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international - Page 1225

  • Révolution et crise politique en Egypte : état des lieux et perspectives

    Le 30 juin 2013, les Égyptiens sont descendus en masse dans la rue pour réclamer le départ du Président Morsi. Le 3 juillet, l’armée le destitue et confie le pouvoir à Adly Mansour, présenté comme un inconnu. Les récents événement survenus en Égypte et ayant amenés au départ de Mohammad Morsi démontrent que la révolution égyptienne n’est pas terminée et que le peuple égyptien est déterminé à voir ses revendications aboutir. Pour bien comprendre la portée des événements et leur place dans la révolution égyptienne, ainsi que la nature des principales forces politiques (ici les Frères Musulmans et l’institution militaire), il est nécessaire de revenir, même brièvement, sur l’Égypte et sur les début de la révolution égyptienne de 2011. Explications.

    L’Égypte, bon élève du FMI et de l’impérialisme américain

    La fin des années 70 voit l’émergence d’un nouveau paradigme dans la vision américaine du monde. La lutte contre l’islamisme succède à la lutte contre le communisme comme argument justifiant toutes les agressions de l’impérialisme américain contre les peuples. Après avoir utilisé les Frères Musulmans pour affaiblir les organisations syndicales et les militants de gauche, le régime égyptien, largement dominé par l’institution militaire depuis le coup d’État de Nasser, fait sien cet argument pour entreprendre une féroce répression du peuple égyptien cherchant à s’organiser pour obtenir de meilleures conditions de vie et plus de démocratie. Les accords entre l’armée égyptienne et l’État fédéral américain aboutissent en 1978 à la signature des accords de Camp David (accord de paix avec l’État d’Israël), sous l’égide de l’administration américaine. Depuis, l’état major égyptien à reçu 27 milliards de dollars d’aide militaire américaine et continue à recevoir un milliard de dollars par an. En 1991, l’Égypte s’engage auprès de la coalition américaine dans la première guerre du Golfe. Suite à cela, une importante partie de sa dette militaire vis à vis des États-Unis est annulée. En contre partie, le FMI exige l’application en Égypte de Plans d’Ajustement Structurel (PAS), véritables entreprises de pillage et de vassalisation des pays du Sud. Un premier plan aboutit à la privatisation de plus de 150 entreprises publiques. Ce qu’il restait de socialisant dans le régime égyptien vole en éclat: répartition équitable des revenus, subventions et embauche systématique des diplômés de l’Université par l’État. Le FMI dicte, l’État égyptien applique, le peuple paie et les proches du pouvoir se remplissent les poches. Le plan quinquennal 1992-1997 poursuit sur la même voie et accentue les privatisations des secteurs rentables. Le taux de population vivant sous le seuil de pauvreté atteint 40%. Un rapport de l’OCDE de 1997 consacré à l’Égypte rapporte :

    au cours des années 1990, ce pays a adopté avec succès des politiques de stabilisation macro-économique et engagé les programmes de réforme structurelle nécessaires pour entrer sur le chemin d’une croissance forte, tirée par les exportations. La principale contrainte reste d’introduire les changements à un rythme qui ne mette pas en danger la stabilité politique (1)

    Le lien entre le tournant néo-libéral de la politique économique égyptienne et le mécontentement populaire est donné par l’OCDE elle même. En effet, les années 1990 et 2000 verront se multiplier les mouvements de grèves qui rassembleront, entre 2004 et 2008, plus de 1,7 million d’ouvriers dans plus de 1900 grèves. Ces mouvement de contestation contre les dirigeants égyptiens expriment l’opposition radicale du peuple à l’ordre voulu par l’impérialisme américain, au « Grand Moyen-Orient« . Cet ordre, c’est celui de la remise en cause des barrières douanières, de la déréglementation, de la privatisation et de l’instauration d’un dispositif militaire sous contrôle américain. Cet ordre, c’est celui dans lequel s’est engagé, entre autres, le régime égyptien depuis la fin des années 1970, sommé par le FMI d’aller plus loin dans les réformes. La Tunisie et Égypte, dont les partis dirigeants étaient membres de l’Internationale socialiste, sont les pays qui ont le plus avancé dans ce sens, provoquant la réaction des populations.

    De la contestation à la révolution : le peuple face à Moubarak, à Tantaoui et à Shafiq, le peuple face à la subordination à l’impérialisme américain.

    Les vagues de grèves et les soulèvements populaires contre les politiques anti-ouvrières et anti-démocratiques du régime égyptien ont eu raison du dirigeant de celui là, Hosni Moubarak. Pour autant, le régime à survécut, en premier lieu grâce à l’intervention de l’armée. Il est évident, depuis la publication de télégrammes par Wikileaks, que l’administration américaine à financé la formation de cyber-dissidents dans le monde arabe. Néanmoins, le déroulement des événements en Egypte comme en Tunisie, ont montrés que les peuples étaient déterminé à s’affranchir de la domination américaine et que la principale intervention américaine ne se situait pas dans la formation de blogueurs, mais à travers l’institution militaire égyptienne. Mansouria Mokhefi, responsable du programme Maghreb/Moyen-Orient de l’Ifri, rappelle :

    S’il est vrai que lors des soulèvement tunisien et égyptien, on n’a guère vu ou entendu de slogans antiaméricains, le ressentiment s’est exprimé dès mars 2011 à la fois en Tunisie et en Égypte lors de la visite d’Hillary Clinton. Celle-ci a été accueillie à Tunis par des manifestants aux slogans hostiles tels que: « Tunisia is free – America get out » et les Jeunes Égyptiens de la coalition du 25 janvier ont tout simplement refusé de s’entretenir avec elle. (2)

    Toujours Mansouria Mokhefi, à propos de l’attitude américaine face aux révoltes arabes :

    Après quelques hésitations , il était apparu nécessaire et urgent de s’assurer de la fidélité de l’armée égyptienne – qui reçoit l’essentiel de son équipement des États-Unis – et de convaincre les Israéliens que la stabilité de la région ne serait pas remise en cause par l’arrivée au pouvoir de cette armée. [...] Les commentaires arabes de la rue et dans la presse ainsi que les blogs font remarquer qu’il n’y a rien de nouveau dans le fait que les États-Unis aient lâché la Tunisie, où leurs intérêts étaient moindres, ou qu’ils aient négocié la stabilité égyptienne avec une armée qu’ils savent fidèle, qu’ils financent à hauteur de 1,3 milliard de dollars par an, qui est au pouvoir depuis 60 ans et qui détient plus de 40% de l’économie du pays. (3)

    Les soulèvements égyptiens ont eu raison de Moubarak, puis du général Tantaoui et du premier ministre Ahmed Shafiq. Après la chute de Moubarak, jamais les mobilisations n’ont faiblis, les égyptiens restant déterminés a voir leurs revendications satisfaites. Des dizaines de milliers d’ouvriers et d’ouvrières se sont mis en grève dans l’industrie pétrolière, les arsenaux, l’autorité du canal de Suez, les transports, le textile, le ciment, la métallurgie, les hôpitaux, les universités, les télécommunications etc. Les revendications avaient une forte charge économiques et sociales: augmentation de salaire, salaire minimum à 1200 livres égyptiennes (150 euros), fin des disparités salariales et de meilleures conditions de travail et surtout, la liberté syndicale (4). Le mouvement des travailleurs s’est ainsi joint au soulèvement général du peuple autour de la revendication d’une Assemblée Constituante.

    Moubarak est destitué et remet le pouvoir au Conseil suprême des forces armées (CSFA). les grèves se multiplient et les « Morsi dégage » deviennent des « Tantaoui dégage« , « le peuple veut la chute du régime » (Mohamed Hussein Tantaoui préside le Haut Comité militaire issu du CSFA). Le CSFA s’empresse de rassurer les américains et affirme sa volonté de maintenir l’Égypte dans le cadre des accords passés: les accords de Camp David, les PAS du FMI et le remboursement de la dette. Une fois élus, c’est ce que feront également les responsables des Frères Musulmans. La base d’une union nationale entre l’armée et les Frères Musulmans se réalisait alors, à la grande satisfaction de l’administration américaine

    Troisième secousse de la révolution égyptienne : entre mobilisations populaires et coup d’Etat

    En commentant la dernière de mobilisation en Égypte qui a aboutit à la chute de Morsi, Ibrahim al-Amin, rédacteur en chef du quotidien libanais Al-Akhbar souligne :

    C’était une révolte contre l’échec assourdissant dans la gestion des affaires du peuple, la suppression continue des droits individuels et collectifs, sans mentionner une incapacité à introduire quoique ce soit de nouveau à même de reconsidérer le rôle de l’Égypte dans les mondes Arabe et Islamique.

    La Confrérie (Frères Musulmans) ont échoués dans tout cela et plus encore. Ils n’ont réussis qu’une seule chose, nettoyer la bureaucratie de l’ancienne garde et la remplacer par leurs propres partisans dans l’intention de maintenir les institutions étatiques sous le contrôle de leur clan. Ils ont fait cela sans compromis – la majorité des Égyptiens n’ont rien eu dans ce processus, pas même un sentiment d’espoir qu’un changement était à l’horizon.

    Quant à leur performance dans le domaine des relations extérieures, les perspectives de la Confrérie n’étaient que des copies de celles de Moubarak. Ils ont d’abord couru vers les Américains, croyant que la bénédiction de Washington leur garantirait la survie et leur procurerait une immunité contre une destitution. Et sans aucun doute, beaucoup d’Egyptiens n’ont pas vu d’un très bon oeil que leur gouvernement joue les seconds violons des volontés du Qatar et de l’Arabie Saoudite en échange d’un patronage économique et financier douteux. (5)

    Les Frères Musulmans n’auront pas tenus plus d’un an face à la détermination populaire à en finir avec un système d’exploitation ne promettant que misère et souffrance. Les conditions de vie se sont encore plus détériorées sous leur administration. Le 30 juin 2013, dans la continuité des mobilisations de 2011, plus de 10 millions d’Egyptiens sont descendus dans les rues pour exiger le départ de Mohammad Morsi. Les Frères Musulmans ont pu exposer à la face de 80 millions d’Égyptiens leur véritable nature: une organisation en quête de pouvoir, inféodée à la bourgeoisie nationale et déterminée à maintenir l’ordre capitaliste internationale. L’excellent article de Gilbert Achcar publié dans Le Monde Diplomatique de février 2013 le souligne bien :

    Le principal obstacle à la collaboration de la confrérie avec le capitalisme égyptien, la répression qu’elle subissait sous M. Moubarak, est maintenant levé. Les Frères musulmans s’efforcent de prendre exemple sur l’expérience turque en créant une association d’hommes d’affaires s’adressant en particulier aux petites et moyennes entreprises, l’Egyptian Business Development Association (EBDA). A l’instar du Parti de la justice et du développement (AKP) et du gouvernement de M. Recep Tayyip Erdogan, la confrérie et M. Mohamed Morsi estiment toutefois représenter les intérêts du capitalisme égyptien dans toutes ses composantes, sans exclure la plupart des collaborateurs de l’ancien régime qui, par la force des choses, en constituent une partie importante, surtout au sommet.

    Ainsi, une délégation de quatre-vingts hommes d’affaires a accompagné M. Morsi en Chine en août 2012. Le nouveau président souhaitant, à la manière des chefs d’Etat occidentaux, jouer les commis voyageurs du capitalisme national, plusieurs chefs d’entreprise liés à l’ancien régime furent invités à faire partie du voyage. (6)

    Cela fait échos aux analyses de Mansoor Hekmat, homme politique iranien, sur l’Islam politique (2001) :

    A mon avis, l’Islam politique est un mouvement réactionnaire contemporain qui n’a rien à voir, si ce n’est dans la forme, avec les mouvements islamiques de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Quant à son contenu social et aux objectifs socio-politiques et économiques, ce nouveau mouvement est complètement enraciné dans la société contemporaine. Ce n’est pas une répétition du vieux même phénomène. C’est le résultat de la défaite – ou de l’avortement – du projet de modernisation à l’occidentale dans les pays musulmans dans les années 60 et au début des années 70, ainsi que du déclin du mouvement laïc et nationaliste, qui était l’agent principal de cette modernisation économique, administrative et culturelle. La crise idéologique et gouvernementales dans la région s’est accrue. Avec ce vide idéologique et politique et la confusion de la bourgeoisie locale, le mouvement islamiste s’est imposé comme une alternative de droite pour la réorganisation de la domination bourgeoise et pour affronter la gauche et la classe ouvrière, qui avait émergé avec l’avènement du capitalisme. (7)

    Le 3 juillet 2013, l’armée destitue le Président. Le lendemain, des responsables des Frères Musulmans, dont le désormais ex-Président, sont arrêtés. D’aucun diront qu’il s’agit d’un coup d’État contre le premier président démocratiquement élu de l’Égypte. Ce n’est pas faux. Les Frères Musulmans ont bénéficié d’une vague de sympathie populaire due d’une part, à un légitimité venue de leurs activités sociales sous l’ancien régime et de leur ancrage dans la scène politique égyptienne et, d’autre part, à la terrible répression à laquelle ils ont fait face de Nasser à Moubarak. Dans le tumulte de la révolution, ils constituaient aussi l’une des forces politiques les mieux organisé. Mais en inscrivant leur politique dans une parfaite continuité avec celle de Moubarak, dans tous les domaines, ils ont provoqués la colère et la sanction irrémédiable d’un peuple qui décidé à prendre son destin en main. Le CSFA vient de nommer Président par intérim Adly Mansour, présenté par la presse comme un « inconnu ». Sa mission est de diriger l’Etat le temps de réviser la Constitution et d’organiser de nouvelles élections. En réalité, il n’est pas si inconnu. L’homme est un juriste ayant connu une brillante carrière sous le régime de Moubarak. Exerçant dans des tribunaux religieux encadrés par l’Etat, il intègre le conseil d’Etat, en gravit les échelons avant de devenir vice-président du Conseil constitutionnel en 1992. En 2012, il est nommé par Mohammad Morsi président du Conseil Constitutionnel.

    Certaines lectures un peu trop optimistes font apparaître l’intervention de l’institution militaire comme allant dans le sens de la révolution. Julien Salingue, doctorant en science politique à l’Université Paris 8 et membre de l’observatoire critique des médias ACRIMED, précise:

    Telle est en effet la faiblesse des lectures trop enthousiastes qui voient dans l’intervention de l’armée une nouvelle étape de la révolution, alors que l’objectif de l’état-major est précisément d’y mettre un terme. Le paradoxe n’est pas des moindres : les événements de ces derniers jours sont l’expression simultanée de l’existence d’une dynamique populaire et révolutionnaire et de rapports de forces politiques très défavorables pour les révolutionnaires. Ces derniers n’ont pas réussi jusqu’à aujourd’hui à se doter de structures suffisamment unifiées, fortes et légitimes pour jouer le rôle que l’état-major joue aujourd’hui, laissant dès lors l’initiative à une force sociale qui est essentiellement préoccupée par le retour à la normale et non par la satisfaction des revendications de la révolution. (8)

    Sous les coups de la révolution du peuple égyptien, le régime n’en finit pas de s’enfoncer dans la crise politique. Moubarak, Tantaoui, Shafiq et Morsi sont tombés. Adly Mansour, promut par Moubarak, par Morsi et aujourd’hui par l’armée, à le profil de la mission qui lui est confié: s’assurer de la transition, c’est à dire de la sauvegarde du régime en attendant la mise en place d’une nouvelle gouvernance. Il n’y a aucune perspective pour le peuple égyptien dans le coup d’Etat militaire, pas plus qu’il n’y en avait par le gouvernement de transition mis en place par Moubarak, pas plus qu’il y en avait dans le gouvernement des Frères Musulmans.

    Loin « d’apprendre la démocratie » ou de se faire « confisquer sa révolution », le peuple égyptien à démontré et démontre qu’il à très bien compris les ressorts de la lutte pour la démocratie et pour l’émancipation. Le coup d’Etat militaire ne doit pas faire oublier que c’est avant tout la mobilisation populaire qui à amené à la chute de Morsi. Sans la mobilisation populaire, l’entente entre les Frères Musulmans et l’armée se serait perpétué, dans le cadre fixé par l’impérialisme américain et par le FMI. Plutôt que de dire que l’Egypte vit une nouvelle période de transition, il est plus juste d’affirmer que s’ouvre une nouvelle phase dans la période de transition que constitue la révolution égyptienne. Celle-ci continue, autour de la revendication d’une Assemblée Constituante, seule force capable de prendre les mesures urgentes de sauvegarde de la population, contre l’exploitation, contre la guerre et contre l’impérialisme américain. Nous faisons notre la conclusion de Julien Salingue :

    Depuis 30 mois, la population égyptienne a en réalité fait la démonstration qu’elle n’entendait pas laisser qui que ce soit, civil ou militaire, lui confisquer sa révolution. Et rien n’indique, bien au contraire, que cette dynamique populaire soit brisée. (9)

    Il revient aux d’Europe et d’Amérique du nord de s’organiser et de poursuivre leur lutte contre leurs propres dirigeants, qui organisent guerres et exploitation sur les cinq continents. C’est le meilleur hommage et coup de main que nous pouvons rendre au peuple égyptien.

    Simon Assoun http://www.cercledesvolontaires.fr

    Références

    (1) http://www.oecd-ilibrary.org/docserver/download/5lgsjhvj7clw.pdf?expires=1372942088&id=id&accname=guest&checksum=BF0A2F39123A8DBEECC1C30CC20973ED (page 7)

    (2) Mokhefi Mansouria « Washington face aux révolutions arabes », Politique étrangère, 2011/3 Automne p.12

    (3) Ibid. p 9 et 12

    (4) quelques exemples (non exhaustif): Dans les banques, les grèves furent si massives que la Banque centrale d’Egypte a décidé unilatéralement de fermer toutes les banques du pays pendant une semaine en février 2011. Dans l’usine minière Abu Hamda, 200 ouvriers en grève contre les bas salaires, l’augmentation du nombre d’heures travaillées et des conditions de travail déplorables. 70 employés des magasins Omar Effendi manifestent pour les mêmes raisons. A Mahalla al-Kubra, 15 000 ouvriers et ouvrières de l’usine de tissage et filature Misr se mettent en grève.

    (5) http://english.al-akhbar.com/content/warning-against-exaggerated-hopes-egypt

    (6) Gilbert Achcar, « Le capitalisme extrême des Frères Musulmans », in Le Monde Diplomatique, février 2013. Aussi accessible sur l’espace abonné du site duMonde Diplomatique : http://www.monde-diplomatique.fr/2013/02/ACHCAR/48742

    (7) en anglais : http://www.marxists.org/archive/hekmat-mansoor/2001/misc/rise-fall-islam.htm

    (8) http://resisteralairdutemps.blogspot.fr/p/mefiez-vous-de-larmee-et-si-on-arretait.html

    (9) Ibid.

  • L’accord de libre-échange USA-Europe est peu probable

    Alors que les négociations ont débuté entre Etats-Unis et Europe sur un accord de libre-échange, l’économiste Jean-Pierre Lehmann reste très prudent sur les chances d’aboutir et sur les opportunités pour la Suisse.

    Quelques heures après la signature de l’accord de libre-échange entre Chine et Suisse, Européens et Américains viennent de se mettre à table pour discuter d’un accord du même type entre eux.
    Plombé ces dernières semaines par les débats sur l’exception culturelle française, les enjeux des politiques agricoles américaines ou l’affaire Snowden, ces négociations auraient, selon l’économiste Jean-Pierre Lehmann, professeur à l’IMD Lausanne, très peu de chances d’aboutir à un accord ayant du sens.

    Mais ces discussions bilatérales marquent surtout pour lui un nouveau constat d’échec et de renoncement à la voie des négociations multilatérales. Près de douze ans après la conférence interministérielle de Doha sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les négociations régionales ou de bloc à bloc semblent les seules à faire avancer la cause des échanges commerciaux.

    Le Matin – Dans quel contexte s’inscrivent ces négociations entre Europe et Etats-Unis?

    Jean-Pierre Lehmann – Il faut rappeler que depuis l’échec en 2003 de l’OMC à Cancun, le commerce international a vu fleurir nombre d’accords régionaux et bilatéraux. Ces derniers ont souvent mis aux prises des pays émergents entre eux, ou des pays émergents avec des pays industrialisés. Mais, avec l’exception du Canada et des Etats-Unis dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), il n’y a pas eu d’accord entre zones ou pays industrialisés.

    Or, quand on observe le commerce mondial de 1947 à 2000, on se rend compte qu’il a été très largement dominé par le Japon, le Canada, les pays d’Europe occidentale et les Etats-Unis. Or, depuis une quinzaine d’années, de nouvelles économies ont rejoint ce cercle: Chine, Brésil, Mexique, Turquie, Indonésie…
    Le round de négociations qui s’ouvre aujourd’hui contient une dimension discriminatoire, car il vise à garantir des échanges préférentiels en excluant les pays émergents, la Chine en particulier.

    En cela, il marque une nouvelle étape dans cette nouvelle donne internationale: le commerce se définit désormais d’état à état ou de bloc à bloc, mais plus de façon multilatérale. Il est devenu extrêmement improbable d’assister, dans les prochaines années, à un nouvel accord global. D’ailleurs, les effectifs en poste à Genève diminuent: les états concentrent leurs forces sur les négociations bilatérales, plus sur l’OMC.

    – Quelles sont les chances d’aboutir à un accord entre l’Europe et les Etats-Unis?

    – Ces négociations vont sans doute occuper beaucoup de temps et d’énergie. Mais je doute que l’on aboutisse à un accord. Et si jamais accord il y avait, il serait sans nul doute vide de sens. Car les points d’achoppement sont bien trop nombreux.
    Dans le détail, il y a évidemment l’exigence française d’exception culturelle qui va se trouver confrontée aux produits américains. Mais le dossier agricole sera sans nul doute au moins aussi ardu, avec des exigences a priori inconciliables de part et d’autre. Enfin, le dossier de la propriété intellectuelle devrait aussi constituer un point chaud.

    Mais ce qui est plus grave, c’est que ces négociations s’inscrivent dans un contexte de méfiance réciproque. Après l’échec de Doha, le commerce international a continué, mais de nombreuses barrières mercantilistes et protectionnistes ont été érigées, qui ne facilitent pas les échanges.

    Et l’affaire Snowden, avec les révélations sur l’espionnage à grande échelle mené par les Etats-Unis jusque dans les organes de l’Union européenne, ne va pas faciliter les choses. Bien au contraire. Je ne sais pas si cette affaire pourra être utilisée par les Européens pour obtenir des concessions américaines. Mais ce que je sais c’est que cela empoisonne le climat des négociations.
    Tous ces obstacles pourraient être levés si l’on avait une véritable détermination politique. Mais qui pourrait la porter? Pas les gouvernements européens, englués dans leurs problèmes. La Commission européenne est attaquée et fragilisée depuis des mois. Et en face, l’administration Obama est très faible en ce moment.

    – Dans ce jeu qui met aux prises les principaux partenaires commerciaux de la Suisse, notre pays a-t-il une carte à jouer?

    – Je ne pense pas qu’il y ait une carte à jouer pour la simple et bonne raison que je ne crois pas à la signature d’un accord. Et même en cas d’accord, il sera tellement vide de sens que cela ne devrait pas perturber les échanges extérieurs de la Suisse.

    Dans ce domaine des échanges commerciaux, quels domaines auraient à s’inquiéter en cas d’accord international? L’agriculture sans doute. Mais les chances d’aboutir sur ce point sont tellement faibles que, si j’étais un agriculteur suisse, cela ne m’empêcherait pas de dormir.

    Personnellement, je ne suis pas en faveur de ces accords bilatéraux qui nuisent à la signature d’accords multilatéraux. Mais pour la Suisse, comme pour d’autres pays de taille modeste (Chili, Singapour), il y a tout intérêt à continuer dans cette voie bilatérale pour mettre en avant ses besoins. C’est ainsi que des négociations sont engagées avec l’Inde ou l’Australie.

    Lancer par contre dès maintenant une offensive pour un accord avec les USA serait une erreur: les Américains sont engagés sur deux fronts majeurs que sont l’Union européenne et le Pacifique. Des négociations maintenant avec la Suisse reviendraient à laisser nos représentants à la porte des échanges les plus cruciaux.

    Le Matin

    http://fortune.fdesouche.com/

  • La thérapie de choc ou la maïeutique néolibérale

    « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres »
    Antonio Gramsci

    Nous sommes les témoins et les acteurs d'une époque charnière caractérisée par l'éclipse des repères et par l'éfritement des échelles de valeurs. C'est ce vide insupportable régi par le chaos que viennent investir avec la violence d'un ouragan les obsessions mortifères de tous ces hallucinés de la pureté originelle. Nous vivons en effet une drôle d'époque où les tenants du néolibéralisme le plus sauvage se détournent des pseudo-valeurs décrépites de l'idéologie libérale et s'appuient de plus en plus sur les fanatismes religieux devenus plus porteurs, donc plus propices aux manipulations. Mais cette alliance apparemment contre-nature ne constitue en fait qu'un paradoxe formel. Comme le souligne Marc Luyckx Ghisi, l'intégrisme religieux est ce sacré de séparation qui impose à l'homme de dédaigner son vécu pour retrouver le chemin de dieu . Dans le même ordre d'idées, la modernité, avec toutes ses nuances idéologiques, n'a cessé pendant voila plus de deux siècles de déconnecter totalement l'homme de sa place dans le monde en le soumettant aux pulsions d'un ego inassouvissable. Deux visions du monde , diamétralement opposées mais qui se rejoignent en déniant à l'homme sa véritable identité, cette dimension duelle, tout à la fois matérielle et spirituelle, seule en mesure d'assurer à notre espèce un équilibre salvateur.

    Le rouleau compresseur néolibéral qui a entamé depuis 1973 sa course macabre au Chili puis en Argentine n'a épargné ni la population britannique sous Thatcher ni américaine sous Reagan et a fini par écrabouiller l'économie de l'ensemble du bloc communiste. Avec l'invasion de l'Afghanistan et de l'Irak, l'hystérie reprend de plus belle et tente non seulement de mettre la main sur les ressources naturelles mais de disloquer irrémédiablement le tissu social et d'anéantir les états de ces pays. Voilà qu'aujourd'hui, tous ces peuples révoltés du Maghreb et du Proche Orient s'éveillant de leur euphorie, se retrouvent eux aussi pris dans le pire des cauchemars : Les chicago-boys islamistes assaisonnés à la sauce friedmanienne poussent à la vitesse d'une Caulerpa taxifolia et envahissent soudainement l'espace sous le soleil revivifiant du printemps arabe. Un tel enchainement de violences a retenu l'attention de la journaliste canadienne Noami Klein qui en 2007 écrit "la strategie du choc" et s'inscrit ainsi en faux contre la pensée ultralibérale de Milton Friedman et de son école, "l'école de Chicago". Noami Klein s'est probablement inspirée, pour mieux le contester, du leitmotiv friedmanien "thérapie" ou encore "traitement" de choc. Cela n'est pas sans nous rappeler la crise économique de 1929 qui sans laquelle Roosevelt ne serait jamais parvenu à imposer le New Deal à l'establishment de l'époque. C'est donc à la faveur d'une crise que le keynésianisme à pu s'installer au sein d'une société ultralibérale. S'inspirant probablement de ce schéma, Friedman a pensé que seuls les moments de crises aiguës , réelles ou provoquées , étaient en mesure de bouleverser l'ordre établi et de réorienter l'humanité dans le sens voulu par l'élite.

    C'est donc à partir des années soixante dix que selon la thèse de Noami Klein le monde s'installe dans ce qu'elle appelle « le capitalisme du désastre » . Cataclysmes naturels ou guerres sont autant de chocs permettant d'inhiber les résistances et d'imposer les dérégulations néolibérales. La stratégie du choc s'appuie tout d'abord sur une violente agression armée ,Shock and Awe ou choc et effroi , servant à priver l'adversaire de toute capacité à agir et à réagir; elle est suivie immédiatement par un traitement de choc économique visant un ajustement structurel radical. Ceux du camp ennemi qui continuent de résister sont réprimés de la manière la plus abominable. Cette politique de la terreur sévit depuis voilà quarante ans et se répand un peu partout dans un monde endiablé par l'hystérie néolibérale. Des juntes argentine et chilienne des années soixante dix en passant par la place Tiananmen en 1989, à la décision de Boris Eltsine de bonbarder son propre parlement en 1993, sans oublier la guerre des Malouines provoquée par Thatcher ni le bombardement de Belgrade perpetré par l'OTAN, ce sont là autant de thérapies de choc necessaires à l'instauration de la libre circulation du capital. Mais avec l'attentat du 11 septembre 2001, l'empire venait de franchir un nouveau palier dans la gestion de l'horreur. Susan Lindauer, ex-agent de la C I A (1) affirme Dans son livre Extreme Prejudice que le gouvernement des Etats Unis connaissait des mois à l'avance les menaces d'attentats sur le World Trade Center. Elle ajoute que les tours ont été détruites en réalité au moyen de bombes thermite acheminées par des camionnettes quelques jours avant les attentats. Le traitement de choc ne se limitait plus à susciter l'effroi dans le camp ennemi mais aussi dans son propre camp dans le but de terroriser sa propre population et de lui imposer les nouvelles règles du jeu. C'est ainsi qu'en un tour de main furent votées les lois liberticides du Patriot Act et les budgets nécessaires à l'invasion de l'Afghanistan et de l'Irak.

    Cependant, Quarante ans de pratique de la dérégulation n'ont pu dynamiser l'économie mondiale et la dégager du marasme dans lequel s'est englué le capitalisme productif. Mais cherche-t-on vraiment à dynamiser quoi que ce soit?! La financiarisation de l'économie au lieu d'être la panacée tant escomptée a au contraire plongé le monde dans une crise systémique couronnée par le fiasco retentissant de 2008. Cette domination de la finance libéralisée a démontré en définitive que les mar­chés sont incapables de s’autoréguler. La crise a prouvé par ailleurs que la financiarisation n'est en fait qu'une dépravation de l'idée d'investissement, de projet, de projection dans l'avenir qui a toujours caractérisé le capitalisme productif. Ce qui se pratique aujourd'hui c'est essentiellement une économie usuraire, obsédée par l'immédiateté du profit et convaincue du fait que l'argent rapporte à lui seul et sans délai de d'argent. C'est donc dans ce tourbillon de l'autoreproduction du capital que le monde se trouve pris. Le néolibéralisme n'est en fin de compte qu'une vaste opération spéculative visant le transfert massif des richesses vers une grande bourgeoisie atteinte de thésaurisation compulsive, obnubilée par ses pulsions de destruction, ayant perdu définitivement la foi dans l'avenir.

    L'agonie du capitalisme productif s'accompagne d'une déliquescence du politique. En effet, après la sécularisation du religieux, il semble aujourd'hui que c'est au tour du politique de subir le même sort. C'est bien en effet depuis le 19ème siècle que le politique s’est emparé progressivement de la gestion du sacré. L’État a fini par exiger de ses sujets la même allégeance que l’Église imposait à ses fidèles. La citoyenneté et la nation sont sacralisés et la patrie va jusqu'à exiger de l'individu le don de sa vie. Le vingtième siècle a été le témoin de ces "religions séculières" qui ont fait du politique un objet de foi et le fascisme a été la forme exacerbée de ce culte voué au politique. Mais avec l’effondrement du communisme et du keynesianisme l'institution politique commence à s'ébrècher et semble complètement se déliter de nos jours. Les prérogatives de l'Etat se réduisent comme une peau de chagrin et le politique a fini par être totalement vassalisé par l'économique . En effet, l'Etat n'a pour fonctions aujourd'hui que de promouvoir l'économique et d'assurer sa sécurité, encore que dans un pays comme les États Unis une bonne partie de l'armée soit tombée entre les mains de sociétés privées. Ainsi, les derniers remparts contre la déferlante subjectiviste viennent de s'écrouler et la mort de l' État en sonnant le glas des transcendances annonce le triomphe insolent d'une modernité ayant atteint son faîte.

    L'ego ainsi libéré de toute transcendance succombe à ses pulsions destructrices. La fièvre de la dérégulation qui s'empare du monde n'est pas synonyme de libéralisation comme le prétendent les ultralibéraux mais d'abolition systématique des règles et des lois qui ont toujours régi et organisé la société des hommes. Si le clivage traditionnel gauche/droite tournait autour du partage de la plus-value au sein d'une société régulée même si elle soufrait d'injustice, le clivage actuel oppose régulation et dérégulation et laisse présager l'avènement d'un monde chaotique. Mue par la pulsion narcissique de la toute puissance, l'oligarchie mondialiste nie toute altérité et s'engage frénétiquement dans un nihilisme destructeur parachevant de la sorte la trajectoire d'une modernité fondée entre autre sur la divinisation de l'ego, la compétition et la chosification de l'humain. Ce narcissisme délirant, pur produit du messianisme inhérent à l'histoire et à la culture nord-américaine a toujours caracterisé l'élite anglo-saxonne étasunienne. Une élite qui ne cesse depuis le milieu du 19ème siècle d'arborer son Manifest Destiny. A la fin de la première guerre mondiale, Wilson affirmait : « Je crois que Dieu a présidé à la naissance de cette nation et que nous sommes choisis pour montrer la voie aux nations du monde dans leur marche sur les sentiers de la liberté » et George W. Bush d'ajouter en s'adressant à ses troupes au Koweit en 2008 : « Et il ne fait pour moi pas un doute que lorsque l’Histoire sera écrite, la dernière page dira « la victoire a été obtenue par les États-Unis d’Amérique, pour le bien du monde entier » Depuis deux decennies, l'élite ploutocratique en versant dans le néolibéralisme semble irrémédiablement atteinte de perversion narcissique où se mêlent haine et mépris de l'altérité, volonté de puissance, sadisme et manipulation. Une interview du cinéaste américain Aaron Russo(2) enregistrée quelques mois avant sa mort permet de mesurer le degré atteint par une telle perversion. Les guerre menées contre le monde arabe et les restrictions des libertés en Occident annoncent l'univers stalinien dont rêve la ploutocratie étasunienne. Un univers qui rappelle bien "1984" de Georges Orwell que d'aucuns considèrent comme prémonitoire. Il serait plutôt plus pertinent d'y voir la source d'inspiration des think tank américains dans leur quête totalitaire.

    Avec le néolibéralisme, nous passons d'une économie de l'exploitation du travail à une économie de la dépossession. La combinaison de l'endettement public, de l'endettement privé et de la spéculation financière constitue l'outil privilégié de ce hold-up du millénaire. En effet les conditions de remboursement sont arrangées de telle sorte qu'elles ne puissent aboutir qu'à la faillite des débiteurs, qu'ils soient individus ou états. Pratique systématique de l'usure, plans d'ajustement structurel, paradis fiscaux, délocalisations, compétitivité, flexibilité sont autant d'armes pour casser tous les acquis des travailleurs et démanteler les frontières nationales au profit d'une minorité avare de banquiers et de multinationales. Face à une telle escalade, la gauche européenne semble totalement hypnotisée n'ayant probablement pas encore digéré l'implosion de l'URSS. Mais quelle alterntive pourrait bien proposer une gauche qui a toujours hésité à mettre en doute le projet ambigu de la modernité et qui a toujours souscrit au développementisme! En se battant uniquement sur le front du partage de la plus-value, la gauche, de compromis en compromission, a permis au système d'atteindre sa phase finale avec le risque d'ine déflagration tous azimuts.
    Face à cette capitulation, l'oligarchie mondiale a renforcé encore plus sa domination en récupérant tout en les pervertissant un ensemble de valeurs libertaires. Elle a su si adroitement profiter du concept cher à Gramsci, celui de guerre de position. En effet, dans les pays Occidentaux, le démantèlement du politique s'effectue non par la coercition mais par l'hégémonie, cette "puissance douce" permettant une domination consentie, voire même désirée. C'est ainsi que l'idéal anarchiste, égalitaire et antiétatiste fut complètement faussé par l'idéologie néolibérale. Les anarcho-capitalistes en rejoignant les anarchistes dans leur haine de l'état, considèrent par contre que le marché est seul en mesure de réguler l'économique et le social. Déjà à partir des années soixante l'idée du marché autorégulateur commençait à prendre de l'ampleur. Le néolibéralisme naissant , rejeton du capitalisme sauvage du 19ème siècle, s'allie paradoxalement à l'anticapitalisme viscéral des soixante-huitards pour s'élever contre l'autoritarisme et prôner une société ouverte et libérée de toutes les formes de contraintes. Ainsi du mythe d'une société sans classes des années soixante dix on succombe au nom de la liberté aux charmes d'une société éclatée faite d'individus atomisés. Ce culte de l'ego, synonyme de désintegration de toutes les formes de solidarité, constitue la pierre angulaire de la pensée anarcho-capitaliste et se reflète dans les écrits de théoriciens tels que Murray Rothba ou David Friedman. Ces derniers n'hésitent pas de prêcher le droit au suicide, à la prostitution, à la drogue, à la vente de ses organes...et vont jusqu'à avancer que l'enfant a le droit de travailler, de quitter ses parents, de se trouver d'autres parents s'il le souhaite...C'est ce champs de la pulsuonalité débridée qui commande désormais les liens sociaux et ruine les instances collectives ainsi que les fondements culturels construits de longue date. Comme le souligne Dany-Robert Dufour (3), Dans une société où le refoulement provoqué par le " tu ne dois pas " n'existe plus, l'homme n'a plus besoin d'un dieu pour se fonder que lui même. Guidé par ses seules pulsions, il n'atteindra jamais la jouissance promise par les objets du Divin Marché et développera ainsi une addiction associée à un manque toujours renouvelé. Aliéné par son désir, excité par la publicité et les médias, il adoptera un comportement grégaire, la négation même de cette obsession égotiste qui le mine. Ayant cassé tous les liens traditionnels de solidarité, l'individu s'offre aujourd'hui pieds et poings liés à une ploutocratie avide, sure de sa surpuissance. Si la stratégie néolibérale triomphe de nos jours, c'est bien parce qu'elle a su gagner cette guerre de position en menant à bien son offensive... idéologique.

    Mais cette entreprise de désintégration du politique suit tout un autre cheminement lorsqu'elle s'applique aux pays de la périphérie. Le plan du Grand Moyen Orient mis en oeuvre depuis l'invasion de l'Irak et qui continue de fleurir dans les pays du printemps arabe combine à la fois la manipulation et la coercition. Si dans les pays du centre, la stratégie s'appuie sur l'atomisation post-moderne, dans le monde arabe, on tente par la fomentation des haines ethniques et religieuses de désintégrer ces sociétés et de les plonger dans les affres d'une pré-modernité montée de toute pièce. On essaie ainsi de les emmurer comme par magie dans un passé hermétique et prétendument barbare. Voici donc que le monde arabo-islamique se trouve soudainement embarqué à bord de cette machine à remonter le temps tant rêvée par Jules Verne. Egotisme post-moderne et tribalisme barbare formeront ainsi les deux pôles de cette dichotomie diaboliquement orchestrée qui est à l'origine de la pseudo fracture Orient Occident. C'est à l'ombre de ce show du choc des civilisations que s'opère la stratégie du chaos créateur.

    Quelques actes terroristes spectatulaires par ci, campagne islamophobe surmédiatisée par là et le décor est dressé. Perversion narcissique et déni de soi, réminiscences de la déshumanisation coloniale, se font écho et s'étreignent. Les invasions occidentales deviennent d'autant plus légitimes qu'elles se prétendent garantes d'une civilisation menacée. A la violence répond paradoxalement la haine de soi et l'autodestruction. Celle-ci se manifeste par des réactions individuelles souvent suicidaires, témoignant d'un malaise social exacerbé face au désordre politico-économique régnant. Dans un pays traditionnellement paisible comme la Tunisie, le nombre des immolés par le feu et par l'eau se compte par centaines. Appeler la mort à son secours devient l'ultime alternative qui s'offre à tous ces désespérés. C'est sur ce fond pétri d'échecs cumulés depuis les indépendances que vient se greffer le rêve morbide de tous ces hallucinés régressifs fuyant la domination d'un Occident mégalomaniaque. L'aube de l'islam, devenue ce paradis perdu de la prime enfance constituera le refuge par excellence car situé derrière le rempart infranchissable et sécurisant des siècles. C'est ainsi qu'une irrésistible quête régressive ne souffrant aucune entrave et se dressant violemment contre toute alternative embrase depuis plus de deux ans le monde arabe. Or ce salafisme aveugle, impuissant face à la domination occidentale, préfère s'adonner à l'autoflagellation. L'Empire n'a pas mieux trouvé que de tourner le couteau dans la plaie narcissique de populations aliénées depuis longtemps par l'oppression coloniale. Il s'agit de raviver cette névrose du colonisé par des menées médiatiques où se mêlent l'offense et le mépris. Tout l'art consiste ensuite à orienter cette explosion de haine vers les présumés avatars locaux de l'Occident et de tous ceux qui de l'intérieur freinent cette marche à reculons. Les gourous islamistes à la solde des monarchies du Golfe et des services secrets américains se sont bien acquittés de cette tâche en poussant au Jihad contre leurs propres nations des dizaines de milliers de fanatiques survoltés. Un superbe gâchis qui en quelques années a fini par ruiner la majorité des pays arabes. Le chaos, faute d'être créateur resplendit par sa cruauté et sa gratuité, mais l'Empire ne fait aujourd'hui que s'enliser de plus en plus dans les sables mouvants de Bilad el-Cham. La forteresse syrienne ne semble pas ceder, cadenassant ainsi la route de la soie et le rêve hégémonique des néoconservateurs. Les dirigeants étasuniens, tout aussi prétencieux qu'ignorants de la complexité du monde arabo-musulman ont cru naïvement pouvoir tenir en laisse tous ces pays en louant les services de la confrérie des frères musulmans.

    Après le grandiose mouvement de révolte égyptien et la destitution de Morsi, après la correction infligée à Erdogan et le renversement honteux de Hamad, les frères semblent irrémédiablement lâchés par leur suzerain. Un leurre de plus? Ou alors, comme le souligne le politologue libanais Anis Nakach, les frères musulmans n'ont été hissés au pouvoir que pour mieux dégringoler eux et leur idéologie islamiste devenue totalement contre-productive..pour les néolibéraux. Il s'agit maintenant de remettre le Djinn dans la bouteille et de le plonger dans la mer de l'oubli après qu'il se soit acquitté honorablement de sa tâche. Les masses arabes, après deux ans de désordre sous la direction des frères finiront par se jeter sans hésitation dans les bras des libéraux. Mais une autre raison a certainement réorienté la politique étasunienne : c'est cette ténacité des russes à défendre leur peau coûte que coûte. La prochaine conférence de Genève sur la Syrie changera fort probablement la donne au Moyen Orient en accordant plus d'influence à la Russie dans la région. Le thalassokrator américain, balourd sur les continents, préfère apparemment tenter sa chance ailleurs, sur les eaux du Pacifique...

    En attendant, l'incendie qui embrase le monde arabe n'est pas près de s'éteindre de si tôt et les apprentis sorciers, épouvantés par l'agonie de leur vieux monde, continueront d'écraser, dans ce clair-obscur de l'histoire, tout ce qui contrarie leur folie hégémonique. ..

    Dans la théorie du chaos, soit le système se transforme, soit il s'effondre totalement. Un simple battement d'aile peut changer le monde semble-t-il...

    Fethi GHARBI http://www.alterinfo.net

    1) http://www.reopen911.info/News/2011/12/22/11-septembre-susan-lindauer-et-les-bandes-video-manquantes-du-world-trade-center/
    2) http://www.dailymotion.com/video/xddh2k_aaron-russo-interview-sur-nicholas_news#.UZTAf7WEOdA
    3) Dany-Robert Dufour ; Le Divin Marché - La révolution culturelle libérale

  • Le sort de Morsi préfigure t-il celui des Frères musulmans ?

    Bien que surpris par la rapidité des événements, Thierry Meyssan célèbre la destitution du gouvernement des Frères musulmans. Alors que la presse atlantiste soutenait Mohamed Morsi et conspuait Bachar el-Assad, il tenait le discours opposé et dénonçait le « printemps arabe » comme une manipulation. Le peuple égyptien et son armée ont tranché.

    Sur 84 millions d’Égyptiens, 33 sont descendus dans les rues fêter le coup d’État militaire.

    À l’issue de cinq jours de manifestations géantes réclamant le départ du président Morsi, l’Armée égyptienne l’a destitué et a désigné le président du Conseil constitutionnel pour assurer l’intérim jusqu’à la convocation de nouvelles élections.

    Pour mesurer l’importance de l’événement, il convient de le resituer dans sa propre narration.

    Une agitation politique a gagné une partie de l’Afrique, puis du monde arabe, à partir de la mi-décembre 2010. Les deux principaux pays concernés ont été la Tunisie et l’Égypte. Ce phénomène s’explique d’abord par des causes profondes : un changement générationnel et une crise alimentaire. Si l’aspect démographique échappe largement au contrôle humain, l’aspect économique a été partiellement provoqué en pleine connaissance de cause, en 2007-08, puis à nouveau en 2010.

    En Tunisie et en Égypte, les États-Unis avaient préparé la « relève de la garde » : des leaders neufs à son service à la place de leaders démonétisés. Le département d’État avait formé de jeunes « révolutionnaires » pour qu’ils se substituent au pouvoir en place. Aussi, lorsque Washington a constaté que ses alliés étaient dépassés par la rue, il leur a intimé l’ordre de céder la place à l’opposition qu’il avait préfabriquée. Ce ne sont pas la rue, mais les États-Unis qui ont chassé Zine el-Abidine Ben-Ali et le général Hosni Moubarak. Et ce sont toujours les États-Unis qui ont installé les Frères musulmans pour leur succéder. Ce dernier point est moins évident puisque les deux pays ont organisé des élections, mais la tenue d’un scrutin ne signifie pas sa sincérité. Cependant, une étude minutieuse montre que les dès étaient pipés.

    Il ne fait aucun doute que ces événements avaient été anticipés par Washington et qu’ils ont été guidés par lui, même s’ils auraient pu aussi survenir dans d’autres États, comme au Sénégal et en Côte d’Ivoire.

    Précisément, des troubles surviennent alors en Côte d’Ivoire à l’occasion de l’élection présidentielle. Mais ils ne sont pas reliés dans l’imaginaire collectif au « printemps arabe » et s’achèvent par une intervention militaire française sous mandat de l’ONU.

    Une fois l’instabilité installée en Tunisie et en Égypte, la France et le Royaume-Uni ont lancé un mouvement de déstabilisation de la Libye et de la Syrie, en application du Traité de Lancaster. Si quelques micro-manifestations pro-démocratie se sont tenues et ont été grossies par les médias occidentaux, les troubles étaient organisés par des Forces spéciales occidentales avec l’appui de meneurs takfiristes.

    À grand renfort de manipulations, l’opération en Côte d’Ivoire a été exclue du « printemps arabe » (il n’y a pas d’arabes dans ce pays au tiers musulman), tandis que la Libye et la Syrie y ont été inclus (alors qu’il s’agit d’opérations coloniales). Ce tour de passe-passe a été d’autant plus facile à réaliser que des manifestations survenaient au Yémen et au Bahreïn dont les conditions structurelles sont bien différentes. Les commentateurs occidentaux les ont d’abord inclues sous l’étiquette « printemps arabe », puis les ont escamotées de leur raisonnement, tant les situations sont peu comparables.

    En définitive, ce qui fait le « printemps arabe » (Tunisie, Égypte, Libye, Syrie), ce n’est pas l’instabilité, ni la culture, mais la solution prévue par les puissances impérialistes : l’accès au pouvoir des Frères musulmans.

    Cette organisation secrète, prétendument anti-impérialiste, a toujours été politiquement contrôlée par Londres. Elle était représentée au cabinet d’Hillary Clinton, par le biais d’Huma Abedin (épouse du député sioniste démissionnaire Antony Weiner), dont la mère Saleha Abedin dirige la branche féminine mondiale de la confrérie. Le Qatar a assuré le financement des opérations (plus de 15 milliards de dollars par an !) et la médiatisation de la confrérie auquel elle a confié la chaîne Al-Jazeera depuis fin 2005. Enfin, la Turquie a fourni le savoir-faire politique avec des conseillers en communication.

    Les Frères musulmans sont à l’islam ce que les Trotskistes sont à l’occident : un groupe de putschistes, travaillant pour des intérêts étrangers au nom d’un idéal toujours remis au lendemain. Après avoir tenté quantité de coups d’État dans la majorité des pays arabes au cours du XXe siècle, ils ont été surpris de leur « victoire », en 2011. Ils ne disposaient en effet d’aucun programme de gouvernement en dehors des instructions anglo-saxonnes. Ils se sont donc rattachés aux slogans islamistes : « La solution, c’est le Coran », « Nous n’avons pas besoin de constitution, nous avons la Charia », etc…

    En Égypte, comme en Tunisie et en Libye, leur gouvernement a ouvert leur économie au capitalisme libéral. Il a confirmé l’entente avec Israël sur le dos des Palestiniens. Et a cherché à imposer, au nom du Coran, un ordre moral, jamais inscrit dans ce livre.

    Les privatisations thatchériennes de l’économie égyptienne devaient atteindre leur apothéose avec celle du Canal de Suez, joyau du pays et source de revenus, qui devait être vendu au Qatar. Face à la résistance de la société égyptienne, Doha finança un mouvement séparatiste de la région du Canal, comme jadis les États-Unis avaient créé le mouvement d’indépendance du Panama en Colombie.

    En définitive, la société égyptienne n’a pas supporté ce traitement de choc. Comme je l’écrivais dans ces colonnes, il y a trois semaines, elle a ouvert les yeux en observant la révolte des Turcs contre le Frère Erdogan. Elle s’est rebellée et a lancé un ultimatum au président Morsi. Après s’être assuré par téléphone auprès du secrétaire US à la Défense, Chuck Hagel, que les États-Unis ne tenteraient rien pour sauver l’agent Morsi, le général al-Sissi a annoncé sa destitution.

    Ce point mérite une explication : Mohamed Morsi s’est présenté, lors de son avant-dernier discours à la Nation, comme un « savant ». C’est en effet un ingénieur spatial ayant fait carrière aux USA, ayant acquis la nationalité états-unienne, ayant travaillé à la NASA et disposant d’une accréditation US secret-Défense. Cependant, si Morsi a été lâché par le Pentagone, il a par contre été soutenu —jusqu’à son arrestation— par le département d’État, que ce soit par l’ambassadrice au Caire Anne Patterson, par les porte-parole Patrick Ventrell et Jan Psaki, ou par le secrétaire d’État John Kerry. Cette incohérence manifeste le désarroi de Washington : d’un côté la raison interdisait toute possibilité d’intervention, d’un autre les liens trop étroits de Morsi avec les Frères musulmans l’ont privé de toute solution de rechange.

    La chute de Mohamed Morsi marque la fin de la prééminence des Frères musulmans dans le monde arabe. Et ce, d’autant plus, que l’Armée a annoncé sa destitution en s’entourant des forces vives de la société, incluant les « savants » de l’Université al-Azhar.

    L’échec de Morsi est un coup dur pour l’Occident et ses alliés, le Qatar et la Turquie. Dès lors, on peut logiquement se demander si elle ne marque pas la fin du « printemps arabe » et de nouveaux bouleversements en Tunisie, en Libye, et bien sûr en Syrie.

    Thierry Meyssan http://www.voltairenet.org via http://aucoeurdunationalisme.blogspot.fr/

  • Journal de Bord de Jean-Marie Le Pen n°322, 324 et 325

    http://www.youtube.com/watch?v=RrXeFzN8fLY http://www.youtube.com/watch?v=2Uyn3BWPNFg http://www.youtube.com/watch?v=1O9FRwFyrG8

  • Pierre Hillard - Autour de l'actualité

    http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=a_naD9zTYxY

  • Olivier Delamarche : « La population américaine se paupérise »

    Olivier Delamarche, du groupe Platinium Gestion, le 09 juillet 2013 sur BFM Radio, met les points sur les i, dans l’émission “Intégrale Placements“, face à Cédric Decoeur.
    « La population américaine se paupérise, avec des petits boulots à temps partiel ou des boulots qui ne paient pas. Bernanke n’arrêtera pas ses programmes de quantitative easing et, très probablement, il en remettra même une bonne couche. Les élections en Allemagne ne vont pas changer quoi que ce soit, nous sommes allés tellement loin que la seule solution est de continuer, exactement comme c’est le cas aux États-Unis. »

    http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=teFlPPg2mbU
    http://fortune.fdesouche.com/

  • Qui est Edward Snowden ? – Discours de Glenn Greenwald, le journaliste qui a divulgué l’affaire

    Le courage, c’est contagieux.
    Polémia a reçu d’un correspondant – que nous remercions pour ce très gros travail – la traduction du très long discours, prononcé, à la Conférence annuelle du socialisme fin juin à Chicago, par Glenn Greenwald, chroniqueur américain au quotidien britannique The Guardian. G. Greenwald a diffusé au monde entier les révélations d’Edward Snowden sur les écoutes systématiques et illégales par les services de renseignement américains.
    Devant la difficulté d’en publier la totalité en raison de sa longueur, nous nous limitons à reproduire ici, extraite de la traduction de notre correspondant, la partie consacrée à la personnalité de Edward Snowden. Néanmoins, nous encourageons nos lecteurs à en prendre connaissance en versions française et/ou originale à partir des liens qu’ils trouveront en fin d’article.
    Polémia
    A la Conférence annuelle du socialisme de Chicago hier soir, Glenn Greenwald a prononcé un discours dans lequel il a relaté comment il était entré en rapport avec Edward Snowden. Il a parlé de sa surprise de le voir aussi jeune et comment la détermination et la conviction profonde du jeune homme lui avaient inspiré le courage de publier les documents qui allaient lui être transmis au cours des trois ou quatre mois suivants.
    Greenwald décrit comment les révélations sur la NSA ont non seulement exposé les Etats-Unis en tant qu’Etat sous surveillance mais aborde aussi la corruption et le pourrissement moral de l’establishment du journalisme dans ce pays. Il a également transmis à l’auditoire le message qu’il ne fallait pas craindre le « climat de peur » que le gouvernement américain souhaite imposer à ceux qui osent défier son pouvoir. Ce qui suit est la transcription de son discours après une introduction et un préliminaire au cours duquel il rendit hommage à Jeremy Scahill qui venait de le présenter à l’auditoire. Puis, après quelques réflexions, il décida de s’asseoir pour tenir le discours qui suit.
    […]
    La première fois que j’ai été contacté par Edward Snowden remonte à plusieurs mois. Il m’a contacté par courriel. Il ne disait pas son nom. Je n’avais aucune idée de qui m’appelait. Il ne disait pas grand-chose. Il disait simplement qu’il avait des documents qui selon lui pouvaient m‘intéresser, ce qui devait devenir par la suite le plus grand euphémisme de la décennie. Mais il ne me disait pas grand-chose le concernant et plusieurs mois ont passé parce que nous parlions de la création d’un système de cryptage et d’autres choses et ce n’est vraiment que lorsqu’il est arrivé à Hong Kong, avec les documents, que nous avons vraiment commencé à avoir des discussions substantielles sur sa personne, ce qu’il faisait et le genre de documents en sa possession. Et j’ai passé de nombreuses heures à discuter en ligne avec lui quand il était à Hong Kong mais j’ignorais son nom. Je ne connaissais rien de son parcours, de son âge, ni même de son lieu de travail. Il essayait de me faire venir à Hong Kong pour parler avec lui mais avant que j’aille à Hong Kong, faire la moitié du tour du monde en avion, je voulais des garanties et savoir si ça en valait vraiment la peine, s’il y avait du solide derrière ce qu’il disait.
    Donc il m’a envoyé de quoi me mettre en appétit, comme on fait avec un chien à qui on présente un biscuit sous le nez pour le faire aller là où on veut qu’il aille. C’est ce qu’il a fait pour me persuader de venir à Hong Kong. Ces documents, même s’ils n’étaient qu’un petit échantillon, étaient les choses les plus extraordinaires que j’avais jamais vues.
    Je me souviens qu’après avoir lu les deux premières pages, j’étais littéralement pris de vertige, étourdi par une sorte d’extase et d’exaltation devant ce qu’il détenait. Et comme la plupart d’entre nous lorsque nous communiquons exclusivement en ligne avec quelqu’un, j’ai commencé à me forger une idée sur sa personnalité. J’étais quasiment certain qu’il était plutôt âgé, avoisinant la soixantaine et que c’était un bureaucrate, cadre au sein d’une de ces agences d’Etat de la sécurité nationale, plutôt grisonnant et en fin de carrière. La raison qui faisait que je pensais cela, c’est qu’à l’évidence il était haut placé pour avoir pareil accès à des documents top secret.
    Il avait aussi une notion incroyablement sophistiquée et mûrement réfléchie de la nature de l’appareil de sécurité nationale ainsi que de sa propre relation avec cet appareil, si bien que je me suis dit que cela signifiait qu’il avait dû réfléchir à tout cela et interagir avec ces éléments depuis des dizaines d’années.
    Mais la vraie raison pour laquelle je pensais qu’il avait cet âge, dans la soixantaine, près de la retraite, peut-être même approchant la fin de sa vie, c’est qu’il soulignait, et ce dès nos premiers contacts, le fait qu’il savait pertinemment que ce qu’il faisait allait pour l’essentiel bouleverser sa vie et probablement la détruire. Il prévoyait que les chances de finir probablement en prison pour le reste de sa vie, si ce n’est pire, étaient très élevées, probablement inévitables ou, du moins, qu’il devrait fuir l’Etat le plus puissant du monde pour le reste de sa vie. Je ne me suis pas consciemment fait cette réflexion, mais je pense que j’ai tacitement supposé que quiconque était prêt à faire un pareil sacrifice de sa vie était probablement quelqu’un qui avait dû beaucoup souffrir et qui de toute façon était proche de la fin pour avoir accumulé autant de bravoure.
    Quand je suis arrivé à Hong Kong et que je l’ai rencontré pour la première fois, je me suis trouvé plus désorienté et plus rempli de confusion que je ne l’avais jamais été de ma vie. Non seulement il n’avait pas soixante-cinq ans, il en avait vingt-neuf, mais il faisait beaucoup plus jeune. Et donc, lorsque nous sommes allés dans sa chambre d’hôtel pour commencer à lui poser des questions (Laura Poitras, la caméraman, et moi-même), ce que je voulais comprendre par dessus tout était ce qui l’avait poussé à faire ce choix extraordinaire, d’une part parce que je ne voulais pas faire partie d’un événement qui allait détruire la vie de quelqu’un si cette personne n’était pas complètement lucide et rationnelle vis-à-vis de la décision qu’elle était en train de prendre, mais aussi parce que je voulais vraiment comprendre, juste par curiosité personnelle, ce qui poussait quelqu’un qui a toute la vie devant lui, qui vit avec une petite amie depuis longtemps dans un cadre des plus désirables à Hawaï, dans un emploi stable relativement bien payé, à tout jeter ainsi pour devenir instantanément un fugitif et un individu qui allait probablement passer le reste de sa vie dans une cage.
    Plus je lui parlais, plus je comprenais et plus j’étais dépassé et plus cela devenait une expérience formatrice pour moi et pour le reste de ma vie parce que ce qu’il me disait encore et toujours, de plusieurs façons, et toujours avec une attitude si pure et si passionnée que je n’ai jamais douté pour un moment de son authenticité, est qu’il y avait dans la vie des choses plus importantes que le confort matériel, que la stabilité d’un emploi, ou bien que le simple fait d’essayer de prolonger sa vie le plus longtemps possible. Ce qu’il n’avait de cesse de me dire, c’est qu’il ne jugeait pas sa vie en fonction de ce qu’il pensait de lui mais en fonction des actes qu’il accomplissait en conformité avec ses convictions.
    Lorsque je lui ai demandé comment il en était arrivé au point de vouloir prendre le risque auquel il savait qu’il s’exposait, il m’a répondu qu’il avait longtemps cherché un chef de file, quelqu’un qui arriverait et réglerait ces problèmes. Et puis un jour, il s’est aperçu que ça ne servait à rien d’attendre, qu’être un chef de file, c’est s’engager soi-même d’abord et donner l’exemple aux autres. Ce qu’il disait, au final, c’est qu’il ne voulait pas vivre dans un monde où l’on permettait au gouvernement américain de se lancer dans ces invasions extraordinaires, de construire un système ayant pour objectif la destruction de toute vie privée individuelle, qu’il ne voulait pas vivre dans un tel monde, et qu’il ne pouvait pas, en bonne conscience, rester à ne rien faire et permettre que cela se passe ainsi, sachant qu’il avait le pouvoir d’aider à y mettre un terme.
    Ce qui m’a le plus frappé à ce sujet, je suis resté onze jours consécutifs avec lui, alors qu’il était toujours un inconnu parce que nous n’avions pas encore divulgué son identité, et je le regardais suivre les débats sur CNN, NBC ou MSNBC ou les autres chaînes du monde entier pour voir ce qu’il avait essayé de provoquer par les actions qu’il avait entreprises. Et je l’ai vu aussi après qu’on eut révélé qu’il était l’homme le plus recherché du monde, que les officiels de Washington le traitaient de traître, voulaient sa tête. Ce qui était ahurissant et continue à l’être encore maintenant pour moi, c’est qu’il n’y avait en lui pas un soupçon de remords, de regrets, ou de peur. C’était un individu complètement en paix avec le choix qu’il avait fait parce que ce choix qu’il avait fait était si incroyablement puissant. J’étais moi-même incroyablement ébloui d’être à côté de quelqu’un qui avait atteint un tel degré de tranquillité parce qu’il était tellement convaincu d’avoir fait ce qui était juste, et son courage, sa passion m’ont imprégné au point que j’ai juré que, quoi que je fasse dans ma vie de cette histoire et au-delà, j’allais consacrer ma vie à faire justice à cet incroyable acte de sacrifice personnel qu’Edward Snowden a accompli. Et cette énergie, je le constatais alors, impregna tout le monde au Guardian, qui est une organisation médiatique très importante, et je suis la dernière personne à faire l’éloge d’une organisation médiatique, même une où je travaille, surtout une où je travaille. Pourtant j’ai vu depuis quatre semaines les rédacteurs du Guardian, les rédacteurs en chef qui ont dirigé le Guardian et se sont, depuis des années, engagés dans un journalisme intrépide et courageux, ignorer jour après jour le climat de terreur et les menaces du gouvernement américain et affirmer : nous allons continuer à publier toute information que nous pensons devoir publier pour le bien commun.
    Si vous parlez à Edward Snowden et lui demandez, comme je l’ai fait, ce qui l’a inspiré, il parle d’autres individus qui se sont lancés dans des comportements courageux similaires, comme Bradley Manning ou ce vendeur ambulant tunisien qui s’est immolé et a déclenché une des plus grandes révolutions démocratiques de ces quatre ou cinq derniers siècles. Ce dont j’ai vraiment commencé à prendre conscience avec cette affaire, c’est deux choses. Un : que le courage c’est contagieux. Si vous faites un acte courageux en tant qu’individu, vous changerez littéralement le monde, parce que vous allez affecter toutes sortes de gens de votre entourage immédiat qui ensuite affecteront d’autres puis ceux-là encore d’autres. On ne devrait jamais douter de sa capacité à changer le monde. La deuxième chose que j’ai comprise, c’est que peu importe ce que vous êtes en tant qu’individu ou ce que représentent en terme de pouvoir les institutions que vous défiez. M. Snowden n’a jamais eu son bac. Ses parents travaillent pour le gouvernement fédéral. Il a grandi dans un milieu modeste de la classe moyenne au sein d’une communauté militaire en Virginie. Il a fini par rejoindre l’armée américaine parce qu’il pensait au début que la Guerre d’Irak était noble. Il a fait de même avec le NSA et la CIA parce qu’ils pensait que ces institutions étaient nobles. C’est quelqu’un qui a zéro privilège, zéro pouvoir, zéro position, zéro prestige, et pourtant, à lui tout seul, il a littéralement changé le monde et par conséquent…
    Une des choses que j’ai réalisées assez tôt est que non seulement lui mais aussi toutes les personnes qui auront été impliquées dans la publication de ces articles allaient être attaqués et diabolisés de la manière que Jeremy a décrite. On assiste à toutes sortes d’attaques contre lui qui sont complètement absurdes et contraires à la réalité. On entend tout d’un coup des psychologues de salon qui viennent déclarer qu’il est narcissique. Je ne suis même pas sûr qu’ils savent ce que cela veut dire, mais c’est devenu le scénario qu’ils récitent tous. C’est quelqu’un qui aurait pu vendre ces documents des millions de dollars à des services de renseignement et passer le reste de sa vie enrichi en secret au-delà de ses rêves les plus fous et il n’en a rien fait. Au contraire, il s’est porté volontaire et a fait de lui une cible pour le bien de nous tous. Ou alors ils essaient de remettre en question ses motivations et disent que c’est seulement quelqu’un qui recherche la célébrité, ou une “pute médiatique” qui est leur phrase préférée en ce moment. J’ai passé ces trois dernières semaines à me faire harceler au téléphone par les plus ridicules stars des médias des Etats-Unis qui veulent à tout prix obtenir un entretien avec Edward Snowden et le mettre tous les jours dans leur émission. Il aurait pu être l’une des personnes les plus célèbres du monde. Il est bien plus du genre reclus que “pute médiatique”. Il a refusé toutes ces interviews parce que sa véritable motivation pour faire ce qu’il a fait est exactement ce qu’il a dit, c’est-à-dire non pas de se rendre célèbre, mais de rendre compte aux gens des Etats-Unis et du monde de ce qui est en train de leur être fait en secret par le gouvernement américain.
    La raison pour laquelle les gens comme Edward Snowden sont régulièrement diabolisés, la raison pour laquelle il est si important de les traiter de malades psychiques, comme ils l’ont fait avec Bradley Manning, comme ils essaient de faire avec tous les dénonciateurs, comme ils l’ont fait avec Daniel Ellsberg, c’est parce qu’ils savent précisément ce que j’ai dit, à savoir que le courage est contagieux. Et qu’il va donner l’exemple à d’autres gens qui, comme lui, vont se démarquer et dénonceront les tromperies, les illégalités et la corruption qu’ils font dans l’ombre. Il leur faut faire un exemple négatif pour que cela ne se reproduise pas et c’est la raison pour laquelle les gens comme Edward Snowden sont tellement diabolisés et attaqués et c’est pourquoi c’est à chacun de nous qu’il revient de le défendre et de voir en lui le noble exemple qu’il représente afin qu’il obtienne la reconnaissance qu’il mérite. Tel a été l’effet révélateur que tout cela a eu sur moi personnellement, et je suis sûr que je n’ai peut-être pas encore réfléchi à toutes les implications et je continuerai à le faire dans les mois qui viennent. Mais j’ai une certitude : c’est que cette expérience sera une expérience formatrice pour moi et pour des millions de gens dans le monde entier et par bien des manières.
    […]
    Glenn Greenwald
    Journaliste
    28/06/2013
    Traduction : Pierre Mille http://www.polemia.comDiscours intégral en français à lire, dont certains commentaires au sujet des révélations faites par Edward Snowden, sur :
    http://avicennesy.files.wordpress.com/2013/07/a-la-confc3a9rence-annuelle-du-sociali.pdf
    Discours integral en version originale sur :
    Article paru le 28 juin 2013, http://niqnaq.wordpress.com/2013/06/30/i-shall-be-interested-to-see-whether-the-right-wing-conspiromaniacs-are-still-claiming-all-this-is-a-limited-hang-out-by-the-cia/

    (http://www.youtube.com/user/WeAreManyMedia)

  • Syrie, important coup de balai à la direction


    Syrie, important coup de balai à la direction
    A Damas, le Comité central du Parti Ba’ath Arabe Socialiste a tenu le 7 juillet une réunion élargie sous la présidence du président Bachar al-Assad, secrétaire régional du Parti.
    Le Ba’ath syrien, au pouvoir en Syrie depuis la Révolution de 1963, est constitué d’un « Commandement national » pan-arabe – le parti étant une organisation transnationale arabe (il y a des sections régionales dans de nombreux pays arabes) – et d’un « commandement régional », qui gouverne la Syrie.
    Le président syrien Bachar al Assad a écarté ce lundi tous les anciens dirigeants du parti, dont le vice-président critique Farouk al-Chareh. « Les membres du commandement national ont été renouvelés », affirme le parti sur son site, donnant les noms des 16 membres de la nouvelle direction, dont Bachar al-Assad. En revanche, le comité central a écarté le vétéran Farouk al-Chareh, très hostile à l’égard de la politique du chef de l’Etat.
    Voici ces 16 membres :
    Dr Waël al-Halaqi (premier ministre), Mohammad Jihad al-Laham (speaker de l’Assemblée nationale), Ammar Saati, Imad Khamis, Mohammad Chaban Azouz, Hilal Hilal, Abdelnasser Chafi’, Abdel-Mo’eiti al-Machlab, Fayrouz Moussa, Rakane al-Choufi, Youssef al-Ahmad, Najem al-Ahmad, Khalef al-Moftah, Hussein Arnous et Malek Ali.
    Le Premier ministre syrien Waël al-Halaqi ainsi que le président du Parlement Jihad Lahham ont fait leur entrée dans ce commandement du parti.
    Farouk al-Chareh, qui s’était prononcé fin 2012 pour une solution négociée de la crise en Syrie, reste cependant vice-président. Il détient ce poste depuis 2006 après avoir été pendant 22 ans le chef de la diplomatie syrienne. Il avait été évoqué pour remplacer Bachar al-Assad en cas de transition négociée.
    « Ce coup de balai s’explique par les nombreuses critiques venues de la base du parti Ba’ath sur les mauvais résultats de la direction avant et durant » le conflit, a affirmé à l’AFP Bassam Abou Abdallah, directeur du Centre de Damas pour les études stratégiques. « Elle avait de mauvais résultats et un discours trop rigide. Ce changement complet montre le niveau de mécontentement », a-t-il ajouté.
    En arrière-plan, il a aussi les défections de certains dirigeants de l’ancienne direction, liés à la corruption (que combat la nouvelle équipe) ou passés à la pseudo à l’ennemi occidental, comme la famille Tlass réfugiée à Paris, le père compagnon de Haffez al-Assad, le fils Manaf ex-ami de Bachar al-Assad, devenu général félon et qui était devenu l’une des cartes de réserve des USA pour remplacer le président syrien. Il ne faut toutefois pas surestimer ces défections, moins de 200 cadres et officiers sur des milliers. Bien au contraire, leur défection a été une auto-épuration bénéfique au Ba’ath.
    Le Ba’ath, au pouvoir en Syrie depuis le 8 mars 1963, n’est plus officiellement depuis 2012 le parti qui « dirige la société », mais il reste de fait la formation la plus influente du pays. Il s’agit du premier renouvellement de sa direction depuis 2005. A l’époque, la plupart des vétérans issus des années de fondation et de révolution (1945-70) avaient quitté le commandement, qui comptait alors 14 membres.
    Lors de cette réunion, le président al-Assad a fait une analyse politique de la guerre déclenchée contre le peuple syrien et des derniers développements à ce sujet, ainsi que sur les positions arabes et internationales et le rôle du Parti dans la période actuelle. « Le secrétaire régional du Parti a souligné la nécessité de faire une révision critique de la prestation du Parti et de ses cadres dans le but de renforcer les points positifs et de surmonter ceux négatifs, faisant noter que le pas le plus important est de trouver des canaux de communication entre les directions du Parti Ba’ath et la base populaire pour approfondir l’interaction avec les citoyens », explique le Ba’ath en arabe sur son site.
    « L’une des plus importante priorité du Parti Ba’ath dans la prochaine étape est le renforcement de la cohésion nationale en se référant aux organisations et aux syndicats comme étant les plus importants outils pour réaliser ces objectifs », a estimé Bachar al-Assad, précisant que « l’histoire de la lutte du Parti Ba’ath doit être la base de tout processus de développement, via la consolidation de la culture du dialogue et l’action populaire ».
    Quant à la question de la structure du Part Ba’ath, le président al-Assad a souligné « l’importance de mettre au point des normes précises quand à la hiérarchie partisanne et des mécanismes efficaces pour attirer les compétences et choisir les représentants du Parti qui sont capables de réaliser les intérêts de toutes les catégories: ouvriers, paysans et artisans ».
    De leurs côtés, certains membres dudit Comité central ont abordé, dans leurs interventions, « la prestation du Parti pendant la crise et son rôle dans la défense de la patrie ». D’autres membres ont critiqué « le rôle des cadres du Parti Ba’ath durant cette phase sensible de l’histoire de la Syrie », le qualifiant « d’incompatible à l’histoire du Parti Ba’ath ».
    Le Comité central du parti a choisi ensuite la nouvelle direction régionale du Parti, avec le président Bachar al-Assad comme secrétaire régional.
    La perspective politique de l’élection présidentielle de 2014 – où Bachar sera candidat –et le développement de la démocratie syrienne ne sont évidemment pas étrangères à cette opération de rénovation.
    Jibril al-Malik http://www.voxnr.com