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géopolitique - Page 941

  • Le Qatar démasqué

    Financement de la droite israélienne, soutien au terrorisme, déstabilisation des pays arabes et … achat de la Coupe du Monde

    Ex: http://mediabenews.wordpress.com/

    Selon l’ancienne chef de la diplomatie israélienne, l’Emirat a financé les campagnes du Likoud, du Premier ministre Benjamin Netanyahu, et Israël Beïtenou du ministre des Affaires étrangères, Avigdor Liebermann.

    Qui sème la «révolution», récolte le chaos. L’Emirat du Qatar, véritable parrain des pseudos «printemps arabes», vient d’être piégé par ses propres manigances. Ce minuscule Etat, qui aurait pu s’appeler «Al Jazeera» – cette chaîne de télévision qui continue d’attiser le feu de la discorde dans les pays arabes – ne recule devant rien. Il est même prêt à s’allier avec le diable et à sacrifier les causes nobles pour s’arroger le leadership du Monde arabe.

    Après le scandale de l’«achat» de la Coupe du Monde 2022, révélé il y a moins d’une semaine par le magazine France Football, c’est au tour de l’ancienne ministre israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Livni, de jeter un autre pavé dans la mare, en soulevant littéralement le «Kamis» de l’émir du Qatar. S’exprimant sur une chaîne de télévision israélienne, juste après les législatives emportées par le Likoud de Benyamin Netanyahu, l’«amie» de Cheikha Moza, a affirmé sur un plateau de télévision, en Israël, que le Qatar a financé, lors des dernières élections législatives, les campagnes du Likoud du Premier ministre, Benjamin Netanyahu, et Israël Beïtenou du ministre des Affaires étrangères, Avigdor Liebermann.

    Les deux responsables israéliens auraient empoché, respectivement 3 millions et 2,5 millions de dollars. Selon la responsable du parti Kadima, certains hauts responsables «commettent une grave erreur, car nous apparaissons dans le monde comme des voleurs de grand chemin». Pour elle, «le Qatar est un pays ami et je suis personnellement très amie avec Madame Moza, mais il s’agit de notre Etat et de notre démocratie qu’il ne faut pas discréditer dans le monde». Le plus curieux dans tout cela, est que les deux formations sont connues pour leur hostilité au Monde arabe. D’autant plus qu’elles prônent une intense vague de colonisation, tout en s’opposant à la création d’un Etat palestinien indépendant. Quelle en est donc la contrepartie? Selon des sources concordantes, Doha aurait obtenu des deux partis d’extrême droite israélienne, la création, sous réserve de leur élection, d’une fédération jordano-palestinienne, présidée par le mouvement Hamas. Un vieux «projet» remis au goût du jour, à la faveur de l’éclatement du Monde arabe.

    Ce qui est d’autant plus curieux c’est le fait que les autorités qataries n’ont pas réagi aux déclarations de Livni, alors que du côté de la presse occidentale, c’est le silence radio. L’objectif est donc, somme toute, clair: il s’agit pour l’Occident de faire de l’Emirat du Qatar un sous-traitant de ses desseins de déstabilisation et d’atomisation du Monde arabe. Leur principal objectif est la mise en oeuvre du projet du Grand Moyen-Orient, revu et corrigé, par l’installation, de petits États théocratiques, sans objectifs, ni assise démocratique.

    De fait, la «bombe» lâchée par Livni, confirme les grands soupçons qui pèsent sur cet émirat de moins de 500.000 habitants, devenu ces derniers temps le financier de la mort de l’Occident dans les quatre coins du monde, notamment dans le monde arabo-musulman. Ce qui se passe aujourd’hui en Egypte, en Tunisie, en Libye, en Syrie… et même dans le Sahel, répond à un plan de déstabilisation prédéfini pour plonger ces pays dans les ténèbres du Moyen âge, avec des fetwas «grassement» financées par l’Emirat de Cheikh Hamad.

    Sur un autre chapitre, et en plus des révélations de France Football concernant les «magouilles» ayant présidé à l’octroi de l’organisation de la Coupe du Monde 2022 au Qatar, le journal français, Le Canard enchaîné a révélé, il y a six mois, documents à l’appui, que le Qatar finance le Mujao et autres groupes terroristes au nord du Mali. Comme il l’a également fait en Libye en soutenant les rebelles islamistes qui continuent de mettre le pays à feu et à sang. L’émir Hamad n’a-t-il pas déclaré en personne que le Qatar finance les rebelles syriens et tous les mercenaires islamistes qui viennent de tous les pays arabes combattre en Syrie. Ainsi, et au lieu de venir à la rescousse des populations palestiniennes, notamment ces enfants de Ghaza victimes des raids meurtriers israéliens, le Qatar apporte son soutien à l’extrême droite israélienne, celle-là même qui affiche sa haine viscérale aux Arabes et à la création d’un Etat palestinien indépendant.

    D’ailleurs, la visite du cheikh Hamad Bin Khalifa à Ghaza, quelques jours avant le raid israélien, a été mal perçue par le mouvement Fatah. «Cette visite n’est pas la bienvenue, parce qu’elle vise à consacrer la division et la séparation entre la Cisjordanie et la bande de Ghaza.»

    Cette visite ne sert que l’entité sioniste selon le Fplp, qui rappelle que «le sang des milliers d’enfants syriens, libyens et yéménites versé à cause des fonds et des médias qataris ne permettra pas à ce visiteur de redorer son blason». Ce qui a conforté le deal relevé par Tzipi Livni, concernant la création d’une fédération jordano-palestinienne. Les masques sont tombés.

    Source : lexpressiondz
  • Analyse géopolitique : le grand jeu sahélien

     Ex: http://mediabenews.wordpress.com/

    Tout était en place pour que le Mali s’effondre et que le Sahel explose. Affaibli par les politiques d’austérité du FMI, longtemps paralysé par la Françafrique, victime du réchauffement climatique et de multiples sécheresses, le Mali est devenu l’une des pièces centrales du nouveau grand jeu sahélien. Revendication touarègue, djihadistes enrichis par le narcotrafic, déstabilisation libyenne et ambiguïtés algériennes, financements occultes saoudiens, stratégie à court terme des États-Unis et de l’Union européenne… Voici toutes les raisons de la guerre.

    Nous sommes en 1960, le Mali accède à l’indépendance. Le premier président malien, Modibo Keïta, instituteur et panafricaniste, élu démocratiquement, a à peine le temps d’entamer une profonde réforme agraire avant d’être renversé en 1968 lors d’un coup d’état mené par Moussa Traoré, soutenu par la France. Durant les vingt-trois ans d’un règne sanglant, ce dernier bénéficiera constamment du soutien de tous les gouvernements français. La Françafrique dans toute sa laideur. Moussa Traoré recevra également le soutien du FMI et de la Banque Mondiale dont il appliquera les directives de « plans d’ajustement structurel ». Aggravant ainsi la situation économique et sociale de son pays.

    Sécheresses, sous-développement et rébellion dans le nord

    Moussa Traoré ne se contente pas d’appauvrir et d’affamer son peuple, il mène aussi une forte répression contre la minorité Touareg du Mali. Les Touaregs représentent environ 2 % de la population malienne [1]. Ils sont également présents au Niger, au Burkina-Faso, en Mauritanie, en Libye et en Algérie. Ils connaissent parfaitement toute la bande sahélienne et gardent, pour un grand nombre d’entre eux, un mode de vie nomade. Ils refusent d’être incorporés dans des structures étatiques et restreints par des frontières nationales qu’ils contestent. Et revendiquent le Nord Mali – l’Azawad – comme territoire indépendant. Une spécificité niée par le découpage des frontières coloniales. Les principales organisations armées touarègues sont le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), Ansar Dine et un tout récent groupe issu de la scission de ce dernier, le Mouvement islamique de l’Azawad (MIA), dont le leader se revendique « malien et contre toute forme de terrorisme » [2]

    Le réchauffement climatique

    La longue lutte du « peuple du désert » s’analyse aussi par les enjeux climatiques : un siècle de détérioration des terres arables, grignotées par le désert malgré les « ceintures vertes », et de longues sécheresses, qui ont bouleversé le modèle pastoral des Touaregs. Les sécheresses de 1968, 1974 et 1985 affamèrent des milliers de Touaregs et les poussèrent dans les villes du sud du Mali. L’année 2012 n’a pas manqué à la règle et a été marquée par une grande sécheresse, amplifiée par le dérèglement climatique.

    Peu de temps après le déclenchement de la deuxième rébellion touarègue de 1990, le dictateur Moussa Traoré est renversé par un autre militaire, Amadou Toumani Touré, dit ATT. Il met fin à la dictature ainsi qu’à la guerre contre la rébellion touarègue en signant les accords de Tamanrasset de 1992, qui prévoient la démilitarisation du nord, une décentralisation de l’État et des investissements pour aider au développement de la région, délaissée depuis deux décennies.

    La dette et le FMI

    C’était oublier la dette. La jeune démocratie malienne, menée par Alpha Oumar Konaré, est empêtrée dans le remboursement d’une dette de près de 3 milliards d’euros, équivalente au PIB annuel du pays. Une dette largement héritée de la dictature militaire : de 1968 à 2001, elle a été multipliée par 30 ! Près de 60 % des recettes fiscales du Mali servent à payer le service de la dette (l’emprunt et les taux d’intérêt) au FMI, empêchant le paiement des salaires, aggravant les inégalités territoriales et la pauvreté. Il faut attendre 2005, pour que le G8 décide d’annuler la moitié de la dette du Mali. Trop tard…

    Les fourches caudines du FMI et de la Banque mondiale déstabilisent profondément la société malienne et ses paysans. Le pays perd sa souveraineté alimentaire : il importe les trois quarts des céréales qu’il consomme. Les maliens sont systématiquement poussés à l’exode : des villages vers les villes, du Mali vers la France. La diaspora malienne à l’étranger représente la première source de devises étrangères au Mali.

    Malgré un Programme de soutien au développement du nord, doté de 300 millions d’euros, le gouvernement malien ne peut tenir ses engagements. Et en dépit de nouveaux accords de paix signés à Alger, les troubles s’intensifient à nouveau en 2006, puis en 2009. La rébellion touarègue, désormais alliée de circonstance de groupes armés islamistes venus d’Algérie, s’emparent de Kidal (Nord-est) et Menaka (région de Gao), entraînant le redéploiement des forces maliennes au Nord. L’escalade commence.

    L’arrivée des djihadistes

    De nouveaux acteurs contribuent à fragiliser encore davantage une région déjà explosive. Aux indépendantistes touaregs « laïcs », s’ajoutent des groupes « salafistes » et « djihadistes ». Le plus connu se fait appeler Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Essentiellement composé d’Algériens et de Mauritaniens, AQMI est né sur ce qui reste du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Un mouvement initialement algérien, né pendant la guerre civile, encore plus radical que le Front islamique du salut, et dont les liens avec les services secrets de ce pays ont toujours été troubles. AQMI et ses satellites se déplacent avec de l’essence qui ne peut venir que d’Algérie. Les mêmes routes voient transiter armes et matériel. Dont des missiles issus des arsenaux libyens après la chute du régime de Kadhafi en 2011.

    Le Sahel : arrière-cour de Kadhafi et des généraux algériens

    Le régime des généraux algériens considère le Sahel comme l’un de ses prés carrés stratégiques. Il n’a jamais stoppé son influence, directe ou indirecte, sur les 1 400 kilomètres de frontière que l’Algérie partage avec le Mali. Certains analystes comparent le double jeu des services secrets algériens dans le Sahel à l’attitude des services secrets pakistanais, vis-à-vis des talibans afghans.

    L’Algérie n’est pas seule au Sahel. Elle s’est confrontée à l’influence de la Libye de Kadhafi. Pendant des années, le défunt colonel a poussé ses pions dans la région. Recevant par vagues successives une partie des combattants touaregs qu’il a soit intégrés à des unités spéciales libyennes, soit structurés autour de groupes touaregs spécifiques. En 1981, Kadhafi est à l’origine du mouvement fantoche « Front populaire pour la libération du Sahara ». « Pour manipuler les Touaregs, dont le MNLA, il suffisait à Kadhafi d’héberger dans ses hôtels quelques leaders touaregs pendant quelques jours, de boire un thé et du lait et puis de leur remettre des enveloppes pleines de dollars », raconte un ancien du mouvement.

    Quand l’Europe finance indirectement les groupes armés

    La Libye de Kadhafi a signé des accords avec l’Union européenne en vue de contenir les dizaines de milliers de migrants africains qui transitaient par la Libye pour tenter d’accéder aux côtes européennes. Avec l’aide de Frontex, l’agence quasi-militaire européenne de gestion des migrants, Kadhafi a non seulement créé des camps de rétention, mais il a généralisé les expulsions des migrants africains vers le désert. Du pain béni pour les filières de trafic humain, majoritairement contrôlées par les groupes armés et djihadistes sévissant dans le Sahel. Ce trafic demeure une source majeure de leur financement. Ces groupes ont ainsi pu continuer de s’armer au su et au vu des services de sécurité français, allemand ou italien présents légalement sur le territoire libyen.

    Accaparement de terres : un facteur de guerre ?

    Kadhafi et son régime, ne se sont pas contentés de distribuer des dollars à quelques chefs touaregs. Ils ont également investi dans de nombreux projets au Mali. Investissements qui ont créé de profonds déséquilibres au sein de l’économie malienne : du fait de la dépendance qu’ils instituent, et des dégâts sociaux et environnementaux qu’ils causent. En 2008, Kadhafi utilise un fonds d’investissement libyen « dédié » à l’Afrique pour créer la société Malibya Agriculture. Celle-ci achète secrètement plus de 40 000 hectares le long du fleuve Niger, dans la région de Ségou, entre Bamako et Mopti. Objectif : y cultiver du riz et des agrocarburants. Avec l’aide de contractants chinois, des canaux d’irrigation de dizaines de kilomètres sont construits, mettant en danger la biodiversité et la survie des paysans locaux, à la fois privés de leurs terres et de leur eau.

    Les conséquences non maîtrisées de la chute de Kadhafi

    En plus de ces investissements lourds, Kadhafi multiplie les financements à petite échelle : écoles, dispensaires ou routes dans l’ensemble du Mali. Lorsque Kadhafi et son régime disparaissent, ce sont d’un côté de très nombreuses armes et des centaines d’hommes aguerris qui s’exilent dans le Sahel ; et de l’autre, des flux de plusieurs centaines de milliers d’euros qui se tarissent. Pour un pays dont plus de la moitié de la population vit avec moins d’un dollar par jour, c’est une importante manne qui s’envole. Après avoir appuyé militairement le renversement du régime libyen, les puissances de l’Otan auraient dû prévoir ce vide causé par la chute du colonel et le combler. Cela n’a pas été fait.

    Le business des prises d’otages

    Une partie des mouvements opérant au Sahel compensent cette perte de ressources en accroissant leur implication dans les trafics. Aux filières clandestines de migration, se substitue le kidnapping. Toujours en 2008, près de cinq millions d’euros sont versés à AQMI en échange de la libération de deux touristes autrichiens (une rançon démentie officiellement par le gouvernement autrichien). La même année, deux diplomates canadiens sont kidnappés et libérés dans les mêmes conditions. Un chantage que n’accepteront plus la France, après avoir négocié la libération de Pierre Camatte en 2010, encore moins l’Algérie comme on l’a vu lors de la prise d’otage du site gazier d’In Amenas. « Les procédures algériennes et françaises s’unifient de plus en plus dans le refus de sauver les otages et d’accepter de les sacrifier en refusant le chantage des djihadistes », note Alain Joxe, chercheur en géopolitique et directeur du Centre interdisciplinaire de recherches sur la paix et d’études stratégiques (Cirpes).

    Les narcotrafiquants latino-américains

    Au kidnapping s’ajoute un important trafic de drogue, d’une envergure phénoménale. En 2008, les forces maliennes ont réussi à saisir 750 kilos de cocaïne, dont la revente équivaut à plus d’un tiers du budget de l’armée malienne ! En novembre 2009 c’est carrément un Boeing 727 plein de cocaïne qui se crashe en tentant de re-décoller du désert malien. Avec un équipage composé de nigérians, l’avion, enregistré en Guinée-Bissau, a effectué de fréquents vols entre l’Afrique de l’Ouest, le Mexique, la Colombie et le Venezuela [3]. Les narcotrafiquants latino-américains ont fait de l’Afrique de l’Ouest la plaque tournante du trafic de stupéfiants vers l’Europe. Selon certains experts, près de 60 % de la cocaïne consommée en Europe occidentale – d’une valeur marchande de près de 18 milliards de dollars – transiterait par l’Afrique de l’Ouest. Avant que ne soit fantasmée et utilisée la crainte d’attentats terroristes perpétrés sur le sol français par AQMI, le gouvernement français, l’Union européenne et les États-Unis auraient du tout mettre en œuvre pour endiguer ce phénomène.

    Les pétrodollars saoudiens et qataris

    Une dernière source de financement des acteurs de la région – et un autre facteur de déstabilisation – est l’argent qui vient du Golfe persique. Des intérêts saoudiens et qataris soutiennent financièrement des djihadistes salafistes du Sahel. Comparée au kidnapping, à l’arsenal libyen et au trafic de drogue, cette ressource n’est pas la plus importante. Elle pose cependant la question fondamentale de la politique différenciée des États occidentaux. L’Arabie Saoudite et le Qatar sont présentés par les États-Unis et la France comme des alliés stratégiques, notamment dans la lutte contre le régime tyrannique syrien, ainsi que dans le maintien du système financier international, sensiblement alimenté par les milliards des fonds souverains des puissances pétrolières. De l’autre, des membres de ces deux pays financent sans scrupules des groupes « salafistes djihadistes surarmés » comme les qualifie Alain Joxe. Des groupes qui déstabilisent, notamment, le Mali, le Niger, le Nigeria, voire la Tunisie.

    Leur objectif : soutenir partout – de l’Indonésie au Nigeria – une vision wahhabite de l’Islam. Elle s’oppose ainsi à la vision de l’Islam majoritairement syncrétique des Maliens. Les fortunes saoudiennes et qataries qui financent ces groupes salafistes ont aussi été profondément perturbées par les révolutions arabes. Elles ont eu des effets jusque dans le golfe persique. Où, comme à Bahreïn, les soulèvements ont été réprimés dans le sang et une quasi-indifférence médiatique [4]. Ils sont résolus à tout mettre en œuvre pour empêcher qu’émerge un modèle démocratique et musulman qui marquerait la fin des régimes dictatoriaux et monarchiques. Avec, de fait, l’aval implicite des États-Unis et de la France.

    Une corruption généralisée

    Au Mali, ni le président Konaré, ni le président Touré n’ont lutté contre la corruption généralisée du pays. Pire, il semble qu’ils aient entretenu la corruption au sein de l’armée comme de l’Etat. En 2011, dans le rapport de l’ONG Transparency International sur l’état de la corruption dans le monde, le Mali se retrouve à la 118ème place, sur 184 pays analysés, pour l’indice de perception de la corruption, reculant de 22 places. C’est d’abord face à cette corruption généralisée que le capitaine Bakary Sanogo a justifié le putsch du 22 mars 2012 qui a renversé le président malien, sous l’œil plutôt compatissant de la société civile et des partis politiques maliens, et alors que les soldats maliens étaient mis en déroute au nord du pays.

    L’échec du modèle français et américain de sécurité

    Pourtant, France et États-Unis ont sensiblement investi dans l’armée malienne. Elle bénéficie de programmes spécifiques pour se moderniser. Depuis 1998, la France, suivi par l’Union européenne, a mis en œuvre l’initiative Recamp (« Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix ») en Afrique en général et au Mali en particulier. Recamp était censé « soutenir des actions de formation de cadres et d’unités en vue d’opérations de maintien de la paix, organiser des exercices au profit de ces unités africaines formées et entraînées, et enfin fournir équipements et matériels aux forces africaines qui seraient réellement engagées pour une opération de maintien de la paix sur le continent africain », explique le général de division Michel Klein, de la Fondation pour la recherche stratégique. En dépit des millions d’euros, et alors que Recamp a longtemps été vanté comme un modèle de stabilisation, les capacités de l’armée malienne ne se sont pas renforcées. Loin de là.

    Les États-Unis ne sont pas en reste. Le 11 septembre 2001 et l’émergence de la Chine accélèrent l’implication états-unienne en Afrique de l’Ouest. L’administration Bush lance l’initiative pan-sahélienne (Pan Sahel Initiative), qui devient en 2005 la « Trans-Sahel Counterterrorism Initiative » [5]. Elle intègre les Etats sahéliens plus le Nigeria et le Ghana, pour une dépense globale de plus de 500 millions de dollars. La majeure partie de cette aide est constituée d’ouverture de crédits en vue d’acheter du matériel militaire américain. Les opérations états-uniennes en Afrique, des drones décollant de Djibouti aux avions cargos atterrissant en Mauritanie, sont coordonnées depuis l’African Command, créé en 2007 et situé en Allemagne.

    A l’instar de l’exemple français, le modèle américain de sécurité pour le Mali est un échec. Pire, il est peut-être à l’origine de l’accélération du conflit. Car, dans la poursuite de la « War On Terror » (Guerre au terrorisme) de Bush, Washington concentre son attention sur les aspects militaires, ignorant la réalité politique et même sociale des pays concernés, dont les questions de la corruption et de la pauvreté. Anecdote révélatrice : les forces spéciales US ont formé des combattants qui se sont retrouvés dans les deux camps. A Bamako, le putschiste Sanogo est un pur produit de l’armée états-unienne : il a été formé au Defense Language Institute entre 2005 et 2007, avant de suivre une formation en renseignement militaire (US Army Intelligence Program) en 2008, et une formation plus conventionnelle d’officier courant 2010. Plusieurs combattants ayant bénéficié de l’entraînement des forces spéciales ont quitté l’armée malienne pour rejoindre les groupes armés du nord et leur offrir leur savoir-faire…

    Le Mali, au cœur d’un nouveau « grand jeu » ?

    Le Mali semble être l’un des terrains de prédilection d’un nouveau « grand jeu » en matière de lutte d’influences, en vue de conquérir et de maintenir des points stratégiques. A l’instar des alliances et des retournements d’alliances au sein des forces qui avaient conquis le nord du pays, les puissances s’allient et se concurrencent conjoncturellement. La France depuis l’époque coloniale, l’Algérie, la Libye du temps de Kadhafi, les États-Unis et la Chine s’intéressent aux richesses maliennes ou à celles auxquelles le contrôle de son territoire donne accès : en particulier les gisements présumés d’uranium et de diamants situés dans les sous-sols de Kidal au Nord, les terres arables du Sud, les importantes ressources en fer mauritaniennes, ou l’uranium nigérien, exploité par Areva et désormais protégé par les forces spéciales françaises. Et plus loin le pétrole nigérian et tchadien ou le gaz algérien.

    Si la France n’était pas intervenue, que ce serait-il passé ? Nombre de Maliens reconnaissent que les rebelles djihadistes auraient marché sur Bamako et se seraient emparés du pouvoir. Mais la France intervient pour éteindre un feu qu’elle a en partie contribué à allumer et alimenter. Maintenant qu’une partie du Nord est sous contrôle malien et français, que va-t-il se passer ? « Cette opération devrait être accompagnée d’une proposition de mutation dans l’aide proposée au Mali. Le discours purement militaire ne saurait suffire, souligne Alain Joxe. Si Hollande veut réellement rompre avec la Françafrique, il va devoir démontrer qu’il va, au-delà du discours de lutte contre le terrorisme, se donner les moyens pour lutter contre les narcotrafics et le financement international des djihadistes. » Seul un scénario qui permettra au peuple malien de renouer le dialogue, notamment en vue de régler la question touarègue, et de reprendre un contrôle sur ses institutions – politiques, judiciaires et militaires – permettra de sortir durablement de cet effondrement.

    Eros Sana  http://euro-synergies.hautetfort.com/

    Notes

    [1] Et 10 % au Nord, où vivent également Belas, Songhaïs, Peuls, Maures et Arabes.

    [2] Dans un rapport, Amnesty international décrit l’ensemble des exactions et graves violations des droits humains dont sont responsables le MLNA et Ansar Dine : http://www.amnestyusa.org/news/news…

    [3] The Globe and Mail, 13 avril 2012

    [4] Bernard Dréano, La perle et le colonel, éditions Non lieu.

    [5] Qui devient ensuite Trans-Sahel Counterterrorism Partnership.

  • Bernard Lugan - Mythes et manipulations de l’histoire africaine

    L’indispensable outil de réfutation des mythes 
    qui alimentent la repentance
    28€
    Depuis un quart de siècle les connaissances que nous avons du passé de l’Afrique et de l’histoire coloniale ont fait de tels progrès que la plupart des dogmes sur lesquels reposait la culture dominante ont été renversés.
    Cependant, le monde médiatique et la classe politique demeurent enfermés dans leurs certitudes d’hier et dans un état des connaissances obsolète : postulat de la richesse de l’Europe fondée sur l’exploitation de ses colonies ; idée que la France devrait des réparations à l’Algérie alors qu’elle s’y est ruinée durant 130 ans ; affirmation de la seule culpabilité européenne dans le domaine de la traite des Noirs quand la réalité est qu’une partie de l’Afrique a vendu l’autre aux traitants ; croyance selon laquelle, en Afrique du Sud, les Noirs sont partout chez eux alors que, sur 1/3 du pays, les Blancs ont l’antériorité de la présence ; manipulation concernant le prétendu massacre d’Algériens à Paris le 17 octobre 1961 etc.
    Le but de ce livre enrichi de nombreuses cartes en couleur, est de rendre accessible au plus large public le résultat de ces travaux universitaires novateurs qui réduisent à néant les 15 principaux mythes et mensonges qui nourrissent l’idéologie de la repentance.
    Source : Bernard Lugan
    http://alter-natife.blogspot.fr

  • Le gouvernement français veut accélérer le processus d’entrée de la Turquie dans l’Union européenne

    turquie.jpgHier, la France a fait un nouveau pas vers l’intégration de la Turquie dans l’Union européenne en acceptant d’ouvrir, à Bruxelles, un nouveau chapitre des négociations d’adhésion.

    Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabiu,s a fait savoir à son homologue turc, Ahmet Davutoglu, que la France allait prochainement lever son veto à l’ouverture des négociations : « Je lui ai confirmé qu’on était favorables à ouvrir la discussion sur le chapitre 22″, a-t-il communiqué. Quant à Philippe Lalliot, porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, il a déclaré que la France avait le désir d’ « apporter un nouvel élan aux relations entre l’Union européenne et la Turquie ». « Elle attend de la Turquie qu’elle s’engage de son côté à contribuer concrètement à cette dynamique », a-t-il poursuivi.

    Pour la gauche, qui fait de l’émancipation un facteur de progrès en général, l’appartenance à une communauté est purement conventionnelle et doit être libre de toute contrainte historique, géographique ou culturelle. C’est donc dans la volonté et dans l’adhésion intellectuelle à des principes abstraits que se fonde la nationalité ou l’intégration. François Hollande n’a-t-il pas déclaré que l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne devrait se décider sur des critères exclusivement politiques et économiques ? Ou comment se libérer des réalités -des contraintes ?- du temps et de l’espace : car si demain le Mexique souscrit rationnellement aux droits de l’homme, et que son niveau économique rejoint celui de la France, sera-t-il français pour autant ?

    La réalité, c’est que l’entrée de la Turquie dans l’Europe ne saurait être suspendue à son adhésion à des concepts universels, précisément parce que l’Europe n’est pas un concept, et parce qu’elle n’est pas universelle : elle a une identité charnelle, historique et singulière. La Turquie peut bien entrer dans l’Union européenne, elle n’entrera jamais en Europe car elle n’est pas européenne, ni par son histoire, ni par sa géographie, ni par sa culture.

    http://www.contre-info.com/

  • Philippe de Villiers demande à Hollande un référendum sur le départ de l’UE

     Talentueux avertissement de Philippe de Villiers au Président de la République Française .

    Une vidéo à ne pas manquer !

    http://www.actionfrancaise.net

  • Mali et Tunisie : la guerre mené par le wahhabisme ne fait que commencer

    Le 10 février, les observateurs internationaux ou français de la guerre au Mali sont rès pessimistes... ou si l'on préfère très réalistes. La France est au Mali pour longtemps.

    Non seulement ce pays est durablement divisé en « factions » qui ne s’entendront jamais. Mais aussi les combattants dits djihadistes, ou aussi wahabittes, se répandent partout, y compris à Bamako, et pas seulement au nord Mali. Ils ont commencé à mener une guerre d’attentats contre laquelle il est difficile de lutter. Ce ne sera pas la base de drones que l’Africom américain projette d’implanter au Niger ou au Burkina qui changera grand chose au rapport de force.

    Les wahabittes débordent évidemment aussi dans les pays voisins, notamment au Niger. Ils sont bien accueillis par la population. Celle-ci reste profondément musulmane et donc sensible aux discours religieux extrémistes. Par ailleurs et surtout, les espoirs d’activité économique pouvant stabiliser la jeunesse s’éloignent de plus en plus. Qui veut investir aujourd’hui en Afrique compte tenu des risques croissants? Les seules industries affrontant ces risques sont de type colonial, chinoises dans les infrastructures, les mines et l’agriculture, anglo-saxonne ou européennes dans le pétrole. Elles ne contribueront en rien à la paix sociale.

    La Tunisie est désormais elle-aussi en crise profonde. Les militants islamistes prospérant sous la couverture du parti dit musulman modéré Ennahda ne se cachent plus. En Tunisie comme ailleurs l’offensive djihaddiste est financée et organisée par le Qatar et l’Arabie saoudite, comme le constataient hier des démocrates tunisiens manifestant contre l’emprise d’Ennahda. Ils dénoncent la présence dans tout le pays d’écoles religieuses financées par le Qatar qui tente d’élargir par ce moyen son contrôle sur la population. Il en résulte une véritable haine contre la démocratie, le féminisme et la France. Ce pays pacifique, situé à nos portes, est en train de se transformer en région à éviter par les Européens.

    Le Qatar et l’Arabie Saoudite jouent leur survie en se retranchant derrière les combattants wahabbites. Ils savent bien que sans cela ils ne sauveront pas leurs régimes corrompus par le pétrole et d’immenses richesses illégitimes. Mais les pays occidentaux, eux-aussi corrompus par le pétrole, font semblant de ne rien voir. Leurs dirigeants se disputent l’honneur d’embrasser l’émir sur la bouche. Décidément, si la France, seule de toute l’Europe, persistait à vouloir résister, comme son honneur l’exige, elle devrait se préparer à une mobilisation générale.

    Jean Paul Baquiast Pour une Europe intelligente  10/02/2013 http://www.polemia.com

  • Terrorisme à “visage humain” : l’histoire des escadrons de la mort des États-Unis

    Le recrutement d’escadrons de la mort relève d’un programme bien établi de l’armée et des services de renseignement. L’histoire des assassinats ciblés ainsi que du financement et de l’appui clandestins à des brigades terroristes par les États-Unis est longue, macabre et remonte à la guerre du Vietnam.

    Alors que les forces gouvernementales continuent à confronter l’« Armée syrienne libre » (ASL) autoproclamée, les racines historiques de la guerre clandestine occidentale en Syrie, laquelle a provoqué de nombreuses atrocités, doit être entièrement révélée.

    Dès le début ,en mars 2011, les États-Unis et leurs alliés ont soigneusement planifié et soutenu la formation d’escadrons de la mort et l’incursion de brigades terroristes.

    Le programme de recrutement et la formation de brigades terroristes à la fois en Irak et en Syrie ont été calqués sur « l’option Salvador », un « modèle terroriste » de massacres commis par des escadrons de la mort soutenus par les États-Unis en Amérique centrale. Cette option a d’abord été appliquée au Salvador, au plus fort de la résistance contre la dictature militaire, entraînant la mort d’environ 75 000 personnes.

    La formation d’escadrons de la mort en Syrie s’inspire de l’histoire et de l’expérience des brigades terroristes en Irak appuyées par les États-Unis dans le cadre du programme de « contre-insurrection » du Pentagone.

    La création d’escadrons de la mort en Irak

    Les escadrons de la morts soutenus par les États-Unis on été recrutés en Irak en 2004-2005 dans le cadre d’une initiative lancée sous la direction de l’ambassadeur étasunien John Negroponte, envoyé à Bagdad par le département d’État en juin 2004.

    Negroponte était « l’homme de la situation ». À titre d’ambassadeur au Honduras de 1981 à 1985, Negroponte a joué un rôle clé dans l’appui et la supervision des Contras du Nicaragua, établis au Honduras, et le contrôle des escadrons de la mort de l’armée hondurienne.

    « Sous le règne du général Gustavo Alvarez Martinez, le gouvernement militaire du Honduras a été un proche allié du gouvernement Reagan tout en faisant « disparaître » des dizaines d’opposants politiques à la manière classique des escadrons de la mort.

    En janvier 2005, le Pentagone, a confirmé qu’il envisageait :

    De former des commandos de combattants kurdes et chiites pour cibler des chefs de l’insurrection irakienne [Résistance] dans un changement stratégique emprunté à la lutte des États-Unis contre les guérilleros gauchistes en Amérique centrale il y a 20 ans ».

    En vertu de la soi-disant « option Salvador », les forces étasuniennes et irakiennes seraient envoyées pour tuer ou enlever des chefs de l’insurrection, même en Syrie, où l’on croit que certains se cachent [...]

    Les commandos seraient controversés et demeureraient probablement secrets.

    À l’heure actuelle, l’expérience des « escadrons de la morts » en Amérique centrale est toujours douloureuse pour bien des gens et a contribué à souiller l’image des États-Unis dans la région.

    À l’époque, l’administration Reagan a financé et formé des équipes de forces nationalistes afin de neutraliser les chefs rebelles salvadoriens et leurs sympathisants […]

    John Negroponte, l’ambassadeur étasunien à Bagdad, était alors à l’avant plan comme ambassadeur au Honduras de 1981 à 1985.

    Les escadrons de la mort étaient une caractéristique brutale de la politique latino-américaine de l’époque [...]

    Au début des années 1980 l’administration du président Reagan finançait et aidait à former les Contras nicaraguayen situés au Honduras dans le but de chasser le régime sandiniste du Nicaragua. L’équipement des Contras était acheté avec de l’argent provenant de la vente illégale d’armes étasuniennes à l’Iran, un scandale qui aurait pu renverser M. Reagan.

    Le but de la proposition du Pentagone en Irak, […] est de suivre ce modèle […]

    Il est difficile de dire si l’objectif principal des missions serait d’assassiner les rebelles ou de les enlever pour les interroger. Toute mission en Syrie serait probablement entreprise par des Forces spéciales étasuniennes.

    On ignore également qui assumerait la responsabilité d’un tel programme – le Pentagone ou la Central Intelligence Agency (CIA). De telles opérations clandestines ont traditionnellement été dirigées par la CIA, indépendamment de l’administration, donnant la possibilité aux représentants officiels étasuniens de nier être au courant de leur existence. (El Salvador-style ‘death squads’ to be deployed by US against Iraq militants – Times Online, 10 janvier 2005, c’est l’auteur qui souligne.)

    Alors que le but affiché de « l’option Salvador irakienne » était de « supprimer l’insurrection », les brigades terroristes parrainées par les États-Unis étaient impliquées en pratique dans des massacres successifs de civils en vue de fomenter de la violence interconfessionnelle. La CIA et le MI6 supervisaient pour leur part des unités d’« Al-Qaïda en Irak » impliquées dans des assassinats ciblés contre la population chiite. Fait significatif, les escadrons de la mort étaient intégrés et conseillés par des Forces spéciales étasuniennes.

    Robert Stephen Ford, nommé ultérieurement ambassadeur des États-Unis en Syrie, était membre de l’équipe de Negroponte à Bagdad en 2004-2005. En janvier 2004, il a été envoyé à titre de représentant étasunien dans la ville chiite de Najaf, le bastion de l’armée du Mahdi avec laquelle il a pris contact.

    En janvier 2005, Robert S. Ford a été nommé conseiller du ministre pour les affaires politiques à l’ambassade étasunienne, sous la direction de l’ambassadeur John Negroponte. Il ne faisait pas seulement partie du cercle restreint de Negroponte, il était aussi son partenaire dans la mise en œuvre de l’option Salvador. Une partie du travail de terrain avait été effectuée à Najaf avant le transfert de Ford à Bagdad.

    John Negroponte et Robert Stephen Ford ont été chargés du recrutement des escadrons de la mort irakiens. Alors que Negroponte coordonnait l’opération à partir de son bureau à l’ambassade des États-Unis, Robert S. Ford, qui parle couramment l’arabe et le turc, avait la tâche d’établir des contacts stratégiques avec les milices chiites et kurdes à l’extérieur de la « zone verte ».

    Deux autres représentants de l’ambassade, à savoir Henry Ensher (adjoint de Ford) ainsi qu’un représentant plus jeune de la section politique, Jeffrey Beals,ont joué un rôle important dans l’équipe Negroponte « en discutant avec un éventail d’Irakiens, incluant des extrémistes ». (Voir The New Yorker, 26 mars 2007) L’ancien ambassadeur étasunien en Albanie (2002-2004), James Franklin Jeffrey, est un autre individu clé de l’équipe Negroponte. En 2010, il a été nommé ambassadeur des États-Unis en Irak (2010-2012).

    Negroponte a également amené dans l’équipe un de ses anciens collaborateurs du temps de son apogée au Honduras, le colonel James Steele (à la retraite) :

    Dans le cadre de « l’option Salvador » Negroponte était assisté par son collègue des années 1980 en Amérique centrale, le colonel à la retraite James Steele. Steele, dont le titre à Bagdad était conseiller pour les Forces de sécurité irakiennes, supervisait la sélection et la formation de membres de l’organisation Badr et de l’armée de Mahdi, les deux plus grandes milices shiites en Irak, afin de cibler les dirigeants et d’appuyer des réseaux de résistance principalement sunnites. On ignore si cela a été planifié ou non, mais ces escadrons de la mort ont rapidement échappé à tout contrôle, et sont devenus la première cause de décès en Irak.

    Que cela soit intentionnel ou non, la multitude de corps torturés et mutilés qui aboutissent dans les rues de Bagdad chaque jour est générée par les escadrons de la mort propulsés par John Negroponte. Et c’est cette violence interconfessionnelle soutenue par les États-Unis qui a mené à ce désastre infernal qu’est l’Irak aujourd’hui. (Dahr Jamail, Managing Escalation : Negroponte and Bush’s New Iraq Team,. Antiwar.com, 7 janvier 2007.)

    Selon le député Dennis Kucinich, « le colonel Steele était responsable de la mise en œuvre d’un plan au Salvador dans le cadre duquel des milliers de Salvadoriens sont « disparus » ou ont été assassinés, dont l’archevêque Oscar Romero et quatre religieuses étasuniennes ».

    Dès sa nomination à Bagdad, le colonel Steele a été assigné à une unité de contre-insurrection connue sous le nom de « Commando spécial de police » dirigée par le ministère irakien de l’Intérieur. (Voir ACN, La Havane, 14 juin 2006.)

    Des reportages confirment que « l’armée étasunienne a transféré de nombreux prisonniers à la Brigade des loups(Wolf Brigade), le second bataillon redouté des commandos spéciaux du ministère de l’Intérieur », lequel était justement supervisé par le colonel Steele :

    « Des soldats et des conseillers étasuniens se tenaient à l’écart et ne faisaient rien » pendant que des membres de la Brigade des loups battaient et torturaient les prisonniers. Les commandos du ministère de l’Intérieur ont pris le contrôle de la bibliothèque publique à Samarra et l’ont transformée en centre de détention, a-t-il affirmé. Une entrevue menée par Maass [du New York Times] en 2005 à la prison improvisée en compagnie du conseiller militaire étasunien de la Brigade des loups, le colonel James Steele avait été interrompue par les cris terrifiants d’un prisonnier à l’extérieur. Steele aurait été employé auparavant comme conseiller pour réprimer l’insurrection au Salvador. (Ibid. C’est l’auteur qui souligne.)

    Une autre figure notoire ayant joué un rôle dans le programme de contre-insurrection en Irak est l’ancien commissaire de la police de New York Bernie Kerik. En 2007, il a fait face à 16 chefs d’accusation criminelles devant la Cour fédérale.

    Kerik a été nommé par l’administration Bush au début de l’occupation en 2003 pour aider à organiser et former les Forces policières irakiennes. Durant son court passage en 2003, Bernie Kerik, qui a pris le poste de ministre de l’Intérieur par intérim, a œuvré à l’organisation d’unités terroristes au sein des Forces policières irakiennes :

    Envoyé en Irak pour remettre les forces de sécurité irakiennes en ordre, Kerik se décrivait comme “ministre irakien de l’intérieur par intérim”. Les conseillers de la police britannique l’appelaient “le Terminator de Bagdad”. (Salon, 9 décembre 2004, C’est l’auteur qui souligne.)

    Sous la direction de Negroponte à l’ambassade des États-Unis à Bagdad, une vague clandestine de meurtres de civils et d’assassinats ciblés a été déclenchée. Des ingénieurs, des médecins, des scientifiques et des intellectuels étaient également ciblés.

    L’auteur et analyste géopolitique Max Fuller a documenté en détail les atrocités commises dans le cadre du programme de contre-insurrection financé par les États-Unis.

    L’apparition des escadrons de la mort a d’abord été soulignée en mai cette année [2005], […] des dizaines de corps ont été trouvés, jetés nonchalamment […] dans des zones inhabitées autour de Bagdad. Toutes les victimes portaient des menottes, avaient les yeux bandés et avaient été tuées d’une balle dans la tête. Des signes indiquaient par ailleurs que de nombreuses victimes avaient été brutalement torturées […]

    Les preuves étaient suffisamment concluantes pour que l’Association des chercheurs musulmans (AMS), une importante organisation sunnite, publie une déclaration dans laquelle elle accuse les forces de sécurité attachées au ministère de l’Intérieur et à la Brigade Badr, l’ancien bras armé du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (CSRII), d’être à l’origine des meurtres. L’Association a par ailleurs accusé le ministère de l’Intérieur de faire du terrorisme d’État. (Financial Times)

    Les commandos de police et la Brigade des loups étaient supervisés par le programme de contre-insurrection étasunien du ministère irakien de l’Intérieur :

    Les commandos de police ont été formés sous la tutelle expérimentée et la supervision d’anciens combattants étasuniens de la contre-insurrection et ont mené, dès le départ, des opérations conjointes avec les unités d’élite et extrêmement secrètes des forces spéciales étasuniennes. (Reuters,National Review Online)

    […] James Steele, un ancien agent des forces spéciales des États-Unis a joué un rôle clé dans la formation des Commandos spéciaux de la police. James Steele a fait ses premières armes au Vietnam avant d’aller diriger la mission des États-Unis au Salvador à l’apogée de la guerre civile.

    Steven Casteel est un autre collaborateur étasunien, celui-là même qui, à titre de conseiller principal du ministère de l’Intérieur, a balayé du revers de la mains des accusations graves et bien fondées de violation consternantes des droits humains en les qualifiant de « rumeurs et insinuations ». À l’instar de Steele, il a acquis une expérience considérable en Amérique latine, en participant en ce qui le concerne à la chasse au baron de la cocaïne, Pablo Escobar, lors de la guerre contre la drogue en Colombie dans les années 1990 […]

    La feuille de route de Casteel est significative car ce genre de rôle de soutien à la collecte de renseignement et la production de listes de décès sont caractéristiques de l’implication des États-Unis dans des programmes de contre-insurrection et constituent le fil conducteur sous-jacent à des folies meurtrières qui peuvent sembler aléatoires et désordonnées.

    De tels génocides planifiés correspondent entièrement à ce qui se passe en Irak aujourd’hui [2005]. Ils correspondent également au peu d’information dont nous disposons à propos des Commandos spéciaux de la police, faits sur mesure pour fournir au ministère de l’Intérieur des forces spéciales ayant une capacité de frappe (Département de la défense des États-Unis). En conservant ce rôle, le quartier général du Commando de la police est devenu la plaque tournante nationale d’un centre de commandement, de contrôle, de communication, d’informatique et d’opérations de renseignement, gracieuseté des États-Unis. (Max Fuller, op. cit.)

    Le travail préparatoire effectué sous Negroponte en 2005 a été mis en pratique sous son successeur, l’ambassadeur Zalmay Khalilzad. Robert Stephen Ford a assuré la continuité du projet avant d’être nommé ambassadeur en Algérie en 2006, ainsi qu’à son retour à Bagdad comme chef de mission adjoint en 2008.

    Opération « Contras syriens » : Leçons de l’expérience irakienne

    L’horrible version irakienne de l’« option Salvador » sous la direction de l’ambassadeur John Negroponte a servi de « modèle » à la mise sur pied des Contras de l’« Armée syrienne libre ». Robert Stephen Ford a été sans aucun doute impliqué dans l’implantation du projet des Contras syriens, à la suite de sa réaffectation à Bagdad comme chef de mission adjoint en 2008.

    Le but en Syrie était de créer des divisions entre les factions sunnites, alaouites, chiites, kurdes, druzes et chrétiennes. Alors que le contexte syrien est complètement différent de celui de l’Irak, il existe des similitudes frappantes dans la manière dont les tueries et les atrocités sont commises.

    Un reportage publié par Der Spiegel sur les atrocités commises dans la ville syrienne de Homs confirme l’existence d’un processus sectaire organisé de massacres et d’exécutions extrajudiciaires comparables à ceux menés par les escadrons de la mort soutenus par les États-Unis en Irak.

    À Homs, les citoyens étaient régulièrement catégorisés comme « prisonniers » (chiites, alaouites) et « traitres ». Les « traitres » sont des civils sunnites situés dans les zones urbaines occupées par les rebelles et qui expriment leur désaccord ou leur opposition au règne de la terreur de l’ASL.

    Depuis l’été dernier [2011], nous avons exécuté un peu moins de 150 hommes, ce qui représente environ 20 % de nos prisonnier », a déclaré Abu Rami […] Mais les traitres dans leurs propres rangs ont occupé les bourreaux de Homs plus que les prisonniers de guerre. « Si nous surprenons un sunnite en train d’espionner ou si un citoyen trahit la révolution,nous faisons ça rapidement », a dit le combattant. Selon Abu Rami, la brigade d’enterrement d’Hussein a mis à mort entre 200 et 250 traitres depuis le début du soulèvement. (Der Spiegel, 30 mars 2012)

    Le projet nécessite un programme initial de recrutement et de formation de mercenaires. Des escadrons de la mort incluant des unités salafistes libanaises et jordaniennes sont entrés en Syrie par sa frontière méridionale avec la Jordanie à la mi-mars 2011. Une bonne partie du travail préparatoire était déjà effectué à l’arrivée de Robert Stephen Ford à Damas en janvier 2011.

    La nomination de Ford comme ambassadeur en Syrie a été annoncée au début 2010. Les relations diplomatiques avaient été interrompues en 2005 à la suite de l’assassinat de Rafick Hariri et pour lequel Washington avait accusé la Syrie. Ford est arrivé à Damas à peine deux mois avant le début de l’insurrection.

    L’Armée syrienne libre (ASL)

    Washington et ses alliés ont répliqué en Syrie les caractéristiques essentielles de l’« option Salvador irakienne », menant à la création de l’Armée syrienne libre et ses diverses factions terroristes, dont les brigades Al-Nosra affiliées à Al-Qaïda.

    Bien que la création de l’ASL ait été annoncée en juin 2011, le recrutement et la formation des mercenaires étrangers a débuté bien avant.

    À bien des égards, l’ASL est un écran de fumée. Les médias occidentaux la présente comme une véritable entité militaire résultant des défections massives des forces gouvernementales. Le nombre de déserteurs n’était toutefois ni significatif ni suffisant pour établir une structure militaire cohérente avec des fonctions de commandement et de contrôles.

    L’ASL ne constitue pas une entité militaire professionnelle. Il s’agit plutôt d’un réseau informel de brigades terroristes distinctes, composées de nombreuses cellules paramilitaires opérant dans différentes parties du pays.

    Chacune de ces organisations opère indépendamment des autres. L’ASL n’exerce pas véritablement de fonctions de commandement et de contrôle, dont la liaison entre ces diverses entités paramilitaires. Ces dernières sont contrôlées par les forces spéciales et les agents du renseignement parrainés par les États-Unis et l’OTAN et intégrés aux rangs des formations terroristes sélectionnées.

    Ces forces spéciales sur le terrain (bien entraînées et dont bon nombre sont des employés d’entreprises privées de sécurité) sont régulièrement en contact avec les unités de commandement de l’armée et du renseignement des États-Unis, de l’OTAN et leurs alliés (dont la Turquie). Il n’y a pas de doute que ces forces spéciales intégrées sont elles aussi impliquées dans les attaques soigneusement planifiées et dirigées contre des édifices gouvernementaux, des complexes militaires, etc.

    Les escadrons de la mort sont des mercenaires entraînés et recrutés par les États-Unis, l’OTAN, leurs alliés du Conseil de coopération du Golfe et la Turquie. Ils sont supervisés par des forces spéciales alliées (dont les SAS britanniques et les parachutistes français) et des firmes de sécurité privées à contrat avec l’OTAN et le Pentagone. À cet égard, des reportages confirment l’arrestation par le gouvernement syrien de 200 à 300 employés d’entreprises privées de sécurité ayant intégré les rangs rebelles.

    Le Front Jabhat Al-Nosra

    Le Front Jabhat Al-Nosra, responsable de plusieurs attaques à la bombe très médiatisées et qui serait affilié à Al-Qaïda, est décrit comme le groupe de combattant le plus efficace de « l’opposition ». Les opérations d’Al-Nosra, considéré comme un ennemi des États-Unis (figurant sur la liste des organisations terroristes du département d’État), portent néanmoins les empreintes de la formation paramilitaire, des tactiques de terreur et des systèmes d’armes étasuniens. Les atrocités commises contre des civils par Al-Nosra (financé clandestinement par les États-Unis et l’OTAN) sont semblables à celles perpétrées par les escadrons de la mort soutenus par les États-Unis en Irak.

    Pour citer le chef d’Al-Nosra à Alep, Abu Adnan : “Jabhat Al-Nosra compte dans ses rangs des vétérans syriens de la guerre en Irak, des hommes qui mettent de l’avant leur expérience en Syrie, particulièrement dans la fabrication d’engins explosifs improvisés (EEI).

    Comme en Irak, la violence entre factions et le nettoyage ethnique ont été fortement encouragés. En Syrie, les escadrons de la mort soutenus par les États-Unis et l’OTAN ont ciblé les communautés alaouites, shiite et chrétiennes. Les communautés alaouites et chrétiennes sont les principales cibles du programme d’assassinat et cela est confirmé par l’agence de nouvelles du Vatican.

    Les chrétiens d’Alep sont victimes de la mort et de la destruction causées par les combats qui affectent la ville depuis des mois. Les quartiers chrétiens ont récemment été frappés par les forces rebelles qui luttent contre l’armée régulière, causant l’exode des civils.

    Certains groupes de la brutale opposition, où se trouvent également des djihadistes « tirent sur des maisons et des édifices appartenant à des chrétiens pour forcer les occupants à fuir et en prendre possession [nettoyage ethnique] » (Agence Fides, 19 octobre 2012.)

    « Les militants salafistes, a déclaré l’évêque, continuent à commettre des crimes contre les civils et à contraindre des gens à se battre. Les extrémistes sunnites fanatiques mènent fièrement une guerre sainte, particulièrement contre les alaouites. Lorsque des terroristes cherchent à vérifier l’identité religieuse d’un suspect, ils lui demandent de citer la généalogie en remontant jusqu’à Moïse et de réciter une prière que les alaouites ont abandonné. Les alaouites n’ont aucune chance de s’en sortir vivants. » (Agence Fides, 4 juin 2012.)

    Des reportages confirment le flot d’escadrons de la mort salafistes et affiliés à Al-Qaïda entrant en Syrie sous les auspices des Frères musulmans dès le début de l’insurrection en mars 2011.

    De plus, rappelant l’enrôlement des moudjahidines pour mener le djihad (guerre sainte) de la CIA à l’apogée de la guerre soviéto-afghane, l’OTAN et le haut commandement turc ont initié, selon des sources du renseignement israélien :

    [U]ne campagne de recrutement de volontaires musulmans dans les pays du Moyen-Orient et du monde musulman pour se battre aux côtés des rebelles syriens. L’armée turque hébergerait et formerait ces volontaires et assurerait leur passage en Syrie. (DEBKAfile, NATO to give rebels anti-tank weapons, 14 août 2011.)

    Les entreprises privées de sécurité et le recrutement de mercenaires

    Selon les reportages, les entreprises privées de sécurité œuvrant dans les pays du Golfe sont impliquées dans le recrutement et la formation de mercenaires.

    Bien qu’ils ne soient pas spécifiquement destinés au recrutement de mercenaires destinés à la Syrie, certains reportages indiquent la création de camps d’entraînement au Qatar et aux Émirats arabes unis. (EAU).

    Dans la ville militaire de Zayed (EAU), « une armée secrète est en train de se former », dirigée par Xe Services, anciennement connu sous le nom de Blackwater. L’entente des EAU visant la création de camps militaires pour la formation des mercenaires a été signée en juillet 2010, neuf mois avant les offensives guerrières en Libye et en Syrie.

    Selon des informations récentes, des firmes de sécurité à contrat avec l’OTAN et le Pentagone sont impliquées dans la formation des escadrons de la mort de l’« opposition » sur l’utilisation d’armes chimiques :

    Les États-Unis et certains alliés européens utilisent des entrepreneurs à contrat avec la Défense pour apprendre aux rebelles syriens à sécuriser les stocks d’armes chimiques en Syrie, ont déclaré un représentant des États-Unis et plusieurs diplomates de haut rang dimanche à CNN. (CNN Report, 9 décembre 2012.)

    Les noms des entreprises en question n’ont pas été révélés.

    Derrière les portes closes du département d’État des États-Unis

    Robert Stephen Ford faisait partie d’une petite équipe du département d’État supervisant le recrutement et la formation des brigades terroristes avec Derek Chollet et Frederic C. Hof, un ancien partenaire d’affaires de Richard Armitage, ayant agit à titre de « coordonateur spécial de Washington pour la Syrie ». Derek Chollet a récemment été nommé au poste de secrétaire adjoint à la Défense et coordonateur pour les Affaires de sécurité internationale (ASI).

    Cette équipe agissait sous la direction de (l’ancien) secrétaire d’État adjoint aux Affaires du Proche-Orient Jeffrey Feltman.

    L’équipe de Feltman était étroitement liée au processus de recrutement et de formation des mercenaires en provenance de la Turquie du Qatar, de l’Arabie Saoudite et de la Libye (gracieuseté du régime post-Kadhafi qui a envoyé en Syrie six cent troupes du Groupe islamique combattant en Libye (GICL) en les faisant passer par la Turquie dans les mois ayant précédé l’effondrement du gouvernement de Kadhafi.)

    Le secrétaire d’États adjoint Jeffrey Feltman était en contact avec les ministres saoudien et qatari des Affaires étrangères, le prince Saud al-Faisal et le cheik Hamad bin Jassim. Il était aussi en charge du bureau de Doha pour la « coordination spéciale de la sécurité » lié à la Syrie et qui incluait des représentants de la Libye et des agences de renseignement occidentales et du CCG. Le princeBandar bin Sultan, membre éminent et controversé du renseignement saoudien faisait également partie du groupe. (Voir Press Tv, 12 mai 2012.)

    En juin 2012, Jeffrey Feltman a été nommé Secrétaire général adjoint aux affaires politiques de l’ONU, un poste stratégique consistant, en pratique, à établir le programme de l’ONU (pour le compte de Washington) relatif à la « résolution de conflit » dans divers « points chauds » à travers le monde (incluant la Somalie, le Liban, la Libye, la Syrie, le Yémen et le Mali). Ironiquement, les pays où l’ONU doit « résoudre des conflits » sont ceux ciblés par des opérations clandestines des États-Unis.

    En liaison avec le département d’État étasunien, l’OTAN et ses commissionnaires du CCG à Doha et Ryad, Feltman est l’homme de Washington derrière le « plan de paix » de l’envoyé spécial de l’ONU Lakhdar Brahmi.

    Entre-temps, en feignant d’accorder de l’importance à l’initiative de paix de l’ONU, les États-Unis et l’OTAN ont accéléré le processus de recrutement et la formation de mercenaires en réaction aux lourdes pertes essuyées par les forces rebelles de l’« opposition ».

    La « phase finale » en Syrie proposée par les États-Unis n’est pas le changement de régime, mais la destruction de l’État-nation que constitue la Syrie.

    Le déploiement des escadrons de la mort l’« opposition » ayant pour mandat de tuer des civils relève de cette entreprise criminelle.

    « Le terrorisme à visage humain » est défendu par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies qui représente le porte-parole des « interventions humanitaires » de l’OTAN en vertu de la doctrine de la « responsabilité de protéger » (R2P).

    Les atrocités commises par les escadrons de la mort des États-Unis et de l’OTAN sont imputées nonchalamment au gouvernement de Bachar Al-Assad. Selon la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Navi Pillay :

    « Ces importantes pertes de vies auraient pu être évitées si le gouvernement syrien avait choisi un autre chemin que celui de la répression sans pitié de ce qui étaient au départ des manifestations pacifiques et légitimes de civils non armés. » (Cité dans Stephen Lendman, UN Human Rights Report on Syria : Camouflage of US-NATO Sponsored Massacres, Global Research, 3 janvier 2012.)

    « L’indicible objectif » de Washington consiste à diviser l’État-nation syrien en plusieurs entités politiques « indépendantes » selon des frontières ethniques et religieuses.

    Michel Chossudovsky http://www.voxnr.com

    Notes :

    Traduction : Julie Lévesque pour Mondialisation.ca

    Article original : Terrorism with a “Human Face” : The History of America’s Death Squads

    Michel Chossudovsky est directeur du Centre de recherche sur la mondialisation et professeur émérite de sciences économiques à l’Université d’Ottawa. Il est l’auteur de Guerre et mondialisation, La vérité derrière le 11 septembre et de la Mondialisation de la pauvreté et nouvel ordre mondial (best-seller international publié en plus de 20 langues).

    source :

    Mondialisation.ca :: lien

  • Le Merlion parle de la Chine

    Nous entrons ce soir dans l'Année du Serpent d'Eau. Depuis sa retraite éveillée, Mr Lee Kuan Yew nous livre une vision des évolutions et perspectives du monde qui compte. Fondateur de Singapour, despote éclairé, Chinois de tradition, Mr Lee a relevé un défi surhumain qui l'autorise au soir de sa vie à dire les vraies choses. Ce défi fut le largage de l'île de Singapour par la Malaisie qui n'y voyait qu'un marécage d'emmerdements infesté de serpents, moustiques et chinetoques en marcel et sueur. Le dos au mur, il en fit ce que l'on connaît aujourd'hui et plus fort peut-être, il finit par créer une "nation" à partir de rien ou de trop. J'ai des amis fiers d'être singapouriens. Le RP Campos (des Missions étrangères de Paris) qui finit ses jours dans la paroisse Saint-Alphonse (Novena) m'avait dit sa joie immense d'avoir été naturalisé singapourien à la fin de sa vie. Et Dieu m'est témoin qu'il en avait connu des pays dans sa vie de missionnaire.

    L'université de Harvard a réuni dans un bouquin plusieurs entretiens qu'ils ont eus avec Lee Kuan Yew : The Grand Master's Insights on China, the United States and the World¹. Singapour est une charnière des mondes occidental et asiatique qui permet à son patron d'avoir un avis autorisé sur tout. C'est la Chine qui nous intéresse à cause du péché d'orgueil que le Piéton du roi va commettre sous vos yeux, avant de changer de guêtres : Royal-Artillerie dit tout cela depuis cinq ans. Lee Kuan Yew nous permet de n'en plus varier ! La collection des avis de Mister Lee a été publiée par Time Magazine daté du 4 février ; l'article est réservé aux abonnés, nous ne le traduirons pas mais nous nous en servirons comme guide-âne.

    Les dirigeants chinois sont sur un vecteur hégémonique parce qu'ils ont réussi le miracle économique, qu'ils s'appuient sur une culture quadrimillénaire et que du vivier d'un milliard trois cent millions de gens on tire beaucoup de talents. Le peuple suit, qui veut une Chine riche et puissante, et une nation (ndlr: han) aussi prospère et technologiquement avancée que l'Amérique, le Japon ou l'Europe. Le réveil de ce destin leur promet la parité dès ce siècle avec les Etats-Unis.

    La diplomatie de ses marches est impériale parce que la référence historique des Chinois est la période antérieure à la colonisation et aux humiliations qu'ils ont subies. C'était «L'Empire du Milieu» auquel les voisins déclarés vassaux payaient tribut chaque année à l'empereur. La Chine contemporaine à parité avec les Etats-Unis ne sera pas aussi bienveillante que le furent ceux-ci pendant les 70 ans de l'après-guerre. Personne ne le croit, ni Singapour, ni le sultanat de Bruneï, l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande ni le Vietnam. Le pronostic est l'arrogance, surtout quand la Chine dit que tout pays, grand ou petit, est égal, mais que dans le même temps, lorsqu'on fait quelque chose qui lui déplaît, elle ne manque pas d'envoyer son ambassadeur dire que nous avons déplu à un milliard trois cent millions de gens, une façon de remettre chacun à sa place.

    La stratégie chinoise est celle du dépassement en tout. Mais pendant les 40 ou 50 ans dont ils ont besoin pour capitaliser sur une main d'oeuvre excellente et formée, ils ne doivent pas tomber dans le panneau allemand ou japonais (ndlr: relire Luttwak) qui voulurent tout accaparer jusqu'à déclencher deux guerres terribles, pas plus que succomber à la faute mortelle de l'URSS qui s'est jetée dans une compétition militaire qu'ils ont perdue deux fois, en termes d'armement et en crevant leur économie civile. Ainsi la Chine sait jusqu'où ne pas aller trop loin dans le domaine militaire. Du moins le pense-t-on !

    Les obstacles à franchir sont plus hauts qu'on ne l'imagine généralement. Outre des infrastructures de mauvaise qualité et un système économique hybride très corrupteur, le développement bute sur la paradoxale faiblesse des institutions et l'absence de force de la loi. Mais le pire est que la Chine est gouvernée par un foisonnement de petits empereurs locaux qui ont la main sur tout. Le conformisme est la règle, il est d'ailleurs récompensé, l'imagination, la créativité ne font pas partie du substrat culturel. Si en termes de PIB la Chine rattrape un jour les Etats-Unis, elle n'en sera pas moins en retard en termes d'invention parce qu'elle freine la contestation positive des idées. Sinon comment expliquer que quatre fois plus de talents ici qu'ailleurs ne parviennent toujours pas à faire le break ! Le système de gouvernement va être ringardisé par les technologies du futur [ndlr: et s'il faut déjà 2,6 millions de fonctionnaires de surveillance des réseaux sociaux au début de leur popularité combien en faudra-t-il en 2030 ?] Ils ne sont pas préparés.

    La Chine ne sera jamais une démocratie sous peine de s'effondrer. Les intellectuels chinois sont de cet avis. Le peuple redoute plus que tout le chaos - il y a une histoire du Chaos en Chine qu'on partage à la veillée - et s'il y a des consultations utiles dans les villes et villages, la politique globale de la nation ne sera pas discutée jusqu'à l'échelon citoyen. Toutefois, les Chinois voyagent de plus en plus et se frottent à des cultures différentes de la leur, aussi verra-t-on des modifications de la gouvernance pour s'y adapter, mais croire en la démocratie est une gageure, cinq mille ans d'histoire nous disent qu'on n'a jamais compté les têtes pour réagir à une situation, on les coupait !
    Xi Jinping, le nouvel empereur est à la fois aimable et impressionnant. Les tribulations de sa vie (cf. wikipedia) lui ont forgé une âme de fer qui ne se départira pas de ses convictions. Ce n'est pas l'apparatchik gris sans saveur comme Hu Jintao. Il a une stabilité émotive qui lui permet de surmonter des problèmes personnels sans obscurcir son jugement.

    Nous reprenons la main.
    Le nouveau président chinois va être testé par le Japon dans la dispute des îles de Mer de Chine orientale et par les Etats-Unis dans le monitoring du jeune Kim de Corée du nord. Ses administrations militaires, jalouses de leurs privilèges budgétaires, poussent à la confrontation sino-nippone en violant les eaux territoriales des Senkaku qu'Hillary Clinton a déclaré vouloir défendre ; le nouveau Japon de Shinzo Abe réarme, cette fois sérieusement. Onze institutions gouvernementales chinoises sont impliquées dans cette dispute, avides d'en tirer chacune une gloire plus grande que celle du département voisin. Le peuple convenablement travaillé par une propagande habile est instrumentalisé comme organe de pression sur les modérateurs. L'affaire est idéalement placée comme un couvercle sur les problèmes de fond du régime. Xi Jinping, qui vient d'attaquer le train de vie somptuaire des petits caciques en rognant sur les "cadeaux" de nouvel an, devra montrer qu'il a une stratégie de long terme, et qui "commande" au sein du Poliburo Standing Comitee. Mais de cela nous ne saurons rien !

    (1) Chez The MIT Press, février 2013 ©Belfer Center for Science & International Affairs

    http://royalartillerie.blogspot.fr

  • L'Iran à l'offensive contre l'Hollywoodisme

    L'Iran à l'offensive contre l'Hollywoodisme La troisième conférence internationale de réflexion sur l'Hollywoodisme s'est tenue à Téhéran du 2 au 6 février, avec les interventions d'une cinquantaine d'invités, parmi lesquels les Américains constituaient pour la première fois un groupe nombreux.

    Parmi eux, étaient présents Art Oliver, Jim Fetzer, Kevin James Barrett, Mike Gravel, William Engdahi, et l'anglais Rodney Shakespeare, hérauts de la contestation de la version officielle sur les attentats du 11 septembre, ainsi que le héros, le balayeur survivant devenu puissant militant William Rodriguez, Portoricain.

    Star montante, était attendu le petit fils de Malcolm X, Hadj Malcolm Shabbaz: mais le FBI l'a empêché de monter dans l'avion. Le bloc des musulmans arabes, africains, européens et américains était fourni et véhément. Leurs positions rejoignaient complètement celles des chrétiens, dans leur diversité: chaldéen, catholique, presbytérien, orthodoxe. Samba Diagne a dénoncé l'homosexualisme comme nouvelle utopie. Michael Jones a fourni la formule choc qui résume les enjeux, autour de l'outrance sexuelle: c'est Jésus contre Dracula. Son exposé a montré que les Irlandais ont un temps (entre 1933 et 1965) contré les juifs à Hollywood, qui ont infesté d'obscénité le cinéma. La campagne contre le prophète Mohammed (qui sévit maintenant chez les Guignols de Canal +) est le nouveau chapitre pour réduire en esclavage mental les musulmans comme cela a se poursuit depuis longtemps pour les chrétiens (l'affaire des Pussy Riots constitue l'offensive contre le monde orthodoxe). Le Marquis de Sade, après l'expérience de la prison, avait parfaitement établi de lien entre dégradation par la débauche et tyrannie. Thierry Meyssan a souligné l'apparition de la justification de la torture dans les séries télévisées, et la désorientation du public, rongé par le conflit des références.

    Des personnalités politiques, des partis républicain, démocrate, libertarien, des USA, mais aussi de Pologne et d'Angleterre, donnaient de la voix; des militaires témoignaient, tel Kenneth O'Keefe l'Irlandais qui était dans le Marmara attaqué par les Israéliens, Darnell Summers, vétéran du Viet Nam, et Monica Witt, ancienne combattante de la guerre d'Irak, convertie au chiisme.

    Relations incestueuses mises en œuvre par Hollywood, entre sionisme et gestion politique de l'Amérique, cannibalisme, monstruosité, "Sin city" sont quelques raccourcis critiques à réutiliser, en opposition à la résistance spirituelle iranienne, saluée par tous. Mais Merlin Miller a souligné que Hollywood perd maintenant des parts de marché, la demande de vrais héros positifs et de pureté est bien là... et le contre-festival "Progies" en est à sa cinquième année.

    Un groupe d'avocats s'est constitué pour attaquer en justice les films commandés par le Pentagone pour dénigrer l'Iran et préparer psychologiquement l'opinion publique au vaste projet de la "destruction nécessaire" (J. M. Vernochet) de l'Iran. Les films Argo (2012) , Zéro Dark 30 (2013), La lapidation de Soraya (2008), Les 300 (2007), Une nuit avec le roi (2006), Prince of Persia (Les sables du temps, 2010), Unthinkable (2010), et ceux qui ne manqueront pas de venir, ont pris la suite de Jamais sans ma fille (1991), mais la contre-offensive se prépare.

    "L'hégémonie Hollywood, arme de destruction massive", la conjonction entre industrie du divertissement et Pentagone a été étudiée en profondeur. Le neveu de Freud, Edward Bernays, avait pour le compte de la famille Rockefeller, dès la première guerre mondiale, dessiné l'industrie de la propagande. Chaque nouveau film constitue maintenant une nouvelle phase de l'"opération terreur" contre les sentiments naturels, pour que chacun accepte une nouvelle attaque impériale contre un pays ou un autre, où se mêlent inextricablement attentats bien réels, effets spéciaux et scénarios ad hoc ayant précédé les massacres programmés,et la caricature infamante de chaque type national ou religieux, y compris les Français, avec, en amont et en aval, espionnage des réseaux sociaux pour bien saisir le degré de confusion du public.

    La surprise est la convergence de spécialistes autour de la déconstruction des attentats du 11 septembre, chef d'oeuvre de l'ingénierie d'Hollywood, mais dont les failles sont désormais béantes. Nul doute que les organes israéliens se déchaînent, et donnent de fait le plus grand retentissement à ce qu'ils appelleront une provocation iranienne. Le président Ahmadinejad leur fait confiance! 2006, première invitation de Robert Faurisson, premier émoi israélien; 2011, 2012 et 2013, présence remarquée de Dieudonné, remise de distinctions par le président en personne aux représentants français du révisionnisme, Faurisson en tête.

    L'accent mis cette fois-ci sur les mensonges du 11 septembre se situe dans le cadre d'une offensive diplomatique iranienne bien précise: le gouvernement argentin accepte désormais de siéger aux côtés des Iraniens pour l'enquête sur l'attentat de 1994 à Buenos Aires, contre le centre communautaire juif AMIA. Tous les spécialistes sont convaincus que l'Iran n'est pour rien dans l'affaire, et que c'est Israël qui cherche depuis les années 1990 à faire accuser l'Iran de terrorisme d'Etat, à travers le montage sous faux drapeau de cette opération. D'ailleurs, le dirigeant communautaire argentin Borger, ténor de l'indignation israélienne, vient de se trahir, en annonçant à l'Argentine un nouvel attentat, à quoi la présidente Cristina Fernandez a répondu sans se démonter: "Ah bon, et comment le savez-vous ?... et qui donc en seraient les commanditaires ?" [1] Comme l'affirment les Israéliens, l'Amérique latine est bel et bien en train de basculer du côté de l'Iran, et en tout cas ne se laisse absolument plus manipuler par les menaces et chantages sionistes. Merci les Iraniens, de ranimer le courage de tous !

    Maria Poumier http://www.voxnr.com

    Notes :

    1 - Lu sur yahoo.com.ar (la présidente s'est exprimé par twitter...)
    "Ayer, Borger emitió su crítica más fuerte hasta el momento respecto del acuerdo. "Algunos dicen que es un paso adelante. Esto puede ser un paso adelante al precipicio. Porque si esto avanza estaríamos dando lugar a un tercer atentado muy lamentable", dijo.
    Esta tarde, Cristina dijo que leyó "con preocupación" esas declaraciones. "Estremece", opinó, sobre la frase sobre la idea de "un tercer atentado".
    "Considero a Borger una persona respetable. ¿Qué es lo que sabe para una afirmación tan terrible? Si hubiera un atentado por el acuerdo con Irán. ¿Quién sería el autor intelectual y material?", se preguntó en Twitter.
    "Está claro que nunca podrían ser los países firmantes -continuó la mandataria-. ¿Serían quienes se oponen al acuerdo? ¿Países, personas, servicios de inteligencia? ¿Quiénes? Pero además, ¿quién o quiénes serían? ¿O seríamos los objetivos?"
    "Me viene a la cabeza como un relámpago el dolor y las palabras de Zulema Yoma [la ex mujer del ex presidente Carlos Menem] afirmando que la muerte de su hijo fue el tercer atentado terrorista luego de la voladura de la Embajada de Israel y AMIA. Siento que se me hiela el alma", agregó.
    Cristina cerró la docena de tuits de hoy con la conclusión: "Creo que el Pueblo Argentino en general y la Justicia en particular deben y merecen conocer lo que sabe Guillermo Borger, titular de AMIA".

  • Robert Steuckers : russie "Remettre une élite politique sur pied" (archive 2006)

     1 — Nous observons aujourd’hui en Russie l’émergence d’un fort courant nationaliste qui traverse tous les partis et bouscule ainsi le traditionnel clivage gauche/droite. Ceci rend difficile un décryptage aisé des forces en présence ainsi qu’une compréhension claire des projets portés par chacune d’elles. Par exemple, que renferme le mouvement de gauche Rodina (« mère-patrie »), dirigé par des anciens membres du Parti communiste ? Certains le considèrent comme une création du Kremlin. Si c’est le cas, à quelles fins ?
    Votre question, très précise et fort bien formulée, évoque avant tout une évidence qui crève les yeux : un courant nationaliste puissant bouscule forcément, et quasi par définition, le clivage arbitraire et intenable sur le long terme entre « gauche » et « droite ». Surtout en Russie. Pour des motifs historiques bien patents. La Russie est aujourd’hui un pays perdant, un vaste pays, un pays-continent, qui a perdu la Guerre Froide, qui a évacué sa première ceinture de glacis, soit les pays du COMECON en Europe centrale et orientale. Elle a ensuite perdu ses glacis conquis au prix fort au temps des tsars, dans les années vingt et trente du XIXe siècle dans le Caucase d’abord, dans la seconde moitié du XIXe en Asie centrale ensuite. Le processus actuel de dissolution, sous les coups bien ciblés des diverses stratégies américaines mises en œuvre avec une constance et un acharnement féroces, s’est déclenché non pas immédiatement après la seconde guerre mondiale, comme on nous le fait croire, ou sous le règne de Khrouchtchev, mais immédiatement dans la foulée de l’invasion soviétique de l’Afghanistan en décembre 1979.
    L’URSS, malgré les cadeaux européens, consentis par Roosevelt à Yalta, restait une puissance encerclée, sans véritables ouvertures vers les mers chaudes donc sans espoir de se développer dans la compétition bipolaire et d’acquérir un statut authentique de grande puissance. Jordis von Lohausen, le géopolitologue autrichien qui fut mon maître, nous expliquait fort bien, dans la double tradition géopolitique allemande de Ratzel et de Tirpitz, qu’une vraie superpuissance est une superpuissance qui a accès à toutes les mers, les dominent et entretient une flotte capable de damer le pion à tout adversaire potentiel. Dans ce contexte de la guerre froide, les États-Unis, dans un premier temps, avaient intérêt à maintenir l’Europe en état de division, à ne pas en chasser les forces soviétiques qui occupaient les espaces complémentaires nécessaires au déploiement de la machine économique de leurs concurrents allemands et ouest-européens, à se faire passer pour les protecteurs « bienveillants » des pays satellisés de la portion occidentale de notre continent, où ils avaient remis en selle tous les corrompus, les prévaricateurs et les concussionnaires d’avant-guerre.
    Le soviétisme, offensif en apparence, militarisé, avait, par les allures qu’il se donnait, une utilité médiatique : il apparaissait comme un croquemitaine ; des politicards véreux, revenus dans les fourgons de l’armée britannique ou de l’US Army, recyclés dans un occidentalisme hostile aux souverainetés nationales, comme Paul-Henri Spaak, pouvaient s’écrier à toutes les tribunes internationales « J’ai peur ! » et réclamer, en tant que faux socialistes, des crédits militaires inutiles, en faisant acheter, par les gouvernements européens vassalisés, du matériel et surtout, bien entendu, des avions américains ; du coup, face à une URSS peu séduisante sur le plan publicitaire, les États-Unis se donnaient toujours le beau rôle, gagnaient la bataille médiatique et pouvaient fourbir leur meilleure arme, celle du soft power.
    Ce concept de la politologie moderne désigne et définit l’ensemble des atouts médiatiques, scientifiques, culturels, cinématographiques (Hollywood), politiques, économiques des États-Unis, selon la définition du politologue contemporain Nye, ensemble d’atouts qui fait que les masses ignorantes et manipulables à souhait, ou des fragments considérables de la masse, capables, même minoritaires de faire basculer les opinions publiques, adhèrent sans réfléchir, tacitement, à l’image quasi publicitaire que donne l’Amérique d’elle-même. Ces masses ou parties de masse considèrent les « vérités » médiatiques américaines comme des évidences incontestables. Qui ne sont presque jamais contestées effectivement, parce qu’il n’existe aucun soft power alternatif !
    Pour revenir plus directement à votre question, je dirais d’abord que la Russie actuelle ne dispose pas de ce soft power, ni de rien d’équivalent, ensuite que les médias occidentaux puisent encore et toujours dans les arsenaux publicitaires de la guerre froide, puisque la Russie reste, en fin de compte, l’ennemi à abattre, qu’elle ait été tsariste ou communiste hier, qu’elle soit démocratique aujourd’hui. Poutine passe pour une sorte de nouveau Staline, pour un « méchant » qui devrait au plus vite quitter le pouvoir, pour laisser la place à un « chef » que l’on considèrera comme un good guy, bien « démocratique », mais qui laissera oligarques, banquiers, organisations internationales piller, neutraliser et avachir la Russie.
    En Belgique, le principal quotidien bruxellois, Le Soir, publie chaque jour des articles haineux, et de ce fait délirants, contre la Russie. De ses colonnes, on pourrait facilement tirer une anthologie de la russophobie la plus rabique. Aucune autre instance médiatique ne peut répondre à ces délires, ni en Belgique ni dans le reste de la francophonie (à l’exception, parfois du Temps de Genève), en démonter l’inanité, en exhiber la profonde malhonnêteté, car aucun soft power russophile n’existe, ne dispose d’arsenaux sémantiques suffisamment étoffés, d’instruments cinématographiques ou de banques d’images alternatives.
    La mouvance identitaire, à laquelle vous appartenez, devrait réfléchir à cette terrible lacune, qui nous fait perdre guerre après guerre, dans les conflits « cognitifs » d’aujourd’hui : il n’y certes pas de soft power russe ; il n’y a pas davantage de soft power européen ou japonais, capables de neutraliser les effets du soft power américain. On constate, à intervalles réguliers, que, pour dénigrer l’Allemagne ou la France, le Japon ou la Chine, des images stéréotypées, totalement fausses mais médiatiquement vendables, des clichés rabâchés sont ressortis et diffusés à grande échelle, créant, ponctuellement, dans les pays anglo-saxons, et dans le monde, des réflexes germanophobes, francophobes, japonophobes ou sinophobes.
    Rappelez-vous que Chirac en a fait les frais lors de ses essais nucléaires en 1995, puis en 2003, lors de l’épisode fugace de l’Axe Paris-Berlin-Moscou, et enfin, pour le rendre encore plus malléable, lors des émeutes des banlieues en novembre 2005 ; quant à la germanophobie, elle est récurrente, d’autant plus que le croquemitaine nazi n’a jamais cessé d’être agité. Pour le Japon, les médias et agences médiatiques disposent de clichés bien rodés, que vous connaissez forcément : le méchant « Jap » revient souvent à la surface, tant dans les médias anglo-saxons que dans certains médias parisiens, où les ennemis de l’Amérique sont fustigés avec une hystérie bien connue.
    La meilleure exploitation offensive du soft power, à des fins qui équivalent à une guerre classique, soit la conquête d’un territoire qui se traduit aujourd’hui par son inféodation à l’OTAN, a été la pratique nouvelle des « révolution de velours », en Serbie, en Ukraine, en Géorgie et au Tadjikistan. On voit alors sur les écrans des télévisions du monde entier un peuple qui se dresse sans armes, en agitant des drapeaux d’une couleur douce, « sympa » ou « cool », ou en battant des casseroles comme jadis au Chili pour tenter de faire tomber Pinochet. Tout cela se passe soi-disant de manière spontanée, alors que ces phénomènes sont téléguidés par des professionnels de l’agitation bien entraînés, dans des séminaires largement financés par les fondations privées, d’inspiration néo-libérale, qui travaillent directement pour les intérêts géopolitiques de Washington.
    La Russie risque de subir, elle aussi, une « révolution orange » à la mode ukrainienne lors des prochaines présidentielles de 2008. Si une telle opération réussissait, le pouvoir central russe ne se soucierait plus de récupérer les influences perdues dans ces périphéries de glacis, que j’évoquais ici au début de ma réponse. Il est donc normal, pour revenir à votre question, que les Russes nationalistes, qui acceptent l’ensemble des avancées positives de la Russie depuis sa création et surtout depuis la renaissance qu’elle a connue à partir d’Ivan le Terrible au XVIe siècle, d’une part, et que les Russes nostalgiques de la super-puissance soviétique (mais une super-puissance relative !), d’autre part, connaissent une convergence d’intérêts, partagent une communauté de soucis bien justifiables. Les uns comme les autres veulent ravoir un pays qu’ils pourraient à nouveau juger intact, avec des frontières « membrées » (comme le disaient Vauban et Richelieu), capables de retenir ou d’absorber une invasion en direction du cœur moscovite de l’empire (comme contre les Tatars à l’Est, contre les Polonais à partir du « Temps des Troubles » à la fin du XVIe et du XVIIe, contre les Suédois de Charles XII, contre Napoléon et contre Hitler).
    Le terme Rodina, ou « mère-patrie », rappelle le sursaut russe de 1942, quand Staline consent à abandonner la phraséologie soviétique, qui ne motivait pas le peuple et, même, pire, le révulsait, pour reprendre à son compte les linéaments du patriotisme russe traditionnel, beaucoup plus porteur sur le plan de la propagande. « Mère patrie » est donc un vocable né à l’ère soviétique, tout en s’en démarquant sur le plan strictement idéologique. Quand le mouvement déliquescent de mai 68 frappait l’Europe occidentale et qu’il était « in » de se proclamer contestataire dans le sillage du jeune Cohn-Bendit, l’Union Soviétique était, a contrario, agitée par une contestation tranquille, nullement « progressiste » et déliquescente, mais soucieuse de renouer avec les racines russes pré-soviétiques, afin de redonner une « épine dorsale » spirituelle à un empire soviétique, prisonnier des limites et des apories de l’idéologie froide (la notion d’ « idéologie froide » se retrouvait dans les écrits de Castoriadis, Papaioannou et Axelos en France).
    Dans les rangs de l’armée rouge, dès la fin des années 60, l’idéologie communiste ne faisait plus recette, était vraiment considérée pour ce qu’elle était, c’est-à-dire une fabrication sans profondeur temporelle ni spirituelle : les officiers se souvenaient des généraux des tsars, de Pierre le Grand, de Souvarine, de ces conquérants de terre, de ces défenseurs de la « russéité » face aux dangers tatar et turc. C’est à cette veine-là que se réfèrent indubitablement les animateurs, anciens communistes, du mouvement Rodina.
    La convergence, qui éveille votre curiosité et justifie votre question, entre nationalisme et résidus du communisme dans la Russie actuelle n’est donc nullement étonnante. Seul ce mixte peut donner à terme une majorité parlementaire capable de défendre les intérêts de la Russie contre les menées des agences internationales, des fondations américaines, d’un éventuel mouvement « orange ».
    Que Rodina soit ou non une création du Kremlin, n’a pas d’importance. Ce mouvement doit, avec d’autres, participer au barrage qu’il faudra bien constituer en Russie, demain, pour affronter les « forces orange » qui ne manqueront pas de se dresser, avec l’appui de la Fondation Soros et de ses consœurs, toutes virtuoses de la « nouvelle subversion ».

    
• 2 — En novembre 2005, le LDPR de Vladimir Jirinovski a fait exclure Rodina des élections à la Douma de la ville de Moscou pour incitation à la haine raciale. Ceci ne laisse pas de surprendre. Que faut-il penser du LDPR ? Son chef plutôt controversé, personnage haut en couleurs et peu économe en provocations, est-il à prendre au sérieux ?
    Vous savez bien que les dissensions, les exclusions mutuelles, les querelles de chapelle, les chamailleries de chefaillons sont le lot quotidien des mouvements « identitaires ». La France, la Belgique francophone, l’Allemagne, l’Espagne et d’autres pays encore connaissent ce phénomène. La mouvance « nouvelle droite » en deviendra même le paradigme aux yeux des historiens de demain. Il est dû, à mon avis, indirectement aux effets inconscients du soft power américain. Je m’explique.
    Jadis, Yannick Sauveur [ici en 1983 aux côtés de Thiriart], représentant malheureusement isolé, mais pertinent et courageux, du mouvement Jeune Europe (1962-1969) et de Jean Thiriart (1920-1992), avait rédigé un mémoire universitaire sur la fonction métapolitique d’une revue comme Sélection du Reader’s Digest, où il démontrait comment, tout de suite après la victoire américaine de 1945 en Europe et en Extrême-Orient, les services cherchaient à remplacer les cultures nationales par une culture prédigérée (« digest » !), édulcorée, banale, où ne s’insinuerait aucune pertinence historique ou politique, pouvant s’avérer à terme contraire aux intérêts américains.
    Par ailleurs, le grand angliciste français Henri Gobard, à qui nous devons le concept de « guerre culturelle », dénonçait les stratégies de Hollywood, où le cinéma américain, qui a cherché à s’imposer par la force, par le chantage (comme celui que subit le gouvernement Blum en France en 1948), dans tous les pays d’Europe et d’ailleurs, offre des images, souvent bien présentées selon toutes les règles du septième art, qui éclipsent toutes les autres, potentielles, que l’on pourrait créer sur notre propre histoire, sur nos propres mœurs, en y insinuant nos propres messages politiques. Claude Autant-Lara, dans le discours inaugural * qu’il fit, en tant que doyen des parlementaires à Strasbourg, a fustigé cette situation avec un brio remarquable, qui provoqua bien entendu un scandale chez les bonnes consciences de la « correction politique » à Paris.
    Les chamailleries des chefaillons viennent du simple fait qu’ils sont inconsciemment imbibés de cette culture fabriquée et exportée, qu’ils sont ensuite prisonniers de vieux schémas obsolètes, que l’on a laissé survivre parce qu’ils n’étaient pas dangereux, qu’ils adhèrent et participent aux faux débats, créés artificiellement par les médias, débats sans objet réel qui visent surtout à esquiver l’essentiel. La mouvance nationaliste ou identitaire ou néo-droitiste (peu importent les qualificatifs) n’a pas généré une culture alternative suffisamment forte pour affronter le soft power américain en France, une culture alternative qui aurait été non schématique, bigarrée, aussi polyvalente que la culture du Reader’s Digest ou de Hollywood. Les cénacles qui composent cette mouvance sont traversés de contradictions irrésolues, sources de querelles, de scissions, d’effondrements politiques et de ressacs, tout simplement parce qu’il n’y a pas d’accord durable possible sur l’essentiel, c’est-à-dire sur la sauvegarde des cultures et des traditions du Vieux Monde, cultures et traditions qui sont bien entendu les garantes de la souveraineté des peuples, car elles devraient, si elles retrouvaient leur authenticité, générer des formules politiques adéquates, inscrites dans la continuité historique des peuples, dans leur vécu pluriséculaire.
    En ce sens, ce paysage politique de la mouvance identitaire fragmentée, paysage tout de désolation, est, indirectement, le résultat du poids très lourd que pèse le soft power américain sur l’ensemble des cultures d’Eurasie, Russie comprise. Dans les États vassalisés de l’américanosphère (selon le terme forgé par Guillaume Faye dans les années 80), aucune opposition organisée n’a vu le jour, jusqu’ici, parce que toute émergence d’un mouvement offensif sera, à court ou moyen terme, « cassée » par une dissidence soudaine, qui agira souvent en toute bonne foi, mais sera inconsciemment téléguidée par un appareil secret, dont le siège se trouve Outre-Atlantique, où l’on ne cesse de pratiquer la « guerre cognitive », comme la nomment les stratégistes français contemporains.
    L’opposition offensive, avant d’être brisée dans son élan, reposera forcément sur une synthèse ou un syncrétisme idéologique et affectif, composé de « dérivations » et de « résidus » pour parler comme Pareto, qui sera bien évidemment fragile, présentera des failles, des faiblesses, où s’insinuera le dissensus, téléguidé par ceux qui, au sein des services, ont pour profession d’observer d’abord, d’étudier les dynamiques à l’œuvre dans le pays donné, de faire appel à des historiens et des politologues qui éclaireront leur lanterne. Il suffit de passer en revue les catalogues de certaines maisons d’édition anglo-saxonnes. Une dissidence apparaîtra qui s’appuiera sur un programme en apparence similaire, sauf quelques nuances, qui fera perdre des voix et des sièges à l’opposition de première mouture, la déforcera dans la mise sur pied de majorités parlementaires ou dans la création d’un gouvernement de coalition. On se rappellera qu’il suffisait jadis de générer des dissensions au sein du mouvement communiste à l’aide des cénacles trotskistes pour ruiner l’accession de communistes à des postes clefs. Avec les nationalistes, au discours plus flou, aux références bien plus bigarrées, le travail serait, en l’état actuel des choses, beaucoup plus aisé.
    Dénoncer Rodina pour « incitation à la haine raciale » doit tout simplement nous faire réfléchir à quoi servent les lois, règlements et dispositions qui permettent ce genre d’intervention intempestives, contraire à la liberté d’expression et même à l’esprit de tous les corpus juridiques européens, soucieux de la liberté du civis romanus ou de l’homo germanicus. Notez que je m’insurgerais avec la même véhémence contre toute loi qui interdirait le socialisme, ou punirait l’expression d’idées anarchistes, ou voudrait juguler l’expression de la religion ou bannirait toute nouvelle exploitation ou interprétation des idées de Marx et Engels (contre la nouvelle internationale du « néo-libéralisme » par ex., qui est l’idée motrice de la « globalisation » et de la « mondialisation » actuelles).
    Tous les appareils et arsenaux judiciaires qui existent en Europe, pour limiter l’expression d’idées, sont autant de dénis des libertés politiques et intellectuelles, qui servent à casser des élans et à maintenir le statu quo ou à renforcer la mainmise néo-libérale. C’est-à-dire à installer la dictature masquée des sphères économiques, ou comme ose le dire Pierre-André Taguieff, en réhabilitant par là même un concept qui était devenu sulfureux, la dictature « ploutocratique ».
    Or, au départ, les principes de la démocratie visaient à faire advenir dans nos espaces politiques une pratique quotidienne des « choses publiques » (en latin : res publicae) cherchant à briser la pesanteur des situations de statu quo. En Belgique, la loi électorale à l’échelon communal (municipal) prévoyait, au début de notre histoire politique, un exercice, comme aujourd’hui, de six années, avec renouvellement du tiers des conseils communaux tous les 2 ans, afin d’éviter les encroûtements, l’installation durable d’incapables et les pratiques de concussion sur le long terme. Aujourd’hui, cette pratique intelligente du « renouvellement », à chaque tiers de législature, est depuis belle lurette jetée aux orties, et la corruption fonctionne allègrement comme le prouvent les scandales récents, ingérables, qui ont secoué le paysage politique de villes comme Charleroi et Namur.
    Ensuite, Moshe Ostrogovski, théoricien de la démocratie dans la première moitié du XXe siècle, démontrait qu’une démocratie optimale ne peut nullement fonctionner sur base de partis politiques permanents. Si un parti politique demeure « permanent », s’impose à la société comme une « permanence » inamovible et indéboulonnable, il crée, par sa présence ubiquitaire à tous les échelons de décision de la communauté populaire, des niches d’immobilisme, contraires au principe de fluidité qu’a prétendu vouloir incarner la démocratie, au départ, en Europe occidentale. Le socialisme wallon, mais aussi le démocratisme chrétien flamand, sont des exemples devenus paradigmatiques de déni de démocratie, sous couleur d’une idéologie qui n’a de « démocratique » que le nom qu’elle veut bien se donner. Le grand sociologue Max Weber, l’idéologue italien Minghetti, avaient, à leur époque, dénoncé, eux aussi, ces dérives malsaines.
    Ce type de dénonciation est reprise aujourd’hui par le libéral belge a-typique (et qui a de gros ennuis !), Alain Destexhe. Il est en butte à la haine du bourgmestre FDF Gosuin d’Auderghem, qui a lâché des fiers-à-bras, armés de marteaux et d’autres objets contondants, contre les amis de ce politologue avisé, comme s’ils étaient de vulgaires militants « identitaires » ; preuve sans nul doute que Destexhe, dans ses critiques, a visé juste. Petite parenthèse : avez-vous déjà entendu un idéologue de la mouvance identitaire faire référence à ces corpus démocratiques, rédigé par Destexhe et son ami Eraly, pour dénoncer la fausse démocratie ambiante ? Non. Voilà une des raisons de leur stagnation.
    Je déplore donc que Jirinovski et ses co-équipiers aient choisi de telles pratiques pour exclure un adversaire politique des débats de la Douma. Ceci dit, je suis profondément intéressé par ce que je lis, et qui émane du LDPR et de sa commission géopolitique, où œuvre le géopolitologue Mitrofanov, dans les entretiens qu’a donnés Jirinovski au Deutsch National Zeitung du Dr. Frey à Munich, et surtout dans l’ouvrage universitaire que Fabio Martelli a fait paraître naguère à Bologne sur la « géopolitique de Jirinovski » (La Russia di Zhirinovskii, Il Mulino, Bologna, 1996 ; recension in Vouloir n°9, 1997).
    Cet ouvrage est important car il nous donne effectivement les grandes lignes d’une géopolitique eurasienne intéressante, dont les piliers sont les suivants :
        •    1) faire advenir un projet eurasien qui repose sur l’idée d’une fédération d’empires traditionnels régénérés (on reconnaît là une idée-maîtresse de Douguine, dont l’influence a dû s’exercer un moment sur les think tanks du LDPR) ; pour l’équipe rassemblée à l’époque autour de Jirinovski, les principales traditions impériales à ranimer sont celles de la Russie, bien évidemment, du Japon, de l’Iran, du Saint Empire romain-germanique.
        •    2) À ce quadrige d’empires devrait s’ajouter le pôle balkanique serbo-bulgare, d’inspiration byzantine et de base ethnique slave, réminiscence du projet brisé de Stepan Douchane au XIVe siècle, immédiatement avant les invasions ottomanes.
        •    3) Jirinovski parle ensuite de briser la puissance de l’Arabie Saoudite wahhabite et alliée des États-Unis, depuis le contrat pétrolier qui a uni Roosevelt et Ibn Séoud en 1945. Au wahhabisme, il faut dès lors opposer un islam plus riche, plus trempé de traditions diverses, enrichi par des syncrétisme divers, not. islamo-perse.
        •    4) Le programme de la commission géopolitique du LDPR évoque également le projet de déstabiliser les pays très fortement liés aux États-Unis, et périphériques de la masse continentale eurasienne, comme la Grande-Bretagne, en pariant là-bas sur l’élément celtique et irlandais. Ce travail ne serait possible que par le truchement d’une élite d’ascètes traditionalistes, réceptacles des cultures immémoriales du Vieux monde eurasien.
    Un programme cohérent, donc, à méditer, au-delà de toutes les querelles de chapelle.

    • 3 — Récemment les français ont pu découvrir Alexandre Dugin et aussi lire ses travaux qui empruntent à Alain de Benoist, sans s’en cacher d’ailleurs, un bon nombre de ses réflexions. Bien que Dugin soit souvent cité dans les milieux identitaires, son mouvement Evrazija (Eurasie) semble pourtant aligner des effectifs plutôt limités. Que recouvre concrètement le terme d’Eurasie ? Quelle est l’influence réelle de Dugin et de son mouvement sur la politique Russe ?
    Vous aurez appris que j’ai rencontré Alexandre Douguine, à Paris d’abord en 1991 [au XXIVe colloque du GRECE], à Moscou ensuite en 1992, et, enfin, en novembre 2005, lors de sa tournée de conférence en Belgique. On ne peut pas dire que Douguine incarne un calque russe du message de la « nouvelle droite » parisienne, du moins dans l’état actuel où se trouve celle-ci. L’évolution de ce mouvement français, rupturaliste à ses débuts, va, depuis une bonne décennie, comme l’avait très bien prévu Jean Thiriart dès la fin des années 60, dans le sens d’une confusion totale et se caractérise par l’absence de toute clarté dans le discours. Douguine, comme moi-même et bien d’autres, retient fort justement l’idée néo-droitiste initiale d’une bataille métapolitique, à gagner avant de vaincre sur le plan politique, mais, la situation française étant ce qu’elle est, avec ses verrouillages et ses interdits, de Benoist [ci-contre à côté de Douguine, à Moscou en 2008] n’a pas pu véritablement s’insérer dans les débats de la place de Paris.
    Face à cet échec, dont il n’est nullement le responsable mais la victime, de Benoist a cru bon, par toutes sortes de manœuvres rentrantes et de stratagèmes de contournement, finalement boiteux, de tenter quand même un entrisme dans le PIF (paysage intellectuel français), not. via les antennes de France Culture, où il participait à d’excellentes émissions, comme aujourd’hui, en marge du PIF, à Radio Courtoisie. Alain de Benoist s’est fait malheureusement éjecté de partout, poursuivi par la vindicte d’une brochette de vigilants hystériques. Les plus anciens de vos lecteurs se rappelleront certainement de toutes ces affaires parisiennes récurrentes, où le pauvre de Benoist était la tête de Turc, de l’affaire ridicule des candélabres SS, du complot dit des « rouges bruns » (1993), orchestrés par les Olender, Daeninckx, Monzat, Spire, Plenel et autres figures malveillantes et malfaisantes du Tout-Paris.
    Cette haine tenace, indécrottable, permanente, a déstabilisé psychologiquement le malheureux de Benoist, qui en est sorti complètement déboussolé. Peureux de nature, n’étant ni un polémiste vigoureux ni un foudre de guerre, déçu et meurtri, tenaillé par la frousse de se faire traiter de « raciste » (ce qu’il n’est assurément pas), il n’a plus cessé de se dédouaner et, dans ce misérable travail de déconstruction de soi, de ce qu’il avait été, a trahi tous ses amis, dont Guillaume Faye, exposant d’un intéressant projet « eurosibérien ». Cette trahison, peu reluisante sur le plan éthique, lui a valu des polémiques supplémentaires, dont il fit les frais, et qui émanaient cette fois de la mouvance néo-droitiste elle-même, dont un certain Cercle gibelin, aujourd’hui disparu. De Benoist est désormais pris en tenaille, d’une part, par ceux qui ont toujours voulu l’exclure des débats, et, d’autre part, par ses anciens amis qui n’acceptent pas ses trahisons. Sa position est pour le moins inconfortable.
    Les « vigilants » de la correction politique reprochaient à de Benoist d’avoir fréquenté Douguine. Et d’avoir rencontré Ziouganov, leader du PCR, et Babourine à Moscou. Pour ces « vigilants », ces petits débats moscovites, intéressants, courtois, publiés dans le journal « Dyeïnn » de Prokhanov — l’ancien directeur de Lettres soviétiques qui avait réhabilité Dostoïevski (quel crime !) — annonçaient une terrible convergence totalitaire, qui allait tout de go balayer la démocratie occidentale, provoquer comme par un coup de baguette magique la fusion entre le PCF et le FN de Le Pen, capable de devenir le premier parti de France : la figure de « Mascareigne », du fameux roman humoristique de Jean Dutourd, risquait de devenir une réalité ! On nageait en plein délire. Les rapports entre de Benoist et Douguine se sont relâchés, à la suite de ces scandales, jusqu’au moment où notre ami russe a connu le succès dans son pays, est devenu un animateur radiophonique en vue, a patronné la création de plusieurs sites internet du plus haut intérêt, sans plus éveiller la méchante verve de nos « vigilants », dont les gesticulations n’avaient pas vraiment ameuté les foules.
    Le tour de force de Douguine a été de trouver dans quelques pays de bons traducteurs de la langue russe. En Belgique, je dois à ce cher Sepp Staelmans quelques excellentes traductions de Douguine et d’articles tirés de sa revue Elementy. Les autres traductions issues du russe me viennent de jeunes et charmantes collaboratrices et stagiaires de mon bureau, et je profite de votre entretien pour les remercier une fois de plus. En Espagne et en Italie, des slavistes chevronnés, dont Mario Conserva, nous ont livré de bonnes traductions, qui ont servi de base à leurs publications en français, généralement éditées par Christian Bouchet. La stratégie de Dougine, avisée, a donc été de trouver les bons hommes aux bonnes places, partout en Europe et dans le monde.
    Pour moi, Douguine est essentiellement, sur le plan spirituel et idéologique, le traducteur et, partant, l’importateur, des idées et visions de René Guénon et Julius Evola en Russie. En ce sens, il doit plus aux travaux d’un Claudio Mutti en Italie ou d’un Antonio Medrano en Espagne qu’à de Benoist. Douguine est aussi celui qui a couplé le traditionalisme de Guénon et d’Evola à l’œuvre du Russe Constantin Leontiev. Ce dernier contestait la volonté des panslavistes modernistes à vouloir démembrer l’Empire ottoman moribond, à ramener les Balkans dans le giron d’une Europe gangrenée par la modernité ou dans celui d’une orthodoxie dont la rigueur s’affaiblissaient.
    C’est dans Leontiev qu’il faut aller retrouver les racines d’une certaine « islamophilie » de Douguine. Cette islamophilie n’est nullement d’inspiration hanbalite ou wahhabite mais renoue avec un certain soufisme caucasien, plus particulièrement azéri et perse, qui a fusionné avec le chiisme au temps des shahs séfévides. Dans ce soufisme azéri islamisé, on trouve des références à la tradition hyperboréenne, que ne retient évidemment pas l’islam saoudien. Rappelons que la dynastie des Séfévides iraniens s’est imposée à la Perse, moribonde après les invasions mongoles, grâce au concours d’un mouvement religieux et militaire azéri et turkmène, les Qizilbash, ou « chapeaux rouges », qui s’opposeront aux Ottomans sunnites et aux Ouzbeks, tout en faisant alliance avec les Byzantins en exil, le Saint Empire et l’Espagne.
    Pour clore le chapitre des rapports de Douguine et de la ND française, je rappellerais ici que, pour illustrer ce qu’est, ou a été, la ND, le site Evrazija affiche mes réponses personnelles sur cette mouvance, accordée à Marc Lüdders à la fin des années 90, dans le cadre d’un ensemble de débats, en Allemagne, sur les évolutions, involutions, mutations et métamorphoses des « nouvelles droites » (car le pluriel s’impose, effectivement !).
    Le mouvement Evrazija n’est pas un mouvement de masse, donc la question de ses effectifs me parait oiseuse. Ce qui compte, c’est son accessibilité via la grande toile, c’est la présence réelle et physique de son animateur sur la scène internationale, en Europe, aux États-Unis, au Japon, en Iran, c’est la répercussion de ses voyages dans les médias russes.
    Quant au terme « Eurasie », terme-clef dans la vision du monde de Douguine, je pense qu’il signifie surtout, pour lui, de 2 choses :

    
1) sauver au minimum la cohérence du territoire de l’ex-URSS, réceptacle potentiel d’une aire de « civilisation russe », exactement comme le Shah d’Iran parlait, à propos des zones chiites de Mésopotamie et d’Afghanistan, d’une aire de la « civilisation iranienne ». En même temps que cette cohérence territoriale du noyau russe et de ses glacis adjacents, Douguine réclame, dans sa vision eurasiste, une cohérence spirituelle en amont de l’histoire, qui se réfère au temps d’un « âge d’or », contrairement à la cohérence en aval que postulait le communisme messianique, qui œuvrait pour l’avènement d’une félicité planétaire au terme de l’histoire, après l’élimination de tous les reliquats du passé (« Du passé, faisons table rase ! »). Cette cohérence en amont permet de sauter au-dessus des clivages religieux et ethniques et d’unir tous les tenants de la « Tradition primordiale », dont dérivent toutes les traditions actuelles (ou ce qu’il en reste), dans une même phalange, contre l’idéologie moderniste de l’Occident américanisé ;
    2) de donner, à l’instar des nombreux eurasistes russes des années 20, qu’ils aient été blancs ou rouges, en URSS ou en exil, ou qu’ils se soient situé idéologiquement entre les 2 pôles de la terrible guerre civile, comme les « monarchistes bolcheviques », une dimension dynamique à références scythes, mongoles ou tatares. Pour les eurasistes des années 20, comme pour le panslaviste Danilevski au XIXe siècle, comme pour le Spengler tardif, les sociétés sédentaires d’Europe occidentale ont fait vieillir les peuples prématurément, en ont fait de petits rentiers craintifs, des boursicotiers ou des ronds-de-cuir, alors qu’une idéologie sauvage, conquérante et cavalière, comme celle, implicite, des conquérants mongols unificateurs de l’Eurasie quand ils étaient au sommet de leur gloire, aurait permis de garder la jeunesse et, partant, la créativité. Pour Douguine, tous les unificateurs de l’Eurasie, quelle que soit leur carte d’identité raciale, sont des modèles à rappeler, à exalter et à imiter. Douguine a parfois parlé de la Russie, du Continent russe, comme le fruit de la fusion idéale entre éléments slaves (indo-européens) et turco-mongols.
    À ces 2 piliers principaux de la vision douguinienne du mouvement eurasiste, il faut ajouter la connaissance de la géopolitique allemande de Karl Haushofer, penseur de l’idée du « quadrige grand-continental », avec la Russie soviétique, l’Allemagne hitlérienne, l’Italie mussolinienne et le Japon shintoïste.
    Mon compatriote et ancien voisin de quartier, Jean Thiriart, qui fit également le voyage à Moscou avant de mourir en novembre 1992, avait théorisé l’idée d’une grande Union Soviétique, étendue à l’ensemble de la masse continentale eurasienne, portée par un communisme corrigé par la philosophie nietzschéenne (réétudiée en URSS par le philosophe Odouev), et par là même, futuriste, toujours hostile aux religions établies. Thiriart et Douguine s’entendaient bien, même si leurs visions étaient diamétralement opposées sur le plan religieux. Il faut relire aussi les textes derniers de Thiriart, not. dans les diverses revues « nationales bolcheviques », publiées à l’époque par Luc Michel, et dans Nationalisme & République, organe animé par Michel Schneider, vieil admirateur français de Thiriart.
    L’influence de Douguine sur la politique russe ne peut pas se mesurer de manière précise : disons qu’il est un exposant de vérités russes, eurasiennes, parmi beaucoup d’autres exposants. Comme dans le cas de la Révolution conservatrice allemande des années 20, qui fut un foisonnement luxuriant, Douguine, au sein de l’anti-conformisme russe actuel, occupe une place de choix, parmi bien d’autres, dans un paysage idéologique tout aussi luxuriant.

    • 4 — Tous ces mouvements précédemment évoqués semblent plus ou moins soutenir la politique de Poutine. Est-ce vraiment le cas ? Faut-il en conclure que le personnage de Poutine n’est pas exempt d’aspects intéressants au regard d’un identitaire ? Peut-on lui faire confiance ?
    Douguine a très bien expliqué que Poutine, dans le contexte d’une Russie démembrée, est le « moindre mal ». Douguine insistait pour nous expliquer qu’à son avis la faiblesse du poutinisme réside tout entière dans son incapacité à générer une élite ascétique alternative, suffisamment bien armée et structurée, pour faire face à toutes les éventualités. Il dit ainsi, en d’autres termes, ce que j’ai tenté de vous expliquer dans l’une de vos questions précédentes : en Russie aujourd’hui, comme en Europe ou ailleurs dans le monde, la plus extrême difficulté, à laquelle nous allons tous devoir faire face, est de remettre une élite politique sur pied, à même de comprendre les rouages impériaux et traditionnels, de connaître notre histoire sans les filtres médiatiques, qui faussent tout.
    Il faut un temps infini pour reconstituer une élite de ce type, telle que l’avait si bien définie, en son temps, l’Espagnol José Ortega y Gasset. Pour l’instant, sans cette élite alternative, sans les glacis qui membraient jadis le territoire russe, sans les masses financières dont disposent ses adversaires, Poutine n’a évidemment pas les moyens de faire une grande politique russe tout de suite, de mettre « échec et mat » ses adversaires en un clin d’œil. Il doit avancer au coup par coup, à petits pas, travailler avec les moyens du bord, en affrontant le travail de sape des oligarques, des fondations néo-libérales, des agences médiatiques américaines.
    Poutine gagnera la bataille, mais uniquement s’il parvient, comme nous l’a démontré notre ami autrichien Gerhoch Reisegger dans les colonnes d’Au fil de l’épée, à réaliser les projets eurasiens d’oléoducs et de gazoducs, entre la Chine, le Japon, les 2 Corées, l’Inde, l’Iran et l’Europe. Le pétrole et le gaz fourniront à la Russie, du moins si les oligarques n’en détournent pas les fonds, les moyens de sortir de l’impasse. Mais ce projet général est systématiquement torpillé par les États-Unis et leurs alliés saoudiens wahhabites.
    La Tchétchénie se situe sur le tracé d’un oléoduc amenant le brut des rives de la Caspienne. La Géorgie devait théoriquement accueillir les terminaux sur la Mer Noire ; elle pratique une politique anti-russe, dont les derniers soubresauts ont émaillé les actualités fin septembre début octobre 2006. Pour alimenter l’Allemagne, il a fallu contourner les nouveaux membres de l’OTAN en Europe de l’Est, la Pologne et la Lituanie.
    La grande guerre pour le pétrole est celle qui se déroule sous nos yeux, mais elle ne fonctionne plus comme les 2 grandes conflagrations de 1914 et de 1939. La guerre a pris d’autres visages : celui de la guerre cognitive, celui de la guerre indirecte, celui du low intensity warfare, celui des guerres menées par personnes ou tribus interposées.

    • 5 — Seul le Parti National Bolchevique, à l’esthétique pour le moins provocante et conduit par le célèbre écrivain Eduard Limonov, entretient une véritable agitation contre le pouvoir Poutinien. Dans son opposition systématique au Kremlin, il est allé jusqu’à s’allier aux mouvements pro-occidentaux et libéraux. N’est-ce pas un peu paradoxal ? Que penser de ce mouvement et de son chef qui semble compter quelques soutiens parmi de nombreux intellectuels français de gauche comme de droite ?
    Pour moi, Edouard Limonov reste essentiellement l’auteur d’un livre admirable : Le Grand Hospice occidental. Dans cet ouvrage, publié en français, Limonov reprenait à son compte un vieux thème de la littérature russe, celui du vieillissement prématuré et inéluctable de l’Occident [Zapad]. On le retrouve chez les slavophiles du début du XIXe siècle, qui considéraient les peuples latins et germaniques comme « finis », comme des peuples qui avait épuisé leurs potentialités, bref comme des peuples vieux.
    Danilevski, dans une perspective non plus slavophile et donc ruraliste et paysanne, mais dans une perspective panslaviste plus moderniste et offensive, réactualisait, quelques décennies plus tard, la même idée. Plus récemment, un auteur, mort dans la misère à Moscou en 1992, Lev Goumilev, qui a influencé Douguine, évoquait la perte de « passion », de « passionalité », chez les peuples en voie de déclin (sur Goumilev et son influence sur les nouvelles droites russes, voir l’ouvrage universitaire très fouillé de Hildegard Kochanek, Die russisch-nationale Rechte von 1968 bis zum Ende der Sowjetunion, F. Steiner Verlag, Stuttgart, 1999). Moeller van den Bruck, traducteur allemand de Dostoïevski et figure de proue de la Révolution conservatrice, parlait de « révolution des peuples jeunes », parmi lesquels il comptait les Italiens, les Allemands et les Russes. Pour lui, les peuples vieux, étaient les Anglais et les Français.
    Limonov ne veut pas que la Russie devienne un « hospice », comme l’Occident qu’il fustigeait à sa façon, en d’autres termes que Zinoviev quand ce dernier démontait les mécanismes de l’occidentisme. Mais, à lire attentivement les 2 ouvrages, celui de Limonov et celui de Zinoviev, on trouvera sans nul doute des points de convergence, qui critiquent l’étroitesse d’horizon, la nature procédurière, voire judiciaire, des rapports sociaux, en Occident.
    Cette horreur du vieillissement et de l’encroûtement, que subissent effectivement nos peuples, a amené bien évidemment Limonov à une autre nostalgie, intéressante à noter : celle de la littérature engagée, celle de l’écrivain combattant, militant, auréolé d’un panache d’aventurier. Jean Mabire, récemment décédé, n’avait jamais cessé de nous dire, justement, que cette littérature-là est la plus séduisante de nos 2 derniers siècles, qu’elle est impassable, qu’on y reviendra inlassablement. Limonov, fidèle à ce double filon, celui de la jouvence russe et celui de l’engagement, a forcément posé une esthétique de la révolution et de la provocation, de la bravade, celle que vous évoquez dans votre question.
    Cette esthétique est comparable à celle des écrivains du temps de la guerre d’Espagne ou à celle des rédacteurs de Gringoire ou Je suis partout en France, autant d’écrivains engagés, dont le plus connu demeure évidemment André Malraux, avec sa Voie royale et son action dans l’aviation républicaine. Il y a eu des Malraux communistes, fascistes et gaullistes. Limonov entend faire la synthèse de ces gestes héroïques, de ces postures mâles, politisées, impavides, picaresques, et de les incarner en sa propre personne.
    Limonov a donc pris la pose de ces écrivains des années 30, dans un contexte contemporain où ce type d’attitude est totalement rejeté et incompris, car nous ne sommes plus du tout dans une période héroïque de l’histoire, mais dans une période plate et triviale. Cet anachronisme apparent, qui déroute et choque, rend évidemment Limonov sympathique à tous ceux qui, à gauche comme à droite, regrettent le bel âge des engagements totaux.
    Embastillé naguère pour ses multiples frasques par Poutine ou par un juge nommé par Poutine, Limonov, en toute bonne logique révolutionnaire/littéraire, se mettra à combattre, sans répit et de manière inconditionnelle, celui qui l’a fait jeter dans un cul-de-basse-fosse. Et là, nous débouchons immanquablement sur les paradoxes que vous soulignez. Un ultra-national-bolchevique, haut en couleur, au talent littéraire avéré, qui s’allie à des libéraux pour lutter de concert contre un régime présidentiel parce que celui-ci ne les autorise pas à marchander et à trafiquer à leur guise, c’est bien entendu un paradoxe de belle ampleur ! Mais ce n’est certes pas la première fois dans l’histoire que cela se passe…
    Il n’y a rien à « penser » du mouvement de Limonov. Il y a à constater son existence, à observer ses vicissitudes. Sans entonner des louanges déplacées. Sans tonner de condamnation pour se dédouaner. Le phénomène Limonov, comme tout phénomène du même acabit, comme celui d’Erich Wichman en Hollande dans les années 20 et 30, comme le phénomène Van Rossem en Belgique il y a une quinzaine d’années, sont nécessaires au bon fonctionnement d’une communauté politique. Les outrances ne déplaisent qu’aux rassis et aux moisis. Elles mettent en exergue des disfonctionnements avant que tous les autres ne s’en rendent compte. Elles font office de signaux d’alarme.
    Personnellement, je n’ai jamais rencontré Limonov. Le Français qui l’a le mieux connu, et l’a défendu en organisant pour lui un comité de soutien, est Michel Schneider, l’ancien animateur de la revue Nationalisme & République.

    • 6 — D’autres mouvements plus marginaux, comme l’Union Russe Nationale, aux sympathies ultra-orthodoxes et au nationalisme traditionnel, semblent constituer une nébuleuse insaisissable. Quel est le potentiel de ces multiples mouvements dont le discours est un subtil mélange de panslavisme, d’anti-américanisme, d’orthodoxie et parfois même de communisme ?
    Comment voulez-vous que je vous réponde, si la nébuleuse est insaisissable ? Comment voulez-vous que je la saisisse ? Comme les bravades de Limonov à l’avant-scène, sous les feux de la rampe, les nébuleuses, en arrière-plan, comme « fond-de-monde », sont tout aussi nécessaires. Dans le contexte qui nous préoccupe, vous énumérez les ingrédients de la nébuleuse, tous ingrédients consubstantiels à la culture russe. Vous oubliez simplement la slavophilie, présente dans des réseaux comme Pamiat, au début de la perestroïka. La slavophilie, comme toutes les références völkisch (folcistes) est évidemment insoluble dans le libéralisme et la globalisation, puisque ses références sont le peuple particulier, face à un monde d’élites dénationalisées. Aucune « généralité » philosophique ou politique ne trouve grâce à ses yeux.
    Le panslavisme hisse cette slavophilie à un niveau quantitativement supérieur, veut une union de tous les Slaves, qui ne s’est pas réalisée parce les clivages confessionnels sont demeurés plus forts que l’appel à l’unité. Entre Catholiques polonais et Uniates ukrainiens, d’une part, Orthodoxes russes et autres, d’autres part, sans oublier la tradition laïque ou hussite en Bohème, entre Catholiques croates et Orthodoxes serbes, les fossés sont chaque fois trop grands, n’ont jamais pu être comblés, en dépit des exhortations et des proclamations. Si le panslavisme n’a pas fonctionné, comment voulez-vous, dès lors, que cette russéité, ou ces identités slaves non russes, s’évanouissent dans une panmixie planétaire ?
    L’orthodoxie, bien plus conservatrice que le catholicisme, dans ses formes et sa liturgie, constitue bien entendu un rempart plus solide encore contre la mondialisation et ses effets pervers. Quant au communisme, aujourd’hui, il n’est plus du tout la pratique quotidienne de la révolution, l’espoir d’un monde meilleur, mais un reliquat du passé. Le réflexe conservateur inclut désormais l’idéologie révolutionnaire dans ses nostalgies, parce que cette idéologie ne meut plus rien, ne participe pas à la grande marche en avant éradicatrice de la modernité : l’idéologie de la globalisation, de la table rase, de l’éradication, c’est désormais le néo-libéralisme et non plus la vieillerie qu’est devenue le communisme.
    Dès l’heure de la perestroïka, le philosophe Mikhaïl Antonov avait repris la critique du matérialisme économique énoncée au début du XXe par des figures comme Soloviev et Boulgakov. Pour leur discipline et actualisateur Antonov, les idéologies matérialistes, comme le capitalisme et le socialisme se réclamant du matérialisme économique, sont responsables des catastrophes du XXe siècle et de l’effondrement de l’économie soviétique. La disparition du communisme strict, sous Gorbatchev, ne conduira, pensait Antonov, qu’à un accroissement du bien-être matériel, ce qui maintiendra, pour son malheur, la Russie dans une forme seulement plus actualisée du soviétisme moderniste, lui-même issu du matérialisme bourgeois occidental.
    Pour éviter cet enlisement, l’économie doit se référer à des traditions nationales russes, moduler ses pratiques sur celles-ci, et ne pas adopter des modèles occidentaux, américains, néo-libéraux. Le publiciste nationaliste Sergueï Kara-Mursa, poussant plus loin encore les thèses d’Antonov, affirme que le capitalisme est intrinsèquement étranger à l’âme russe, incompatible avec les principes de fraternité de la chrétienté orthodoxe, fondements du caractère national russe et matrices de ses orientations socialistes spontanées et particulières, inaliénables et pérennes.
    L’ouverture que constituait la perestroïka était dès lors perçue, par des hommes comme Antonov et Kara-Mursa, comme une tentative de miner les fondements moraux et spirituels du peuple russe et de lui injecter, par la même occasion, le « poison » de la civilisation capitaliste occidentale. Les théories d’Antonov seront rapidement reprises par Ziouganov dans le programme du PCR, ce qui explique la mutation profonde de ce parti, qui renonce ainsi à tout ce que le communisme avait de rébarbatif et d’inacceptable, et, par voie de conséquence, explique toutes les convergences entre nationaux et communistes, objets de cet entretien.
    Dans la nébuleuse, que vous évoquez, c’est la notion de fraternité qui est cardinale, qui est le point de référence commun. Elle est effectivement incompatible avec le néo-libéralisme, idéologie de la globalisation. Elle postule le solidarisme, soit un socialisme de la fraternité, d’où ne sont pas exclues les dimensions religieuses.

    • 7 – Les médias occidentaux ont attribué la paternité des violences ethniques survenues en Carélie, dans la ville de Kondopoga, à un mystérieux mouvement russe contre les migrations illégales, le DPNI. Qui se cache derrière cette organisation et quelle force représente-t-elle concrètement ? Le DPNI semble jouir d’une certaine sympathie auprès de la population russe, est-ce le cas ?
    L’affaire de Kondopoga est évidemment un fait divers tragique, comme nous en connaissons à profusion en Belgique et en France. Cette année, à Arlon et à Ostende, des bandes tchétchènes ont tué un jeune, rançonné des fêtards, ravagé une discothèque. Les brigades spéciales de la police fédérale de Bruges ont dû intervenir à la côte. Ces énergumènes ont évidemment un sentiment de totale impunité : ils se posent comme les victimes de Poutine et de l’armée russe. Ils sont des résistants intouchables, adulés par un journal comme le Soir. À Arlon, à la suite de l’assassinat sauvage d’un jeune homme tranquille de 21 ans, une « marche blanche » de plus de 2.000 personnes a défilé, réclamant la dissolution des bandes tchétchènes. La presse n’en a pas dit un mot !
    En Russie, et surtout dans cette zone excentrée de la Carélie, la foule n’a pas eu recours à une « marche blanche », mais s’est exprimée d’une autre façon, plus musclée.
    Je ne peux évidemment juger du capital de sympathie ou d’antipathie dont bénéficie le DPNI en Russie. On peut simplement constater en Europe comme en Russie une lassitude de la population face à des exactions commises par des diasporas agressives et déboussolées.

    • 8 – L’antenne russe du site internet Indymedia, qui se revendique un média alternatif et dont la tonalité est clairement altermondialiste, a récemment suscité la polémique. Certains militants antiglobalisation accusaient son animateur, Vladimir Wiedemann, de sympathie avec la Nouvelle Droite. Plus largement, existe-t-il en Russie des connexions entre la mouvance antiglobalisation et des éléments d’obédience nationale-identitaire ?
    Vladimir Wiedemann est l’un des hommes les plus charmants, que j’ai rencontré. J’ai fait sa connaissance dans le Fichtelgebirge en Allemagne et nous nous sommes promenés, avec le Dr. Tomislav Sunic venu de Croatie, dans les rues de Prague. C’était à l’occasion d’une Université d’été allemande en 1995. Depuis, V. Wiedemann a participé à plusieurs universités d’été et à des séminaires de Synergies européennes ou de la DESG/Deutsch-Europäische Studien Gesellschaft, organisation sœur en Allemagne du Nord. Wiedemann a ensuite négocié avec les altermondialistes d’Indymedia l’ouverture, sous sa houlette, d’une antenne russe de ce réseau de sites contestataires. C’est bien sûr ce qui a déclenché le scandale après quelques mois.
    Je ne sais pas si l’on peut qualifier V. Wiedemann d’exposant de la ND. Ses positions sont bien différentes. Surtout quand il évoque la nécessité de retrouver des racines byzantines et orthodoxes pour refonder l’impérialité russe. La renaissance russe passe donc, à ses yeux, par une théologie impériale, de facture byzantine, où l’Empereur est simultanément chef de guerre et pontifex maximus.
    Cette position orthodoxe pure met évidemment Wiedemann en porte-à-faux avec une ND, du moins en France, qui valorisait l’Empereur, et surtout Frédéric II de Hohenstaufen à la suite de Benoist-Méchin, mais un empereur qui s’était débarrassé au préalable de tous les oripeaux du christianisme et ne régnait que par son charisme personnel et par la gloire de ses actions, sans référence à un au-delà ou à une métaphysique quelconque. Wiedemann va même plus loin : cette théologie impériale byzantine doit être capable, à terme, de générer un « espace juridique et impérial unitaire et grand continental », expliquait-il lors de l’Université d’été du Fichtelgebirge.
    Nous n’avons plus affaire, comme chez Douguine, à une référence à l’eurasisme des années 20, d’inspiration scythique ou panmongoliste, complétée par une réflexion sur les thèses ethnogénétiques de Goumilev, ni à un futurisme technocentré et technomorphe comme chez Thiriart ou Faye, mais à une tradition religieuse romaine, dans l’expression qu’elle s’était donnée à Byzance, au temps de sa plus grande gloire. Wiedemann prend très au sérieux, et sans nul doute plus au sérieux que tous les autres exposants du non conformisme identitaire russe contemporain, le rôle dévolu à la Russie après la chute de Constantinople en 1453 : celui d’être une « Troisième Rome », qui reprendrait intégralement à son compte le système traditionnel de l’impérialité incarnée par le Basileus byzantin (cf. V. Wiedemann, « Russie : arrière-cour de l’Europe ou avant-garde de l’Eurasie ? », in : Vouloir n°6, 1996).
    Quant aux connexions entre altermondialistes et identitaires, elles existent de facto potentiellement, à défaut d’exister in concreto sur le plan organisationnel, car une hostilité au déploiement néo-libéral planétaire actuel est plus conforme aux discours, épars aujourd’hui encore, des identitaires qu’à ceux des altermondialistes de gauche. Ceux-ci rejettent tout autant les obligations et les devoirs qu’implique une identité, ou, plus exactement, une imbrication dans une continuité historique particulière et non interchangeable, que les capitalistes globalistes contre lesquels ils s’insurgent. Au discours globaliste de Davos, ils opposent un autre discours globaliste, également sans frontières, sans ordre, sans garde-fou. Quand des militants de l’antenne wallonne de Terre & Peuple, de concert avec des militants de Nation, m’avaient demandé de parler de l’Europe et de la globalisation en novembre 2005 à Charleroi, j’ai utilisé, pour parfaire et étayer ma démonstration, les nombreux petits ouvrages diffusés par ATTAC, en en corrigeant les outrances ou les dérapages ou les insuffisances, mais aussi en montrant tous les points de convergence qui pouvaient exister entre eux et les positions de Synergies européennes.
    Wiedemann a dû poser exactement la même analyse en Russie : il s’est présenté et est devenu tout naturellement l’animateur d’Indymedia-Russie. Sa haute intelligence doit rendre ce site-là bien plus intéressant que les autres émanations d’Indymedia. Wiedemann ne doit publier que des textes pertinents, en expurgeant toute la phraséologie post-soixante-huitarde, tous les dégoisements gnangnan que cet altermondialisme officiel produit. D’où les colères impuissantes qu’il a suscitées.
    ► Fait à Forest-Flotzenberg, octobre 2006. Paru dans ID n°7, 2006. http://vouloir.hautetfort.com
    * : Le bateau coule : Discours de réception à l'Académie des Beaux-Arts, éd. Libertés, 1989. Un appel aux européens pour sauver leurs arts, leurs avant-gardes, leurs réflexes philosophiques et religieux profonds. Discours prononcé avant l'entrée de l'auteur au Parlement de Strasbourg, ce texte recèle un vigoureux plaidoyer contre l'hollywoodisme, contre l'intervention des marchands dans le monde des arts. Claude Autant-Lara milite pour sauver le cinéma français et européen, victime de la bourgeoisie ploutocratique, du mauvais goût des esprits bas qui cherchent à se donner bonne conscience en prononçant des discours aussi généreux dans la forme qu'insipides dans le fond. Le vieux cinéaste, le parlementaire qui a osé dire comme l'enfant d'Andersen que « le roi est nu », s'est attiré la haine féroce des voleurs et des escrocs de la politique, a suscité la méchanceté insondable de tous les les abominables médiocres qui ont tué la culture européenne, de tous ceux que le sublime aveugle, qui confondent liberté d'expression et étalage des turpitudes, des bassesses, des petites saletés qui encombrent toutes les âmes. Ceux qui injurient Autant-Lara ne méritent que nos crachats, autant qu'ils sont. Surtout les "socialistes" [alors au gouvernement au moment du scandale journalistique] et les hommes de gauche qui ont vendu leur âme par conformisme, qui ont baissé la garde pour des mangeoires, qui ont oublié leur jeunesse contestataire, qui ont oublié que, jadis, ils voulaient que l'imagination prenne le pouvoir.