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insécurité - Page 1018

  • Au Sahara, le feu couve dans la poudrière

    Les frontières territoriales dans le Sahara entre le Mali, le Niger, l’Algérie et la Libye ont toujours été ouvertes, et les Touareg les ont utilisées pour leur stratégie de commerce de contrebande et de migration. Mais depuis la guerre en Libye, beaucoup de choses ont changé. De plus, de nouveaux acteurs sont apparus sur ce terrain de jeu du Sahara, intéressés par les ressources de la région.

    «Agence de Voyage: Arlit–Djanet, Arlit–Libya», c’est ce qu’on peut lire sur un panneau écrit soigneusement à la main devant la petite cabane en terre glaise au centre d’Arlit, ville d’Uranium dans le Niger du Nord. Dans la cabane se trouve un vieux bureau avec des listes de noms des passagers. Sur la paroi, revêtue de tissu rouge foncé, des photos sont accrochées qui – à la manière d’une publicité touristique – montrent comme l’agence transporte ses passagers vers l’Algérie ou vers la Libye: 30 personnes sont assises bien serrées sur un pick-up Toyota et roulent à travers le désert; chacun tient un bidon d’eau de 5 litres dans la main.
    Dans la cabane se trouve Osman, bien habillé d’un Bazin orange avec un Chèche noir autour de la tête. Osman travaille ici comme responsable, lorsque le chef de l’agence, appelé Murtala, visite la dépendance de l’agence à Tahoua. En plus, il est Kamosho, c’est-à-dire celui qui «déniche des passagers», et le guide qui montre aux passagers à pied le chemin de l’Algérie à la Libye.
    Autrefois, avant la guerre en Libye, m’explique Osman, les automobiles venaient jusqu’à Djanet et déposaient les passagers dans les jardins de l’oasis. Mais lorsqu’au cours de la guerre des militaires touareg et des mercenaires ont commencé à sortir la moitié de l’arsenal de Kadhafi du pays, les contrôles des forces de sécurité algériennes et nigériennes ont été renforcés. Depuis, plus aucun chauffeur n’ose transporter son chargement illégal jusqu’à Djanet, mais il congédie ses passagers à quelque 70 kilomètres de ce lieu, en plein milieu du Sahara. Ce qui a fait naître une nouvelle branche de profession, celle du guide, un guide qui connaît la région, qui amène directement les passagers jusqu’en Libye en passant par la frontière verte.

    Les intentions de l’UE et les stratégies locales

    Cependant, ce commerce avec la frontière n’est pas forcément illégal, car ici au Niger, un membre de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, fondée en 1975), il est tout à fait légal de charger une Toyota de «sans-papiers» et de les amener jusqu’à la frontière de l’Algérie ou de la Libye. La Gendarmerie nationale en donne la permission contre une petite rémunération. Jusqu’à la frontière nigérienne, les convois de Toyota sont donc tout à fait légaux. Une fois passée la frontière, cela change d’un coup: le transport légal devient migration illégale.

    L’Union européenne instrumentalise les Etats nord-africains comme avant-poste de la forteresse Europe, pour qu’ils interviennent contre les migrants potentiels vers l’Europe. Pendant que la Libye sous Kadhafi ne prenait pas de vraies mesures pour protéger ses frontières sud et que le pays dépendait en plus de la main-d’œuvre des migrants illégaux, l’Algérie poursuit avec dureté les acteurs transnationaux et essaye en même temps de contrôler la contrebande de benzine. Les Touareg1, qui exercent la contrebande de benzine ainsi que le trafic d’êtres humains depuis des années avec succès, et qui sont eux-mêmes des transfrontaliers par excellence, retrouvent cependant toujours de nouvelles stratégies pour détourner ces obstacles étatiques. (Kohl 2007, 2009, 2010).
    «Que pouvons-nous faire d’autre?» m’explique un des chauffeurs. «Nous avons tous des familles, nos enfants ont faim, de quoi pouvons-nous vivre? De l’air? Au Niger, il n’y a pas de travail. L’Etat ne fait rien pour nous aider. Ou bien nous devenons tous des rebelles ou des bandits, ou bien nous chargeons nos Toyota de passagers et de benzine. Iban ­eshughl – pas de travail, c’est ça notre problème!»
    Pendant la guerre de Libye, le trafic entre le Niger, l’Algérie et la Libye s’est arrêté complètement. Maintenant les premiers Haoussa commencent à retourner en Libye en espérant trouver du travail. Les Touareg hésitent encore à y retourner, la peur de la nouvelle Libye étant encore trop grande.

    Arlit, centre du commerce, de la contrebande et de la migration

    Arlit est un centre du commerce et de la contrebande à l’intérieur du Sahara, entre le Niger, le Mali, l’Algérie et la Libye. En même temps, la ville est le point de départ de la migration illégale de personnes subsahariennes en route vers la Libye pour y trouver du travail ou pour aller plus loin, vers l’Europe.
    L’Etat du Niger sait que l’on ne peut pas faire cesser les stratégies du «human trafficking». Ainsi on a trouvé une solution réciproque entre les acteurs, les Touareg et l’Etat: les chauffeurs doivent enregistrer leurs passagers. Cela est utile pour les passagers qui, en cas d’accident ou d’une panne automobile, peuvent être recherchés et trouvés, et cela les protège contre des chauffeurs sans scrupules qui ne sont intéressés que par l’argent et abandonnent les passagers en plein Sahara, c’est-à-dire à la mort. Cela est utile aussi pour les chauffeurs qui peuvent, en cas de contrôle militaire, présenter un laissez-passer et se distinguer ainsi des bandits, des rebelles ou des trafiquants de drogues, et ne seront pas poursuivis et sanctionnés.
    Osman peut raconter beaucoup d’histoires de commerce avec la frontière. Jusqu’à la guerre en Libye, il a travaillé comme guide entre Djanet en Algérie et Ghat en Libye, et il a amené, moyennant une marche à pied de trois jours, de nombreux migrants potentiels vers l’UE, des Touareg et, en Libye, des chercheurs de travail. Avec le début des combats en Libye, il a quitté précipitamment le pays comme beaucoup de Touareg. De retour à Arlit, les chances de trouver un travail sont minimes. Avant tout pour ceux qui n’ont jamais fréquenté une école. Toutefois, même ceux qui peuvent présenter des diplômes peinent à trouver du travail.

    L’uranium – bénédiction ou malédiction ?

    Cependant, Arlit est la ville dans laquelle la société française pour l’énergie nucléaire Areva exploite depuis la fin des années 1960 les plus grandes mines d’uranium du monde, Somaïr (exploitation depuis 1971) et Cominak (depuis 1978). Areva, pour la plus grande partie propriété de l’Etat français, est le leader mondial de technique nucléaire. En même temps, le Niger se classe sur le Human Developement Index de 20112 à l’avant-dernière place. Deux tiers du pays sont composé de désert et de demi-désert. La base économique est l’agriculture et l’élevage de bétail, fortement menacés par les sécheresses qui reviennent avec quelques années d’intervalles et de manque de pluies, ou bien, ces derniers temps, des pluies torrentielles. Un approvisionnement social par l’Etat n’existe pas, il n’y a pas de travail, et malgré un système scolaire de l’Etat, le taux d’analphabètes est très élevé, surtout parmi les femmes et les nomades (plus de 80%). Ibrahima, douze ans, fréquente une des écoles étatiques à Arlit. Il est en cinquième (CM1) et me décrit la situation de son école: «Nous sommes 93 élèves, garçons et filles. Nous avons deux enseignants, et par table il y a cinq élèves.» Le niveau de formation bas en est la conséquence.
    Une grande partie de la population du Niger vit sous la menace de la faim, espère des aumônes et dépend de l’aide de l’Europe et de projets de développement. C’est le Nord, habité par les Touareg, qui est surtout concerné par la marginalisation et la mauvaise gestion économique. C’est bizarre, puisque le plus grand employeur du pays y est domicilié. Les travailleurs dans les mines d’uranium viennent presque tous des parties sud du pays, alors que les Touareg qui y vivent ne sont presque jamais embauchés.
    Depuis quelques années, Areva s’est fait connaître par de gros titres dans les journaux. Greenpeace a pu prouver que lors de l’exploitation de l’uranium, ce n’est pas seulement la santé des travailleurs qui est menacée, mais que tout l’environnement de la mine est contaminé par des rayons radioactifs.3 Tout autour de la ville d’Arlit se sont formées des montagnes artificielles de déchets de la roche dont on a délavé l’uranium, et chaque année, des tonnes de roches s’ajoutent. Au marché d’Arlit, on vend du métal contaminé de la mine, et le sable dans beaucoup de maisons est partiellement radioactif jusqu’à 550 fois la valeur normale, raconte Moussa, un collaborateur de l’ONG locale, Aghirin Man4. Cette petite ONG a réussi à faire remplacer le sable contaminé dans des parties de la ville par du sable qui ne représente pas de risque.
    Moussa lui-même a travaillé pendant des années en Libye comme traducteur dans le tourisme et, au courant des combats, il est retourné au Niger en espérant trouver du travail dans la nouvelle mine d’Imouraren planifiée par Areva, à 80 kilomètres au sud d’Arlit. Le dossier de Moussa avec des certificats et des diplômes est déjà déposé depuis un an à l’office de la commune. Jusqu’à présent sans réponse. «Sans relations ou corruption», dit-il de façon résignée, «aucun Touareg n’a une chance d’y parvenir.»

    Une nouvelle mine d’uranium évoque des différences tribales, mais aussi de l’espoir

    Pour les travaux préparatoires à la mine d’Imouraren, qui devrait commencer en 20135 avec l’exploitation de l’uranium, on embauche expressément des Touareg de la région. Avec ça, Areva espère contenter la population indigène et empêcher de cette façon une autre rébellion et une augmentation du banditisme.
    Les exigences des deux dernières rébellions (1990–1997 et 2007–2009) contiennent entre autre une participation explicite aux recettes de la mine.
    Mais l’intégration principalement bienvenue de la population locale dans la nouvelle mine a déclenché un renforcement partiel des différences tribales. Ces dernières décennies, les différences tribales ont de plus en plus été poussées à l’arrière-plan par les forces locales, et les inégalités sociales et polito-économiques entre la «classe supérieure» dominante précoloniale (imajeren/imujar/imuhar), les anciens descendants d’esclaves (iklan) et les groupes anciennement tributaires (imrad) se sont peu à peu effacées au quotidien. Les mariages de préférence endogames ont été, surtout par la jeune génération (ishumar), dégagés de leur importance traditionnelle. A l’heure de l’économie du marché capitaliste, on trouve aussi des descendants d’anciens esclaves qui ont dépassé les anciens seigneurs concernant le capital économique. Mais, vu la possibilité de pouvoir travailler chez Areva, les différences tribales ont commencé à être instrumentalisées. Depuis, les tribus (tawsit) vivant autour d’Imouraren, en premier lieu les Ikazkazen et les Kel Aharus, sont en concurrence pour la position de porte-parole pour toute la région. En plus, depuis la rébellion de 2007 à 2009, les tribus vivant sur le même territoire sont empêtrées dans une querelle, déclenchée par l’enlèvement d’un des anciens des Ikazkazen par les Kel Agharus et renforcée au cours de la concurrence. Au niveau juste supérieur par contre, les deux groupes essaient d’empêcher l’embauche d’autres groupes venant des montagnes Air à l’est, en les dénonçant comme rebelles et bandits potentiels. Ainsi ils essaient avec véhémence de caser leurs gens, même s’ils ne disposent pas de diplômes appropriés.
    Mais Imouraren représente le nouvel espoir pour tous les Touareg du Niger. Beaucoup de Touareg qui se sont enfuis de la Libye ne veulent pas y retourner, car ils craignent que la situation dans la Libye après Kadhafi soit loin de se stabiliser. Même plus de huit mois après la mort de Kadhafi, son esprit plane encore sur le pays. Avant tout ceux qui n’ont jamais été en Libye pensent que la Libye sans Kadhafi ne pourrait exister, ou bien, comme un sceptique l’a exprimé: «La Libye aura besoin de 42 ans pour que ça aille à nouveau bien.»

    Le chaos dans la Libye libre

    Au fait cela ne va pas bien dans le sud du pays. Bien que là il n’y ait pas de querelles intertribales et toutes les oasis – sauf le petit al-Barkat, proche de la frontière algérienne qui, même après la mort de Kadhafi, a encore hissé le drapeau vert – se sont vite libérés des restes du vieux régime: toutes les administrations et offices publics, mais aussi les écoles, ont été détruits et pillés. Des meubles et le matériel de bureau se retrouvent soit dans des ménages privés ou bien ont été amenés hors du pays par les Touareg et mis en vente en Algérie, au Mali et au Niger. Moktar, par exemple, s’est emparé de cinq copieuses et les a ramenées à pied jusqu’à Djanet où elles attendent toujours un acheteur. A Agadez au Niger, sur des parkings immenses, se trouvent des véhicules volés de la Libye: des Land-Cruiser et des Pick-up Toyota flambants neufs, différentes marques de voitures de tourisme et une grande partie des ornements des sociétés chinoises de construction.
    Dans les appartements vides des sociétés des chinois à Ghat, des Libyens et des migrants se sont tout simplement installés. Ajebu, une Targia nigérienne qui vit avec ces cinq enfants et son mari depuis des années en Libye, dans une construction en terre glaise délabrée, et qui n’a jamais rien vu des allocations sociales de Kadhafi, a tout simplement occupé un appartement vide de l’immeuble d’une société de construction chinoise. Toute joyeuse elle m’a raconté au téléphone: «Tu te rends compte! On a même de l’eau courante et de l’électricité, une vraie cuisine avec un plancher en dalles!»
    Peu après la mort de Kadhafi et avec le vacuum de pouvoir en Libye, chacun a essayé de s’approprier de beaucoup de choses. C’est avant tout le Bureau pour la sécurité intérieure (maktab hars ad-dachiliy), craint par tout le monde et qui, aux temps de Kadhafi, avait pour objectif de tenir la population sous contrôle avec un système élaboré d’espionnage, qui a été complètement pillé et détruit à Ghat. – Ils ont avancé la justification que cette administration aurait été créée uniquement par Kadhafi et n’aurait (enfin) plus de légitimation. Les objets accaparés, des kalachnikovs neufs dans leur emballage original et des pistolets ont été distribués parmi les pilleurs ou vendus. On peut acheter la munition correspondante chez le marchand de cigarettes au coin de la rue: les balles de kalachnikov pour 50 gersh, celles pour les pistolets pour 25 gersh: la munition coûte autant qu’un chewing-gum. Et la violence est très élevée dans la Libye du Sud. Les jeunes garçons règlent maintenant leurs conflits pubertaires l’arme à la main. Zeinaba, une Targia vivant depuis 15 ans en Libye est bouleversée: «Nos enfants deviennent des bandits! Hier, ils ont de nouveau abattu un homme dans notre voisinage. Pour l’argent. Ça arrive maintenant tous les jours! J’ose à peine sortir dans la rue.» Son fils Elias l’approuve et ajoute: «Et l’alcool s’y ajoute en grandes quantités. Les gens boivent dans la rue, sont souls, tirent des salves dans l’air et braillent: ‹La Libye est libre!›»

    Les conséquences de la guerre en Libye

    La liberté de la Libye a un prix énorme et ce ne sont pas seulement les Libyennes et les Libyens qui le paient, mais il est partagé dans toute la région du Sahara et du Sahel. Les armes passées clandestinement à travers la frontière de la Libye ont changé tout le Sahara en une poudrière prête à exploser. La majeure partie de l’immense arsenal d’armes de Kadhafi a été transportée hors du pays et sert maintenant différents rebelles au Mali, au Tchad ou au Soudan. Mais aussi des groupes terroristes, comme par exemple l’AQMI (Al-Qaïda du Maghreb islamique), en profitent.
    Au Niger, presque chaque nomade est maintenant armé. A l’époque, les nomades Touareg portaient également des épées et des couteaux: comme aide au travail et comme protection contre les chacals. Mais aujourd’hui ce sont les kalachnikovs qui viennent de Libye, et servent pour l’autoprotection et des règlements de comptes, comme l’explique Bala, car la police et l’armée n’entreprennent que peu de choses contre les nombreux bandits qui attaquent leurs propres gens. «Depuis la guerre en Libye», ajoute-t-il, «on peut acheter autant d’armes qu’on veut au marché des animaux. Et même pas cher. Depuis, nous avons tous une kalachnikov à la maison pour nous protéger contre les bandits.» Le problème des bandits est une conséquence directe de la dernière rébellion. Au cours des pourparlers de paix, dirigés par Kadhafi, on a promis aux anciens rebelles l’intégration dans l’armée et des paiements de dédommagement, mais cette promesse n’a pas été tenue par l’Etat du Niger. Ces anciens rebelles mal payés ou bien pas payés du tout, et pour la plus grande partie toujours armés, se sont formés ces dernières années en un banditisme incontrôlé et ont déstabilisé aussi le Sahara.

    Insécurité fabriquée dans le Sahara et dans le Sahel

    Cette phase croissante de déstabilisation et d’insécurité dans toute la région n’est cependant pas faite maison, mais initiée par des étrangers, et cela depuis qu’en 2001/2002, les USA sous George Bush ont déclaré la guerre au terrorisme et ont stigmatisé le Sahara et le Sahel comme zone potentielle de terrorisme et défini comme zone de retraite pour les militants extrémistes de l’Afghanistan. Les premiers enlèvements de touristes en Algérie en 2003 ont corroboré cette rumeur du Sahara comme zone terroriste. En 2004, George Bush a créé pour cette raison l’initiative Pan-Sahel (PSI) pour combattre avec le soutien des gouvernements locaux le soi-disant terrorisme. D’après Jeremy Keenan, il est clair que ces enlèvements ont bien été effectués par les extrémistes islamiques du GSPC (Groupe salafiste pour le combat), mais ont été planifiés par les services secrets algériens et américains pour corroborer le soupçon du Sahara comme zone terroriste. Pourquoi?
    D’après Keenan, l’objectif des USA est de créer une base idéologique pour la militarisation de l’Afrique, afin d’avoir un accès primaire aux ressources.6 La motivation de l’Algérie de participer à cette mise en scène de combats est fondée dans son désir du rétablissement politique dans l’UE et dans l’Otan. En plus, l’Algérie avait besoin de soutien militaire des USA pour atteindre des objectifs politiques et d’hégémonie en Afrique de l’Ouest, et pour pouvoir tenir tête à la Libye. Les USA de leur côté avaient besoin d’un allié en Afrique pour pouvoir imposer leur militarisation. (Keenan 2006, 2009) Depuis 2005, on aperçoit un recul du bourrage de crâne des USA, mais des enlèvements ont toujours lieu dans le Sahara et dans le Sahel qui sont maintenant attribués au groupe désormais appelé l’AQMI.
    Depuis l’enlèvement de collaborateurs et collaboratrices de la société Areva à Arlit en septembre 2010, on soupçonne aussi les Touareg nigériens d’avoir des contacts avec l’AQMI. La plus grande partie de la population locale refuse catégoriquement ces liens et accuse l’Etat nigérien de pratiquer un tel amalgame pour recevoir de l’argent de l’UE pour le combat contre le terrorisme. Quelques-uns croient cependant qu’il pourrait y avoir des Touareg qui, pour de l’argent, coopéreraient avec l’AQMI. Mais si de tels contacts existent, ils sont surtout de nature économique et non idéelle.
    A toute une génération de jeunes Touareg, la base de vie a été retirée avec cette mise en scène du combat contre le terrorisme. Le tourisme dans le désert s’est effondré, des passages de frontières sont devenus plus difficiles et les stratégies de commerce et de contrebande criminalisées. La guerre en Libye a aggravé la situation et a laissé un grand nombre de réfugiés sub-sahariens sans travail. A une grande partie de jeunes gens les bases de vie ont été retirées. Il ne leur reste peu de stratégies pour se sortir de leur situation économique et sociale critique.

    Issue de la crise: Rébellion ou séparation?

    Au Mali, où, le 17 janvier 2012, a éclaté une toute nouvelle rébellion, la coopération entre la fraction des Touareg et de l’AQMI est incontestable. Le chef d’Ansar Din, Iyad ag Aghali, coopère avec une fraction de l’AQMI.7
    Mais la plus grande partie des rebelles Touareg au Mali, qui se sont formés dans le MNLA8 (Mouvement national de libération de l’Azawad), se distancient explicitement des contacts avec ces groupements extrémistes. L’Islam traditionnellement pratiqué de manière libérale par les Touareg n’est pas conforme aux idées salafistes.
    Pour les rebelles maliens, il ne s’agit cependant plus de décentralisation, participation économique et soutien social comme lors des rébellions auparavant. Comme leurs exigences ultérieures à l’adresse de l’Etat national sont toujours restées sans succès, ils combattent maintenant pour l’autonomie et la séparation de l’Etat malien. Ils ont beaucoup de succès dans leur rébellion actuelle, pas en dernier lieu parce qu’ils ont un bon réseau et sont bien organisés et avant tout très bien équipés avec des armes en provenance de la Libye.

    La néo-colonisation du Sahara

    Pendant que les Touareg maliens s’efforcent d’obtenir la reconnaissance de leur nouvel Etat, que les Touareg nigériens espèrent toujours avoir du travail dans la nouvelle mine d’uranium et que beaucoup d’Africains de l’Ouest veulent retourner en Libye pour trouver du travail, le Sahel est ravagé par une nouvelle famine. A l’époque, la Libye était l’un des premiers Etats à fournir de l’aide et du soutien aux nomades appauvris. Aujourd’hui, ce partenaire agissant vite manque. Pour les acteurs dans le Sahara et dans le Sahel, avant tout la France, les USA, et la Chine, mais aussi l’Inde, la Corée, le Canada et autres, il ne s’agit ni d’aide humanitaire, ni de soutien à la démocratisation, mais uniquement de ressources. Le pétrole, le gaz, l’uranium et le phosphate ont appelé de nouveaux acteurs sur scène, et ce sont avant tout les Touareg qui se retrouvent sur le terrain de jeu d’intérêts économiques et politiques globaux. La re-colonisation ou bien néo-colonisation (Claudot-Hawad 2012) du Sahara et du Sahel n’apportera ni la paix ni des concessions aux droits des minorités, mais une nouvelle matière inflammable à cette poudrière où déjà couve le feu.    http://www.mecanopolis.org

    Source: Die Zeitschrift für internationale Politik

    Traduction : Horizons & Débats

    1    Touareg est une spécification étrangère, qui est cependant entrée dans l’usage européen. Les termes émis varient selon la région et le dialecte: Imuhagh en Algérie et en Libye, Imushgh au Mali et Imajeghen au Niger. Le gh usuel dans beaucoup de transcriptions est prononcé comme un r parlé dans la gorge. A cause du lectorat étendu de ce magazine, j’utilise pour une meilleure compréhension la notion européisée de Touareg (pl.), singulier fém.: Targia, singulier masc.: Targui. Il est important de remarquer que Touareg est déjà une forme plurielle. Il n’y a pas de TouaregS!
    2    Le Niger est rangé à la place 186 avant la République démocratique du Congo. http://hdr.undp.org/en/statistics/
    3    Greenpeace International (6 mai 2010)
    Areva’s dirty little secret, www.greenpeace.org/international/en/news/features/ArevaS-dirty-little-secrets060510/
    Greenpeace International (2010) Left in the dust: Areva’s radioactive legacy in the desert town of Niger, www.greenpeace.org/international/Global/international/publications/nuclear/2010/Areva_Niger_report.pdf
    4    www.ciirad.org/actualites/dossiers%202007/uranium-afriq//photos-niger.pdf
    5    www.areva.com/EN/operations-623/a-topranked-deposit-ftir-longterm-minmg.htm
    6    Jusqu’en 2015, 25% de la consommation en pétrole et en gaz des USA doivent être livrés par l’Afrique de l’Ouest (surtout depuis le Golfe de la Guinée) (Keenan 2009: 125 nach CIA Global Trends 2015).
    7    Depuis sa fondation, le mouvement salafiste terroriste s’est fendu en divers groupes avec des stratégies et objectifs différents. Actuellement, il existe trois fractions dirigées par Abdul-Hamid Abu Said, Moktar bei Moktar et Yahya Abu-Hammam, appelé aussi Yahya Juani. (Interview de Jermy Kennan sur France 24, le 4 avril 2012; www.youtube.com/watch?v=BseudITb6U)
    8    www.mnlamov.net/
    Bibliographie
    Claudot-Hawad, Hélène (2012). Business, profits Souterrains et Strategie de la terreur. La recolonisation du Sahara, www.temoust.org/business-profits-souterrains-et,15758
    Keenan, Jeremy (2006). Security and Inseamty in North Africa, in: Review of African Political Economy, Nummer 108, 269–296, www.gees.org/documentos/Documen-01279.pdf
    Keenan, Jeremy (2009). The Dark Sahara: America’s War on Terror in Africa, Pluto Press, New York
    Kohl, Ines (2007). Tuareg in Libyen: Identitäten zwischen Grenzen. Reimer, Berlin
    Kohl, Ines (2009). Beautiful Modern Nomads:
    Bordercrossing Tuareg between Niger, Algeria and Libya. Reimer, Berlin
    Kohl Ines (2010). Saharan «Borderline»-Strategies: Tuareg Transnational Mobility, in: Tilo Grätz (Hg.). Mobility, Transnationalism and Contemporary African Societies. Cambridge Scholars, Newcastle upon Tyne, 92–105

    *Ines Kohl est chercheur à l’Institut d’anthropologie sociale (ISA) de l’Académie des sciences autrichienne (ÖAW). Elle fait des recherches sur les Touareg, la culture des jeunes, la mobilité et la transnationalité en Libye, en Algérie et au Niger.
    Courriel: ines.kohl(at)oeaw.ac.at; www.kohlspross.org

  • Good morning Kaboul !

    L'ISAF pliant les gaules, c'est une nouvelle ère qui se lève en Afghanistan. Les chaînes d'information comme France24 ou France2 nous ont proposé des reportages sur le retrait, plutôt bien faits. Trois mille soldats français seront rentrés à la Noël. Trente mille soldats américains seront rentrés à la Noël. Ceci dit pour ne pas jeter la pierre injustement à notre gouvernement qui ne peut être plus royaliste que le roi. C'est après la déclaration fracassante de Nicolas Sarkozy de retirer ses billes du bac à sable que Barack Obama, un instant surpris, prit la même décision. François Hollande a accéléré le mouvement et l'a sans doute rendu plus cher.

    En apprenant la décision de l'ISAF de terminer sa mission en 2014, le secrétaire général de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), Nikolaï Bordiouja, a déclaré : « A l'heure actuelle, le facteur afghan détermine un large éventail de menaces dans la région eurasienne, l'Afghanistan constitue une source de prolifération de stupéfiants, d'armes et d'idées islamistes dans la région. Nous estimons que le retrait envisagé de la Force internationale d'assistance à la sécurité ne tardera pas à aggraver la situation: les structures radicales et nationalistes intensifieront leurs activités visant à encourager les tendances contestataires et à accentuer les contradictions inter-ethniques et inter-confessionnelles dans les pays membres de l'OTSC (Russie, Biélorussie, Arménie, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan) ». L'Ouzbekistan s'est retiré de l'OTSC pour l'orgueil de son président autocrate Nazarbaïev, et a bloqué la voie d'issue septentrionale par pur caprice, nous obligeant à louer des Antonov à l'Ukraine ou à la Russie.

    L'affaire afghane est un échec si on s'en tient à la feuille de route des néocons du Pentagone de jadis qui avaient prévu d'établir une démocratie du modèle de Westminster dans un pays tribal ou tripal (pareil). Si l'on s'en tient à celle de Barack Obama, dévoilée en son temps par Joe Biden, c'est un demi-succès : «Clear-Hold-Build-Transfer» tel était l'ordre du jour. La protection des Afghans priorisée par le général Stanley McChrystal a plutôt bien réussi, malgré les kamikazes qui signalent le pessimisme accru de donneurs d'ordres pareils. Malgré la mauvaise volonté des unités de l'ANA à faire leur part du job - les engagements sont majoritairement alimentaires - la Coalition a fait la démonstration que les Talibans n'étaient pas invincibles sauf à se faire sauter comme des bombes humaines, vocation somme toute peu fréquente. Les troupes afghanes tiendront tant que la solde tombera. Les cadres militaires afghans déplorent un transfert de responsabilités sans appui aérien ni artillerie lourde ; faudrait-il encore qu'ils soient capables d'articuler ces appuis avec le combat d'infanterie qui apparemment se limite encore à des patrouilles de reconnaissance, au mieux à la manoeuvre de niveau section avec ses appuis organiques. C'est d'ailleurs le format de leurs adversaires. Nul doute que si la nouvelle infanterie afghane avait montré plus de mordant dans les OMLT (Equipe de liaison et de tutorat opérationnel = compagnie d'instruction), l'ISAF aurait détaché des moyens tactiques de niveau bataillon pour surclasser définitivement ses adversaires. Toutefois l'affaire n'est pas finie, les Américains observent la transition car ils y ont intérêts au sens pluriel.

    Les nôtres ont fait une campagne impeccable, hormis la triste embuscade d'Uzbin qui relève de la faute de commandement (défaut d'éclairage). Les résultats obtenus sur nos zones d'effort sont là. Les insurgés n'y sont pas tranquilles puisque la tactique de base fut de les harceler sans cesse et de ne pas les attendre (comme le faisaient les Italiens qui nous y avaient précédés). C'est le chasseur inlassable qui peut gagner une guerre asymétrique de basse intensité, pas la sentinelle du désert des Tartares. Nos tactiques de chasse sont éprouvées, elles datent de la guerre d'Indochine. Si l'ANA se convertit à l'offensive permanente, avec un peu de renseignement électronique, quels que soient les moyens alignés, elle finira par pulvériser les réseaux de commandement talibans qui débanderont leurs effectifs ou les expatrieront chez les voisins, comme l'armée française y était parvenue à la fin des opérations d'Algérie sur les deux frontières.

    Nous retirons de cette expédition une mise à niveau du règlement de combat et un aguerrissement certain de nos troupes, trop longtemps confinées dans la gendarmerie coloniale où elles avaient perdu pugnacité et coordination réflexe interarmes ; et parfois la morale du combat. Le raid aérien ivoirien à l'heure de l'anisette sur la position française de Bouaké (6.11.04) nous avait convaincu d'une certaine indolence du corps expéditionnaire Licorne. Le travail en Afghanistan a été intense, complexe, continu en 7/24 et stressant dès qu'il s'est avéré que l'ennemi avait infiltré les rangs de l'ANA. Mené en coalition, il ne souffrait pas d'excuses ou le camouflage des insuffisances car il n'y avait rien à "expliquer" à quelque supérieur hiérarchique ayant la main sur la carrière. Tout se sait, immédiatement, à haut niveau, se corrige immédiatement (en théorie). Le résultat obtenu est un réhaussement qualitatif sensible des aptitudes au combat, et parallèlement une remise en question d'une idéologie de sophistication de nos armes, finalement moins adaptées à la guerre de longue haleine que ne le promettaient les démonstrations au camp de Satory. La réduction du format de nos armées que l'impéritie de la République exige maintenant doit prendre en compte les leçons de cette guerre à tous points de vue utile. On y reviendra au prochain "livre blanc" de la Rue Saint-Dominique.

    Reste le peuple afghan. Usé, abusé par des décennies de guerre, il n'aspire qu'à la tranquillité. Se nourrir de sa besogne, élever ses enfants, vivre en paix et sécurité. Mais le socle tribal, la vendetta d'honneur, la prégnance d'un islam rustique, la coutume virilisée à outrance, sont des défis qu'aucune armée occidentale peut relever avec succès. Quoique ! A l'est, la prise de conscience du peuple pakistanais qu'il réchauffait en son sein des monstres au prétexte du fondamentalisme islamique, change la donne. La sauvagerie intégriste à l'endroit de la jeune Malala Yousufzai, une petite Jeanne d'Arc de la vallée de Swat, n'est plus excusée. Les pithécanthropes lubriques se réclamant d'Allah auront de moins en moins leur place dans les villes pakistanaises. Il faut souhaiter que cette répulsion gagne les villes afghanes, même si la religion comme partout est un ferment de disputes sérieuses, ainsi que l'a montré la dernière rixe sanglante sunno-chiite à l'université de Kaboul. Mais le meilleur succès est côté filles.
    Les femmes et jeunes filles afghanes des villes ont eu le courage de prendre le progrès à bras le corps et d'investir des métiers ou occupations "non conformes aux rites". Des reportages édifiants sur leurs accomplissements - il y a même des écoles de boxe pour les filles - se sont succédés, qui rassurent sur le genre humain, et toujours serrent le coeur au chaos annoncé par les oiseaux de malheur auquel nous ne voulons pas croire. Il faut que le pouvoir afghan protège cette libération des moeurs féminines par tous moyens, car elle est sa vraie richesse.

    Hommage aujourd'hui à nos soldats qui furent à la peine pour avoir permis ces avancées décisives pour le peuple afghan. Le stress de l'insécurité retombé, ils verront bientôt les fruits de leur travail.

    http://royalartillerie.blogspot.fr/

  • Géopolitique : Les otages français dans le monde

     

     
    L’Hexagone dans le viseur des Islamistes ? Alors que les prises d’otages de ressortissants français se multiplient à travers le monde, les intérêts de la France à l’étranger semblent être devenus la cible des terroristes.
    Carte des zones à risques (Le Figaro)

    - SOMALIE
    Depuis le 14 juillet 2009,
    plus de trois ans, Denis Allex, un agent de la DGSE (services du renseignement), est détenu en Somalie par des insurgés islamistes.
    Il avait été enlevé avec un autre agent qui a lui recouvré la liberté en août 2009. Denis Allex apparaît en juin 2010 dans une vidéo sur des sites islamistes où il presse la France de cesser tout soutien au gouvernement somalien. Le 13 juillet 2012, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, assure qu’il est en vie. Le 4 octobre, Denis Allex apparaît, pâle et les yeux cernés, dans une vidéo où il lance un “message de secours” au président Hollande, qu’il presse
    d’oeuvrer à sa libération.
    DENIS ALLEX, AGENT DE LA DGSE OTAGE EN SOMALIE ! NE L’OUBLIONS PAS !
    - NIGER
    Le 16 septembre 2010, au Niger,
    cinq Français, un Togolais et un Malgache collaborateurs du groupe nucléaire public Areva et de son sous-traitant Satom, sont enlevés à Arlit (nord), un site d’extraction d’uranium. Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) revendique le rapt le 21 septembre.
    La Française Françoise Larribe, malade, et les otages malgache et togolais sont relâchés le 24 février 2011.
    En avril 2011, Aqmi diffuse une vidéo où les quatre otages restant “supplient” le président Sarkozy de retirer les troupes françaises d’Afghanistan. Le 25 mars 2012, le ministre à la Coopération Henri de Raincourt assure que les otages “sont en vie”. Le 8 septembre, un site privé mauritanien publie une vidéo tournée le 29 août dans laquelle les otages appellent à négocier pour leur libération.
    - MALI
    Dans la nuit du 24 novembre 2011,
    deux Français, Serge Lazarevic et Philippe Verdon, en voyages d’affaires selon leurs proches, sont enlevés dans leur hôtel à Hombori, dans le nord-est du Mali. Le 9 décembre, Aqmi, qui a revendiqué l’enlèvement, publie leurs photos.
    Dans une vidéo tournée en février 2012, les deux otages demandent au président Sarkozy de tout faire pour dénouer leur situation. Le 10 août 2012, le site mauritanien Sahara Medias publie une vidéo dans laquelle Philippe Verdon parle de ses “conditions de vie difficiles“.
    Le 13 octobre, un jihadiste accuse le président français de mettre “en danger” la vie des otages français au Sahel en soutenant la préparation d’une opération contre les islamistes armés dans le nord du Mali. François Hollande se dit déterminé à tenir la “ligne” fixée par la France contre le terrorisme. Le 13 novembre le président Hollande affirme qu’il fait tout pour que les ravisseurs des six otages français détenus au Sahel “comprennent que c’est le moment de les libérer“.
    Le groupe islamiste armé Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), un de ceux qui occupent le nord du Mali, est l’auteur du rapt de Jules Berto Rodriguez Léal survenu le mardi 19 novembre 2012, un Français de 61 ans mardi soir dans l’ouest du Mali.
    C’est son porte-parole qui l’a annoncé, ajoutant que le Mujao allait “prochainement publier une vidéo de l’otage”. Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour “enlèvement et séquestration en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste”, confiée à la DCRI.
    - MEXIQUE
    Chef d’orchestre de profession, Rodolfo Cazares a été enlevé (par un cartel mafieux) le 9 juillet 2011 à 4h30 du matin à Matamoros au Mexique, à la frontière du Texas. A l’époque, dix-huit personnes avaient été enlevées. Deux jours plus tard, femmes (dont Ludivine, l’épouse de Rodolfo) et enfants avaient été libérés. Une rançon de 100.000 dollars a été versée en quatre jours mais aucune autre libération n’a eu lieu.
    Ludivine a saisi le quai d’Orsay. Mais on lui a conseillé de ne pas médiatiser l’affaire, car la France a déjà des relations difficiles avec le Mexique, à cause de l’affaire Florence Cassez.
    Sur RTL, elle lance un appel au Président de la République pour qu’il la reçoive et qu’il s’occupe du dossier, et surtout qu’il en parle au nouveau président mexicain que François Hollande recevra mercredi à l’Élysée.
    Sur RTL, Ludivine lance un appel à François Hollande pour qu’il intervienne en faveur de son mari
    DOCUMENT RTL – Ludivine : “je n’ai pas le sentiment d’être entendue par les autorités française et mexicaine”
    (Merci à Tonton Christobal)
    RTLTF1Otages du monde – Alakhbar.info  via
    http://fortune.fdesouche.com

  • Un policier sur RMC : « On nous donne l’ordre de ne pas entrer dans les cités »

    Sur RMC, un ancien policier témoigne dans l’émission de Jean-Jacques Bourdin: la police reçoit l’ordre de ne pas rentrer dans les cités et de ne pas y intervenir :


    Un ancien policier témoigne sur la non-lutte... par dm_50929b90066d4

  • De l’extension du conflit malien

    La communauté d’Etats africains ECOWAS envoie des soldats

    Le conflit qui frappe le Mali, où des éléments islamistes ont pris le contrôle de la moitié septentrionale du pays depuis le printemps dernier, menace de s’internationaliser. En effet, la communauté d’Etats d’Afrique occidentale ECOWAS, dont le Mali est membre, a décidé très récemment d’envoyer une troupe d’intervention de 3300 hommes dans ce pays secoué par une crise apparemment sans solution, s’il n’y a pas intervention étrangère. L’intervention est provisoirement limitée à une seule année: “Nous prévoyons 3300 soldats pour la durée d’un an” a déclaré le Président du Groupe ECOWAS, Alassane Ouattara.

    Cette communauté économique ouest-africaine a été contrainte par les Etats-Unis et par l’UE de procéder à cette démarche interventionniste car il s’agit, au Mali, de combattre l’AQMI, soit “Al-Qaeda pour un Maghreb Islamique”. Comme le pensait en octobre dernier le ministre allemand des affaires étrangères Guido Westerwelle, le “Mali ne peut devenir le refuge de terroristes”, car un tel havre de repli dans le nord du pays constituerait une menace pour la sécurité mondiale”, non seulement pour le Mali lui-même mais pour l’Europe. En octobre également, l’UE a décidé d’envoyer des instructeurs militaires dans ce pays africain déstabilisé. De même, on spécule de plus en plus quant à la mise en oeuvre de drones américains.

    Il s’agit certes de combattre des islamistes mais ce n’est pas tout, loin s’en faut : le conflit qui s’est abattu sur le malheureux Mali sert de prétexte aux Etats-Unis pour s’ancrer de plus en plus profondément en Afrique occidentale et, simultanément, pour enrayer l’influence chinoise sur le continent noir, où Beijing est perpétuellement en quête de matières premières.

    (source: “zur Zeit”, Vienne, n°46/2012; http://www.zurzeit.at/ ).

  • L'Afrique sous la botte américaine : Carnages sur ordonnance

    Si Pierre Péan était américain, il aurait eu le prix Pulitzer, en France, il a droit au silence. Qui a entendu parler de son dernier livre, Carnages? C'est pourtant une analyse implacable de l'offensive américaine en Afrique, avec en toile de fond le recul de la France, chassée une seconde fois.
    Un ouvrage massif, énorme, tonitruant, exceptionnel, salutaire, effarant, vient de paraître en France dans un silence presque unanime de la presse officielle et assermentée. Seul l'hebdomadaire Marianne a consenti à en publier les meilleures feuilles. On le doit à Pierre Péan. Son titre, Carnages, plante assez bien le décor, celui de l'Afrique de la fin du siècle précédent et d'aujourd'hui, ainsi que de ses innombrables et sidérants charniers, accumulés la plupart du temps dans l'indifférence et surtout l'incompréhension totales au sein du septentrion du monde.
    Pour la plupart des téléspectateurs occidentaux, le titre du livre sera d'abord justifié par le génocide tutsi du Rwanda, par celui imputé à l'encontre des habitants du Darfour à l’État soudanais, ou encore en raison de telle ou telle famine abondamment médiatisée sur fond de repentance post-coloniale et de charité spectaculaire.
    La réalité est un peu différente, et nettement plus sordide. Surtout, elle offre une illustration saisissante, et jusqu'à l'écœurement, de ce que l'instrumentalisation de la bonne conscience et de l'arrogance morale peut autoriser en matière de massacres de masse. Notamment en dissimulant par la surmédiatisation d'un génocide la réalité et l'impunité d'un autre, comme pour les trains du célèbre dicton. Or, s'il y a une véritable nouveauté dans le monde qui est le nôtre depuis vingt ans, c'est sans doute là qu'elle se trouve et nulle part ailleurs, nous interdisant de pavoiser avec toutes nos âneries vertueuses et humanitaires: les remugles collectifs du cœur ont remplacé l'épaisseur du secret pour occulter la fabrique étatique des grands cimetières sous le soleil. La mort, la mort massive et toujours recommencée, celle des hommes, femmes et enfants d'Afrique, essentiellement...
    Péan, dans ce livre-somme qui aurait dû faire la une de toutes les grandes émissions françaises, décrit avec la rigueur d'un historien positiviste et d'un limier méticuleux la connexion entre deux réalités géopolitiques que l'on croyait relativement distinctes l'une de l'autre et qui se trouvent à l'origine des plus grandes hécatombes que le continent noir ait connues depuis l'époque des traites négrières :
    d'une part, la volonté des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne d'éradiquer, au lendemain de la chute de l'Union soviétique, toute forme d'influence ou de présence françaises en Afrique ; de l'autre, la stratégie de domination impériale de Washington dans l'ensemble du vaste monde musulman qui l'a amené à resserrer considérablement ses liens diplomatiques et militaires avec Israël afin de lui permettre un investissement accru, discret, mais meurtrier, dans la quasi-totalité du continent noir.
    Les grands prédateurs jouent toujours aux enfants de chœur
    Le début et l'essentiel de ces grandes manœuvres aura lieu dans la fameuse région des Grands Lacs (Ouganda, Rwanda, Burundi, Congo-Zaïre, Congo-Brazzaville, Angola), qui en paiera et en paie encore le prix du sang - cinq à six millions de morts depuis le début de la décennie 1990 -, mais c'est le Soudan, riche et gigantesque pays à la fois arabe et musulman issu de l'empire britannique, qui en sera la clé de voûte et le cœur stratégique jamais révélé. C'est là du reste que le livre de Péan propose une véritable élucidation de la complexe et sanglante réalité géopolitique de ces dernières années en Afrique : il permet de comprendre clairement, même si persistent encore certaines zones d'ombre, en quoi et pourquoi tous les chemins africains mènent à Khartoum depuis la fin de la Guerre froide.
    Au départ, on le savait, émerge donc la décision prise par l'Administration Clinton de se débarrasser de tous les alliés politiques de la France dans son ancien pré carré colonial pour leur substituer les leurs propres : sont surtout visés le vieux maréchal Mobutu au Zaïre et le président hutu Juvénal Habyarimana au Rwanda, ainsi qu'Omar Bongo au Gabon, son beau-père Denis Sassou-Nguesso au Congo.
    L'idée, en réalité, remonte à Roosevelt, qui, avant son décès, en 1945, voulait empêcher au terme de la guerre la reconstitution des empires français et britannique en Afrique et en Asie. De Gaulle s'était interposé, et le Président américain était mort avant la fin des hostilités. Par la suite, l'équilibre rigoureux de la Guerre froide avait plus ou moins contraint Washington à composer avec une France, alliée de plus en plus indocile, mais néanmoins occidentale, qui contribuait, faute de mieux, à empêcher l'extension du communisme en Afrique francophone et en Indochine. Le rattachement des anciennes colonies belges à lex-pré carré colonial, lorsque le Général résolut de dissoudre l'Empire devenu Union française, avait été validé dans ce contexte, mais la France de Pompidou et de Giscard d'Estaing eut bien tort ensuite de croire éternel ce qui, pour les Américains, n'était que nécessité provisoire.
    En 1991, naturellement, l'heure de l'hallali a enfin sonné : la politique africaine - et arabe - de la France n'offre plus aucune justification stratégique aux yeux de Washington, qui entend profiter de sa nouvelle « hyperpuissance » pour refaçonner à sa guise la carte du monde. La destruction de l'Afrique des Grands Lacs va être conçue au sein d'une entreprise impérialiste de grande échelle, en même temps que l'éclatement de la Yougoslavie et l'investissement progressif du monde arabe via les deux guerres d'Irak.
    Silence, on tue les « méchants »
    Il faut au moins, nonobstant la démesure prédatrice du projet, en admirer la cohérence géopolitique. Zbigniew Brzezinski et Madeleine Albright ne se trompent pas : la pérennité de la domination américaine passe, face à une Chine devenue incontournable et avide de matières premières, par la liquidation définitive de l'héritage des quatre anciens empires russe, serbo-orthodoxe, panarabe et français. Quarté gagnant, qui sera un quarté sanglant. D'autant que l'Afrique détient un sous-sol dont l'accès va devenir vital en même temps que l'extinction des ressources pétrolifères du monde arabe.
    Pour mener à bien ces ambitieux projets, les Etats-Unis vont se servir de deux illuminés cyniques, résolus et mégalomanes, que les perspectives d'extermination à grande échelle n'émeuvent pas : Yoweri Museveni, ancien opposant (à la fois marxiste, protestant évangélique et hitlérien, cela ne s'invente pas) d'Amin Dada, devenu président de l'Ouganda après la chute de Milton Obote en 1986, et Paul Kagamé, son fidèle vassal tutsi, qui concoctent l'un et l'autre depuis longtemps des projets de domination véritablement napoléoniens dans la région.
    Péan explique minutieusement comment, avec l'aide constante et active de Washington et du Mossad, les deux hommes vont organiser l'assassinat du président Habyarimana, le 6 avril 1994, après avoir au préalable planifié l'invasion du Rwanda par les forces armées du FPR de Kagamé, sonnant le déclenchement du génocide des Tutsis demeurés au Rwanda que Kagamé avait parfaitement prévu - et évidemment souhaité car nécessaire à la réussite de son plan.
    La suite consistera, grâce à des média complices, à faire passer l'invasion du pays par les Tutsis ougandais, puis surtout celle du Kivu congolais, qui entraînera la chute de Mobutu, puis l'assassinat (peut-être orchestré avec l'aide de son propre fils) de Laurent-Désiré Kabila, comme une légitime croisade entreprise contre les «génocidaires » hutus du Rwanda. Bilan: plus de quatre millions de morts, essentiellement des civils, femmes et enfants hutus (quatre fois plus que les victimes tutsis du génocide rwandais), dont les cadavres seront entassés dans les profondeurs des forêts congolaises au vu et au su de tous, sous la surveillance des drones israéliens. Jacques Chirac, sous la pression des Américains, renoncera in extremis à une intervention militaire de la dernière chance.
    Mais l'essentiel, encore une fois, pour les Etats-Unis et surtout pour Israël, demeure le succès du même scénario concernant le Soudan d'Omar el Béchir, qui, lui, résiste à l'offensive - grâce à l'appui de la Chine. Péan nous le confirme : c'est vers Khartoum, désormais, que tous les regards, long temps détournés, doivent se porter attentivement dans les années qui viennent.
    Pierre-Paul Bartoli LE CHOC DU MOIS février 2011
    Il Pierre Péan, Carnages, les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Fayard, 562 p., 24,50 €.

  • Palestiniens massacrés là-bas, Palestiniens manipulés ici

    Pendant qu’Israel écrasait les Palestiniens sous les bombes à Gaza, certains groupes mènaient une lutte idéologique à Paris et en Cisjordanie.

    Diverses organisations pro-palestiniennes appelaient à manifester le 18 novembre à l’Opéra, contre l’agression sur Gaza. Une fois sur place, on pouvait remarquer quelques jeunes agitant des pancartes à la gloire de la Syrie "libre", celle des mercenaires ; sur les marches de l’Opéra, bien au centre, et sous la grande banderole de l’UJFP (Union des Juifs français pour la paix), qui occupait la moitié de la largeur de l’Opéra, flottait le drapeau syrien des mercenaires, à 3 étoiles. A partir de 16H, les drapeaux mercenaires se sont multipliés, il y en avait autant que de drapeaux palestiniens ! Pourquoi n’y a-t-il pas de drapeaux loyalistes ? me disais-je. La réponse ne s’est pas fait attendre : 2 jeunes gens ont déroulé, depuis un des balcons, une pancarte avec la photo de Bachar el Assad ; aussitôt, ils se sont fait copieusement huer, et la pancarte a disparu. Je n’ai pas vu comment cela s’est fait : je faisais face aux porteurs de drapeaux mercenaires, essayant de faire entendre mon indignation, j’ai seulement vu tomber des fragments de papier. Les mercenaires syriens ont clairement pris le pouvoir à Paris, et se comportent déjà de façon terroriste (comme en Libye, moins, pour l’instant, les armes). Il est vrai qu’ils peuvent s’appuyer maintenant sur un ambassadeur officiel, reconnu par la France et les monarchies et émirats arabes (regroupement logique, uni par les valeurs démocratiques).
    Quand j’interrogeais quelqu’un dans la foule, il me répondait qu’il était là pour Gaza et qu’il ne fallait pas s’occuper des provocateurs. Il était clair que les manifestants se partageaient entre spontanés de bonne volonté venus exprimer leur soutien à la Palestine, et activistes de diverses associations qui ont détourné et récupéré la manifestation pour Gaza pour en faire une action de propagande en faveur des mercenaires syriens. Les organisateurs de la manifestation, s’ils n’ont pas organisé ce détournement, l’ont cautionné, car le service d’ordre ne voulait rien voir, se contentant de répondre : "pas de divisions entre Arabes" - curieux discours, en temps de guerres entre arabes, en Syrie et ailleurs.
    Je ne veux pas critiquer les militants sincèrement pro-palestiniens, et cette manifestation nous a permis d’entendre le Docteur Abdelaish exprimer avec une grande dignité (après la mort, dans l’opération israelienne de 2008, Plomb durci, de trois de ses filles) son espoir dans la victoire de la Palestine. Mais cette manifestation était encadrée par des mouvements dont la Palestine n’est pas la priorité, ou qui définissent, à la place des Palestiniens, quelles doivent être leurs priorités, et dans quelles limites doivent se situer leur action et leurs revendications.
    Et cette manifestation n’est pas un cas isolé.
    J’ai déjà eu l’impression gênante d’un exercice de ventriloque en regardant le film Cinq caméras brisées. Présenté comme un film palestinien d’Emad Burnat, il a reçu diverses récompenses et est passé à la télévision sur la 5, avant d’être diffusé dans une salle du Quartier Latin qui accueillait une organisation pro-palestinienne (à qui elle abandonnait la recette de la soirée).
    Ce film est présenté comme réalisé par un paysan palestinien (Emad Burnat) qui décide, à partir de 2005, de filmer les actions de protestation des Palestiniens de Bil’in contre le Mur israelien et les confiscations de terres et les arrachages d’oliviers qu’il entraîne. Ces actions sont admirables de courage et de ténacité, là n’est pas le problème, mais dans l’orchestration dont elles font l’objet dans le film : même un spectateur bien intentionné y perçoit des fausses notes : un Palestinien se comportant, dans les manifestations, de façon histrionesque, des dialogues artificiels entre le héros et sa femme (née au Brésil), qui ont évidemment été scénarisés, l’insistance sur le fait que le héros, gravement blessé, est soigné à Tel Aviv, et, surtout, l’affirmation répétitive que toutes les actions sont strictement pacifiques.
    L’explication des discordances apparaissait dans le débat qui suivait le film : le spectateur, pris par l’empathie à l’égard des Palestiniens, n’y faisait pas attention, mais le paysan-cinéaste était lui-même filmé par d’autres cameramen, israéliens ou occidentaux, dont la présence modifiait le comportement des policiers israéliens, étonnamment calmes. Ce dispositif jette la suspicion sur tout le film : est-ce vraiment la vision d’un Palestinien, que nous voyons, ou celle des organisations qui l’ont parrainé (et ont sans doute payé ces 5 caméras, successivement cassées par les policiers israéliens) ? Qu’importe, dira-t-on, si ce film contribue à populariser la résistance des Palestiniens de Bil’in ?
    Cela importe beaucoup, car le sens et les buts réels de la résistance palestinienne en sont dénaturés : le porte-parole, dans le débat, de l’organisation marraine, a insisté sur "l’idéal pacifiste " qui animerait les Palestiniens. Mais depuis quand les Palestiniens ont-ils un idéal pacifiste ? On peut comprendre, du fait de la tragique disproportion des forces en présence, que les Palestiniens adoptent des stratégies pacifiques : mais quel peut être le sens d’un "idéal" pacifiste face à la brutalité d’Israel ? Le seul idéal des Palestiniens n’est-il pas de pouvoir de nouveau vivre sur leurs terres ancestrales, qui leur ont été confisquées par des actions de guerre ? Leïla Shahid reconnaissait récemment que 20 ans de négociations n’avaient mené les Palestiniens nulle part, - si ce n’est à une terrible détérioration de leur situation.
    Cette tutelle des organisations françaises me navre quand je pense qu’étant étudiante j’ai pu entendre un représentant du FPLP* de Georges Habache, à l’époque (chantée par Jean Genet**) où la Palestine avait son armée de Libération, dissoute à la suite des accords de 1982, immédiatement suivis par les massacres de Sabra et Chatila, dans les camps de réfugiés vidés de leurs défenseurs, en route (conformément aux accords et avec la garantie de Mitterrand) pour Tunis.
    notes
    * Front Populaire de Libération de la Palestine créé dans les années 70 par Habache, un leader charismatique, chrétien, sans doute beaucoup plus à gauche qu’Arafat.
    ** Dans Le captif amoureux, où Genet décrit la vie dans les campements de l’armée palestinienne, en Jordanie, près d’Irbid.
    source
    Le Grand Soir :: lien
  • Aymeric Chauprade : “Où vont la Syrie et le Moyen-Orient ?”

    Conférence donnée par Aymeric Chauprade à Funglode, Saint Domingue, le 27 novembre 2012. Texte intégral.

    Comprendre la géopolitique du Moyen-Orient c’est comprendre la combinaison de multiples forces.

    Nous allons voir qu’il faut faut envisager au moins la combinaison de 3 logiques :

    - les forces intérieures qui s’affrontent à l’intérieur d’un même État, comme la Syrie, l’Irak ou la Libye. Des conflits ethniques (Kurdes et Arabes), ou confessionnels anciens (chiites, sunnites, Alaouites, chrétiens…).

    - les logiques d’influence des grands acteurs de puissance régionaux (l’Iran, l’Arabie Saoudite, le Qatar, Israël, la Turquie, l’Égypte…) et la façon dont ces acteurs utilisent les logiques communautaires dans les États où ils essaient d’imposer leur influence (Liban, Syrie, Irak)

    - le jeu des grandes puissances (États-Unis, Russie, Chine, France, UK…) et en particulier la géopolitique du pétrole et du gaz.

    À cette analyse géopolitique, il faut être capable de marier une analyse de science politique, et de comprendre en particulier ce qui se passe sur le plan des nouveaux courants idéologiques du monde arabe ou bien sur le plan de la légitimité des régimes politiques qui tremblent.

    Par ailleurs il ne faut surtout pas avoir l’idée que les dynamiques qui secouent le Moyen-Orient sont très récentes. Il n’y a jamais eu de stabilité au Moyen-Orient dans les frontières que nous connaissons aujourd’hui. Si les Anciens parlaient à propos des colonisations et protectorats de pacification ce n’est pas pour rien. Seules les structures impériales, que ce soit l’Empire ottoman ou les Empires occidentaux, ou même dans une certaine mesure la Guerre froide entre l’Ouest et l’Est, ont en réalité gelé momentanément les affrontements claniques, tribaux, ethniques et confessionnels du Sahara jusqu’aux déserts d’Arabie en passant par le Croissant Fertile.

    En réalité, il y a là une constante à peu près universelle. Là de véritables États-nation homogènes n’ont pu se former, la guerre civile est devenu une sorte d’état instable permanent.

    Pour comprendre ce qui se passe en Syrie et les perspectives, je vais commencer par inscrire notre réflexion dans une trame globale.

    Les États-Unis et leurs alliés sont sortis vainqueurs de l’affrontement bipolaire en 1990 et l’effondrement de l’URSS a rendu possible, à la fois l’extension de la mondialisation libérale à de nombreux pays du monde, et des transformations géopolitiques majeures comme la réunification de l’Allemagne et l’explosion de la Yougoslavie.

    Les États-Unis ont tenté alors, portés par cette dynamique, d’accélérer le plus possible ce phénomène et d’imposer l’unipolarité, c’est-à-dire un monde centré sur leur domination géopolitique, économique, culturelle (softpower).

    Ils se sont appuyés sur le droit d’ingérence face aux purifications ethniques ou aux dictatures, comme sur la lutte contre l’islamisme radical (depuis le 11 septembre 2001 en particulier) pour accélérer leur projection géopolitique mondiale.

    Mais c’était sans compter sur une logique contradictoire : la logique multipolaire qui a été d’une certaine manière l’effet boomerang de l’expansion capitalistique soutenue par les Américains après la chute de l’URSS. Dopées par la croissance, ce que les Américains voyaient comme des marchés émergents, sont devenues des nations émergentes, soucieuses de compter de nouveau dans l’histoire, de restaurer leur puissance et de reprendre le contrôle de leurs ressources énergétiques ou minières. De la Russie à la Chine, en passant par l’Inde, le Brésil, la Turquie, jusqu’au Qatar, partout des États nation forts de leur cohésion identitaire et de leurs aspirations géopolitiques, s’emploient à jouer un rôle géopolitique croissant.

    Washington a compris très tôt que la Chine marchait vers la place de première puissance mondiale et qu’elle ne se contenterait pas de la puissance économique mais s’emploierait à la devenir aussi la première puissance géopolitique. Perspective incompatible avec la projection géopolitique mondiale des États-Unis, qui dominent encore l’Europe avec l’OTAN, contrôlent l’essentiel des réserves de pétrole du Moyen-Orient et tiennent les océans grâce à leur formidable outil naval.

    Dans cette compétition entre les États-Unis et la Chine, qui déjà dans le Pacifique fait penser aux années qui précédèrent l’affrontement entre les Américains et les Japonais dans la première partie du XXème siècle, le Moyen-Orient tient toute sa place.

    Le Moyen-Orient représente 48,1% des réserves prouvées de pétrole en 2012 (contre 64% en 1991) et 38,4% des réserves de gaz (2012, BP Statistical Review ; contre 32,4% en 1991).

    Pour les États-Unis, contrôler le Moyen-Orient, c’est contrôler largement la dépendance de l’Asie et en particulier celle de la Chine. L’AIE dans son dernier rapport prédit en effet que l’Asie absorbera 90% des exportations en provenance du Moyen-Orient, en 2035.

    Comme l’Agence Internationale de l’Énergie nous l’annonçait début novembre 2012, la production de pétrole brut des États-Unis dépassera celle de l’Arabie Saoudite vers 2020, grâce au pétrole de schiste. Les États-Unis qui importent aujourd’hui 20% de leurs besoins énergétiques deviendraient presque autosuffisants d’ici 2035.

    Rappelons qu’en 1911 quand le gouvernement américain morcela la gigantesque Standard Oil (de laquelle naîtront Exxon, Mobil, Chevron, Conoco et d’autres encore), cette compagnie assumait alors 80% de la production mondiale. Si les États-Unis redeviennent premiers producteurs mondiaux, nous ne ferons que revenir à la situation qui prévalait au début du XXème siècle.

    Entre 1945 et maintenant, l’un des grands problème des Américains a été le nationalisme pétrolier, qui du Moyen-Orient à l’Amérique Latine, n’a cessé de grignoter son contrôle des réserves et de la production.

    Il se passe donc exactement ce que j’écrivais il y a déjà presque dix ans (ce qui ne me rajeunit pas!), au moment de la Deuxième guerre d’Irak. Les États-Unis ne cherchent pas à contrôler le Moyen-Orient pour leur propres approvisionnements puisqu’ils s’approvisionneront de moins en moins au Moyen-Orient (aujourd’hui déjà le continent africain pèse plus dans leurs importations), mais ils chercheront à contrôler ce Moyen-orient pour contrôler la dépendance de leurs compétiteurs principaux, européens et asiatiques.

    Si les Américains contrôlent encore le Moyen-Orient dans 20 ans (et je ne parle même pas de l’Afrique qui ne maîtrisera certainement pas son destin et sera sans doute partagée entre des influences occidentales et chinoise), cela signifie qu’ils auront une emprise énergétique considérable sur le monde et donc que la valeur stratégique de pays comme la Russie, le Venezuela (premier pays du monde devant l’Arabie Saoudite en réserves prouvées de pétrole : 17,9% contre 16,1% soit 296,5 milliards de barils de réserves sur le 1,65 trilliard du monde : BP 2012) ou le Brésil (grâce à son off-shore profond) aura alors fortement augmenté puisqu’ils seront des réservoirs alternatifs précieux l’un pour l’Europe et l’Asie, l’autre pour l’Amérique Latine.

    Je fais partie de ceux qui ne croient pas à la raréfaction du pétrole. Non seulement parce que dans les faits, et contrairement à tous ceux qui n’ont cessé d’annoncer un peak oil qui ne s’est jamais produit, les réserves prouvées n’ont jamais cessé d’augmenter et que les perspectives avec le off-shore profond et le pétrole de schiste sont gigantesques, mais, au-delà, parce que je suis très convaincu par la thèse dite abiotique de l’origine du pétrole, c’est-à-dire que le pétrole n’a pas pour origine la décomposition des dinosaures dans les fosses sédimentaires mais qu’il est un liquide abondant qui coule sous le manteau de la terre, qu’il est fabriqué à des températures et des pressions gigantesques à des profondeurs incroyables, et que par conséquent ce que nous extrayons est ce qui est remonté des profondeurs de la terre par fracturation du manteau.

    Nous n’avons pas le temps d’entrer dans ce débat scientifique mais selon l’explication biotique ou abiotique les conséquences dans le domaine de la géopolitique sont radicalement différentes. Si le pétrole a une origine biotique la question est bien celle de l’épuisement et des conséquences géopolitiques de la raréfaction puis de l’épuisement. Si le pétrole a une origine abiotique, l’enjeu est bien le off-shore profond et toutes les techniques de fracturation permettant de faire remonter le liquide précieux des profondeurs du manteau.

    Mais revenons au pétrole du Moyen-Orient et souvenons-nous de quelques faits essentiels.

    En brisant le régime de Saddam Hussein, les Américains ont tué dans l’œuf deux logiques qu’ils combattaient depuis toujours :

    - le nationalisme pétrolier en Irak. Ils visent désormais le nationalisme pétrolier iranien.

    - le risque de sortie du pétro-dollar : le fait d’accepter de se faire payer son pétrole en euro ou dans une autre devise que le dollar : ce que Saddam Hussein avait annoncé vouloir faire en 2002 et que les Iraniens font aujourd’hui et qui explique largement pourquoi les Américains imposent un embargo drastique sur les hydrocarbures iraniens.

    Le lien entre pétrole et dollar est l’une des composantes essentielles de la puissance du dollar. Il justifie que les pays disposent de réserves en dollar considérables pour pouvoir payer leur pétrole, et par conséquent que le dollar soit une monnaie de réserve principale. Par voie de conséquence, ce lien pétrole/dollar est bien ce qui permet aux États-Unis de financer leur formidable déficit budgétaire et de se permettre une dette fédérale de plus de 15 000 milliards de dollars. Aujourd’hui tout le monde parle des dettes et crises européennes, mais les États-Unis sont, sur le plan de l’endettement (endettement fédéral, endettement des États, endettement des ménages) dans une bien pire situation que les Européens. Cependant leur bouclier s’appelle “dollar” et on peut penser qu’ils ont utilisé le talon d’Achille grec des Européens pour affaiblir l’Union européenne et fragiliser l’euro. Imaginez que la crise de la Grèce n’ait pas éclaté, et alors vous aurez ce qui se passait avant son éclatement : les banques centrales des émergents continueraient à accumuler de l’euro et à diminuer leur réserves de dollars… On comprend mieux pourquoi la Grèce a été conseillée par Goldman Sachs et JP. Morgan…

    En imposant un embargo drastique sur l’Iran (9,1% des réserves prouvées selon BP 2012, soit le 3e rang mondial ; 15,9% des réserves prouvées de gaz soit le 2ème rang derrière la Russie avec 21,4% et devant le Qatar avec 12%) les Américains tentent aussi de briser l’un des derniers pays à vouloir contrôler son système de production pétrolier et gazier.

    Quel est donc le lien avec la Syrie ? On en parle peu, mais la Syrie joue un rôle stratégique dans les logiques pétrolières et gazières au Moyen-Orient.

    Or en 2009 et 2010, peu avant que n’éclate la guerre, la Syrie a fait des choix qui ont fortement déplu à l’Occident.

    Quelles sont les données du problème?

    Depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis essaient de casser la dépendance de l’Union européenne au gaz et au pétrole russe. Pour cela, ils ont favorisé des oléoducs et gazoducs qui s’alimentent aux réserves d’Asie centrale et du Caucase mais qui évitent soigneusement de traverser l’espace d’influence russe.

    Ils ont notamment encouragé le projet Nabucco, lequel part d’Asie centrale, passe par la Turquie (pour les infrastructures de stockage) visant ainsi à rendre l’Union européenne dépendante de la Turquie (rappelons que les Américains soutiennent ardemment l’inclusion de la Turquie dans l’UE tout simplement parce qu’ils ne veulent pas d’une Europe-puissance), puis la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie, l’Autriche, la Tchéquie, la Croatie, la Slovénie et l’Italie.

    Nabucco a clairement été lancé pour concurrencer deux projets russes qui fonctionnent aujourd’hui :

    - Northstream qui relie directement la Russie à l’Allemagne sans passer par l’Ukraine et la Biélorussie.

    - Southstream qui relie la Russie à l’Europe du Sud (Italie, Grèce) et à l’Europe centrale (Autriche-Hongrie).

    Mais Nabucco manque d’approvisionnements et pour concurrencer les projets russes, il lui faudrait pouvoir accéder :

    1/ au gaz iranien qui rejoindrait le point de groupage de Erzurum en Turquie

    2/ au gaz de la Méditerranée orientale : Syrie, Liban, Israël.

    À propos du gaz de la Méditerranée orientale, il est essentiel de savoir que depuis 2009 des bouleversements considérables se sont produits dans la région.

    Des découvertes spectaculaires de gaz et de pétrole ont eu lieu en Méditerranée orientale, dans le bassin du Levant d’une part, en mer Égée d’autre part.

    Ces découvertes exacerbent fortement les contentieux entre Turquie, Grèce, Chypre, Israël, Liban et Syrie.

    En 2009, la compagnie américaine Noble Energy, partenaire d’Israël pour la prospection, a découvert le gisement de Tamar à 80 km d’Haïfa. C’était la plus grande découverte mondiale de gaz de 2009 (283 milliards de m3 de gaz naturel) et en 2009 donc, le statut énergétique d’Israël a radicalement changé, passant d’une situation presque critique (plus que 3 ans de réserves et une très forte dépendance vis-à-vis de l’Égypte) à des perspectives excellentes. Puis en octobre 2010, une découverte encore plus considérable a brutalement donné à Israël plus de 100 ans d’autosuffisance en matière gazière! Israël a trouvé un méga-gisement offshore de gaz naturel qu’il estime être dans sa ZEE : le gisement Léviathan.

    Léviathan est situé à 135 km à l’ouest du port d’Haïfa, on le fore à 5000 m de profondeur, avec 3 compagnies israéliennes plus cette fameuse compagnie américaine, Noble Energy. Ses réserves sont estimées à 450 milliards de m3 (pour avoir un ordre de grandeur, les réserves mondiales prouvées de gaz en 2011 sont de 208,4 trilliards de m3, soit 208 400 milliards de m3 et un pays comme la Russie possède 44,6 trilliards). Quoiqu’il en soit, en 2010, Léviathan fut la plus importante découverte de gaz en eau profonde de ces 10 dernières années.

    Je ne donne pas de détail ici sur les découvertes faites parallèlement en mer Égée, mais elles sont considérables et je vous demande simplement de garder en tête que la Grèce est désormais un pays extrêmement potentiel sur le plan gazier ce qui participe peut-être aussi du déclenchement d’une crise européenne qui aboutira bientôt… à la privatisation totale du système énergétique grec…

    Voici ce que le US Geological Survey estime à propos de la Méditerranée orientale (formée en l’espère de de 3 bassins : bassin égéen au large des côtes grecques, turques et chypriotes ; bassin du Levant au large des côtes du Liban, d’Israël et de Syrie ; bassin du Nil au large des côtes égyptiennes).

    “Les ressources pétrolières et gazières du bassin du Levant sont estimées à 1,68 milliards de barils de pétrole et 3450 milliards de m3 de gaz” “les ressources non découvertes de pétrole et gaz de la province du bassin du Nil sont estimées à environ 1,76 milliards de barils de pétrole et 6850 milliards de m3 de gaz naturel”.

    L’USGS estime que le bassin de Sibérie occidentale (le plus grand bassin de gaz connu) recèle 18 200 milliards de m3 de gaz. En clair, s’agissant du seul gaz, le bassin du Levant c’est plus de la moitié du bassin de Sibérie occidentale.

    Bien évidemment ces découvertes ont attisé les rivalités entre États voisins. Israël et le Liban revendiquent chacun la souveraineté sur ces réserves et l’un des différends profonds entre le président Obama et Benjamin Netanyahu est que les États-Unis, en juillet 2011, ont appuyé la position libanaise contre Israël (car Beyrouth estime que le gisement s’étend aussi sous ses eaux territoriales). Il semblerait que la position américaine vise d’une part à entretenir la division pour jouer un rôle de médiation, d’autre part à empêcher Israël de devenir un acteur autosuffisant.

    Or notre Syrie se trouve au cœur de ces problématiques !

    D’abord concernant Nabucco.

    En novembre 2010, l’Arabie Saoudite et le Qatar ont demandé à Bachar el Assad de pouvoir ouvrir des oléoducs et gazoducs d’exportation vers la Méditerranée orientale. Ces oléoducs leur permettrait en effet de desserrer la contrainte du transport maritime via le détroit d’Ormuz puis le Canal de Suez et d’envoyer plus de gaz vers l’Europe (notamment le Qatar, géant gazier du Moyen-Orient). La Syrie a refusé, avec le soutien marqué de la Russie qui voit dans ces plans la volonté américaine, française, saoudienne et qatarie de diminuer la dépendance européenne au gaz russe.

    On comprend donc la compétition qui se joue entre, d’une part les Occidentaux, la Turquie et les monarchies du Golfe, d’autre part, la Russie, l’Iran et la Syrie, auxquels s’est ajouté l’Irak dirigé par le chiite Maliki et qui s’est fortement rapproché de Téhéran et Damas au détriment des Américains.

    En février 2011 les premiers troubles éclataient en Syrie, troubles qui n’ont cessé de s’amplifier avec l’ingérence, d’une part de combattants islamistes financés par le Qatar et l’Arabie Saoudite, d’autre part de l’action secrète des Occidentaux (Américains, Britanniques et Français).

    Le 25 juillet 2011, l’Iran a signé des accords concernant le transport de son gaz via la Syrie et l’Irak. Cet accord fait de la Syrie le principal centre de stockage et de production, en liaison avec le Liban et l’idée de Téhéran est de desserrer ainsi la contrainte de l’embargo. Gelé par la guerre, le chantier aurait étrangement repris le 19 novembre 2012, après l’élection d’Obama donc et la reprise de négociations secrètes entre les États-Unis et l’Iran.

    Du fait même de sa position centrale entre les gisements de production de l’Est (Irak, monarchies pétrolières) et la Méditerranée orientale, via le port de Tartous, qui ouvre la voie des exportations vers l’Europe, la Syrie est un enjeu stratégique de premier plan.

    Ajoutons à cela la question de l’évacuation du pétrole kurde.

    Il existe un oléoduc qui aujourd’hui achemine le pétrole de Kirkuk (Kurdistan irakien) à travers l’Irak puis la Jordanie et enfin Israël. Mais Israël pourrait aussi voir réhabilité l’ancien oléoduc Mossoul Haïfa (que les Britanniques utilisèrent de 1935 à 1948).

    Ajoutons à cela que la Syrie dispose de réserves dans son sol et probablement en off-shore. Le 16 août 2011, le ministère syrien du pétrole a annoncé la découverte d’un gisement de gaz à Qara, près de Homs, avec une capacité de production de 400 000 m3/j. S’agissant du off-shore, nous avons parlé tout à l’heure des estimations de l’USGS concernant le bassin du Levant, il faut ajouter cette prédiction du Washington Institute for Near East Policy qui pense que la Syrie disposerait des réserves de gaz les plus importantes de tout le bassin méditerranéen oriental, bien supérieures encore à celle d’Israël. Vous voyez là encore, mon leitmotiv et ce que j’ai souvent dit ici : l’avenir c’est le off-shore profond et cela va donner à la mer une dimension géopolitique considérable. Délaisser la mer et son espace maritime est donc, pour n’importe quel pays du monde, une erreur stratégique tragique.

    Il est évident donc que si un changement politique favorable aux Occidentaux, aux Turcs, Saoudiens et Qataris intervenait en Syrie, et que celle-ci se coupait de la Russie (les navires de guerre russes mouillent dans le port stratégique de Tartous, un port qui peut bien sûr accueillir des tankers approvisionnés à partir des oléoducs qui y arriveraient), alors toute la géopolitique pétrolière et gazière de la région serait bouleversée à leur avantage. N’oublions pas l’Égypte, exportatrice de gaz naturel, et qui elle aussi aimerait voir son gaz raccordé à la Turquie via la Syrie.

    Cette simple donnée pétrolière et gazière doit nous faire comprendre la raison pour laquelle la Syrie est attaquée par les Turcs, les Occidentaux et les monarchies du Golfe, et inversement pourquoi elle n’est lâchée ni par les Russes, ni par les Iraniens, ni par les Irakiens.

    Il nous faut maintenant comprendre les dynamiques géopolitiques internes de la Syrie.

    La Syrie c’est un peu plus de 20 millions d’habitants : 80% d’Arabes sunnites, 10% d’Alaouites une forme d’islam rattachée au chiisme, mais pas celui d’Iran) et 10% de chrétiens.

    Bachar el-Assad a à ses côtés 2 millions d’Alaouites encore plus résolus que lui à se battre pour leur survie et plusieurs millions de minoritaires qui ne veulent pas d’une mainmise sunnite sur le pouvoir.

    Il faut comprendre qui sont ces Alaouites. Il s’agit d’une communauté issue, au Xème siècle, aux frontières de l’Empire arabe et de l’Empire byzantin, d’une lointaine scission du chiisme, et qui pratique un syncrétisme comprenant des éléments de chiisme, de panthéisme hellénistique, de mazdéisme persan et de christianisme byzantin. Il est très important pour notre analyse de savoir que les Alaouites sont considérés par l’islam sunnite comme les pires des hérétiques. Au XIVème siècle, le jurisconsulte salafiste Ibn Taymiyya, ancêtre du wahhabisme actuel et référence de poids pour les islamistes du monde entier, a émis une fatwa demandant leur persécution systématique et leur génocide.

    Cette fatwa est toujours d’actualité chez les salafistes, les wahhabites et les Frères musulmans, c’est-à-dire tous ceux que le pouvoir alaouite affronte en ce moment !

    Avant le coup d’État d’Hafez el-Assad en 1970, les Alaouites n’ont connu que la persécution de la part de l’islam dominant, le sunnisme.

    Il faut quand même savoir que jusqu’en 1970, les bourgeois sunnites achetaient encore, par contrat notarié, de jeunes esclaves alaouites.

    Les choses se sont arrangées avec l’installation de l’idéologie nationaliste baathiste en 1963, laquelle fait primer l’arabité sur toute autre considération, et surtout de 1970.

    En résumé, la guerre d’aujourd’hui n’est que le nouvel épisode sanglant de la guerre des partisans d’Ibn Taymiyya contre les hérétiques alaouites, une guerre qui dure depuis le XIVème siècle ! Cette fatwa est à mon avis la source d’un nouveau génocide potentiel (semblable à celui du Rwanda) si le régime vient à tomber. Voilà une donnée essentielle que les Occidentaux font mine pourtant d’ignorer.

    Pourchassés et persécutés durant des siècles, les Alaouites ont dû se réfugier dans les montagnes côtières arides entre le Liban et l’actuelle Turquie tout en donnant à leur croyance un côté hermétique et ésotérique, s’autorisant même le mensonge et la dissimulation (la fameuse Taqqiya) pour échapper à leurs tortionnaires.

    Mais alors vous vous demandez, comment ces Alaouites ont-ils fait pour arriver au pouvoir?

    Soumise aux occupations militaires étrangères depuis des siècles, la bourgeoisie sunnite de Syrie (un processus similaire s’est produit au Liban) a commis l’erreur habituelle des riches au moment de l’indépendance du pays, en 1943. Le métier des armes à été relégué aux pauvres et non aux fils de “bonne famille”. L’armée a donc été constituée par des minorités : une majorité d’Alaouites mais aussi des chrétiens, Ismaéliens, Druzes, Chiites.

    Hafez el-Assad venait de l’une de ces familles modestes de la communauté alaouite. Il est d’abord devenu chef de l’armée de l’air puis ministre de la défense avant de s’emparer du pouvoir par la force afin de donner à sa communauté sa revanche sur l’Histoire (avec ses alliés Druzes et chrétiens).

    Vous comprenez donc tout de suite que le régime, soutenu par 2 millions d’Alaouites, sans doute 2 à 3 millions d’autres minorités, mais aussi une partie de la bourgeoisie sunnite notamment de Damas, dont les intérêts économiques sont désormais très liés à la dictature, n’a pas d’autre choix que de lutter à mort.

    Quand je dis lutter à mort, je parle du régime que je distingue de Bachar el-Assad. Le régime est plus puissant que Bachar et peut s’en débarrasser s’il estime qu’il en va de sa survie. Mais s’en débarrasser éventuellement ne signifie pas mettre une démocratie qui aboutirait inéluctablement (mathématiquement) au triomphe des islamistes, comme en Tunisie, en Libye, en Égypte, au Yémen…

    Les Chrétiens de Syrie ont vu ce qui s’est passé pour les Chrétiens d’Irak après la chute de Saddam Hussein. Ils voient ce qui se passe en Égypte pour les Coptes, après la victoire des islamistes. Les Druzes savent aussi qu’ils sont, comme les Alaouites, considérés comme des hérétiques à détruire par les combattants salafistes et les Frères musulmans.

    Il est absolument illusoire de penser, comme on le pense en Occident, que les Alaouites accepteront des réformes démocratiques qui amèneraient mécaniquement les salafistes au pouvoir.

    Je le répète : l’erreur consiste à penser que le pays est entré en guerre civile en 2011. Il l’était déjà en 1980 quand un commando de Frères musulmans s’est introduit dans l’école des cadets de l’armée de l’air d’Alep, a mis de côté des élèves officiers sunnites et des alaouites et a massacré 80 cadets alaouites en application de la fatwa d’Ibn Taymiyya. Les Frères musulmans l’ont payé cher en 1982 à Hama, fief de la confrérie, que l’oncle de l’actuel président a rasée en y faisant peut-être 20 000 morts. Les violences intercommunautaires n’ont en réalité jamais cessé mais cela n’intéressait pas l’Occident car il n’y avait à ce moment aucun agenda pétrolier et gazier concernant la Syrie, ni aucun agenda contre l’Iran.

    On dit que le régime est brutal et il est évidemment d’une brutalité incroyable, mais ce n’est pas le régime en soi qui est brutal. La Syrie est passée de l’occupation ottomane et ses méthodes d’écorchage vif, au mandat français de 1920 à 1943, aux anciens nazis réfugiés à partir de 1945 qui sont devenus des conseillers techniques, et ensuite aux conseillers du KGB. C’est évident qu’il n’y a rien à attendre de ce régime en matière de droits de l’homme, de réformes démocratiques… Mais il n’y a rien à attendre non plus des rebelles islamistes qui veulent prendre le pouvoir, et qui disposent d’une fatwa fondamentale pour organiser un véritable génocide des Alaouites. Et d’ailleurs attend-on quelque chose de l’Arabie Saoudite en matière de droits de l’Homme ?

    Nous avons un vrai problème de traitement de l’information à propos de la Syrie, comme nous l’avions hier s’agissant de l’Irak, de la Yougoslavie, de la Libye. Une fois de plus le manichéisme médiatique occidental est à l’œuvre, la machine à fabriquer les Bons et les Méchants, en réalité en fonction surtout des intérêts occidentaux. La source unique, je dis bien unique, des médias occidentaux est l’OSDH (Observatoire syrien des Droits de l’Homme) lequel donne par exemple à l’Agence France Presse l’état de la situation en Syrie, le nombre de morts, de blessés, les exactions etc…

    Or qu’est-ce que l’OSDH ? Il s’agit d’une émanation des Frères musulmans qui est dirigée par des militants islamistes et dont le fondateur, Ryadh el-Maleh, a été condamné pour violences. Basé à Londres depuis la fin des années 1980, il est sous la protection des services britanniques et américains et reçoit des fonds du Qatar et de l’Arabie Saoudite.

    Outre l’OSDH comme référence médiatique, la référence politique des médias occidentaux c’est le Conseil National Syrien, créé en 2011, à Istanbul, sur le modèle du CNT libyen et à l’initiative du parti islamiste turc, l’AKP.

    Financé par le Qatar, le CNS a été coulé dans sa forme initiale à la conférence de Doha, début novembre 2012 par Washington. Les États-Unis considéraient en effet depuis des mois qu’il n’était pas assez représentatif et ont suscité à la place la Coalition nationale des Forces de l’opposition et de la révolution. La réalité est que les Américains trouvaient que la France avait trop d’influence sur ce Conseil où elle avait placé l’opposant syrien sunnite Burhan Ghalioun, professeur de sociologie à la Sorbonne. On retrouve là une compétition franco-américaine semblable à celle qui s’était produite en Libye, où petit à petit l’influence française sur les rebelles anti-Kadhafi a été annulée par l’action souterraine des Américains. Il faut dire que si la France compte sur des professeurs de sociologie pour défendre ses intérêts au Moyen-Orient, elle s’expose à bien des déconvenues…

    À la manœuvre en coulisse, le redoutable et très intelligent ambassadeur américain Robert S. Ford, considéré comme le principal spécialiste du Moyen-Orient au département d’État ; il fut l’assistant de John Negroponte de 2004 à 2006 en Irak où il appliqua la même méthode qu’au Honduras : l’usage intensif d’escadrons de la mort. Peu avant les évènements de Syrie, il fut nommé par Obama ambassadeur à Damas et prit ses fonctions malgré l’opposition du Sénat.

    Cet ambassadeur a fait mettre à la tête de la Coalition nationale des Forces de l’opposition et de la révolution une personne dont la presse ne parle pas : le cheikh Ahmad Moaz Al-Khatib.

    Son parcours est intéressant et vous allez assez vite comprendre pour quelle raison je m’y attarde.

    Il est un ingénieur en géophysique qui a travaillé 6 ans pour la al-Furat Petroleum Company (1985-1991), une joint-venture entre la compagnie nationale syrienne et des compagnies étrangères, dont l’anglo-hollandaise Shell. En 1992, il hérite de son père la prestigieuse charge de prêcheur de la Mosquée des Ommeyyades à Damas. Il est rapidement relevé de ses fonctions par le régime baathiste et interdit de prêche dans toute la Syrie. Pourquoi ? Parce qu’à l’époque la Syrie soutient l’opération américaine Tempête du Désert pour libérer le Koweït et le cheikh, lui, y est opposé pour les mêmes motifs religieux qu’Oussama Ben Laden : il ne veut pas de présence occidentale sur la terre d’Arabie. Ce sheikh se fixe ensuite au Qatar puis, en 2003-2004, revient en Syrie comme lobbyiste du groupe Shell. Il revient à nouveau en Syrie début 2012 où il enflamme le quartier de Douma (banlieue de Damas). Arrêté puis amnistié il quitte le pays en juillet et s’installe au Caire.

    Sa famille est bien de tradition soufie, donc normalement modérée, mais contrairement à ce que dit l’AFP, il est membre de la confrérie des Frères musulmans et l’a montré lors de son discours d’investiture à Doha. Bref, comme Hamid Karzai en Afghanistan, les Américains nous ont sorti de leur chapeau un lobbyiste pétrolier !

    Maintenant que nous avons donné des éléments d’analyse sur les forces internes à la Syrie, regardons le jeu des forces régionales externes.

    Je l’ai dit, la crise syrienne a éclaté à cause de l’ingérence saoudienne et qatarie (soutenue par les ingérences française, britannique et américaine). L’Arabie Saoudite et le Qatar, avec chacun leurs clientèles, défendent un projet islamiste sunnite pour le Moyen-Orient. De la Libye jusqu’à la Tunisie et l’Égypte, ils ont soutenu le printemps arabe, l’ont peut-être même dire suscité, amenant au pouvoir les Frères musulmans et les salafistes, eux-mêmes en concurrence pour l’établissement d’une société arabe islamique réunifiée dans un seul et même État islamique. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur la symétrie étrange entre les Révolutions colorées soutenues par les Américains dans la périphérie de la Russie au début des années 2000, et les révolutions arabes soutenues par le Qatar, l’Arabie Saoudite et sans doute aussi discrètement Washington, au début des années 2010.

    En revanche, Ryad et Doha ont bloqué l’éclosion d’un printemps chiite à Bahreïn, et sont intervenus militairement pour sauver la monarchie sunnite bahreïnie confrontée au soulèvement chiite (rappelons que les chiites représentent 70% de la population de Bahraïn, et n’ont rien de négligeable au Koweït ou aux Émirats). Ce fut, en 2011, la deuxième fois après la guerre du Koweït que l’accord mutuel de protection du Conseil de Coopération du Golfe, dit Bouclier du désert, fut mis en action.

    Le printemps arabe, dont certains soulignent, à juste titre, qu’il s’est en fait transformé en hiver islamiste, a profité aussi fortement aux pays sunnites du Golfe sur le plan économique. Après la crise de 2008 qui avait notamment touché les Émirats Arabes unis, les monarchies sunnites du Golfe ont vu affluer les fortunes amassées sous les dictatures tunisienne, libyenne, égyptienne. Cet argent amassé sous les régimes effondrés ou en voie d’effondrement ne peut plus aller en Europe, ni même en Suisse, car les règles bancaires (compliance) ne le permettent vraiment plus. Il va donc à Dubaï essentiellement.

    Par ailleurs, la chute des exportations de pétrole et de gaz libyen, due à la guerre de 2011 en Libye, a été compensée par une hausse sensible de la production et des exportations de l’Arabie Saoudite, du Qatar, des Émirats Arabes Unis, ce qui a dopé l’économie de ces pays en 2011 et 2012.

    Face au jeu sunnite des monarchies du Golfe, l’Irak dominé par les chiites, l’Iran bien sûr et la Syrie, ont formé un axe que l’on peut qualifier de chiite puisque les Alaouites sont une branche particulière du chiisme et qui essaie de résister à la terrible alliance Occident/Turquie/monarchies sunnites du Golfe.

    Dans ce jeu complexe, se pose alors la question du jeu d’Israël. Paradoxalement, c’est peut-être le moins simple et l’erreur consisterait à vouloir attribuer à Israël, par facilité, “la main cachée qui dirige”.

    Israël, en effet, a longtemps eu comme ennemi principal le nationalisme arabe. L’idéologie baathiste a combattu l’existence d’Israël et soutenu le droit des Palestiniens à récupérer leur terre. Le projet d’un monde arabe unifié, développé et modernisé économiquement grâce aux ressources pétrolières, et avançant vers l’arme atomique (Irak) a longtemps été le cauchemar prioritaire de Tel Aviv.

    Mais le nassérisme est mort, puis le baathisme irakien après lui. Reste aujourd’hui le baathisme syrien, mais il est affaibli, et le rêve de Grande Syrie nourri par Damas est contradictoire depuis bien longtemps avec le nationalisme palestinien.

    Le problème principal d’Israël maintenant, ce sont ces Frères musulmans qui triomphent partout. Ils ont commencé à s’installer via le Hamas à Gaza (en concurrence avec l’OLP qui tient la Cisjordanie et cette division chez les Palestiniens est conforme aux intérêts israéliens) ; ils sont au pouvoir en Turquie alors que l’armée turque a longtemps été un allié fiable d’Israël ; maintenant l’AKP constitue un problème pour les Israéliens (souvenez-vous de l’affaire de la flotte de Gaza) ; les Frères musulmans sont aussi au pouvoir en Égypte depuis la chute de Moubarak (Égypte avec laquelle, depuis 1978, les Israéliens ont un accord de paix), ils sont forts en Jordanie (accord de paix depuis 1995), ils sont en Tunisie, en Libye, ils sont majoritaires en Syrie et essaient de prendre le pouvoir… Bref Israël assiste à une marée montante de Frères musulmans et de salafistes qui envahit tout le Moyen-Orient et menace ses portes, et ces gens-là ne sont pas particulièrement favorables à la reconnaissance du droit d’Israël à vivre en paix. Leur projet d’État islamique unifié regarde Israël comme les États latins croisés du Moyen-âge.

    Il est donc loin d’être certain que la politique américaine de soutien aux islamistes fasse l’unanimité chez les Israéliens. Ceux-ci se sentent de plus en plus seuls. Cette politique pro-islamique de l’Occident pourrait même pousser Israël à trouver des parrains plus fiables que les Américains, la Russie, la Chine ou l’Inde (qui coopère déjà militairement fortement avec Israël face au Pakistan)…

    Israël se prépare sans doute, dans un Moyen-Orient où les États d’aujourd’hui cèderaient de plus en plus la place à des États ou régions autonomes homogènes sur le plan confessionnel (sunnites, chiites, Alaouites…) ou ethniques (Kurdes face aux Arabes), à de nouvelles alliances afin de contrer le danger islamiste sunnite.

    On ne peut pas exclure ainsi un retournement de l’histoire où Israël serait à nouveau proche de l’Iran, s’entendrait avec un Irak dominé par les chiites, ce qui lui permettrait d’éteindre le problème du Hezbollah libanais, soutiendrait un petit réduit alaouite en Syrie, un État kurde également… N’oublions pas en effet que le problème principal qui détermine tout pour les Israéliens c’est le problème palestinien. Si les Palestiniens du Hamas se mettent dans les bras du Qatar et de l’Arabie Saoudite (rappelons la visite historique du l’émir du Qatar début novembre à Gaza), alors l’hypothèse de l’alliance chiite n’est pas à exclure.

    Comme je l’ai dit, une donnée essentielle est que sur le plan énergétique Israël dispose de l’autosuffisance pour le gaz, et que sur le plan pétrolier rien n’empêche demain, si retournement stratégique il y avait, que le pétrole vienne du Kurdistan irakien ou des chiites d’Irak ou d’Iran.

    Le nucléaire iranien dans tout cela ? La réponse à la perspective du nucléaire iranien est-elle à votre avis dans une guerre suicidaire contre l’Iran ou dans une entente avec un futur Iran nucléaire contre l’islam sunnite ? La réponse me semble être dans la question.

    Je crois personnellement que la relation États-Unis/Israël va se distendre tout simplement parce que les Américains sont de moins en moins gouvernés par des WASP (White anglo-saxons protestants) qui pour beaucoup étaient convaincus de la dimension sacrée d’Israël (chrétiens sionistes) et que pour des raisons identitaires (changement ethnique de la population des États-Unis) ce phénomène est quasi-irréversible. Je crois que le même problème se pose en Europe. Le changement de population en Europe de l’ouest, l’islamisation d’une partie de la population disons les choses, va contribuer à installer durablement des gouvernements de gauche ou socio-démocrates qui seront de moins en moins favorables à Israël et de plus en plus tenus par des minorités musulmanes agissantes. Un indicateur de cette tendance de fond est que la plupart des extrêmes droites européennes qui avaient une tradition antisémite deviennent au contraire anti-musulmanes et pro-israéliennes.

    En conclusion, essayons de tracer quelques perspectives, même s’il est très difficile de prédire l’avenir au Moyen-Orient.

    Premièrement, même s’il a en face de lui une majorité de sa population, je pense que le régime syrien peut tenir longtemps car il n’est pas isolé. Deuxièmement, sa cohésion interne est forte pour les raisons que j’évoquais (une guerre de survie pour les minorités confessionnelles au pouvoir) ; troisièmement, le soutien de la Russie est ferme. Et le régime enfin n’est pas enclavé puisqu’il est lié à ses voisins irakien et iranien qui le soutiennent.

    Donc la situation actuelle peut perdurer, le conflit pourrir. 37 000 morts selon l’ODSH (source rébellion) au 10 novembre 2012 et 400 000 réfugiés syriens (Turquie, Liban, Jordanie, Irak) ? Certes c’est énorme, mais nombreuses aussi sont les guerres civiles qui ont dépassé les 100 000 morts et qui se sont traduites par le retour aux équilibres initiaux. Ce n’est pas le nombre de morts ou même la majorité qui déterminent l’issue : ce sont les rapports de force réels, internes, régionaux et mondiaux.

    Si le régime venait cependant à s’effondrer, je n’envisage pas une seconde que les minorités puissent accepter de rester dans le cadre national actuel sans l’obtention de garanties occidentales extrêmement fortes quant à leur sécurité physique. Et même avec ces garanties j’en doute. Elles signeraient leur arrêt de mort d’autant qu’étrangement les Français et les Américains qui soutiennent et arment la rébellion n’ont demandé aucun engagement “anti-génocidaire” après la chute éventuelle de Bachar. On peut imaginer alors l’Iran et l’Irak soit accueillir ces minorités, soit favoriser, avec l’appui de la Russie, la formation d’un réduit alaouite avec notamment un couloir stratégique jusqu’à Tartous. Mais le problème resterait entier car ce que veulent les Occidentaux c’est l’accès syrien à la Méditerranée et le transit pétrolier et gazier par le territoire de la Syrie.

    Mais au risque de vous surprendre, je pense que la baisse de la médiatisation par l’Occident du conflit syrien est le symptôme d’une réalité : l’Occident est en train de perdre la guerre en Syrie. Il peut soutenir le terrorisme à Damas et contre les forces de sécurité, lesquelles opposent une répression cruelle, mais il ne dispose pas de la capacité d’abattre l’appareil sécuritaire syrien. L’armée syrienne dispose de la maîtrise de l’espace aérien et ce n’est pas demain la veille que la France et les États-Unis prendront la responsabilité d’une guerre mondiale avec la Russie. Donc je crois que le régime va tenir. On est arrivé à la situation étrange où la France doit régler le problème d’Al Qaïda au Mali et soutient indirectement Al-Qaïda en Syrie. Le monde est décidément fou.

    Une fois de plus, tout ramène à la question iranienne. L’Iran est la clé du futur Moyen-Orient. Si l’Iran revient à son alliance stratégique avec les États-Unis d’avant la Révolution chiite islamique de 1979, alors on peut penser que les États-Unis et Israël s’appuieront sur le chiisme pour faire contrepoids à un islam sunnite globalement hostile à l’Occident. Mais une autre hypothèse est possible : que les États-Unis, la France (n’oublions pas que les priorités de Paris sont aujourd’hui Doha et Ryad) et la Grande-Bretagne, proches de la Turquie (membre de l’OTAN) restent fortement alliées aux monarchies sunnites et entretiennent de bonnes relations avec les républiques dominées par les Frères musulmans (Tunisie, Égypte, mais quid de l’Algérie demain ?) et alors on ne peut pas exclure qu’Israël se découple de l’Occident pour se rapprocher d’un axe Russie/monde chiite hostile à la Turquie et aux monarchies pétrolières.

    Reste en suspens aussi l’éternelle question kurde avec le jeu de la Turquie.

    Enfin il ne faudrait pas oublier les inquiétantes évolutions dans certains pays d’Europe de l’Ouest comme la France, le Royaume-Uni, la Belgique, pays ou des minorités musulmanes sunnites de plus en plus structurées sur le plan identitaire, de plus en plus revendicatives sur le plan de l’islam, de plus en plus financées par les monarchies sunnites (voir les investissements du Qatar en France), vont sans doute jouer un rôle croissant dans la définition des politiques étrangères de ces pays. Comme vous le savez, en matière de politique étrangère (on l’a vu longtemps s’agissant du lobby juif aux États-Unis), ce ne sont pas les majorités dormantes qui pèsent sur la décision, ce sont au contraire les minorités agissantes organisées. Or dans l’Ouest de l’Europe, ce que l’on a longtemps appelé le lobby juif est de plus en plus faible, concurrencé par le poids du lobby pro-musulman ou pro-arabe dans les partis de gauche notamment.

    Une chose finalement est certaine : avant que nous n’aboutissions à de nouveaux équilibres au Moyen-Orient, le chemin sera pavé de nombreuses souffrances…

    Aymeric Chauprade http://www.realpolitik.tv

  • Le rapport Védrine par Pierre de Meuse

    Le 14 novembre, Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères, a déposé un rapport au secrétariat de la Présidence sur «  Les conséquences du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, sur l’avenir de la relation transatlantique et les perspectives de l’Europe de la défense ».

    Nous connaissons Hubert Védrine comme un fin professionnel  de la politique étrangère de la France, puisqu’il a occupé le bureau de Calonne de 1997 à 2002 prenant souvent des positions empreintes de bon sens, conformes aux besoins de la France en ce domaine. Le fait qu’il ait participé à des gouvernements socialistes ne change rien à l’affaire car la politique étrangère n’est pas une affaire de parti. Pourtant nous n’attendions pas de miracles lorsque le Président Hollande lui a demandé de traiter cette question.  Il eût été étonnant que l’ancien ministre ose jeter un pavé dans la mare, et du reste on ne lui aurait pas demandé de faire un rapport s’il ne s’était pas engagé à rendre un document conforme à la pratique des ministères Fabius et Juppé,  d’ailleurs fort peu différents l’un de l’autre. L’ancien ministre rappelle que c’est la France qui a œuvré pour la création de l’OTAN au début des années 50. Il rappelle aussi les raisons pour lesquelles le général de Gaulle, le 7 mars 1966, écrit au Président Johnson pour lui faire savoir qu’il n’entendait plus, ni participer aux commandements intégrés, ni mettre ses forces à la disposition de l’OTAN,  recouvrant ainsi sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté. Les motifs du général tenaient au refus des USA de placer l’OTAN sous commandement triparti, laissant le commandement aux seuls anglo-américains, et à l’opposition des mêmes à la force de dissuasion. De plus le gouvernement français craignait de se voir engagé sur un théâtre d’opérations où il n’aurait rien à faire. Est-il besoin de se souvenir qu’à cette époque, le danger soviétique n’était pas un vain mot ? Alors qu’après 1990 ce danger est écarté, comment expliquer le retour dans l’OTAN en décembre 1995 sous l’impulsion de Jacques Chirac ? Comment justifier une implication accrue aujourd’hui ?

    subordination-OTAN-UE-300x214.jpgC’est que, nous dit Védrine, la nature de l’OTAN a changé : aujourd’hui les USA sont tout prêts à partager le fardeau de la défense stratégique de l’Europe, alors que les autres Etats se refusent à y consacrer les efforts minimaux. Le retour de la France, selon lui, valorise le rôle de notre pays par le nombre des militaires français qui participent au commandement et leur efficacité. Pourtant l’ancien ministre constate que des décisions contraires à l’intérêt stratégique de la France ont été prises car le gouvernement français, y compris celui de M. Hollande a"accepté que l’OTAN décide de se doter d’une capacité de défense des territoires et des populations contre les missiles balistiques, sur la base d’une extension du programme de défense de théâtre (ALTBMD : Active Layered Theatre Ballistic Missile Defence)." Il doute que l’industrie européenne soit mise à contribution, suspecte avec raison que ce système, présenté artificieusement comme dirigé contre l’Iran, soit braqué au contraire contre la Russie. Il estime que ce système est dangereux pour notre sécurité et contraignant pour l’indépendance de l’Europe. Même si le rapport n’était légitimé que par ce paragraphe, il mériterait d’avoir été publié ! Mais alors, pourquoi l’accepter ? Parce que nous sommes seuls, parce que nous sommes faibles ! Et Védrine de nous engager à la vigilance. Une exhortation qui se résume à conseiller aux européens de ne pas oublier que les motivations des USA, état des deux océans, ne peuvent être les mêmes qu’un ensemble continental risquant toujours de se trouver marginalisé par rapport à l’Histoire. On ne saurait mieux dire. Ainsi « Vigilance signifie que nous devrons veiller à ce qu’elle reste une Alliance militaire, recentrée sur la défense collective, et le moins possible politico-militaire dans son action. » Il parle d’or, mais s’il craint avec raison l’idéologisation de l’Alliance, alors pourquoi se félicite t-il que l’OTAN ait répondu à un « appel à l’aide d’insurgés » en Libye, acte d’agression contraire au droit international, comme le soulignait Medvedev la semaine dernière, et justifié par une vision idéologique et biaisée des évènements ? Et en Syrie où l’OTAN vient d’accepter la coûteuse et inutile installation de missiles patriot à la frontière turque ? Il ne s’explique pas sur cette lourde contradiction. Peut-être considère t-il que l’exportation de la « démocratie » n’est pas une opération idéologique ? Ses cours de Sciences Po sont peut-être un peu loin. De même pour l'alliance inconditionnelle des USA avec Israël, étrangère aux intérêts de la France et même de l'Europe.

     

    En fait l’auteur du rapport se résigne à ce retour dans l’OTAN parce qu’il ne voit pas d’autre politique possible, même s’il est quelque peu sceptique. Les européens considèrent que l’OTAN suffit à la défense de l’Europe et ne voient aucune nécessité de l’assurer eux-mêmes. Or Védrine n’envisage pas d’évènements possibles nous contraignant à changer nos alliances et se contente de déclarations d’intentions qui n’ont aucune chance d’être suivies. Après tout, pourquoi s’en étonner ? Védrine est un grand commis, mais certainement pas un visionnaire.

    http://lafautearousseau.hautetfort.com

  • « Rose Mafia » de Gérard Dalongeville, ancien maire d'Hénin-Beaumont

    Ainsi ce que clament certains politiques depuis des années, à savoir la corruption des élus du Parti socialiste de la région Nord-Pas-de-Calais, est bien une réalité que décrit précisément Gérard Dalongeville qui fut le maire d’Hénin-Beaumont de 2001 à 2009. Celui-ci, dans un livre paru le 23 février dernier aux éditions Jacob-Duvernet, Rose Mafia, raconte ce que sont les mœurs jusqu’ici inavouées du Parti socialiste dans cette région. Ce premier livre a été suivi récemment d’un second : Rose Mafia 2, l’enquête.
    Ce qui est stupéfiant c’est l’ancienneté, la sophistication et surtout l’ampleur de ces malversations dont sera simplement rappelée la nature. NR

     

    Quelles ont été et sont certainement toujours ces malversations ?

    • – D’abord les emplois fictifs systématiques, à peine dissimulés et connus de la population. L’ancien maire a commencé sa carrière socialiste de cette façon et donne de nombreux exemples dûment nommés.
    • – Ces emplois fictifs se marient d’une manière fréquente avec le népotisme familial très pratiqué dans la région et détaillé abondamment par l’ancien maire. C’est là que l’on retrouve l’édile de Béthune dont le chauffeur conduisait si vite. Ses fils, qui ont créé une entreprise de vente de matériel médical, et un entrepreneur impliqué depuis dans l’affaire du Carlton ont mis à profit leurs liens avec des élus socialistes pour placer ces matériels et obtenir la quasi-totalité des marchés, notamment dans les hôpitaux publics du département.
    • – Les moyens municipaux et ceux des organismes semi-publics : sociétés d’économie mixte, associations, CCAS, offices d’HLM, etc., y compris les subventions de toutes origines et les prêts aidés du logement social issus du livret A, sont détournés au profit du PS et de ses élus au travers de graves abus de biens sociaux. Les collectivités et ces organismes se voient mettre à leur charge des dépenses personnelles d’élus, comme des voyages à l’étranger, des restaurants, des voitures de standing, des avions taxis vers le Luxembourg, des destinations lointaines de vacances, la construction d’appartements et de résidences secondaires au profit d’élus, etc.
    • – Ces organismes donnent également lieu à des anomalies de gestion comme des rémunérations exagérées pour les dirigeants, des cessions de terrains à des valeurs en dessous du marché. Les comptes sociaux ne sont ni fiables ni sincères et leur déficit est souvent masqué par des artifices comptables. Dans ce domaine deux importantes sociétés d’économie mixte ont été particulièrement épinglées par la Chambre régionale des comptes.
    • – Ces organismes sont également des fournisseurs de prébendes et attribuent à qui ils veulent logements, maisons individuelles et avantages divers. Les exemples sont nombreux et précis.
    • – La législation de la mise en concurrence des entreprises pour les travaux et les marchés est détournée et les appels d’offres sont très souvent biaisés ou truqués pour attribuer les marchés à des entreprises amies, ce qui permet des retours, notamment financiers, au profit du PS et de ses élus. S’ensuivent des surfacturations qui compensent ces retours.
    • – Corruption directe d’élus. L’auteur cite, entre autres, un cas précis (p. 39 de son livre) où il lui a été remis une enveloppe pour le PS et son prédécesseur à la mairie par une entreprise de TP.
    • – Comptes de campagne manipulés.
    • – Comptes bancaires d’élus et de responsables du PS au Luxembourg utilisés pour le blanchiment de l’argent détourné et liés en grande partie au financement du PS (p. 140).

    Cette liste est longue mais elle est, en réalité, bien courte face au raz-de-marée de faits, de noms précis, de chiffres et de détails que fournit l’ancien maire dans son livre. Les pages consacrées aux trucages des appels d’offres (p. 86 à 90) sont particulièrement percutantes.

    Les leçons et les conclusions générales

    • – Tout d’abord le système du Parti socialiste dans le Nord-Pas-de-Calais est très ancien et, selon l’auteur, remonte aux années 1970/1980. A Hénin-Beaumont ce système a été mis en place par Jacques Piette, hiérarque de la vieille SFIO, qui fut un grand ami de F. Mitterrand. C’est à cette époque qu’une génération de jeunes socialistes est arrivée au pouvoir municipal, départemental puis régional en profitant de la quasi-disparition du Parti communiste. C’est cette génération qui a bâti et mis en marche cette organisation et ses procédures financières. Cette génération est représentée par un trio de personnages qui est au pouvoir depuis plus de 30 ans, contrôle le PS du Pas-de-Calais et, en fait, le département entier.
    • – Le trio gère le département dans le cadre des collectivités territoriales et des municipalités mais surtout réalise ses affaires au travers de sociétés d’économie mixte de construction et d’aménagement, d’associations diverses et d’une Chambre de commerce et d’industrie. Ces cadres juridiques complètement contrôlés constituent de véritables usines de financement politique et des sources d’enrichissement personnel. L’économie mixte territoriale est ainsi pervertie et détournée par le Parti socialiste du Nord de la France de ses objectifs généreux.
    • – Pour générer des retours au travers des appels d’offres il faut disposer de la complicité d’entreprises. Ce sont toujours les mêmes dont l’auteur cite les noms qui gagnent marchés et travaux au détriment d’autres entreprises peut-être moins chères et plus performantes. De ce point de vue, le système mis en place par le PS coûte cher, est antiéconomique et débouche sur des budgets municipaux déficitaires.
    • – Pour huiler les rouages, le PS a installé en leur sein des personnages qui font fonctionner le système, jouent les intermédiaires, font de la communication, font pression et, pour certains, s’occupent de l’argent détourné. Ainsi le système des intermédiaires existe dans le Pas-de-Calais avec des enveloppes. Mieux : Dalongeville insiste sur le caractère violent des pressions qui sont parfois exercées et qui confèrent un caractère de quasi-gangstérisme au système.
    • – Tous ces personnages, et ce point est souligné, font partie de la maçonnerie qui constitue un lien très fort qui unit ces bénéficiaires du système PS au sein d’ailleurs de loges différentes.
    • – La région du Nord est une région durement touchée par la crise économique, la désindustrialisation et les dérives sociales. Liévin figure dans le peloton de tête des villes les plus pauvres du pays. C’est cette région, considérablement appauvrie, qui est pillée par ceux qui se proclament les défenseurs des classes modestes. La population au faible niveau de vie, quant à elle, est prisonnière de ce système qui est fondé sur un clientélisme financé par les détournements des édiles et les avantages divers déjà cités qu’ils lui allouent. Fermement tenue, elle se trouve coincée dans un système de nature mafieuse caractérisé notamment par une omerta sur laquelle insiste beaucoup l’ancien maire et qui permet des réélections favorables.
    • – Autre aspect mafieux, c’est la corruption de juges. L’auteur indique qu’au cours de sa mise en liberté sous contrôle judiciaire, son avocat lui avait promis que tout était prévu et organisé, et qu’un juge qui devait présider une audience correctionnelle à Béthune toucherait 60.000 euros « apportés par les amis socialistes reconnaissants ».
    • – Les errements du Pas-de-Calais ne sont que le reflet de ce qui se passe dans d’autres fédérations du Parti socialiste. L’ancien maire rappelle qu’un sénateur-maire de Lens fut mis en examen en 1997 pour atteinte à la liberté des marchés. Quant à un ancien maire de Lille, il fut condamné naguère pour emploi fictif. Mais surtout un concours est ouvert au sein du PS entre les fédérations du Nord et celle des Bouches-du-Rhône avec des affaires qui, si elles sont confirmées, relèvent du banditisme pur et simple, et celles d’élus de l’Etang de Berre. Sans oublier la fédération de l’Hérault et son sénateur et député européen. En fait le socialisme municipal dévoyé du PS, héritier de Jaurès, constitue un des vecteurs importants de la corruption de notre pays.
    • – Et que font les autorités du PS face à toutes ces dérives ? L’auteur insiste sur l’inaction de la direction récente du PS malgré les alertes lancées par A. Montebourg concernant les fédérations sensibles. Quant à l’actuel président, qui est resté onze ans à la tête de Solférino, il connaissait la région, la fédération du Pas-de-Calais qui est une des premières du PS et où il se rendait souvent, et son mode de financement. La direction du PS de l’époque s’est révélée impuissante devant une fédération aussi importante dont le soutien a été nécessaire pour la primaire citoyenne. En réalité le PS savait, et sa gouvernance, qui a choisi de se taire, a été le complice implicite des dérives de la fédération du Pas-de-Calais et d’autres.

    Bien entendu, il sera objecté qu’il en va de même dans d’autres partis. C’est possible, bien qu’une telle ancienneté dans l’organisation de la corruption se trouve principalement au Parti socialiste. Mais surtout, comme le souligne l’ancien maire, il y a chez le Parti socialiste de l’hypocrisie, certains parleront d’escroquerie morale, à toujours donner des leçons, à jouer au professeur de morale et se draper dans ses valeurs de solidarité et d’égalité et à tolérer sans réagir, voire être complice, des turpitudes de ses fédérations locales les plus puissantes.

    Nicolas Reilhac  28/11/2012 http://www.polemia.com

    Gérard Dalongeville, Rose Mafia, éditions Jacob Duvernet, février 2012 , 210 pages