'il venait de signer n'était pas négociable ; il fallait le prendre — ou le laisser — tel qu'il était. Chacun pensa qu'il en irait de même pour tous les autres pays signataires. Les mois qui suivirent démontrèrent que la plupart des grands partenaires de la France non seulement le négociaient mais, qu'unilatéralement, ils le modifiaient à leur convenance. Ce fut le cas de l'Allemagne, premier "pilier" du Traité. En effet, la Cour Constitutionnelle fédérale siégeant à Karlsruhe interpréta le traité de Maastricht de telle manière que s'il n'a pas été vidé de son contenu, il l'a été de sa finalité. Lors d'un entretien publié par la revue Politique Internationale (4), le chancelier Kohl avait clairement défini sa politique : "... le fédéralisme, la subsidiarité et l'intégration des intérêts des régions constituent, pour nous, les principes structurels essentiels de l'édification de l'Europe de demain". Mais la cour de Karlsruhe affirma que "l'Union européenne n'est pas un nouvel État fédéral, plus simplement un groupe d'États qui repose sur la volonté des États membres et respecte leur identité nationale" — Exit le fédéralisme. "L'appartenance à ce groupe d'États peut toujours cesser par un acte contraire.... l'Union européenne ne dispose ni de pouvoirs de commandement, ni d'une personnalité juridique propre... le passage à la troisième phase de l'Union monétaire n'est pas automatique..." La Cour rappelle les moyens dont disposent les autorités allemandes, et spécialement les tribunaux allemands qui ont le pouvoir de ne pas reconnaître la force juridique à des actes qui excéderaient manifestement les compétences des organes européens tels que prévues par le Traité. (Rappelons qu'en mai 1974 la Cour avait déclaré inapplicable en Allemagne un acte communautaire contraire au droit fondamental allemand.) 

    Manfred Brunner, président de la Fondation démocrate et avocat à Munich, réitérait à Jean-Paul Picaper (5) l'interprétation restrictive allemande du Traité : "... La Cour Constitutionnelle allemande agit, certes, en coopération avec la Cour de Justice européenne, mais elle a le dernier mot en cas de conflit". La légitimation démocratique de la CEE sera incarnée essentiellement par les parlements nationaux : le Parlement européen n'a qu'une fonction complémentaire (?) ... l'Union monétaire peut être résiliée... Pour toutes les questions dépassant le cadre du marché unique, il faudrait conserver dans le Conseil des Ministres la règle de l'unanimité... Mieux vaut ce type de démocratisation qu'une extension des compétences du Parlement européen parce qu'il ne peut y avoir de représentation populaire sans peuple..." Et J.P. Picaper ajoute : "... on comprend pourquoi le gouvernement s'est efforcé de passer sous silence ces conclusions de la Cour". 

    D'ailleurs, les efforts déployés par Bonn pour élargir l'Union vise deux objectifs : déplacer vers l'est, vers Berlin, le centre de gravité économique et politique de l'Union par l'adhésion de la Suède, de la Finlande, de l'Autriche et de la Norvège, pays formant une zone d'influence linguistique et économique allemande, et aussi interpréter le Traité selon les vœux de la Cour de Karlsruhe en diluant au maximum les responsabilités des institutions supranationales, toutes dispositions réalistes, mais contraires aux fantasmes européens français. 

    Les apparences, sinon peut-être la réalité, donneraient à croire que l'Allemagne réunifiée — ou plutôt, à peine réunifiée — a mis en œuvre deux diplomaties : l'une se manifeste à Bruxelles et lors des rencontres des chefs d'État, comme celles qui rassemblent périodiquement les dirigeants allemands et français. L'autre, discrète, consiste à "façonner" l'Europe conformément aux intérêts de la future nation allemande. Brunner le laissait entendre : "... l'Allemagne doit se défaire de sa peur de penser en contextes géopolitiques (à nous, Haushofer !). Le concept de la Mitteleuropa... nous a été légué par l'Histoire comme tâche particulière redevenue actuelle par la dépolarisation et le dégel qui a succédé à la guerre froide..." (6) Quoi de plus normal qu'un grand peuple, capable d'être le premier exportateur mondial et dont le commerce rayonne sur tous les continents, quoi de plus naturel qu'il pratique une politique ambitieuse, à la mesure de sa puissance démographique et économique. Seulement il faut dissiper les illusions entretenues par les fédéralistes français et, plus généralement, par les partisans du Traité de Maastricht. On ne peut prétendre que le diktat du 17 décembre 1991, une semaine à peine après la signature du Traité de Maastricht, ait été une manifestation d'entente entre les partenaires européens et l'amorce d'une diplomatie commune. La décision de M. Genscher, imposée à ses collègues, s'est révélée désastreuse. MM. R. Dumas et C. Warren en ont convenu. L'éléphant allemand entrait avec fracas dans le magasin de porcelaines que sont les Balkans. Le ministre des Affaires étrangères de Bonn a déclenché un processus infernal et malheureusement irréversible. Lord Carrington le confiait ainsi au Figaro (du 13 juillet 1993) : "... Alija Izetbegovic m'avait alerté : 'je dois demander l'indépendance de la Bosnie... Si je ne le fais pas, j'aurai la gorge tranchée. Mais je dois vous dire qu'une telle démarche aboutira à la guerre civile' ". Aussi, après de tels débuts, la politique étrangère allemande ne laisse-t-elle pas d'être inquiétante. 

    Elle l'est aussi vis-à-vis de l'Europe des Douze où Bonn ne se soucie guère de la "préférence communautaire" lorsque ses intérêts économiques sont en jeu : dès 1986, alors que la France cherchait à réunir les éléments d'une forte présence européenne dans l'espace, le gouvernement allemand s'opposa à deux des trois composantes essentielles de cette ambition : pas de station européenne sur orbite, mais un module amarré à celle des États-Unis, pas de "navette", mais peut-être un strapontin quémandé aux Américains et aux Soviétiques, si bien que le sort d' "Hermès" fut déjà compromis avant d'être réglé par l'abandon du projet. Ariane, par ses succès, échappa seule au naufrage. De même, convoitant le marché mondial, l'européen n'étant pas à sa mesure, Siemens choisit de s'allier à IBM américain et à Hitachi et Fujitsu japonais plutôt qu'aux firmes françaises et britanniques. Après avoir pris le contrôle de MBB (Messerschmidt, Bolkow, Blohm), Daimler-Benz s'est tourné vers Mitsubishi... Pourtant, les partenaires européens de l'Allemagne s'étaient montrés de bonne composition puisqu'ils se soumirent aux conséquences de la stratégie de la Bundesbank : taux d'intérêt élevés, afflux de devises en Allemagne, mais augmentation du chômage chez eux. "La politique monétaire de la Bundesbank est une véritable catastrophe pour toute l'Europe", dira Henri Martre, alors patron de l'Aérospatiale 0. Quant à la politique militaire, elle est pour le moins étrange : les forces armées d'outre- Rhin sont maintenant réparties entre quatre organisations : le futur corps d'armée franco-allemand, un groupe germano-hollandais, une participation à une force d'action rapide de l'Otan, enfin, une solide contribution à l'Otan, le tout, d'ailleurs, devant être placé sous le commandement américain en cas de crise grave. C'est là une curieuse façon de se préparer à une "défense commune" proprement européenne. 

    Chacun applaudit : l'intervention des États-Unis et celle, correspondante, de la Russie a décidé, en quelques heures, de la levée du siège de Sarajevo et du retour à la vie des citadins canonnés. Mais elle a mis en évidence l'incapacité des Douze à remédier à la catastrophe déclenchée par l'un des leurs. Il est vrai que le comportement de l'Allemagne dans les Balkans, fut-il vieux d'un demi- siècle, neutralisait la Communauté tout entière, accusée sous la pression de Bonn, puis de Washington, de partialité. L'entrée en scène de Moscou a rétabli l'équilibre entre des intérêts opposés. Celle des États-unis risque de se révéler périlleuse pour les pays européens dans la mesure où, pour plaire aux pays pétroliers arabes, c'est à l'instauration d'un État musulman en Europe qu'œuvre la Maison-Blanche. L'éveil de la Russie a été soudain et volontariste. Il n'est pas exclu que la destruction des quatre avions serbes ait été un avertissement : d'accord pour négocier à deux sur les décombres de l'ex-Yougoslavie, d'accord également pour substituer nos projets à ceux des médiateurs (c'est-à- dire à ceux de l'ONU et des Douze européens), mais qu'on ne s'y trompe pas, il n'existe toujours qu'une seule superpuissance et c'est l'Amérique. 

    Celle-ci a-t-elle un projet balkanique, comme l'intérêt subit qu'elle témoigne pour la Macédoine pourrait le laisser à croire ? Sinon à la Maison-Blanche où la politique intérieure accapare les esprits, mais dans de nombreux centres universitaires de recherche, des hommes de valeur étudient ces trois bouleversements qui transforment sur ce versant de l'Europe l'ordre international : l'effondrement du communisme, la réunification de l'Allemagne et la puissance croissante de l'intégrisme musulman. Vue d'outre-Atlantique, la péninsule occidentale de l'Eurasie — seconde en importance après l'Asie du Pacifique — prend un aspect nouveau. Deux forces la dominent : au nord les 80 millions d'Allemands, au sud les 80 millions que seront les Turcs dans un proche futur. C'est avec Bonn/Berlin d'une part, Ankara de l'autre, qu'il faut défendre les intérêts américains. À Bonn, l'on pardonnera la dangereuse précipitation de M. Genscher et, à Ankara, la répression des Kurdes. L'Allemagne aura toute liberté d'action dans cette Mitteleuropa "léguée par l'Histoire comme tâche particulière", selon M. Manfred Brunner avec, en prime immédiate, le rattachement économique de la Slovénie et de la Croatie. Quant à la Turquie, elle exercera son influence sur l'Albanie, la Bosnie, le Kosovo musulman — au détriment des Serbes, affaiblis par l'embargo et désignés à la vindicte publique par une campagne de désinformation intense. Si l'Allemagne participera — avec mesure — à la réhabilitation de l'économie de la Russie, elle devra aussi demeurer la plaque tournante des forces de l'Otan si, par exemple, un néopanslavisme actif succédait un jour au messianisme marxiste. De surcroît, elle sera, en Europe, le champion du libre-échangisme si favorable à l'économie américaine — du moins à court et à moyen terme. L'Irak détruit, l'option laïque et socialiste du baassisme éliminée et l'option intégriste ralliant de plus en plus de fidèles, il reviendra à la Turquie, encore laïque, de former un môle de résistance tandis que son influence politique, et peut-être économique, s'exercerait sur les pays turcophones, hier membres de l'U.R.S.S, leur offrant une autre voie que le retour dans le giron de Moscou. Aussi l'intervention américaine dans la triste affaire des Balkans, aux côtés de l'Allemagne d'une part, des pays musulmans de l'autre, constitue-t-elle une bonne approche pour mettre en pratique, peu à peu, cette nouvelle — et élémentaire — stratégie. 

    Dans un délai qu'on ne saurait fixer, Moscou pourrait être en mesure d'altérer ces objectifs et de limiter les moyens nécessaires pour les atteindre. La crise yougoslave a stimulé une diplomatie paralysée par les difficultés internes. Mais, entre le comportement des Russes lors de la guerre du Golfe et le leur depuis que l'Amérique est diplomatiquement présente dans les Balkans, grande est la différence. Le Kremlin doit compter avec la nouvelle Douma d'autant qu'elle répond aux aspirations profondes de la population recrue d'humiliation. Après avoir tenu une place quasi dominante dans les affaires du monde, les Russes réclament une plus grande considération. Et les politiques comme les analystes devront se rendre à l'évidence : il faudra, à nouveau, s'accommoder des volontés de ce grand pays. D'ailleurs, si pour les hommes le pouvoir absolu conduit à l'arbitraire, de même l'omnipotence d'une seule nation l'amène à commettre des excès. Source d'équilibre, la bipolarité est aussi le gage de plus de mesure. C'est ainsi que l'attaque de Bagdad, le 23 juin 1993, pour punir l'Irak d'un attentat qui n'eut pas lieu (et qui ne fut même pas envisagé, selon la presse américaine), la partialité dont l'Occident a fait preuve tout au long du drame yougoslave n'ont été possibles que parce que la Russie avait pratiquement disparu de la scène internationale. Elle y entre et veut s'y faire entendre. 

    Dans un monde bipolaire, les forces antagonistes s'équilibrant à peu près, le complot antiserbe n'aurait pu prendre autant d'ampleur. On remarque, par exemple, que l'attentat du marché de Markale ayant eu lieu le 5 février en fin de matinée, le soir même, le gouvernement français s'apprêtait à réclamer un ultimatum aux Serbes et à l'accompagner de menaces d'attaques aériennes. Dans une démocratie, un suspect est présumé innocent jusqu'à ce qu'ait été prouvée sa culpabilité. Or, avant même que soit réunie la commission d'enquête et alors que les premières investigations des experts militaires concluaient à l'impossibilité de déterminer l'origine du tir (si tir il y avait eu), Paris décidaient que les Serbes étaient les coupables et qu'il convenait de les châtier. Étrange. 

    Étranges, également, les renvois successifs des chefs militaires de la FORPRONU. Sur le terrain et disant des vérités contraires à la tournure que les politiques voulaient faire prendre à cette guerre civile, ils furent, l'un après l'autre, contraints d'abandonner leur commandement. "La présidence bosniaque entretient là des combats qui n'ont, et ils le savent, aucune chance d'aboutir, mais qui ont le mérite d'attirer l'attention du monde", déclara le général Morillon. Il est rappelé à Paris. Le général MacKenzie révèle-t-il que l'attentat de la rue Vase Miskina a été préparé par les Bosniaques, qu'il est prié d'aller exercer ses talents au Canada, son pays d'origine. "Toutes ces gesticulations à propos des frappes aériennes ne riment à rien. Chaque fois qu'on approchait d'un accord militaire, elles ont envenimé la situation... Il faut en finir avec l'antiserbisme primaire véhiculé par quelques intellos en goguette", dira le général Briquemont aussitôt renvoyé en Belgique. Honnêtes et clairvoyants, ces militaires de haut rang dérangeaient les desseins des politiques qui entendaient que soit fardée la vérité. 

     

    Le "nouvel ordre international", conçu pour un monde unipolaire, en Irak comme en Yougoslavie, a cherché à atteindre ses objectifs par la "mise en condition" des opinions publiques, le recours aux cruautés des embargos et, si besoin était, les destructions massives. Ce sont maintenant les démocraties qui violent le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes se comportant comme les autocraties auxquelles, légitimement cette fois, elles eurent le mérite de longtemps s'opposer.

    Pierre-Marie GALLOIS (1911-2010)  http://www.theatrum-belli.com

    Général de brigade aérienne et géopoliticien, artisan de la dissuasion nucléaire française.Article issu de la Revue d'Europe Centrale, du 1er semestre 1994

    Notes :

    (1) Lewis MacKenzie. Douglas and McIntyre. Vancouver/Toronto, 1993, p. 194.

    (2) Le général MacKenzie, lors d'une conférence de presse : "... je ne suis pas en état d'empêcher les deux belligérants de tirer sur leurs propres positions pour satisfaire CNN"

    (3) Alain Frachon, Washington veut amener les Serbes à la table des négociations, Le Monde. 16 mars 1994, p. 3

    (4) N°52. Eté 1991.

    (5) Une Europe des Etats souverains. Géopolitique, n° 44, p. 73

    (6) Ibid., p. 75

    (7) Henri Tricot : "Le patron de l'Aérospatiale accuse l'Allemagne de provoquer la récession". Le Quotidien, 14 janvier 1992, p. 7

  • Les 6 milliards de Cahuzac et ceux de Valérie Pécresse

    130227 130227bLe 25 février, le ministre délégué au budget, Jérôme Cahuzac, affirmait  (1)⇓qu'il allait falloir trouver "6 milliards d'euros de recettes" supplémentaires en 2014. Il affirme vouloir conserver ce qu'il appelle "la stabilité fiscale". Il refuse ainsi de parler d'une augmentation d'impôts.

    Or le temps presse. Aujourd'hui, chacun s'accorde à déplorer l'humiliation imposée aux peuples de l'Europe du sud. On les regarde comme autant de cobayes. La dégradation de l'image de ces pays à l'étranger s'accompagne des dommages bien réels infligés aux conditions de vie d'une partie des habitants.

    À l'époque où je rédigeai mon petit livre contre le fiscalisme (2)⇓, ce travail tendait surtout à répondre à plusieurs préoccupations, légèrement différentes, sans doute au départ. La plus importante à mes yeux correspond, aujourd'hui encore, à la restauration des fonctions régaliennes, de défense, de sécurité intérieure et d'administration de la justice, structurellement étouffées par l'omniprésence de l'étatisme. La seconde s'investissait dans la réponse aux thèses néomarxistes de Piketty. Et enfin, pour pouvoir diminuer la pression fiscale aberrante qui pénalise si durablement le pays, tout en liquidant la dette et en interdisant les déficits, la seule solution consiste à diminuer le périmètre de l'état, ce qui renvoie au premier point évoqué.

    Or, à partir de l'été 2011, nous nous trouvions dans la période de l'élaboration des lois financières pour 2012. Valérie Pécresse avait accédé, à l'occasion du tout récent remaniement du gouvernement, du portefeuille de ministre du Budget. Dans ces fonctions elle se montra assez rapidement l'une des premières personnalités politiques à oser envisager la nécessité de réduire la dépense publique. Depuis lors, et petit à petit, l'idée prit corps, quoique de façon pudique, et le discours en prend forme désormais. Mais comme on pouvait déjà le remarquer, pour que la notion même en acquière une part de crédibilité, – en l'absence d'une situation du type "troïka" d'envoyés des bailleurs de fonds, – l'existence d'un courant d'opinion représente une condition sine qua non.

    On doit donc se féliciter, sur le principe, que l'UMP ait réuni le 20 février une "Convention" de ce qu'elle appelle son "labo des idées", l'expression Atelier renvoie peut-être un peu trop au grand orient de France. Le thème portait en l'occurrence sur "Comment et où baisser les dépenses publiques".

    Autre qualité des conclusions adoptées : elles aboutissent quand on observe le catalogue à "10 mesures pour 20 milliards d'économies". On peut remarquer cependant que l'on se trouve en recul par comparaison avec le "Rapport de l'Institut Montaigne de décembre 2012, qui annonce quant à lui "15 propositions pour 60 milliards d'économie".

    Les bons esprits se féliciteront sans doute, à la fois, de cette attitude apparemment plus modérée : ils la trouveront ainsi, peut-être, plus "réaliste" ; et, d'autre part, comment ne pas noter que ces [éventuels] "20 milliards du 20 février 2013 permettraient [par avance] de "financer" les 6 milliards de Cahuzac. Cette dernière évaluation s'inscrivant dans le cadre de la remise en cause des hypothèses de croissance, voilà, pensera-t-on autant de réponses que la technocratie s'adresse à elle-même.

    Hélas, on ne peut qu'observer la fragilité de tels satisfecit ; Fondés sur des calculs provisoires et fugaces, ces chiffres intimidants restent largement sujets à caution. Cautères puissants on propose une fois de plus de les appliquer sur autant de jambes de bois.

    Le sophisme fondamental consiste, encore et toujours, à proposer l'étatisme comme remède à ses propres nuisances. Ah certes le détail peut sembler impressionnant : 3,2 milliards d'économies, par exemple, figurent au point 7 du catalogue Pécresse, intitulé une politique de l'emploi plus efficace et centrée sur le retour rapide à l'activité". Quel caissier dédaignerait d'encaisser un tel gain, basé sur trois idées bien trempées "rapportant" respectivement 0,2 [par dégressivité de l'allocation-chômage"] + 1 [par lutte contre les préretraites déguisées] + 2 milliards [par fusion de la prime pour l'emploi et du RSA]. Magnifique.

    Comme tous ces remèdes proposés n'auront jamais l"occasion d'être expérimentés avant 2017, on ne saura pas non plus comment de telles évaluations se vérifient.

    En revanche on sait deux choses par avance : l'État n'offre pas les solutions, puisqu'il constitue lui-même le problème (cf. Reagan) et on ne résoudra aucun problème avec ceux qui les ont engendrés (cf. Einstein). Réduire la dépense ? Mille fois d'accord ! Et le plus vite possible ! Mais si l'on se borne à des travaux de laboratoires on demeure dans l'invraisemblable.

    Encore un effort risque donc à l'évidence de se révéler nécessaire pour aboutir à cet assainissement de plus en plus urgent.

    JG Malliarakis http://www.insolent.fr/

    Apostilles

    1. sur Europe 1.
    2. cf. "Pour une libération fiscale"
  • Mariage pour tous : le rejet de la pétition par le CESE est illégal

    Les opposants au mariage dit « pour tous » ont déposé, vendredi 22 février 2013, 694 429 signatures à l’appui d’une pétition demandant au Conseil économique, social et environnemental (CESE) de donner son avis sur cette question, comme le prévoit l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958, dans sa rédaction issue de la loi organique n° 2010-704 du 28 juin 2010.¢
    I. Dans une décision du 26 février 2013, le CESE a déclaré irrecevable cette saisine par voie de pétition : « Le bureau [du CESE] a constaté que les conditions de nombre et de forme étaient réunies », a souligné le CESE dans un communiqué. « Pour autant, et en vertu de l’article 69 de la Constitution et de l’article 2 de l’ordonnance du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique social et environnemental, la saisine du CESE pour avis sur un projet de loi relève exclusivement du premier ministre ». En conséquence, « celle-ci ne saurait ainsi être autorisée par voie de pétition citoyenne », ce qui a amené l’assemblée consultative à déclarer irrecevable la saisine dont elle était l’objet.
    II. Cette décision est infondée en droit.
    En effet, l’article 4-1 de l’ordonnance susmentionnée dispose que la saisine du Conseil par voie de pétition est soumise à quatre conditions formelles qu’il énumère très précisément, et seulement à quatre. Ces quatre conditions sont les suivantes :
    1° La pétition doit porter sur « toute question à caractère économique, social ou environnemental ». C’est le cas en l’espèce.
    2° La pétition doit être « rédigée en français et établie par écrit ». C’est le cas en l’espèce.
    3° La pétition doit être « présentée dans les mêmes termes par au moins 500 000 personnes majeures, de nationalité française ou résidant régulièrement en France. Elle indique le nom, le prénom et l’adresse de chaque pétitionnaire et est signée par lui. » C’est le cas en l’espèce.
    4° La pétition doit être « adressée par un mandataire unique au président du Conseil économique, social et environnemental. » C’est le cas en l’espèce.
    Il appartient au Conseil de vérifier si ces quatre conditions sont satisfaites. Si elles le sont, le Conseil n’a pas le pouvoir de refuser d’examiner au fond une pétition dont il est légalement saisi.
    En effet, l’article 4-1 dispose que « le bureau statue sur [la recevabilité de la pétition] au regard des conditions fixées au présent article », et uniquement au regard des conditions fixées au présent article. Ces conditions sont au nombre de quatre, et pas une de plus. Le Conseil économique, social et environnemental n’était donc pas fondé à prononcer l’irrecevabilité de la pétition au seul motif qu’un projet de loi serait en cours de discussion au parlement.
    III. Pour prononcer l’irrecevabilité de la pétition, le CESE considère néanmoins que seul le Premier ministre peut saisir l’assemblée consultative concernant un projet de loi. À cet effet, il se fonde sur l’article 2 de l’ordonnance précitée. Or les dispositions contenues dans cet article ne prévoient nullement que la saisine du CESE, à laquelle procède le Premier ministre dans certains cas bien précis, serait exclusive du droit, pour les personnes visée à l’article 4-1, de saisir parallèlement l’assemblée consultative par voie de pétition.
    En effet, l’article 2 énumère quatre voies possibles pour la saisine du CESE par le Premier ministre, le président du Sénat ou de l’Assemblée nationale :
    1° La saisine obligatoire, pour avis, « par le Premier ministre, des projets de loi de plan et des projets de loi de programmation à caractère économique, social ou environnemental. »
    2° La saisine facultative, pour avis, « par le Premier ministre, des projets de loi de programmation définissant les orientations pluriannuelles des finances publiques, des projets de loi, d’ordonnance ou de décret ainsi que des propositions de loi entrant dans le domaine de sa compétence. »
    3° La saisine facultative, pour consultation, « par le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale ou le président du Sénat, sur tout problème de caractère économique, social ou environnemental. »
    4° La saisine facultative, pour étude ou pour demande d’avis, « par le Premier ministre, par le président de l’Assemblée nationale ou par le président du Sénat. »
    Aucune des conditions posées par ces dispositions n’interdit aux personnes physiques mentionnées à l’article 4-1 de saisir parallèlement le CESE par voie de pétition.
    IV. En outre, et à toutes fins utiles, la saisine du CESE pour avis, par le Premier ministre, ne peut relever, le cas échéant, que de la 2ème voie susmentionnée, et cette voie est facultative. Elle ne saurait donc faire échec à la saisine du Conseil par voie de pétition, sauf (peut-être) si elle avait déjà été utilisée. En l’espèce, ni le CESE ni les pétitionnaires ne soutiennent que le Conseil aurait déjà été saisi par le Premier ministre, ni que l’assemblée aurait épuisé sa compétence. On peut donc en conclure que le CESE n’a pas été saisi. Mais quand bien même il l’aurait été, on ne voit pas en quoi la saisine parallèle par voie de pétition serait contraire aux dispositions contenues aux articles 2 et 4 de l’ordonnance.
    La décision d’irrecevabilité prononcée par le Conseil est entachée d’excès de pouvoir et est susceptible le cas échéant, c’est-à-dire si les pétitionnaires le jugent opportun, de faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat. Affaire à suivre, donc…
    [MAJ]Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, je me permets de rappeler que j’ai précisé sur ce blog, le 17 août 2012, que j’étais pour le mariage homosexuel, mais contre l’adoption homosexuelle. Je n’ai donc pas signé la pétition dont il est question ici. Ce post développe uniquement un raisonnement juridique.
    [MAJ] A noter que le CESE a décidé de d’auto-saisir de la question :  » Par ailleurs, le bureau du CESE estime que les évolutions contemporaines de la famille et ses conséquences en matière de politiques publiques justifient une autosaisine de la part de notre Assemblée. Le Bureau examinera avec les formations de travail concernées les conditions d’examen et le calendrier de cette autosaisine. » Un recours jurifictionnel contre la décision de rejet de la pétition pourrait donc être jugé sans objet. C’est quand même la preuve de la gêne du Conseil quant à cette décision d’irrecevabilité.¢
  • Islam : Valls est traversé par un court éclair de lucidité

     

    Lundi soir, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, accordait une interview exclusive à La Libre Belgique. S’exprimant sur la situation de l’islam en France, il reconnait, dans un moment de lucidité, que « l’islam est devenu en quelques années la deuxième religion de notre pays, avec quatre à six millions de Français ou de citoyens résidant en France de confession musulmane. Nous comptons entre 2 200 et 2 300 lieux de culte.(…) Il y a très peu d’exemples dans l’histoire de l’humanité où en aussi peu de temps une religion a pris son essor dans un pays« . Quoique nous nous interrogions sur le concept de Français de papier, estimant que l’appartenance à la France n’est pas l’objet d’une simple démarche administrative… Pour le reste, le constat est réel.

    Mais, en abordant les violences et les crimes commis au nom de l’islam, le ministre poursuit : « Il faut que l’islam puise dans son histoire, dans ses valeurs, pour combattre ce radicalisme et cette violence qu’une minorité porte« . Sauf que les valeurs de l’islam, si on se réfère au coran, semblent assez voisines de ce qu’il reproche à certains musulmans, relativement à la condition de la femme, au meurtre des infidèles, et à la place politique de la religion coranique dans la société civile. Concernant ce dernier point, l’islam, et c’est inscrit dans son ADN, nie la distinction entre privé et public, temporel et spirituel : au nom de l’oumma, l’islam est une théocratie ; et le coran un code civil, une juridiction.

    Quant à l’histoire de l’islam, mieux vaut que les musulmans ne puisent pas trop dedans et négligent cette suggestion du ministre de l’intérieur…qui ferait bien d’ouvrir un livre d’histoire de temps en temps…

    http://www.contre-info.com/

  • À propos de l'endettement de la France (archive 2010)

    De nombreuses raisons ont été données, mais nous allons en examiner deux particulièrement qui contribuent le plus aux mille milliards d'euros de dette.
    La Construction Européenne
    La France a toujours été un pays contributeur, c'est à dire une « vache à lait » au même titre que l'Allemagne ce qui donne des milliards d'euros cumulés à perte pour la France. Mme Thatcher déclarait : « I want my money back ». La France par générosité ou gloriole se veut à la pointe de la Construction Européenne. Cela a un coût. Il ne suffit pas d'être Européiste, il faut aussi le payer (quitte à vendre le stock d'or de la France !).
    Maurice Druon qui n'est pas économiste écrivait qu'avec l'euro, on n'avait plus la facilité de dévaluer.
    Une dévaluation n'est ni une chose facile ou difficile, une monnaie doit simplement être adaptée à la compétitivité du pays. Si le franc existait encore, on aurait certes pu dévaluer un peu, exporter plus et ainsi financer nos déficits en créant même plus d'emplois. La Chine utilise bien les délices d'une monnaie faible, trop au goût de certains.
    Avec l'euro, cela n'est plus possible. Le traité de Maastricht ligote les politiques économiques possibles et ôte beaucoup de souplesse aux différents pays.
    La Banque Centrale Européenne ne fait que lutter contre l'inflation dans l'intérêt des rentiers ce qui ne favorise pas la croissance. Une inflation modérée est pourtant une bonne chose pour l'économie puisque cela pénalise (légèrement) les rentiers non productifs et moins consommateurs au profit des productifs plus consommateurs.
    Le traité de Maastricht a été néfaste pour la France puisque maintenant la Banque de France ne peut plus faire d'avances au Trésor ce qui permettait la création monétaire au moment opportun. Dans le dernier rapport du FMI, il est prévu que la zone euro aura le taux de croissance le plus faible du monde, en dessous de l'Afrique subsaharienne.
    Voilà à quoi sont arrivés les Technocrates de la Construction Européenne, du pacte de stabilité et de la mise en place de l'euro.
    Dans un contexte de croissance plus forte (possible si nous avions gardé le franc) la dette de la France serait beaucoup moins un problème.
    L'immigration
    On peut évaluer à environ 300 000 immigrants supplémentaires en France chaque année (demandeurs d'asile inclus). C'est énorme d'autant plus que 90 % sont à la charge de la collectivité avec tous les frais supplémentaires différés que cela constitue (allocations renouvelées chaque année, écoles, hôpitaux, soins, logements, prisons ... ).
    Dans un contexte où on évalue à deux millions et demi (2 700 000 exactement) le nombre officiel de chômeurs, la France n'a pas les moyens économiques de les accueillir. Il a fallu par exemple réquisitionner 18 000 chambres d'hôtel pour les demandeurs d'asile dont le nombre ne fait qu'augmenter. On a toujours abordé la question de l'immigration en termes idéologiques. Il serait temps de raisonner aussi en termes économiques.
    La liquidation de la France (la grande affaire de la politique française)
    Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, toute la politique de la France a consisté à en finir avec la France si l'on excepte la parenthèse De Gaulle. De l'extrême gauche en passant par Cohn-Bendit et Giscard jusqu'à l'extrême droite d'Alain de Benoit qui arrive à croire sans rire que la construction européenne est synonyme de l'Europe de la race blanche, pratiquement toute la classe politique (surtout celle au pouvoir ou proche de lui) a en commun la haine de la France et de la nation. Elle se grise de slogans : « L'Europe démultiplicateur de puissance ». Pour qui ? Pour quoi ? Pour défendre quel être ? Comme si l'Europe sac de noeuds d'intérêts divergents était le prolongement des intérêts de la France.
    « L'Europe : la France en plus grand » : expression franco-française qui fait sourire les autres Européens. L'Europe est devenu le trou noir de toute l'action politique en France depuis plus de trente ans. Cet ensemble européen est d'ailleurs flou, fluctuant, et indéfinissable. On aura sans doute l'entrée «irréversible» de la Turquie selon Jacques Chirac. Dominique Strauss-Kahn veut même faire entrer les pays du Maghreb dans l'union européenne. Tout n'est que question de temps. Ce qui est impensable aujourd'hui ne l'est déjà plus demain. Qui aurait pensé il y a vingt ans que la Pologne et les pays baltes intégreraient l'union européenne ? Ceux qui ne se plient pas à cette version du monde sont considérés comme nostalgiques, passéistes, aigris et même racistes, mot qui donne des frissons.
    Dans cette communion de la haine des nations, l'immigration n'est pas une question à part, mais est intimement liée avec la construction européenne, à la fin de la France, des nations et à la mise en place de l'idéologie post-nationale.
    Cela donne sans doute des satisfactions à tous les haineux de la France. De Gaulle ne voulait pas que l'Europe se fasse sur le cadavre de la France. Il n'avait pas vu assez loin. L'Europe se fera certes sur le cadavre de la France, des nations, mais aussi sur le cadavre des peuples européens qui disparaissent peu à peu noyés dans une immigration à venir encore plus forte que celle qu'ils ont connue jusqu'à maintenant. En trente ans (ce qui est très peu) la France a changé physiquement ; il suffit de se promener dans les banlieues des grandes villes pour que cela saute aux yeux. Les banlieues immenses, peuplées de jeunes d'origines diverses, pèseront demain infiniment plus lourd que les campagnes de France «encore» françaises mais peuplées d'une population dont la moyenne d'âge est très supérieure. La France de demain se trouve en banlieue et non en Corrèze.
    Dans un contexte de mondialisation totale où les détenteurs de capitaux investissent sans état d'âme sur toute la planète là où c'est le plus rentable, que veut dire l'Europe de l'économie ? La construction européenne a été fondée sur de grands mensonges à l'égard de ses habitants. Tout d'abord le mirage de la puissance (qu'est-elle vraiment de nos jours et pour quoi faire) fondée sur le nombre, le mirage de la paix qui dans le fond est venue de la dissuasion et qui n'empêche pas hélas le terrorisme, le mirage d'une Europe fondée sur l'héritage commun alors que dans le même temps on fait juxtaposer en France et en Europe toutes les religions et toutes les communautés de la planète, le mirage d'une Europe indépendante alors que les centres de décision se trouvent à l'ONU, l'OTAN, l'OMC et même à Washington et New-York dans les sièges des multinationales. Il serait temps d'arrêter de vivre sur des illusions et de réfléchir sur ce que l'on veut construire ou détruire. Y gagne t-on vraiment à noyer les identités nationales dans un grand magma ? Dans un cadre de mondialisation le cadre national n'est-il pas en fin de compte le mieux adapté ? Le référendum sur la constitution européenne ne sera sans doute comme toujours qu'une empoignade stérile pour un résultat déjà connu d'avance.
    Patrice Gros-Suaudeau

  • Quand l’Europe sauve ses banques, qui paye ? (O. Delamarche)

    Une enquête coup de poing sur les dessous des plans de sauvetage des banques européennes.

    50 milliards d’euros en Grèce, 70 milliards en Irlande, 40 milliards en Espagne : au sein de la zone euro, les États se sont vus contraint les uns après les autres – moyennant des sommes astronomiques – de venir en aide aux banques pour compenser les pertes subies suite à des prêts pourris.

    Une part importante des sommes débloquées finit dans les caisses des créanciers de ces banques sauvées. Quant aux financiers qui ont fait de mauvais investissements, ils se retrouvent protégés contre toute perte aux frais de la collectivité. Et ce contrairement aux règles de l’économie de marché. Pourquoi ? Mais qui sont les bénéficiaires de telles opérations, qui encaisse l’argent ?

    C’est en posant cette question très simple qu’Harald Schumann, essayiste en économie et brillant journaliste, sillonne l’Europe. Et obtient des réponses pour le moins sidérantes. Car ceux qui ont été “sauvés” ne se trouvent pas – comme on tend à vouloir nous le faire croire – dans les pays en détresse, mais surtout en Allemagne et en France.

    http://fortune.fdesouche.com/

  • Hyères : les pervers insultent la religion de leurs pères

    Nouveau scandale à Hyères, dans le Var : un flyer assez singulier a été diffusé pour annoncer une soirée organisée hier dans la discothèque Le Pink. La religion, l’image du crucifix en fond d’affiche et le nom des organisateurs qui empruntent des appellations cléricales, est associée à une soirée où sont mêlés sexe, perversion et pornographie. Instrumentaliser ainsi la religion pour faire une publicité aussi malsaine, tourner en dérision la religion en plein carême, et à deux jours de la renonciation du pape, voilà qui suscite bien légitimement l’indignation des catholiques.

    L’abbé Benoit Moradei, curé  d’Hyères, a réagi dans le journal Var matin, afin de faire entendre sa voix, entendant faire son « devoir de responsable de la communauté catholique d’Hyères« . Il résume lui-même la situation :  « Un crucifix en image de fond, les noms des organisateurs (Père Roman, DJ Père MattG et Père Djoche Lopez) annoncent une parodie – l’Eglise catholique est visée, ainsi que les prêtres. La veille du jour où Benoît XVI quitte sa charge. Pour faire le buzz, je pense. (…) Comme disait Jésus sur la Croix : “Ils ne savent pas ce qu’ils font”. Mais, il me fallait dire mon “coup de gueule” non violent devant un acte moins anodin qu’il n’y paraît. »

    La parodie est scandaleuse quand elle touche à la Foi, c’est à dire à ce qu’il y a de plus intime et de plus précieux dans la personne humaine. Ne pas respecter cette dimension intérieure et spirituelle, c’est nier l’homme ou bien le réduire à la matière. Une telle grossièreté est d’autant plus blessante qu’elle vise évidemment la religion de nos ancêtres, celle qui est intrinsèquement liée à l’essor de la civilisation occidentale qui nous a engendré et qui a fait de nous ce que nous sommes, nous constituant héritiers d’un immense patrimoine spirituel.

    Décidément, le carême sera là encore l’occasion d’un nouveau chemin de croix pour les catholiques. Mais ce qui est en jeu, ce ne sont pas simplement des susceptibilités -après tout, le catholique doit être prêt à mourir pour sa Foi-, mais l’honneur de l’Église et de Notre-Seigneur. Voilà ce qui motive notre indignation et justifie notre réaction.

    http://www.contre-info.com/

  • La Tyrannie Médiatique de Jean-Yves Le Gallou

    Note de lecture de Guillaume de tieulloy, résister à la tyrannie médiatique

    Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polemia, est sans doute l’un des meilleurs connaisseurs de la désinformation et du monopole du politiquement correct sur ce qui n’est plus le quatrième pouvoir, mais bel et bien le premier (auquel tous les autres doivent une allégeance servile). Cette situation est ce qu’il appelle, à juste titre, la « tyrannie médiatique ».

    Il vient d’en résumer les principaux ingrédients et symptômes dans une somme magistrale, qu’il faut absolument mettre entre toutes les mains.

    Il est probable que vous soyez comme moi, amis lecteurs, et vous ayez déjà lu la plupart des informations contenues dans ce livre. Mais je ne crois pas qu’il existe ailleurs une synthèse aussi complète.

    Or, ce sujet est, pour notre pays, un sujet de vie ou de mort. La question n’est pas seulement la surreprésentation de la gauche dans les rédactions. Le plus grave, c’est que les médias dictent la politique du pays et qu’ils n’ont que mépris pour la France et les Français.

    À mon sens, dans cette situation catastrophique des médias en France, trois ingrédients sont plus importants que les autres :

    • – le poids de la gauche parmi les journalistes (les sondages effectués dans les écoles de journalisme et les rédactions en 2012 le confirment encore) ;

    • – le poids de la publicité qui conduit la plupart des journalistes à censurer toute information supposée « identitaire » (c’est-à-dire supposée trop hostile à l’uniformisation mondialiste ou à l’immigration) ;

    • – et, enfin, l’ignorance arrogante des journalistes.

    Jean-Yves Le Gallou donne des exemples sidérants de ces problèmes. Je dois dire que, parmi tous les faits et citations qu’il donne, j’ai un « faible » pour cette déclaration d’une certaine Anne-Sophie Mercier, alors journaliste à Charlie hebdo  (vous savez, l’hebdomadaire dit « satirique », mais qui préfère réserver ses « satires » aux « franchouillards » comme vous et moi plutôt qu’aux puissants du jour !…) :«Je suis pour une société de tabous. Je ne suis pas pour une société de la parole libérée. Je ne suis pas pour qu’on donne la parole au peuple. » Et Le Gallou de commenter laconiquement : « Pour une journaliste travaillant dans un journal satirique (?), avouons que ça ne manque pas de sel… Quoi qu’il en soit, quel aveu ! Cela aurait pu lui valoir un “Prix nunuche”. Pas du tout: elle a été recrutée par Le Monde en novembre 2011 ! »

    A mon sens, le plus grave n’est pas la surabondance de nos adversaires dans les médias. Mais bel et bien la confusion entre information et opinion. En réalité, il n’existe pas d’information brute, ni au Monde, ni à Libération… ni aux 4 Vérités.

    Pour notre part, nous ne prétendons pas donner une information meilleure que celle du Monde. Mais nous prétendons être plus honnêtes que le Monde, car nous assumons pleinement ce que nous sommes, alors que le Monde prétend être « objectif ».

    Entendons-nous bien : je n’ai évidemment rien contre l’objectivité, si on entend par là le respect de la vérité. Mais je prétends qu’il est impossible que nos options idéologiques n’agissent pas dans le choix des thèmes que nous traitons. Et je prétends, par conséquent, que, si mon orientation à droite a des conséquences sur mes articles, il en va de même – bien qu’ils ne l’avouent pas – pour l’orientation à gauche des journalistes du Monde. Au demeurant, si j’en juge par la liste impressionnante de « bobards » recensés par Jean-Yves Le Gallou, l’objectivité dont se gargarise la grosse presse n’aboutit certainement pas au respect scrupuleux de la vérité !

    Mais il y a mieux dans le livre de Jean-Yves Le Gallou. Il n’y a pas seulement la dénonciation d’un état de fait pénible. On trouve aussi les pistes pour en sortir, les pistes de la « réinformation » (un terme que nous lui devons, je crois, et qui est désormais bien entré dans les mœurs).
    En particulier, Jean-Yves Le Gallou signale l’importance du développement d’Internet pour la diffusion d’une pensée non asservie au politiquement correct. C’est évidemment ce qui inquiète l’oligarchie et c’est pourquoi elle cherche, par tous les moyens, à censurer la toile. Et c’est aussi pourquoi, bien qu’il s’y trouve de nombreux sites orduriers, il faut absolument défendre la liberté sur Internet. C’est la seule brèche – mais elle est de taille – dans le monopole de l’anti-France !

    Guillaume de Thieulloy
    Les 4 Vérités Hebdo n° 881
    22/02/2013

    Jean-Yves Le Gallou, La tyrannie médiatique, VIA ROMANA, 2013, 380 pages

    Pour commander, voir à La Boutique

    Correspondance Polémia – 26/02/2013

  • La vraie neutralité du net, c’est la liberté d’expression

    Tribune libre de Laurent Chemla

    « À ce jour, Internet est le seul outil qui fasse de la liberté d’expression autre chose qu’une pétition de principe. Au lieu de chercher à l’encadrer, il faudrait enfin commencer à la protéger. » Un point de vue du blogueur Laurent Chemla opposé à toute réglementation liberticide et favorable à la protection judiciaire des libertés contre les censures abusives des fournisseurs d'accès (FAI).

    Nouvelle chronique « BBS, chroniques d’un voleur », de Laurent Chemla — fondateur de Gandi et auteur de Confessions d’un voleur.

    On dit souvent de la liberté d’expression qu’elle est la première des libertés fondamentales, parce que d’elle dépendent toutes les autres. Je laisse aux étudiants de terminale le soin d’expliquer pourquoi dans leurs dissertations, mais partons de ce postulat en considérant — avec Kant et Florent Pagny — que même la liberté de penser en découle (parce que les opinions se développent dans la réflexion commune et, donc, dans l’expression publique de tous).

    Réguler, c’est censurer

    Toute anecdotique qu’elle soit au fond, l’affaire du #hashtag (1) « unbonjuif » sur Twitter aura au moins eu le mérite de remettre sur la table cette question : doit-on (et, surtout, comment) interdire certains propos sur le Web ? Le CSA en rêve, les associations de lutte contre le racisme aussi, le Sénat vient d’annoncer l’installation d’un groupe de travail dont ce sera l’objectif et la porte-parole du gouvernement (et ministre du droit des femmes) souhaite y participer.

    On aura beau avoir répété (depuis près de 20 ans) qu’Internet n’est pas un espace à part du monde réel, que l’expression publique ne peut relever que du droit général – quel que soit le média qu’elle utilise –, et que le droit à la liberté d’expression des simples citoyens était très mal protégé dans le mal-surnommé « pays des droits de l’homme », il semble que n’importe quel prétexte soit bon pour revenir sur ce qui devrait être non seulement acquis, mais même politiquement tabou dans une démocratie qui se voudrait respectable : la possibilité pour tous d’accéder à la libre expression de ses opinions, sans considération de frontière, dans le « seul » respect des lois nationales qui gouvernent sa société.

    Alors, puisque ce qui devrait s’imposer à tous comme une évidence n’est perçu (par quelques-uns) que comme un simple point de droit, soumis à des régulations qui varient selon le sens du vent médiatique, répétons-le encore :

    La liberté d’expression est la première des libertés fondamentales. A ce jour (et comme le Conseil Constitutionnel l’a rappelé lors de l’adoption de la loi HADOPI), Internet est le seul outil qui fasse de ce droit autre chose qu’une pétition de principe. Vouloir « encadrer l’expression publique sur Internet » (ou « réguler », ou « autoréguler », ou – pour les moins xylolaliques – « censurer »), ce n’est pas contrôler l’utilisation d’un nouveau média, c’est toucher – sans oser le dire – au principal fondement de ce qui fait la différence entre une démocratie et une dictature. La liberté d’expression du citoyen, à ce jour, n’existe QUE sur Internet.

    Réguler Internet, c’est réguler la liberté d’expression AU-DELÀ de ce que la loi commune prévoit pour tous. Si un responsable politique dit ne vouloir toucher à la liberté d’expression « que sur Internet », comprenez bien qu’en réalité c’est au principe entier qu’il s’en prend.

    Il faut le dire, le redire, le re-redire encore et encore, et s’il le faut, je le ferai.

    La seule régulation citoyenne, c’est la loi générale

    « Mais enfin », diront certains, « certains propos sont insupportables ». Justement : c’est parce qu’ils le sont que vous savez que vous vivez dans un pays démocratique. Sauf à vouloir ne voir que ce qui vous ressemble (ou plutôt qui ressemble à ce que le marketing décide), que ce qui va dans votre sens (ou plutôt dans le sens des meilleurs démagogues), sauf à croire que tout le monde doit penser pareil, vivre pareil, manger pareil et regarder la même chose, alors vous devez, nous devons tous accepter de lire des choses qui nous semblent insupportables, sans quoi le risque est de voir un jour vos propres opinions devenir insupportables pour le « régulateur » et disparaître de l’espace public (et je ne fais que paraphraser, ici, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme dans sa décision du 7 décembre 1976] (points 46 et suivants)).

    On peut (et c’est le cas) demander à certaines professions, certains représentants, de s’en tenir à une parole plus contrôlée. Les médecins ne doivent pas rendre publics nos dossiers médicaux. Les avocats ont un devoir de confidentialité qui couvre leurs échanges privés avec leurs clients. Les journalistes doivent protéger leurs sources et ne pas diffuser de fausses nouvelles, et les représentants politiques ne doivent pas mentir à leurs électeurs. Euh, ou pas.

    Ce sont des professions réglementées. Des lois spécifiques s’appliquent à des cas spécifiques et c’est très bien comme ça.

    Le simple citoyen, qui n’exerce aucune de ces professions (ou qui s’exprime en dehors du cadre professionnel) ne relève PAS d’un cas spécifique. Il ne relève d’aucune autre « déontologie » que du strict cadre du Droit général. Est-ce si difficile à comprendre ?

    Le garant de nos droits, c’est le juge, pas l’intermédiaire technique

    « Ceux qui s’expriment sur Internet sont impunis quand ils ne respectent pas la loi : c’est donc une zone de non-droit », diront certains. Je demande à voir. Bien sûr, ce n’est pas en attaquant Twitter en référé qu’on ne risque d’obtenir la condamnation de ceux qui se croient à l’abri des lois quand ils utilisent un pseudo. Mais si on avait, plutôt, porté plainte contre X au pénal et laissé la police enquêter, croyez-vous vraiment que – même sans l’aide active de Twitter (incroyable : la police sait très bien enquêter même quand un délinquant n’a pas laissé sa carte de visite sur le lieu du crime, si si !) – on n’aurait pas arrêté et condamné au moins quelques-uns des auteurs des tweets les plus abjects ? Bien sûr que si. Mais ça n’aurait pas fait l’affaire de ceux qui préfèrent donner du corps à cette théorie fumeuse de la « zone de non-droit » pour obtenir d’avantage de contrôle et contraindre le reste de la population à penser comme eux.

    « Mais », diront sans doute les mêmes, « parce qu’Internet permet de s’adresser au monde entier, c’est un cas à part où la loi peut être différente ». N’est-ce pas ?

    Ceux qui diront ça auront compris les principes fondamentaux de travers : la liberté d’expression s’entend « sans considération de frontière », et ce n’est pas parce que l’usage de ce droit était limité à quelques privilégiés avant l’arrivée d’Internet que son exercice, par tout un chacun, devrait être d’avantage réglementé sur l’unique média qui le permette. En réalité, je dirais même : au contraire.

    La France est une zone de non-droit à la liberté d’expression

    Il se trouve (et les nombreux juristes qui m’ont un jour ou l’autre affirmé le contraire ont dû revoir leur copie) que – sans doute justement parce qu’il n’était que théorique jusqu’à ces dernières années – le droit à la liberté d’expression est peu, ou mal protégé en France. C’est même probablement le droit fondamental qui est le moins protégé par la loi. Il est bien sûr protégé par la Constitution mais, dans la pratique, aucune loi ne punit ceux qui y portent atteinte.

    Vous avez posté une image un peu dénudée (ou qui peut s’interpréter comme telle) sur votre espace privé hébergé par Facebook et, hop, votre compte est fermé ? Essayez-donc d’aller porter plainte pour atteinte à votre liberté d’expression auprès de votre commissariat, qu’on rigole. L’article 431-1 du Code Pénal (l’unique article de loi qui traite de liberté d’expression contre l’intégralité du Livre III pour le droit de propriété) traite de la liberté syndicale. Et il se trouve au livre IV (« des crimes et délits contre la Nation, l’État et la paix publique ») ce qui implique que, en droit français, l’atteinte à la liberté d’expression n’est pas considéré comme une atteinte à la personne humaine. Rien que ça.

    Malgré le nombre d’exemples que chacun peut avoir en tête des censures diverses et variées que subissent sur Internet ceux qui osent sortir un peu du rang, il n’existe à ma connaissance (ainsi qu’à celle des juristes que j’ai interrogé) AUCUN cas où un tribunal aurait appliqué ce texte à un hébergeur peu soucieux des droits fondamentaux.

    Aucun.
    Jamais.
    Nada.
    Rien.

    Toute une éducation à refaire

    Même si je n’apprécie guère les parallèles, toujours peu réalistes, imaginez que le propriétaire de votre appartement vous interdise par contrat d’y conserver tel ou tel objet qui l’indispose, et vous vire s’il s’aperçoit que vous passez outre. La loi vous en protègerait. Mais sur Internet ? Rien de tel. Pour quel motif ?

    On a peu l’habitude de ce droit, parce qu’on l’a historiquement peu utilisé. Même ses premiers promoteurs, les rédacteurs des articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, se sont très vite retrouvés enfermés ou tués sous la Révolution, (2) c’est dire : les pouvoirs en place n’apprécient guère la critique publique. Dès l’enfance, on nous apprend à ne prendre la parole en public qu’après une autorisation préalable du pouvoir en place (les adultes à table, les enseignants plus tard). C’est ancré en nous très profondément, et parce que nous n’avons pas vécu depuis longtemps dans une société trop liberticide, nous n’avons pas l’habitude de défendre un droit qui ne nous est pas encore devenu naturel.

    La vraie neutralité du Net, c’est la protection de la liberté d’expression

    On a beaucoup parlé, ces derniers temps, de la notion de « neutralité du Net ». On se demande s’il faut une loi pour garantir que tel ou tel contenu ne sera pas privilégié par un intermédiaire par rapport à tel autre, qui le dérange pour des raisons financières, ou morales, ou autre. Je répondrai à ça qu’une loi qui protègerait VRAIMENT le droit à la liberté d’expression (et quel politique oserait s’y opposer ?) y suffirait très probablement, et voici comment :

    Les lois sont appliquées par des tribunaux. Les juges sont des humains qui décident, en fonction des cas, de relaxer, condamner, libérer ou enfermer. Une loi s’apprécie en fonction des humains qui la transgressent, de ceux qui les jugent et du cadre général de la société qui les entoure. Une jurisprudence en émerge, tôt ou tard, qui permet en testant ses limites de mieux définir les contours de la loi, de mieux la comprendre et de mieux la respecter.

    La loi que j’appelle de mes vœux et qui condamnerait — lourdement — l’intermédiaire technique qui censurerait en toute connaissance de cause un contenu légal subirait rapidement le même sort : après les premiers jugements, chacun saurait à quoi s’en tenir. Aucun intermédiaire ne se risquerait à être condamné pour censure – pas s’il tient à conserver ses clients. On peut être certain que, dès lors, la seule censure possible ne concernerait que des contenus si absolument contraires à la loi que nul n’oserait même s’en plaindre devant la justice. En aucun cas une simple parodie, une simple caricature ou un texte qui pourrait peut-être être diffamatoire ne serait plus jamais coupé sans décision judiciaire préalable, parce que le risque commercial serait trop élevé.

    De même, et toujours par le jeu de la jurisprudence sans doute, aucun opérateur n’osera plus faire en sorte qu’un contenu soit si volontairement ralenti qu’il en deviendrait inaccessible, parce qu’alors son auteur pourrait se retourner devant la justice pour faire appliquer la loi. Là encore le risque commercial serait trop grand pour une entreprise dont la clientèle risquerait d’aller voir ailleurs si le monde est moins censuré.

    Bien sûr, rares seraient ceux qui oseraient protester contre un opérateur qui filtrerait Bittorrent au motif que leur œuvre (trop volumineuse pour être distribuée autrement) deviendrait inaccessible. Mais d’un autre côté, quel opérateur oserait prendre le risque pénal et commercial d’un tel procès ? Voilà de quoi rétablir l’équilibre des forces entre le simple utilisateur et l’intermédiaire technique devenu trop puissant pour craindre autre chose qu’un tel risque. Voilà de quoi atteindre à une certaine « neutralité » des rapports entre le citoyen et son fournisseur unique de liberté d’expression.

    Ainsi, la neutralité du Net deviendrait une réalité sans que jamais la loi n’en traite spécifiquement (et quoi, demain, on fera aussi une loi pour garantir la neutralité du média suivant, puis encore du suivant, et ainsi de suite, plutôt que de garantir un principe fondamental ?).

    Voilà ce à quoi le législateur devrait s’astreindre, plutôt que de remuer les haines pour ensuite mieux nous contrôler, pour ensuite affirmer vouloir revenir « d’une main tremblante mais ferme » sur une loi qui ne devrait concerner que la presse mais qui parce qu’aucun cadre général n’existe s’applique désormais à chacun de nous.

    Nous vous avons donné la liberté, sachez la conserver (3)

    Et c’est donc à chacun de nous de défendre notre droit, non seulement en refusant qu’Internet soit encadré différemment du cadre général mais aussi en demandant que, en tant qu’unique instrument de la parole publique pour tous, il soit au contraire bien mieux protégé.

    Laurent Chemla
    Ecrans.fr
    22/02/2013

    Notes 1 et 2 de la rédaction
    Note 3 de l’auteur :

    (1) (Néologisme) (Internet) Mot-clef utilisé dans les messages sur le site de microblogage Twitter ; le mot-clef est préfixé par un croisillon (signe #, appelé hash en anglais).
    (2) De même, aux articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 :
    « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »
    — Article 10, proposé par Louis de Castellane (1758-1837, emprisonné sous la Terreur) et Jean-Baptiste Gobel (1727 – mort guillotiné le 13 avril 1794)
    « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
    — Article 11, proposé par le duc Louis-Alexandre de La Rochefoucauld d’Enville (1743 – tué le 4 septembre 1792 par des volontaires qui faisaient la chasse aux aristocrates)
    (http://fr.wikipedia.org/wiki/Libert%C3%A9_d%27expression)
    (3) Napoléon Bonaparte, proclamation au peuple cisalpin, Quartier général de Milan, 11 novembre 1797.

    Correspondance Polémia – 15/02/2013