Les 4 et 5 février se tenait dans la région lyonnaise le VIIIe congrès de l'Œuvre française. À l'occasion de ce rassemblement de la plus vieille organisation nationaliste en France - si l'on excepte l'Action française mais qui, elle, a fortement évolué depuis l'époque de Maurras -, son fondateur Pierre Sidos qui préside le mouvement depuis sa création il y a 44 ans le 6 février 1968 a passé le flambeau à son fidèle lieutenant Yvan Benedetti, dynamique militant de l'Œuvre depuis un quart de siècle, conseiller municipal de Vénissieux et bras droit de Bruno Gollnisch pendant la campagne interne en 2010-2011, aujourd'hui exclu du Front national par Marine Le Pen. Le nouveau bureau a été approuvé à l'unanimité : Yvan Benedetti est donc le nouveau président, Joseph Renault le secrétaire et Jean-Luc Vacherat le trésorier. Même si, à sa demande, le président statutaire a changé, Pierre Sidos reste, à 85 ans, la référence et le chef historique d'un mouvement dont la doctrine, les principes et les méthodes d'action n'ont jamais varié. En 1958, il avait appelé à voter non à De Gaulle. En juin 1967, il avait condamné la guerre des Six-Jours menée par l'entité sioniste. Et dès la création en 1957 de la Communauté économique européenne, ancêtre de l'Union européenne, il s'était opposé à l'Europe supranationale, mondialiste et mercantile qui en un demi-siècle a liquidé dans tous les domaines la souveraineté et l'indépendance nationales. Enfin, tout en étant totalement hostile au communisme et à l'Union soviétique, il n'a jamais été atlantiste. Avant d'avoir fondé l'Œuvre, P. Sidos avait créé en 1949 le mouvement Jeune Nation qui avait été dissous en 1958 au moment de la guerre d'Algérie puis en 1959 le Parti nationaliste aussitôt interdit par De Gaulle. Son militantisme en faveur de l'Algérie française lui a valu deux ans et demi de clandestinité et une année de captivité.
À l'issue de deux journée de travaux qui ont porté sur la situation politique actuelle, tant sur le plan national qu'international, sur l'état du camp national, sur les perspectives nationalistes, sur les méthodes de combat, l'Œuvre française a publié, le 5 février, une déclaration finale. La voici in extenso :
DECLARATION FINALE DU VIIIe CONGRÈS
Le huitième congrès de l'Œuvre française s'est réuni dans la région lyonnaise, les 4 et 5 février 2012, sous la présidence effective de Pierre Sidos, sur le thème : « Devenons ce que nous sommes ».
Depuis 2008, nous sommes confrontés à une crise financière majeure qui est l'aboutissement d'une politique menée de longue date sur des principes contraires à l'ordre naturel et mise au service de groupes de pression financiers prédateurs et apatrides de Wall Street et de Londres. Ce que l'on désigne sous le vocable de « Communauté internationale » n'est que le syndicat de défense de cette finance mondialisée et de l'entité sioniste de Palestine.
Par conséquent, nous sommes solidaires des États qui se lèvent contre cette politique criminelle de dépossession des souverainetés nationales menée sous l'égide de l'anti-nationalisme du dollar comme il existait naguère un anticommunisme du dollar. Nous dénonçons le lynchage politique et physique de Kadhafi auquel il n'a pas été pardonné de vouloir réduire en Libye les profits des grandes compagnies pétrolières et de mettre en place un financement indépendant de l'Afrique. Nous condamnons pareillement la diabolisation de la Syrie d'Assad, dernier régime laïque et nationaliste du monde arabe qui avait, jusqu'à la déstabilisation actuelle, activée par Washington, assuré la paix et la concorde dans cet État multiconfessionnel. Nous assurons de notre soutien tant la Russie de Poutine qui refuse de passer sous les fourches caudines de Wall Street que l'Iran d'Ahmadinejad qui lutte pour préserver sa légitime indépendance et le Venezuela de Chavez qui tient tête aux trusts prédateurs nord-américains. De même soutenons-nous le combat du gouvernement de Viktor Orban qui défend la morale naturelle et affirme les droits de la nation hongroise contre le diktat des sicaires de l'Union Européenne, cheval de Troie du mondialisme en Europe. Nous dénonçons la politique de fuite en avant des tenants du mondialisme qui tentent de sauver leurs fortunes frauduleusement accumulées par la spoliation des revenus du travail et leur entreprise d'hégémonie planétaire en n'hésitant pas à multiplier les bruits de bottes dans le monde et à appauvrir sans vergogne les peuples du monde blanc, dépossédés de leurs industries.
Face à ces menées mondialistes, nous appelons au retour des nations, et en premier lieu à la restauration de leur souveraineté, notamment financière : il faut rejeter un endettement illégitime qui les enchaîne à des banksters sans visage qui noyautent des régimes stipendiés, tandis qu'ils encouragent l'immigration de masse inassimilable pour peser à la baisse sur les salaires des nationaux en procédant à une substitution de population. Nous réaffirmons la nécessité du recouvrement d'un État national. Il ne s'agit plus aujourd'hui de défendre la souveraineté de l'État comme il y a un siècle mais de la reconquérir, de la rétablir car nous avons été dépossédés. Actuellement nous n'avons plus ni monnaie nationale, ni frontières, ni banque centrale indépendante, ni armée indépendante parce qu'elle est actuellement sous commandement intégré de l'Otan et nos soldats sont transformés en mercenaires au service du nouvel ordre mondial. Nous avons perdu notre souveraineté dans tous les domaines. Il n'est que notre dette qui reste souveraine ! Aussi la France doit-elle urgemment recouvrer sa souveraineté sur tous les plans : économique, politique, monétaire, militaire, rétablir le franc, notre compagnon de route de 642 ans depuis Jean II Le Bon en 1360, et en finir avec cette monnaie d'occupation qu'est l'euro.
UNE SECONDE RÉVOLUTION NATIONALE
Notre pays connaît périodiquement un déferlement médiatique lié à des campagnes électorales qui, au lieu de traiter des problèmes de la France, ne servent au final qu'à assurer une nouvelle répartition des prébendes d'une classe politique déconnectée des réalités de la France et de son peuple. Aussi rejetons-nous la duperie que constitue le mirage électoraliste d'un système qui vise à anesthésier les peuples en leur proposant de faux choix politiques dans un système totalement verrouillé, où les dés sont pipés et où n'ont droit à la parole que ceux qui ont peu ou prou fait allégeance à la pensée unique. En réalité, les véritables maîtres du moment ne se cachent même plus comme on le voit en Grèce et en Italie où ont été imposés comme chef de gouvernement des employés de Goldman Sachs.
Les solutions nationalistes, qui reposent sur la primauté du politique sur l'économique, du spirituel sur le matériel, du national sur l'étranger, du qualitatif sur le quantitatif, de la sélection sur l'élection, du talent sur l'argent, de la beauté sur l'utilité permettent d'échapper à cette spirale aliénante et destructrice.
Nous faisons appel aux hommes d'ordre, conscients des dangers mortels qui menacent l'existence de leur culture et des fondements de la civilisation dont ils sont les héritiers afin qu'ils nous rejoignent dans notre action pour que demain nos enfants puissent vivre dans un monde en continuité avec celui de leurs pères, sur la terre millénaire qu'ils ont façonnée.
Nous appelons à une seconde Révolution nationale, unique moyen de rétablir la France et de contribuer à la renaissance de la civilisation européenne qui, à la différence de toutes les autres, a permis à l'humanité de sortir de la stagnation plurimillénaire qui la caractérisait.
Seuls les nationalistes de l'Œuvre française sont en mesure de livrer ce combat de délivrance et de redressement, car ils sont guidés par une doctrine fondée sur le réel, sur l'amour de la nation et sur la tradition, plan architectural d'un peuple qui bâtit son histoire sans jamais briser ses lignes de fond et qui rassemble les forces de son sol et de son sang qui en sont la substance vivante et créatrice.
J.B. Rivarol du 10 février 2012
culture et histoire - Page 2021
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Œuvre française : Pierre Sidos passe le flambeau à Yvan Benedetti
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L'Afrique sous la botte américaine : Carnages sur ordonnance
Si Pierre Péan était américain, il aurait eu le prix Pulitzer, en France, il a droit au silence. Qui a entendu parler de son dernier livre, Carnages? C'est pourtant une analyse implacable de l'offensive américaine en Afrique, avec en toile de fond le recul de la France, chassée une seconde fois.
Un ouvrage massif, énorme, tonitruant, exceptionnel, salutaire, effarant, vient de paraître en France dans un silence presque unanime de la presse officielle et assermentée. Seul l'hebdomadaire Marianne a consenti à en publier les meilleures feuilles. On le doit à Pierre Péan. Son titre, Carnages, plante assez bien le décor, celui de l'Afrique de la fin du siècle précédent et d'aujourd'hui, ainsi que de ses innombrables et sidérants charniers, accumulés la plupart du temps dans l'indifférence et surtout l'incompréhension totales au sein du septentrion du monde.
Pour la plupart des téléspectateurs occidentaux, le titre du livre sera d'abord justifié par le génocide tutsi du Rwanda, par celui imputé à l'encontre des habitants du Darfour à l’État soudanais, ou encore en raison de telle ou telle famine abondamment médiatisée sur fond de repentance post-coloniale et de charité spectaculaire.
La réalité est un peu différente, et nettement plus sordide. Surtout, elle offre une illustration saisissante, et jusqu'à l'écœurement, de ce que l'instrumentalisation de la bonne conscience et de l'arrogance morale peut autoriser en matière de massacres de masse. Notamment en dissimulant par la surmédiatisation d'un génocide la réalité et l'impunité d'un autre, comme pour les trains du célèbre dicton. Or, s'il y a une véritable nouveauté dans le monde qui est le nôtre depuis vingt ans, c'est sans doute là qu'elle se trouve et nulle part ailleurs, nous interdisant de pavoiser avec toutes nos âneries vertueuses et humanitaires: les remugles collectifs du cœur ont remplacé l'épaisseur du secret pour occulter la fabrique étatique des grands cimetières sous le soleil. La mort, la mort massive et toujours recommencée, celle des hommes, femmes et enfants d'Afrique, essentiellement...
Péan, dans ce livre-somme qui aurait dû faire la une de toutes les grandes émissions françaises, décrit avec la rigueur d'un historien positiviste et d'un limier méticuleux la connexion entre deux réalités géopolitiques que l'on croyait relativement distinctes l'une de l'autre et qui se trouvent à l'origine des plus grandes hécatombes que le continent noir ait connues depuis l'époque des traites négrières :
d'une part, la volonté des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne d'éradiquer, au lendemain de la chute de l'Union soviétique, toute forme d'influence ou de présence françaises en Afrique ; de l'autre, la stratégie de domination impériale de Washington dans l'ensemble du vaste monde musulman qui l'a amené à resserrer considérablement ses liens diplomatiques et militaires avec Israël afin de lui permettre un investissement accru, discret, mais meurtrier, dans la quasi-totalité du continent noir.
Les grands prédateurs jouent toujours aux enfants de chœur
Le début et l'essentiel de ces grandes manœuvres aura lieu dans la fameuse région des Grands Lacs (Ouganda, Rwanda, Burundi, Congo-Zaïre, Congo-Brazzaville, Angola), qui en paiera et en paie encore le prix du sang - cinq à six millions de morts depuis le début de la décennie 1990 -, mais c'est le Soudan, riche et gigantesque pays à la fois arabe et musulman issu de l'empire britannique, qui en sera la clé de voûte et le cœur stratégique jamais révélé. C'est là du reste que le livre de Péan propose une véritable élucidation de la complexe et sanglante réalité géopolitique de ces dernières années en Afrique : il permet de comprendre clairement, même si persistent encore certaines zones d'ombre, en quoi et pourquoi tous les chemins africains mènent à Khartoum depuis la fin de la Guerre froide.
Au départ, on le savait, émerge donc la décision prise par l'Administration Clinton de se débarrasser de tous les alliés politiques de la France dans son ancien pré carré colonial pour leur substituer les leurs propres : sont surtout visés le vieux maréchal Mobutu au Zaïre et le président hutu Juvénal Habyarimana au Rwanda, ainsi qu'Omar Bongo au Gabon, son beau-père Denis Sassou-Nguesso au Congo.
L'idée, en réalité, remonte à Roosevelt, qui, avant son décès, en 1945, voulait empêcher au terme de la guerre la reconstitution des empires français et britannique en Afrique et en Asie. De Gaulle s'était interposé, et le Président américain était mort avant la fin des hostilités. Par la suite, l'équilibre rigoureux de la Guerre froide avait plus ou moins contraint Washington à composer avec une France, alliée de plus en plus indocile, mais néanmoins occidentale, qui contribuait, faute de mieux, à empêcher l'extension du communisme en Afrique francophone et en Indochine. Le rattachement des anciennes colonies belges à lex-pré carré colonial, lorsque le Général résolut de dissoudre l'Empire devenu Union française, avait été validé dans ce contexte, mais la France de Pompidou et de Giscard d'Estaing eut bien tort ensuite de croire éternel ce qui, pour les Américains, n'était que nécessité provisoire.
En 1991, naturellement, l'heure de l'hallali a enfin sonné : la politique africaine - et arabe - de la France n'offre plus aucune justification stratégique aux yeux de Washington, qui entend profiter de sa nouvelle « hyperpuissance » pour refaçonner à sa guise la carte du monde. La destruction de l'Afrique des Grands Lacs va être conçue au sein d'une entreprise impérialiste de grande échelle, en même temps que l'éclatement de la Yougoslavie et l'investissement progressif du monde arabe via les deux guerres d'Irak.
Silence, on tue les « méchants »
Il faut au moins, nonobstant la démesure prédatrice du projet, en admirer la cohérence géopolitique. Zbigniew Brzezinski et Madeleine Albright ne se trompent pas : la pérennité de la domination américaine passe, face à une Chine devenue incontournable et avide de matières premières, par la liquidation définitive de l'héritage des quatre anciens empires russe, serbo-orthodoxe, panarabe et français. Quarté gagnant, qui sera un quarté sanglant. D'autant que l'Afrique détient un sous-sol dont l'accès va devenir vital en même temps que l'extinction des ressources pétrolifères du monde arabe.
Pour mener à bien ces ambitieux projets, les Etats-Unis vont se servir de deux illuminés cyniques, résolus et mégalomanes, que les perspectives d'extermination à grande échelle n'émeuvent pas : Yoweri Museveni, ancien opposant (à la fois marxiste, protestant évangélique et hitlérien, cela ne s'invente pas) d'Amin Dada, devenu président de l'Ouganda après la chute de Milton Obote en 1986, et Paul Kagamé, son fidèle vassal tutsi, qui concoctent l'un et l'autre depuis longtemps des projets de domination véritablement napoléoniens dans la région.
Péan explique minutieusement comment, avec l'aide constante et active de Washington et du Mossad, les deux hommes vont organiser l'assassinat du président Habyarimana, le 6 avril 1994, après avoir au préalable planifié l'invasion du Rwanda par les forces armées du FPR de Kagamé, sonnant le déclenchement du génocide des Tutsis demeurés au Rwanda que Kagamé avait parfaitement prévu - et évidemment souhaité car nécessaire à la réussite de son plan.
La suite consistera, grâce à des média complices, à faire passer l'invasion du pays par les Tutsis ougandais, puis surtout celle du Kivu congolais, qui entraînera la chute de Mobutu, puis l'assassinat (peut-être orchestré avec l'aide de son propre fils) de Laurent-Désiré Kabila, comme une légitime croisade entreprise contre les «génocidaires » hutus du Rwanda. Bilan: plus de quatre millions de morts, essentiellement des civils, femmes et enfants hutus (quatre fois plus que les victimes tutsis du génocide rwandais), dont les cadavres seront entassés dans les profondeurs des forêts congolaises au vu et au su de tous, sous la surveillance des drones israéliens. Jacques Chirac, sous la pression des Américains, renoncera in extremis à une intervention militaire de la dernière chance.
Mais l'essentiel, encore une fois, pour les Etats-Unis et surtout pour Israël, demeure le succès du même scénario concernant le Soudan d'Omar el Béchir, qui, lui, résiste à l'offensive - grâce à l'appui de la Chine. Péan nous le confirme : c'est vers Khartoum, désormais, que tous les regards, long temps détournés, doivent se porter attentivement dans les années qui viennent.
Pierre-Paul Bartoli LE CHOC DU MOIS février 2011
Il Pierre Péan, Carnages, les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Fayard, 562 p., 24,50 €. -
Palestiniens massacrés là-bas, Palestiniens manipulés ici
Pendant qu’Israel écrasait les Palestiniens sous les bombes à Gaza, certains groupes mènaient une lutte idéologique à Paris et en Cisjordanie.
Diverses organisations pro-palestiniennes appelaient à manifester le 18 novembre à l’Opéra, contre l’agression sur Gaza. Une fois sur place, on pouvait remarquer quelques jeunes agitant des pancartes à la gloire de la Syrie "libre", celle des mercenaires ; sur les marches de l’Opéra, bien au centre, et sous la grande banderole de l’UJFP (Union des Juifs français pour la paix), qui occupait la moitié de la largeur de l’Opéra, flottait le drapeau syrien des mercenaires, à 3 étoiles. A partir de 16H, les drapeaux mercenaires se sont multipliés, il y en avait autant que de drapeaux palestiniens ! Pourquoi n’y a-t-il pas de drapeaux loyalistes ? me disais-je. La réponse ne s’est pas fait attendre : 2 jeunes gens ont déroulé, depuis un des balcons, une pancarte avec la photo de Bachar el Assad ; aussitôt, ils se sont fait copieusement huer, et la pancarte a disparu. Je n’ai pas vu comment cela s’est fait : je faisais face aux porteurs de drapeaux mercenaires, essayant de faire entendre mon indignation, j’ai seulement vu tomber des fragments de papier. Les mercenaires syriens ont clairement pris le pouvoir à Paris, et se comportent déjà de façon terroriste (comme en Libye, moins, pour l’instant, les armes). Il est vrai qu’ils peuvent s’appuyer maintenant sur un ambassadeur officiel, reconnu par la France et les monarchies et émirats arabes (regroupement logique, uni par les valeurs démocratiques).
Quand j’interrogeais quelqu’un dans la foule, il me répondait qu’il était là pour Gaza et qu’il ne fallait pas s’occuper des provocateurs. Il était clair que les manifestants se partageaient entre spontanés de bonne volonté venus exprimer leur soutien à la Palestine, et activistes de diverses associations qui ont détourné et récupéré la manifestation pour Gaza pour en faire une action de propagande en faveur des mercenaires syriens. Les organisateurs de la manifestation, s’ils n’ont pas organisé ce détournement, l’ont cautionné, car le service d’ordre ne voulait rien voir, se contentant de répondre : "pas de divisions entre Arabes" - curieux discours, en temps de guerres entre arabes, en Syrie et ailleurs.
Je ne veux pas critiquer les militants sincèrement pro-palestiniens, et cette manifestation nous a permis d’entendre le Docteur Abdelaish exprimer avec une grande dignité (après la mort, dans l’opération israelienne de 2008, Plomb durci, de trois de ses filles) son espoir dans la victoire de la Palestine. Mais cette manifestation était encadrée par des mouvements dont la Palestine n’est pas la priorité, ou qui définissent, à la place des Palestiniens, quelles doivent être leurs priorités, et dans quelles limites doivent se situer leur action et leurs revendications.
Et cette manifestation n’est pas un cas isolé.
J’ai déjà eu l’impression gênante d’un exercice de ventriloque en regardant le film Cinq caméras brisées. Présenté comme un film palestinien d’Emad Burnat, il a reçu diverses récompenses et est passé à la télévision sur la 5, avant d’être diffusé dans une salle du Quartier Latin qui accueillait une organisation pro-palestinienne (à qui elle abandonnait la recette de la soirée).
Ce film est présenté comme réalisé par un paysan palestinien (Emad Burnat) qui décide, à partir de 2005, de filmer les actions de protestation des Palestiniens de Bil’in contre le Mur israelien et les confiscations de terres et les arrachages d’oliviers qu’il entraîne. Ces actions sont admirables de courage et de ténacité, là n’est pas le problème, mais dans l’orchestration dont elles font l’objet dans le film : même un spectateur bien intentionné y perçoit des fausses notes : un Palestinien se comportant, dans les manifestations, de façon histrionesque, des dialogues artificiels entre le héros et sa femme (née au Brésil), qui ont évidemment été scénarisés, l’insistance sur le fait que le héros, gravement blessé, est soigné à Tel Aviv, et, surtout, l’affirmation répétitive que toutes les actions sont strictement pacifiques.
L’explication des discordances apparaissait dans le débat qui suivait le film : le spectateur, pris par l’empathie à l’égard des Palestiniens, n’y faisait pas attention, mais le paysan-cinéaste était lui-même filmé par d’autres cameramen, israéliens ou occidentaux, dont la présence modifiait le comportement des policiers israéliens, étonnamment calmes. Ce dispositif jette la suspicion sur tout le film : est-ce vraiment la vision d’un Palestinien, que nous voyons, ou celle des organisations qui l’ont parrainé (et ont sans doute payé ces 5 caméras, successivement cassées par les policiers israéliens) ? Qu’importe, dira-t-on, si ce film contribue à populariser la résistance des Palestiniens de Bil’in ?
Cela importe beaucoup, car le sens et les buts réels de la résistance palestinienne en sont dénaturés : le porte-parole, dans le débat, de l’organisation marraine, a insisté sur "l’idéal pacifiste " qui animerait les Palestiniens. Mais depuis quand les Palestiniens ont-ils un idéal pacifiste ? On peut comprendre, du fait de la tragique disproportion des forces en présence, que les Palestiniens adoptent des stratégies pacifiques : mais quel peut être le sens d’un "idéal" pacifiste face à la brutalité d’Israel ? Le seul idéal des Palestiniens n’est-il pas de pouvoir de nouveau vivre sur leurs terres ancestrales, qui leur ont été confisquées par des actions de guerre ? Leïla Shahid reconnaissait récemment que 20 ans de négociations n’avaient mené les Palestiniens nulle part, - si ce n’est à une terrible détérioration de leur situation.
Cette tutelle des organisations françaises me navre quand je pense qu’étant étudiante j’ai pu entendre un représentant du FPLP* de Georges Habache, à l’époque (chantée par Jean Genet**) où la Palestine avait son armée de Libération, dissoute à la suite des accords de 1982, immédiatement suivis par les massacres de Sabra et Chatila, dans les camps de réfugiés vidés de leurs défenseurs, en route (conformément aux accords et avec la garantie de Mitterrand) pour Tunis.Rosa Llorens http://www.voxnr.comnotes* Front Populaire de Libération de la Palestine créé dans les années 70 par Habache, un leader charismatique, chrétien, sans doute beaucoup plus à gauche qu’Arafat.
** Dans Le captif amoureux, où Genet décrit la vie dans les campements de l’armée palestinienne, en Jordanie, près d’Irbid.sourceLe Grand Soir :: lien -
« S'il n'y a pas de souveraineté politique, il n'y a pas de nation »
Mai 68 vient d'avoir lieu. Michel Pinton, polytechnicien, rencontre Valéry Giscard d'Estaing. Le trentenaire voit en l'ancien ministre des Finances une « forme rajeunie du gaullisme » (1). En 1974, il sera de ceux qui le porteront à l'Elysée. A la création de l'UDF, en 1978, il en devient le secrétaire général. Michel Pinton, qui a aussi été député européen, est aujourd'hui maire de Felletin (Creuse). Ce conservateur souverainiste et catholique, qui n'est pas sans rappeler Jean Jaurès, se bat contre les effets de la mondialisation et contre « l'idéologie européiste » (2).
☟Le Choc du mois: A la suite de quels désaccords vous êtes-vous séparé de Valéry Giscard d'Estaing ?
☝ Michel Pinton : Ce qui a provoqué la rupture entre nous, c'est la différence croissante de nos visions du monde après la chute du mur de Berlin et la signature du traité de Maastricht. Pour vite résumer les choses, je dirais que Giscard a tiré de l'effondrement du communisme et de la marche vers la monnaie unique une idée principale, à savoir qu'il fallait que l'Europe s'unisse, et même, plus encore, qu'elle « s'approfondisse », comme on disait à l'époque. Il mettait toute sa foi dans une sorte de fusion entre la France et l'Allemagne et la création d'une fédération supranationale entre ces deux pays, ce qui me semblait une mauvaise analyse de la situation mondiale et européenne. Je pensais que la chute du mur de Berlin démontrait au contraire que cet élargissement de l'Europe devait aller de pair avec la diversité des choix, et que si l'on cherchait à mettre de force tous les peuples dans le même carcan, cela ne marcherait pas.
Notre rupture pratique est donc venue au moment du traité de Maastricht et de nos divergences sur ce que devait être le devenir de l'Europe : il était naturellement un chaud partisan de l'euro, dans lequel il voyait un instrument essentiel pour faire de l'Europe une unité solide et prospère ; moi j'en avais une vision exactement inverse : celle d'un moule monétaire. Nous nous sommes donc séparés à ce moment-là, et en dépit d'une amitié qui demeure, sans aucun doute, vivace entre nous, nos avis sont désormais trop éloignés pour que nous puissions à nouveau travailler ensemble. L'âge qu'il a aujourd'hui, de toute façon, fait que cela n'a plus grande importance.
« Le pouvoir est ailleurs que dans la volonté du peuple français »
☟ Pour quelles raisons êtes-vous si attaché à la souveraineté nationale ?
☝ La souveraineté nationale, pour moi, c'est une évidence : s'il n'y a pas de souveraineté politique, il n'y a pas de nation. La souveraineté a été le fondement de la politique française depuis plus de mille ans. Par conséquent, si elle disparaît, il n'y a plus de France, tout simplement. Or, on essaie précisément aujourd'hui de nous mener vers cette voie, consistant à partager notre souveraineté avec d'autres pays voisins. En réalité, on ne partage rien : on ne fait que donner le pouvoir à une technocratie irresponsable. Il ne faut pas s'étonner que cela ne soit pas populaire. Le peuple français voit bien, depuis quinze ans, que ses votes ne servent plus à grand-chose et que le pouvoir est ailleurs que dans sa propre volonté.
☟ Vous avez intimement connu Jacques Chirac. Quelles impressions vous a-t-il laissées ?
☝ Je l'ai connu en 1968, en même temps que Giscard. Nos rapports personnels ont été bons jusqu'à ce que, comme secrétaire général de l'UDF, je sois conduit à prendre parfois position contre le RPR, ce qui bien sûr ne lui a pas plu. C'est un homme qui a adopté avec l'âge des positions idéologiques qu'il n'avait pas quand il était plus jeune. Il était très sensible, à l'époque, à une certaine forme de réalisme politique, même si par ailleurs son opportunisme n'avait rien de méchant ou d'agressif. Il faisait avant tout ce qu'il fallait pour plaire à l'opinion et être élu. Je ne l'ai jamais connu animé par les préoccupations ultérieures de ses deux mandats présidentiels, lorsque, une fois président, il s'est fait le champion des droits de l'homme, des minorités et de la repentance anti-vichyste. Dans les années 70-80, ces questions ne l'intéressaient même pas.
☟ Peut-on considérer que vous êtes un dissident à l'intérieur de la droite française ?
☝ Sur certains points, oui, mais il faut savoir exactement ce que l'on entend par la droite. Il y a une droite avec laquelle je ne me suis jamais senti à l'aise, celle qui est européiste, atlantiste, mondialiste, et qui, à mon avis, a renié ses propres racines. Cette droite-là n'a jamais été la mienne. Car c'est aussi une droite qui n'aime pas regarder en face ses propres carences et ses erreurs, et je pense qu'il faut toujours avoir le courage de regarder ses erreurs en face. Par contre, je me sens proche d'une droite qui est avant tout une fibre populaire et une manière de sentir la France.
« On enferme les peuples européens dans un carcan »
☟ Quelles ont été pour vous les fautes politiques principales de Giscard et de Chirac ?
☝ La principale faute de Giscard, c'est de ne pas avoir compris - ou plutôt de ne pas avoir voulu comprendre, car il était assez intelligent pour le faire - qu'ayant été élu en 1974 contre Jacques Chaban-Delmas par un électorat populaire de droite, il ne pouvait ensuite passer une bonne partie de son temps à essayer de séduire des partis de gauche en prenant des mesures que son électorat ne demandait absolument pas. Son européisme, notamment, qui était très fort, ne correspondait pas du tout aux attentes de ceux qui l'avaient élu. Sa défaite a été pour lui une grande surprise, car il était persuadé que ce qu'il faisait répondait aux désirs des Français, ce qui n'était pas vrai.
En ce qui concerne Chirac, c'est un peu la même aventure : il a été élu lui aussi par des votes populaires, qui manifestaient une grande méfiance envers l'Union européenne. Il a été élu en 1995, à l'époque de la préparation de l'euro, et il avait promis lors de sa campagne qu'il y aurait un nouveau référendum après celui de 1992 pour l'application de la monnaie unique ; du reste, sa promesse centrale de réduire la fracture sociale impliquait forcément que l'on ne fît pas l'euro. Or, à peine élu, Chirac s'est dépêché de trahir cet électorat et de mener une politique favorable aux intérêts de Bruxelles, ce qu'il a payé très cher, en décembre 1995. en 1997 et en 2005.
Les deux hommes, en fait, ont commis l'erreur de vouloir s'affranchir de leur électorat. de ne pas tenir les promesses implicites qu'ils lui avaient faites, et de se laisser ainsi attirer par le mirage du centre ou du centre-gauche, qui n'est jamais qu'un faux consensus exalté par une presse en trompe-l'œil.
☟ Y a-t-il un centre politique en France, et quel sens donniez-vous à ce mot lorsque vous dirigiez l'UDF ?
☝ L'UDF, pour moi, c'était le centre-droit. Le RPR, à mes yeux, devait occuper une place tout à fait à droite : je voyais la vocation de Chirac comme étant en fait proche de ce qui serait ensuite celle de Le Pen. Or, Chirac a déplacé le RPR vers le centre et donc a fait surgir, par contrecoup, le Front national. Mais cette évolution n'était pas écrite à l'avance, loin de là, et la bataille entre le RPR et l'UDF, telle que je la voyais dans les années 80, était une bataille pour la possession de la droite populaire. Je ne pensais, pas non plus que l'UDF pût s'élargir depuis le centre-droit vers le centre-gauche. Cela a du reste été impossible : Giscard s'est heurté à l'union de la gauche. Il y a bien un électorat centriste en France, mais il est minoritaire : vous le retrouvez aujourd'hui dans les 7 % de François Bayrou en 2002 et au premier tour des dernières législatives.
☟ Pour quelles raisons êtes-vous devenu, vous le fondateur d'un parti qui se veut européiste, un adversaire déterminé de la construction européenne ?
☝ Je précise que je ne me suis jamais considéré comme un adversaire de l'Europe, mais je suis devenu effectivement un adversaire de l'idéologie européiste à partir du moment où elle a commencé à devenir ce qu'elle est aujourd'hui, c'est-à-dire à partir de 1986 et l'arrivée de Jacques Delors à la tête de la Commission.
Ma vraie hostilité toutefois ne s'est manifestée qu'avec le traité de Maastricht, en 1992. Le projet d'arrimage du franc au mark qui a abouti à l'euro m'a semblé et me semble toujours néfaste, parce que c'est une contrainte qu'on impose aux peuples de l'Europe. On les enferme clans ce que j'ai appelé un carcan, à partir duquel tout découle : on fait de la monnaie unique le point d'ancrage des politiques économiques. Cela me paraît à la fois une hérésie sur le plan de la doctrine économique et une contrainte très forte appliquée à la vie des peuples.
Désormais, à cause de cette politique, il n'y a plus d'ajustement possible que par la pression sur les salaires et sur l'emploi.
C'est une manière de faire que je trouve inhumaine, et qui n'est absolument pas indispensable. Je sais bien qu'elle fait partie des modes actuelles, qui viennent pour l'essentiel des Etats-Unis, mais elle est appliquée avec une rigueur implacable par Bruxelles et par ceux qui nous gouvernent, sans que cela soit justifié par rien de sérieux.
La nécessité d'un « dialogue fécond entre le temporel et le religieux »
☟Vous êtes également très attaché à une certaine forme de collaboration entre l'Etat national et l'Eglise catholique romaine. Pour quelles raisons ?
☝ J'ai surtout réfléchi à la signification profonde de la laïcité. Elle existe dans toutes les nations occidentales, en Europe et aux Etats-Unis : partout, il y a séparation entre l'Eglise et l'Etat. Mais il ne faut pas s'illusionner sur le sens de cette séparation : aujourd'hui, beaucoup veulent faire croire qu'elle signifie coupure. On pense couramment que les convictions religieuses sont seulement une affaire de choix personnel, qui n'ont rien à voir avec la vie publique, laquelle est censée être avant tout dans l'Etat.
J'ai essayé de montrer que c'est faux : en réalité, la séparation entre l'Eglise et l'Etat signifie qu'il doit y avoir un dialogue permanent entre deux puissances qui ont besoin l'une de l'autre, même si leurs domaines d'activité respectifs sont tout à fait différents. Renvoyer les références religieuses au seul domaine privé est une idée dangereuse parce qu'elle nous conduit à des malentendus voire à des crises. D'autant que la voie vers laquelle nous entraînent la mondialisation et le libéralisme économique est quelque chose qui rend la vie des hommes de plus en plus insupportable : on étouffe dans ce système inhumain et mécanique. il bouscule les hommes, détruit les emplois, met de plus en plus de gens au chômage ou les contraint à une vie trépidante.
Nous avons ainsi toute une partie de nous-même qui est atrophiée à l'intérieur de ce système ; dès lors le seul moyen que nous avons de vivre comme des êtres humains, c'est d'avoir une ouverture spiritualiste vers autre chose. Les doctrines purement matérialistes du libéralisme ou du communisme ne peuvent pas suffire à diriger un peuple. Cela aboutit à des phénomènes qui nous troublent, et qui sont en effet troublants, parce qu'indices de déséquilibre.
Je crois donc qu'on ne peut pas comprendre ce qu'est l'homme moderne si l'on ne comprend pas le danger de cette césure entre la vie politico-économique et la vie religieuse. Les deux sont nécessaires. Il ne s'agit pas bien sûr de revenir à une alliance entre l'Eglise et l'Etat, qui doivent restés séparés ; mais il faut parvenir à trouver un équilibre qui corresponde au besoin de liberté de l'époque actuelle par un dialogue constructif entre les deux puissances. L'histoire de France d'ailleurs nous apprend que les périodes durant lesquelles la nation est à la fois la plus rayonnante et la plus ordonnée sont celles où il y a ce dialogue fécond entre le temporel et le religieux. A l'inverse, quand les deux puissances se tournent le dos ou se combattent, progressivement, la nation se déchire et entre en déclin.
« La centralisation administrative est allée beaucoup trop loin »
☟ Est-ce au nom de ces convictions que vous avez pris la tête du mouvement qui s'est opposé à l'adoption du Pacs ?
☝ Au moment du débat sur le Pacs, j'ai pris la tête d'un mouvement des maires, qui a d'ailleurs été une réussite puisque le gouvernement Jospin a dû renoncer à l'enregistrement des Pacs en mairie. Je l'ai fait au nom de convictions personnelles et républicaines. Mais je me sentais d'autant plus fort que j'avais aussi pour moi à la fois la raison et l'appui des différentes religions qui existent en France, dans la mesure où précisément le dialogue dont je vous parle sur ces matières était clair et aboutissait à une conclusion irréfutable.
Je pense de même que la perspective du mariage homosexuel vise à introduire un conflit grave entre les deux puissances, dont nous aurons du mal à sortir. La conscience française sera déchirée, ce qui se traduit toujours chez nous par des oppositions politiques, des troubles sociaux, des conflits de toute sorte.
Le malaise, d'ailleurs, est déjà là et croît de façon perceptible.
☟ Vous avez été successivement consultant privé à l'étranger et maire de votre ville natale dans le Limousin, Felletin. Ces deux expériences à l'opposé l'une de l'autre vous ont-elles enseigné des vérités différentes ?
☝ Elles m'ont surtout montré les deux faces apparemment contradictoires de notre époque. La carrière privée de consultant que j'ai menée en Europe et aux Etats-Unis m'a montré la face heureuse de la mondialisation, dont j'ai profité : celle des vastes sujets d'envergure internationale, de l'argent gagné facilement, des contacts multiples avec des gens de tous les pays. Mais, j'en ai vu aussi les limites : les échanges entre personnes s'y bornent à des rapports superficiels.
Mon expérience publique dans le limousin, elle, m'a montré l'autre face de la mondialisation : celle des tout petits qui sont écrasés par le système, qui subissent la précarité, les bas salaires, la chute des petites entreprises traditionnelles. A Felletin, j'ai dû agir avec les pouvoirs limités du maire, qui n'ont rien à voir avec ceux d'un législateur ou d'un chef d'Etat, mais j'y ai appris qu'il était faux de croire que le meilleur barrage protecteur aux excès de la mondialisation soit l'Etat. Cette croyance est une erreur grave, dont témoigne par exemple l'évolution du Royaume-Uni, où Margaret Thatcher a ouvert le pays aux grands vents de la mondialisation avant que Tony Blair poursuive cette politique en tentant de l'équilibrer par un usage beaucoup plus important du rôle de l'Etat. Or, toutes les statistiques montrent que son succès est très limité. Si en France nous faisons la même chose et continuons à mettre tout notre espoir dans l'Etat, comme le fait notre classe dirigeante depuis vingt ans, nous subirons les mêmes déconvenues parce que cela ne fonctionne pas.
En réalité, l'Etat et la mondialisation marchent main dans la main, au détriment de l'homme et de sa liberté. L'Etat place les individus détruits par le système sous sa tutelle, au moyen d'innombrables subventions qui les privent de toute responsabilité et donc de leur vraie dignité.
Mon expérience limousine locale m'a prouvé au contraire que la solution se trouve dans la reconstitution de ce que j'appellerais des sociétés intermédiaires, bien compromises aujourd'hui. La commune et la région sont deux d'entre elles, et j'ai essayé de voir comment, même avec des moyens très faibles comme ceux dont dispose ma ville de Felletin, on pouvait très concrètement, sur le plan économique, écologique et social, résister au laminoir de la mondialisation. Et après douze ans d'exercice et de combats quotidiens, je peux dire que la réponse est positive,
Encore faut-il que l'on puisse quelque peu se dégager de cet engrenage terrible dans lequel nous broie la puissance conjuguée de l'Etat et de la mondialisation. C'est d'abord une question de volonté de la part de nos dirigeants. Or, nos gouvernements sont très velléitaires, et les moindres ébauches de décentralisation sont toujours compensées par des mesures allant en sens inverse.
☟ La plupart des fédéralistes sont européistes et la plupart des souverainistes partisans de la centralisation. Y aurait-il donc un paradoxe Pinton ?
☝ Je crois qu'il s'agit d'un faux paradoxe, dans la mesure où la centralisation politique me paraît pour un pays comme la France, quelque chose de nécessaire : c'est la raison pour laquelle je suis un partisan farouche des institutions de la Ve République, et je suis sévère pour notre classe politique qui les a déviées et polluées. Mais la centralisation administrative, elle, est allée beaucoup trop loin et a abouti à cette double dictature de l'Etat et du marché qui n'est pas une bonne chose pour la société française.
On a trop tendance à les confondre toutes les deux, ce qui rend le débat politique en France impossible.
Philippe Marsay le Choc du Mois Juillet 2007
1. « Je voyais sans doute à l'époque le giscardisme avec une certaine naïveté », nous confie-t-il aujourd'hui, ajoutant : « Les faits ont démontré qu'il y avait là une part d'illusion. »
2. Michel Pinton vient de publier Le Maire et la Mondialisation, éditions François-Xavier de Guibert, 224 pages, 19 euros. -
Délire logique
Comprendre l'univers est une tâche que Dieu n'a pas explicitement assignée à l'homme mais qui l'occupe depuis un certain temps (d'après les meilleures sources). Cet effort incessant pour illuminer la nuit est une aventure formidable, d'autant que chaque avancée épistémologique, depuis les constructions mythiques jusqu'à l'astrophysique contemporaine, se double systématiquement d'une face sombre, l'histoire curieuse et navrante des aberrations scientifiques, des fausses voies, des physiciens désespérés et des mathématiciens fous.
La quête d'un sens purement rationnel aboutit forcément à l'irrationnel, depuis Platon exigeant que tout soit construit sur la forme du cercle (déclenchant des siècles de délires astronomiques) jusqu'à Russell croyant pouvoir asseoir la vérité mathématique sur un fondement absolu - avant que Gôdel et son théorème d'incomplétude ne prouve la radicale inanité de l'entreprise. Koestler retraçant l'histoire de l'astronomie des Grecs à Newton dans Les Somnambules et Logicomix, bande dessinée exposant l'histoire de la logique contemporaine (du XIXe au XXe siècle, en tout cas), nous proposent à chaque fois un voyage fascinant (les deux livres se lisent "comme un roman") dans l'histoire des sciences mais surtout dans l'imaginaire des scientifiques, aussi fous en fait que les poètes ou les tyrans. Résumer l'un ou l'autre ouvrage n'aurait pas de sens mais on est frappé (et les auteurs le soulignent avec force) par le côté proprement délirant de la recherche, par l'inévitable folie monomane qui double chaque entreprise scientifique, depuis la franche démence de ceux qui ont essayé de penser l'infini (comme le mathématicien Cantor), les divers stades de paranoïa et de dépression des grands mathématiciens (y compris Russell et Gôdel). Cette quête si nécessaire, échouant toujours à élucider simplement* son objet, a la grandeur tragique d'une épopée, surtout quand on confronte la vie parfois misérable des grands éclaireurs avec la hauteur, la profondeur et la largeur de leurs vues. On reste confondu par l'ingéniosité de l'esprit humain comme par les péripéties admirables ou grotesques des vies des chercheurs : Russell vivant avec les amants de sa femme au nom d'on ne sait quelle avant-garde ou Kepler rédigeant l'Harmonie des mondes pendant que sa mère est accusée de sorcellerie (en Allemagne protestante), c'est presque aussi surprenant que le Tractatus de Wittgenstein ou la mécanique newtonienne.
Les auteurs de Logicomix, bande dessinée inclassable redoutablement bien construite, comme Koestler, dans son essai magistral, concluent de la même façon : « ce mélange d'inspiration et d'illusion, de prophétique clairvoyance et d'aveuglement dogmatique, d'obsessions millénaires et de dédoublement de la pensée, dont j'ai essayé de retracer l'histoire, nous préviendra peut-être contre l'hybris de la Science, ou plutôt de la conception philosophique que l'on fonde sur elle. »
HC le Choc du Mois
*Car c'est cette simplicité élégante qui est le Graal de la recherche : inventer une théorie qui paraisse aussi évidente que le monde.
» Arthur Koestler, Les Somnambules - Essai sur l'histoire des conceptions de l'Univers, Les Belles lettres, 2010.
» A. Doxiadis et C. Papadimitriou (scén.), A. Papadafos (dessin), Logicomix, 352 p., Vuibert. -
La fusillade des ouvriers à Fourmies :
La fusillade du 1er mai 1891 est entrée à jamais dans l’histoire de France et des luttes ouvrières ! Retour sur la fusillade du 1er mai 1891 à Fourmies
A l’origine, le 1er mai était la fête du printemps ! Dès le Moyen-Age, le 1er Mai était fêté dans les campagnes et la coutume voulait qu'un arbre de Mai (arbre vert enrubanné) soit planté devant la porte de la personne à honorer dans le village. Ce jour de fête était par excellence un symbole du renouveau. Un peu plus tard, dans les années 1700, le 1er Mai fut aussi choisi pour être la date traditionnelle du renouvèlement des baux ou des contrats de travail. On ne peut pas parler de la fusillade de Fourmies, sans évoquer un autre évènement qui a marqué le monde ouvrier à Chicago, en 1886. En effet, le 1er Mai 1886 à Chicago, devant les usines Mac Cormick, une manifestation est organisée. Plusieurs militants sont arrêtés, condamnés et pendus. C'est en hommage à ces « martyrs de Chicago » que la date du 1er Mai est choisie en 1989, par l’internationale ouvrière, comme étant une journée d'action des ouvriers dans le monde entier.
La ville de Fourmies a atteint son apogée industrielle et démographique à la fin du XIXe siècle. Elle compte alors 16 000 habitants, en majorité des ouvriers. En 1891, à l'approche du 1er mai, on craint des mouvements de grèves comme chaque année à la même date (depuis qu'en 1886 les syndicats ouvriers américains ont décidé de faire de ce jour une journée de revendications). Le 1er mai, jour de travail ordinaire donc non chômé, est devenu un jour de manifestations ouvrières marqué traditionnellement par des grèves. Dès le printemps 1891, la journée du 1er Mai à Fourmies est préparée par des meetings auxquels participent des militants du Parti Ouvrier Français, tels Hippolythe CULINE et Paul LAFARGUE (le gendre de Karl MARX). Les auditeurs se pressent nombreux à ces réunions publiques et les idées sont reprises par : "le 89 des Prolétaires" à Fourmies et le mouvement ouvrier "les défenseurs du Droit" à Wignehies. On y dénonce les conditions de travail déplorables et on revendique la journée de 8 heures de travail.
Hippolythe Culine, le leader local, est né à Sedan en 1849. Il est représentant de commerce pour une maison de confection et décide de s’installer à Fourmies en 1888. Il y développe alors la propagande socialiste et organise dans la région des conférences du Parti Ouvrier Français. Au lendemain du 1er Mai 1891, il sera arrêté, puis traduit quelques jours plus tard, devant la cour de Douai. Il sera finalement condamné à 6 ans de prison, avant d’être libéré en Novembre 1892 et de s’installer à Reims. Il était convenu dès le départ que cette fête internationale du travail devait être une grande journée festive ! Selon le programme qui avait été établi par Culine, les ouvriers étaient invités à porter leurs revendications à la mairie de Fourmies, à 10h. Des festivités l'après-midi et un bal en soirée étaient également inscrits au programme. Le 1er Mai 1891 n’aurait jamais du se terminer dans un bain de sang...
- Les Délégués ouvriers désignés en Assemblée générale des Travailleurs et réunis à Fourmies, au Café du Cygne, rue des Eliets, avaient retenu 8 revendications prioritaires :
1) La journée de huit heures
2) L'application de l'unification de l'heure pour la rentrée et sortie des fabriques et la même heure pour toutes, annoncée par la cloche locale
3) Création d'une Bourse du Travail
4) Révision générale des tarifs, suppression des règlements léonins, abrogation des amendes et des mal façons
5) Fixation de la paie tous les huit jours et l'obligation réciproque de prévenir 8 jours à l'avance en cas de cessation de travail
6) Suppression des octrois
7) Amélioration hygiénique à apporter dans certains ateliers en particulier à Fourmies et sa région.
8) Création de Caisses de retraites pour les ouvriers.Les patrons répliquent par une adresse très vive "contre les meneurs étrangers" et les "théories révolutionnaires". Affichée le 29 avril et signée par tous les entrepreneurs, sauf un, elle tente de dissuader les ouvriers de participer à la manifestation. A la veille du 1er mai, les patrons ont exprimé leur inquiétude au maire qui demande un renfort de troupes au sous-préfet d'Avesnes en prévision de la journée du 1er Mai. Histoire de dissuader les ouvriers à se mettre en grève, le patronat menacera également de licenciement tous les ouvriers qui arrêteront le travail. Devant les risques de débordements, ils finiront par obtenir du préfet qu'il mobilise un important dispositif de maintien de l'ordre. En cette journée du 1er mai, 2 compagnies d'infanterie seront donc mobilisées.
Déroulement de la journée du 1er mai 1891 à Fourmies :
Le beau temps est au rendez-vous en ce premier jour du "mois de Marie", un vendredi. Sur les haies du bocage, l'aubépine veut fleurir. Les amoureux ont cueilli des rameaux de frêle blancheur pour les fiancées. Quoi qu'il arrive, les jeunes seront les héros de la fête. La scène du théâtre est prête: une esplanade rehaussée où la mairie, l'église et des estaminets invitent aux allées et venues, au rassemblement et aux harangues. A 9 heures, la plupart des ouvriers de la ville sont en grève, et une seule filature reste en activité. Des ouvriers grévistes s'en approchent afin d'obliger "les jaunes" à cesser le travail. Après une échauffourée avec les gendarmes à cheval, quatre manifestants sont arrêtés. Des renforts sont demandés à la sous-préfecture qui envoie deux compagnies du 145e de ligne casernée à Maubeuge. Le 84e RI d'Avesnes est déjà sur place. Le premier slogan de la journée "c'est les huit heures qu'il nous faut " est alors devenu "c'est nos hommes qu'il nous faut ". Le reste de la journée se déroulent sans aucun incident majeur.En début d'après-midi, le maire de Fourmies promet de relâcher à 17h00 les ouvriers qui avaient été arrêtés le matin. Il est 18h15, les 4 grévistes emprisonnés à la mairie n’ont toujours pas été libérés. Près de 200 manifestants arrivent alors sur la place de l’église et font face aux 300 soldats équipés du nouveau fusil Lebel qui contient 9 balles (une dans le canon et huit en magasin) de calibre 8 mm. Ces balles peuvent, quand la distance n'excède pas 100 mètres, traverser trois corps humains sans perdre d'efficacité. Il est 18h20, les cailloux volent, la foule pousse. Pour se libérer, le commandant Chapus fait tirer en l'air. Rien ne change. Il crie : " baïonnette ! En avant ! " Collés contre la foule, les trente soldats, pour exécuter l'ordre, doivent faire un pas en arrière. Ce geste est pris par les jeunes manifestants pour une première victoire. Kléber Giloteaux, leur porte drapeau s'avance alors... Il est presque 18h25....le commandant Chapus s'écrie : « Feu ! Feu ! Feu rapide ! Visez le porte-drapeau ! » La troupe tire et pour la première fois utilise le fusil LEBEL La fusillade va faire une trentaine de blessés et neuf morts parmi lesquels Maria BLONDEAU, jeune ouvrière de 18 ans tenant dans les mains un bouquet d’aubépine, Kléber GILOTEAUX, un jeune conscrit de 21 ans et Emile CORNAILLE, enfant de 11 ans avec dans sa poche un petite toupie...
Ces morts, promus martyrs aux yeux des ouvriers, vont très vite devenir un symbole de la République répressive et de classe. « Car à Fourmies, c'est sur une gamine que le lebel fit son premier essai… » (Montéhus). Maria BLONDEAU a été effet tuée à bout portant, les yeux dans les yeux de son exécuteur, d'une balle dans la tête ! Louise Hublet, 20 ans, sera tuée de deux balles au front et une dans l'oreille. Félicie Tonnelier, 16 ans, recevra une balle dans l'œil gauche et trois autres dans la tête. Kléber Giloteaux, le porte drapeau, a été touché par trois balles dans la poitrine et deux autres dont une à l'épaule… Un dixième décès sera à déplorer le lendemain. Camille Latour, 46 ans, commotionné après avoir assisté à la fusillade, décèdera des suites de ses blessures ! Les 10 fusillés de Fourmies seront inhumés le 4 mai devant une foule estimée à près de 30 mille personnes.
Fourmies à la une de la presse...
La presse du monde entier va alors s'emparer de cet évènement tragique. Partout en France, en Europe et même aux États-Unis, l'émotion est à son comble. Certains retiennent l'aspect tragique de la fusillade ; d'autres soulignent le rôle de l'abbé Margerin, curé de la paroisse. A l’issue de cette fusillade, l’Abbé Margerin, avait en effet porté assistance aux blessés et aux mourants. Il est représenté comme s’interposant face à la troupe ; son rôle a ainsi été grandi car à cette date, l’Eglise catholique entamait un rapprochement avec la classe ouvrière. C’est le début du catholicisme social ce que confirme l’Encyclique Rerum Novarum, quelques jours plus tard, 15 mai 1891. Quelques jours après les évènements tragiques de Fourmies, les députés décident d’ouvrir un débat à l’Assemblée nationale. Le 5 mai 1891, les députés votent à l’unanimité un secours de 50 000 Francs destiné aux familles des victimes.
Le 8 mai, dans l’après-midi, à la Chambre des Députés, une proposition d’amnistier tous les manifestants du 1er Mai de Fourmies est déposée par les radicaux, les socialistes et les boulangistes. Clémenceau, membre du parti Radical, déclare lors d'un discours qui restera gravé dans la mémoire des fourmisiens :
« Messieurs, n’êtes-vous pas frappés de l’importance qu’a prise cette date du 1er Mai ? (…) Si bien qu’il éclate aux yeux des moins clairvoyants que partout le monde des travailleurs est en émoi, que quelque chose de nouveau vient de surgir, qu’une force nouvelle et redoutable était apparue, dont les hommes politiques auraient désormais à tenir compte. Qu’est-ce que c’est ? Il faut avoir le courage de le dire, et dans la forme même adoptée par les promoteurs du mouvement : c’est le Quatrième État qui se lève et qui arrive à la conquête du pouvoir. (…) Il y a quelque part sur le pavé de Fourmies une tache de sang qu’il faut laver à tout prix… Prenez garde ! Les morts sont de grands convertisseurs ; il faut s’occuper des morts ! ». La proposition d’amnistie sera finalement repoussée par 294 voix contre 191.En 1903, un monument sera élevé à la mémoire des fusillés de Fourmies, dans le cimetière du centre. La journée de 8 heures, soit 48 heures par semaine a été accordée par la loi du 23 avril 1919. Il faudra attendre 1936 et le « Front Populaire » pour que les autres revendications puissent enfin être entendues… Aujourd’hui encore la mémoire des fusillés du 1er mai 1891 à Fourmies est honorée chaque année…
Ce résumé a été élaboré d’après le livre d’André Pierrard et de Jean-Louis Chappat : « La fusillade de Fourmies » paru aux éditions Maxima.
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La Monarchie, les Ouvriers et la Justice sociale :
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Nous, ses soldats, l'appelions « le roi Jean » !
Tous les généraux, même vainqueurs, même célèbres, admirés, aimés n'ont pas droit à ce titre suprême. Pourquoi Jean de Lattre de Tassigny fut-il élevé, tel un chef franc, sur le pavois d'un royaume guerrier, le « Corps expéditionnaire français d'Extrême-Orient »? Rien que ça, ça en jette!
Cette histoire intéresse celles et ceux qui travaillent à la résurgence de la royauté en France. C'est affaire de charisme, pensera-t-on. Oui, pour une part, en effet, mais comment fonctionne la dynamique relationnelle que, dans le langage courant, on nomme « charisme »? Le couronnement de « de Lattre » en montre certains facteurs et, ressorts.
Rappelons quelques données d'une histoire que j'eus la chance de vivre.
Le régiment de la Coloniale où je m'étais engagé (attiré par l'Indochine et l'aventure militaire plus que par 1e Quartier latin et le Droit civil) fut envoyé en renfort, en décembre 1950, en même temps que le général de Lattre se portait au secours d'une armée ébranlée et d'un peuple déchiré.Après cinq ans d'une guéril1a et contre-guérilla à couteaux tirés, le « vietminh » venait de remporter un succès stratégique bien plus important que la prise d'un poste ou la mise à mort d'une patrouille. Toutes nos positions au Nord-Tonkin, à la frontière d'une Chine récemment tombée aux mains de Mao, avaient été en hâte abandonnées, avec toute la Haute-Région. Au cours du repli les colonnes d'excellentes troupes avaient été taillées en pièces (4.500 tués et disparus) par des multitudes de viets en embuscade dans la jungle.
Ce revers avait ébranlé le moral d'une armée pourtant exceptionnellement aguerrie, uniquement composée de professionnels et, de volontaires, dont certains combattaient depuis 1940 et, beaucoup depuis 1942. Mais cette armée n'était pas sans faiblesses. Elle ne savait pas clairement pourquoi elle se battait. C'était « une guerre orpheline ». C'est-à-dire « une guerre sans père, sans nom et sans reconnaissance », dit d'elle le Commandant Elie Denoix de Saint Marc. Les gouvernements fugitifs de la IV eme République la menait vaille que vaille, furtivement, presque honteusement. En outre le Corps expéditionnaire ressemblait à Babel. Y étaient représentés tous les peuples d'Europe avec la Légion, ceux d'Afrique, des Antilles, de Polynésie et d'ailleurs avec les régiments de tirailleurs et de marsouins; s'y ajoutaient vietnamiens, laotiens, cambodgiens, muongs, nuongs, thais, thos, et même des chinois.
Porteuse d’eau « Muong »
Femmes en deuil en pays Muong – vers 1930
Et les français, bien sûr, souvent d'origine immigrée, italienne, espagnole, polonaise…
Extrêmement hétérogène, ce corps manquait d'une âme commune. A défaut d'une mission définie et d'un idéal partagé, les hommes épousaient l'Indochine, nuit de chine, nuit d'amour, avec cœur, sensualité, ivresse.
Les troupes de cette sorte, en partie mercenaires, se battent fort bien mais supportent assez mal la défaite, puisqu'elles tiennent surtout par 1e goût du baroud et l'orgueil de vaincre.
L'arrivée de « de Lattre » suffit à rendre le moral. Nous savions que les généraux Koenig et Juin avaient tour à tour refusé d'y al1er. La gratitude et l'estime envers le prestigieux chef de la 1ere Armée (Rhin & Danube) n'en furent que plus vives.Le C.E.F.E.O souffrait, d'un manque de reconnaissance nationale. Sa nomination aux fonctions de Haut-Commissaire et de Contremandant en chef y remédiait complètement. D'emblée il sut, répondre aussi au besoin d'objectifs clairs.
Qu'un homme, ou une femme, aient les capacités et la volonté de répondre à d'importantes attentes collectives, il se déclenche, comme un arc électrique, une relation intense, entraînante, exaltante, en somme charismatique.
De retour en Indochine, Denoix de Saint Marc, qui avait, douloureusement vécu l'abandon du Nord-Tonkin, « trouve en Octobre 1951 un Vietnam transformé... dans une chanson de geste très française, de Lattre vole de New York à Saigon, harangue ses troupes, sacrifie son fils et sa santé afin de transformer le conflit en un bras de fer entre l'Est et l'Ouest. Il donne un sens à cette guerre lointaine: les troupes françaises sont là pour aider 1e régime de Bao-Dai à sauvegarder la « Liberté », même si 1es réalités coloniales ne s'effacent pas d'un revers de main...
Le jeune « Bao Dai » en 1945.
Tandis que les sombres réalités du totalitarisme communiste transparaissent de plus en plus sous le masque souriant de l'oncle Ho.
« Le Pandémonium communiste est à l'œuvre »
Cet extrait de « L'Aventure et l'Espérance », bel ouvrage de Saint Marc, illustre l’influence qu'un individu peut exercer, à certaines conditions.
L'Armée avait besoin de considération. La voilà satisfaite. Elle a à sa tête un victorieux, un glorieux. Son nom, objet de blague à 1a bidasse -de Lattre de Tassigny de corvée de chiottes...-impressionne en fait. Il évoque les figures légendaires des connétables du temps jadis. Cela compte dans l'élévation au titre de roi. Nous étions fiers d'être commandés par un « souverain ». Souverain de nom, de renom, d'allure, de caractère. Servir sous 1es ordres d'un Grand, grandit. Mieux (me) sied d'être sujet d'un roi de la dynastie capétienne que citoyen d'un président médiocrement élu d'une république à la souveraineté tombée en indivision.
De Lattre paie de sa personne, s'engage à fond, va sur le terrain, fait preuve d'attention, de sympathie envers ceux sur qui reposent la charge essentielle du conflit, capitaines, lieutenants, sous-officiers. Il harangue les troupes, définit avec clarté et force la finalité du combat: indépendance des trois Etats d'Indochine et liberté de leurs peuples menacée par le communisme.
Trois victoires récompensent bientôt ses efforts: Vinh Yên (janvier 1951), Dong Triêu, et celle du Dây, assombrie par 1a perte du lieutenant de Lattre, son fils.
Son discours adressé à la jeunesse vietnamienne est un modèle dont nos politiciens devraient s'inspirer s'ils en étaient capables. En substance, après avoir salué d'un coup de képi les jeunes qui ont le courage de rejoindre le vietminh, il admoneste ceux qui, hostiles au communisme, attendent passivement l'issue du conflit. Il les incite à y prendre part dans l'armée vietnamienne en formation.J’ai confiance en vous. Vous êtes l'espoir qui n'a pas failli et ne sera pas déçu. Je crois que le monde sera sauvé par quelques-uns.
Je crois que le Vietnam sera sauvé par vous.Ainsi s'exprimait Jean de Lattre de Tassigny, Maréchal de France, que la France avait chargé de redresser la situation après le désastre de la RC 4.
Parachutistes vietnamiens de la Légion.
Ainsi que l'écrit Saint Marc, il est maître en l'art de la chanson de geste à la française. A l'occasion du 14 Juillet 1951, il organise un formidable défilé à Hanoi, destiné à impressionner la population et à renforcer fierté et unité de l'armée. Pour donner le maximum d'ampleur à la parade il fait appel aux effectifs des postes et campements du delta, osant les dégarnir 24 heures, au risque de les exposer. Le metteur en scène ne manque ni de culot ni de panache. Quel spectacle! Un défilé de fauves. Non pas de troufions végétant en temps de paix dans des villes de garnison, mais de guerriers, la veille encore et le lendemain au contact de l'ennemi.
Cependant, à la nouvelle de la mort de son fils, chacun pressentit un malheur fatal. Le père ne tarda pas à le rejoindre. Les « viets » avaient visé juste, en plein cœur.
Passons en revue les principaux ressorts de son élévation sur le pavois: ancrage dans l'Histoire de France, capital de réussites et de victoires, mis au service d'une situation compromise, ambition personnelle accordée à l' intérêt commun, l'écoute des besoins collectifs et les qualités pour y répondre, de la classe, de la superbe, l' intelligence du geste et de l'expression orale. Et surtout un engagement exemplaire qui provoque un irrésistible effet d'entraînement.
Merci, mon général !
Pour un royaliste j'étais gâté. Sous le Haut-commandement du « roi Jean », je servais à mon modeste rang trois monarques.Le jeune « Bao Dai »
L'empereur Bao Daï, le roi du royaume-paradis laotien, et sa très originale majesté Norodom Sihanouk, qui me plaisait beaucoup.
Novembre 1952
2001 - Le roi Norodom Sihanouk
S.M. Sisavang Vong, dernier roi du Laos.
Ce n'est pas ici le lieu de raconter les deux ans de mon séjour là-bas, ou plutôt là-haut car j'y fus souvent divinement bien. Très rares sont les guerres à avoir laissé d'aussi attachants, cruels et délicieux, souvenirs.
Comme tant d'autres j'ai aimé le pays, ses paysages, ses peuples, leur élégance, leur dignité, leur courage, ses femmes en général, l'une d'elles en particulier. J'ai apprécié la Coloniale, arme du populo, « voyoute », bourlingueuse, colorée, planétaire, un peu toquée, sujette aux coups de bambou et aux quarts d'heure de délire. La discipline m'en a semblé légère relativement à celle des "Bons Pères". La Coloniale compléta au mieux leur éducation en en compensant 1'austérité.
Contrairement à 1'opinion établie, ce ne fut pas une guerre perdue. Pas entièrement en tout cas. L'expansion communiste en Asie du Sud-Est fut freinée, en partie contenue. Le partage du Vietnam (en 1954) laissait à des millions de gens une chance d'échapper au totalitarisme.Dans le métro parisien, parfois seul « blanc » dans le wagon, je me souviens de la bigarrure du Corps expéditionnaire. En cela 1e peuple français tend à lui ressembler. Je ne dis pas que c'est un progrès. Je dis: c'est! Et me demande qui saura lui parler, le réunir, l'enchanter à l'unisson, 1ui proposer un sens, un objectif autre que se serrer la ceinture en vain.
Qui saura s'adresser à la jeunesse, à celle des "quartiers", sans démagogie; sans mépris sottement menaçant, avec autorité et sympathie? Assurément pas un politicien. C'est chanson de geste royale. A nous de préparer le pavois.(à suivre...)
Bernard Lhôte http://www.lesmanantsduroi.com
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Pour une troisième voie économique (arch 2011)
Bonjour mesdames et messieurs,
J’ai aujourd’hui l’honneur de m’adresser à vous à l’invitation de Serge Ayoub. Je ne suis pas membre de Troisième Voie, l’expérience m’ayant enseigné qu’un engagement politique est incompatible avec le recul attendu d’un analyste impartial. Pour autant, je me considère comme un compagnon de route de votre mouvement. J’ai en effet coécrit, avec Serge et un mystérieux « M. Thibaud », un petit ouvrage, « G5G, la guerre de cinquième génération », dont certaines idées se retrouveront sans doute, à l’avenir, dans votre Troisième Voie.
C’est pourquoi, quand Serge m’a demandé une contribution à votre réflexion sur l’économie, j’ai immédiatement accepté. De toute manière, le moment est excellent pour proposer des voies nouvelles. Après tout, ce que nous allons vivre dans les vingt ans qui viennent, c’est la fin d’un monde. Alors profitons-en pour dessiner, dès à présent, ce que nous espérons pour le monde d’après.
Entendons-nous bien : cette formule, « la fin d’un monde », n’est pas une « manière de parler ». C’est l’exacte réalité, nous vivons, tous ici, depuis notre naissance, dans un monde : le monde de la consommation, de la confiance en l’avenir et du crédit. Nous allons, dans les deux décennies qui viennent, basculer dans un autre monde : le monde de la rareté, de la méfiance devant l’avenir et de la menace.
Nous sommes à la veille de constater la faillite du monde anglo-saxon. La dernière fois que ça s’est produit, c’était en 1343, sous le règne d’Edouard III. Cela a entraîné la chute du capitalisme médiéval, conditionné la prolongation de la guerre dite de Cent Ans, et contribué à la division par deux de la population de notre continent. Oyez, oyez, bonnes gens, grand spectacle en perspective ! On ne voit pas ça tous les jours !
C’est comme ça, on n’y peut rien… Essayons de faire une opportunité de cette grande menace : voilà ce dont il doit être question, pour une troisième voie économique.
Mais commençons par prendre l’exacte mesure de la réalité.
Sur le plan financier, la situation actuelle de l’Occident est facile à résumer : c’est la faillite à peu près complète d’à peu près tout le monde. Il y a, dans le système et avant de prendre en compte les produits dérivés, trois ou quatre fois plus de dettes que ce qui est soutenable au regard des taux de croissance actuels. Les évaluations des actifs monétaires sont totalement déconnectées du réel et ne renvoient plus qu’à un immense schéma de Ponzi. Les actifs immobiliers sont estimés sur la base de ce que les baby-boomers étaient prêts à payer pour préparer leur retraite, on va bientôt voir ce qu’ils vaudront quand ces mêmes baby-boomers devront les revendre aux classes démographiques creuses. Les actifs productifs eux-mêmes sont largement surévalués, puisqu’apparemment, personne n’a provisionné les implications des crises énergétiques et écologiques à venir.
En fait, tout l’Occident, c’est ENRON. Tous les occidentaux sont des salariés d’ENRON : ils croient qu’ils ont un boulot, mais en fait, ils n’ont qu’une ligne de crédit sur un compte déjà dans le rouge.
En 2008, les USA et l’Europe se sont offert un répit en sauvant leur système bancaire par les comptes publics. Mais l’Etat salvateur est lui-même totalement démuni. A court terme, la faillite de certains Etats occidentaux devra forcément être constatée, d’une manière ou d’une autre. Va-t-on sauver l’Etat par la Banque, après que la Banque a été sauvée par l’Etat ? Si oui, cela passera par les super-souverains, FMI, BCE. Et après ? Et après, rien. On n’aura fait que reculer pour mieux sauter.
Dans notre situation et à l'intérieur du cadre imposé par la haute finance actuellement au pouvoir, dans l'Etat profond, aux USA et en Europe, il n’y a que trois solutions : admettre qu’on ne peut pas rembourser les dettes, ce qui implique la déflation, puisque les faillites détruisent des revenus ; faire semblant de rembourser en imprimant de la monnaie à tour de bras, ce qui finit toujours par provoquer une inflation, par exemple via les prix des matières premières ou des denrées alimentaires ; ou bien gérer au fil des évènements, une politique de stop and go, pour fabriquer autant que possible une stagflation ou quelque chose qui s’en rapproche.
C’est cette dernière solution que nos élites vont probablement suivre ; tout l’indique à ce stade, en tout cas. Dans les années 1970, cela avait permis de gérer l’abandon de l’étalon-or et les chocs pétroliers ; mais cette fois, la situation est bien plus grave : une stagflation étalée sur dix ans, qui se traduira probablement par une inflation réelle de l’ordre de 10/15 % par an, avec dans le même temps des salaires qui stagneront ou progresseront peu en monnaie courante, voilà le programme. La soupe à la grimace, et il y en aura pour tout le monde ; le tout venant impacter des sociétés ravagées par trente ans de dérive inégalitaire et d’appauvrissement des jeunes au profit des vieux.
Première rupture : c’est la fin de l’ère de la consommation, c’est le début d’une ère de rareté relative. Voire, si certains mécanismes s’emballent, de rareté tout court.
Circonstance aggravante dans ce contexte pour le moins tendu, le système financier international est par terre. Pour l’instant, on a l’impression qu’il est toujours debout parce que tout le monde fait semblant de ne pas voir qu’il est par terre, mais il est bel et bien par terre.
La zone euro sera évidemment à brève échéance contrainte à un réaménagement drastique ; ce sera peut-être une explosion pure et simple entre une zone mark et une zone franc, peut-être le passage à un euro monnaie commune mais pas unique, peut-être une assez improbable sortie de crise par l’inflation, une inflation orchestrée par la BCE – une issue assez improbable vu les positions allemandes sur la question.
Mais en tout cas, ce qui est certain, c’est que la zone euro telle que nous la connaissions, c'est fini. Ça ne pouvait pas durer, de toute manière. En gros, c’était : « empruntez comme des Américains si vous êtes espagnols ou irlandais, négociez vos salaires comme des Français si vous êtes français, et profitez cependant des avantages d’une monnaie forte, à l’Allemande, si vous êtes riches. » Ce genre d’incohérence ne peut pas durer très longtemps. Surtout quand ça crée un système où il n’y a plus aucun outil de contrôle au sein d’un espace allant de Naples à Paris…
Le dollar, lui, n’est plus appuyé sur rien, à part la trouille bleue que le monde entier éprouve devant l’US Army. A ce sujet, pour ceux qui se demanderaient ce que les armées occidentales vont faire en Lybie : non, il ne s’agit pas de défendre les droits de l’homme parce que BHL a prophétisé son oracle. Il s’agit d’implanter une présence militaire euro-américaine pour empêcher par les armes la progression jusque là irrésistible de la Chinafrique, et ainsi conserver les matières premières sous contrôle – la seule raison qu’il reste au monde de vouloir du dollar, c’est en effet qu’on en a besoin pour acheter du pétrole et des matières premières.
Conclusion : le système que l’Occident est en train de mettre en place, en gros, c’est le durcissement de la structure de classes en interne, et l’impérialisme à l’extérieur, pour défendre le pouvoir de la haute finance, principalement anglo-saxonne, en confisquant les matières premières et les énergies. Soit l’impérialisme pour sauver l’hypercentralisme du capital privé.
Techniquement, ça rappelle assez certaines logiques des années 30, n’est-ce pas ?
Militants de Troisième Voie, à l’avenir, quand on vous traitera de fascistes, vous pourrez répondre à bon droit que vous l’êtes en tout cas moins que les gens que vous combattez ! Une réponse alternative serait que vous assumez les bons côtés du fascisme-projet, alors que les dirigeants actuels du capitalisme globalisé incarnent les mauvais côtés du fascisme-Etat, mais ce genre de nuances est probablement incompréhensible pour la plupart des gens…
Bref, revenons au sujet.
En face de ce fascisme bancaire occidental, un contre-pôle apparaît. En gros, c’est l’Organisation de Coopération de Shanghai, c'est-à-dire principalement l’alliance sino-russe, avec l’Inde en arrière-plan, même si elle n’a pas encore clairement choisi son camp.
Ce contre-pôle, on peut le remarquer au passage, est allié avec une partie du monde musulman, mais ennemi d’une autre partie. Ici comme ailleurs dans l’Histoire, l’unité musulmane apparaît comme un leurre, et ceux qui ont espéré, à une certaine époque, en l’Islam unifié contre l’Empire de la Banque… eh bien ceux-là apparaissent, une fois de plus, comme des rêveurs. Le monde musulman, sur le plan géopolitique, ça n’existe pas. Il y a des pays musulmans, la plupart sont sans force. La Turquie et l’Iran ont un véritable pouvoir régional, mais le face-à-face planétaire, évidemment c’est Chine contre USA, avec l’Europe à ce stade dans le camp américain, et la Russie dans le camp chinois.
Il y a un contre-impérialisme pour défendre l’hypercentralisme du capital d’Etat, et ça n’a rien à voir avec le Grand Jihad Hollywoodien et autres fariboles plus ou moins made in CIA...
Le monde qui émerge, à travers cette confrontation pour l’instant très froide et très indirecte entre OTAN et OCS, c’est un monde de la méfiance. La méfiance de tous devant l’avenir engendre la méfiance de chacun devant les autres. C’est la deuxième rupture : le passage d’un monde de la confiance en l’avenir à un monde de la méfiance devant l’avenir, et donc de la méfiance entre les puissances.
Cette rupture est sinistre, bien sûr, mais il faut aussi reconnaître qu’elle traduit une prise de conscience : les peuples qui ont fait confiance à l’Empire occidental savent maintenant à quoi s’en tenir, quand on leur tient des discours lénifiants sur la démocratie et la société ouverte. Allez parler de société ouverte aux retraités russes, vous allez voir, ils ont des choses à dire à ce sujet…
Bref, revenons au sujet : le temps de la méfiance.
La manifestation concrète de cette méfiance, c’est la décision sino-russe de commercer désormais en roubles et yuans. La signification de cette décision, c’est que la moitié du monde se prépare à sortir du cadre de représentation monétaire promu par l’Occident. La confiance ne règne pas…
Et elle ne règne pas, d’ailleurs, pour de bonnes raisons.
Ce cadre de représentation monétaire, promu par la sphère anglo-saxonne, dominante au sein de l’Occident, est depuis toujours appuyé sur le système du crédit. Ce système du crédit, concrètement, cela consiste à fabriquer, via la dette, une masse monétaire un peu plus importante que les besoins de l’économie réelle, qu’on lance ainsi à la poursuite d’une fiction : l’économie qu’il faut construire pour donner un sous-jacent à la masse monétaire générée par le crédit. De ce cadre de représentation, induit par le système du crédit, découle l’obligation de la croissance.
Au départ, tout cela n’était pas malsain ; cela a pu contribuer à créer de la prospérité. Mais le système a peu à peu dégénéré, au fur et à mesure que le capitalisme butait sur des limites écologiques et énergétiques niées contre toute évidence. La machine économique occidentale s’est ainsi virtualisée jusqu’à définir une véritable paraphrénie, une sorte de discours délirant produit par un cerveau global schizophrène : vous ne pouvez plus rouler en voiture, mais les compagnies automobiles font des bénéfices records ; vous êtes rendus malades par les médicaments, mais l’industrie pharmaceutique prospère. C’est de la folie. Le système économique occidental, depuis quelques décennies, c’est de la folie.
Le résultat contemporain, c’est une course en avant qui a échappé à toute limite, à tout processus de pilotage coordonné, un cerveau global entièrement dominé par une irrésistible « pulsion de croissance », si j’ose dire, en fait un cerveau global psychotique. Un cerveau global qui, parvenu au terme de son évolution, révèle progressivement son caractère psychotique, jusqu’à devenir une sorte de serial killer planétaire, ivre de toute puissance technologique, exactement comme un pervers violent est ivre de puissance devant une victime.
Il y a un moment où il va falloir que nous, occidentaux contemporains, acceptions de nous voir tels que nous sommes, même si c’est douloureux…
Nous sommes une civilisation malade. Nous avons détruit la conscience en anéantissant les cadres religieux qui interposaient des limites, des barrières, entre nous et nos fantasmes de toute-puissance. Nous sommes sortis de la religion, puis nous avons laissé tomber nos idéologies, qui étaient des formes religieuses dégénérées. A présent, nous sommes dans les ténèbres, mais nous ne le savons pas. Nous avançons tels des somnambules, ou plutôt tels des morts vivants, des robots, des créatures programmées par une obsession qui les commande pour leur perte. De la disparition de toute référence à une extériorité transcendante, de l’émergence d’une sorte de projection de nous-mêmes comme point de référence à notre course, est sortie une vision du monde pathologique. Celle d’un Jacques Attali, qui nous présente comme « l’idéal judéo-grec » la double négation de la conscience juive du péché et de la conscience grecque de la nature. Véritablement, c’est une maladie dégénérative.
Nous sommes aussi une civilisation contagieuse. Parce que nous engageons une course indéfinie à la puissance technologique, tout le monde est obligé de nous suivre. Certains n’y parviennent pas : Africains, musulmans, sud-américains, pour l’instant. D’autres y parviennent : Russes et Chinois, Indiens aussi, en partie. Il y a donc d’un côté ceux que nous pouvons détruire, et d’autre part ceux qui sont amenés, à leur façon, à nous suivre pour résister à notre menace – en produisant une menace en sens inverse.
C’est là que nous trouvons la troisième rupture : bienvenu dans le siècle des menaces, et des menaces croisées, réciproques.
Donc, je me résume pour que tout le monde ait les idées claires, voilà la situation : l’ère de la consommation, de la confiance et du crédit, nous a conduits, à l’instant de son retournement, dans l’ère de la rareté, de la méfiance et de la menace.
Et alors la Troisième Voie, dans ce contexte ? J’y viens.
Deux voies existent aujourd’hui. Le système s’arrange toujours plus ou moins pour fabriquer deux voies. Ça ne date pas d’hier…
La première voie est définie par le bloc occidental : c’est le capitalisme de la Banque ; la seconde voie est incarnée désormais par la Chine : c’est le capitalisme de l’Etat. Dans les deux cas, le capitalisme n’a plus grand-chose à voir avec la libre entreprise, encore moins avec la liberté. Il n’y a pas de libre entreprise dans un pays où la Banque déclenche des faillites collectives pour ramasser périodiquement la mise. Il n’y en a pas plus, évidemment, dans un système où l’Etat conserve fondamentalement un contrôle presque total sur la société.
Ces deux voies, chinoises et anglo-saxonnes, n’en font qu’une à long terme. Aucune des deux ne répond aux défis de l’heure. Elles sont produites par le siècle des menaces, mais elles ne permettent pas de répondre aux défis de ce siècle. Dans les deux cas, ce que nous avons, c’est un programme de maximisation de la puissance, une obsession de la croissance quantitative. Ni le modèle américain, ni le modèle chinois ne permettent de définir un avenir humain dans un monde où l’impératif de croissance va buter sur ses impératifs écologiques, énergétiques, mais aussi psychosociaux.
En fait, ces deux modèles supposent implicitement un rebond technologique avant la date fatidique où les catastrophes convergent, entre 2020 et 2030. Mais ce rebond paraît très improbable. L’énergie de fusion, les ordinateurs quantiques… on nous promet tant de choses. Mais en pratique, ce que l’on voit, c’est un déluge de gadgets, une multiplication des micro-innovations d’un intérêt de plus en plus douteux.
La voie du capitalisme financiarisé, virtualisé, à l’occidentale, nous conduit vers un monde où le Capital privé, devenu maître de l’Etat, bâtit un pôle de puissance et de richesse prédateur et restreint, dominant un contre-pôle de pauvreté et d’impuissance, formé par une masse dominée. C’est le monde créé par la toute-puissance de la Banque virtualisée, toute-puissance prédatrice et corruptrice, racine de presque tous nos maux, en réalité. Fondamentalement, le cœur de cette voie se trouve dans les pays anglo-saxons et en Israël. Précisons que les peuples américains, anglais ou israéliens n’y sont, dans leur écrasante majorité, pour rien ou à peu près ; ils se trouvent simplement que le Capital a élu domicile chez eux. Ils commencent d’ailleurs à figurer parmi les victimes les plus cruellement attaquées, d’ailleurs, s’agissant en tout cas des Américains et des Anglais.
La voie du capitalisme encore industriel, à la chinoise, nous conduit exactement vers le même monde, avec deux ou trois décennies de retard, malgré la vitesse étonnante du décollage chinois. Le capitalisme de l’Etat, tout en haut de la structure, donne peut-être à la voie chinoise, à ce stade, une plus grande cohérence. Mais ne nous y trompons pas, cette cohérence n’est pas mise au service de la liberté, de la dignité des êtres ordinaires. Le système chinois a l’immense mérite de parvenir à gérer un pays d’un milliard trois cent millions d’habitants. Mais ce n’est pas un système que nous, européens, pouvons envier.
En pratique et en profondeur, Chine, USA, cela revient au même : c’est le modèle d’une humanité à deux vitesses, pour mettre en cohérence le maintien du niveau de l’empreinte écologique démesurée des riches et l’harmonisation des structures de classes à l’échelle planétaire. Deux voies s’opposent, mais elles s’opposent pour se cautionner, et pour conduire, par leur opposition, à un unique modèle. Lire Jacques Attali, pour savoir ce qu’est ce modèle.
Chine-USA, une opposition en forme de piège. Une ruse de l’Histoire. Ou plutôt : de ceux qui font l’Histoire.
Mais c’est aussi une opportunité, car à la charnière de ces deux voies opposées par leur origine, et convergentes par leur dynamique, une troisième voie peut apparaître.
Cette troisième voie, c’est notre espoir.
Le duopole sino-américain est en crise. Il y a une sorte de course de vitesse entre deux phénomènes historiques : d’une part la confiscation progressive du pouvoir par une hyperclasse mondialisée qui a encore, sans doute, besoin de plusieurs décennies pour prendre vraiment conscience d’elle-même à l’échelle globale ; d’autre part l’implosion de l’empire jusque là dominant, celui du capitalisme occidental, et une transition complexe à gérer vers une nouvelle structure, au sein de laquelle la Chine risque d’être prédominante. La super-crise sociale et la super-crise géopolitique : laquelle des deux va surdéterminer l’autre ?
Alors, à tout moment, l’opposition de façade entre capitalisme occidental et capitalisme asiatique peut devenir autre chose qu’une opposition de façade. Le système global n’est pas stabilisé ; il faudra encore plusieurs décennies pour le stabiliser.
Et c’est donc pendant ce moment historique, entre l’ère impérialiste occidentale et l’ère de l’hyperclasse globalisée, et à la charnière entre les deux sphères occidentale et asiatique, c’est ici et maintenant, que peut se trouver une des rares lueurs d’espoir de notre époque : l’hypothèse d’une renaissance européenne, pour une troisième voie, ni américaine, ni asiatique.
Le monde a besoin d’un retour à l’esprit de limitation, parce que nous sortons de la consommation et entrons dans la rareté. Le monde a besoin d’une proposition de société qui préfère l’équilibre à la croissance, parce que nous sortons du temps de la confiance aveugle en l’avenir, parce que nous entrons dans l’ère de la méfiance. Et par-dessus tout, le monde a besoin d’une capacité à construire la paix et la stabilité, parce qu’il est, désormais, le monde de la menace. Ces caractéristiques, limitation, équilibre, stabilité, ne peuvent être apportées ni par l’économie atlantique contemporaine, véritable prolifération cancéreuse de la valeur comptable sans contrepartie réelle, machine à secréter le déséquilibre destructeur, ni par une économie chinoise pour l’instant éclatante de santé, mais caractérisée en profondeur par des déséquilibres sociaux gravissimes, qui finiront par pousser Pékin à s’engager dans un impérialisme adapté à la donne chinoise.
Dans un tel contexte, la définition d’une troisième voie par un troisième pôle est une espérance pour le monde.
Cette troisième voie, sa définition suppose d’une part qu’une force émerge qui puisse dire non à l’impérialisme anglo-saxon, d’autre part que ce refus soit accompagné d’une proposition positive de refondation.
La force, pour liquider l’énorme masse de dettes en la soldant sur la finance spéculative – ce qui suppose, pour que le voleur rende gorge, que la puissance de l’US Army et des réseaux d’influence de l’Empire occidental, gardiens du pouvoir de la Banque, trouve en face d’elle une puissance dissuasive, de force sinon égale, au moins comparable. La force, en somme, pour préempter la crise géopolitique, pour l’utiliser comme un levier, au lieu de la subir.
Et la proposition de refondation, c’est la fin, ou plutôt le dépassement de la psychose occidentale. Si notre civilisation a fabriqué cette psychose, c’est d’abord parce qu’elle avait pris énormément d’avance sur les autres civilisations du globe. Ceci implique aussi que nous pouvons, peut-être, trouver les premiers le remède à la maladie que nous avons répandue.
Ce remède, on le connaît tous en réalité. Arrêtons de tourner autour du pot : très concrètement, il s’agit de convaincre les riches qu’ils vivront une vie bien plus intéressante en partageant. Hors de là, pas de salut. Un processus d’imitation parcourt la structure sociale et la modèle de haut en bas. Nous devons en changer le contenu, pour qu’il répande à nouveau, à travers toutes les couches de la société, les valeurs supérieures du courage, de l’ascèse, du partage, et de la protection du faible par le fort en somme. Bref, il faut en finir avec le règne des marchands.
Si l’on a pu s’illusionner un instant sur une possible révolution conservatrice aux USA, il devient désormais évident que nous ne trouverons pas la formule de cette réhabilitation des valeurs supérieures dans un monde atlantique qui nous domine, mais qui illustre, jour après jour, sa renonciation à toute décence. Nos traditions de l’Europe continentale sont notre dernier espoir, voilà ce qu’il nous faut raviver si nous ne voulons pas périr.
Bref, qu’il s’agisse de constituer un pôle de puissance ou de lui donner une substance, c’est toujours par un choix géostratégique que peut et doit commencer toute « troisième voie économique » : nous devons choisir le contrepoids à la puissance et aux valeurs d’un monde atlantique malade et prédateur, qui nous fait crever parce qu’il héberge, pour l’instant du moins, la Banque, le Capital parasitaire. Demain, peut-être, une deuxième révolution américaine me fera mentir.
Mais pour l’instant, nous savons tous où se trouve l’alternative : dans l’alliance russe.
Et nous savons tous, aussi, comment cette alliance peut s’organiser. Depuis que Vladimir Poutine a publié dans la Süddeutsche Zeitung un plaidoyer pour un espace économique de Lisbonne à Vladivostok, tout le monde a pu constater que le Kremlin veut l’alliance européenne – ce qui est parfaitement logique, puisque cela installe la Russie en pont terrestre entre l’Europe et l’Asie. Et tout le monde a pu constater, aussi, que la proposition a été formulée en allemand, ce qui, là encore, n’étonnera personne, du moins parmi les gens qui se sont intéressés, ces dernières années, à la progression fulgurante du commerce germano-russe.
Bref, le nom concret de l’alliance russe, c’est : Paris-Berlin-Moscou.
Alors soyons clair : si vous vous demandez, parmi les gens qui vous parlent, qui est du côté des peuples, il y a deux questions à poser. La première, évidente, c’est : êtes-vous pour le retour à la souveraineté monétaire des Etats, donc pour l’abolition de la loi de 1973 interdisant à la Banque de France d’accepter les effets du Trésor à l’escompte. La deuxième, moins évidente mais tout aussi cruciale, c’est : êtes-vous pour une alliance Paris-Berlin-Moscou ?
Ceux qui répondent oui aux deux questions veulent une troisième voie économique.
Ceux qui répondent oui à la première question, la loi de 73, mais non à la seconde, Paris-Berlin-Moscou, sont de doux rêveurs, qui n’ont pas pris conscience des vrais rapports de force.
Vous en trouverez aussi qui répondent oui à la deuxième question, Paris-Berlin-Moscou, mais non à la première, la loi de 1973. Ceux-là veulent en réalité positionner le pouvoir bancaire au cœur d’une future économie continentale – car, il faut bien le comprendre, ce pouvoir, aujourd’hui logé dans le monde atlantique, peut très bien, demain, se repositionner dans un cadre différent, y compris à travers un axe Berlin-Moscou maîtrisé, en réalité, par les banques d’affaires. La politique et l’économie sérieuses, ce n’est jamais simple.
Mais supposons que tous les écueils ont été contournés. Supposons qu’un nouveau pouvoir, en France et en Allemagne, sans rompre totalement les liens avec les USA, engage réellement l’Europe dans une troisième voie économique…
Imaginons que le rêve esquissé par Vladimir Poutine dans la Süddeutsche Zeitung est devenu réalité. En quoi consiste alors la troisième voie ?
Oh, ça n’a rien de bien sorcier : c’est d’une part le relèvement de tout ce qui a été abattu par un demi-siècle de despotisme bancaire, et d’autre part l’adaptation de ces dispositifs restaurés à la nouvelle donne créée par les défis du XXI° siècle, des défis qui ne seront pas ceux du XX° siècle.
En France, en gros, il faut refaire le Conseil National de la Résistance, en nous souvenant que l’enjeu n’est plus tant de sortir de la pauvreté que d’organiser une aisance écologiquement responsable. En Allemagne, il faut revenir, là encore sous des formes renouvelées, à ce qui s’appelle, là-bas, l’économie sociale de marché et la cogestion. Et en Russie, il faut continuer le bon travail fait, depuis dix ans, par Poutine, en tirant profit des avantages considérables que la Russie peut espérer d’un investissement technologique européen. Nous avons notre hinterland à développer, il s’appelle la Sibérie, et il est immense. Croyez-moi, si nous osons renaître, nous ne sommes pas les plus mal placés sur terre…
On peut tout à fait imaginer que progressivement ces modèles européens, ces projets nationaux inscrits en Europe, se rapprochent et, dans une certaine mesure, fusionnent. Il est hors de doute qu’il existe aujourd’hui en France un intérêt pour ce que l’Allemagne a réussi mieux que nous ; une partie de cet intérêt est obscène : cette partie renvoie au fantasme que le pouvoir capitaliste français a toujours entretenu à l’égard de la société germanique hiérarchisée. Mais une autre partie de cet intérêt est tout à fait sain : le fait est que la cogestion et l’économie sociale de marché, eh bien cela marche tout simplement, dans certains domaines, mieux que la planification indicative à la française – même si dans d’autres domaines, c’est le système français qui s’impose.
D’ailleurs, il existe aujourd’hui en Allemagne un vif intérêt pour l’esprit de solidarité français – évidemment, les médias dominants, ici, ne vous en parlent pas, mais savez-vous que récemment, un sondage a révélé que 75 % des Allemands approuvaient une grève dure dans les chemins de fer, parce qu’ils estiment la rigueur excessive ? Vous a-t-on parlé des manifestations importantes qui viennent de secouer la Saxe, à peu près là d’où est parti, en 1989, le mouvement qui devait mettre la RDA par terre… Non, évidemment : vous comptez compter sur les médias français quand il s’agit de ne pas vous informer de ces choses. On préfère vous expliquer que les Allemands bossent dur et ferment leur gueule, et que vous devriez faire pareil. Eh bien, sachez-le, on vous ment : en Allemagne, il n’y a pas que des patrons et des retraités, il y a aussi une population qui souffre. Rien ne dit que cette population acceptera éternellement d’être le prisonnier modèle de la nouvelle prison des peuples, j’ai nommé l’Union Européenne bruxelloise…
En fait, ce qui se passe en ce moment, c’est que l’Europe est en train d’hésiter entre conclure son suicide et renaître.
Si nous ne parvenons pas à triompher de la dictature des marchés financiers, si nous devenons les auxiliaires du combat d’une soi-disant voie occidentale vers la société de l’injustice, contre une voie asiatique conduisant d’ailleurs elle aussi à cette même société de l’injustice… bref, si nous nous laissons entraîner dans une voie que nous n’avons pas choisie, les gens qui nous ont poussé au suicide finiront leur travail.
Mais il y a une autre voie.
La voie qui consiste, tout simplement, à décider nous-mêmes de notre avenir. Restaurer notre souveraineté nationale, l’insérer dans un ordre européen reposant sur une alliance structurelle entre des puissances européennes souveraines, mais coordonnées par un système d’agences, souple et réactif. Utiliser le formidable levier de puissance de cette alliance pour reconquérir les instruments de la souveraineté monétaire. Utiliser la souveraineté monétaire pour opérer, à l’échelle d’un espace eurosibérien coordonné, une véritable refondation monétaire. Profiter de cette refondation monétaire pour faire, à l’échelle de cet immense espace eurosibérien, ce que jadis, en plus petit, l’alliance des résistants dans le CNR avait fait en France, ou encore ce que, d’une autre manière, les politiques habiles et raisonnables firent en Allemagne, dans les années 50. Redistribuer les revenus. Dompter le capitalisme. L’obliger à produire, sans violence inutile, sans contrainte autre que celle strictement nécessaire, la dose exacte de socialisme qui doit servir de contrepoids à un libéralisme sain, un libéralisme des entrepreneurs. Et choisir, ainsi, à travers l’économie, qui n’est qu’un outil, la renaissance de nos vieux peuples.
On sait tous très bien ce qu’il faut faire. Et on sait tous très bien que la seule chose qui nous empêche de le faire, c’est, tout simplement, le pouvoir des riches, des très riches. Il faut, donc, tout simplement, briser ce pouvoir, là où il est à ce stade concentré : dans l’Anglosphère. La troisième voie, c’est la voie qui conduit à remporter cette bataille-là.
C’est possible. Mon opinion est qu’il y a très peu de chances pour que cela arrive, je ne vous le cacherai pas. Mais c’est possible, et c’est absolument la dernière chance, le dernier arrêt pour descendre et changer de train. Après, le programme, c’est highway to hell.
Donc, en conclusion, voilà à quoi, à mon avis, doit correspondre la troisième voie économique défendue par votre mouvement : saisir la dernière chance de l’Europe.
Evidemment, on dira qu’il y a un extraordinaire décalage entre cette ambition et vos moyens. A quoi bon, dira-t-on, parler de ces questions à des gens si peu nombreux, si peu puissants ?
A cette objection, je répondrai qu’on ne vous demande pas, à vous du mouvement Troisième Voie, d’être plus que des auxiliaires dans ce grand combat.
A ceux qui s’étonnent, ici ou là, que je sois un compagnon de route de votre mouvement, je réponds en général ceci : quand on va passer aux choses sérieuses, ce qui arrivera forcément dans quelques années, et nous le savons tous… quand on va passer aux choses sérieuses, donc, vous préférez les trouver où, les jeunes gars de cette tendance : en face de vous, ou à côté de vous ?
Et donc, voilà pourquoi j’espère, militants et sympathisants du mouvement Troisième Voie, vous avoir, en bon compagnon de route, un peu aidé aujourd’hui à choisir le bon combat.
Michel drac http://www.scriptoblog.com -
1 7 7 1 : Le coup d’État de Maupeou
Cette année-là - la cinquante-sixième de son règne - le roi Louis XV décida d’en finir avec la fronde des parlementaires laquelle, se prolongeant depuis déjà six ans, risquait de mener la monarchie à la ruine en empêchant l’enregistrement des édits et en bloquant toutes les réformes nécessaires. Constatant l’état de quasi rébellion de la magistrature, toujours plus insolente, le chancelier de Maupeou, devenu le principal ministre depuis le renvoi de Choiseul, engagea le Roi, dès le début de janvier, dans une opération décisive qui allait être menée tambour battant.
La nuit du 19 au 20 chacun des parlementaires reçut la visite de deux mousquetaires leur demandant de signer l’édit royal les forçant à l’obéissance. Ils refusèrent en bloc. Dès le lendemain, un arrêt du Conseil prononça la confiscation de leurs charges. Suivirent les lettres de cachet les exilant dans différentes villes de province.
Les furieuses récriminations des salons et de quelques courtisans s’essouflèrent très vite, car, si Maupeou bravait hardiment ce monstre qu’était en train de devenir l’opinion publique, les Français virent dans ce coup de force accompli sans violence mais sans faiblesse contre les privilégiés la volonté du Roi de se donner les moyens de régner pour le bien de tous les Français. Car depuis trop longtemps les parlementaires agissant en féodaux doublés de démagogues prétendaient représenter le nation qu’ils dressaient tel un corps séparé du monarque lequel par nature en était la tête. C’était en fait une révolution qui était étouffée dans l’oeuf en ce mois de janvier 1771.
Les bienfaits se firent sentir aussitôt : les parlements de Paris et de province furent dépouillés de leurs attributions politiques, de nouvelles cours appelées Conseils supérieurs furent créées, la justice fut ainsi rapprochée des justiciables, la vénalité des charges fut abolie, les frais de justice diminuèrent.
Le nettoyage permit dès lors au contrôleur général Terray d’établir une meilleure justice fiscale, d’abolir des exemptions d’impôts abusives, de faire payer l’impôt du vingtième par tous, privilégiés compris.
En cette année 1771 la monarchie - que nul n’estimait vermoulue - montrait qu’elle possédait en elle-même la force de surmonter une grave crise pour imposer à tous le respect du bien commun. Il lui avait suffi d’un peu d’audace et d’énergie pour renverser une barrière d’intérêts catégoriels et se donner ainsi les mains libres pour accomplir les réformes politiques et sociales qui s’imposaient à une monarchie moderne. Hélas, trois ans plus tard, le 10 mai 1774, mourait Louis XV. Dès son accession au trône, son petit-fils le jeune Louis XVI, prince intelligent et fort averti des nécessités du temps, mais horrifié à l’idée de devoir sévir, se laissa gagner par les pleurs des parlementaires et remit ces oligarques en selle, pour le plus grand malheur de sa dynastie et de la France...
MICHEL FROMENTOUX L’Action Française 2000 du 17 janvier au 6 février 2008