Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

culture et histoire - Page 1676

  • Renaud Camus : “Parlons d’un art de mettre les pieds dans le plat” (première partie)

    PARIS (NOVOpress) – Auteur prolifique aux affinités sélectives, diariste infatigable depuis les années 1970, Renaud Camus a basculé il y a quelques années du monde reconnu de la « culture » à l’enfer des bien-pensants où doit être plongé quiconque blasphème contre la religion officielle des droits-de-l’homme, du mélangisme et du remplacisme. Et en ces différentes matières, Renaud Camus a beaucoup pêché. Convaincus, pour notre part, qu’il lui sera beaucoup pardonné, nous sommes allés à sa rencontre.

    Vos premiers lecteurs sont, pour certains, désarçonnés par vos derniers ouvrages (essais comme journaux) et les plus récents s’étonnent de découvrir Tricks parmi la liste de vos œuvres. Quel regard portez-vous sur votre désormais longue production littéraire ? Quels fils directeurs y apercevez-vous ?
    Oh, le problème, si c’en est un, a toujours existé. Il ne se pose pas seulement dans le temps, entre telle ou telle période de mes petits travaux, mais aussi, et plutôt, à l’intérieur de chaque période, entre les styles, entre les genres, entre les types d’écriture. Pour dire les choses différemment le phénomène n’est pas seulement diachronique mais aussi synchronique. Comme Pessoa je ne souhaitais pas être un écrivain mais aurais voulu en être dix, vingt, cent, une littérature à moi tout seul (la littérature d’un petit pays, tout de même…). Mon meilleur ami prétend néanmoins, à la lecture récente du Changement de peuple, que tout était déjà dans Passage, mon premier roman, il y a quarante ans : un livre de littérature “expérimentale”, comme on disait alors, constitué pour une grande part de citations, de phrases empruntées ici ou là. J’ai été ravi de cette remarque, bien entendu, mais elle m’a tout de même beaucoup étonné. À un mouvement fortement centrifuge, une production totalement éclatée, s’opposerait donc la résistance archaïque, au centre de cette nébuleuse, d’un auteur constitué, d’une personne véritable, de quelques obsessions majeures, qui sait. Mais les lecteurs de Passage et des premières Églogues ont été très étonnés et désarçonnés par Tricks, ceux de Tricks par Manières du temps ou par Éloge moral du paraître, ceux de Travers par Roman Roi, ceux de Buena Vista Park par La Dictature de la petite bourgeoisie, et ainsi de suite. Rien qu’à l’intérieur du journal les genres et les thèmes d’intérêt les plus éloignés coexistent, parfois sur une même page. J’ai dans mon lectorat de charmantes vieilles dames aux cheveux bleus qui adorent mes jolies descriptions de paysage et de châteaux et que certaines scènes de sexe, jadis, menaient au bord de l’apoplexie et de la fureur. Des jeunes gens intellectuels, passionnés de littérature à contrainte et de recherche formelle, qui ne jurent que par L’Amour l’Automne ou par L’Inauguration de la salle des Vents, ne peuvent pas croire que j’aie pu écrire des romans aussi traditionnels de facture que Roman Roi, déjà nommé, L’Épuisant désir de ces choses ou même Loin. Des puristes de la langue, épris de Syntaxe ou de mon Répertoire des délicatesses du français contemporain, n’entendent mot à Vaisseaux brûlés ou à mes divers hypertextes. Etc. Il me semble — mais est-ce bien à moi de le dire ? — que je me suis toujours intéressé à ce dont une société ne voulait absolument pas que ce fût dit, à ce que j’ai appelé pas trop euphoniquement le reste des opérations comptables du réel. En ce sens-là il n’y a rien d’étonnant que l’auteur de Tricks soit aussi celui du Grand Remplacement. Parlons d’un art de mettre les pieds dans le plat, si vous voulez.

    Lorsque l’on parcourt vos journaux — que vous tenez avec une courageuse régularité depuis 1976 — nous trouvons plus facilement vos admirations musicales que littéraires, que lit Renaud Camus ?
    Ah, vous mettez le doigt sur un point sensible. Je me demande si je n’écris pas plus que je ne lis — pas en temps, ça, bien sûr ; en quantité de texte, en “nombre de signes”. C’est effrayant. Pour mes divers travaux simultanés, et par exemple en ce moment pour les Demeures de l’esprit, je suis obligé de lire un tas de choses diverses et je n’en viens pas à bout. Ou bien je lis pour ce que j’écris, ou bien je lis ce que l’on m’envoie, des amis, des inconnus qui aimeraient que je les aide auprès d’éditeurs (!!!!) ; et presque jamais, jamais, sauf dans une chambre d’hôpital, je ne suis en mesure de me dire : tiens je vais lire ceci ou cela parce que j’en ai envie. C’est terrible. En revanche je feuillette, je feuillette énormément, souvent des livres déjà lus, de la poésie, par exemple : c’est au fond mon rapport le plus ordinaire aux livres, aux livres des autres. Je viens de feuilleter pour la millième fois, avec beaucoup d’émotion, Le Sentiment géographique, le plus merveilleux des livres de Michel Chaillou, qui vient de mourir, dans un silence total du complexe médiatico-policier, et pourtant il n’avait pas péché contre le pouvoir remplaciste, lui. Pour les Vaisseaux brûlés, mon grand hypertexte, je feuillette comme un possédé, à la recherche de tel ou tel passage à citer, ou bien auquel faire presque imperceptiblement allusion. On passe parfois une après-midi à rechercher une phrase pour y faire une allusion en deux mots que personne ne verra, sauf peut-être, par miracle, un très improbable universitaire coréen, ou néo-zélandais, ou frankistanais spécialiste de l’enfer des bibliothèques, dans cent ans…
    Un autre rapport très agréable à la lecture, que j’ai découvert sur le tard, c’est la peinture. Depuis que je me suis mis à peindre, j’ai la chance qu’on me fasse la lecture, quand je suis dans l’atelier. En ce moment : Naissance de la noblesse, de Karl Ferdinand Werner, interminable et très confus, mais passionnant.

    Pouvez-vous revenir, si vous le voulez bien, sur l’importance qu’a la musique pour vous ?
    Il y seulement que j’aime beaucoup entendre de la musique. Quand je n’ai personne pour me faire la lecture et que je n’écris pas, je mets un disque. Je ne suis pas musicien, je ne joue d’aucun instrument, je chante quand je suis seul, ou dans l’intimité. Je ne connais rien au solfège ou à l’harmonie. En revanche je m’intéresse beaucoup au répertoire, à l’histoire de la musique, aux œuvres, aux compositeurs des pays que je visite, spécialement à la musique de chambre, au quatuor à cordes.

    Vous partagez avec Richard Millet une grande déchirure devant ce que vous nommez la “banlocalisation”, la disparition de nos paysages et de nos villages traditionnels, le chaos architectural…
    Oui, je ne peux pas me défaire de l’idée un peu folle qu’il y a un lien entre le langage et le paysage, entre la langue et le territoire. L’amour de la langue et l’amour du paysage sont deux amours forcément malheureuses, car leurs objets respectifs sont bafoués, piétinés, mis à sac, par la Grande Déculturation, la Décivilisation, l’effondrement syntaxique, la surpopulation, l’artificialisation, l’industrialisation de l’agriculture, le devenir banlieue du monde. La science la plus avancée a confirmé une intuition que j’avais depuis toujours, à savoir que les gens qui savent lire voient plus, et mieux, plus en détail, que ceux qui ne savent pas. L’œil ne remarque que ce que le cerveau peut nommer. A fortiori, la syntaxe, ce n’est pas seulement une façon d’ordonnancer la phrase, c’est une manière de percevoir la réalité et d’abord de la voir, de savoir qu’on la voit, et comment. C’est une façon de gérer le territoire et d’assurer si possible avec style, d’une façon qui ne soit pas purement utilitaire, qui ne se présente pas uniquement en termes de commodité et d’exploitation, la non-coïncidence entre le site et sa signification, l’écart, l’absence, le vide. Les problèmes que posent la pression démographique continuelle et l’exigence obsessionnelle de retombées économiques sans cesse croissantes sont aggravés par l’absence totale de culture du paysage, en France, contrairement à ce qui est le cas en Angleterre ou au Japon, par exemple. Le Français, contrairement à ce qu’il affirme par convention pure, est très peu sensible à l’espace sensible (qui sans cela n’enlaidirait pas si vite). Toujours il lui superpose l’idée, le concept, le discours, en général purement utilitaire et économique, de nos jours. Si on lui a dit une fois qu’un paysage était beau, il continue de le croire, sans vérifier, même quand le paysage en question est totalement ravagé et qu’il le traverse tous les jours. Ainsi il continue de trouver merveilleux la Provence rhodanienne, cet énorme lotissement de siporex. La dévastation des sites, la montée inexorable de la laideur, sont beaucoup plus marquées dans notre pays qu’en Grande-Bretagne, ou même en Allemagne, dans les pays du Nord. On ne peut pas incriminer le catholicisme parce que l’Autriche ou la Bavière, par exemple, également catholiques, sont beaucoup moins abîmées que l’Italie, l’Espagne, le Portugal ou la France. Il semble que les civilisations nordiques, plus civiques, dans l’ensemble, mieux prêtes au pacte d’in-nocence, soient plus sensibles au rapport de l’homme avec son environnement urbanistique ou “naturel”.

    (A suivre…)

    http://fr.novopress.info/149517/renaud-camus-parlons-dun-art-mettre-les-pieds-plat/#more-149517

  • Entretien avec Maurice Bonnet, auteur de L’empire du mensonge (éditions L’Æncre)

    (Propos recueillis par Fabrice Dutilleul)

    Pourquoi un titre si violent ?
    Je ne suis pas le seul à m’être avisé que nous sommes abreuvés de mensonges, mais je suis, peut-être, le premier à envisager ce problème dans son origine et sa globalité. À le présenter sous l’aspect totalitaire qui est aujourd’hui le sien. Je parle bien entendu du mensonge répandu dans l’espace public sous l’angle politique et sociétal. La plupart des mensonges, quelle que soit la forme qu’ils prennent (arguments biaisés, témoignages à sens unique, fausses représentation, etc.) ne sont pas perçus comme des mensonges par les gens et participent du Mensonge global qui constitue notre atmosphère et forme nos mentalités. C’est de cela qu’il est question, très au-delà de cas particuliers, même graves, qui peuvent être ou sont déjà dénoncés ici et là.
    Il y aurait un Mensonge global surplombant tous les mensonges particuliers ?
    D’une certaine façon, oui !  Je soutiens et je montre qu’à notre insu le mensonge s’insinue partout aujourd’hui grâce à un système médiatique et des méthodes qui ne cessent de se perfectionner et que le climat dans lequel nous vivons est tout entier mensonger, de plus en plus mensonger, l’empire du mensonge étant conquérant.
    C’est un complot ?
    Non, un phénomène aux origines déjà lointaines, accéléré par le progrès foudroyant des techniques, la monopolisation des médiats,  le grand nombre et l’immensité des conflits d’intérêts. Certains débats sont devenus impossibles, sauf en cercle restreint, et encore convient-il d’être prudent. Vivant sous le règne d’une pensée monochrome et obligatoire, le délit d’opinion étant inscrit dans la loi, la parole n’est plus libre. Et le grand Mensonge, c’est justement de prétendre le contraire avec un certain succès. Ce qui m’anime,  c’est naturellement le désir de réveiller le plus possible de nos compatriotes, et ce qui me désole, c’est de constater combien peu réalisent à quel point ils sont infantilisés, inconscients d’évoluer dans une ambiance fabriquée et donc mensongère. Toute l’information qui déferle ruisselle de « bonne foi ». J’explique les méthodes du mensonge et leurs implications. Et le rôle considérable des « idiots utiles ». Il est difficile de combattre à la fois l’indifférence, la paresse, la lâcheté, la sottise et l’incrédulité.
    Vous vous attaquez aussi à la démocratie…
    C’est un plaisir que je ne me suis pas refusé. Il faut dire qu’elle est si contente d’elle-même, notre démocratie,  si donneuse de leçons, dans le temps même où, lamentable, elle se montre incapable de rien résoudre, se contentant d’expédients à la petite semaine. Dans le conte, le Roi est nu. Notre démocratie, elle, est tout simplement une imposture. C’est la seule partie de mon essai où je reconnais avoir cédé à la veine polémique, mais mon opinion est étayée par quelques ouvrages que je mentionne à la fin de mon livre dans mes suggestions bibliographiques.
    Et puis, aussi, vous semblez en vouloir beaucoup au féminisme…
    Je connais beaucoup de femmes intelligentes et merveilleuses, et je crois qu’aucune ne me donnerait tort.  J’appelle un chat un chat et l’état où s’enfonce notre société un désastre, cela par le jeu du mensonge égalitaire, du venin de la mixité, du stupide principe de parité, et autres sottises du même tonneau. La situation est gravissime. L’envahissement de toutes les fonctions par les femmes, jusqu’à la police et aux armées, devrait nous alerter. La folie nous gagne. Ce monde, ces gens, qui ne cessent de parler de leurs « valeurs », sans jamais préciser en quoi elles consistent vraiment, ont perdu la plus précieuse des valeurs, celle du simple bon sens. Cet essai est très fourni en références et arguments…
    L’empire du mensonge, Maurice Bonnet, Éditions de L’Æncre, collection « À nouveau siècle, nouveaux enjeux ! », dirigée par Philippe Randa, 190 pages, 23 euros.
    francephi.com

  • L'étendard de la délivrance

    Il est des époques où tout le monde semble avoir perdu la tête. C’est évidemment le cas de celle que nous vivons, mais le XIVe siècle et le début du XVe n’étaient guère plus reluisants. Au moment où Dieu envoya à la France le petite bergère de Domrémy, tous les désordres politiques, sociaux, intellectuels, religieux qui devaient s’ériger après 1789 en faux ordre établi et dont nous vivons aujourd’hui les ultimes conséquences empoisonnaient depuis déjà plus d’un siècle la vie française.
    Ferveur populaire
    La maladie du roi Charles VI (1368-1422), qui à partir de 1392, en dépit de périodes de rémission, s’enfonça de plus en plus dans l’hébétude, eut pour effet de rendre la situation “républicaine”. Les oncles du roi (Louis duc d’Anjou, roi de Naples, Jean duc de Berry, Philippe le Hardi duc de Bourgogne) ne surent qu’attiser les querelles partisanes, sur fond de manipulation démagogique de la population parisienne. On vit Caboche et la corporation des bouchers organiser des “journées” préfigurant la Terreur de 1793 !
    La guerre civile se révéla dans toute son horreur quand le fils de Philippe le Hardi, Jean Sans Peur, nouveau duc de Bourgogne, assassina Louis duc d’Orléans, frère du roi. Après quoi les fidèles du défunt se groupèrent autour du comte d’Armagnac, beau-père de Charles, nouveau duc d’Orléans, contre le clan bourguignon. Situation d’autant plus suicidaire que l’on était en pleine guerre avec l’Angleterre ! Le mariage en 1396 de Richard II, roi d’Angleterre, avec la petite Isabelle, fille de Charles VI et d’Isabeau de Bavière, avait pourtant laissé espérer la paix. Mais Richard II fut renversé par son cousin Henri de Lancastre qui devint Henri IV et dont le fils Henri V, ayant épousé Catherine, une autre fille de Charles VI et d’Isabeau, ne songeait qu’à s’emparer de la France. Dès lors les désastres se succédèrent, comme celui d’Azincourt (25 octobre 1415) où fut fauchée la meilleure noblesse française.
    Entre “Armagnacs” résistants et “Bourguignons” vendus aux Anglais, la lutte ne fit que s’envenimer jusqu’au jour où le jeune dauphin Charles fit assassiner Jean Sans Peur. Faute politique qui eut pour effet de jeter la louvoyante reine Isabeau dans le camp du fils du défunt, qui était aussi un de ses gendres, Philippe le Bon, nouveau duc de Bourgogne. C’est alors que les négociations avec Henri V débouchèrent le 21 mai 1420 sur l’extrême humiliation du Traité de Troyes faisant du roi anglais l’héritier du roi de France...
    Le bon peuple de Paris, doué d’un plus grand bon sens que les “intellectuels”, n’en continua pas moins d’acclamer le pauvre Charles VI jusqu’à sa mort en 1422. La ferveur populaire était en sommeil, elle n’était pas morte ! Cette même année 1422 mourut Henri V, laissant les couronnes d’Angleterre et - prétendument - de France à un enfant d’un an, Henri VI. Le vrai dauphin, de jure Charles VII, retiré à Bourges, se croyait abandonné de tous, ne sachant pas qu’une petite bergère de dix ans priait tous les jours pour lui et son royaume. Bientôt les voix de l’archange saint Michel et des saintes martyres Marguerite et Catherine allaient dire à cette jeune Française et fière de l’être qu’avec l’aide de Dieu, il était possible de le rester...
    “Échec à l’“européisme”
    Le drame de la France d’alors ne peut être considéré indépendamment de celui que vivait toute la chrétienté. La foi avait fléchi et beaucoup cherchaient à chasser le surnaturel de la cité politique. Les philosophes à la mode séparaient les fins spirituelles des individus des fins temporelles des États - déjà le laïcisme ! Pendant tout le XIVe siècle de grands débats avaient secoué, affaibli et divisé l’Église où certains réclamaient la supériorité des conciles sur la papauté et où l’on avait vu deux papes régner en même temps.
    Le laisser-aller spirituel a toujours des conséquences temporelles : la perversion des hommes de Dieu (Cauchon enseignait à la Sorbonne) creusait le lit des idéologues, lesquels n’avaient de cesse de prêcher la laïcisation des rapports sociaux pour le plus grand profit des puissances d’argent toujours hostiles aux contraintes. Des théoriciens rêvaient d’une organisation supra-nationale sans Dieu, essentiellement fondée sur des intérêts mercantiles.
    Ainsi s’éclairent les ambitions du clan bourguignon : il était le parti européiste d’alors ! Depuis que Philippe le Hardi (frère de Charles V) avait épousé Marguerite de Flandre, de riche puissante famille, son clan se proposa de reconstituer sur les ruines d’une partie de la France un royaume lotharingien (le vieux rêve anti-capétien !) qui serait comme l’épine dorsale d’un nouvel ordre européen. Le traité de Troyes fut l’expression de ce “libéralisme” effréné. Relisons Pierre Virion : « Ainsi avec l’Angleterre agrandie des trois quarts de la France et poussant son trafic jusqu’en Orient, avec les puissances commerciales d’Allemagne, une sorte de condominium, de marché commun dirions nous, est en vue dont le futur royaume de Philippe de Bourgogne serait le centre ». Toutes les démesures sont permises dès lors que s’estompe l’unité organique des sociétés historiques.
    Inutile d’insister sur les ressemblances avec notre début de XXIe siècle... On a seulement inventé aujourd’hui l’erzatz de religion qui est censé souder le monde maëstritchien sans foi, sans nations, sans racines : les Droits de l’Homme ! En leur nom on culpabilise, on diabolise, on pousse à la repentance tous les récalcitrants qui n’entendent pas être réduits à de simples consommateurs...
    La jeunesse de la France
    La fête de sainte Jeanne d’Arc - la fête du printemps de la France - vient dans quelques jours nous dire qu’on peut en sortir.
    Avec la gaieté de ses dix-sept ans, une foi chevillée au corps, beaucoup d’humilité et une espérance fondée en Dieu plus que dans les hommes, elle n’est entrée dans aucun parti, dans aucune parlote intellectuelle, elle n’a en rien “dialogué” avec son siècle, elle a ignoré les légalités établies, dont le traité signé sous la contrainte bien-pensante du moment. Ainsi est-elle allée droit au but. Joignant un sens aigu des nécessités temporelles à une soumission totale à l’ordre surnaturel, elle combattit, bien sûr, les Anglais - mais sans le moindre esprit de haine -, et surtout, osant dès le 8 mai délivrer Orléans, la dernière poche de résistance à la démission nationale, elle galvanisa les ardeurs des Français trop longtemps trompés et ouvrit la route de Reims afin de rendre possible le rétablissement de la légitimité en confirmant le 17 juillet 1429 le pacte de Clovis avec le Ciel.
    Politique d’abord ! Il fallait d’abord que Charles VII fût sacré (« C’est vous et non un autre ! ») pour qu’il recouvrât toute son autorité face au roi anglais, aux puissances mercantiles et aux clercs dévoyés. Alors la France allait pouvoir redevenir elle-même, chasser les utopies, les démesures et l’esprit partisan, reprendre conscience de son destin national incarné d’âge en âge par la lignée capétienne, renouer avec les sources de l’ordre naturel et surnaturel. Jeanne, au prix du sacrifice de sa vie (les Anglais et leurs “collaborateurs” la brûlèrent à Rouen le 30 mai 1431), orientait l’Europe vers un ordre international fondé sur la justice et la complémentarité entre les nations dans un bien commun universel, de nature à empêcher aussi bien l’érection de la nation en absolu que l’abandon à l’idéologie cosmopolite.
    Aujourd’hui comme sous Charles VI, la ferveur française est en sommeil ; nous savons qu’elle n’est pas morte... Disons-nous bien qu’Orléans, aujourd’hui c’est nous ! Que de notre audace à vouloir rester français dépend le sort de la France ! Que la jeunesse de la France face à des européistes ramollis, c’est nous ! Que la jeunesse du monde face au désenchantement mondialiste, c’est nous ! Nous, à condition qu’à l’exemple de Jeanne, nous sachions qu’un tel combat mène plus sûrement au sacrifice qu’à la gloire, - mais c’est le prix de la liberté de la patrie !
    Michel Fromentoux L’Action Française 2000 du 19 avril au 2 mai 2007

  • Leon XIII : à la racine des attaques contre la famille, le divorce

    Hilary White a publié jeudi dernier sur LifeSite un article remarquablesur les causes de la dissolution de la famille aujourd’hui. Je vous en propose la traduction intégrale

    De quand date le début de la révolution sexuelle ? Voilà une question à laquelle on aurait tendance à vouloir répondre sans réfléchir. La plupart évoqueraient le début ou le milieu des années 1960. La publication de ce bouquin par Germaine Greer, ou bien l’invention et la commercialisation de la pilule, c’est ça ?
    Mais si on leur donnait le temps d’y penser un peu, la plupart rectifieraient sans doute leur réponse en soulignant que les racines de la révolution sexuelle remontent sans doute à plus loin. Peut-être aux temps où Germaine Greer et d’autres féministes académiques développaient leurs idées à l’université, et où le Dr Pincus travaillait sur son mémoire de sciences. Tout le monde où presque, cependant, s’accorderait pour dire qu’au moment où Paul VI a publié sa célèbre encyclique Humanae Vitae sur le contrôle artificiel des naissances en 1968, personne n’avait levé ce lièvre depuis bien longtemps et on avait même oublié qu’il y avait un problème.
    Mais comment les vannes se sont-elles ouvertes au départ ? Comment les mœurs sexuelles de tout une civilisation ont-elles pu aussi radicalement modifiées en l’espace d’une seule génération ? Y a-t-il eu un « proto-péché » qui a tout déclenché ? Qu’est-ce qui a permis à ces choses de s’installer après tout ces siècles où l’ensemble de la chrétienté, depuis la chute de l’Empire romain, a établi sa vie quotidienne et les fondements de sa politique sur le socle du mariage, de la procréation et de l’éducation des enfants ?
    Même un bref retour sur l’histoire montre que la frénésie de désordres sexuels tellement caractéristiques de notre temps n’a pas commencé au XXe siècle, loin s’en faut. Les premiers pas légaux à entamer la destruction que nous constatons aujourd’hui consistent en l’assouplissement des lois sur le divorce au XIXe siècle. Sans le bastion légal du mariage indissoluble, les arcboutants qui tiennent tout en place en ce qui concerne la famille ont été détériorés un à un, avant d’être totalement mis de côté. Et l’Eglise avait mis en garde contre cela depuis un bon moment.
    Le pape Léon XIII, l’une des hautes figures de l’histoire catholique, a publié l’encyclique Arcanum divinae sapientia (« Le mystérieux dessein de la sagesse divine ») sur le mariage en 1880, la quatrième d’une série impressionnante qui allait atteindre un total de 85. Les papes ne choisissent pas les thèmes de leurs encycliques au hasard, et il apparaît clairement, du seul fait de sa parution au début du pontificat, que Léon XIII était gravement inquiet à propos de l’état du mariage, faisant le lien entre ses qualités nourricières et protectrices avec la dignité inhérente aux femmes.
    Le paragraphe 29 peut peut-être nous donner une indication sur l’origine de la catastrophe sociale que nous vivons aujourd’hui. Léon XIII a clairement assimilé la protection de la famille avec celle des femmes comme celle des enfants – et aussi celle de l’Etat. Il écrit : « Il est à peine besoin de dire tout ce que le divorce renferme de conséquences funestes. »
    La suite du paragraphe m’a immédiatement fait penser aux mises en gardes qu’allait faire près de 90 ans plus tard Paul VI à propos de la contraception artificielle. Léon XIII affirme, sur le divorce : 
    « Il rend les contrats de mariage révocables ; il amoindrit l’affection mutuelle ; il fournit de dangereux stimulants à l’infidélité ; il compromet la conservation et l’éducation des enfants ; il offre une occasion de dissolution à la société familiale ; il sème des germes de discorde entre les familles ; il dégrade et ravale la dignité de la femme, qui court le danger d’être abandonnée après avoir servi aux passions de l’homme.
    « Or il n’y a rien de plus puissant pour détruire les familles et briser la force des Etats que la corruption des mœurs. Il n’y a donc rien de plus contraire à la prospérité des familles et des Etats que le divorce. »
    A considérer les racines de la révolution sexuelle, on se retrouve en train de remonter un chemin de petits cailloux semés à travers le temps. On admet généralement que cette révolution a été déclenchée par un concours de facteurs, mais la plupart estiment que le plus important d’entre eux aura été la contraception hormonale. On admet généralement que la pilule a été inventée entre 1951 et 1957 par le Dr Gregory Pincus, une connaissance de Margaret Sanger qui l’avait aidé à trouver des financements pour sa recherche.
    Margaret Sanger, fondatrice de l’organisation qui allait faire le tour du monde sous le nom du Planning Familial International (Planned Parenthood International) était elle-même une raciste et eugéniste notoire : elle a commencé son œuvre en 1916 et n’a jamais dissimulé, dans ses écrits, le fait que cela faisait partie de son programme eugénique (ses écrits devaient inspirer plus tard Hitler et le programme eugénique allemand dont il fut à l’origine dès avant la Seconde Guerre mondiale).
    En remontant plus loin encore, on s’aperçoit que la révolution sexuelle, en tant que bouleversement social et moral qui allait aboutir à saper, puis à mettre en miettes les bastions de la famille traditionnelle, faisait partie des objectifs-clef exposés dans les écrits marxistes, et ce dès les travaux d’Engels qui décrivit les maux de la « famille monogame ». Son livre sur ce thème, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, toujours disponible, toujours utilisé dans les universités, a été imprimé en 1884.
    Engels voyait dans le mariage et dans la famille un instrument d’oppression, et ses écrits laissent clairement voir les germes du féminisme moderne anti-famille. Que le féminisme universitaire, une idéologie qui gouverne une grande partie du monde occidental, soit un produit du marxisme n’est un secret pour personne – si l’on fait exception des gens de la rue. Mais au même moment où Engels prétendait écrire d’après l’expérience des siècles, l’Eglise tirait d’autres leçons du passé.
    Léon XIII se tournait lui aussi vers le monde antique pour avertir de ce qui adviendrait, particulièrement pour les femmes, si le monde chrétien devait régresser vers les mœurs des Romains de l’Antiquité qui pouvaient quasiment divorcer sur un coup de tête. Les nations, disait-il, « oublièrent plus ou moins la notion et la véritable origine du mariage ». « La polygamie, la polyandrie, le divorce furent cause que le lien nuptial se relâcha considérablement », avec pour résultat l’état « misérable » de la femme, « abaissée à ce point d’humiliation qu’elle était en quelque sorte considérée comme un simple instrument destiné à assouvir la passion ou à produire des enfants ».
    L’Eglise, poursuivait Léon XIII, avait restauré le mariage tel qu’il fut voulu à l’origine par Dieu, et le défendait face aux empiètements de princes et d’Etats avides de pouvoir. Mais au temps de Léon XIII, l’« ennemi juré du genre humain », le diable, avait suscité « des hommes qui (…) méprisent ou méconnaissent tout à fait la restauration opérée et la perfection introduite dans le mariage ».
    Il y eut des hommes « en notre temps » pour « modifier de fond en comble la nature du mariage ». De tels esprits, « imbus des opinions d’une fausse philosophie et livrés à des habitudes corrompues, (…) ont avant tout l’horreur de la soumission et de l’obéissance. Ils travaillent donc avec acharnement à amener, non seulement les individus, mais encore les familles et toute la société humaine, à mépriser orgueilleusement la souveraineté de Dieu. »
    Etant donné nos confrontations actuelles avec l’hypersécularisation, il est intéressant de noter également que Léon XIII voyait dans les attaques contre le mariage une manière d’affirmer l’autorité de l’Etat laïque, en dernière analyse, contre celle de l’Eglise. Et même, il y a des passages où les mises en garde de l’encyclique nous semblent avoir un air déprimant de déjà vu :
    « Or, la source et l’origine de la famille et de la société humaine tout entière se trouvent dans le mariage. Ils ne peuvent donc souffrir en aucune façon qu’il soit soumis à la juridiction de l’Eglise. Bien plus, ils s’efforcent de le dépouiller de toute sainteté et de le faire entrer dans la petite sphère de ces choses instituées par l’autorité humaine, régies et administrées par le droit civil. En conséquence, ils attribuent aux chefs de l’Etat et refusent à l’Eglise tout droit sur les mariages ; ils affirment qu’elle n’a exercé autrefois un pouvoir de ce genre qua par concession des princes, ou par usurpation. Ils ajoutent qu’il est temps désormais que les chefs d’Etat revendiquent énergiquement leurs droits et se mettent à régler librement tout ce qui concerne la matière du mariage. De là est venu ce qu’on appelle vulgairement le mariage civil. »
    Léon XIII ne précise pas de quels Etats il est question, mais à son époque, la Grande-Bretagne était déjà sous le régime du « Matrimonial Causes Act » (loi des causes matrimoniales) de 1857 qui enlevait la compétence des cas de divorce aux tribunaux ecclésiastiques pour les donner aux tribunaux civils et qui avait fait du mariage une matière de droit contractuel, et non plus une reconnaissance par l’Etat d’un sacrement fondé sur la religion. A l’époque, il avait été contesté au Parlement par certains membres qui craignaient d’y voir une usurpation des droits et de l’autorité de l’Eglise d’Angleterre établie.
    Avant l’existence de cette loi, ceux qui voulaient obtenir le divorce devaient prouver l’autre coupable d’adultère, et le divorce n’était accordé qu’en tant qu’annulation ou d’un acte spécifique du Parlement. Après l’entrée en vigueur de la loi de 1857, la loi allait être peu à peu amendée pour en arriver au point où, en 1973, les habitants d’Angleterre et du Pays-de-Galles purent divorcer pour cause d’adultère ou « comportement déraisonnable » qui peut être constitué par à peu près n’importe quoi, depuis l’alcoolisme chronique jusqu’au fait d’avoir des vies sociales séparées. Selon le Daily Mail, la Grande-Bretagne affichait le plus important taux de divorce de l’Union européenne. Depuis lors, les démographes ont noté un ralentissement des divorces, mais c’est surtout parce que de moins en moins de gens prennent la peine de se marier au départ.
    « Le mariage, qui tend à la propagation du genre humain, a aussi pour objet de rendre la vie des époux meilleure et plus heureuse », écrivait Léon XIII en 1880. Et d’ajouter : « Les Etats peuvent attendre de tels mariages une race et des générations de citoyens qui, animés de sentiments honnêtes et élevés dans le respect et l’amour de Dieu, se considéreront comme obligés d’obéir à ceux qui commandent justement et légitimement, d’aimer leur prochain et de ne léser personne. »
    Il y a deux étés, des « jeunes » ont fait des émeutes partout en Grande-Bretagne, vandalisant des magasins, brûlant des maisons et des bureaux dans quatre grandes villes. L’incident, qui fit la une des médias du monde entier, a, bizarrement, été presque complètement oublié. A l’époque, les médias britanniques – fortement orientés à gauche – ont accusé le manque de services sociaux. Mais un homme, travailleur social dans les zones sensibles des villes britanniques, a carrément accusé la destruction de la famille. Les gamins qui jetaient des poubelles à travers les vitrines des magasins n’avaient jamais connu de père et avaient été élevés par l’Etat.
    Il est difficile d’imaginer une meilleure légende pour les photos des adolescents rigolant et riant pendant qu’ils pillaient les magasins que la condamnation et l’avertissement de Léon XIII à propos du divorce : « Il n’y a rien de plus puissant pour détruire les familles et briser la force des Etats que la corruption des mœurs. »
    « Vraiment, il est à peine besoin de dire tout ce que le divorce renferme de conséquences funestes. »
    Vraiment.
    Hilary White
    © leblogdejeannesmits
  • Le crépuscule des traîtres

     

    A défaut de faire face aux vrais défis qu’impose à notre pays une crise sans précédent, le gouvernement continue à traquer les Français qui ont l’impression de plus en plus insistante que notre pays n’a plus de protecteurs naturels.

     

    Le rapport qui fait tant couler d’encre ces jours-ci et provoque aujourd’hui des reculades prudentes n’est que l’expression d’une idéologie au pouvoir qui a décidé de tirer un trait définitif sur ce qui constitue les racines et la réalité de notre patrie. La dispute autour du voile et de la laïcité qui divise les socialistes et a fait réagir la droite parlementaire n’est à nos yeux qu’un combat marginal et pétri des variantes idéologiques qui veulent toutes finalement la même chose : faire du passer table rase.

    Michèle Tribalat, esprit indépendant aiguisé, fait quant à elle plus justement remarquer que : « La création d’un délit de harcèlement racial serait là pour "contraindre à la non désignation" des origines. La différence serait partout, mais il ne faudrait jamais l’incarner dans le langage. M. Ayrault poursuit sur la lancée de ses prédécesseurs puisque je vous rappelle que le modèle d’intégration européen adopté par l’UE en 2004 est déjà un modèle multiculturaliste. [ … ] Tout ce qui rendait familière la vie ordinaire est frappé d’incertitude. Aucun héritage n’est à préserver. »

    On est quand même frappé par ce mystère sémantique qui consiste à exiger la reconnaissance de toutes les cultures, on parle d’accepter la « diversité », du « droit à la différence », mais de ne surtout pas l’évoquer, ni d’en tenir compte. Autrement dit, vous n’existez pas par votre vie, votre histoire, votre culture, vos croyances, mais par la loi.

    On voit bien que, dans ce contexte, les choses ne se passent pas comme prévu, c’est à dire, une espèce de métissage laïque et obligatoire, mais que la nature ayant horreur du vide, ce sont les cultures fortes et communautaristes qui avancent dans un ventre mou.

    Le « pouvoir » semble d’ailleurs prendre acte de cette réalité en reculant devant l’islamisation, (revoilà l’affaire du voile) laquelle à tout prendre vaut mieux qu’un retour aux valeurs obscurantistes d’une France arc-boutée sur son baptême et ses valeurs fondatrices.

    Les laïcistes qui préconisent un système légaliste uniformisant, fondé sur les valeurs de la révolution française, ne sont que les naïfs complices de ce qu’ils dénoncent par ailleurs. Une France fondée sur la perte de mémoire et des racines spirituelles ne résistera pas à la poussée islamique.

    L’immigration massive dans un pays atone ne peut, dans un tel contexte, qu’imposer son fait religieux et …politique.

    Tout converge, et je comprendrais que n’importe quelle puissance étrangère à tendance supranationale ne puisse que se féliciter de la chute d’une nation jadis si forte et si indépendante.

    La France n’a plus de protecteur. En a-t-elle eu depuis que la république à été instaurée ? Malgré des sursauts de survie naturelle qui mobilisèrent dans des moments graves les patriotes, force est de constater que la république n’a jamais défendu notre pays. Certains hommes ont agi, malgré elle, mais on voit aujourd’hui avec les socialistes qui se disent les vrais, voire les seuls républicains et qui délivrent ou retirent aux partis de la droite honteuse les brevets de républicanisme selon les alliances électorales contractées, que nous arrivons au terme du processus de dissolution et d’abandon de notre pauvre pays.

    Mais la France ne se laissera pas éradiquer aussi facilement. Les Français se réveillent, et un vent de révolte se lève. Le moment est-il enfin venu de renverser ce système nuisible bâti sur l’esprit de trahison ?

    Finissons en avec la République, dont le socialisme actuel n’est que l’ultime maladie vénérienne, et conduisons à Reims notre protecteur naturel, le descendant de Saint Louis, Roi de France.

    Olivier Perceval, secrétaire général de l’Action française

    http://www.actionfrancaise.net/craf/?Le-crepuscule-des-traitres

  • « Celui qui donne les ordres et qui a toujours raison »

    La conversion de tous au crétinisme culturel est bien plus qu'une obligation. C'est une nécessité. C'est une nécessité, tout simplement :
         - parce que c'est un ordre du marché et que dans une société capitaliste la nécessité se confond avec les ordres du marché,
          - et parce que l'essentiel des profits du procès capitaliste dans les pays civilisés est désormais lié à la consommation culturelle à cours forcé, c'est à dire à la vie irresponsable, ahurie et hébétée téléguidée à temps plein par la marchandise culturelle.
    Cependant certaines populations (peut être parce que l'intelligence leur sied particulièrement, peut être parce qu'elles appréciaient de disposer de l'ensemble de leurs moyens mentaux, peut être pour d'autres raisons que je ne connais pas) vont se trouver rétives et récalcitrantes face à cette injonction qui leur est faite d'avoir à déposer leur cerveau.
    Mais l'ordre vient de haut : du marché ! Et le marché, c'est le vrai Dieu du monde moderne, celui qui a réellement tous les pouvoirs, disait à peu près un économiste connu.
    Le marché va donc commanditer une politique incitative auprès de ces populations regrettablement peu disposées à la vie zombifiée. Le marché en a les moyens : il peut recruter et payer des exécutants pour n'importe laquelle de ses basses œuvres. En passant il peut aussi donner à ces hommes de main des tas de titres et de pouvoirs qui dans le monde d'avant avaient un certain sens, dans l'ordre politique, juridique, scientifique par exemple. C'est ainsi que l'on trouve des tas de gangsters hystériques déguisés par le marché, qui a aussi les moyens de payer tous ces frais de maquillage, en présidents de ceci ou de cela, en conseillers en ceci ou en cela. en experts de ceci ou de cela.
    Politique incitative non avouée comme telle, à vrai dire, mais en un certain sens extrêmement cohérente lorsqu'on parvient à en surplomber les différentes éléments et les différentes étapes (soumission obligatoire et permanente à la musique néo-primitive, mythologie du salaud civilisé et du gentil primitif, et ainsi de suite).
    Pour les populations véritablement réfractaires (les rares personnes qui persistent à n'oublier pas ce qu'était le monde anté-culturel, et la vie sensible) le marché, malgré toute sa mansuétude et son goût prononcé pour le viol psychique discret et insensible par la culture et notamment la musique devra employer des méthodes plus nettement incitatives.
    Parmi ces méthodes, il faut citer l'envoi, auprès de ces populations de pédagogues, c'est à dire de crétins solidement formés, volontaristes et prosélytes, qui savent bien, eux, qu'on n'est pas au monde tant qu'on est pas un énervé agité en permanence par les dernières pacotilles culturelles. On va donc organiser des opérations de crétinisation de grande ampleur, par confrontation amicale entre les populations indigènes ringardes et bornées et des populations importées ayant fait de l'abrutissement culturelle leur nature, si l'on ose dire ainsi.
    Mais il ne faudrait surtout pas croire que le métier de crétin-pédagogue soit toujours facile. Les populations à crétiniser se défendent, se rebiffent. Elles argumentent, parfois haussent le ton et se fâchent.
    Heureusement le marché, qui voit les choses de haut et de loin, a tout prévu. Non seulement il a embauché une foultitude de crétins praticiens, mais aussi des crétins théoriciens, c'est à dire des convertis à la culture culturelle mais dans sa version pédante et bavarde (des cinéphiles, des chrétiens de gauche ou des choses comme çà), qui ont compilé, sous ses ordres et sous son étroite surveillance ("que les juristes sont donc petits et interchangeables !" hulule alors le marché, qui a toujours raison) une législation ad hoc permettant de repérer, d'isoler et de punir instantanément tout récalcitrant à la crétinisation refusant une intervention pédagogique des crétins de terrain chargés de le convertir pleinement aux bienfaits de la culture.
    Lorsqu'on ose y penser, tout ceci est très logique : en capitalisme culturel, l'offense à crétin culturel est bien le crime majeur. Pour comprendre ce fait un peu étonnant pour les non initiés, il suffit de comprendre que l'offense à crétin culturel est une atteinte presque directe à la possibilité de faire des profits, une atteinte quasi directe au marché lui même.
    Les populations incitées à la conversion sont indissolublement définies par leur appartenance raciale, ethnique, religieuse, historique et j'en passe et des meilleures. Ces distinctions sont bien complexes à établir, évidemment pleines d'enjeux terrifiants et ce n'est pas ce moment de nécessaire crétinisation qui va nous aider beaucoup à clarifier calmement et rationnellement ces choses. Il est donc bien difficile de déterminer si la politique de crétinisation obligatoire poursuivie est d'ordre raciale, ethnique, ou autre. Cette question est peut être insoluble et çà tombe bien puisqu'elle est finalement sans importance aucune pour la suite. Il suffit de remarquer qu'il y avait jusqu'à présent des populations (définies donc de manière biologique ou culturelle, ou les deux, cela reste en suspens et c'est sans importance aucune pour la suite) qui appréciaient particulièrement d'user de leur cerveau et qui sont privées, à juste raison mais contre leur gré, de cet usage par les nécessités du marché.
    Ce qui n'est pas niable par contre, c'est que l'on a une politique populationnelle, une politique menée à l'égard d'une population identifiable et menée contre son gré puisqu'elle refuse obstinément et avec pertinacité de se convertir au nouveau mode de fonctionnement humain, celui qui est nécessaire au marché : le crétinisme culturel. En effet, il est indiscutable que les demandes explicites de crétinisation culturelle sont restées longtemps extrêmement rares dans la population française. Je dis bien et je maintiens : extrêmement rares. Ce n'est que très récemment que la politique d'incitation à la crétinisation généralisée a commencé à porter ses fruits et que l'on peut observer un mouvement spontané de certaines catégories de la population vers la crétinisation intégrale, chez les jeunes filles droguées à la musique néo-primitive par exemple.
    On constate donc qu'une politique populationnelle a été mise en place :     
         - d'abord pour trier les "convertissables" à la crétinisation culturelle et les "non convertissables" à la crétinisation culturelle, ces derniers étant relègués ou éliminés discrètement,
         - ensuite pour mettre en oeuvre une heureuse politique systématique de crétinisation proprement dite.
    Il n'est pas du tout certain d’ailleurs que cette politique de conversion-extermination d'un peuple soit consciente même chez les plus tordus et les plus cruels de ses exécutants. Elle est tout simplement nécessaire au marché, qui paye ceux qui l'appliquent, et qui ne paye pas ceux qui ne l'appliquent pas. Il est comme çà le marché : intègre et entier, il ne faut surtout pas essayer de lui raconter des histoires.
    J'ai écrit un peu plus haut "convertissables" ou "non-convertissables" à la crétinisation culturelle dans un moment d'optimisme. En fait il faudrait dire "réifiables" ou "non réifiables", c'est à dire "achetables par le marché" ou "non achetables" par le marché. Cela devient un peu plus compliqué mais cela permet de donner un coup de massue supplémentaire : en effet les "crétins-pédagogues" identifiés plus haut ne sont actuellement guère que des choses achetées par le marché et lancées contre un peuple qui n'en demande pas tant ; mais ce triste rôle historique induit par le capitalisme aux abois n'est pas une fatalité et c'est aussi de leur prise de conscience et de leur révolte contre l'argent fou que pourrait émerger un monde à nouveau vivable. 
    Récapitulons et synthétisons. Nous avons, grosso-modo :
         - les gens de gros argent,
         - les crétins-pédagogues chargés de la crétinisation, fêtés et gâtés par les précédents,
         - les consommateurs acéphales mécanisés tendance bobos,
         - les populations à convertir ou en cours de dressage, c'est à dire l'ancien peuple français,
         - enfin les irrécupérables refusant les bienfaits de la culture culturelle, poussés discrètement au désespoir, à la ruine, à la mort sociale ou physique.
     Il y a eu et il y aura d'autres politiques populationnelles (raciales, ethniques) par exemple de conversion à une nouvelle éthique, ou d'extermination, ou de relégation, ou autres, non pleinement avouées, ni même conscientes, dans l'histoire. Certaines sont bien connues et ont fait l'objet d'études nombreuses. Celle qui est appliquée en France contre les populations refusant une crétinisation culturelle généralisée apparaît cependant originale et nouvelle et gagne à être connue de tous, petits et grands.
    Jacques-Yves Rossignol

  • À propos de « La fin de la mondialisation » de François Lenglet

    À propos de « La fin de la mondialisation » de François Lenglet Autant le dire tout de suite : à première lecture, le dernier opus de François Lenglet n’est pas sa Neuvième Symphonie; il n’égale pas, par l’éclat et l’originalité du propos, le Qui va payer la crise ? sorti il y a un an sur la signification, les conséquences et les grands enjeux de la crise en cours. Ses conclusions désabusées de la préface n’incitent guère à la mobilisation (« La fin de la mondialisation, ou en tout cas son éclipse, n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. Peut-être est-ce même le contraire. »). Pas de quoi fouetter un chat. En grossissant à peine le trait, on dirait qu’il s’agit là d’un bouquin pas folichon sur un sujet austère.
    Ce jugement assez négatif se modifie et même s’inverse à seconde lecture, parce que l’on y retrouve les qualités de richesse d’analyse et de synthèse (presque excessives, car ça fuse de partout !), d’honnêteté, de clarté, d’humour propres à l’auteur. C’est également un discours a priori sympathique à des oreilles de droite enracinée, puisqu’il plaide en faveur d’une dose raisonnable de protectionnisme européen intelligent. Enfin et surtout, le sujet est stratégique et conditionne beaucoup des évolutions économiques, sociales, sociétales et politiques de nos sociétés dans les deux ou trois décennies à venir.
    Ce bouquin mérite donc amplement le résumé que voici.
    Libéralisation et libre-échange tous azimuts
    Tout commence sur un air de rock’n’roll : à la fin des années 60, la vague libérale a ses troupes, les baby-boomers, son credo, la prééminence de l’individu sur la société, et son arme, les nouvelles techniques de communication. Le règne de Milton Friedmann commence. En 1979, le libéralisme sociétal investit l’économie, avec l’arrivée au pouvoir de la « Dame de Fer », suivie l’année suivante de Ronald Reagan. De l’autre côté du monde, Deng Xiao Ping, le « Petit Timonier », lance ses réformes libérales en 1978. Les vents sont favorables : libéraliser, dans les années 80, c’est rompre avec la sclérose qui étouffe les économies développées, sous l’effet de réglementations excessives et paralysantes, dont la Grande-Bretagne travailliste de Harold Wilson et James Callaghan est une parfaite illustration. Cette conquête libérale prend une dimension et une force accrues avec la chute, le 9 novembre 1989, du Mur de Berlin, et l’extension à l’ex-bloc communiste du modèle américain chantée par Fukuyama. Il s’en suit une politique de plus en plus audacieuse de désarmement tarifaire et de déréglementation financière favorisant « l’exubérance irrationnelle » des marchés, l’hypertrophie de la finance, la croissance de l’endettement tant public que privé, la création de valeur au profit de l’actionnaire, le développement des fusions-acquisitions, des privatisations, de la titrisation et des stock options, la concurrence fiscale entre États, l’essor des paradis fiscaux, la prospérité des multinationales, le règne universel des financiers et le bonheur du consommateur. Au tournant du siècle, l’émergence de la Chine et l’avènement de la Zone euro contribuent puissamment à un regain du commerce mondial.
    Les résultats sont spectaculaires : la prospérité est quasi-générale, le Tiers Monde que l’aide publique au développement avait entretenu dans la médiocrité se mue en Émergents, la pauvreté régresse spectaculairement, et le P.I.B. mondial croît à un rythme inégalé dans l’histoire. Le monde s’uniformise comme jamais. On est en plein dans la mondialisation heureuse, et le rêve d’une planète unifiée par le libre-échange, régie par le marché et régulée par la démocratie paraît en voie de réalisation. La victoire du bonheur économique sans frontières et sans date de péremption est célébrée chaque mois de janvier au Forum annuel de Davos. À l’orée de la crise des subprimes, en 2007, la mondialisation a atteint son point le plus avancé de l’Histoire.
    Patatras et gueule de bois : les trois vices de la mondialisation
    Ce bel édifice sombre brutalement avec la crise des subprimes. La faillite, le 15 septembre 2008, de Lehmann Brothers marque une borne et une rupture. L’histoire commencée quarante ans plus tôt avec les mouvements estudiantins et la grande fête de Woodstock s’achève dans un effondrement retentissant. En quelques jours, un demi-siècle de certitudes économiques libérales s’évanouit. Pour enfoncer le clou, fin 2009, un nouveau choc s’abat sur l’Europe, l’Occident et le monde entier, la crise des dettes publiques en Europe.
    On réinterprète dès lors le parcours éblouissant de la planète entre 1990 et 2008. On comprend que la croissance devait beaucoup à l’endettement excessif des particuliers, des entreprises et des États, aux États-Unis, en Europe, et jusqu’en Chine. On comprend également que la mondialisation ne fait pas que des gagnants : l’élargissement du marché mondial, s’il a eu des conséquences positives pour nombre de pays pauvres de la planète, a bel et bien creusé les inégalités au sein des nations développées et dynamité le système social des classes moyennes et populaires. Les systèmes fiscaux occidentaux fonctionnent dès lors en « Robins des Bois à l’envers », prélevant sur les pauvres et exonérant les riches et les multinationales. Ce phénomène touche notamment la France, qui aggrave son cas en pratiquant une politique d’allègement des charges salariales financée par emprunt. « Plutôt que de creuser l’inégalité entre les classes sociales, la France a préféré développer celle qui sépare les classes d’âge. »
    On réalise aussi que la mondialisation n’apporte pas le bonheur, et que l’interdépendance est avant tout une dépendance : la dissuasion économique joue à fond entre partenaires et concurrents, les liens entre causes et effets deviennent plus globaux et plus complexes, et surtout États et personnels politiques sont à la merci de forces de marché capricieuses qu’ils ne maîtrisent pas. L’indépendance des banques centrales, justifiée à l’origine (« Les politiques renoncent à financer leurs dépenses en manipulant la monnaie. Tels des alcooliques repentis, ils confient la clé de la cave au curé du coin »), tourne à l’avantage des épargnants avec la complicité de banques centrales, agents doubles passés du côté de l’épargne. Les États qui s’étaient crus les plus forts (« Rendre les banques centrales indépendantes, c’était une ruse de la puissance publique pour attirer plus facilement le capital destiné à la financer ») perdent l’initiative, au fur et à mesure qu’ils deviennent plus dépendants des marchés. L’internationalisation financière a donc rétréci la sphère d’intervention du pouvoir politique, même dans ses fonctions régaliennes, et dépossédé les peuples de leur destin. Au point qu’un intellectuel de Harvard a pu énoncer un « trilemme de Rodrik » aux termes duquel il n’est pas possible d’avoir simultanément démocratie, indépendance nationale et mondialisation économique. Thèse amusante, intéressante et significative qui, si elle est vraie, ne laisse ouvertes que trois solutions : limiter la démocratie, créer un gouvernement mondial, ou limiter la mondialisation.
    Ce désenchantement brutal s’applique aussi, avec une force particulière, à la Zone euro : contrairement aux attentes, celle-ci n’a pas apporté comme prévu la convergence des économies des pays membres, mais au contraire leur forte et croissante divergence. Elle a en fait fonctionné comme l’équivalent de l’étalon-or du XIXe siècle et de l’Entre-deux-guerres, provoquant de fortes divergences dans les économies réelles. Le taux de change ne pouvant varier, c’est l’économie réelle, la croissance, l’emploi, les salaires, qui au bout du compte doivent subir une forte volatilité. La queue du chien étant bloquée, c’est le corps du chien qui doit bouger tout entier.
    Enfin, on constate avec le recul que la mondialisation a créé la crise permanente : crise du S.M.E. en 1992, crise mexicaine de 1995, crise asiatique de 1997, crise russe de 1998, éclatement de la bulle Internet en 2000, crise des subprimes en 2007, crise des dettes souveraines en Europe en 2010, crise de l’Inde et du Brésil en 2013, on n’en finit pas de répertorier les perturbations du système économique mondial depuis sa libéralisation au long des années 80 et 90.
    L’éternel retour

    Le chapitre 5, intitulé avec humour « L’éternel retour », référence sans doute à Nietzsche et à Mircea Eliade, est la clé du livre. Son ton bon enfant et léger ne doit pas masquer une certaine profondeur du propos. Quatre idées-forces se dégagent :
    — En premier lieu, les sociétés fonctionnent selon la loi du perpétuel retour du Même, de l’alternance entre phases libérales/mondialistes et phases protectionnistes/nationalistes, en un mouvement pendulaire fonctionnant dans les deux sens, vérifié par l’histoire au moins depuis le XVIe siècle occidental. La société oscille perpétuellement entre tentations et pulsions contraires mais immuables, chaque génération posant ses pas dans ceux d’une génération précédente, aiguillonnée par les mêmes désirs et se heurtant aux mêmes obstacles.
    — En second lieu, l’auteur martèle la sympathique thèse, puissamment anti-marxiste et peut-être aussi anti-libérale, selon laquelle ce n’est pas l’économie qui impose sa loi à la société, mais bien le contraire. L’économie ne fait que suivre. « C’est dans la société que […] naissent les pulsions premières, libertaires ou protectionnistes, mondialistes ou nationalistes. Ces directives impérieuses transforment peu à peu la vie en société et commandent à l’économie en imposant le système de pensée qui la gouverne. Aussi l’économie est-elle tantôt libérale, tantôt dirigiste, en fonction de l’humeur changeante de la société. »
    — En troisième lieu, est exposée la thèse de l’alternance contraire des générations comme moteur des grands cycles et du mouvement de balancier idéologique : les générations se structurent sur la base des maux qu’elles ont sous les yeux, prenant régulièrement le contre-pied de la précédente; chaque cycle se décomposant en deux demi-cycles, l’un montant, l’autre descendant, il faut deux bonnes générations successives pour effectuer une révolution complète, soit environ soixante-dix ans.
    — Enfin, est proposée l’image des deux Sisyphe, l’un libéral, l’autre étatiste, se succédant mécaniquement sans le vouloir ni même le savoir, chacun concentré, plus ou moins aveuglément, à faire remonter sa pierre de son côté. Citons la conclusion, qui tangente, avec des mots simples, la grande sagesse : « L’instabilité que provoquent ces deux géants perpétuellement insatisfaits témoigne d’une difficulté fondamentale de la vie en société, impossible à lever durablement : trouver la juste mesure entre la règle et la liberté, entre le groupe et l’individu. Faute de savoir positionner le curseur à l’endroit idéal, nous voici condamnés à l’errance, au roulis d’un excès à l’autre ». On ne saurait mieux dire.
    Et demain ?

    Les signes de reflux surabondent, avec des négociations commerciales en panne, une O.M.C. en désarroi, des politiques de rééquilibrage brutales et douloureuses dans l’Europe du Sud.
    « Nous sommes à la veille d’un gigantesque retournement idéologique comme il en survient un ou deux par siècle, dont l’ombre portée s’étendra sur les décennies qui viennent. »
    Les signes de ce retournement sont nombreux :
    — Côté argent, la mondialisation financière, la plus sensible à l’air du temps, est en panne, les banques se recentrent sur leurs territoires nationaux respectifs, non seulement en Europe, mais dans le monde entier, et les fusions transfrontalières diminuent.
    — Côté marchandises, le commerce perd sa dynamique de croissance des dernières décennies, le libre-échange, et plus spécifiquement le multilatéralisme sous l’égide de l’O.M.C., donnent des signes de faiblesse, et l’Amérique relocalise ses industries.
    Ce retournement a toutes les chances de s’accentuer dans les années à venir sous l’influence d’un faisceau convergent d’évolutions profondes :
    — le mouvement quasi-universel de désendettement des acteurs économiques diminue le flux international des capitaux et s’accompagne d’un retour au bercail de nombre d’investisseurs,
    — le rééquilibrage en cours des comptes extérieurs de nombre de cigales (U.S.A., Europe du Sud) conduit mécaniquement à réduire les échanges internationaux de biens, de services et d’argent,
    — l’État reprend partout ses prérogatives, notamment en matière de contrôle des fusions internationales d’entreprises et de privatisations,
    — les banques centrales recentrent leurs priorités sur la lutte contre la crise et l’aide aux emprunteurs publics, au risque de l’inflation,
    — la « répression financière » des États et des banques centrales limite la liberté des capitaux à quitter leur pays d’origine et renationalise l’épargne,
    — les mentalités évoluent dans le sens d’une moindre tolérance à l’égard des inégalités, de la fraude fiscale et des paradis fiscaux,
    — les mouvements nationalistes en Europe témoignent du désir de frontière allant parfois jusqu’à la remise en cause du rêve européen et de l’espace unique.
    Vers un protectionnisme européen intelligent
    La troisième partie du livre est intitulée « Le protectionnisme, une solution ? ». Après une remarque liminaire sur le caractère quasi-dogmatique du libre-échange dans les élites nées du Baby Boom, elle commence au contraire par démonter une à une trois objections classiques faites au protectionnisme :
    — « Le protectionnisme crée des rentes injustifiées » : exact, mais le libre-échange a aussi ses rentiers et parasites, notamment les financiers, payés de façon absurde pour une activité qui n’a aucune utilité sociale,
    — « Le protectionnisme déclenche les crises économiques » : argument aussi discutable que répandu; en réalité, le protectionnisme n’a pas été une cause de la crise de 1929, il l’a au contraire en partie soignée. On constate au contraire un certain effet curatif du protectionnisme en certaines situations historiques. En réalité, ça n’est pas le commerce qui crée la croissance, mais exactement le contraire. De plus, ce sont les pays les moins dépendants des flux de capital international qui ont connu la croissance la plus forte.
    — « Avec le protectionnisme, la Chine ne se serait jamais développée » : la réponse est foudroyante : « si c’est bien le libre-échange qui a favorisé la croissance chinoise, il s’agit de notre libre-échange, pas du sien ». Au contraire, la Chine a, avec constance, et malgré son adhésion en 2001 à l’O.M.C., pratiqué la dissymétrie de l’ouverture, l’arnaque d’un taux de change sous-évalué sous contrôle, la copie voire le vol à large échelle de technologie, l’ignorance de la propriété intellectuelle, bref une politique industrielle multisectorielle privilégiant l’intérêt national à tout instant et en toutes circonstances.
    Suit un paragraphe intitulé « Conversion d’un libéral », qui est un bilan personnel, honnête, nuancé et mesuré des avantages et inconvénients respectifs du libre-échange et du protectionnisme. Il ne peut en être autrement de la part d’un libéral, en raison des liens constitutifs entre mondialisation et libéralisme économique. La conclusion est la suivante : « Du strict point de vue économique, le libre-échange commercial n’offre pas d’avantage significatif par rapport au protectionnisme […] dans ce système, c’est sur la société que sont reportés tous les efforts d’ajustement : mobilité, flexibilité, baisse des salaires. La mondialisation consacre la domination des mobiles sur les immobiles, des forts sur les faibles, des gros contre les puissants […]. Aujourd’hui, l’époque n’est plus au libre-échange, et pas davantage à la mondialisation financière. Cette époque est révolue. » C’est beau comme du Attali, mais c’est le contraire d’Attali.
    Trois enjeux pour une protection
    Il faut bien comprendre que la mondialisation a partie liée avec les détenteurs de capital, au détriment de plus en plus évident des classes populaires et moyennes, et que les groupes pénalisés par la vague libérale (producteurs, salariés, classes moyennes et populaires, emprunteurs) ont vocation, avec l’alternance, à prendre leur revanche sur les gagnants (riches, financiers et juristes, consommateurs). Dès lors, l’enjeu d’un protectionnisme moderne et tempéré est triple :
    — sauver les classes moyennes, groupe social clé pour la stabilité et la prospérité de nos sociétés, en remusclant l’industrie, monde non seulement plus stratégique, mais également plus égalitaire que celui des services,
    — rétablir la demande finale en faisant monter les salaires, précisément de l’industrie, au détriment de l’actionnaire et du consommateur,
    — laisser filer une inflation de l’ordre de 3 à 4 % par an pour rééquilibrer les échanges entre producteurs et consommateurs, et pour réduire la dette à travers « une faillite partielle, discrète et libératrice ».
    En pratique
    Le dernier chapitre du livre, assez modeste (vingt pages), contient un certain nombre de recommandations pratiques. Comme pour le livre précédent sur la crise, on remarque immédiatement un hiatus considérable entre l’audace des préliminaires et la prudence des recommandations finales. Il faut y voir la cœxistence chez l’auteur d’un brillant intellectuel et d’un économiste libéral conscient et responsable, ce qui est tout à son honneur !
    On retiendra ce qui suit :

    — Un relèvement sélectif des droits de douane en fonction des produits et des pays s’impose.
    — Même au sein de l’Union européenne, le marché unique du travail doit être amendé; à tout le moins, il conviendrait de prolonger et renforcer la période de transition qui protège certains secteurs, le temps du rattrapage des salaires.
    — Une grande prudence, voire de la circonspection, s’impose sur le projet de traité de libre-échange U.E. – États-Unis, notamment en raison du différentiel de prix de l’énergie lié au gaz de schiste.
    — Une politique industrielle européenne est nécessaire, avec élevage de champions nationaux et européens, mais avec prudence et doigté, liés à la plus extrême méfiance envers l’État comme acteur économique incompétent.
    — Redomestication (et non renationalisation) de l’industrie bancaire, c’est-à-dire son confinement plus strict dans les limites de la nation. Il s’agit là d’une position de repli, à défaut de réforme en profondeur de la finance mondiale auquel l’auteur ne croit guère. Elle implique : le rétablissement partiel du contrôle international des capitaux, y compris à l’intérieur du Marché Unique européen le temps que s’échafaude l’union bancaire « si jamais elle doit sortir des limbes », le rétablissement rigoureux de la séparation des activités de dépôts et d’investissement comme avant 1990, et le rétablissement des contrôles des flux financiers aux frontières.
    Dans les toutes dernières pages, l’auteur précise, ce dont nous lui saurons gré, que « le bon périmètre de protection est donc l’Europe, plutôt que la nation » et qu’il « ne s’agit pas de refermer l’Europe, mais de trouver le bon équilibre entre le marché et la règle, entre l’ouverture et la protection », dans l’esprit du compromis de Bretton Woods.
    En conclusion

    Ce livre reprend sous une autre forme le thème, très présent dans le précédent opus, de la lutte inégale et injuste du capital contre le travail, des vieux contre la jeunesse, de la finance contre l’économie réelle. Le retour du protectionnisme est une revanche de la classe moyenne vertueuse sur une petite classe dirigeante mondialisée qui a poussé le bouchon un peu trop loin.
    François Lenglet est un esprit libre, l’un des nôtres. Sa vision des cycles de vie des sociétés à elle seule mérite notre adhésion : « Le neuf naît dans le vieux, il s’y loge de façon subreptice. Mais ce neuf lui-même n’est jamais que le retour du plus vieux que le vieux. Dans un cycle, la révolution ressuscite inlassablement les idées qu’on croyait mortes ». Il a du caractère, sans démagogie. Ses diagnostics sont aussi tranchés et sévères que ses propositions sont mesurées, prudentes, nuancées. Sa dénonciation des méfaits de la phase libérale qui s’achève est vive et sincère, mais potentiellement réversible. Le livre est tout sauf manichéen : vus de haut, les cycles contradictoires se succèdent naturellement, unis par une complicité qui transcende les oppositions superficielles. Les deux systèmes ont leurs qualités et leurs défauts, tous deux génèrent leurs rentiers et leurs poisons. Aujourd’hui, c’est le tour du protectionnisme, et c’est tant mieux; demain, ce sera l’inverse, et tant mieux aussi. Ainsi va le monde, rien de nouveau sous le soleil.
    Bref, on y verra la juxtaposition d’un tempérament vif, d’un sens de la longue durée et d’une honnêteté sans faille, servie par une compétence technique hors de portée du journaliste ou du politicien moyens. Comme suite au « trilemme de Rodrik » dont il a été question plus haut, je propose le « quadrilemme de Lenglet » : peut-on être à la fois compétent, convaincu, énergique, et honnête ? Pas simple. On n’est donc pas surpris de trouver énormément de gêne et de contradictions dans les remèdes proposés, par exemple sur la nécessité d’une politique industrielle sans État !
    Sur le fond, ce point de vue qu’on peut qualifier de « libéral-protectionniste » pourrait servir de référence à une droite européenne et française de conviction, pour deux raisons :
    — si l’on s’en tient à l’économie, un homme de droite de conviction ne va pas spontanément vers le protectionnisme, qui souvent traduit un réflexe de défense et une mentalité défaitiste. Il ne s’y rallie que comme solution provisoire en vue d’une offensive ultérieure, vision proche de celle de l’auteur. Il s’y rallie au fond pour des raisons plus hautes, non économiques : le protectionnisme comme condition de l’identité,
    — il faut bien réaliser que les propositions de l’auteur, assez raisonnables en théorie, sont extrêmement audacieuses en pratique, et bien plus radicales que celles d’aucun parti institutionnel. Seul grand regret, à titre personnel : l’absence de grand souffle européen.
    Jacques Delimoges http://www.voxnr.com/cc/d_usa/EFlZpkkFlZxfaDxtYF.shtml

    Notes :

    François Lenglet, La fin de la mondialisation, Fayard, coll. « Documents », 2013, 264 p., 15 €.