Monarchisme intransigeant, vivant en marge d'un siècle bourgeois. Jules Barbey d'Aurevilly (1808-1889) dépeint les ravages
Les romanciers catholiques sont rares. Je parle de ceux qui le sont intégralement, irrémédiablement, et qui font du dogme l'instrument et l'armature de leur dramaturgie. Jules Barbey d'Aurevilly, qui eut pour maîtres Walter Scott et Balzac, fut à cet égard l'un des plus grands. Lamartine l'avait traité par manière de boutade de « Marat catholique qui peint l'inquisition et la guillotine en blanc ». Barbey renverse l'insulte et la tourne en compliment. D'ailleurs si l'Inquisition avait bien joué son rôle, elle nous eût peut-être épargné la Révolution et la guillotine.
Toujours en guerre
Ainsi était Barbey. Il avait des poses, des postures, des rodomontades, une manière de parler, de se vêtir avec des cravates de dentelle et des manchettes à la mousquetaire qui déplaisaient aux esprits communs et timorés et qui heurtaient les bourgeois et les bigots. Car il était toujours en guerre, ce diable que l'on accusait d'être et qu'il était de pied en cap et principalement dans son duel contre Satan et contre le siècle, qui parfois se confondaient, ce qui le faisait passer pour un chouan attardé ou un Lucifer blanc,certes, mais un Lucifer tout de même. Or qui croyait encore au diable et au surnaturel en ce XIXe siècle infatué de scientisme et de positivisme, à part quelques pauvres poètes comme Baudelaire, Huysmans, Bloy ou Verlaine, quelque sainte grenouille de bénitier comme Eugénie de Guérin ou Isabelle Rimbaud ou quelque jeune et novice curé de campagne ?
Un roman n'est ni un traité de théologie ni un sermon, et un roman catholique moins qu'un autre. Car sa matière, c'est justement le Mal et le Péché, et l'un de ses personnages centraux est précisément ce diable dont les théologiens parlent assez peu et que sa tâche à lui est justement d'appréhender vivant et de débusquer du coeur de l'homme où il s'est niché, dans ses passions et ses révoltes, qu'il tord et secoue sous nos yeux épouvantés comme un noeud de reptiles. D'ailleurs le diable, Barbey, ce monarchiste ombrageux, ce légitimiste enragé, en disciple de Maistre qu'il était, l'avait déjà rencontré, non plus dans telle ou telle alcôve ou confessionnal, mais dans l'Histoire, dans la marche des sociétés et notamment dans la Révolution française. Certes, il avait, comme Bossuet ou de Maistre, une vue providentialiste de l'Histoire, et savait, comme dit saint Paul, que du mal Dieu peut tirer du bien, mais il savait aussi que les révolutions, comme les guerres, peuvent être des châtiments divins et que le diable peut être à l'oeuvre dans l'Histoire et justement dans le coeur de ceux de ses contemporains qui, tel Hugo, croyaient travailler au bonheur du genre humain.
Car c'est peu dire que Barbey n'était pas démocrate. Il l'était si peu que pour lui une différence, non pas de condition, mais d'essence, séparait le noble du vilain. Sans doute y a-t-il quelque outrance dans certaines de ses attitudes et certains de ses mots lancés à la face de ses adversaires comme des balles de pistolet, mais ce n'en sont pas moins ceux et celles d'un homme qui a vu son drapeau, ses croyances, ses principes, ses moeurs et tout son monde craquer de part en part et qui, hormis Dieu, ne peut se raccrocher qu'à lui-même et à son aristocratisme exacerbé.
La science du bien et du mal
Anatole France qui goûtait la société de Barbey a parlé à son propos de « péché-sorbet ». C'était sa manière à lui de sceptique épicurien de traduire en le minimisant le pecca fortiter des héros aurevilliens. Barbey n'est pas janséniste. Il ne condamne pas l'art comme les Messieurs de Port-Royal. Il estime que le catholicisme est assez fort – qui pourrait l'être plus ? – pour supporter la peinture des passions. Cela suppose bien entendu que les hommes aient des passions (et pas seulement des pulsions, des désirs ou des velléités) et soient capables de pécher. Ce qui est une autre histoire. Le catholicisme est la science du bien et du mal. Aucun romancier n'a été plus que l'auteur d'Une vieille maîtresse et d'Un prêtre marié, le Torquemada de ses héros. L'art est assez moral quand il est tragique et qu'il inspire l'horreur des choses qu'il retrace.
Enracinement
Homme qui se souvenait d'un temps où les hommes étaient encore liés entre eux, surtout dans les provinces et dans les campagnes, par le lien de fidélité unissant le vassal à son suzerain et le sujet à son roi. À ce lien sanctifié par l'usage et la religion, à cet enracinement dans l'espace et le temps, à ce lien tout chevaleresque que l'Antiquité n'a pas connu et qu'on dirait presque inventé par le christianisme et pour lui, la Révolution, revenant au paganisme, substitua la loi et l'obéissance à l'État, le bulletin de vote et un contrat rédigé sur le modèle des contrats commerciaux. Un contrat écrit à la place de la parole donnée. C'est tout le sens du passage du monde chrétien et chevaleresque au monde commercial et moderne. Du même coup la Révolution abolissait le lien de filiation entre un homme et sa terre et la lignée de ses ancêtres.
Gérard Joulié L’ACTION FRANÇAISE 2000Du 19 mai au 1er juin 2011
3 Barbey d'Aurevilly, Une vieille maîtresse, L'Ensorcelée, Un prêtre marié, Les Diaboliques, Une page d'histoire, Robert Laffont, Bouquins, 1 079 p. 29 euros.
culture et histoire - Page 2023
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BARBEY D'AUREVILLY Un Stendhal catholique
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Soljenitsyne, le visionnaire qui exaspère
Le Phénomène Soljenitsyne de Georges Nivat est un essai de référence sur le message spirituel et politique du géant russe.
Soljenitsyne agace ceux qui voudraient bien se débarrasser du grand homme après l'avoir encensé. L'équation est connue : gardons le héros de L'Archipel du Goulag qui, par sa force d'âme, a ébranlé le mensonge soviétique, mais oublions le réactionnaire aux allures d'ayatollah slave qui annonce à l'Occident des lendemains qui déchantent. L'ennui est que le résistant au communisme et le critique du libéralisme ne font qu'un chez celui dont la rébellion fut autant spirituelle que politique. Telle est la thèse de Georges Nivat, slaviste renommé qui enseigne à l'université de Genève et dont le livre Le Phénomène Soljenitsyne a été lu et approuvé par l'intéressé avant sa mort.
Vendu à 800.000 exemplaires lors de sa publication en Russie durant la perestroïka, cet ouvrage, qui paraît aujourd'hui en France dans une version enrichie, n'est pas une biographie de plus : c'est un essai qui, non seulement, embrasse tous les aspects de l'œuvre romanesque de Soljenitsyne, mais se veut, en outre, l'expression fidèle de la pensée ultime de l'écrivain, disparu le 8 août 2008. Admirateur de Soljenitsyne, Georges Nivat n'est pas un hagiographe. Il ne minimise pas les “défauts” du grand homme : une personnalité autocratique, qui est comme l'envers de son charisme. Il n'occulte pas ce qui peut paraître choquant chez un chrétien : un pessimisme culturel à la Oswald Spengler, l'auteur du Déclin de l'Occident, l'un des livres culte de la Révolution conservatrice allemande.
Dégénérescence morale des Occidentaux
Le fait est que Soljenitsyne, même s'il ne mit jamais sur le même plan le totalitarisme communiste et le libéralisme occidental, aura des mots très durs, depuis le discours de Harvard en 1977, pour ce qu'il a appelé la « dégénérescence morale des Occidentaux », leur « manque de caractère » et pour tout dire de « virilité ». « À relire toute l'œuvre de Soljenitsyne publiciste, on reste frappé par son extraordinaire cohérence », écrit Nivat. « Tout est commandé par une vision historiographique précise : le mal vient de l'humanisme, de l'anthropocentrisme né à la Renaissance et importé en Russie depuis Pierre le Grand ». Selon Nivat, Soljenitsyne s'inscrit dans la lignée de ces Russes, d'Alexandre Herzen à Léon Tolstoï, pour lesquels il existe une “Russie éternelle” dont la vocation s'enracine moins dans la tradition grecque orthodoxe que dans une vieille Russie chrétienne du Nord et de l'Est sibérien fondée sur les communautés paysannes et l'amour mystique de la terre.
Il faudra bien s'y faire, Soljenitsyne est un fieffé “antimoderne”. Son culte de l'honneur, son amour des traditions et son sens du sacrifice, explique Nivat, est d'un autre temps. Mais qui dit que la nostalgie est par principe impuissante ? N'est-ce pas au nom d'une Russie que les marxistes considéraient comme “dépassée”, que Soljenitsyne a vaincu ses persécuteurs ? « Ses grands rappels dans le domaine de l'éthique et de la politique ne font plus recette. Et pourtant, ils correspondent en grande partie aux tâtonnements des nouvelles générations : ne pas mentir, rester soi-même, créer une démocratie à la base, plutôt qu'au sommet, pratiquer l'autolimitation dans sa vie personnelle, comme dans la consommation de masse », écrit Georges Nivat, pour qui la force de Soljenitsyne est d'avoir toujours transfiguré le réel par la foi, loin du réalisme bourgeois ou socialiste. « Ce qui pèse en l'homme, c'est le rêve », — écrivait Bernanos. Qui peut nier que, grâce à Soljenitsyne, le rêve d'une Russie régénérée ait pesé dans la balance de l'histoire ?
♦ Le Phénomène Soljenitsyne, Georges Nivat Fayard, 449 p., 25 €.
► Paul François Paoli, Figaro, 19/03/2009. http://www.archiveseroe.eu
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Victoire sémantique : 5 ans après Fabrice Robert, les médias utilisent de plus en plus le concept de « droite identitaire »
PARIS (NOVOpress) — Si l’on peut le résumer grossièrement, le principe de base du « gramscisme » est que les victoires culturelles précèdent les victoires politiques. D’où l’importance de la sémantique comme vecteur de nouveaux paradigmes.
C’est ainsi que les Identitaires, dans le droit fil de leur volonté d’être des éveilleurs de peuple, lancent des concepts repris (souvent avec déformation) par les politiques, les journalistes et les chercheurs. Dernier exemple en date : la droite identitaire.
Concept mis en avant dès 2007 par Fabrice Robert, président du Bloc identitaire, dans un texte exposant les différences entre les Identitaires et ce que l’on appelle communément la droite nationale. Intitulé « Orientations pour une droite identitaire », ce texte décrit un certain nombre de thèmes susceptibles de définir ce qui pourrait caractériser cette droite identitaire : Europe, social, identité. Ainsi que les méthodes et stratégies de cette droite identitaire. Méthodes et stratégies rappelées par Fabrice Robert et Philippe Vardon dans leurs diverses interventions lors de la dernière Convention identitaire. Cinq ans plus tard, il semble que ce concept de droite identitaire soit de plus en plus repris par les politiques, les journalistes et les chercheurs.
Précurseurs
Précurseurs, les Identitaires le sont. D’une part, parce que Patrick Buisson a défendu pendant la campagne présidentielle cette exigence d’identité et de social pour obtenir les suffrages des classes populaires. Alliance qu’il a développée dernièrement dans un entretien au Figaro, reprenant qui plus est les travaux du géographe Christophe Guilluy sur les fractures françaises, fractures notamment identitaires. Un Patrick Buisson pertinent vu que ce sont ces thématiques qui ont permis à Nicolas Sarkozy d’être proche de la victoire lors de la dernière campagne présidentielle. Une réussite reconnue par Christophe Guilluy lui-même.Cependant, les termes identitaires ont récemment mis sur le devant de la scène dans le cadre de l’élection pour la présidence de l’UMP. Ainsi dans un billet pour le site du Point, Philippe Tesson indique : « Du fait de la fracture qui la divise, fracture qui affecte même sa composante principale : l’UMP. On sait où passe cette ligne de fracture. Elle oppose une droite plus moderne, plus ouverte, à une droite plus conservatrice, plus identitaire. » Et ce pour expliquer la soi-disant fracture idéologique entre Jean-François Copé et François Fillon.
Or, s’il est bien une droite qui peut sembler moderne et novatrice, c’est la droite identitaire, notamment parce que la démondialisation, le localisme sont de nouveaux paradigmes, bien plus pertinents que le « centrisme » dont François Fillon serait l’une des incarnations.
La droite identitaire à la barre ?
Mais ce n’est pas la première fois que Jean-François Copé serait censé incarner cette droite identitaire. Ainsi, lors du lancement de la campagne « Pas mon président », le journaliste de Marianne Joseph Macé-Scaron, sur twitter, tenta d’imposer le terme de #droiteidentitaire pour tout ce qui se situerait – à ses yeux – « trop à droite », c’est-à-dire plus clairement dans une droite se voulant (ou se prétendant…) en rupture avec la « bienpensance multiculturaliste ».Ensuite, le politologue Gaël Brustier avait fait paraître le 21 novembre dernier une tribune dans le Monde titrée : « La droite identitaire à la barre ». Dans cette tribune, Gaël Brustier revient à la fois sur les thèmes mis en avant par Patrick Buisson mais aussi sur la stratégie suivie par Jean-François Copé.
Puis, toujours pour le Monde, la blogueuse et journaliste Coralie Delaume, du collectif « gauche populaire », comparait droite identitaire et gauche « diversitaire » : « Droite identitaire et gauche “diversitaire” : mêmes armes, même combat ? »
Cette « gauche populaire », très critique de la gauche « diversitaire » qu’est Terra Nova, prend au sérieux la dimension identitaire du combat politique et les nouveaux paradigmes qui en découlent. Ainsi, Laurent Bouvet, animateur de la « gauche populaire », est l’anti-Terra Nova par excellence et c’est en esprit libre qu’il avait répondu aux questions de Novopress sur son opposition au droit de vote des étrangers, voici quelques mois.
Le 6 mai dernier (jour de la victoire de François Hollande), Laurent Bouvet livrait sur les réseaux sociaux son malaise quant aux drapeaux étrangers brandis un peu partout sur la Place de la Bastille, et plus encore sur l’absence manifeste de drapeaux tricolores. Un peu dur à avaler pour celui qui entend redonner à la gauche le sens de la Nation et de la République, et dénonce la dérive communautariste.
Commentant la polémique, il s’effraie d’un affrontement entre « droite identitaire » et « gauche identitaire » (et l’on saisit bien que les deux ne défendraient pas la même identité…). Commentant l’émission de Frédéric Taddéi Ce soir ou jamais, il va même plus loin en affirmant que cet affrontement sera « l’un des clivages fondamentaux des temps à venir ».
Trait d’union valabale et viable
Si l’on constate que les éditorialistes et les chercheurs s’emparent aujourd’hui de ce concept – avec leur propre définition qui ne prend pas complètement en compte la spécificité des Identitaires – l’utilisation de ces termes montre bien que la thématique identitaire est une thématique majeure de la politique. A tel point que l’on peut affirmer que si d’aventure une union des droites devait se réaliser entre une partie de l’UMP et le FN, le seul trait d’union viable et valable serait la droite identitaire.Arnaud Naudin, Novopress http://fr.novopress.info/
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« L'Europe en dormition »
Historien, directeur de La Nouvelle Revue d'Histoire, Dominique Venner publie un recueil d'entretiens, Le Choc de l'Histoire, dans lequel il fait le point sur son itinéraire et sa pensée, brossant notamment le tableau d'une Europe rongée par une crise morale.
o L'Action Française 2000 – Vous vous définissez comme un « historien méditatif ». Qu'entendez-vous par cette formule ?
o Dominique Venner – Ce qui m'étonne toujours, c'est à quel point on s'étonne peu. Surtout en matière historique. Et pourtant l'étonnement est la condition première de la pensée. Dans l'interprétation conventionnelle de l'Histoire, on décrit la succession des événements comme nécessaire ou évidente. Mais c'est faux. Il n'y a jamais rien de nécessaire ni d'évident. Tout est toujours suspendu à l'imprévu. Ni Richelieu, ni Mazarin, par exemple, ni César ou Octave, ni l'empereur chinois Shi Huangdi, le grand fondateur, n'étaient nécessaires ou programmés par la Providence. Les uns et les autres auraient pu ne pas exister ou disparaître avant l'oeuvre accomplie.
Faits et imprévus
Devant les faits et les imprévus historiques, je me pose les questions que l'histoire paresseuse ne pose pas, je médite. Exemple : Louis XIV était appelé le roi très chrétien. En dépit de quoi, il fit bâtir Versailles et son parc comme un hymne aux divinités du paganisme antique. Surprenant, non ? Et source de réflexions nouvelles sur les représentations du roi et sur la religion de son temps, sans rapport avec une histoire pieuse inventée au XIXe siècle. Restons un instant sur le Grand Roi, témoin de la révolution anglaise et de l'exécution de Charles Ier en janvier 1649. Etonnante révolution ! Au siècle suivant, Edmund Burke a pu opposer la Glorious Revolution de 1688 à la Révolution française de 1789. Pourquoi en Angleterre une « révolution conservatrice » et pourquoi en France une révolution destructrice ? Bonne question et cent réponses. Voilà de quoi méditer. Comme, par surcroît, je suis né dans une époque inquiétante pour un Français et un Européen, une époque qui a vu l'effondrement de notre ancienne puissance et la ruine de certitudes réputées éternelles, je médite en étudiant l'Histoire hors de toute convention. À l'exemple d'Ulysse, je crois que la pensée est un préalable à l'action. Je crois même qu'elle est action.
o L'Europe est aujourd'hui « en dormition », écrivez-vous joliment. Pour quelles raisons ?
o Quand je pense "Europe", je ne pense pas à des structures politiques ou technocratiques, je pense à notre civilisation multimillénaire, à notre identité, une certaine façon "européenne" de penser, de sentir et de vivre qui traverse le temps. Oui, l'Europe est entrée en "dormition" historique. Quand ? Dans la seconde moitié du XXe siècle, après les catastrophes que furent pour elle les deux guerres qui ont commencé en 1914 et se sont terminées en 1945. Quand s'ouvrit l'Exposition universelle de Paris, en 1900, l'Europe était le centre intellectuel et spirituel du monde. Elle dominait tout presque partout. Les États-Unis n'étaient encore qu'une puissance marginale.
Un grand retournement
Cinquante ans après, quel retournement ! Après Yalta, l'Europe exsangue était divisée entre les deux nouvelles puissances surgies du siècle de 1914, les États-Unis et l'URSS. Deux puissances messianiques qui voulaient imposer leur modèle : américanisme et communisme. J'ajoute que l'Europe n'a pas seulement perdu sa puissance et ses colonies, elle a plus encore perdu foi en elle-même, rongée par une crise morale et une culpabilisation dont il n'y a pas d'exemple. Elle est entrée en "dormition".
o Vous vous montrez cependant optimiste quant à son réveil identitaire. Quelles sont donc, cette fois, les raisons d'espérer ?
o Ces raisons tiennent d'abord au "choc de l'Histoire" que nous vivons sans le savoir. Ce "choc" annonce une rupture d'époque. Il a commencé avec l'implosion de l'URSS et du communisme en 1989. Simultanément, d'anciennes puissances et d'anciennes civilisations que l'on croyait mortes connaissaient une renaissance spectaculaire, la Chine, l'Inde, l'Islam (malgré ses divisions), l'Amérique du Sud, pour ne parler que de grandes entités. Au monde unipolaire voulu par la puissance du dollar, succède un monde multipolaire qui redonnera ses chances à l'Europe. Pourtant celle-ci est confrontée à un péril historique inédit et géant, l'immigration massive de populations portant en elles une autre civilisation. L'immigration de masse produit sur le sol européen un choc de civilisation qui pourrait être mortel. Mais, par un formidable imprévu historique, il pourrait aussi se révéler salvateur. De l'altérité représentée par les populations immigrées et leurs moeurs, leur traitement de la femme qui nous choque au plus profond, on voit naître une conscience nouvelle de l'identité que les Européens eurent rarement dans le passé. J'ajoute qu'en dépit de tous les périls, je crois aussi à la survie des qualités fondamentales d'énergie et d'innovation des Européens. Pour le moment, elles ne s'exercent pas en politique, c'est pourquoi on ne les voit pas.
o En quoi les leçons de ces grands maîtres matinaux que furent Hésiode et Homère peuvent-elles être salutaires ?
o Homère nous a légué à l'état pur les modèles d'une morphologie mentale spécifique, la nôtre, avant les corruptions d'influences contraires. Nous avons besoin de nous en imprégner pour renaître spirituellement, préalable aux autres formes de renaissance. Les conséquences du siècle de 1914 ont jeté les Français et les Européens dans un trouble immense. Rien n'y échappe. Ce trouble atteint aussi bien les Églises que les laïcs. C'est si vrai que l'on assiste à des tentatives de rapprochement apparemment stupéfiantes entre le sommet de l'Église et l'Islam immigré. Ces tentatives choquent à juste titre beaucoup de catholiques. Elles ne relèvent pas seulement du "devoir d'accueil" qu'invoque une pastorale de soumission, mais aussi d'une sorte de solidarité entre "croyants" monothéistes face à l'indifférence religieuse croissante de la société. C'est le sens explicite de rencontres comme celles d'Assise. Bref, quand le trouble est général, il faut en revenir au tout à fait pur, aux sources fondamentales de notre civilisation qui sont antérieures au christianisme, ainsi que l'a rappelé Benoît XVI à Ratisbonne. Il faut donc en revenir à Homère et aux fondements granitiques des poèmes fondateurs, la nature comme socle, l'excellence comme principe et la beauté comme horizon. C'est une vérité qu'avait fortement perçue Charles Maurras dès sa jeunesse.
o Vous évoquez, non sans admiration, le « caractère intraitable » de Maurras. Le Martégal vous a-t-il influencé sur un plan intellectuel ?
o Je n'ai jamais caché mon admiration pour le courage de Maurras face aux épreuves. Mais j'ai également été un lecteur attentif des ses écrits de jeunesse et un observateur de son évolution. J'ai lu encore récemment la correspondance entre Charles Maurras et l'abbé Penon (1883-1928), publiée chez Privat en 2008. Il s'agit d'un document de première main. On sait que l'abbé Penon, futur évêque de Moulins, avait été le précepteur puis le directeur de conscience du jeune Maurras. Il vit sa tâche compromise par l'évolution de son élève et l'autonomie inflexible de son esprit. L'abbé avait introduit le garçon à la connaissance des Lettres antiques, ce qui le détourna peu à peu du christianisme.
Maurras et l'Église
Le séjour du jeune Maurras à Athènes pour les premiers Jeux Olympiques de 1898 acheva cette évolution. Tout est résumé dans sa lettre du 28 juin 1896 que je peux vous citer : « Je reviens d'Athènes plus éloigné, plus ennemi du christianisme qu'auparavant. Croyez-moi, c'est là-bas qu'on vécu les hommes parfaits. » Après avoir évoqué Sophocle, Homère et Platon, le jeune Maurras conclut : « Je reviens d'Athènes en polythéiste tout pur. Ce qui était à l'état vague et confus dans ma pensée s'est précisé avec éclat. » Jusqu'à sa mort en 1928, l'abbé Penon tentera de faire revenir Maurras sur cette conversion. Il n'obtiendra que des concessions de pure forme mais aussi l'argument par lequel Maurras dira qu'à ses yeux l'Église catholique avait jadis corrigé par son principe d'ordre ce qu'il y avait de pernicieux dans le christianisme originel.
o Vous êtes un adepte jüngerien du « recours aux forêts ». Y avez-vous trouvé la paix et-ou les moyens de préparer les guerres à venir ?
o Avant de beaucoup écrire, Ernst Jünger avait commencé par vivre dans les tranchées de la Première Guerre mondiale certaines idées qu'il a émises par la suite. Jünger était authentifié par sa vie. Ce qui m'a fait prendre au sérieux ses écrits. J'ajoute que l'image du « recours aux forêts » éveille en moi un écho très fort. Je n'y vois pas une incitation à prendre le maquis, mais à découvrir la haute spiritualité portée par les arbres et la nature, ainsi que le disait Bernard de Clairvaux : « Tu trouveras plus dans les forêts que dans les livres. Les arbres t'enseigneront des choses qu'aucun maître ne te dira. » Preuve que vivait encore en lui la spiritualité de ses ancêtres francs et gaulois. C'est ce que j'appelle la tradition. Elle chemine en nous à notre insu.
Propos recueillis par Louis Montarnal L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 3 au 16 novembre 2011
✓ D. Venner, Le Choc de l'Histoire, Via Romana, 179 pages, 20 euros. -
L’UMP, l’huître et les plaideurs – par Yves-Marie Laulan
Le bon Lafontaine l’avait déjà écrit bien avant nous.Un jour deux Pèlerins sur le sable rencontrentUne Huître que le flot y venait d'apporter :Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent ;À l'égard de la dent il fallut contester.L’huître, objet d’une convoitise acharnée, c’est évidemment la présidence de l’UMP où les deux protagonistes voient, peut-être à tort d’ailleurs, l’antichambre de l’élection présidentielle.Les plaideurs, chacun a reconnu les deux François, François Copé et François Fillon. On pourrait d’ailleurs appeler cet épisode charmant « la guerre des deux François ».Quand à Georges Dandin, mon Dieu, comment ne pas le distinguer sous les traits d’Alain Juppé, né malin, rusé, madré. Il espère bien, en fin de compte, empocher, tout ou tard la mise, grâce à une affaire qui le place enfin, le destin est miséricordieux, après tant d’avanies, en position d’arbitre, de vieux Sage, de Gourou même au sein de l’UMP.Pendant tout ce bel incident,Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge.Perrin fort gravement ouvre l'Huître, et la gruge.Il est loin le personnage d’il y a 15 ans, Monsieur « droit dans ses bottes », maigre et sec portant beau. Nourri au bon vin de Bordeaux, sa taille s’est épaissie, son visage empâté. Il ressemble enfin, et pour notre plus grand bonheur, à un radical socialiste bien rassurant, natif de notre bonne vieille région d’Aquitaine (foie gras, magret de canard, et armagnac).À ceci près qu’il a courageusement refusé de se présenter aux élections législatives, pour mieux préserver ses chances aux municipales, sans doute parce que les sondages ne le donnaient pas gagnant. Ce courage politique le désigne tout naturellement pour conduire l’UMP, enfin rassemblée sous sa houlette, à la victoire en 2017.Reste nos deux gaillards qui risquent fort de faire les frais de cette aventure et de rester piteusement sur le carreau.Ce repas fait, il dit d'un ton de Président :Tenez, la cour vous donne à chacun une écailleSans dépens, et qu'en paix chacun chez soi s'en aille.Vous voyez: tout y est.Entre les deux plaideurs, mon cœur balance. Entre Copé, teigneux, accrocheur et parfois arrogant et Fillon, doux, gentil, avenant, comment choisir ?En fait, il n’y a pas la moindre divergence politique entre ces deux personnages. Simplement un conflit entre deux ambitions et deux tempéraments. Mais voilà. Faut-il, pour mener un jour l’UMP à la bataille, un guerrier, un combattant, parfois insupportable, mais n’hésitant jamais à prendre des coups, et à en donner ?Ou faut-il préférer une personnalité bien sympathique, mais un peu molle, une sorte d’édredon politique en quelque sorte, bien décidée en tous cas à ne prendre aucun risque politique. On dit même qu’il aurait décidé de ne pas se présenter à la Mairie de Paris » de peur de se faire battre. Du Juppé tout cru ! Après tout, il a été pendant 5 ans le Sancho Pansa de Nicolas Sarkozy et avalé un nombre incalculable de couleuvres. Il aurait quand même pu en avaler une de plus de bonne grâce.Ce qui surprend un peu est sa réaction un peu rageuse, capricieuse, quasi féminine pourrait-on dire, à son échec aux primaires. Une fois il veut rafler la présidence ; le coup d’après, il n’en veut plus, mais à condition que son rival ne s’en empare pas. Un comportement de « mauvais perdant » qui augure mal de ce de ce qu’il pourrait faire à la tête d’un grand parti.Quand un grand quotidien du soir s’attriste, la larme à l’œil, de voir l’UMP se déchirer à belle dents, il faut y voir, bien au contraire, une manifestation de la belle santé rageuse d’un grand parti qui ne veut pas mourir encore. Après tout, à quoi nous a conduit l’unanimité servile bien rangée derrière Nicolas Sarkozy ? À l’échec. De cette furieuse empoignade sortiront, peut-être, les germes d’une belle victoire de la droite dans 5 ans.Quant aux « cicatrices » dont on parle tant, dans quelque mois, une année au plus, on n’y pensera plus. « Une nuit de Paris aura effacé tout cela ». C’est ça la politique.
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Les conséquences de la loi Taubira, par Bernard Lugan
L’on croyait avoir tout vu à propos de la repentance ! Or, au moment où, à Gorée, François Hollande se couvrait la tête de cendres (voir mon communiqué du 12 octobre), le cabinet du Premier ministre français reconnaissait qu’il avait été demandé à un « collectif » d’associations de « faire des propositions sur ce qui peut être fait en termes de réparations ». Rien de moins ! Français, à vos portefeuilles…
Peut-être pourrait-on suggérer à Monsieur le Premier ministre de mettre particulièrement à contribution les habitants de sa bonne ville de Nantes, elle qui fut une capitale de la Traite et dont les électeurs apportent régulièrement leurs suffrages au parti socialiste…
La question des réparations est régulièrement posée depuis que, sous un Président de « droite » et un Premier ministre de gauche, les députés votèrent à l’unanimité et en première lecture, la loi dite « Taubira », loi qui fut définitivement adoptée le 10 mai 2001.
Jacques Chirac décida ensuite que ce même 10 mai, serait désormais célébrée la « Journée des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions ». Cette décision plus qu’insolite rompait avec une sage pratique voulant, sauf exception, que des dates du passé soient toujours choisies pour célébrer les évènements historiques. Or, avec le 10 mai, ce fut une date du présent qui allait permettre de commémorer des évènements du passé.
Pourquoi ne pas avoir choisi le 27 avril, date anniversaire de l’abolition de l’esclavage en France (27 avril 1848) pour célébrer cette « Journée des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions » ? L’air du temps y fut naturellement pour quelque chose…
Il est d’ailleurs proprement stupéfiant de devoir constater que, littéralement couchés devant le politiquement correct, tous les députés de « droite », je dis bien TOUS, votèrent cette loi qui ne dénonce pourtant qu’une seule Traite esclavagiste, celle qui fut pratiquée par les seuls Européens, loi qui passe sous silence le rôle des royaumes esclavagistes africains et la traite arabo-musulmane. L’ethno-masochisme de nos « élites » semble sans limites !
Quelques années plus tard, Christiane Taubira a osé déclarer qu’il ne fallait pas évoquer la traite négrière arabo-musulmane afin que les « jeunes Arabes (…) ne portent pas sur leur dos tout le poids de l’héritage des méfaits des Arabes » (L’Express du 4 mai 2006) !
L’énormité de la demande concernant les réparations est telle que le gouvernement va nécessairement devoir clarifier sa position. Il est même condamné à le faire devant l’impopularité et l’incongruité d’une telle démarche. Mais, harcelé par les groupes de pression qui constituent son noyau électoral, il va devoir donner des compensations « morales » aux « associations » concernées. Nous pouvons donc nous attendre à une nouvelle rafale de mesures de repentance.
Voilà comment l’histoire est violée et comment le totalitarisme liberticide se met en place. Lentement, insidieusement, mais sûrement.
Bernard Lugan 14/10/12 via http://www.reseau-identites.org/
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Soljénitsyne, Stolypine : le nationalisme russe contre les idées de 1789
Soljénitsyne a réalisé son rêve : être lu par ses compatriotes. En juillet 1989, Alexandre Soljénitsyne déclare à un journaliste du Time-Magazine : « Je ne doute pas que mon roman historique La Roue rouge sera un jour édité dans son entièreté en Union Soviétique ». Et quand l'auteur du Pavillon des Cancéreux dit “dans son entièreté”, cela signifie avec le troisième tome de la trilogie, intitulé Mars 1917. Soljénitsyne n'avait pas répondu aux journalistes depuis des années, arguant que son devoir premier était d'achever son œuvre littéraire. La raison qui l'a poussé à rompre le silence réside dans un chapitre complémentaire, épais de 300 pages, décrivant le « jacobin Lénine » comme « un homme d'une incroyable méchanceté, dépourvu de toute humanité ». Lénine serait ainsi un Robespierre ou un Saint-Just russe, qui aurait précipité son peuple et son pays dans le dénuement le plus profond, dans une tragédie sans précédent, car Lénine aurait haï sans limites tout ce qui touchait à la Russie. Lénine voulait détruire l'identité russe. Ce « terroriste génial » était tout à la fois le tentateur et le destructeur de la Russie. « Je suis un patriote », — écrit aujourd'hui celui qui démasque Lénine et révèle sa folie. « J'aime ma patrie qui est malade depuis 70 ans, détruite, au bord de la mort. Je veux que ma Russie revienne à nouveau à la vie ».
Stolypine haï par les libéraux et les “Cadets”
Pour Soljénitsyne, l'anti-Lénine était Piotr Stolypine (1862-1911). Après la révolution de 1905, ce conservateur non inféodé à un parti, cet expert agricole, devient tout à la fois Ministre de l'intérieur et Premier ministre. En engageant la police à fond, en créant des tribunaux d'exception, en dressant des gibets, en bannissant les récalcitrants, il met un terme à la terreur des anarchistes, des sociaux-révolutionnaires et des bolcheviques ; dans la foulée, il introduit les droits civils et jette les bases d'une monarchie constitutionnelle. Son principal mérite consiste en une réforme agraire radicale visant à remplacer le “mir” (c'est-à-dire la possession collective du village), tombé en désuétude, par une large couche de paysans indépendants et efficaces, générant un marché des biens agricoles : Stolypine avait voulu résoudre ainsi la question paysanne par des moyens pacifiques, grâce à une révolution d'en haut. Mais ce réformateur russe refusait d'introduire en Russie le démocratisme à la mode occidentale, pour des raisons d'ordre spirituel et moral. Stolypine, en effet, était un adversaire philosophique des idées de 1789. En cela, il s'attira la haine des libéraux de gauche, qu'on appelait alors les “Cadets” en Russie, des sociaux-démocrates et des marxistes, c'est-à-dire la haine de toute la fraction “progressiste” de la Douma. Le 18 septembre 1911, il meurt victime d'un attentat perpétré contre lui dans l'opéra de Kiev, sous les balles du revolver d'un étudiant anarchiste, Mordekhaï Bogrov, qui était aussi un indicateur de la police.
Réhabilitation de Stolypine par la Pravda
Six ans après la rédaction du chapitre consacré à Stolypine dans Août 1914, le parti communiste opère un revirement sensationnel en ce qui concerne Stolypine. Depuis 1917, le nom de Stolypine avait été maudit par les bolcheviques qui en avaient fait l'exemple paradigmatique de l'homme d'État mu par la haine des socialistes et des marxistes et pariant sur la terreur policière et sur l'oppression du peuple. Cette caricature de Stolypine n'a plus cours désormais. Le 3 août 1989, la Pravda annonçait sa réhabilitation. Le maudit d'hier devenait un réformateur politique sans peur ni reproche, l'ancêtre direct de la perestroïka ! Il est enfin temps, expliquait l'organe du parti, de « rendre justice historiquement » à ce Russe qui aurait pu, par sa réforme agraire, donner vie à des fermes autonomes, économiquement saines et viables. Peu de temps auparavant, la Literatournaïa Gazeta avait publié un entretien avec le fils de Stolypine, qui vit à Paris, tandis que le journal Literatournaïa Rossiya annonçait la publication d'une courte biographie du ministre et réformateur tsariste. Ce revirement aurait-il été possible sans Soljénitsyne ?
Un programme non encore réalisé
Ce formidable chapitre d'Août 1914, consacré à Stolypine, n'a pas qu'une valeur purement littéraire, c'est une leçon doctrinale, où se reflète toute l'idéologie de Soljénitsyne, tout son projet d'ordre nouveau. Soljénitsyne parle d'une « réforme historique », glorifie le « plan global et complet [de Stolypine] pour modifier de fond en comble la Russie ». Suppression des bannissements et de la gendarmerie, mise sur pied d'une justice locale, proche des citoyens, avec des juges de paix élus, raccourcissement des périodes de détention, constitution d'un système d'écoles professionnelles, réduction de l'impôt pour les personnes sans trop de ressources, diminution du temps de travail, interdiction du travail de nuit pour les femmes et les enfants, introduction du droit de grève et autonomisation des syndicats, sécurité sociale étatisée pour les personnes incapables de travailler, les malades, les invalides, les vieillards : c'était bel et bien la perestroïka d'un conservateur révolutionnaire inaccessible à la corruption, ascétique, dont les idées sont toujours actuelles, et qui n'ont pas été réalisées dans l'État des bolcheviques, où n'a régné que la pauvreté, n'a dominé que l'appareil policier et dans lequel, finalement, nous avions une version moderne, étatisée et centralisée du servage et/ou du despotisme asiatique. Soljénitsyne écrit à ce propos : « Il semble que pendant toute la durée du XXe siècle, rien de tout cela n'a été réalisé dans notre pays, et c'est pour cela que ces plans ne sont pas encore dépassés ».
Mais en quoi consistait la philosophie réformiste de Stolypine ? Qu'est ce qui distinguait ce modernisateur et ce monarchiste des adeptes idolâtres des Lumières occidentales, c'est-à-dire l'intelligentsia de gauche ? Eh bien, ce qui le distingue, c'est une autre vision de la liberté, une autre anthropologie, le refus absolu d'une solution reposant sur les « pogroms et les incendies volontaires ». Empêcher « l'effondrement de la Russie » ne pourra se faire, d'après Stolypine (et d'après Soljénitsyne !), que par une “restauration d'un ordre et d'un droit correspondant à la conscience du peuple russe”. Les thèses centrales de Stolypine sont les suivantes :
« Entre l'État russe et l'Église chrétienne existe un lien vieux de plusieurs siècles. Adhérer aux principes que nous lègue l'histoire russe sera la véritable force à opposer au socialisme déraciné ».
Des hommes solides issus du terroir
« Pour être viable, notre réforme doit puiser sa force dans des principes propres à la nationalité russe, c'est-à-dire en développant l'idée et la pratique de la semstvo. Dans les couches inférieures, des hommes solides, inébranlables, issus du terroir doivent pouvoir croître et se développer, tout en étant liés à l'État. Plusieurs millions d'êtres humaines en Russie appartiennent à ces couches inférieures de la population : elles sont la puissance démographique qui rendent notre pays fort… L'histoire nous enseigne, qu'en certaines circonstances, certains peuples négligent leurs devoirs nationaux, mais ces peuples-là sont destinés à sombrer dans le déclin ».
« Le besoin de propriété personnelle est tout aussi naturel que le sentiment de la faim, que l'instinct de conservation de l'espèce, que tout autre instinct de l'homme ».
« L'État russe s'est développé à partir de ses propres racines, et il est impossible de greffer une branche étrangère sur notre tronc russe ».
« La véritable liberté prend son envol sur les libertés citoyennes, au départ du patriotisme et du sentiment d'être citoyen d'un État… L'autocratie historique et la libre volonté du monarque sont les apanages précieux de la “statalité” russe, car seuls ce pouvoir absolu et cette volonté ont vocation, dans les moments de danger, où chavire l'État, de sauver la Russie, de la guider sur la voie de l'ordre et de la vérité historique ».
Contre la guerre contre l'Autriche
Quant à Soljénitsyne, il écrit :
« Pour nous, la guerre signifierait la défaite et surtout la révolution. Cet aveu pouvait en soi susciter bien de l'amertume, mais il était moins dur à formuler pour un homme qui, dès le départ, n'a pas eu la moindre intention de faire la guerre et ne s'est jamais enthousiasmé pour le messianisme panslaviste. Égratigner légèrement la fierté nationale russe n'est rien, finalement, quand on étudie le gigantesque programme de rénovation intérieure que proposait Soljénitsyne pour sauver la Russie. Stolypine ne pouvait pas exprimer ses arguments ouvertement, mais il a pu faire changer l'avis du Tsar, qui venait de se décider à mobiliser contre l'Autriche : une guerre avec Vienne aurait entraîné une guerre avec l'Allemagne et mis la dynastie en danger (Ce jour-là, Stolypine a dit dans son cercle familial restreint : “Aujourd'hui, j'ai sauvé la Russie !”). Dans des conversations personnelles, il se plaignait des chefs de la majorité militante de la Douma. Les Cadets voulaient la guerre et le hurlaient sans retenue (tant qu'ils ne devaient pas mettre leur propre peau en jeu !) ».
Plus de “Février” libéral !
Tout comme cet assassiné, cet homme qui a connu l'échec de sa réforme agraire radicale, qui n'a pas pu humaniser socialement la majorité du peuple, — ce qu'il considérait comme le devoir de son existence sur les plans moral, religieux, national et spirituel —, l'ancien officier d'artillerie Soljénitsyne a décidé de s'engager pour son peuple asservi en cherchant à l'éduquer politiquement, à lui redonner une éthique nationale, à préparer sa renaissance. S'il vivait aujourd'hui en URSS, s'il était revenu d'exil, il ne trouverait pas sa place dans les partis d'opposition “radicaux de gauche” de Boris Eltsine, dont les partisans souhaitent l'avènement d'une sociale-démocratie. L'histoire russe serait-elle condamnée à errer d'un février libéral-démocrate à un octobre bolchevique puis à retourner à un février, tenu par ceux-là même qui avaient failli jadis devant les léninistes ? C'est contre cette éventualité d'un retour à la sociale-démocratie que Soljénitsyne lance ses admonestations. Jamais de second février !
Soljénitsyne voit dans le communisme — dont il considère les variantes “réformistes” comme un mal — un avatar abominable de « l'humanisme rationaliste » des Lumières, comme le produit d'une « conscience a-religieuse ». Il a été imposé à la Russie par l'Occident, avec l'aide d'“étrangers”, alors qu'il n'avait aucun terreau pour croître là-bas. « Le peuple russe est la première victime du communisme ». Pour Soljénitsyne donc, le communisme est l'enfant légitime de l'“humanisme athée”, un phénomène fondamentalement étranger à la russéité, un traumatisme qui doit être dépassé, donc annihilé (« au cours d'une révolution sans effusion de sang »). Avec des arguments tout aussi tranchés, Soljénitsyne condamne à l'avance toute restauration du système des partis, comme celui que les mencheviks avaient installé en février 1917. Il considère que la démocratie partitocratique est une forme étatique spécifiquement occidentale, est le fondement du mode de vie occidental né dans le giron de l'idéologie des Lumières.
Sakharov, Eltsine : nouveaux “Cadets”
La querelle entre slavophiles et occidentalistes a repris de plus belle. Andreï Sakharov, tête pensante de la fraction d'Eltsine au congrès des députés, plaide pour une convergence entre l'Est et l'Ouest, entre le capitalisme libéral et le “capitalisme monopolistique d'État”, pour un rapprochement entre les systèmes, qui ont des racines idéologiques communes : celles des Lumières. Les “radicaux de gauche” déclarent ouvertement aujourd'hui qu'ils veulent réintroduire le système pluripartite du modèle occidental. Il y a six ans pourtant, Soljénitsyne avait rétorqué que c'était plutôt l'Occident décadent qui avait besoin d'être sauvé :
« C'est presque tragi-comique de constater comment nos pluralistes, c'est-à-dire nos dissidents démocrates, soumettent à l'approbation bienveillante de l'Occident leurs plaintes et leurs espoirs, sans voir que l'Occident lui-même est à deux doigts de son déclin définitif et n'est même plus capable de s'en prévenir ».
Dés-humanisation sous le masque de la “liberté”
C'est en faveur de tout gouvernement « qui se donnera pour devoir de garantir l'héritage historique de la Russie » (Stolypine), et se montrera conscient de cette mission, que Soljénitsyne prend position dans les débats à venir. Il a résolument rompu les ponts, tant sur le plan intellectuel que sur le plan historique, avec ce processus de dés-humanisation qui a avancé sous le signe d'une “liberté” qui n'est que liberté de faire le mal, d'écraser son prochain, de se pousser en avant sans tenir compte d'aucune forme de communauté ou de solidarité.
« L'“humanité” comme internationalisme humanitaire, la “raison” et la “vertu” comme fondements d'une république extrême, l'esprit réduit à de purs discours creux virevoltant entre les clubs jacobins et les loges du Grand Orient, l'art réduit à un pur jeu sociétaire ou à une rhétorique dissolvante, hargneuse, au service de la “faisabilité sociale” : tels sont les ingrédients de ce nouveau pathos sans racines, de cette nouvelle politique “illuministe” à l'état pur… ».
Cette dernière phrase pourrait être de Soljénitsyne, mais elle a été écrite par Thomas Mann en 1914. “Que penses-tu de la Révolution française ?”. Question banale mais qui révèle toujours les positions politiques de celui qui y répond, surtout en cette année du bicentenaire. Le Russe Soljénitsyne y répond et donne par là même, à son propre peuple et à l'humanité toute entière, une réponse tout-à-fait dépourvue d’ambiguïtés.
► Wolfgang Strauss, Vouloir n°129/131, 1994. http://www.archiveseroe.eu
(texte tiré de Criticón n°115, sept. 1989 ; tr. fr. : RS)
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Accroissement vertigineux de la pauvreté Entretien avec Noam Chomsky (1994)
Noam Chomsky, le plus important des philosophes de la gauche américaine, accuse le système occidental d'avoir provoqué une « escalade de la misère » sans précédent. Clinton et les 2 partis américains, asservis à la grande industrie, en sont responsables. Paolo Morisi, le correspondant à Boston de l'hebdomadaire romain L'Italia settimanale, l'a rencontré chez lui pour son journal.
Les données que nous révèle le Census Bureau américain sont claires : le gouffre entre riches et pauvres s'élargit toujours davantage. La pauvreté a augmenté de 14,5% en 1992 et touche désormais 36,9 millions d'Américains. Aujourd'hui, un enfant sur quatre vit dans un état de pauvreté chronique, naît dans une famille détruite où la figure du père est absente. Selon Frank Levy, professeur au Massachussets Institute of Technology (MIT), les pauvres sont face à un horizon plus triste qu'il y a 30 ans, vu les changements qui sont survenus dans le marché du travail et qui tendent à défavoriser les travailleurs les moins spécialisés.
Peter B. Edelman, consultant pour le Département de la Santé, affirme qu'outre les changements dans l'économie, l'Amérique ne peut s'en prendre qu'à elle-même : elle est responsable de ses pauvres. « Nous avons perdu la volonté, au niveau national, de faire quelque chose pour les pauvres ». Et il accuse : « Reagan et Bush ont montré qu'ils ne cultivaient aucune préoccupation pour les plus démunis ». Le débat sur la pauvreté est pourtant bien présent dans les colonnes des principaux quotidiens américains. Tant les libéraux (c'est-à-dire la gauche) que les conservateurs pensent qu'ils détiennent la bonne stratégie pour contrer cette pauvreté omniprésente, mais leurs discours nous semblent bien confus.
Alors, qui a les idées les plus claires sur la question ? Noam Chomsky, le célèbre linguiste de notoriété internationale, un intellectuel juif connu pour ses provocations (en 1980, sa lettre défendant la liberté d'expression et par là la possibilité d'ouvrir sereinement à tout débat contradictoire sert d'avant-propos à un livre de l'historien “révisionniste” français Robert Faurisson alors poursuivi en justice) et pour ses positions pacifistes radicales. Dans le passé, Chomsky, qui enseigne au MIT, a critiqué durement l'invasion israélienne du Liban, ce qui lui a valu une excommunication signée par 3 rabbins et, plus récemment, il s'est aliéné le monde culturel et politique américain en condamnant ouvertement la Guerre du Golfe.
♦ Q. : La pauvreté n'a fait qu'augmenter depuis 1992. Le gouffre entre riches et pauvres est plus large que jamais aux États-Unis. Qu'en pensez-vous ?
NC : La disparité sociale croissante est une tendance de longue haleine, due aux changements profonds de l'économie internationale au cours de ces 20 dernières années. Un facteur crucial a été la désintégration du système économique mondial voulu par Nixon au début des années 70, à l'époque des accords de Bretton Woods. Ces mesures ont conduit à une forte expansion des capitaux libres (14 millions de milliards de dollars, selon la Banque Mondiale) et à une accélération rapide de la globalisation de l'économie, ce qui a rendu possible le transfert de la production vers des pays où règne une forte répression sociale et où les salaires sont très bas. Autre conséquence : le déplacement des capitaux d'investissement à long terme vers la spéculation et le commerce. Selon une estimation de l'économiste John Eatwell de l'Université de Cambridge, aujourd'hui, 90% du capital est utilisé à des fins spéculatives, contre 10% en 1971 ! Les effets à long terme sont clairs : la Communauté Européenne elle-même, en tant qu'entité politico-économique, n'est plus en mesure de défendre les monnaies européennes contre la spéculation.
La planification de l'économie nationale des pays riches est considérablement menacée et les pays pauvres subissent un terrible désastre. Le monde est canalisé vers un équilibre qui sera caractérisé par une croissance basse et de bas salaires. Le modèle dual propre au tiers-monde, avec des îlots de richesse au milieu d'une mer de pauvreté, s'est internationalisé, de concert avec une internationalisation de la production. Les raisons de cette évolution sont claires et visibles dans le monde entier. Les gouvernements répondent d'abord aux nécessités du pouvoir domestique, incarné en Occident par les secteurs de la haute finance et des firmes multinationales. Pour le reste, la population, même dans un pays riche comme les États-Unis, devient pour une bonne part superflue pour la production de profits et de richesses, qui sont les valeurs premières de la société capitaliste.
♦ L'Administration Clinton pense-t-elle sérieusement à améliorer les conditions des moins privilégiés ? Comment expliquer que les idées et le programme de Clinton jouissent d'un grand prestige auprès des partis de gauche européens ?
L'Administration Clinton n'a strictement rien fait pour résoudre les problèmes sociaux et économiques internes. Je suis resté stupéfait quand j'ai vu que les partis de la gauche européenne se sont alignés sur les “clintoniens” ; c'est un bien curieux exemple de conditionnement et de subordination à la propagande américaine. Clinton s'est présenté comme un “Nouveau Démocrate”, un représentant de l'aile la plus conservatrice du parti démocrate, que l'on distingue à peine des républicains modérés. Les “Nouveaux Démocrates” se vantent d'avoir abandonné les “clichés” de gauche que sont la redistribution, les droits civils, etc. et de se préoccuper principalement des investissements et de la croissance économiques. Il est vrai qu'ils parlent aussi de l'emploi, mais sur le même ton que Bush et que le Wall Street Journal. Il ne faut point trop gratter : on s'aperçoit bien vite que pour ces messieurs le mot “emploi” a la même signification que “profit”.
L'électorat primaire de Clinton, c'est le secteur de management industriel. En fait, la problématique majeure de la campagne électorale de 1992 était la suivante : on s'est demandé jusqu'à quel point l'État devait protéger les intérêts de cette caste de privilégiés. La réforme dans le domaine de la santé, qui a été l'initiative majeure de Clinton au niveau national, est un exemple patent : il nous indique pourquoi le Président a pu attirer à lui tant de voix issues des castes économiques dirigeantes. La majorité de la population voulait que s'instaure aux États-Unis, comme dans toutes les nations civilisées, une forme d'assistance sanitaire publique. Le plan de Clinton a ainsi satisfait 2 conditions requises par le pouvoir industriel : a) il est radicalement régressif et n'est pas basé sur l'impôt ; b) il octroie un rôle déterminant aux compagnies d'assurances et les gens devront payer les frais immenses de leurs campagnes publicitaires, les hauts salaires de leurs directeurs, leurs profits, leur bureaucratie, etc.
Mes critiques valent également pour les autres points du programme de Clinton, dont l'Administration accorde un rôle prépondérant aux “faucons” dans les rapports avec les pays du tiers-monde et subsidie les exportations américaines en violation des accords du GATT.
♦ Vous ne croyez donc pas que l'Administration Clinton sera plus ouverte aux idées progressistes ? Que penser alors de l'attention toute spéciale que le Vice-Président Gore accorde aux problèmes écologiques ?
L'Administration Clinton ne s'intéresse nullement aux idées progressistes, à moins qu'elles ne puissent être manipulées et instrumentalisées au profit des managers industriels, des financiers de pointe ou des professionnels de l'argent. Pour toutes ces catégories sociales, une forme restreinte d'écologisme est bien vue. En fait, cela ne leur plaît guère que la détérioration de la couche d'ozone nuise aux peuples blancs de l'hémisphère nord ; ils veulent protéger leurs maisons de vacances de l'invasion des exclus et ils évoquent alors des restrictions à la construction de bâtiments dans les zones où ils se sont établis. Mais sur les questions qui touchent directement les droits et les devoirs des puissants et des riches, il ne me semble pas que Clinton et Gore aient fait grand'chose.
♦ Bon nombre de politologues affirment qu'entre le parti démocrate et le parti républicain une convergence s'est établie en politique étrangère et ils citent la Somalie et l'Irak pour étayer leurs arguments. Si une telle convergence existe, pensez-vous qu'il y a aussi une approche commune des problèmes économiques et sociaux internes ?
Les 2 principaux partis politiques américains ne sont au fond que 2 avatars d'un seul et même parti, celui qui défend les intérêts de la grande industrie. Ils sont tellement semblables sur le plan de la culture et de l'imaginaire politiques qu'ils pourraient parfaitement échanger leurs positions sans que personne ne s'en apercevrait ! Pendant les élections de 1984, la plate-forme républicaine envisageait une croissance militaire de type keynésien, stimulée par des prêts énormes contractés par l'État, tandis que les démocrates présentaient un programme de limitation fiscale. Pour autant que je le sache, aucun commentateur politique ne s'est aperçu que les 2 partis avaient tout simplement échangé leurs rôles traditionnels.
Les programmes du Républicain Reagan ont été étonnamment similaires à ceux du Démocrate Kennedy. Leur objectif principal est de faire croire que le système politique est toujours en mouvement, de façon à ce que les électeurs ne perdent pas intérêt à la politique. Environ la moitié de la population croit que le gouvernement est aux mains des grands potentats de l'économie qui ne sont là que pour défendre leurs propres intérêts, et que les 2 partis devraient purement et simplement être abolis. Environ le même nombre de citoyens ne va pas voter.
Pendant plusieurs décennies, le gouvernement américain s'en est tenu à un principe doctrinal : la politique étrangère devait être basée sur la bipartition, ce qui équivaut à une forme de totalitarisme. La politique intérieure, elle, révélait des disputes d'ordre tactique. Sur la plupart des problématiques cruciales, le public est tenu en dehors de la sphère de décision. En fait, la majorité de la population s'oppose à toutes les options prises en considération pour la réforme du système de santé, et refuse le Traité instituant l'ALENA (NAFTA : North American Free Trade Agreement), que l'on fait passer pour un accord de commerce libre, alors qu'il ne l'est pas.
Le pouvoir est aux mains des grands potentats de l'économie, dans une société largement dépolitisée, où les options pour une véritable participation politique sont extrêmement ténues car les simples citoyens n'ont ni la force ni la volonté de faire valoir leurs intérêts qui sont ceux de la communauté nationale toute entière. Ce qui est intéressant à noter dans notre pays, c'est que tout cela se passe dans l'État qui croit incarner la société la plus libre du monde !
♦ Prof. Chomsky, nous vous remercions de nous avoir accordé cet entretien.
► Propos recueillis par Paolo Morisi, Vouloir n°114/118, 1994.http://www.archiveseroe.eu
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J. Bourbon à Synthèse Nationale
"Jamais sans doute dans l'histoire des hommes, dans l'histoire de notre civilisation, nous n'étions tombés aussi bas."(J. B. le 11 novembre 2012)
Jérôme Bourbon - Journée de Synthèse Nationale -... par confiteor-II -
CULTURE : DE LA RÉSISTANCE Á la reconquête (Le Rat noir)
JACK MARCHAL … un parcours nationaliste 100 % politiquement incorrect
Présenter Jack Marchal n'est pas une mince affaire. Véritable pôle culturel nationaliste, il hante les groupes les plus mythiques (Occident, GUD, Ordre Nouveau, PFN) avec son humour décapant depuis plus de 30 ans … Selon ses dires : " C'est en voyant les gauchistes du campus de Nanterre que j'ai compris que les ennemis de ces bâtards ne pouvaient être que mes amis ; voilà comment j'ai rejoint la croix celtique, dans l'hiver 1966-1967 ". Dans l'article qui suit, il nous décrit, en tant que bédéphile averti, la genèse du symbole du militantisme nationaliste radical, le rat noir ! Ce rat maudit à l'humour au vitriol qui a contribué à un certain état d'esprit, combinant agression verbale, autodérision, nostalgie humoristique de ce qui est détesté par ceux d'en face, provocation et fierté ; cet humour " rouge-noir " qui constitue l'apanage des mouvements nationalistes-révolutionnaires en France, Belgique, Espagne et Italie… Homme de culture (dessinateur dans Alternative, célèbre revue du GUD, auteur avec Frédéric Chatillon et Thomas Lagane de l'ouvrage " Les Rats Maudits " sur 30 ans d'histoire des mouvements nationalistes étudiants en France), Marchal est aussi un musicien, précurseur de l'aventure du RIF, auquel il participe d'ailleurs. En 1979, il avait réalisé un album intitulé " Science & Violence " (réédité), et les plus anciens militants belges francophones se souviendront des images du reportage " L'Orchestre Noir " le montrant en concert au local du PFN - Front de la Jeunesse à cette époque. Aujourd'hui, il est guitariste au sein du groupe Elendil (très proche de notre revue) et a encore récemment enregistré des chansons en solo (album " Sur les terres du RIF "). Toujours selon ses paroles, il trouve son éternelle motivation " en regardant autour de lui et en faisant fonctionner sa cervelle ".
Peux-tu nous expliquer la genèse du Rat Noir ?
Il est apparu comme symbole du GUD il y a trente ans, fin janvier 1970. De façon fortuite, sans toutefois être totalement le fruit du hasard. Je m'explique. A cette époque une pléthore de groupuscules politico-syndicaux d'ultra-gauche avait profité du rapport de forces résultant de mai 1968 pour coloniser les universités françaises. Les halls de fac étaient bondés de stands et de panneaux couverts d'affiches manuscrites aux textes interminables et répétitifs, des types passaient leurs journées à gratter sur grand format des manifestes révolutionnaires, c'est incroyable comme les marxistes savent être verbeux quand on les laisse faire. Au centre juridique parisien Assas, où nous nous étions infiltrés dans la foulée de nos adversaires, le GUD tentait de se distinguer de la logorrhée ambiante avec des affiches limitées autant que possible à quelques slogans humoristiques tracés avec une graphie spécifique. On nous repérait au premier coup d'œil, même en l'absence de logo (depuis la dissolution d'Occident nous n'osions pas encore ressortir la croix celtique). J'étais de ceux qui étaient chargés de faire ces affiches (ou du moins d'en vérifier l'orthographe...), sous le contrôle de Frédéric B., un des anciens dirigeants d'Occident ? un pro, il sortait des Beaux-Arts, dessinait les affiches d'Occident, a aussi exécuté les premières d'Ordre Nouveau. Il nous avait enseigné que seule l'esthétique est révolutionnaire et qu'imposer un style est le meilleur moyen d'être vu et d'acquérir du pouvoir. Cependant, en cet hiver 1969-70, il arrivait à nos adversaires de marquer des points en affichant des caricatures, parfois pas mauvaises, qui attiraient le regard et étaient souvent dirigées contre nous. On ne pouvait pas se laisser distancer, il fallait répliquer par la surenchère : le GUD s'exprimerait par des bandes dessinées géantes, et en couleurs, lisibles à dix pas ! J'avais fait pas mal de BD quand j'avais 10-12 ans, rien dessiné depuis, mais je m'y suis remis. Et nous avons lancé une chronique illustrée drôlatique, quasi-quotidienne, j'y passais deux heures chaque fin d'après-midi au local du GUD; avec d'autres camarades nous délirions en chœur pour sélectionner les idées les plus saugrenues... L'actualité en offrait à foison, l'agitation universitaire faisait des pages entières dans les journaux. J'ai été amené ainsi à traiter du cas du doyen de l'université de Nanterre, que les gauches avaient forcé à se réfugier dans un local de service. Dans notre chronique illustrée je l'ai présenté vautré dans les poubelles parmi les arêtes de poisson et les épluchures. J'ai aussi mis un rat, c'était logique dans un tel environnement... A sa première apparition, il était juste là pour ronger un trognon de carotte, mais il n'a pas tardé à exprimer des commentaires sarcastiques dans son coin. Il était bien pratique, ce rat. C'est une tendance assez naturelle de mettre en marge un petit personnage adventice qui fait contrepoint avec la scène principale (procédé systématique chez Brueghel comme chez beaucoup de cartoonists américains, sans oublier Gotlib et sa coccinelle. Je note que depuis quelque temps l'infâme Plantu ne manque jamais de placer une petite souris dans un coin des dessins qu'il publie en une du Monde ? le malheureux sait-il sur quelle pente glissante il s'engage ?...). Donc, nous voilà avec ce rat accessoire qui, au fond, disait ce que nous avions à dire. C'est alors que Gérard Ecorcheville, le camarade qui à ce moment-là gérait la propagande du GUD, eut une illumination dont on ne pourra jamais assez le remercier : " Hé, ce rat... Mais c'est nous ! ". Cette remarque géniale a levé une des principales difficultés qui se posait à moi, et qui était de savoir comment représenter le GUD dans les événements où il était acteur. Sous l'aspect d'héroïques chevaliers hyperboréens ? de jeunes filles et jeunes gens propres sur eux ? en brutes casquées toujours victorieuses ?... Bref, en un tournemain, nous avons trouvé à la fois une auto-représentation satisfaisante, un logo, un signe de ralliement qui faisait clairement la différence entre nous et tous les autres, un symbole, tout un style qui allait avec... Ça a été un succès immédiat, du jour au lendemain tout Assas a su que GUD = rats, les foules se bousculaient pour lire la chronique du jour, le rat a été copié et recopié partout où des militants se reconnaissaient dans le GUD, il est même passé à la télévision à propos d'incidents ayant eu lieu à Assas en février-mars 1970.
Par-delà l'anecdote de la remise à poubelles de Nanterre, la symbolique du Rat Noir ne plonge-t-elle pas des racines plus lointaines ?
En effet, mais si tu veux je propose de remonter dans le temps à la recherche des indices qui jalonnent la préhistoire du bestiau. Il résulte de la confluence d'un tas de facteurs. Comme toutes les grandes idées il était dans l'air avant de venir au jour. Comme la croix celtique, dont personne ne sait au juste qui l'a inventée ni comment, mais qui a connu jadis des prototypes dans certains mouvements cathos militants, dans les roues solaires de diverses unités militaires, dans une forme très stylisée de francisque, etc... Je précise que dans sa première année d'existence le rat du GUD n'était pas noir mais gris. Sans doute pour gagner du temps. On le coloriait vite fait en hachures, avec des marqueurs usagés. Le fait que nous nous soyons immédiatement identifiés avec l'animal a évidemment à voir avec le fait que dans la période précédente nos amis les gauches nous avaient représentés ainsi. Une affiche collée sur les palissades des quartiers Sud de Paris en décembre 1969 nous avait beaucoup marqués, elle proclamait "Écrasons la vermine fasciste", décorée d'une grosse semelle s'apprêtant effectivement à écraser un hideux rongeur inspiré de Reiser. A partir de là, opérer un coup de judo en exploitant à notre profit les coups de l'adversaire était dans la logique du détournement à la situationniste, très dans l'esprit de l'époque.
Cependant, la symbolique du rat avait aussi été employée dans un sens opposé sur la jaquette d'un roman paru l'année d'avant, L'Occident, de Marcel Clouzot, personnalité connue du milieu littéraire droitiste : là, une horde de sombres rongeurs représentait les forces de décomposition à l'assaut de notre civilisation...
L'illustration était très réussie, a été remarquée. En ce qui me concerne, je sais que c'est elle qui m'a initialement retenu de pousser l'identification avec le rat... Peut-être a-t-elle eu un effet inverse chez d'autres camarades qui se sont bornés à y lire "Occident" et à associer la bande de rongeurs. Ce bouquin était en tout cas excellent, il est bien oublié aujourd'hui, peut-être un peu par ma faute... Il faut dire enfin qu'au mouvement Occident, dans les années 1965-67, s'était développé à propos des rats tout un folklore. François Duprat ne cessait de traiter tout le monde et n'importe qui de "Rat visqueux ! Rat pesteux ! Rat scrofuleux ! ", avec un puissant accent du Sud-Ouest qui a marqué les imaginations. Pas mal de responsables et militants on reçu un sobriquet dans cette veine. L'un, qui habitait un petit local semi-souterrain auquel on accédait par l'entrée des caves, était surnommé Rat d'Égout... Tel autre, de petite taille, était appelé Musaraigne. Quant au plus entreprenant des responsables action, on ne le connaissait que sous le nom d'Anthracite.
Ce qui nous amène directement à Raymond Macherot.
Évidemment, Anthracite le roi des rats dans la célèbre BD Chlorophylle contre les Rats noirs... Cette oeuvre immortelle de Macherot a eu un impact insoupçonné sur une certaine génération, pour des raisons qu'il est intéressant d'examiner.
En première analyse, il s'agit d'une BD animalière bâtie sur des schémas archi-classiques. Dans le premier album de la série, Chlorophylle, le gentil lérot végétarien, incarne l'individualisme débrouillard qui se joue des forces mauvaises. De Tintin à Astérix, la BD franco-belge a suscité des foultitudes de héros positifs de ce style. Celui-ci est en butte à la meute des rats noirs, conduits par leur roi Anthracite dans le rôle non moins traditionnel du méchant malchanceux (cf. Zorglub, Iznogoud, Gargamel, Olrik, etc.). Dans le second album, l'antagonisme se circonscrit plus directement entre Chlorophylle et Anthracite, et c'est ce dernier qui vole la vedette. Il n'est pas un simple fantoche à la façon de Gargamel ou des centurions romains face à Astérix, il acquiert de l'épaisseur humaine (si on ose dire), fait preuve d'un cynisme jovial et réjouissant, il est fourbe et cultivé, fredonne des airs d'opéra ou des chansons de Charles Trenet quand il se prépare à commettre ses forfaits ? il commence à être sympathique tandis que Chlorophylle devient ennuyeux. Ces premiers albums se déroulent dans un cadre de prairies, de ruisseaux et de bois superbement observé, qui doit être le pays de Herve et qui m'évoque totalement le bocage normand de mon enfance. Les humains n'y interviennent pas, n'y sont présents qu'à travers les sous-produits de leur industrie que les rats noirs récupèrent à des fins meurtrières (lampe à souder utilisée comme lance-flammes, fusées de feux d'artifice, pistolet même...). L'anthropomorphisme des personnages est contenu dans des limites décentes. La bande des amis de Chlorophylle est composée d'animaux dont les biotopes sont compatibles, qui ne sont pas en lutte territoriale et dont aucun n'est le prédateur de l'autre ? une loutre, un lapin, un corbeau, un hérisson, un mulot. Dans le monde naturel, il n'y a pas de bons et de méchants univoques. Chez Macherot, les camps sont loin d'être tranchés. Certains des " bons " se révèlent paresseux et égoïstes. Pas de solidarité chez les " méchants " : quand les rats noirs coopèrent avec une vipère, ils se méfient tellement d'elle qu'ils la mettent hors d'état de nuire dès le premier service rendu. Les rats noirs finissent par se battre entre eux. D'ailleurs, s'ils sont agressifs, c'est parce que les hommes, en les chassant d'un vieux moulin, les ont contraints à rechercher un nouvel espace vital. Le monde que présente Macherot n'est pas la nature, mais il en est une extrapolation qui a sa plausibilité. Rien à voir avec Mickey, cette souris déracinée de banlieue anonyme. Je me souviens avoir commencé à lire chaque semaine l'hebdomadaire Tintin peu avant que s'achève La Marque Jaune de E.P. Jacobs. Les premières planches de Chlorophylle y ont paru peu après, grosso modo en même temps que L'Affaire Tournesol de Hergé et Les Martiens sont là de W. Vandersteen, ce devait être vers 1955, la BD belge touchait à son apogée. Ce qu'il y avait de bien avec cette série est qu'elle était toute neuve, ne faisait pas référence à des albums précédents, j'ai le sentiment d'avoir grandi et évolué en même temps qu'elle (le dessin des premières pages était encore assez sommaire). Elle a marqué toute une tranche d'âge, celle des baby-boomers francophones, à commencer par ceux qui pour une raison ou une autre (scoutisme, etc.) avaient une certaine sensibilité pour les choses de la nature. On peut dire que Macherot a eu à cet égard une signification générationnelle.
En dehors des préoccupations écologisantes de Macherot, assez prophétiques pour leur temps, n'y a-t-il pas aussi chez lui un fond philosophique qui rencontre la sensibilité historique particulière que nous partageons ?
Macherot n'est pas un auteur à message (en tout cas pas au même degré que l'antifasciste Franquin, ou que Le Schtroumpfissime de Peyo, qui est du Maurras en BD), et la construction des albums de la série Chlorophylle se ressent d'une certaine improvisation, mais il lui arrive de toucher à quelque chose de très profond, qui va plus loin que le rappel des lois naturelles, qui met en jeu les conventions qui fondent l'existence des sociétés. C'est très net dans la seconde partie de la série, où la lutte entre Chlorophylle et Anthracite se transporte sur Coquefredouille, petite île méditerranéenne où en l'absence d'hommes les animaux ont développé une civilisation dont le niveau technologique évoque les années 20 (il passera vite aux années 60). On est passé de l'état de nature à l'état social. Le bon roi Mitron XIII (une souris blanche...) règne sur une sorte de pimpant Monaco animalier aux mœurs policées, où les voitures roulent à l'alcool de menthe et où rongeurs et oiseaux cohabitent sans histoires avec canidés et félidés. En fait, ce petit paradis est vétuste et sans joie, débilitant et fragile. Les oiseaux ne savent plus voler qu'en avion : " La vie à Coquefredouille est idiote " soupire l'un d'eux. L'arrivée d'Anthracite va ravager l'harmonie superficielle de Coquefredouille. Rien de tel qu'un rongeur barbare, rat des champs élevé à la dure, pour discerner où sont les points faibles d'une culture urbaine. Sans aucun scrupule, il introduit sur l'île des carnivores qui vont l'aider à faire fortune en terrorisant la population, non sans en dévorer une partie (aucune BD comique enfantine de cette époque ne comporte une telle quantité de morts, l'allégorie animalière permet à Macherot de faire passer ce qui autrement serait pure horreur). Anthracite ne respecte aucun tabou, il lève les interdits, il est le grand catalyseur dionysiaque, l'anarque absolu, le libérateur des puissances du désir (il n'est pas question de sexe, mais on remarque que dans cette deuxième partie de la série les personnages sont sexués, ce qui n'était pas le cas auparavant, et qu'Anthracite recourt très souvent aux déguisements féminins pour tromper son monde). Anthracite est pris, s'évade, participe à un complot pour détrôner le roi, est repris, s'évade de nouveau, recommence, etc. Les gardiens de l'ordre établi sont systématiquement présentés comme des abrutis. Ils ne font pas le poids quand se révèlent soudain volonté de puissance et agressivité dans un monde qui croit les avoir refoulées. Seul Chlorophylle, devenu petit bourgeois conservateur, sait encore être efficace car son hostilité à Anthracite vient de plus loin, elle plonge ses racines dans la nature sauvage. Ne serait-ce l'inévitable deus ex machina qui le fait échouer à chaque épisode, Anthracite serait évidemment vainqueur. Sans garantie de durée toutefois : dès le premier album, son autoritarisme avait provoqué chez les rats noirs une guerre civile dévastatrice entre les monarchistes fidèles à sa personne et les insurgés. Il y a chez Macherot une morale des rapports sociaux qui s'élève jusqu'à une conception cyclique du devenir des sociétés politiques.
D'où vient la fascination qu'exercent les rats noirs en général et Anthracite en particulier sur les gens tels que nous ?
Le tout est de savoir de quel " nous " il s'agit. Le " nous " d'il y a 50 ans ou un siècle aurait rejeté avec effroi ce symbole d'amoralité démoniaque. Le " nous " d'aujourd'hui le révère. C'est qu'entre les deux nous sommes passés du stade normatif au stade subversif. Pardon pour la digression, mais il faut rappeler que les théoriciens nationalistes (acceptons cet adjectif, l'invariant qui traverse notre histoire reste la référence à la nation, prise au sens étymologique) des années 20 ou 30 proposaient des systèmes complets allant d'une éthique individuelle jusqu'à une conception de l'État ; leurs idées étaient candidates au pouvoir, elles se battaient contre d'autres conceptions, c'était projet contre projet (voire projectile contre projectile). C'était le temps des idées simples forgées dans l'urgence et des ambitions constructivistes (ou re-constructivistes, dans le cas des maurrassiens et plus généralement de tous les traditionalismes, aussi organicistes qu'ils se veuillent). Depuis, sans devenir beaucoup plus malins, nous avons quand même appris des choses. Nous étions jadis en concurrence avec les marxistes sur le terrain de l'enthousiasme révolutionnaire, l'échec de leur totalitarisme nous a guéris. D'être écartés de l'espérance du pouvoir nous a fait un bien fou. Chez nous, plus personne de sérieux ne songe à dresser une société hiérarchisée rigide et froide, vierge de tout conflit interne. Nous avons appris la nécessité des oppositions entre idées et individus, des luttes de castes, de races et de classes (mais oui). Nos ennemis nous prennent encore pour des SA des années 30 et c'est tant mieux, il ne faudrait pas se réjouir si l'adversaire devenait intelligent. Nous connaissons la valeur de la révolte mais aussi ses limites. Nous savons très bien que si nous étions au pouvoir nous résoudrions un certain nombre de problèmes, que d'autres continueraient à se poser et que nous en susciterions d'inédits. A notre façon, nous sommes devenus plus libertaires et démocrates que nos ennemis, tout en demeurant conscients des paradoxes et contradictions que recèlent libertés et démocratie. Nous savons mieux que personne la valeur de la fonction critique ? même violente et vulgaire... Après tout, nos idées valent mieux que d'autres qu'on se batte pour elles, et nous avons aujourd'hui face à nous le pire totalitarisme de l'histoire, l'absolutisme de la Loi (celle qui n'en respecte aucune). Et donc : l'urgence est à la subversion, par tous les moyens même rigolos. Le tournant du normatif au subversif a été amorcé il y a longtemps (Degrelle a été un précurseur, et Céline dans un autre registre), et n'a vraiment pris dans la mouvance militante qu'au cours des années 70. Le Pen ne s'y est fait qu'au milieu des années 80 (c'est alors qu'il a décollé, pas un hasard) et Mégret demeure normatif comme la pluie. Le mode subversif est une question de ton et de contenu à la fois. Dans le contexte présent, rien n'est plus subversif que de rappeler la dimension passionnelle et animale de la nature humaine, a fortiori quand on le fait dans la bonne humeur (ce que la gauche moralisante ne pardonnera jamais à Gérard Lauzier ou Michel Houellebecq). Face à la pure volonté de puissance d'un prédateur hilare et sans scrupule tel qu'Anthracite, que valent les calembredaines sur la conscience universelle, le devoir de mémoire et l'éthique des Droits de l'Homme ? Je ne sais si Macherot a eu conscience du potentiel mythique du personnage qu'il a créé au début de sa carrière. Il s'est borné par la suite à des historiettes plutôt anodines. Mais les 4 grands albums du cycle de Coquefredouille sont à mettre au niveau des chefs-d'œuvre de la littérature universelle, rayon conservatisme critique. Si le canevas général évoque Animal Farm de George Orwell, Anthracite est un héros balzacien, Vautrin mâtiné de Rastignac, archétype de dominateur allègre et indomptable. La terrifiante bombe au bithure de zytron, allusion burlesque à la grande peur thermonucléaire de la fin des années 50, joue dans cette histoire le même rôle qu'Excalibur dans la geste arthurienne (elle permet à Anthracite de faire un coup d'État qui donne les pages les plus fortes jamais faites par Macherot, avec une immortelle satire des milieux courtisans). Et puis, cet Anthracite né à l'orée de l'Ardenne, tour à tour aventurier humoriste et chef de guerre, qui après la déroute d'une invasion manquée a pris une retraite prématurée quoique hyperactive quelque part au soleil, il me fait bougrement penser à quelqu'un...
http://les-identitaires.com/Devenir13/Culture_resistance4.htm