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international - Page 1316

  • Extraordinaire : l’austérité est une erreur mathématique

     

    C’est une information extraordinaire, dont les conséquences sont immenses, mais qui fait beaucoup moins parler que les dérives pathétiques d’un acteur célèbre. C’est un rapport de 44 pages signé par un économiste en chef du FMI, un Français, Olivier Blanchard. Il dit tout simplement que les plus hautes instances économiques mondiales et européennes se sont plantées en imposant, au nom de la science, l’austérité à toute l’Europe.

    Ce que dit Olivier Blanchard, c’est que le modèle mathématique sur lequel s’appuyaient ces politiques visant au désendettement radical, et au retour sacré à l’équilibre budgétaire, comportaient une erreur au niveau, je cite, du multiplicateur fiscal. Pour simplifier beaucoup, ce modèle mathématique, donc incontestable, prévoyait que lorsqu’on retire un euro dans un budget il manquerait un euro dans le pays concerné. Or c’est faux. Pour des raisons qui tiennent à une réalité parfaitement triviale, et qui est que les hommes sont humains, cette austérité a déclenché des réactions collectives qui ont abouti à ce que cet euro retiré a provoqué la perte de trois euros dans les sociétés concernées.

    Multipliez par des milliards, et vous comprendrez pourquoi l’austérité imposée à coup de sabre par des troïkas savantes n’a conduit qu’à plus d’austérité, plus de chômage, et plus de récession. (…)

    Lire la suite sur un blog Mediapart

    —————–

    A lire en complément :

    - Des responsables du FMI révisent leurs calculs du prix de l’austérité (sur le site du Temps)

    - Oups, le FMI s’est trompé sur l’austérité (sur le site de Libération)

    - Les commentaires de Jacques Sapir (sur son blog – concernent la même thèse, déjà succinctement évoquée par un rapport du FMI en octobre 2012)

    - Austérité en Europe : l’énorme boulette du FMI (sur le blog de Gilles Raveaud, repris par Wikistrike)

    - Le FMI s’est-il réellement trompé dans son calcul sur l’impact de l’austérité ? (sur le blog Captain Economics)

    http://fortune.fdesouche.com/

  • Affaire Depardieu : France 2, Joffrin, Glucksman, Hollande … étrillés par « la Voix de la Russie » (vidéo)

    Journal hebdomadaire de Voix de la Russie – 7 janvier 2013

    Bienvenue pour cette nouvelle édition du journal télévisé de La Voix de la Russie. Ce rendez-vous hebdomadaire en français vous présente les actualités russes, françaises et internationales sous l’angle de la réinformation.

    Contrairement à une vision tronquée et manichéenne de l’information délivrée par le mainstream médiatique français, nous nous efforcerons de vous faire percevoir que la vérité n’est jamais toute entière du même côté…

    Au sommaire de cette édition du 7 janvier 2013 :

    1. Les voeux 2013 : face à la lucidité de l’Allemagne et de la Russie, les voeux utopiques de François Hollande
    2. Russie : nouvelle terre d’accueil pour les monstres sacrés de la France
      Le départ de Depardieu : quand les médias français font étalage de leur mauvaise foi, France 2 s’illustre par sa haine anti-poutine et anti-russe.
    3. Rodin et Massenet : honorés par les artistes russes
    4. En bref et en détail :
    • Vénézuéla : mais qui veut la peau d’Hugo Chavez ?
    • Jour de l’an en France : 1500 voitures brûlées, les socialistes veulent interdire les pétards
    • G20 : la Russie persiste dans sa volonté de perfectionnement de l’architecture financière mondiale
    • 100e anniversaire du tour du monde en Vélo. Deux Russes récidivent !

    http://www.fdesouche.com/

  • La démocratie globale et les fondements postmodernes de la théologie politique

    Polémia présente à ses lecteurs le texte – reçu de l'auteur lui-même – de l'intervention de Jure Vujik lors du séminaire sur « L’ETAT, LA RELIGION ET LA LAÏCITE » organisé par l’Académie de Géopolitique de Paris, dans le cadre des grandes questions géopolitiques du monde d’aujourd’hui, le jeudi 22 novembre 2012 à l'Assemblée nationale. Jure Vujik développe en partie son argumentation sur certains principes retenus par Carl Schmitt, notammant sur la notion de Souveraineté et les rapprochements entre les concepts théologiques et étatiques.
    Polémia

    La postdémocratie globale face au défi de la démoi-cratie

    Avec la globalisation et le phénomène institutionnel de la supranationalité dans l’ordre international, on voit apparaître une nouvelle forme de démocratie globale qui, contrairement aux contours territoriaux et ethno-nationaux bien définis de l’Etat-nation de la modernité, transcende le concept de la souveraineté étatique et de la territorialité comme fondement de la démocratie moderne classique. La démocratie n’est plus le vecteur ni le lieu privilégié de la place publique nationale, la Polis et l’Agora grecques, car en se globalisant et en se dé-territorialisant, elle transfert le débat publique et la sphère publique á un autre niveau transnational et global qu’illustrent si bien les vocables suivants : global marketplace, global communications et global civil society (1).

    D'autre part sur le plan du pouvoir politique, la nouvelle « gouvernance globale » impose une dynamique transnationale de dialogue, de négociation et de résolution des conflits. Néanmoins les critiques restent vives á l'égard de cette forme contemporaine de gestion politique suspectée de vouloir instaurer une nouvelle forme de « pouvoir planétaire », de « gouvernement mondial » et d'être l'instrument privilégié de l'uniformisation néolibérale économique et financière. La gouvernance globale serait en quelque sorte l'incarnation d'un « leviathan mondial », dont les ressorts néospirituels et théologiques du gouvernement mondial proviendraient de la constitution d'Anderson et des textes fondateurs du messiannisme universaliste étatsunien. Parallèlement au développement de cette gouvernance globale s'accroît le pouvoir planétaire de la « médiacratie » et l'emprise des mass-médias, conjuguée á celle de l'industrie de l'entertainement, la société de spectacle Debordienne, les stratégies de séduction de Lyotard constituent aujourd'hui les piliers de ce qu'Habermas nomme « la servitude volontaire » et de la re-féodalisation sociale .

    Raison instrumentale et hybris globale

    Il semblerait qu'en dépit de son voile technoscientiste et hyperrationnaliste, la démocratie politique globale constitue en fait un véritable laboratoire de l'esprit, comme l'appelait Julien Benda, dans lequel on s'efforce de générer, sur des fondements constructivistes et séculiers et paradoxalement néothéologiques, une nouvelle forme d'identité globale, un « readymade d'identité » consommable, jetable et interchangeable comme symbole d'un processus d'« a-culturation globale ». L'argument iréniste du déclin de la conflictualité et de l'éradiction de la guerre semble être un leurre face á la montée des extrémismes et ethnoconfessionnels en Europe occidentale et dans le monde entier et l'intensification des dispositifs identitaires et guerriers á l'échelle globale. La « raison instrumentale » déifiée par les Lumières et la sécularisation moderne d'aujourd'hui semblent constituer dans leur forme radicale le levier le plus pussissant d'un processus de re-théologisation de la politique globale. En effet, lorsqu' Habermas opposait la « raison supra-nationale » á la « passion nationale » dans le cadre de la construction européenne, il ne se doutait sans doute pas que le fondamentalisme séculier ou « sécularisé » contemporain et l'idolâtrie néolibérale du marché engendreraient á l'échelon mondial la volonté d'imposer manu militari le modèle de la démocratie de marché, et, avec l'interventionnisme botté de type Wilsonien des Etats-Unis en tant que « gendarme bienveillant du monde », une nouvelle forme d'irrationalité supranationale, reflètant un certain Eros globaliste démesuré. Ici les rôles sont inversés: la figure dionysiaque et érotique du national qui coïncide á la période pré-moderne selon Joseph Walter semble céder la place á une postmodernité globalisante, qui, loin d'être synonyme d'une civilisation policée et mesurée sous la forme d'un néohumanisme rénové, revêt les formes de l'« hybris » polémogène d'une néo-impérialité théologique conquérante. L’ensemble du projet des Lumières, qui s’est répandu en Europe occidentale et de par le monde entier du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours, avait pour objet principal de « séculariser » la politique afin d’en extraire les éléments religieux, absolutistes et théologiques. Carl Schmitt constata á merveille, dans la Théologie politique, que l’ensemble des principes politiques modernes contemporains constituent des concepts théologiques sécularisés. En effet, l’expansionnisme parfois violent de ce que l’on appelle le fondamentalisme du marché et l’intégrisme séculier génère en quelque sorte les nouvelles formes de replis identitaires et ethnoconfessionnels sous forme d’intégrisme national et religieux.

    La modélisation de l'espace géopolitique entre ingénierie et sacralité

    En effet, en matière géopolitique, la re-théologisation des visions et des stratégies politiques passent par la classification et la réduction de l'espace « rival » « hostile » « polémogène » á une « zone chaotique », á une zone soumise á un traitement de l'ingénierie sociale. L'ensemble de l'espace mondial reste sujet á une modélisation et á un formatage géoconstructiviste croissant. Cette grille de lecture et de traitement binariste voire manichéenne du pouvoir dans les relations internationales en vient á classer, selon un mode discriminatoire et dogmatique, les cartes géopolitiques selon une gradation des menaces et de la nature des régimes politiques hostiles en place : les « Etats parias », les « Etats voyous », « les Etats désobéissants », qui deviennent des zones de guerre, des zones d'ingénierie para-gouvernementale, alors que les zones de marchés émergents deviennent des zones d'ingénierie financière globales. A ce titre R. Cooper parle de « zones chaotiques pré-historiques et pré-modernes », dans lesquelles les pouvoirs de la postmodernité démocratique sont appelés á intervenir pour imposer la paix, la stabilité et la démocratie de marché, et cela toujours au nom de ce vieux fond religieux d'absolutisation du projet et du modéle sociopolitique occidental. A ce titre, cette classification n'est pas sans rappeler la géographie sacrée et biblique qui fait référence aux terres barbares, « terres d'impies ». La constitution et l'émergence d'un seul et unique peuple « demos » global reste encore un lointain projet, dans la mesure où il se heurte á la pluralité ethnique, anthropologique et culturelle des « demoi », des peuples singuliers, qui s'inscrivent dans de longues continuités historiques, organiques spatiotemporelles. Les projets Habermasiens d'un « patriotisme constitutionnel », le projet Kantien de « paix perpétuelle » ainsi que l'universalisme Wilsonien incarné par la Société des Nations, souffrent d'une grave carence constructiviste et mécaniciste, car ils procèdent de cette croyance irrationnelle en la séparation du demos de l'ethnos, afin de soustraire l'identité á l'histoire et ouvrir la voie vers une forme d'identité postnationale déconnectée de toutes références territoriales et historiques. Avec ce phénomène de re-théologisation de la politique, la démocratie de marché impérative et conquérante prend les formes d'une « demoi-cracy » détachée dun pôle territorial et organique légitimisant, pour constituer une sorte de matrice néo-impériale expérimentale. A ce titre il semblerait plus sage, dans ce processus de globalisation de la démocratie, d'éviter les écueils d'une contrainte verticale d'uniformisation imposée d'en haut et du « dehors » et, comme le préconise Nicolaidis, appliquer une approche dialogique horizontale entre Etats souverains, qui se reconnaissent dans le modèle d'une « démo-krateo » participative et ethnodifférentialiste, qui conjugue des intérêts similaires et complémentaires.

    Sotériologie et « rêve unitariste »

    La modernité occidentale a marqué le passage d’une interprétation transcendentale et magico-théologique de la politique vers une forme immanente, rationaliste et constructiviste de la politique. Cependant malgré cette mutation épistémologique, les références religieuses subsistent á l’état latent ou manifeste dans la politique contemporaine. A ce titre M. Gauchet remarque que « les trois idoles du libéralisme: nation, progrès et science » reposent sur une extension du religieux dans le domaine politique en tant que nouvelle sotériologie séculière, recherchant le salut dans la société du marché et du bien-être. La parousie linéaire et progressiste vers l’accomplissement du bonheur terrestre et du bien-être matériel et social constitue ici la transposition de la parousie linéaire eucharistique et religieuse. L'avènement de l'« âge organisationnel » qui a préfiguré la refondation d'un monde « sans maître » et qui a tenté d'expurger le domaine du politique des ressorts pré-modernes, a par voie de conséquence ouvert la voie á une phase libérale que Marx appellera « l'âge orgiastique ». La séparation de la société de l'Etat, la disparition des corps communautaires intermédiaires évoqués par F. Tonnies, ainsi que la dispartion de la communauté organique au profit de la vision sociétaire et contractuelle (Durkheim), s'incrivent dans le droit fil de la « dé-théologisation et la dé-mythification de l'histoire » depuis l'âge des Lumières jusqu'à nos jours. Les théoriciens de l'Etat, Jellinek, Esmein et Hauriou ainsi que Carré de Malberg remarqueront que ce passge vers une nouvelle forme d'ordre étatique se fonde sur l'abstraction et l'impersonnalité des structures législativo-administratives (venant parachever les thèses Weberienne sur la légitimité légale du pouvoir politique) assurant la continuité et l'efficience de l'Etat. Néanmoins la fascination de l'« Unité », le « rêve unitariste », ne disparaîtra pas du domaine politique puisque le globalisme s'évertuera á promouvoir un monde uniforme autocentré, auto-réferentiel (« le One World »), fondé sur une unité constructiviste et mécanique. Ce rêve unitariste est un des avatars du fameux « désenchantement du monde » Weberien en tentant d'unifier l'ethos et le logos politique, l'économicisme et la raison instrumentale avec le discours émancipateur. La nouvelle postdémocratie libérale souffre d'un grave handicap de représentativité et d'organicité, car, en ayant dénaturé les assises organiques de la démocratie moderne ou pré-moderne, elle a indéniablement détaché le « demos » de la notion de « demoi » porteur de visions singulières du monde et de culture politique spécifique, consacrant le règne de la « politique anonyme ».

    Le retour du religieux et la théologie sociétale

    Néanmoins le monde contemporain reste confronté au phénomène du « retour du religieux » dans la sphère sociale et politique. Ce phénomène est vérifiable au niveau global : intégrisme islamique, néoconfucianisme en Chine communiste, l'émergence des Asian Values et de l'Hinduistan en Inde et en Asie. La redécouverte du religieux en tant que facteur d'intégration individuelle et collective semble jouer un rôle supplétif parallèlement au déclin des idéologies politiques classiques et à la juridicisation et la technicisation de la politique. Si l'on prend en compte la recrudescence du phénomène religieux en politique aux Etats-Unis où le fondamentalisme chrétien protestant a toujours fait bon ménage avec la politique et les signes d'une certaine « resacralisation » du politique en Russie et dans certains pays européens, on constate que le processus irréversible de la sécularisation du politique est loin d'être fini et l'on assiste paradoxalement á l'avènement d'une société « post-séculaire » caractérisée par un retour du fondamentalisme et d'une instrumentalisation du concept de conflit de civilisation. La sécularisation marquée par un processus d'autonomisation du politique et du domaine social et économique par rapport à la sphère religieuse qui s'est opéré depuis la Révolution francaise (l'Ancien Régime) et dans le sillage l’Aufklärung, a abouti á une neutralisation et une rationalisation du politique qui s'est émancipé du rôle social et organisationnel de l'Eglise et du religieux. Pour le juriste Carl Schmitt, le catholicisme doit être considéré comme le fondement de l’État moderne dans la mesure où tous les concepts de la doctrine moderne de l'État sont des concepts théologiques sécularisés. La théologie est donc par nature politique et l’Église un corps politique car, qu'elle le veuille ou non, elle ne peut pas ne pas produire des effets sur la structuration de la société et de l'État dans lesquels elle est insérée. Contrairement á Carl Schmitt, le théologien d’origine protestante Érik Peterson se refuse á reconnaître la légitimation théologique d’une forme d'organisation politique justifiant une attitude de « résistance critique ».

    Le caractère irréversible d'autonomisation et d'affranchissement du politique de la sphère religieuse semble souvent, commme le souligne le sociologue Jose Casanova (2), partiellement vrai, car, selon lui, il semblerait légitime de parler d’une sécularisation irréversible de nos sociétés dans le cas des Églises établies (c’est-à-dire officiellement incorporées à l’appareil d’État) lesquelles sont devenues incompatibles avec les États modernes différenciés. Ainsi, « la fusion de la communauté religieuse et de la communauté politique est incompatible avec le principe moderne de la citoyenneté, ce qui rejette toute possibilité de théologie politique. Néanmoins toujours selon Casanova dans le cas des Églises qui auront accepté ce désétablissement et se seront approprié le cadre et les valeurs fondamentales de la modernité, il existerait la possibilité pour ces religions non établies de jouer un rôle social. Casanova parle de « déprivatisation » plutôt que de « sécularisation » . Il y aurait donc une place pour le statut des « religions publiques » pour les traditions religieuses qui auront renoncé à la fusion de la communauté politique et de la communauté religieuse. Dans ce cas, cette transformation implique le renoncement à toute « théologie politique » au sens strict, au profit d’une théologie « sociétale ».

    Exégèse et questionnement sur la (dé)-sécularisation

    La sécularisation et la théologie ont entretenu pendant des décennies des relations incestueuses, s’étant mutuellement imprégnées. D’autres penseurs, Jürgen Moltmann ou Jean-Baptiste Metz, ont reconnu le phénomène de sécularisation du religieux en reconnaissant dans la Croix de Jésus un symbole politique. Nombreuses sont les analyses sociologiques de C. Schmitt, Giorgio Agamben et de M. Foucault sur la biopolitique, qui voient dans la théologie chrétienne la source structurante du pouvoir étatique moderne. Hans Blumberger mettra l’accent sur une certaine puissance d’auto-affirmation de la modernité pour la libérer de l’emprise théologico-politique. La question de la sécularisation-religion et le dilemme contemporain relatif à la (dé-)sécularisation ont imprégné les travaux d’Augustin, d’Eusèbe de Césarée, de Maïmonide, de Averroès, des auteurs conservateurs comme de Maistre, Bonald, Donoso Cortés et les philosophes de la contre-Révolution, en passant par Spinoza et au XXe siècle des philosophes tels que Löwith, Strauss, Benjamin, Voegelin et Vattimo. La réflexion sur la Shoah et Auschwitz réhabilitera dans le champ épistèmologique et philosophique la théologie politique, surtout lorsque celle-ci s’applique à la nature eschatologique et nihiliste des régimes totalitaires. Le sociologue allemand Hans Joas (3) dans La foi en tant qu'option (Glaube als Option) juge la laïcité et la sécularisation sociale compatibles avec la religion, en pariant sur le rôle intégrationniste et social de la foi en tant que choix individuel et option. Il constate aussi que l'idée de sécularisation et de progrès s'est cristallisée et a évolué á travers plusieurs phases : après s'être imposée en tant que modèle social en Europe occidentale dans les années 1950 et 1960, elle a évolué à travers la théorie de la modernisation occidentale présentée aux Etats-Unis comme le modèle historique. Le regain du religieux dans le domaine social et politique réapparaît selon lui et de façon paradoxale á l'époque de la postmodernité ouù règne un certain polythéisme des valeurs, á l'époque de « la fin des grands récits » qu'annonçait Lyotard, fin époquale á laquelle Hans Joas ne veut pas croire. Joas enfin voit dans le phénomène de l'autotranscendance individuelle et collective une manifestation du religieux social, qui, déconnectée d'un unique centre théologique de référence, permet le foisonnement et l'affirmation d'identités multiples. Ainsi la laïcité et le processus de sécularisation seraient selon lui un phénomène contingent issu d'un contexte social et historique précis. Tout comme la religion Joas affirme que la sécularisation n'est pas une nécessité impérieuse et irréversible.

    Sécularisation des idées et « sortie de religion »

    La sécularisation contemporaine est multidimensionnelle, car si elle est surtout comprise dans le sens politique (la séparation de l’Église et de l’État), elle tire sa légitimité pratique du domaine sociologique et surtout idéel. En effet, elle a coïncidé avec le vaste phénomène du « désenchantement du monde » et le déclin des croyances religieuses traditionnelles. Avec la relativisation nivelleuse des croyances et le relativisme épistémologique (la religion est une affaire privée et équivaut á n’importe quel autre choix), la sécularisation a permis d’insérer la pensée théologique et religieuse dans le domaine profane. Et par une sorte d’inversion, le profane est devenu sacré. C’est ce que le sociologue Wendrock a constaté lorsqu’il démontre que le concept de « volonté générale » rousseauiste coïncide avec le concept théologique de la « volonté générale de Dieu » que l’on attribue aux jansénistes. Les idées séculières de justice, d’égalité, de salut et de libération sont consubstantielles á l’idée de démocratie, et constituent de même des reliquats de la pensée théologique. Certains auteurs, comme Rémi Brague, critiquent la sécularisation des idées, afin de démontrer que seul le christianisme est en mesure de conserver la cohérence de la morale sociale. Charles Taylor (4) dans  A Secular Age affirme que « le christianisme s’accommode de la sécularisation sans perdre sa substance, son message transcendental ». Il n’est pas certain, d’autre part, que comme le soutient Kolakowski les religions garantissent contre le projet d’un « accomplissement terrestre radical et absolu », car certaines idéologies ultraséculières comme le marxisme et a-religieuses contiennent comme l’a démontré le philosophe Mihael Riklin les matrices quasi religieuses d’une pensée sotériologique en tant que promesse d’une utopie communiste réalisée, á savoir l’accomplissement de la société communiste sans classe. Tous les totalitarismes modernes de droite et de gauche ont emprunté á la religion l’idée de salut et d’émancipation. Le projet totalitaire reste donc émminemment « religieux » dans sa forme et ses buts, tout en empruntant les moyens de persuasion et de coercition sécularisés (la soumission passive, l’internalisation et le conditionnement). De sorte que le projet global d’une humanité uniforme consumériste unifiée par le marché et la communication mondiale prend la forme d’un projet religieux séculier, qui par le biais de la promesse de la société planétaire du bonheur et du bien-être matériel généralisé entend « sortir de l’histoire » tout comme la religion se présente comme un message « transhistorique ». Le projet global politique, économique et culturel, contient les germes d’une re-spiritualisation du politique, car contrairement aux thèses « endistes » d’un Fukuyama ou d’un Gauchet, il ne s’agit pas d’une « sortie de religion » qui marquerait le destin de l’Occident, mais bien au contraire d’un besoin de religion, besoin qui se fait de plus en plus sentir sur les marges paupérisées et la périphérie globale, qui réclame plus de justice et d’égalité.

    Jure Georges Vujic
    avocat, géopoliticien et écrivain franco-croate
    Séminaire sur « L’Etat, la Religion et la laïcité »
    Académie de Géopolitique de Paris
    22 novembre 2012

    Notes :

    (1) E. Stiglitz, La Grande Désillusion, Paris Fayard, 2002.
    (2) Jose Casanova, Public Religions in the Modern World. (1994)
    (3) Hans Joas, Die Kreativität des Handelns, Frankfurt, Suhrkamp, 1992 ; traduction française: La Créativité de l'agir, traduit de l'allemand par Pierre Rusch (titre original : Die Kreativität des Handelns, 1992), Paris, coll. Passages, Les éditions du Cerf, 1999
    (4) Charles Taylor, A Secular Age, Harvard University Press. (2007)

    Dernier livre de Jure Vujic, La modernite à l'epreuve de l'image - L'obssession visuelle de l'Occident, Editions l'Harmattan, octobre 2012, 185 pages.

    Bibliographie :

    LABORDE, C., 2007, Some reflections on European Civic Patriotism, in Simon Piattoni and Riccardo Scartezzini (éd.), European Citizenship : Theories, Arenas, Levels, Edward Elgar.
    LACROIX, J., 2002, For a European Constitutional Patriotism, Political Studies, vol. 50.
    MAGNETTE, P., 2006. Au nom des peuples : le malentendu constitutionnel européen, Paris : Les éditions du Cerf.
    MARKELL, P., 2000. Making affect safe for democracy ? On ‘constitutional patriotism, Political Theory, vol. 28, n° 1, february.
    MULLER, J.W., 2004, Europe : le pouvoir des sentiments. L’euro-patriotisme en question, La République des idées, avril-mai.
    NICOLAIDIS, K., 2006, Notre Demoi-cratie européenne : La constellation transnationale à l’horizon du Patriotisme Constitutionnel, Politique Européenne, n° 19, printemps.
    RAMBOUR, Muriel, 2005. Postnationalisme et intégration politique communautaire. Réflexions sur l’avenir de l’État-nation face à la construction européenne, Lille, Atelier national de reproduction des thèses.
    STERNBERGER, D, 1990. Verfassungspatriotismus, Frankfurt : Insel.
    STIGLITZ E,2002, La grande désillusion, Paris Fayard.
    TASSIN, E., 1994, Identités nationales et citoyenneté politique, Esprit, janvier.
    JOAS H., Die Kreativität des Handelns, Frankfurt, Suhrkamp, 1992 ; traduction française: La Créativité de l'agir, traduit de l'allemand par Pierre Rusch (titre original : Die Kreativität des Handelns, 1992), Paris, coll. Passages, Les editions du Cerf, 1999
    BRUCE, Steve. God is Dead: Secularization in the West (2002)
    CASANOVA, Jose. Public Religions in the Modern World, (1994)
    CHAVES M. Secularization As Declining Religious Authority, Social Forces 72(3):749–74. (1994)
    GAUCHET, Marcel. The Disenchantment of the World, (1985/tr. 1997)
    MARTIN David. A General Theory of Secularization, New York: Harper & Row. (1979).
    SAID , E. Orientalism: Western Conceptions of the Orient, London: Penguin. (1978).
    TAYLOR , Charles. A Secular Age, Harvard University Press. (2007)
    CROUCH, C., 2004, Post-democracy, First Edition.
    FERRY, J. M., 2002.  La référence républicaine au défi de l’Europe, Pouvoirs, n° 100.
    GAUCHET M., 2007, L’Avènement de la démocratie, Paris, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines.
    HABERMAS, J., 1989. A kind of settling of damages, in WEBER N. S. (éd), The New Conservatism. Cultural Criticism and The Historians’Debate, Cambridge : Polity Press.
    HABERMAS, J. 2000, Après l’Etat-nation, Paris Fayard,.
    HABERMAS, J., DERRIDA, J., 2003.  Europe : plaidoyer pour une politique extérieure commune , Libération, 31 mai et 1er juin. HELD S., 1997. Globalization and cosmopolitian democracy, Peace Review

    Articles :

    Rémi Brague, Pour une métaphysique de base » in Regards sur la crise. Réflexions pour comprendre la crise et en sortir, ouvrage collectif dirigé par Antoine Mercier Paris, Hermann Editions 2010.
    Globalisation et deficit de legitimite democratique: faut-il souhaiter une democratie cosmopolitique?, Francois Boucher, Universite Laval, archives Phares, volume 7, 2007.
    Jan-Werner Muller Europe : Le pouvoir des sentiments: l'euro-patriotsime en question, La Republique des Idees, 2008.
    Ingolf Pernice, Franz Mayer, De la constitution composée de l'Europe, Walter Hallstein-Institut, Revue trimestrielle de droit europeen 36, 2000.
    Review: Marcel Gauchet, L’Avènement de la démocratie, Paris, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 2007 ; vol. I, La Révolution moderne, 207 p., 18,50 € et vol. II, La Crise du libéralisme.

    Correspondance Polémia – 9/01/2013

  • 10 preuves que nous vivons dans des économies factices

    « Il est temps d’admettre que nous vivons dans une économie factice », écrit le blog américain The Idealist. Les gens réclament des emplois, et les politiciens les leur promettent, mais les politiciens ne peuvent créer d’emplois. Et il ne faut pas compter sur les médias pour nous ouvrir les yeux, tout occupés qu’ils sont à glorifier les ‘people’, parce qu’ils sont riches. Ainsi, la semaine passée, Kim Kardashian a fait la une du Huffington Post parce que son chat est mort, rappelle-t-il.

    Il cite 10 autres preuves qui attestent de l’illusion de nos économies :

    1/ Les faux emplois. Non seulement les chiffres du chômage sont minimisés artificiellement par les instances gouvernementales, mais 80% des emplois ne produisent aucune valeur. Ils pourraient disparaître demain sans menacer la survie et le bonheur de l’humanité

    2/ Les problèmes créent des emplois, et non des solutions. Nous ne réglerons jamais les problèmes de la drogue, de la violence, des codes des impôts trop complexes, …etc., parce que ces problèmes permettent d’employer des policiers, des percepteurs, des gardiens de prison, des fonctionnaires… En d’autres termes, nous avons besoin de ces problèmes totalement fabriqués pour créer de l’emploi artificiel.

    3/ L’argent n’a pas de valeur. L’argent est l’illusion la plus trompeuse. L’argent n’a de la valeur que parce que la loi le décrète. Mais l’argent n’est que du papier avec de l’encre, et sa valeur réelle est nulle. Les seules choses qui aient de la valeur, c’est le travail, les matériaux, la nourriture, l’eau et l’énergie.

    4/ Les banques centrales rachètent les dettes des nations. Aux Etats Unis, la Fed prête de l’argent au gouvernement américain qui émet des obligations pour financer ses dépenses. Ces obligations sont ensuite proposées aux investisseurs. Mais en pratique, c’est la Fed qui en rachète près de 90%. C’est ce que l’on appelle la monétisation de la dette. Dans la zone euro, cette monétisation de la dette a aussi lieu lorsque la BCE rachète des obligations souveraines des pays en difficulté, comme Mario Draghi s’est engagé à le faire en juillet de l’année dernière.

    Or ceci ne consiste en rien de moins qu’une chaîne de Ponzi. Dans ce système, les taux d’intérêt sont artificiellement maintenus à un bas niveau (s’ils étaient le reflet de la demande réelle des investisseurs pour ces dettes, ils seraient plus élevés).

    5/ La détermination de la valeur est faussée. Le mécanisme de fixation des prix est désormais tellement affecté par des variables exogènes qu’il devient difficile de déterminer quelle est la valeur réelle des choses. Les subventions de l’Etat, les taxes, les lois et les règlements, la manipulation des taux d’intérêt, et la spéculation sur les matières premières sont autant de facteurs qui compliquent la valorisation des biens et des services.

    6/ L’échec est récompensé. On demande aux citoyens de se serrer la ceinture pour porter secours à des gouvernements, des institutions financières, ou des entreprises. Et lorsque quelqu’un réussit par la force de son travail, il est lourdement imposé pour financer les plans d’aide d’institutions qui se sont mal comporté.

    7/ Les organisations privées ont les mêmes droits que les êtres humains, mais pas les mêmes sanctions. Cela devient évident lors de catastrophes industrielles : à quoi aurait été condamné un homme qui aurait provoqué une catastrophe de l’ampleur de celle de la plateforme Deepwater Horizon? Il aurait été jugé comme un tueur psychopathe, et on aurait veillé à ce qu’il ne puisse plus jamais nuire.

    8/ Les gens achètent des choses avec de l’argent qu’ils n’ont pas. Malgré l’inflation, le chômage en hausse et l’effondrement des marchés immobiliers, l’achat à crédit ne ralentit pas. Or, rien n’est pire pour une économie que des emprunts adossés à des valeurs dont les retours sur investissement sont négatifs : voitures, cartes de crédit, et prêts étudiants, par exemple.

    9/ Les créateurs d’entreprises sont punis. Règlementations abusives, multiplication des considérations écologistes (pas toujours fondées)… Nos économies créent de la dépendance là où il n’y en a pas besoin. La bureaucratie toujours plus lourde entrave les entreprises, quand elles ne les étouffe pas de façon fatale.

    10/ L’esclavage moderne. Les banques centrales et les banques commerciales créent de l’argent à partir de rien, et cette création monétaire transforme les gouvernements, les industries et les familles en esclaves. Et même en l’absence d’endettement lié à un crédit, il faut payer des impôts et les effets de l’inflation…

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  • Des effets pervers de la partitocratie

    Très tôt, la science politique ou les observateurs des mécanismes de la politique dans les démocraties parlementaires occidentales ont été conscients des dérives potentielles de ce système.
    - Montesquieu insistait sur la séparation des pouvoirs, idéal à atteindre pour garantir les libertés citoyennes. Pour Montesquieu, la démocratie est le régime qui garantit justement ces libertés citoyennes: on ne peut les atteindre optimalement qu’en garantissant une séparation aussi nette que possible entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. En abattant toutes les cloisons entre ces pouvoirs, la partitocratie a annulé la démocratie au sens où l’en­ten­dait Montesquieu. Par rapport à l’idéal démocratique, la partitocratie con­stitue donc une régression. Et non, comme elle le prétend trop souvent, son accomplissement définitif.
    - Tocqueville, en observant les mécanismes électoraux aux Etats-Unis dans la première moitié du XIXième siècle, constate, en fait, que la liberté d’entreprendre et de créer de la nouveauté, de penser, de vivre selon ses désirs et ses convictions, risque à terme d’être mise en danger par la démagogie égalitaire des partis et par l’action sans scrupules de démagogues irresponsables, regroupés en so­cié­tés, en lobbies, en groupes de pression ou en patronnages divers, ne s’adressant quasiment jamais à la raison, mais toujours aux sen­ti­ments les plus troubles ou aux sens les plus veules, empêchant ainsi le citoyen moyen de regarder les réalités politiques avec lucidité. En principe, Tocqueville ne s’oppose pas à l’égalité, mais estime qu’elle ne doit jamais menacer l’exercice de la liberté.
    - Max Weber, en prenant le relais de Tocqueville, écrivait dans Le savant et le politique que le système politique anglo-américain, en dépit de son étiquette démocratique, était “une dictature, reposant sur l’exploitation de l’émotionalité des masses”. Weber a d’abord plai­dé pour un fonctionnariat d’Etat complètement détaché des partis car il craignait par dessus tout les dérives d’un spoil system à l’a­mé­ricaine, qu’avait déjà entrevues Tocqueville. Weber était cependant fasciné par les grandes machines politiques américaines du début de notre siècle, bureaucratisées à l’extrême mais plus honnêtes que leurs futures imitatrices européennes, dans la mesure où à chaque élection, les fonctionnaires nommés par le gouvernement précédent sont irrémédiablement démis de leurs fonctions si leur parti perd la partie: ils sont renvoyés à la société civile, quitte à recommencer leur quête politique, en se “rebranchant” à nouveau sur la vie réelle de la population, en partageant ses efforts et ses déboires face aux con­jonctures économiques ou aux pratiques du pouvoir. Weber aura une position ambivalente: d’un côté, il admire la neutralité axiolo­gique des fonctionnariats permanents et non partisans, sur le mode prus­sien; de l’autre, il admire la sélection impitoyable exercée par les “bosses” des partis américains qui se choisissent à chaque élection un personnel dévoué, qu’ils installent dans les rouages de l’Etat (mais pour quatre ans seulement, si la fortune politique ne leur sourit qu’une fois! Accepter le verdict électoral est honnête, en dépit des magouilles politiciennes; refuser le verdict des urnes est une malhon­nêteté foncière, même si les magouilles sont mieux contrôlées!). La pra­tique de nommer définitivement les fonctionnaires des cabinets pro­visoires, en dépit des aléas électoraux, est notamment une per­version du système belge.
    - Toujours dans Le savant et le politique, Weber a eu ces mots durs, pour les premières manifestations de partitocratie en Allemagne, qu’elles émanent des socialistes ou des démocrates-chrétiens: «[Les constitutionalistes révolutionnaires du pays de Bade] considèrent [...] l’Etat et les emplois administratifs simplement comme des institutions destinées à procurer uniquement des prébendes. [...] le parti du Zentrum (ndlr: d’obédience chrétienne-démocrate) [...] inscrivit même à son programme l’application du principe de la répartition propor­tion­nelle des emplois selon les confessions religieuses, sans se soucier de la capacité politique des futurs dirigeants». Aberration aux yeux de Weber, car «… le développement de la fonction publique moderne [...] exige de nos jours un corps de travailleurs intellectuels spécialisés, hautement qualifiés, préparés à leur tâche profession­nelle par une formation de plusieurs années et animés par un hon­neur corporatif très développé sur le chapitre de l’intégrité. Si ce sen­timent de l’honneur n’existait pas chez les fonctionnaires, nous se­rions menacés d’une effroyable corruption et nous n’échapperions pas à la domination des cuistres. En même temps, il y aurait grand péril pour le simple rendement technique de l’appareil d’Etat…». Quant aux révolutionnaires les plus radicaux: «Ils abandonnent la di­rection de l’administration à de véritables dilettantes, tout simplement parce qu’ils disposent de mitrailleuses». Weber a dénoncé claire­ment l’esprit partisan, tant chez les pseudo-démocrates aux discours soft que chez les ultra-révolutionnaires annonçant l’avènement d’un système totalitaire.
    Marco Minghetti, les partis politiques et leur ingérence dans la justice et l’administration
    Marco Minghetti (1818-1886) était un homme politique italien du XIXième siècle, qui a vécu l’unification italienne et a assisté à l’émergence de la culture politique particulière de son pays. Très tôt, il a perçu les dérives potentielles de la partitocratie à l’italienne (et à la belge). Deux secteurs de l’appareil d’Etat sont principalement menacés par les démagogues de la partitocratie selon Minghetti: la justice et l’administration. Ces secteurs sont soumis à toutes sortes de pressions, afin d’édulcorer toute sévérité éventuelle des ma­gis­trats à l’encontre des démagogues. La partitocratie, dès son émer­gen­ce dans l’histoire, tente d’abolir toutes les cloisons entre les pou­voirs, non pas pour rendre le pouvoir au peuple, mais pour le confis­quer entièrement au profit d’états-majors occultes, qui ne veulent laisser aucun espace neutre dans l’appareil d’Etat.
    Minghetti s’oppose à ce processus pour garantir les droits et les li­ber­tés de ses concitoyens. Dès lors, la lutte contre l’utilisation par­ti­sa­ne de l’administration et de la justice a pour objectif de protéger les citoyens contre toutes interventions arbitraires, émanant d’une ad­ministration ou d’une justice ayant perdu et leur indépendance et leur objectivité, qui se montrent simultanément juge et partie, ce qui est une hérésie sur le plan du droit. Minghetti veut préserver la séparation des pouvoirs, afin d’éviter une trop grande concentration du pouvoir entre les mains de la majorité, qui contrôle déjà de droit le gouvernement. Il faut dès lors qu’au sein des assemblées législa­tives, les députés puissent conserver un maximum d’indépendance d’esprit et de vote; ensuite, que l’administration et la magistrature puis­sent, le cas échéant, résister efficacement à l’exécutif.
    Entre les partis qui émergent au temps de Minghetti et les partis d’au­­jourd’hui, il y a une différence de taille. L’Etat n’était guère inter­ventionniste du temps de Minghetti: il demeurait cantonné dans ses at­tri­butions classiques (battre monnaie, faire la guerre, organiser l’ar­mée, assurer la diplomatie, maintenir l’ordre intérieur, etc.). Au­jour­d’hui, les attributions de l’Etat se sont considérablement éten­dues: elles englobent des pans entiers de la sphère sociale, du do­maine de la santé, de l’enseignement et interpellent beaucoup plus étroite­ment la vie économique.
    L’Etat a donc été amené à multiplier les contrôles de nature formelle et de tolérer le développement de pouvoirs de fait, vastes, arbitraires et largement capillarisés dans la société. Cette évolution n’est nullement condamnable en soi, mais elle implique une technicité accrue des interventions, que le personnel habituel, fauteur et béné­ficiaire de la démagogie, n’est pas en mesure de prester, puisqu’il n’a pas été sélectionné pour ses compétences mais pour sa fidélité à des slogans, des doctrines simplistes et boîteuses ou une cama­ra­derie de mauvais aloi avec des ténors sans scrupules. La comple­xification et la diversification des administrations auraient dû aller de paire avec une formation toujours plus poussée du personnel ad­ministratif et des fonctionnaires. Depuis une centaine d’années, con­statent les admirateurs italiens actuels de Minghetti, malgré l’ampleur continue du processus de complexification des inter­ventions de l’E­tat, peu de choses sinon rien n’a été entrepris pour améliorer les qua­lifications professionnelles des fonctionnaires. Les décisions arbi­traires d’un personnel inqualifié (sinon inqualifiable) sont effecti­ve­ment condamnables et inacceptables, tandis que les décisions réflé­chies d’un personnel bien écolé garantiraient efficacité et correction pour le bénéfice de tous. Un fonctionnariat qualifié constitue une garantie de liberté pour les citoyens. Un fonctionnariat non qualifié, recruté par démagogie partisane, constitue une menace permanente et inacceptable pour la masse des citoyens.
    Minghetti et ses disciples actuels énumèrent quelques tares ma­jeu­res de ce système de partis:
    Première tare: Les “démocraties” multipartites ont œuvré pour que soient exclues de l’administration toutes les personnalités compé­ten­tes. Celles-ci se sont recyclées dans le secteur privé, affaiblissant du coup les pouvoirs réels de contrôle de l’administration étatique.
    Deuxième tare: le personnel administratif est recruté trop exclu­sive­ment parmi les juristes, dont la tendance est de vénérer le for­ma­lisme juridique au détriment de toutes les autres démarches de l’es­prit. Depuis Minghetti, peu de choses ont changé en ce domaine.
    Troisième tare: le personnel administratif, recruté par les instances partisanes, se ligue désormais en syndicats, qui interviennent lourde­ment dans les mécanismes de la décision politico-admininistrative. Ou bloquent la machine étatique pour obtenir des avantages de toutes sortes, salariaux ou autres. Le risque est patent: aucun cor­rec­tif aux dysfonctionnements ne peut plus être apporté, s’il é­gra­ti­gne, même très partiellement, les intérêts immédiats et matériels des fonctionnaires syndiqués.
    Quatrième tare: l’indépendance des juges risque de devenir lettre morte. Les collusions entre élus de la classe politique et magistrats entraînent des alliances fluctuantes entre les uns et les autres, au dé­triment des simples citoyens non encartés et non politisés.
    Face à ces déviances, Minghetti suggère:
    - Une réduction de l’aire d’intervention de l’Etat (c’est une option li­bérale classique);
    - Une décentralisation administrative;
    - De développer des méthodes de contrôle de l’administration;
    - D’assurer une meilleure formation des fonctionnaires, en limitant le juridisme de leur formation antérieure et en créant de bonnes écoles de sciences administratives, où le savoir empirique est mis à l’hon­neur, au détriment des savoirs trop abstraits (ce vœu de Minghetti n’a quasiment pas été exaucé);
    Conclusion: Minghetti a plaidé pour une déconstruction des ap­pa­reils partisans, auxquels il reprochait de représenter un “catholicisme étatique” ou “un catholicisme des partis”.
    Moiséï Jakovlevitch Ostrogorsky (1854-1918), critique des démocraties partisanes
    - Russe de confession israëlite, Ostrogorsky a étudié et enseigné à Saint-Petersbourg, à Paris (à l’Ecole libre des sciences politiques) et aux Etats-Unis.
    - Ses références sont Montesquieu et Tocqueville; sa pensée est influencée par Roberto Michels et Max Weber (qui, à son tour, tirera profit de son œuvre).
    - Il participe activement à la vie politique russe et en 1906 il est député à la Douma pour le parti constitutionnel-démocrate (les “Ca­dets”).
    - En France, son œuvre, rédigée en français, influence Charles Pé­guy et Charles Benoist (tous deux sceptiques à l’égard du suffra­ge uni­versel).
    Pour Ostrogorsky, les partis ne sont au départ que de simples associations privées, des regroupements de citoyens qui demandent éventuellement, sur le mode de la pétition, au pouvoir politique de légiférer dans tel ou tel sens. Au titre d’associations privées, les partis ne sauraient être considérés comme des agents institutionnels permanents. Mais comme ils le sont devenus, on peut légitimement admettre que la démocratie parlementaire n’est plus qu’une façade, derrière laquelle se déploie un système de décision occulte, arbi­traire, orchestré dans les états-majors des grands partis.
    Ostrogorsky ne réclame pas la suppression des partis, mais prône le dépassement voire le démantèlement des “partis permanents” et leur remplacement par des “partis ad hoc”, c’est-à-dire des regrou­pe­ments politiques qui se constitueraient à intervalles réguliers et sous la pression des faits, pour obtenir telle ou telle réforme concrète et disparaîtraient de la scène une fois celle-ci obtenue). Ostrogorsky nommait “ligues” ou “initiatives à projet unique”, ces “formations ad hoc”, destinées à soutenir des candidats prêts à voter ou faire voter un projet. Bien qu’il ne l’ait jamais dit explicitement, le modèle d’Ostrogorsky semble avoir été les ligues françaises de la fin du XIXième siècle: Ligue des Patriotes (1882), Ligue des Droits de l’hom­­me (lors du procès Dreyfus), Ligue d’Action Française (Maurras et Daudet).
    La permanence des partis indique qu’ils ne sont pas là pour réaliser des réformes concrètes, utiles et urgentes pour la communauté po­pu­laire, mais pour promouvoir des “chefs” (des “bosses”) ou des oligarchies fermées, à l’aide d’une idéologie préfabriquée, irréaliste et démagogique, incapable d’appréhender les ressorts du réel, ex­citant une fraction des masses d’électeurs, utile seulement au re­cru­tement de voix qui seront comptabilisées pour maximiser l’in­fluence du parti et de ses chefs dans la société en général, en s’emparant d’autant de postes de commande que possible, afin d’amorcer la pompe à finances via les recettes fiscales.
    Ostrogorsky constate que la fonction des masses dans la démocratie moderne n’est pas de gouverner, comme l’affirme la théorie démo­cratique, car elles n’en seraient de toute façon pas capables, même si on leur donne tous les instruments constitutionnels et juridiques pour le faire (législation directe, référendum, etc.). Dans tous les cas de figure, ce sont de petites minorités qui accèdent au gouvernement des pays. Ces minorités agissent pour concentrer le maximum de pouvoir autour d’elles: c’est ce qu’Ostrogorsky appelle “la loi de gravitation de l’ordre social”. Les masses servent de réservoir de voix pour des minorités alternatives, qui concentrent petit à petit du pouvoir autour d’elles. Les masses les servent pour intimider les gou­vernants, qui risquent de perdre des plumes dans les “loteries élec­torales”, s’ils ne vont pas à l’encontre des désirs divers et sou­vent incohérents du gros de la population.
    Face à ces minorités, les individualités non encartées, non inféodées aux formations de masse sont écrasées et tyrannisées par le biais de la police ou surtout de l’impôt. Dans cette société civile se crista­lisent des contre-poids, qui ne sont toutefois pas assez puissants pour abattre tout de suite les oligarchies dominantes. Les citoyens non encartés doivent louvoyer entre les obstacles dressés par les oligarchies, parier sur les innovations techniques (cf. Schum­peter) pour contourner les interdits imposés par le régime en place, ou en appeler aux anciens résidus religieux, forces morales établies et a­vérées, éventuellement mobilisables contre le régime en place.
    Finalement, le citoyen isolé n’a que très peu d’influence sur la désignation des candidats figurant sur les listes qu’on lui présente à chaque élection. Il peut créer l’opinion, en pariant tantôt sur l’héritage du passé tantôt sur les espoirs d’avenir, mais cette opinion qu’il exprime ou formule sera filtrée par les états-majors des partis, qui dé­signeront des candidats qui voteront selon les injonctions du parti et non pas selon les intérêts des citoyens qui les ont élus.
    Le gouvernement est donc aux mains d’une classe politique, certes relativement ouverte —elle n’est pas une caste fermée— mais qui constitue néanmoins un groupe en soi. Elle gère le pays face à l’indifférence et la passivité des masses. Celles-ci ne sont pas davantage actives que du temps où toute opposition était absente et où il n’y avait pas de “démocratie” . Le droit de vote est considéré comme une évidence, mais on ne lui accorde par une grande valeur, on ne comprend pas clairement l’enjeu et le sérieux de ce droit. Cette ignorance générale des masses laissent aux minorités actives une large marge de manœuvre.
    Ostrogorsky dénonce enfin le “formalisme politique” ou le “for­ma­lisme partisan”. C’est, dit-il, un ennemi de la raison, il oblitère la cons­cience individuelle et le courage civil. L’organisation de tout parti est toujours trop rigide, la doctrine idéologique est trop simpliste, les rit­uels annihilent les volontés et l’esprit critique. Certes, admet Os­tro­gorsky, toute forme culturelle implique organisation, doctrine et ri­tuels, mais, dans le cas des partis politiques modernes, le degré d’or­ganisation, le poids de la doctrine et des rituels ont dépassé la limite acceptable. Le parti ne sert plus à faire passer de l’innovation dans la société, à y injecter un surplus d’éthique, à re­stau­rer des va­leurs estompées, mais à couvrir d’un “voile de bien­séance” les tur­pitu­des et les corruptions des oligarques.
    Ce formalisme, explique Ostrogorsky, est le nouveau visage de la tyrannie, qui a toujours, au fil des temps, changé sa face pour mieux se dissimuler aux naïfs et les tromper. La tyrannie est une hydre à mille têtes: inutile d’en trancher une, il en repoussera d’autres, sans discontinuité. La liberté est un idéal qui a du mal à s’implanter dans les têtes, alors que les hommes acceptent benoîtement la tyrannie, sous quelque forme qu’elle se présente. Vouloir changer ces dis­po­sitions de l’âme est un travail de Sisyphe.
    Panfilo Gentile reprend le flambeau de Minghetti
    Panfilo Gentile (1889-1971), politologue et célèbre journa­liste italien, n’hésitera pas à parler de déviances mafieuses du système des par­tis. Les démocraties partito­cratiques sont pour lui des “démo­craties mafieuses”. Il écrit: «Quand le pouvoir est exercé au profit du parti [...] tout scandale est couvert par un vaste réseau de complicités. La respon­sabilité remonte très haut, implique les leaders et les sous-leaders du parti, les hommes du gouvernement [...] Les faits scan­da­leux sont alors ignorés et si des adversaires les dé­noncent, on trou­ve le moyen de les minimiser». Ou encore: «Les oligarchies mafieu­ses, que les démocraties modernes tendent à produire, sont des oli­gar­chies de petits bourgeois sans occupation fixe, imbus de clé­ri­ca­lisme idéologique, portés à l’intolérance et à l’esprit sectaire». «Mais les idéologies ne sont en réalité que de vieilles idées, devenues populaires [...]. Des schémas doctrinaires ont été créés qui trouvent tout à coup une codification intangible. Chaque parti a sa Torah, ses docteurs, ses pharisiens et ses zélotes. L’idéologisme porte à la clé­ri­calisation des esprits. Les démocraties modernes reposent sur le dog­matisme universel, même si l’on admet théoriquement la con­currence entre une pluralité de dogmatismes».
    Le tableau est planté. Panfilo Gentile, disciple de l’école élitiste ita­lien­ne (Gaetano Mosca, Vilfredo Pareto, Roberto Michels), a dé­non­cé, vingt-cinq ans avant les scandales politiques italiens du début des années 90, les mécanismes corrupteurs de la partito­cra­tie. Ceux-ci se développent à partir des linéaments idéologiques sui­vants:
    1. Le marxisme intellectuel, religionnaire, considéré comme l’ersatz d’une eschatologie ou d’une sotériologie religieuse (==> PCI). Les formations politiques qui se réclament de cette sotériologie laïque sont prêtes à mobiliser toutes les ressources sans hésitation pour accéder au pouvoir, prélude à l’avènement d’un modèle social, posé d’emblée comme définitif.
    2. L’ingérence constante des ecclésiastiques dans la politique, dans l’espoir de forger un “parti unique des catholiques” (==> DC). Ce parti unique devra barrer la route à tous les autres et s’étendre à tou­tes les strates de la population.
    3. L’engouement pour les programmations économiques et le pla­nis­me irresponsable, conduisant à énumérer toutes les choses dé­si­ra­bles à réaliser, … sans couverture financière réelle. Une fiscalité lour­de étant censée alimenter le financement de ces projets fabuleux.
    4. L’infiltration par les partis, mus par les idéologèmes que nous ve­nons d’énumérer, de tous les rouages de l’Etat.
    Dans l’Italie des années 60, la partitocratie, disait Gentile, est un “clé­rico-marxisme”, ou, disait Augusto Del Noce, un “catho-com­mu­nisme”. Elle a conduit à “une politique pure­ment démagogique qui a accumulé déficit sur déficit et a fragilisé l’économie”. C’est le “sy­stè­me de la carte du parti qui a pollué l’appareil bureaucratique et les pouvoirs de l’Etat. Un régime ainsi stratifié et consolidé semble aujour­d’hui pratiquement impossible à modifier et à restructurer”. Dans un interview accordé en 1969, Panfilo Gentile précise sa pensée: «En d’autres mots, les démocraties mafieuses sont des régimes basés sur la détention de la carte du parti, tout comme dans les véritables régimes totalitaires. La différence entre les deux sy­stèmes, c’est que dans les ré­gi­mes totalitaires, il n’y a qu’un seul type de carte, tandis que dans les “démocraties mafieuses”, on consent à l’existence de plusieurs types de carte; mais il s’agit de cartes fina­le­ment “confédérées” au sommet et, en définitive, cela revient au même, c’est comme s’il n’y avait qu’une carte unique; celle au singulier du régime totalitaire ou celles au pluriel des ré­gimes partitocratiques, sont toutes génératrices de pri­vilèges, octro­yés par ceux qui sont au pouvoir [...]. Alors, quand de tels régimes se constituent, les oppositions n’ont plus de place [...]. Les oppositions sont reléguées dans une espèce de ghetto invisible. Les détenteurs du pouvoir dé­tiennent également le monopole des moyens de propa­gan­de et de persuasion occulte. Les éditeurs, la presse, les prix littéraires, les subventions aux théâtres et aux cinéastes sont inva­ria­blement soumis à une insupportable discrimi­na­tion politique».
    Les seize tares majeures de la partitocratie selon Gonzalo Fernandez de la Mora
    Pour Gonzalo Fernandez de la Mora, ancien ministre d’Espagne, phi­losophe du politique de réputation internationale, directeur de la re­vue Razon española (Madrid), jette un regard critique sur les pra­tiques des partitocraties et y décèle seize contradictions majeu­res:
    1. Les partis de la partitocratie subissent un processus d’oli­garchisation interne:
    Selon la loi mise en exergue au début du siècle par Roberto Michels, c’est-à-dire la “loi d’airain des oligarchies”, les partis tendent à se fermer sur eux-mêmes, à se hiérarchiser et à renforcer la puissance de leurs appareils. Ce processus relègue les bases à l’arrière-plan, celles-ci ne sont au­to­risées à voter que pour un délégué désigné par la direction. L’impulsion est donc autoritaire et non populaire. L’en­sem­ble des adhérents aux partis en compétition n’excède jamais 5% de la population. Les partis sont donc de toutes petites minorités qui prennent arbitrairement en charge la totalité des électeurs.
    La contradiction est donc flagrante: les partis ne sortent en aucun cas du cycle des oligarchies qu’ils avaient prétendu abolir au nom de la démocratie.
    2. Les partis de la partitocratie impliquent une pr­ofes­sion­na­lisation de la politique.
    Les membres des oligarchies partisanes se transforment rapidement en professionnels de la lutte pour le pouvoir. Mais ces professionnels ne se cantonnent pas dans un domaine précis, pour lequel ils au­raient effectivement des compétences dûment sanctionnées par l’u­niversité ou une grande école. Les “professionnels de la politique”, au contraire, ne sont spécialistes de rien et se retrouvent tour à tour présidents d’une banque publique, directeurs d’un réseau ferroviaire, d’un service hospitalier, d’un service postal, d’une commission de l’énergie nucléaire ou ambassadeurs dans un pays dont ils ne con­naissent ni la langue ni les mœurs. Nous nous trouvons dès lors fa­ce à un personnel non spécialisé, dépourvu de compétences, mais po­sé arbitrairement comme “omnivalent”.
    La contradiction est également flagrante ici: les partis se présentent comme des agences efficaces, capables de placer au poste ad hoc les citoyens compétents, sans discrimination d’ordre idéologique, mais ne casent finalement que leurs créatures, en excluant tous les autres et en n’exigeant aucune compétence dûment sanctionnée.
    3. Les partis provoquent une crise de l’indépendance.
    L’idéal démocratique, c’est d’avoir des assemblées de notabilités capables de juger les choses politiques en toute indépendance et objectivement. Le système des partis coupe les ailes à ceux qui souhaitent se présenter en dehors de toute structure partisane. En effet, le parcours du candidat-député indépendant est plus long et plus difficile. Même s’il réussit à se faire élire, il aura des difficultés à faire entendre sa voix, face aux verrous placés par les partis dans la sphère des médias et de la presse.
    La contradiction est une nouvelle fois patente: les partis annoncent qu’ils sont démocratiques, qu’ils défendent la liberté d’expression de tous indistinctement, mais, par leur action et leur volonté de tout contrôler et surveiller, il semble de plus en plus difficile de se porter candidat en dehors de leurs circuits.
    4. Les partis provoquent l’appauvrissement de la classe politique.
    Les oligarques des partis tendent à recruter des adjoints fidèles et naïfs incapables de leur porter ombrage ou de les dépasser. Con­sé­quence: le niveau intellectuel et moral du parti s’effondre. Les ficelles sont tirées par des démagogues conformistes et peu compétents. Les quelques talents qui s’étaient perdus dans les coulisses des par­tis sont progressivement mis sur la touche ou quittent le parti, dé­goû­tés.
    La contradiction est nette: les partis ne sont nullement des agences qui assurent la promotion des meilleurs, mais, au contraire, qui sé­lec­tion­nent et propulsent aux postes de commande les plus médio­cres et les plus corrompus.
    5. Les partis éclipsent le décor politique.
    Les états-majors des partis sont tenus à une certaine loi du secret. Ils ne dévoilent jamais entièrement leurs batteries. L’information qu’ils fournissent aux citoyens est souvent mensongère et biaisée.
    Contradiction: l’électorat, censé choisir clairement ses diri­geants, ne reçoit que des informations tronquées et ma­quillées. L’électorat n’est pas informé mais désinformé. Ses choix sont dès lors peu raison­na­bles.
    Le décor politique devient flou, vu les dissimulations et la po­lysémie de langage dont usent et abusent les oligarchies politiciennes. On ne sait plus qui défend quoi.
    6. Les oligarchies partisanes spolient l’électorat.
    Si de larges strates de l’électorat ne se retrouvent pas dans les principaux partis, si les candidats indépendants n’ont pratiquement aucune chance de faire passer leur pro­gram­me, l’électorat n’a plus d’autre possibilité que l’abstention. Mais celle-ci, par la magie électo­rale, se transforme en ap­pui à la majorité.
    Contradiction: non seulement les oligarques partisans cumulent les voix de leur propre clientèle (ce qui est logique), mais ils “rackettent” celles des opposants silencieux qui s’abstiennent. La démocratie par­tito­cratique, qui avait claironné qu’elle serait plus représentative que les formes antiques et médiévales de la représentation popu­lai­re, constitue de fait une régression. Le citoyen n’a plus la liberté de ne pas être client, de vaquer tranquillement à ses occupations pro­fes­sionnelles, à ses devoirs familiaux, avec l’assurance d’être traité en toute équité en cas de problème. Il n’est plus perçu comme un hom­me libre, capable de faire un choix judicieux, qu’il s’agit de res­pec­ter, mais comme le réceptacle docile de propagandes simplistes, distillées par les bureaux des partis.
    7. La partitocratie est un réductionnisme d’ordre éthique.
    Sur le plan éthique, le système des partis constitue également une régression dangereuse:
    1. Tous les adversaires de ce système sont dénoncés comme des “ennemis de la démocratie”, dénonciation qui équivaut à celle de “satanisme” dans les procès de sorcellerie au moyen-âge. Or comme le terme de démocratie recouvre un océan de définitions divergen­tes, on peut condamner même la personne la plus innocente, en la dé­signant comme “ennemie de la démocratie”. Les partitocraties mon­trent par cette pratique qu’elles ne respectent aucune opinion qui serait susceptible de leur porter ombrage.
    2. Les partis, pour fonctionner dans les partitocraties, pompent énor­mé­ment de deniers publics, y compris auprès de ceux qui n’ont pas voté pour les formations du pouvoir. Si ceux-ci émettent des pro­tes­tations, ils sont accusés de ne pas être “solidaires”. Les oligar­ques uti­lisent le réflexe de l’éthique de la solidarité pour justifier une spo­liation, dont les victimes ne peuvent se défendre ni par le biais des tri­bunaux politisés ni à travers le travail des chambres qui sont mu­se­lées.
    3. Les partis ont fait voter des lois qui leur permettent de récupérer en dotations publiques leurs frais de fonctionnement ou de propagande. Le procédé est malhonnête car ces sommes ont été levées par coercition, sans qu’aucun contribuable ne puisse y échapper. Pour Gon­zalo Fernandez de la Mora, «c’est, assurément, la forme la plus répugnante de rapine à main armée que celle qui s’exerce par les armes de l’Etat et en marge de la légalité comme dans le pire des féo­dalismes, mais en proportions incomparablement supérieures».
    8. L’instrumentalisation des parlementaires.
    La discipline qu’imposent les partis-machines aux députés qui ont été élus sur leurs listes est telle que le parlementaire ne peut plus émettre, dans les assemblées, un vote divergent de celui qu’ordonne le parti. Sinon, il est marginalisé voire exclu des prochaines listes électorales. La liberté individuelle du parlementaire est ainsi annulée.
    9. Le paradoxe des transfuges.
    Le transfuge, qui, à la suite d’un désaccord ou par pur opportunisme, change de liste ou de parti, conserve son mandat et commet une double fraude: à l’égard de ses anciens dirigeants et à l’égard de ses électeurs. Mais la partitocratie admet ce genre de procédé, montrant ainsi la dépersonnalisation totale du député, qui devient un pion in­ter­changeable.
    10. les partis provoquent la dévaluation intellectuelle des cham­bres.
    Les projets de la majorité sont présentés au parlement. L’opposition minoritaire n’a que quelques minutes pour préparer ses réponses ou suggérer des amendements. Il est donc impossible, de cette maniè­re, de lancer un débat de fond et de développer des arguments ap­pro­fondis, raisonnables et cohérents. Les chambres déchoient ainsi en fictions rhétoriques, en spectacles.
    11. Les partis provoquent la dévaluation politique des cham­bres.
    Comme l’exécutif procède de la majorité parlementaire, et que celle-ci est composée de députés dociles, dont le vote est parfaitement pré­­visible, les chambres perdent leur rôle politique: celui de critiquer l’exécutif, de lui imposer des amendements, de le faire tomber le cas échéant. La partitocratie confisque aux chambres leur rôle dans le fonc­tionnement de la démocratie.
    12. Les partis dévaluent le rôle des chambres sur le plan fiscal.
    Les chambres sont nées justement pour limiter le pouvoir du sou­ve­rain et surtout pour freiner ses appétits économiques. Les chambres sont là pour défendre les citoyens, faire en sorte que ceux-ci ne paient que le strict nécessaire en matière d’impôt. Dans les as­sem­blées d’origine, les chambres s’opposent aux exagérations du Prin­ce. Dans les partitocraties, au contraire, elles se transforment en as­sem­blées dociles qui entérinent les décisions de l’exécutif et ne dé­fendent plus les intérêts des citoyens. Ce qui est une entorse sup­plémentaire au principe de la représentation démocratique.
    13. Les partis dévaluent le rôle législatif des chambres.
    Les chambres ont été créées pour contrôler le Prince ou le pouvoir exécutif en exerçant leurs compétences légiférantes. Les lois de­vaient ainsi être forgées pour le bénéfice du peuple, en le sous­tra­yant à tout arbitraire du Prince ou de l’exécutif. Dans les partito­cra­ties, ce rôle de légiférant-protecteur est annulé, dans la mesure où la majorité parlementaire entérine formellement les textes que l’oligar­chie partisane a décidé de transformer en lois. L’idée inspiratrice de ces textes vient du chef ou de l’état-major et de leurs conseillers et non pas des membres de l’assemblée, qui n’ont même pas l’obli­ga­tion de les lire!! les chambres déchoient ainsi en un espèce de notariat collectif qui accorde une sorte de caution publi­que à des tex­tes composés et décidés ailleurs. Conclusion: la capacité législative des chambres dans les partitocraties décroît, jusqu’à atteindre le point zéro.
    14. Le pouvoir des partis dans une partitocratie conduit à l’irresponsabilité du gouvernement.
    En théorie, le gouvernement est responsable devant les assemblées. Dans les partitocraties, où il y a une majorité stable, il a les mains ab­solument libres et n’est même plus obligé de tenir compte de l’op­po­sition. Il s’accorde l’impunité et compte sur la mémoire courte des électeurs, qui oublieront ses trafics avant les nouvelles élections.
    15. La partitocratie conduit à la politisation de l’administration.
    On peut parler d’une politisation de l’administration, dès que les fonc­tion­naires agissent dans le sens que leur dicte leur parti, ne cherchent plus à appliquer l’ordre juridique en place et ne respectent plus le principe de l’équité. L’oligarchie partitocratique peut ainsi politi­ser l’administration, en limitant son accès à ses affiliés ou ses sympathisants ou en octroyant des récompenses et des promotions à ses seuls féaux. Nous avons assisté à l’émergence d’une sorte de né­potisme collectif. Toute administration politisée est par définition par­tiale et donc injuste.
    16. La partitocratie conduit à la fusion des pouvoirs.
    L’idéal démocratique de Montesquieu, repose, pour l’essentiel, sur la séparation des pouvoirs. Depuis des temps immémoriaux, les hommes savent que l’on ne peut être à la fois juge et partie. Gonzalo Fernandez de la Mora écrit: «Pour faire en sorte que l’indépendance du pouvoir judiciaire ne soit pas diminuée ou annulée par des nor­mes que le pouvoir exécutif fabrique à son bénéfice exclusif, il faut que le pouvoir législatif soit indépendant du pouvoir exécutif [...] (Mais) dans les partitocraties [...] le pouvoir exécutif assume de fait le pouvoir législatif et tend à influencer aussi l’interprétation et l’applica­tion des lois [...]. Le mode le plus efficace pour atteindre de telles fins est d’intervenir dans la nomination et le placement des magistrats».
    Conclusion
    Le constat de Gonzalo Fernandez de la Mora est simple: la partito­cratie tend à confisquer à son profit tous les pouvoirs, en noyautant l’administration par placement de ses créatures, en intervenant dans la nomination des magistrats, en annulant l’indépendance des par­lements et des députés. Elle est ainsi la négation de l’Etat de droit (qu’elle affirme être par ailleurs), parce qu’elle désarme les gouvernés face aux erreurs et aux errements de l’administration et fa­ce aux abus d’autorité. La fusion des pouvoirs, au bénéfice d’un exé­cutif de chefs de partis, correspond à ce que les classiques de la scien­ce politique nommaient la tyrannie. Même la dictature provisoire à la romaine respectait l’indépendance des juges et garantissait ainsi l’équité. Outre l’anarchie et la loi de la jungle, l’installation de tri­bu­naux partiaux et partisans est la pire des choses qui puisse arriver à une communauté politique. Les événements de Belgique l’ont prou­vé au cours de ces dernières années.
      Robert Steuckers  http://robertsteuckers.blogspot.com/
    Bibliographie:
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    - Alessandro CAMPI, «La critica alla partitocrazia nella cultura politica italiana: 1949-1994. Una rassegna storico-bibliografica», in: Futuro Presente, n°4, Perugia, 1993.
    - Ramon COTARELO, «¿Son necesarios los partidos politicos en la democracia?», in: Razón Española, n°53, mayo-junio 1992.
    - Gonzalo FERNANDEZ de la MORA, «Contradicciones de la partitocracia», in Razón Española, n°49, sept.-oct. 1991.
    - Gonzalo FERNANDEZ de la MORA, «Cooptación frente a sufragio universal», in: Razón Española, n°54, jul.-aug. 1992.
    - Julien FREUND, Sociologie de Max Weber, PUF, Paris, 1968.
    - Jesus FUEYO, «La degradación de la democracia», in: Razón Española, n°53, mayo-junio 1992.
    - Panfilo GENTILE, Democrazie mafiose (a cura de Gianfranco de TURRIS), Ponte alle Grazie, Firenze, 1997.
    - Hans-Helmut KNÜTTER, «Staats- und Parteienverdrossenheit – Ursache und Konsequenzen», in: Mut, 1994.
    - Hans-Helmut KNÜTTER, «Man weiß nicht mehr, was man will, sondern nur, was man ablehnt», in: Junge Freiheit, n°6/1994 (Interview réalisé par Peter Boßdorf).
    - Klaus KUNZE, «Der totale Parteienstaat», in: Junge Freiheit, Januar-Februar 1992.
    - Klaus KUNZE, «Der Weg der Parteiendemokratie in den feudalen Parteienstaat», in: Staatsbriefe, 3/1992.
    - Klaus KUNZE, «Plebiszite als Weg aus dem Parteienstaat», in: Junge Freiheit, Okt. 1992.
    - Angel MAESTRO, «La partitocracia en crisis», in: Razón Española, n°54, jul.-aug. 1992.
    - Marco MINGHETTI, I partiti politici e la loro ingerenza nella giustizia e nell’amministrazione, Prefazione di Carlo Guarnieri, Societa Aperta, Milano, 1997.
    - Wolfgang MOMMSEN, Max Weber. Gesellschaft, Politik und Geschichte, Suhrkamp, Frankfurt a. M., 1974.
    - Vincenzo PACIFICO, «Marco Minghetti: il padre della “destra storica” italiana e la sua opera. Spirito de patria», in Percorsi, n°4, mars 1998.
    - Karl PISA, Alexis de Tocqueville. Prophet des Massenzeitalters. Eine Biographie, DVA, Stuttgart, 1984.
    - Caspar von SCHRENCK-NOTZING, «Die verdeckte Krise des Parteiensystems», in: Junge Freiheit, Juli/August 1991.
    - Caspar von SCHRENCK-NOTZING, «Das Grundübel unserer Demokratie liegt darin, daß sie keine ist», in: Junge Freiheit, Dezmber 1993.
    - Robert STEUCKERS, Partitocratie et polyarchie: le cas belge, manuscrit non encore publié.
    - Helmut STUBBE-da LUZ, «“Nicht die Formen studieren, sondern die Kräfte!”. Moisei J. Ostrogorski (1854-1919), ein Pionier der Parteienkritik», in: Criticón, n°148, pp. 193-198, München, 1995.
    - Juan VALLET de GOYTISOLO, «¿Democracias no partito­cra­cias?», in: Razón Española, n°54, jul.-aug. 1992.
    - Alberto VANNUCCI, Il mercato della corruzione. I meccanismi dello scambio occulto in Italia (Prefazione di Alessandro PIZZORNO), Sociéta Aperta, Milano, 1997.
    -Max WEBER, Le savant et le politique (Préface de Raymond ARON), UGE-10/18, Paris, 1963. 

  • La géopolitique du schiste

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    Selon les revues élitaires et la presse d’opinion, l’avenir de la politique étrangère repose en grande partie sur des idées : l’élan moral en faveur d’interventions humanitaires, les diverses théories relatives aux taux de change et au rééquilibrage de la dette nécessaire pour arranger Europe, la montée du cosmopolitisme parallèlement à la vitalité tenace du nationalisme en Asie orientale et ainsi de suite. En d’autres termes, le monde de l’avenir peut être conçu et défini sur la base des thèses de doctorat. Et dans une certaine mesure cela peut être vrai. Comme le 20ème siècle nous l’a montré, les idéologies – que ce soit le communisme, le fascisme ou l’humanisme – comptent et comptent beaucoup.

    Mais il y a une autre vérité : La réalité de grandes forces impersonnelles comme la géographie et l’environnement qui contribuent aussi à déterminer l’avenir des événements humains. L’Afrique a été pauvre historiquement [sic, NdT] en grande partie à cause de la rareté de bons ports naturels et de fleuves navigables de l’intérieur vers la côte. La Russie est paranoïaque à cause de sa masse terrestre exposée aux invasions avec peu d’obstacles naturels. Les émirats du Golfe Arabo-persique sont fabuleusement riches non pas à cause d’idées, mais à cause des dépôts importants de sources d’énergie souterraines. Vous avez compris. Les intellectuels se concentrent sur ce qu’ils peuvent changer, mais nous sommes impuissants à changer une grande partie de ce qui se passe.
    Prenez le schiste, une roche sédimentaire au sein de laquelle le gaz naturel peut être piégé. Le gaz de schiste constitue une nouvelle source d’énergie extractible pour le monde post-industriel. Les pays qui ont d’importants gisements de schiste seront mieux placés dans la compétition entre États du 21e siècle, et ceux qui n’ont pas de tels dépôts seront défavorisés. Dans ce domaine, les idées compteront peu.
    Stratfor, en l’occurrence, a étudié la question en profondeur. Voici ma propre analyse, influencée en partie par la recherche de Stratfor.
    Voyons donc qui a du schiste et comment cela peut changer la géopolitique. Car l’avenir sera fortement influencé par ce qui se trouve sous terre.
    Les USA, cela est avéré, ont de vastes gisements de gaz de schiste: au Texas, en Louisiane, au Dakota du Nord, en Pennsylvanie, dans l’Ohio, l’État de New York et ailleurs. L’USAmérique, indépendamment de la plupart des choix politiques qu’elle fait, est en passe de devenir un géant énergétique du 21e siècle. En particulier, la côte du Golfe, avec comme centre le Texas et la Louisiane, s’est engagée dans un  véritable boom du gaz de schiste du pétrole. Cette évolution fera de la Caraïbe une zone focale de l’hémisphère occidental sur le plan économique, ce qui sera favorisé par l’élargissement du canal de Panama en 2014. Dans le même temps, la coopération entre le Texas et le Mexique voisin va s’intensifier, comme le Mexique va devenir de plus en plus un marché pour le gaz de schiste, avec ses propres bassins de schiste exploités près de sa frontière nord.
    Ce sont là, en partie, des nouvelles troublantes pour la Russie. La Russie est actuellement le géant énergétique de l’Europe, exportant du gaz naturel vers l’ouest en grandes quantités, ce qui fournit à Moscou un levier politique sur toute l’Europe centrale et de l’Est en particulier. Toutefois, les réserves de la Russie sont souvent dans certaines parties de la Sibérie qui sont difficiles et coûteuses à exploiter, même si la technologie d’extraction de la Russie, autrefois vieille, a été considérablement modernisée. Et la Russie pour le moment peut faire face à relativement peu de concurrence en Europe. Mais que faire si à l’avenir les USA étaient en mesure d’exporter du gaz de schiste vers l’ Europe à un prix compétitif ?
    Les USA ont encore peu de capacités d’exportation de gaz de schiste en Europe. Ils seraient obligés de construire de nouvelles installations de liquéfaction pour le faire, en d’autres termes, il faudrait édifier des usines sur le golfe du Mexique qui liquéfient le gaz afin qu’il puisse être transporté par bateau à travers l’Atlantique, des installations de regazéification le reconvertiraient en gaz en Europe. Cela est faisable avec de l’investissement en capital, de l’expertise et une législation favorable. Les pays qui construiront de telles installations auront plus d’options énergétiques, pour exporter ou pour importer, quel que soit le cas. Alors imaginez un avenir dans lequel les USA exporteraient du gaz de schiste liquéfié vers l’Europe, réduisant la dépendance des pays européens vis-à-vis des sources d’énergie russe. La géopolitique de l’Europe pourrait changer quelque peu. Le gaz naturel pourrait devenir pour la Russie un outil moins politique et plus purement économique (même si un tel changement non-négligeable exigerait d’importantes exportations de gaz de schiste de l’Amérique du Nord vers l’Europe).
    Moins de dépendance envers la Russie permettrait à la vision d’une Europe centrale et orientale véritablement indépendante et culturellement dynamique de pleinement prospérer – un idéal des intellectuels de la région depuis des siècles, même si les idées, dans ce cas, auraient peu de choses à voir là-dedans.
    Cela pourrait être particulièrement pertinent pour la Pologne. Car la Pologne peut avoir d’importants gisements de gaz de schiste. Si les gisements polonais de schiste s’avéraient être les plus importants d’Europe (un très gros «si»), la Pologne pourrait devenir un producteur d’énergie à part entière, ce qui ferait de ce plat pays sans défenses naturelles, à l’est et à l’ouest – annihilé par l’Allemagne et l’Union soviétique au 20e siècle – un État-pivot ou une puissance moyenne au 21e siècle. Les USA, à leur tour, quelque peu libérés du pétrole du Moyen-Orient grâce à leurs propres sources d’énergie (y compris les gisements de gaz naturel), pourraient se concentrer sur le renforcement de la Pologne comme une puissance amie, tout en perdant une grande partie de leur fort intérêt pour l’Arabie Saoudite; Certes, les immenses gisements de pétrole et de gaz naturel dans la péninsule arabique, l’Irak et l’Iran maintiendront le Moyen-Orient comme grand exportateur d’énergie pour encore des décennies. Mais la révolution du gaz de schiste va compliquer l’approvisionnement et la répartition des hydrocarbures de la planète, de sorte que le Moyen-Orient pourra perdre une partie de sa primauté.
    Il s’avère que l’Australie a également d’importantes réserves de gaz naturel, récemment découvertes, ce qui, avec des installations de liquéfaction, pourrait la transformer en un des principaux pays exportateurs d’énergie principale vers l’Asie orientale, en supposant que l’Australie réduise considérablement ses coûts de production (ce qui peut s’avérer très difficile à faire). Parce que l’Australie a déjà commencé à émerger comme l’allié militaire le plus fiable des USA dans l’anglosphère [resic, NdT], l’alliance de ces deux grands producteurs d’énergie de l’avenir pourrait cimenter encore plus l’influence occidentale en Asie. Les USA et l’Australie se partageraient le monde : tant bien que mal, bien sûr. En effet, si l’exploitation du gaz naturel non-conventionnel a quelque chose à y voir, le soi-disant monde post-usaméricain serait tout sauf cela.
    L’émergence géopolitique du Canada – encore une fois, grâce au gaz naturel et au pétrole – pourrait amplifier cette tendance. Le Canada possède d’immenses gisements de gaz naturel en Alberta, qui pourrait éventuellement être transporté par des futurs gazoducs à venir vers la Colombie-Britannique, où, avec les installations de liquéfaction, il pourrait ensuite être exporté vers l’Asie orientale. Pendant ce temps, l’est du Canada pourrait bénéficier de nouveaux gisements de gaz de schiste qui sous la frontière se prolongent dans le nord des USA. Ainsi, des nouvelles découvertes de sources d’énergie lieraient plus étroitement les deux pays nord-américains, alors même que l’Amérique du Nord et l’Australie seront devenus plus puissants sur la scène mondiale.
    La Chine a également d’importants gisements de gaz de schiste dans ses provinces intérieures. Parce que Pékin est grevé par relativement peu de règlementations, le régime pourrait acquérir les terres et construire les infrastructures nécessaires à son exploitation. Cela allégerait un peu la crise énergétique de la Chine et aider la stratégie de Pékin pour compenser le déclin de son modèle économique orienté vers le littoral en stimulant le développement des terres intérieures.
    Les pays qui pourraient éventuellement souffrir à cause d’une révolution du gaz de schiste seraient les pays enclavés, producteurs de pétrole et politiquement instables comme le Tchad, le Soudan et le Sud-Soudan, dont les hydrocarbures pourraient perdre relativement en valeur à mesure que ces autres sources d’énergie seront exploitées. La Chine, en particulier, pourrait à l’avenir se désintéresser des gisements d’énergie dans ces  pays de bas de gamme [reresic, NdT] et à haut risque si le gaz de schiste qu’elle recèle se met à gicler en abondance.
    De manière générale, l’arrivée du gaz de schiste ne peut qu’accentuer l’importance de la géographie. Quels pays ont du schiste dans leur sous-sol et lesquels n’en ont pas permettra de déterminer les relations de pouvoir. Et comme le gaz de schiste peut être transporté à travers les océans sous forme liquide, les États ayant des côtes auront l’avantage. Le monde deviendra plus petit en raison de la technologie de l’extraction du gaz non conventionnel, mais cela ne fait qu’accroître le caractère précieux de la géographie, plutôt que de le  diminuer.

    Note du traducteur : ayant peu de choses en commun avec Monsieur Kaplan, je ne partage évidemment pas ses présupposés, ancrés dans l’idéologie usaméricaine de la « Destinée manifeste de l’Amérique », pas plus que je ne crois à une « fatalité géographique ». Le but de cette traduction est d’alimenter la réflexion de tous les citoyens francophones qui se battent dans le monde contre la malédiction du gaz de schiste en leur fournissant des éléments de compréhension des stratégies fumantes (et fumeuses) « d’en haut » à l’œuvre.

    http://euro-synergies.hautetfort.com/

  • La liquidation des uniates

    Un des chapitres les moins connus, mais non les moins douloureux, du martyrologe des chrétiens sous le joug communiste est celui qui a trait à la liquidation de l’Église catholique orientale, laquelle groupait avant la guerre quelque cinq millions et demi d'uniates de Galicie, de Tchécoslovaquie et de Roumanie. Les uniates étaient autrefois des orthodoxes qui, au XVIe et au XVIIe siècles, avaient reconnu l'autorité du pape et qui appartiennent, depuis lors, à l’Église catholique, tout en ayant conservé leurs rites d'origine byzantine, leur langue liturgique, la communion sous les deux espèces et - en Transylvanie et dans le diocèse de Lemberg tout au moins - la tradition orthodoxe du mariage des prêtres.
    EN FINIR AVEC L'INFLUENCE DE ROME
    Au moment de leur libération par l'Armée rouge de l'occupation allemande, ces populations fort pieuses jouissaient de la pleine liberté du culte et de l'instruction religieuse. Il était évident que les dirigeants soviétiques ne pouvaient tolérer cet état de choses et cela pour deux raisons : d'abord parce que le communisme s'oppose intrinsèquement à toute religion quelle qu'elle soit et ensuite parce que les uniates étaient soumis à l'obédience romaine. La propagande antireligieuse et les mesures habituelles visant à déchristianiser des populations attachées à leur foi ne pouvaient suffire. Le gouvernement soviétique se résolut donc liquider purement et simplement les églises uniates dans les pays soumis à son contrôle et à rattacher ses membres, de gré s'il se pouvait, de force s'il le fallait, à l’Église orthodoxe russe, dont les chefs ont toujours été sous la coupe de Moscou. C'est cette élimination systématique de la confession uniate en Pologne galicienne, en Tchécoslovaquie et en Roumanie transylvaine que nous nous proposons de retracer ici, en nous inspirant de la documentation remarquable qu'avait réunie à ce propos le R.P. jésuite Wilhelm de Vries.
    Parmi les uniates, le groupe le plus nombreux, celui des Ukrainiens de Galicie, se rallia à Rome en 1595. Jusqu'en 1945, cette communauté confessionnelle, forte de trois millions six cent mille âmes, fut administrée par un métropolite résidant à Lemberg et assisté d'un délégué apostolique. Elle était divisée en deux provinces. Après l'entrée des troupes russes, les autorités soviétiques commencèrent par exercer diverses pressions sur le clergé afin de l'amener à "coopérer" avec elles. Leurs efforts n'ayant donné aucun résultat, Moscou déclencha l'opération de l'assimilation des uniates en faisant intervenir le patriarche russe - nous aurions le droit, hélas, d'écrire le patriarche soviétique ! - Alexei (devenu « patriarche de Moscou et de toute la Russie » par la grâce de Staline en février 1945, à la suite du décès du patriarche Serge) qui somma les Ukrainiens de renier la foi catholique et de « rentrer au bercail de notre mère l’Église russe orthodoxe ». Dans cet appel comminatoire, il attaqua violemment les dogmes romains et affirma que la grâce n'opérait point par l'intercession de l'Eglise latine. Il soutint que le pape Pie XII avait pris le parti d'Hitler. Cette philippique venimeuse fut suivie d'une action méthodique qui aboutit, comme nous allons le voir, à l'absorption des uniates ukrainiens par l’Église orthodoxe russe.
    Le 11 avril 1945, tous les évêques résidant dans la partie de l'Ukraine polonaise occupée par les Russes furent arrêtés, de même que le délégué apostolique Nicolas Tcharnecky et le métropolite Josef Slipiy. Ces prélats furent déportés en URSS et condamnés par la suite à une longue peine de travaux forcés (après vingt ans de goulag sibérien, Mgr Slipiy fut expulsé vers Rome où il fut créé cardinal et archevêque métropolite de Lvov par Paul VI ; il mourut en 1984). Les séminaires furent fermés et leurs élèves forcés d'accomplir un service militaire. Rien qu'à Lemberg, environ 500 prêtres furent emprisonnés et dans bien des cas, soit envoyés en URSS, soit même assassinés.
    Il se trouva cependant trois ecclésiastiques qui acceptèrent de fonder un « Comité pour la réunification des deux Églises » qui s'employa immédiatement à hâter cette intégration. Dans une adresse envoyée au Kremlin, ce Comité demanda aux Soviets de l'aider à la réaliser. La réponse ne tarda pas : un décret du gouvernement soviétique ordonna la dissolution de l’Église uniate de Galicie et chargea le patriarche moscovite de nommer un évêque orthodoxe à Lemberg. Les 8 et 9 mars 1946, un pseudo-synode de l’Église catholique grecque se réunit dans cette ville et proclama sa fusion dans l’Église orthodoxe. Aucun évêque uniate ne participa à cette comédie de synode, mais tout fut fait par les Russes pour qu'aux yeux des étrangers naïfs la "réintégration" des uniates ukrainiens apparût comme un acte de joyeux et de libre consentement. En réalité, d'après des estimations recoupées, 30 % seulement des membres du clergé uniate se sont ralliés par contrainte à l'Eglise soviétique, tandis que 50 % ont été arrêtés et que 20 % constituent ce qu'on a nommé avec raison l'Eglise du silence... Et qui explique largement l'extrême méfiance manifestée par les Ukrainiens de l'ouest à Moscou lors de la « révolution orange », récupérée et instrumentalisée par des lobbys guère plus favorables aux uniates.
    LA DÉCAPITATION DES EGLISES D'EUROPE DE L'EST
    Dans la pointe extrême-orientale de la Tchécoslovaquie, dans cette région qu'on appelle la Subcarpatie et que le gouvernement de Prague dut céder à l'URSS après la dernière guerre, vivaient, en 1939, quelque 500 000 uniates, dont les aïeux avaient fait leur soumission à Rome au milieu du XVIIe siècle. Cette région ne possédait qu'un diocèse, celui de Moukatchévo, mais huit monastères et environ 650 prêtres catholiques grecs. Au mois d'octobre 1947, l'évêque de Moukatchévo, Mgr Romsha, fut victime d'un accident d'auto intentionnellement provoqué par les communistes. Il échappa à la mort, mais fut empoisonné sur son lit de souffrances. Comme il n'avait pas voulu se plier aux injonctions des autorités soviétiques, celles-ci avaient jugé plus expéditif de le faire disparaître. Des mesures de coercition à l'égard des uniates subcarpatiques ne furent prises toutefois qu'au début de 1949, lorsqu'il s'avéra que ces chrétiens se refusaient à faire acte d'apostasie. Brusquement, toutes les églises furent enlevées au clergé catholique grec et remises à des officiants orthodoxes. Tous les ecclésiastiques, séculiers ou réguliers, furent chassés de leurs demeures et interdiction leur fut faite de se livrer à l'exercice du culte. L’Église uniate de l'Ukraine subcarpatique avait cessé d'exister.
    Ici encore, nous constatons la coopération - un reste de déférence nous retient de dire la complicité - du patriarche de Moscou à un acte de force qui s'est répété dans tous les pays où vivaient des catholiques grecs. En Subcarpatie comme ailleurs, les chefs de l’Église russe se sont faits les humbles exécutants de la politique impérialiste de Staline. C'est le patriarche Alexei qui nomma un certain Malarius évêque orthodoxe du diocèse de Moukatchévo, et c'est sous les auspices de ce dernier que fut proclamée le 15 août 1949, la séparation définitive de l’Église uniate de l'Eglise romaine et la résorption sous contrainte des catholiques grecs par cet instrument de la politique soviétique que l'on ose nommer l’Église orthodoxe russe.
    En Slovaquie, il existait, avant la dernière guerre, un diocèse, celui de Prechov, qui comptait 330 prêtres et un peu plus de 300 000 catholiques grecs. Le ralliement de cette population à Rome s'était fait également au milieu du XVIIe siècle. Au lieu de se voir annexée par l'Union soviétique après la défaite du Reich, comme le fut la Subcarpatie, cette région fut réintégrée à l’État tchécoslovaque. C'est du reste pourquoi la liquidation de l’Église uniate slovaque se fit avec quelque retard. Ce n'est qu'en avril 1950, en effet, que fut réuni à Prechov un simulacre de synode, à la suite d'un séjour dans cette ville du métropolite Nicolas de Krutizy (ce « vicaire du patriarche de Moscou » était en même temps haut fonctionnaire soviétique, plus précisément chef du département des Cultes étrangers, membre du Conseil mondial pour la paix et propagandiste remarquable du communisme) : cinq prêtres uniates et plusieurs laïcs prirent part à cette comédie, dont la mise en scène avait été naturellement réglée à Moscou, et votèrent la dissolution de leur Église. L'évêque régulier, Mgr Goïditch, disparut à tout jamais, ses prêtres furent ou déportés en Russie ou contraints, après un long internement à Ouchorod et sous la menace d'être expédiés en Sibérie, de répudier l'Eglise catholique et de se déclarer orthodoxes. En Slovaquie, également, il ne fallut aux communistes que quelques mois pour détruire toute la structure d'une Église qui s'était maintenue pendant trois cents ans.
    En Roumanie transylvaine, les persécutions contre les catholiques du rite grec commencèrent en 1948 avec la mise en application de la nouvelle constitution communiste. En 1939, ils étaient plus d'un million. Ce qui les distinguait de leurs coreligionnaires polonais ou slovaques, c'est que leur attachement à Rome, en 1700, avait été une réintégration et non un ralliement. La Roumanie, en effet, a été romaine jusqu'au milieu du IXe siècle et c'est pour des raisons politiques qu'elle passa ensuite sous l'influence de Byzance. Mais il va sans dire que les autorités communistes ne tinrent aucun compte de ce fait lorsqu'elles affirmèrent que le devoir des uniates roumains était de se libérer de l'autorité de « la belle-mère latine » et de « rentrer dans le sein maternel de l’Église orthodoxe ».
    Par des mesures de pression et de chantage propres à tous les régimes communistes, la police politique roumaine parvint à circonvenir un certain nombre de prêtre uniates et les amena à prendre part à un congrès devant prononcer la rupture avec Rome. Cette assemblée se tint à Cluj, le 1er octobre 1948, avec la participation de 38 ecclésiastiques transylvains (sur les 16 000 que comptait l’Église uniate) et de quelques fonctionnaires communistes chargés de diriger l'opération. La résolution d'abjuration fut adoptée malgré l'opposition téméraire de quelques congressistes. Le lendemain, les membres du congrès étaient dirigés sur Bucarest et conduits chez le patriarche Justinian, membre de longue date du parti communiste, pour le prier d'accueillir les uniates dans l'Eglise orthodoxe roumaine. Le patriarche marxiste daigna accéder à ce vœu et, accompagné des apostats transylvains, se mit à la tête d'une procession qui s'achemina vers l’Église St-Spiridon. Le 3 octobre, un synode présidé par le patriarche avalisa l'union de l'Eglise catholique grecque à l’Église orthodoxe roumaine et un Te Deum fut célébré dans la cathédrale pour remercier le Seigneur de cet heureux événement. Depuis, cette église s'appelle officiellement la cathédrale de la Réunification.
    La première partie du programme était accomplie, celle de la répudiation formelle de Rome par les uniates roumains et de leur « libre adhésion » à la confession orthodoxe. Il restait à réaliser pratiquement ce camouflage d'apostasie, car il va sans dire que l'immense majorité de la hiérarchie uniate et des fidèles de ce rite s'opposaient farouchement, héroïquement parfois, à l'acte de violence dont ils étaient l'objet. Leur refus eut pour première conséquence l'arrestation des six évêques, la réquisition de quatre cathédrales catholiques et la fermeture de presque toutes les églises. Le 2 décembre 1948, un décret gouvernemental sanctionnait la « dissolution volontaire » de l’Église des uniates roumains, en prenant acte de ce « qu'elle avait librement cessé d'exister ». Les diocèses, les paroisses, les ordres religieux, les congrégations, les cloîtres étaient supprimés ou enlevés aux catholiques grecs et remis aux autorités orthodoxes.
    Il n'est que trop vrai malheureusement, et cela doit être dit aussi, que la résistance du clergé uniate n'a pas toujours eu l'énergie obstinée que, peut-être, on était en droit d'attendre de lui. La raison de cette mollesse relative se trouve, sans doute, dans l'influence qu'ont exercée sur leurs maris les femmes uniates. En Transylvanie, par exemple, 90 % des membres du clergé séculier sont mariés et l'on ignore pas que beaucoup d'épouses ont conseillé à leurs maris de passer à une confession dont les rites sont fort semblables à ceux de l’Église catholique grecque. Pour beaucoup d'entre elles, une adhésion à l'orthodoxie n'était qu'une apostasie. D'autre part, il faut aussi tenir compte du fait que, pour les uniates, l’Église orthodoxe n'a jamais été aussi étrangère qu'elle l'est aux yeux des catholiques romains. La résignation des uniates a donc des causes très particulières qu'il serait injuste de méconnaître et qui interdisent de comparer leur attitude à celle des catholiques polonais ou hongrois, dont l'attachement à la foi romaine fait partie intégrante de leur religiosité.
    OBJECTIF : LA DÉCHRISTIANISATION
    Indépendamment de l'aspect théologique du ralliement des uniates à l'orthodoxie, celui-ci a aussi, a surtout peut-être, un côté politique et c'est ce dont les ralliés ne prirent conscience qu'après avoir été englobés dans une Église contrôlée et dirigée par la IIIe Rome communiste. Ils n'ont pas compris que Moscou voulait leur intégration, d'abord pour rompre leurs attaches avec Rome, de façon à les isoler du monde extérieur, et ensuite pour pouvoir procéder d'autant plus facilement à leur lente déchristianisation. Car il ne fait aucun doute que l'appareil hiérarchique de l’Église russe n'a été officiellement reconstitué par les Soviets que pour le mettre au service de leur politique. Les hauts dignitaires de l’Église russe, comme les chefs des Églises orthodoxes autocéphales des pays satellites, étaient en réalité des fonctionnaires soviétiques obéissant aveuglément aux instructions du Kremlin. Il est très pénible de devoir faire cette constatation, mais une étude un peu approfondie de la politique religieuse des Soviets et des agissements synchronisés de leurs propagandistes, revêtus des ornements sacerdotaux, ne permet plus de se faire aucune illusion à cet égard.
    Frédéric BARTEL. Écrits de Paris décembre 2008

  • La fin de la croissance

    L’idée attaque une prémisse au coeur de notre pensée économique. Certains prêtres de cette pensée osent pourtant l’envisager très sérieusement.

     

    On pourrait mettre toute cette histoire sur le compte de la déprime collective qui frappe les économies développées depuis leur spectaculaire dégringolade que l’on sait. Y voir des idées noires qui seront rapidement dissipées aussitôt qu’une vraie reprise se fera enfin sentir. Mais les arguments mis de l’avant et leurs conséquences sur notre future qualité de vie sont suffisamment sérieux pour qu’on y prête attention.

     

    Ce que nous disent ces économistes et ces historiens, c’est que ceux qui attendent que le Congrès américain trouve une façon de passer son mur budgétaire ou que la crise de la zone euro soit réglée pour que les pays développés retrouvent enfin le rythme de croissance économique qu’ils ont connu depuis presque un siècle risquent d’être déçus.

    L’un des derniers en date à se pencher sérieusement sur cette question de « la fin de la croissance » est Robert Gordon. Dans un article remarqué publié à la fin de l’été sous l’égide du National Bureau of Economic Research américain, l’économiste de l’Université Northwestern commence par rappeler qu’il avait fallu cinq siècles pour que le niveau de vie double, dans les pays occidentaux les plus avancés, des années 1300 et 1800. Ce rythme a commencé ensuite à s’accélérer, ce niveau de vie doublant une nouvelle fois durant le siècle suivant, puis doublant à nouveau en l’espace de seulement 28 ans, entre 1929 et 1957, et doublant encore durant les 31 années qui ont suivi.

     

    Mais cette période faste est terminée, prévient l’expert. Le délai nécessaire pour le prochain doublement sera de nouveau de l’ordre du siècle.

     

     

     

    Les progrès rapides des 250 dernières années étaient tout à fait exceptionnels dans l’histoire humaine, explique Robert Gordon. Ils étaient le résultat de trois révolutions industrielles découlant d’avancées technologiques majeures, soit : l’invention de la machine à vapeur et du transport sur rail entre 1750 et 1830 ; l’arrivée du moteur à explosion, de l’eau courante, de l’électricité, des communications et de la chimie médicale et industrielle entre 1870 et 1900 ; la création des ordinateurs, d’Internet et des téléphones cellulaires à partir des années 1960.

    La deuxième révolution technologique a, de loin, été celle qui a permis les plus importants gains de productivité en plus de 80 ans. Mais plusieurs de ces innovations ne pouvaient se produire qu’une fois, telles que l’urbanisation, l’accélération des transports et la libération des femmes de la corvée d’aller chercher l’eau. En dépit de ce qu’on se plaît à croire, les retombées de la troisième révolution – celle de l’informatique et des technologies de l’information – ont été beaucoup plus modestes et semblent devoir le rester, note l’économiste.

     

    Une petite planète

     

    Au moins trois conclusions peuvent être tirées de ce constat, écrivait cet automne l’influent chroniqueur du Financial Times, Martin Wolf. Premièrement : les États-Unis restent le pays phare de la productivité, mais seront plus faciles à rattraper puisqu’ils n’avanceront plus aussi vite. Deuxièmement : les pays en voie de développement, comme la Chine, ont encore de nombreuses et belles années de rattrapage économique devant eux, si tant est que notre planète puisse le supporter. Troisièmement : il ne suffit pas de mettre en place les bons incitatifs individuels et collectifs pour générer de la croissance. On peut réduire les impôts autant qu’on veut, cela ne pourra jamais compenser l’absence de grandes innovations.

    Or, même si le rythme des innovations devait rester celui des 20 dernières années, celui de la croissance économique semble quand même condamné à ralentir en raison de six phénomènes que Robert Gordon observe aux États-Unis, mais qui se retrouvent aussi dans la plupart des autres pays développés. Il s’agit du vieillissement de la population, du plafonnement des gains en éducation, de la croissance des inégalités, de la crise énergétique et environnementale ainsi que l’endettement des ménages et de l’État.

     

    Des voix rétorquent que ce genre d’analyse n’est qu’une version remaniée de la bonne vieille angoisse d’un autre célèbre économiste, Thomas Malthus. Le Britannique était convaincu, au début du XIXe siècle, que l’humanité se serait maintenant écroulée sous le poids de son propre nombre, ne pouvant pas prévoir l’avènement de toutes sortes d’innovations telles que l’explosion de la productivité agricole, les avancées de la médecine moderne, ni la dématérialisation de l’économie.

     

    D’autres voix répondront, au contraire, que toutes ces considérations sur le rythme plus ou moins rapide de la croissance sont oiseuses. La vraie question serait de savoir quand on se rendra enfin compte que toutes les innovations du monde ne nous empêcheront pas de nous cogner, un jour ou l’autre, le nez contre les limites physiques (et écologiques) de la petite planète sur laquelle nous vivons.

    On se dit qu’en fait, il se pourrait, et même il faudrait, que la prochaine grande révolution industrielle soit justement celle du développement durable.

    LE DEVOIR   http://fortune.fdesouche.com

  • La Corée du Nord et l’atome

    « Nous n’allons pas vivre avec une Corée du Nord nucléaire », vient d’affirmer Christopher Hill, adjoint au Secrétaire d’Etat pour l’Asie du sud-est. En 2003, le président Bush avait déclaré qu’ « il ne tolérerait jamais une Corée du Nord nucléairement armée ». Le président des Etats-Unis a, aussitôt, obtenu téléphoniquement l’assentiment des dirigeants chinois, russes, coréens du sud et japonais, relatif à la condamnation des agissements de la Corée du Nord, tenus « pour inacceptables et exigeant une réponse appropriée immédiate ».

    Pourtant, la Maison-Blanche n’est guère qualifiée pour porter un tel jugement et mobiliser la « communauté internationale » contre le régime de Pyongyang, si déplaisant soit-il.

    En effet, si les Etats-Unis sont à l’origine du traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICEN) ouvert à la signature en 1996, ce sont eux qui, en octobre 1999, ont refusé de ratifier le TICEN, le rendant caduc. Si bien que la Corée du Nord a considéré qu’il était de son intérêt de procéder à une expérimentation atomique, aussi spectaculaire que possible, sans pour autant enfreindre une règle internationale que Washington avait rejetée.

    D’ailleurs Washington, et les autres capitales, aujourd’hui protestataires, s’accommodaient de l’effort d’armement nucléaire de Pyongyang et l’ambiguïté sur l’état de ses réalisations atomico-militaires permettait de ne point s’en inquiéter, du moins officiellement.Washington n’entendait pas exposer son corps expéditionnaire, déployé en Corée du Sud, (37 000 hommes) à l’artillerie et aux engins nord coréens. Figurant sur l’ « axe du mal ». Pyongyang n’en était pas moins à l’abri des foudres du Pentagone.

    Si le dictateur coréen a choisi de révéler, avec éclat, à l’opinion publique mondiale les succès d’une politique poursuivie avec obstination depuis un demi siècle, c’est que les circonstances s’y prêtaient.

    Kim Jong-il

    Visite, le 14 septembre, du président sud-coréen Roh à Washington notamment afin de traiter avec le président George W. Bush de l’armement atomique nord-coréen. Cette rencontre faisant suite aux négociations de Seattle (6 septembre) relatives aux accords de libre échange entre Corée du Sud et Etats-Unis, il devenait urgent de manifester la présence de la Corée du Nord dans les relations américano-sud coréennes. De surcroît, le nouveau Premier ministre nippon allait mettre un terme au refroidissement sino-japonais et la Corée du Sud souhaitait se faire entendre et ménager ses intérêts dans le « réarrangement » en cours.

    Enfin une occasion était offerte de gêner M. Bush à la veille de la consultation électorale de novembre en soulignant la faillite de sa politique de non-prolifération. Ce qui n’était pas pour déplaire à Pékin, comme à Moscou.

    Contrairement aux affirmations des média, l’essai atomique du 9 octobre ne modifie guère le rapport des forces en zone Asie-Pacifique et plus généralement dans le monde. Les gouvernements et les milieux informés n’ignorant pas l’imposante architecture scientifique et technique mise sur pied par Kim Jong-il et son fils. Ils savent qu’il n’est point besoin d’essais pour que soit redoutée une panoplie nucléaire, même modeste.

    Pour les gouvernements, il s’agit de tirer parti au mieux de leurs intérêts respectifs, de l’émotion ainsi artificiellement créée, alors qu’en réalité l’expérimentation du 9 octobre n’a qu’un effet déclaratoire, psychologique.

    Reste à expliquer la consécration d’une politique nucléaire surprenante lorsque l’on sait qu’elle a été pratiquée par un peuple numériquement peu important (22 millions) vivant dans la précarité matérielle et l’obscurantisme politique.

    Missile, Nord-Coréen Taepodong 2

     Il a fallu une extraordinaire volonté politique pour mettre sur pied un appareil scientifique et technique aussi complexe et aussi évolué, cela dans un pareil environnement de pauvreté. L’indépendance politique et stratégique était l’objectif prioritaire. Les événements du passé expliquent le présent, au moins dans une large mesure. D’où le bref historique qui suit :

    A. Rappel historique

    Au nord comme au sud de la péninsule Coréenne on n’a pas oublié que lors de la guerre de Corée (1950-1953) le général Mac Arthur avait envisagé d’en venir au bombardement atomique des forces du nord. Et les Coréens du nord, agresseurs du sud, aidés par la Chine furent contraints de composer après leur défaite militaire, la Corée du Sud, les Etats-Unis et les contingents alliés mobilisés par l’ONU l’emportant sur le terrain et imposant l’armistice de Pan Mun Jom (juillet 1953) qui confirmait la division de la péninsule. Les Etats-Unis déployèrent aussitôt en Corée du sud un corps expéditionnaire équipé d’armes atomiques (canons de 280 millimètres, missiles à moyenne portée et mines atomiques), les Coréens du Nord se croyant menacés par un millier de projectiles nucléaires américains, et cela jusqu’à ce que, en 1992, le président Bush ordonne leur retrait.

    Trois ans seulement après Pan Mun Jom, la dictature nord-coréenne décida de s’engager dans l’aventure atomique. Les événements cités plus haut l’y incitèrent, mais aussi la crise de l’énergie fossile consécutive à l’expédition de Suez et les encouragements soviétiques, Moscou cherchant à stabiliser, en faveur des pays de l’Est, la division de la péninsule coréenne en renforçant l’allié du nord.

    En 1956 et 1959, des accords d’assistance scientifique furent signés par Moscou en faveur Pyongyang, les Soviétiques accueillant des scientifiques nord-coréens pour les initier aux travaux relatifs à la désintégration de la matière. A la fin des années 80 Moscou offrit de construire en Corée du Nord une centrale nucléaire capable de produire de l’énergie électrique, centrale de 1760 Mwe (ou quatre centrales de chacune 440 Mwe). Mais manifestant la même prudence qu’envers l’allié irakien, Moscou exigeait que les Inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique de Vienne aient accès à ces centrales nord-coréennes. De surcroît, Pyongyang devait signer le traité de non-prolifération. En 1962, avec l’assistance des Soviétiques, un Centre d’Etudes atomiques a été créé au sein de l’Académie des Sciences de Yongdong. Mais, avec le démantèlement de l’URSS, la Corée du Nord fut obligée de poursuivre seule son programme et, en particulier, de procéder à la construction de 3 réacteurs de 650 Mw et d’un réacteur de recherche, la science locale se substituant à celle du grand allié alors en quête de nouvelles Institutions. Déjà, en 1965, l’URSS avait fourni un réacteur de recherche de 2 Mw que les Nord-Coréens portèrent à 8 Mw. En 1980, ils avaient été en mesure de concevoir et de commencer à construire, avec des moyens nationaux, un réacteur graphite-gaz de 5 Mwe.

    Centrale de Yongbyon, Corée du Nord

     Toutes ces activités scientifico-techniques étaient surveillées par les Etats-Unis et le Japon, Russie et Chine feignant de les ignorer. Mais, en 1994, les experts de l’Agence de Vienne estimaient que la Corée du Nord avait extrait une quinzaine de kilos de plutonium en traitant du combustible de leurs diverses centrales nucléaires et qu’ils disposaient donc des moyens de construire une ou deux « bombes ».

    La « communauté internationale », et plus particulièrement les Etats-Unis, s’en étaient vivement inquiétés. Aussi, après plus d’un an après les négociations menées à Genève les représentants de Washington et de Pyongyang signaient un accord (le 17 octobre 1994) salué avec lyrisme par le président Clinton : « ce texte permet d’atteindre un objectif longtemps poursuivi et vital pour les Etats-Unis : la fin de la menace de prolifération nucléaire dans la péninsule Coréenne… un pas crucial ramenant la Corée du Nord dans la communauté mondiale ».

    Selon les termes de cet accord, la Corée du Nord stoppait son programme nucléaire fondé sur la production de plutonium et admettait l’inspection de ses installations atomiques par les techniciens de l’Agence Internationale de Vienne. En échange, pour satisfaire ses futurs besoins en énergie, Pyongyang recevrait un réacteur de 2000 Mwe à eau pressurisée au combustible moins utilisable militairement (ou 2 de ces réacteurs, mais de 1000 Mwe chacun), le financement de cette opération étant assuré par la Corée du Sud et le Japon (4 milliards de dollars) tandis que les Etats-Unis s’engageaient à fournir le pétrole nécessaire jusqu’à mise en route de ce réacteur, soit de l’ordre de 500.000 tonnes. La Corée du Nord et les Etats-Unis rétabliraient progressivement leurs relations diplomatiques et commerciales et le traité de non-prolifération serait respecté par les Coréens du Nord.

    L’année suivante, réunissant les représentants d’une vingtaine d’Etats dont les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Russie, la France… une conférence sur l’énergie et la péninsule coréenne fut organisée à New-York. Elle aboutit à la création de l’Organisation pour le développement de l’énergie de la péninsule coréenne ou, en abrégé anglo-saxon : KEDO. L’ambassadeur des Etats-Unis, Robert Gallucci en présenta les conclusions à la presse : l’accord d’octobre 1994 serait matérialisé et un secrétariat créé à New-York pour gérer l’application des dispositions du traité. Déjà, les Nord-Coréens avaient annoncé qu’ils ne souhaitaient pas recevoir un réacteur nucléaire d’origine sud-coréenne, mais à Séoul on n’entendait pas financer une autre réalisation que sud-coréenne, si bien que les Etats-Unis décidèrent de s’en tenir aux termes du traité de 1994, d’autant que l’Australie et la Nouvelle-Zélande proposèrent de contribuer financièrement à KEDO tel que le présentait l’ambassadeur Gallucci.

    Mais, à la suite des inspections de l’Agence de Vienne en 1993 le Secrétaire à la Défense, William Perry avait annoncé à la presse le 3 mai 1994 que le combustible usé dans les réacteurs nord-coréens contenait assez de plutonium pour assembler 4 ou 5 bombes atomiques. L’accord de 1994 et KEDO stoppaient – officiellement – un programme mais le plutonium était déjà un acquis nord-coréen… ainsi que le savoir scientifique.

    Aussi, estimant que Pyongyang n’avait pas rempli toutes les obligations du traité, Washington usa de la menace d’attaque.

    Le Commandant du Commandement stratégique des Etats-Unis déclara au Congrès (mars 1997) … « De même que les Etats-Unis ont menacé l’Irak, en 1991, d’un châtiment nucléaire, de même un message identique vise la Corée du Nord depuis 1995 ». Et l’Armée de l’Air des Etats-Unis procéda à des simulacres d’attaque de la Corée du Nord. Démarche qui ne pouvait que renforcer les ambitions nucléaires de Pyongyang.

    En 1997, le pakistanais Abdul Q. Khan vint à la rescousse proposant de suivre une autre filière que celle du plutonium à laquelle l’accord de 1994 était censé avoir mis un terme : l’enrichissement de l’uranium par centrifugeuses, selon le procédé utilisé par la Chine. Et le journaliste en vogue, Seymour Hersh révéla la collusion pakistano-nord coréenne. Celle-ci devint officielle lorsque, en octobre 2002, James A. Kelly, adjoint au Secrétaire d’Etat pour l’Asie Orientale et le Pacifique, annonça, sans être démenti, que la Corée du Nord conduisait en secret un programme d’enrichissement de l’uranium. Le traité d’octobre 1994 était caduc et Pyongyang démasqué reprit une totale indépendance :
    -Remise en route du réacteur graphite-gaz de 5 Mw qui avait été stoppé.
    -Construction de deux réacteurs plus puissants (50 et 200 Mwe).
    -Expulsion des inspecteurs de l’AIEA de Vienne et enlèvement de leurs caméras de contrôle.

    Enfin, en janvier 2003, la Corée du Nord se retirait du traité de non-prolifération et récupérait le plutonium produit antérieurement et stocké sous scellés. Pyongyang se libérait ainsi de toute contrainte (au moment où Washington s’engageait à fond en Irak) et exploitait ses mines d’uranium naturel dont les gisements représentaient plus de 20 millions de tonnes.

    Ainsi, la Corée du Nord était créditée d’un stock de 8 à 10 kilos de plutonium provenant de son réacteur de 5 Mwe situé à Yongbyon, près de la frontière chinoise. Une bombe étant réalisable à partir de 2002, mais un an auparavant déjà débutait l’enrichissement par centrifugeuse de l’uranium obtenant probablement 40 à 60 kilos d’uranium enrichi par an.

    Selon la technicité des scientifiques nord-coréens, variable serait la quantité de plutonium incorporé dans le mécanisme de la bombe : probablement 2 à 3 kilos pour une énergie faible, inférieure à 5 kilotonnes et 3 à 5 kilos pour une énergie voisine de celle dégagée par la détonation d’Hiroshima de l’ordre de 13 à 15 kilotonnes. Or, d’après la CIA la construction du réacteur de 50 Mwe et du réacteur de 200 Mwe fournirait plus de 250 kilos de plutonium annuellement.
    Quant à l’uranium enrichi, 40 kilos permettraient de construire une dizaine de bombes de « faible énergie » (gamme basse kilotonique). Kim Jong-il avait bien choisi son heure. Engagée en Irak et en Afghanistan l’Amérique en a été réduite à solliciter l’intervention de Séoul, Pékin, Moscou… Les dirigeants chinois se déclarèrent favorables à un compromis tout en reprochant aux Etats-Unis leur « politique rigide exacerbant les tensions » et invitèrent Washington à traiter la Corée du Nord en Etat souverain. Moscou mit en garde l’unique superpuissance contre son « excessive émotivité ».

    Après tout Pyongyang réclamait de Washington qu’on y cesse de proférer des menaces et que l’on s’engage à ne jamais attaquer la Corée du Nord. Ce à quoi les Etats-Unis refusaient de consentir. Même le Japon – commerçant avantageusement avec la Corée du Nord – ne voulait pas de fortes sanctions, a fortiori, l’usage de la force et l’instabilité régionale qui s’en suivraient. Et comment appliquer des sanctions économiques à un peuple déjà miné par la famine et dépendant, pour son existence, des fournitures de l’extérieur ? A commencer par celles de l’ami chinois. Mais celui-ci entendait maintenir Kim Jong-il au pouvoir.

    Aussi, Washington décida-t-il de composer. A Séoul le Secrétaire d’Etat Colin Powell annonça que les Etats-Unis reprendraient l’aide alimentaire à la Corée du Nord.

    Celle-ci le même jour, fit une nouvelle démonstration de son indépendance en tirant un missile balistique expérimental d’une centaine de kilomètres de portée, qui s’abîma en mer du Japon.

     Mieux encore, quatre avions de chasse nord-coréens– des MIG 21 – tentèrent d’intercepter un appareil de reconnaissance de l’US Air Force évoluant à plus de 200 kilomètres du littoral coréen. D’ailleurs, si le Conseil de Sécurité des Nations Unies, à la demande de Washington avait été invité à sanctionner la Corée du Nord (avril 2003) Moscou et Pékin auraient brandi leur veto.
    Et en janvier 2003 Séoul annonçait que ceux du nord avaient procédé à 70 essais de mise au point des détonateurs de leurs bombes, William Perry ex-Secrétaire à la Défense du gouvernement Clinton affirmait que la Corée du Nord possédait 8 engins atomiques et qu’elle en aurait une douzaine avant la fin de l’année. C’était il y a trois ans, si bien que l’essai du lundi 9 octobre 2006 n’aurait pas dû être la surprise que présentent les média car, à l’époque, les experts américains estimaient à six mois le délai nécessaire pour que les scientifiques nord-coréens réussissent à miniaturiser leurs charges explosives et les installent aux sommets de leurs missiles balistiques.

    Fin août 2003, c’est sans succès que les représentants des Etats-Unis, de la Chine, du Japon et des deux Corée se réunirent à Pékin, le Coréen du nord menaçant – déjà – de procéder, à titre de démonstration, à une explosion expérimentale.

    Le Pentagone ayant sérieusement envisagé de préparer un plan de guerre, avec l’attaque aérienne des principaux centres de recherche et de réalisations atomiques nord-coréennes, Pyongyang a laissé entendre que si les Etats-Unis cessaient de manifester leur hostilité et s’engageaient à ne pas attaquer la Corée du Nord, celle-ci renoncerait à poursuivre l’exécution de son programme nucléaire. Et cela bien que la « République populaire démocratique de Corée eut achevé avec succès le retraitement de quelque 8000 barres de combustible nucléaire », précisait le communiqué de l’Agence de presse nord-coréenne. Kim Jong-il, comme plus tard le président Ahmadinejad iranien, maniait le bâton et la carotte afin de gagner du temps. Engagé en Irak et en Afghanistan, Washington saisit l’occasion pour renoncer à abattre le régime nord-coréen et revenir à la négociation, aidé par Pékin et par Moscou. A quoi Pyongyang répondit en invitant une délégation américaine à visiter le complexe nucléaire de Yongbyon, important Centre de recherche et de réalisations atomiques nord-coréen.

    Au cours de l’année 2004, les représentants des Etats-Unis, de la Chine, de la Corée du Sud, de la Russie et du Japon, collectivement ou séparément s’efforcèrent de concilier les exigences des Etats-Unis – le démantèlement du programme nucléaire nord-coréen et des installations correspondantes – avec les demandes de Pyongyang : une aide économique et énergétique, le renoncement des Etats-Unis à attaquer la Corée du Nord, la reconnaissance de la souveraineté de Pyongyang, Etat indépendant et « respectable »… (bien qu’accusé de divers trafics).

    Au début de février 2005 la Corée du Nord se déclara officiellement puissance nucléaire… « Elle a construit des armes atomiques par mesure d’autodéfense face à une politique de moins en moins déguisée, d’isolement et d’étouffement… ces armes resteront, en toutes circonstances, une force de dissuasion…. »… d’où suspension, pour une période indéterminée, de la participation nord-coréenne aux négociations des Six. (Chine, Corée du Nord et du Sud, Etats-Unis, Japon et Russie). En somme Pyongyang se ralliait à la politique de dissuasion telle qu’elle est pratiquée par les cinq puissances nucléaires reconnues.

    D’où, en théorie, une position de force pour la Corée du Nord et un échec pour Washington contraint de s’en remettre à la Corée du Sud, vieil allié, à la toute puissante Chine, du soin de désarmer la Corée du Nord. Ravitaillant celle-ci en produits alimentaires et en énergie, les deux capitales asiatiques ont des atouts que n’a pas Washington mais s’opposent à d’éventuelles sanctions qui seraient décidées par le Conseil de Sécurité de l’ONU. Pour Séoul il s’agit de réunir, peu à peu, les conditions de la réunification de la péninsule coréenne, d’où des « bons offices » nationalement intéressés.

    Ne pouvant s’en prendre à la politique de dissuasion nucléaire derrière laquelle se retranche Pyongyang, les Etats-Unis ont cherché à mobiliser l’opinion contre les essais d’engins balistiques (sept tirs en juin 2006) et la mise au point d’un engin à longue portée (Taepodong 2 : 7.000 kilomètres) dont le lancement a été un échec. La Corée du Nord en fait commerce et Washington s’en inquiète à juste titre mais sans même concevoir une solution à la crise nord-coréenne tant est complexe la situation de la zone Asie-Pacifique.

    B. Ampleur de l’effort scientifique de la Corée du Nord

    On imagine mal qu’un peuple aussi pauvre (PNB par habitant inférieur à 300 dollars) dépourvu d’infrastructure moderne et surtout victime de nombreuses et sévères famines, ait pu fournir les cadres et les spécialistes d’une entreprise aussi complexe que l’électronucléaire, l’armement atomique, les engins capables de porter la destruction à distance.

    Depuis le début des années 90 on sait l’importance de l’effort scientifique du régime de Kim Song-il I et II. A partir de 1956 et jusqu’à la fin des années 70, le régime a construit une vaste architecture connue sous la désignation de Centres de recherche d’énergie atomique (CREA). A partir du début des années 80, les études et les recherches des scientifiques nord-coréens, aidés par l’URSS, sont passées du laboratoire à l’usine et à la mine.

    Le dictateur était obsédé à la fois par l’électronucléaire, l’énergie à des fins industrielles et par l’armement nucléaire, la présence à la frontière d’un corps expéditionnaire américain équipé atomiquement témoignant de la victoire des forces du général Mac Arthur repoussant l’agression nord-coréenne et chinoise.
    Un ministère de l’Industrie de l’énergie atomique a été créé en 1986, pour contrôler les nouvelles activités majeures du pays, jusque là relevant de l’Académie des sciences. Au ministère de la Sécurité publique de veiller à la construction et à la sûreté des Centres de Recherche, et à celui des Forces armées populaires d’en assurer, éventuellement, la défense.

    Des Centres de recherche avaient été édifiés à Pyongsong, Nanam, Pyongyang, Pakchon, Wonsan et Yongbyon et quatre réacteurs de recherche édifiés à Yongbyon, les réacteurs de puissance ayant été construits à Simpo et à Taechon, l’enrichissement de l’uranium provenant de six mines serait effectué à Pyongsan. La plupart de ces installations se trouvent à l’ouest de la Corée du Nord, proches de la frontière chinoise et de la mer jaune. Des zones interdites ont été constituées et une infrastructure routière et ferroviaire adaptée aux activités de ces Centres. Déjà, en 1994, certaines installations critiques étaient souterraines. Dans un pays aussi privé de ressources, ces réalisations – et les succès techniques enregistrés par la suite – sont surprenants.

    Vue satellite du réacteur de Taechon (Corée du Nord)

     Depuis 2002, et une timide ouverture vers les économies extérieures, le niveau de vie de la population s’est quelque peu amélioré mais l’avènement d’une Corée du Nord puissance nucléaire n’en est pas moins un exploit, un exploit durement payé en dépit de l’aide soviétique, probablement chinoise on le sait maintenant, pakistanaise et indirectement sud-coréenne.

    Sanctionner la Corée du Nord ? Malaisé puisque les Etats-Unis eux-mêmes ont renoncé au traité d’interdiction de toute expérimentation nucléaire. Et puis Pyongyang affiche sa détermination de pratiquer la même politique de dissuasion que celle des puissances atomiques admises par la « communauté internationale » (c’est-à-dire, en fait, par elles-mêmes). De surcroît, Russie et Chine veillent. En l’occurrence les antagonismes de la « guerre froide » ont de solides prolongements. C’est pourquoi l’élaboration d’une Résolution punissant Pyongyang a été laborieuse.

    Un texte qui serait acceptable pour Moscou et pour Pékin limite les sanctions à l’interdiction de fournir à la Corée du Nord des matériels associés au nucléaire militaire et à ses moyens de projection et, souci prioritaire américain, la Corée du Nord doit mettre fin à ses exportations de matériels de combat. Résolution 1718. Mme Condoleeza Rice s’est rendue à Pékin, Séoul, Tokyo pour préciser les conditions d’exécution des clauses de la Résolution. (Dans le cadre du chapitre 7 de la Charte des Nations Unies corrigé par l’article 41 qui exclut spécifiquement l’usage de la force). Mme Rice est venue dans ces capitales y confirmer l’engagement américain afin de conjurer une dérive nucléaire de Tokyo et de Séoul.

    C. Qu’en est-il de la détonation du 9 octobre ?

    L’intention d’abord. A l’évidence prouver la technicité nucléaire de la communauté scientifique nord-coréenne et à l’instar des Etats disposant de l’atome militarisé, bénéficier des privilèges qu’il confère : autorité scientifique, invulnérabilité stratégique, pouvoir d’intimidation, sécurité dans l’indépendance, et à l’intérieur renforcement du pouvoir légitime par le succès technique.

    Pyongyang a judicieusement choisi une expérimentation en cavité souterraine. Il n’y aurait pas de retombées radioactives, la détonation n’ayant pas d’effets hors du territoire national et pas de prélèvements atmosphériques permettant aux scientifiques occidentaux de préciser la nature du matériau fissile utilisé et, en cas d’échec, de le révéler aux observateurs. Une expérimentation aérienne eût également exigé des préparatifs repérés par satellites et imposé, à coup sûr, une réussite.

    Enfin, l’explosion en une cavité dont on ne connaît ni la profondeur ni les dimensions concourt au secret quant au savoir des scientifiques nord-coréens et aux caractéristiques du dispositif explosif. A tel point que, selon les intérêts nationaux, l’énergie dissipée par la détonation est appréciée différemment. Aux Etats-Unis, l’on a même avancé l’hypothèse que la détonation ne serait pas nucléaire mais produite par quelques centaines de tonnes de poudre de TNT.

    L’énergie de l’explosion est minimisée, évaluée à 1 kilotonne, voire moins, en favorisant le raté technique : une mauvaise manipulation qui aurait abouti seulement à un demi succès. En revanche, les amis de la Corée du Nord, les Russes ou les Chinois, laissent entendre que la charge explosive – on ne peut encore parler d’une arme – aurait dégagé une énergie mesurée en dizaines de kilotonnes ou du moins, 10 à 12 kilotonnes, énergie proche de celle de la bombe d’Hiroshima.

    Le ministre de la Défense russe, M. Sergueï Ivanov situe l’explosion entre 5 et 15 kilotonnes, tandis que Washington s’en tient à une énergie inférieure à 1 kilotonne. Ce ne serait qu’un succès partiel a avancé l’ex-directeur des essais nucléaires du Pentagone, tandis qu’un autre expert américain fixait à 4 kilotonnes l’énergie de la détonation du 9 octobre.

    Elle a été détectée par une vingtaine de stations sismographiques, non seulement au voisinage, Chine, Japon, Corée du Sud, mais aussi éloignées que l’Ukraine, l’Australie, les Etats d’outre-Atlantique du Nevada et du Wyoming. Sur l’échelle de Richter, qui compte 9 degrés, l’explosion a déclenché une onde de choc de 4.2 (1)

    Le recours à l’expérimentation en cavité souterraine crée une ambiguïté dont bénéficie la Corée du Nord. Et pas de nuages radioactifs comme ceux produits par les quelque 500 explosions aériennes des puissances atomiques nanties, aujourd’hui accusatrices.

    D. La Corée du Nord devant le Tribunal des « grands »

    1. L’explosion du 9 octobre souligne les contradictions de la politique étrangère des Etats-Unis. Il est difficile de se présenter en champions de la non-prolifération d’armes nucléaires et, dans le même temps, renoncer au traité qui interdit toute expérimentation de ces mêmes armes. Et aussi imposer le respect des clauses du traité de non prolifération en ignorant celle qui invite les puissances nucléairement nanties à réduire jusqu’à disparition leur stock d’engins atomiques… sans établir de calendrier ( Article VI du traité).
    Prudemment, la réaction du président Bush fut de « s’en remettre à la diplomatie pour résoudre la crise, les Etats-Unis gardant toutes les autres options pour défendre leurs alliés et leurs intérêts dans la région face aux menaces provenant de la Corée du Nord ». Toutefois le président américain excluait des négociations directes avec Kim Jong-il II. En somme, une réaction mesurée en dépit des violentes critiques de sa politique par les Démocrates. L’accord de 1994 négocié par Bill Clinton, en 1994, est un échec ripostent les Républicains conduisant leurs adversaires politiques à souligner la faillite de la politique de non prolifération du président Bush. Bref, une empoignade de politique intérieure à la veille des élections de novembre.

    En revanche, dans une certaine mesure, la nucléarisation avouée et prouvée, de la Corée du Nord accroît la tension entre les Etats-Unis et les Etats figurant sur l’ « axe du mal » et justifie l’état d’alerte permanent dans lequel vivent des Américains et les mesures de sécurité prises par l’administration Bush. A commencer par l’édification du bouclier antimissiles en Alaska, Californie et aussi en Europe de l’Est. Mais, hors des Etats-Unis, force est de constater l’impuissance de la superpuissance enregistrant échecs sur échecs : Irak, Afghanistan, Liban et maintenant le « pied de nez » nord-coréen.

    2. La Corée du Sud est dans l’embarras. Elle tient pour indispensable des liens étroits avec les Etats-Unis, et plus généralement avec « la communauté internationale » qu’ils dirigent. Mais Séoul ne peut renoncer à sa « politique ensoleillée » vis-à-vis de Pyongyang et compromettre une réunification qui se fera « lentement et à son heure ». Difficile de participer à la punition de ceux du Nord en sachant qu’ils se rapprocheront de la Chine en se détournant du Sud et de l’unité de la péninsule. La présence du corps expéditionnaire des Etats-Unis se révèle nécessaire pour équilibrer la nouvelle superpuissance du Nord nucléarisé, le Sud ne l’étant pas.

    Mais céder aux pressions de Washington est également dangereux. Accepter comme le souhaite la Maison-Blanche que la Corée du Sud applique « l’Initiative pour la sécurité en dépit de la prolifération» reviendrait à participer au blocus maritime de la Corée du Nord et à semer les germes d’une guerre civile.
    Séoul estime qu’il a un prétexte pour augmenter les forces armées traditionnelles de la Corée du Sud, la Corée du Nord maintenant « sanctuarisée » par l’atome étant incitée à user de la force à l’aide de son armement non atomique… En somme approuver Washington, mais aussi ménager Pyongyang, sanctionner… mais pas trop, la sunshine policy a été une réussite et elle doit être poursuivie.

    3. Le Japon ne partage pas les inhibitions sud-coréennes. On y regarde la Corée du Nord en ennemi, un ennemi qui procéda à l’enlèvement de dizaines de citoyens japonais, dont Tokyo est sans nouvelles pour la plupart d’entre eux. Et puis les Japonais n’ont pas oublié l’essai du missile Taepodong nord-coréen à la trajectoire passant au-dessus de leur territoire. La nucléarisation prouvée de la Corée du Nord fournit des arguments à la droite japonaise qui réclame la modification de la Constitution de 1945, désarmant le Japon, et la création d’une armée nationale libre de toute contrainte diplomatique.

    En venir à l’armement atomique est une option discrètement envisagée en dépit du traumatisme d’Hiroshima et de Nagasaki. Mais ces arrières pensées le cèdent, en façade, à un soutien de la politique des Etats-Unis. Et d’approuver l’attitude de leur nouveau Premier ministre Shinzo Abe qui acceptait de « punir sévèrement » Pyongyang, toutefois en considérant que les deux Corée ne forment, en réalité, qu’un peuple et qu’il faut ménager son avenir car il est un bien proche voisin.

    A la différence de son prédécesseur Junichiro Koizumi le Premier ministre Shinzo Abe a renoncé au pèlerinage « nationaliste » de Yasukuni célébrant le militarisme japonais, lui substituant une repentance (à la française ?) qui a la faveur de Pékin et de Séoul. Autre fait significatif, pour son premier voyage officiel, M. Abe ne s’est pas rendu à Washington mais à Pékin et à Séoul, justement les 8 et 9 octobre, au moment où, après la Chine un autre Etat de la zone Asie-Pacifique prouvait ses capacités nucléaires face au Japon ligoté par sa Constitution. A la différence de Pékin et de Séoul, Tokyo a de bonnes raisons pour isoler et punir la Corée du Nord.

    4. Ce n’est le cas ni de Moscou ni de Pékin. Il faut situer les intérêts des deux capitales dans le cadre du grand affrontement ouest-est qui succède à celui qui opposa économie planifiée et économie de marché, marxisme-léninisme et libéralisme politique. Le nucléaire avait figé cet antagonisme et il est fort probable qu’il jouera le même rôle dans la rivalité politique et économique en cours entre le monde atlantique et monde Asie-Pacifique.

    En ce qui concerne la Russie, elle se sait à l’origine de la formation scientifique et technique des nord-coréens, alliés de la guerre froide et de la guerre chaude lors de la crise de 1950-1953 et elle a intérêt à une certaine dissémination d’un armement qui suscite les indépendances politiques au détriment de l’hégémonie américaine. En revanche, élémentaire double jeu, il est politiquement utile et « convenable » de condamner la prolifération nucléaire horizontale parce qu’elle est redoutée par tous, la population ne voyant dans l’atome qu’une arme d’extermination, de surcroît apanage – jusqu’au 9 octobre dernier – des Etats riches ou autoritaires.

    Le Conseil de Sécurité de l'ONU

    Aussi, aux Nations Unies, le jeu russe est-il complexe. L’ambassadeur des Etats-Unis constatait que les débats relatifs aux événements de Corée du Nord étaient retardés par le silence de la délégation de Moscou attendant des instructions de son gouvernement. Le ministre de la Défense russe, Sergeï Ivanov a sévèrement condamné Pyongyang (concession au « politiquement convenable » occidental) mais totalement exclu le recours à la force tout en soulignant le succès des scientifiques nord-coréens, l’explosion ayant dégagé, selon le ministre une bien plus forte énergie que celle annoncée par les Occidentaux. Ainsi, sous de nouvelles formes, persistent les animosités et les parti pris du temps de la « guerre froide ».

    5. « En venir à une action militaire contre la Corée du nord serait inimaginable », a déclaré, à Pékin, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères. Le président Hu Jintao s’était empressé de téléphoner au président George W. Bush pour lui dire que « toutes les nations impliquées (dans la détonation du 9 octobre) devaient éviter toutes actions qui pourraient conduire à une « escalade » et à perdre le contrôle de la situation ».

    M. G.W. Bush s’est rallié à la Chine, déclarant qu’il avait une « claire préférence pour traiter pacifiquement de la question, bien que le recours à la force ne soit pas exclu ». Avant même d’avoir une arme nucléaire Kim Jong-il est redouté, ce qui est un de ses objectifs. Il est bien placé pour savoir où sont les intérêts à long terme de la Chine, prochaine superpuissance et vieille alliée du combat contre l’Atlantique. Contrairement à tout ce qui a été dit et écrit – unanimement comme si l’ordre en avait été donné – la nucléarisation de la Corée du Nord n’est pas pour déplaire au gouvernement de Pékin.

    Celui-ci afin quasi unanimement condamnée, de poursuivre sa pénétration économique sur tous les continents, est tenu de critiquer une démarche et ainsi de sacrifier au « politiquement convenable » de la majorité. Mais, face à l’actuelle unique superpuissance, et à la direction des affaires du monde qu’elle entend exercer, la multiplication des Etats nucléairement militarisés forme autant d’obstacles à cette politique envahissante. Et d’ailleurs, la Chine contemporaine souscrit discrètement au concept de son vieux maréchal Chen Yi qui déclarait à l’agence Reuters, en 1958, que … « plus serait grand le nombre des Etats nucléaires plus grande serait la zone de paix ».

    La prospective de Pékin, comme celles qu’étudient les gouvernements des Etats confiant dans leur destin comporte, sans doute, divers scénarios. Celui qui suit servirait ses intérêts dans la grande confrontation en cours entre l’Occident et l’Orient. Ses différentes phases sont exposées ci-après :

    -Etat nucléaire reconnu, la Corée du Nord, ayant peu à peu –et avec l’assistance de la Chine et de la Corée du Sud – amélioré le sort de sa population, se rapproche davantage de la Corée du Sud, tirant parti de la politique « ensoleillée » pratiquée à son avantage par Séoul. Ainsi se trouvent réunies les conditions de l’unification de la péninsule, la dictature de Kim
    Jong-il ayant fait son temps et une perestroika nord-coréenne ayant ouvert les voies.

    -A la Corée du Sud, celle du Nord apporte son savoir scientifique et ses réalisations en matière de militarisation de l’atome. Et voici les 70 millions d’habitants de la péninsule formant un seul peuple, économiquement puissant et assurant lui-même sa sécurité, dans l’indépendance. Corollaire : retrait du corps expéditionnaire américain, dont la présence au sud de la péninsule n’est plus justifiée. Pékin ne peut que s’en réjouir.

    -La zone Asie-Pacifique compte, alors 5 Etats nucléairement nantis… et non des moindres : Chine, Inde, Russie, Pakistan et Corée, soit approximativement la moitié de la population mondiale, celle-ci tenue, par l’atome, de se ménager mutuellement. Certes, les intérêts nationaux seront toujours l’objet de la discorde mais sont alors exclues les guerres d’extermination comme celles qui ravagèrent l’Europe avant de s’étendre au Moyen-Orient et à l’Asie. Le Japon réviserait sa présente Constitution et en dépit des tristes souvenirs d’Hiroshima et de Nagasaki, en viendrait également à l’atome militaire national. Corollaire : retrait des contingents des Etats-Unis stationnés sur l’archipel nippon. Ce qui devrait convenir à la Chine à laquelle reviendrait le contrôle du Pacifique-nord.

    -Enfin, autre conséquence de ce bouleversement stratégique, Taïwan renoncerait à la protection américaine devenue incertaine et rejoindrait la Chine continentale pour en devenir une province insulaire. On le voit, Pékin, peut tirer parti du phénomène de la nucléarisation de la zone Asie-Pacifique, assuré d’y jouer un rôle majeur et de bénéficier de l’état de paix forcée créé par la généralisation de l’intimidation par l’atome militarisé

    -Il est facile de dauber sur la petite taille du dictateur, son penchant pour les belles voitures et les « jolies pépées ». La presse a eu matière à dénigrement et elle l’a généreusement exploitée. Mais le personnage est trop redoutable pour être aussi sommairement caractérisé.

    En ce qui concerne la gestion de ses affaires de défense sa logique est intelligible en Occident :

    -Pendant trois ans, membre du bloc communiste, la Corée du Nord a été en guerre contre les forces de l’ONU, sous commandement américain. A la suite de cette guerre et de l’agression du Sud par le Nord, le régime de Kim Song-il I a dû s’accommoder à la frontière de son Etat, du déploiement d’un corps expéditionnaire abondamment pourvu en armes nucléaires, offensives et défensives. Et négocier en position d’infériorité face à une telle panoplie.

    -Les ressources de la Corée du Nord ne lui permettent pas d’entretenir et de moderniser une armée conventionnelle assez importante pour équilibrer les forces qui sont au sud. Certes, Pyongyang, par un effort démesuré et ruineux, aligne une armée de près d’un million, mettant en œuvre 3000 chars d’assaut, 8000 pièces d’artillerie, 500 avions de combat, auxquels il faut ajouter une marine d’une vingtaine de sous-marins et de 300 bâtiments de guerre. Mais cet appareil militaire disproportionné, ruineux, a vieilli et il n’est pas à la mesure d’un peuple à l’économie exsangue. En revanche, avec le dixième de ce que coûteraient ces forces traditionnelles normalement entretenues, la Corée du Nord pourrait posséder un potentiel d’intimidation nucléaire suffisant pour traiter sur un pied d’égalité. C’est pourquoi la démarche des Kim Song-il ne relève pas de la paranoïa mais plutôt d’une logique économique bien comprise.

    -Les conditions d’appréciation de la Résolution 1718 vont révéler la nature des différents intérêts nationaux dans la zone Asie-Pacifique. En ce qui concerne Washington, favorable à un maximum de sévérité, deux démarches s’imposent :

    -Retarder le plus possible la réunification des deux Corée et renforcer l’engagement des Etats-Unis aux côtés de Séoul et de Tokyo afin que Corée du Sud et Japon s’en tiennent au statu quo, renonçant à toute ambition militaire nucléaire. On notera que Mme Rice ne s’est pas rendue à Taïwan, sans doute afin de ménager Pékin dont tout dépend.

    Pour conclure, citons l’avis d’un spécialiste américain, auteur, en 2004, d’un livre intitulé : «Kim Jong-il, cher leader de la Corée du Nord ».
    « Kim, écrit-il est un homme intelligent qui a poursuivi prudemment l’objectif de détenir des armes nucléaires en se fondant sur le déclin relatif de la Corée du Nord et les dangers, pour son régime, créés par la Corée du Sud et les Etats-Unis… avec lesquels son pays demeure, techniquement, en guerre… il décida, il y a bien des années, que n’ayant pas d’amis, il avait besoin de l’arme nucléaire pour survivre ».

    Pékin estime peut-être que l’essai du 9 octobre était superflu. C’est bien le seul reproche que la Chine peut faire à la Corée du Nord. Non essayé, spectaculairement, l’atome est aussi intimidant qu’après expérimentation. Du moins pour les gouvernements sinon pour les populations.

    Général Pierre-Marie Gallois  le 14 novembre 2006  http://www.lesmanantsduroi.com

    (1) Analysts see a small Korea blast. N.Y. Herald. 11 octobre 2000. p.6

  • Le droit aux armes

     La fusillade de Newton dans le Connecticut aux États-Unis, le 14 décembre 2012, a montré, une nouvelle fois, que les distributeurs patentés de panurgisme hexagonal versent facilement dans l’indignation et l’émotion. Excellents perroquets de leurs confrères yankees, ces médiats-là n’ont pas cessé de critiquer la liberté étatsunienne de porter des armes. Cette garantie due au deuxième amendement de la Constitution mettrait la société en péril. Or nos étincelants folliculaires n’ont pas remarqué qu’une telle interdiction n’empêche pas des meurtres à moins que la ville de Marseille, plus connue maintenant pour son festival sanglant de tir permanent à l’AK47 que pour sa Canebière et sa Bonne Mère, ne soit devenue une city des States

     

    Les médiats veulent faire croire que la possession de fusils d’assaut, voire de canons ou de blindés, ferait de leurs détenteurs de très probables psychopathes – tueurs de masse. Une fois encore, le système médiatique témoigne de son ignorance. Un voisin de la France, la Suisse, permet à ses citoyens de garder chez l’armement nécessaire aux différentes périodes de service national actif. À notre connaissance, la Confédération n’a pas la réputation d’être l’endroit préféré des cinglés de la gâchette… Si l’on suivait le raisonnement médiatique ambiant, le moindre accident mortel de la route exigerait le retrait de tous les véhicules potentiellement meurtriers. Et puis une fourchette peut aussi tuer… Faut-il l’interdire ? « Les armes ne “ créent ” pas de crimes. Les pays dans lesquels circulent le plus d’armes à feu ne présentent pas de taux de criminalité particulièrement élevés, écrit Paul Lycurgues dans un sympathique opuscule intitulé Aux Armes Citoyens ! Plaidoyer pour l’autodéfense et publié par un éditeur proche de Robert Ménard, ce journaliste tombé au champ d’honneur de la liberté d’expression. Plus ennuyeux pour nous autres Français : le contrôle strict des armes à feu ne réduit pas la criminalité, pas plus qu’il n’empêche les criminels et psychopathes violents de se procurer les armes nécessaires à leurs forfaits (p. 20). » Iconoclaste et provocateur, le propos sonne juste.

     

    Les médiats n’expliquent jamais que les fréquentes tueries qui ensanglantent les États-Unis seraient survenues quand bien même la détention de n’importe quelle arme aurait été proscrite. Le problème de ce pays n’est pas le nombre d’armes en circulation, mais leur usage qui témoigne de la profonde névrose de la société. Modèle planétaire de la modernité tardive, les États-Unis pressurent ses habitants au nom d’une quête à la rentabilité effrénée au point que certains voient leur psychisme flanché. La pratique dès le plus jeune âge de jeux vidéos ultra-violents, la sortie de milliers de films parsemés de scènes sanglantes et la consommation de plus en plus répandue de drogues et de produits pharmaceutiques éclairent le passage à l’acte. Entre aussi en ligne de compte la cohabitation toujours plus difficile d’une société en voie de métissage avancé fondée sur le génocide amérindien et les vagues successives d’immigration de peuplement. Enfin, le mode de vie totalitaire doux avec sa technolâtrie, son vide existentiel, son individualisme outrancier et sa compétition féroce de tous contre tous cher au libéralisme perturbe le cerveau de millions d’individus fragiles. Ce qui est arrivé, le 3 janvier 2013, à Daillon en Suisse dans le canton du Valais confirme le diagnostic : le tueur, un assisté social, alcoolique et fumeur de marijuana âgé de 33 ans, était suivi pour des troubles psychiatriques. En tant que société ouverte, la Suisse pâtit, elle aussi, de tels phénomènes qui seraient quasi-inexistants dans une société vraiment fermée.

     

    À rebours du prêt-à-penser médiatique fallacieux, Paul Lycurgues soutient le droit des citoyens français à être armés. « Le peuple français […] doit exercer son droit, et assumer son devoir de peuple libre, à reconquérir les armes qui lui ont été dérobées, et à restaurer en France un ordre naturel fondé sur le respect que se doivent des citoyens libres et armés (p. 9). » Ce que Lycurgues oublie d’ajouter est que cette philia entre citoyens responsables n’est possible que dans un cadre communautaire ethniquement homogène comme le constatait déjà Aristote. L’hétérogénéité ethno-culturelle désordonnée n’engendre que de fortes tensions comme le prouvent les États-Unis (et le Brésil !).

     

    Aux belles âmes hexagonales qui crachent qu’un pareil projet ne correspond pas aux « valeurs républicaines », Paul Lycurgues leur rétorque qu’« en France, les armes furent consubstantielles à la conquête des libertés (p. 10) ». En 1885, la loi Farcy autorisait la libre détention d’une arme, voire de plusieurs, sinon comment Manufrance, premier vendeur de cycles et… d’armes, aurait-il connu une audience nationale, européenne et même internationale ? Rappelons que son catalogue annuel offrait une vaste gamme d’armes de point et de fusils de chasse. On a oublié qu’« au début du XXe siècle, […] tout Français avait le droit de porter des armes apparentes, s’il n’en avait pas été privé par jugement (p. 14) ». C’est par un décret-loi liberticide du 23 octobre 1935 signé par Pierre Laval qui commence le désarmement de la population. Cinq ans plus tard, l’État français et l’occupant allemand généralisent la procédure : posséder une simple arme vaut désormais à son propriétaire la peine capitale ! Depuis cette période, quelque soit le régime en place, de nouvelles lois restreignent cette liberté indispensable. Sous prétexte d’idéologie sécuritaire, les autorités hexagonales aux ordres de l’hyper-classe mondialiste et des banksters, cherchent à ôter leurs  administrés toute envie de résistance. « Infantilisation, dévirilisation, passivité et conformisme : voilà les véritables raisons de la servitude volontaire dans laquelle vivent nos compatriotes (p. 29). » Et gare à l’honnête homme en état de légitime défense ! « Notre système judiciaire applique désormais une véritable présomption de culpabilité à ceux d’entre nous qui osent encore se défendre (p. 24). » La triste affaire en 2010 de « Papy » Galinier incarcéré tel un assassin par des juges qui préfèrent respecter le droit des voyous est encore dans les mémoires.

     

    Paul Lycurgues est pessimiste parce que « les Français se retrouvent pris entre le marteau et l’enclume – c’est-à-dire entre une criminalité brutale et omniprésente et un État d’autant plus répressif qu’il est en situation de quasi-faillite -, [il] apparaît de plus en plus clairement ce risque terrible : n’avoir plus le choix entre le chaos criminel et l’état policier (pp. 8 – 9) ». Les lecteurs attentifs d’Éric Werner objecteront avec raison que ce choix est en fait impossible puisque la société ultra-moderne fracassée est dorénavant et sciemment chaotique et policière.

     

    Cette situation étrange se vérifie par une incroyable inflation législative. Depuis 2002, le Parlement français a voté une quarantaine de lois sécuritaires pour des résultats quasi-nuls, mais qui renforcent le carcan étatique envers nos concitoyens. La République hexagonale ne privilégie pas la sûreté de ses membres, mais leur surveillance, si bien que les spécialistes évoquent sans fard « l’échec, incontestable […], de toutes les politiques publiques de sécurité menées depuis trente ans (p. 5) ». Loin d’être plus sûr, l’Hexagone tricolore l’est moins, en particulier pour les petites gens. En effet, outre les pertes financières considérables, « nos concitoyens en payent aussi le coût caché, celui de l’érosion de leurs libertés fondamentales face à l’appareil judiciaire et policier, ainsi que la systématisation d’une véritable culture de répression (pp. 6 – 7) ». Ainsi, est-il plus facile à une petite frappe des banlieues de l’immigration de vendre son shit ou de racketter des gamins qu’à un militant identitaire d’occuper le toit d’une mosquée en construction ou de réagir à l’agression de pétasses féministes à moitié dénudées…

     

    Aux détracteurs qui citent constamment le contre-exemple d’outre-Atlantique pour maintenir le désarmement généralisé de la population, Paul Lycurgues commente la riche étude du professeur John Jr. Lott. Celui-ci a démontré que la criminalité est plus basse dans les États fédérés qui autorisent le port d’arme que dans les États plus restrictifs. Cette étude serait aussi intéressante à corréler avec l’application de la peine de mort qui démotive la racaille. Lycurgues estime par conséquent que « la sécurité de tous, en France, doit redevenir l’affaire de chacun (p. 30) ». Que veut-il dire ? L’auteur soutient l’autodéfense et la légitime défense. Pour lui, « chaque innocent qui prend les armes fait reculer le crime partout; ce n’est pas tant une balle que craint fondamentalement le criminel, mais plutôt la possibilité d’une balle. Le devoir de fuite imposé par la jurisprudence, quoique légal par définition, n’est donc pas seulement injuste : il est aussi immoral (p. 27) ». C’est sur cet immoralisme que s’appuie le Moloch étatique, broyeur des personnes et des peuples et nullement des malfrats.

     

    Si les Français – et les Européens – ne veulent ni l’anarchie sociale, ni le désordre sécuritaire anxiogène, ils doivent renoncer à la religion délétère des droits de l’homme et accepter de se réarmer, ce qui suppose de leur part de ne plus tout attendre de l’État tutélaire. Le réarmement du peuple implique de manière inévitable la réduction inévitable des effectifs de policiers, de militaires et de magistrats. Ces professions sont pour l’heure gangrenées par l’humanitarisme dévot.

     

    Il faut donc aller plus loin que le modèle helvétique du citoyen-soldat prêt à défendre sa commune, son canton et sa patrie. « Le XXIe siècle sera celui de la fin d’un monde : le consumérisme, le mondialisme économique, la dilapidation des ressources et la gabegie énergétique ne sont plus tenables. […] La perspective de troubles sociaux, politiques et économiques majeurs est devenue crédible, certains diraient même inévitable. Dans un tel contexte, un peuple désarmé sera plus vulnérable face au chaos, à la prédation et à la violence qu’un peuple en armes (pp. 30 – 31). » Déjà, en Corse, dans la Camargue gardoise ou dans certains coins reculés du Velay et de l’Aubrac, les populations locales conservent leurs armes et répliquent avec virilité aux intrus allochtones.

     

    L’existence de milices populaires d’autodéfense locale, communale et régionale, ouvertes aux femmes, redonnerait à la France son sens originel de « Terre des Francs », c’est-à-dire de « pays des hommes libres » parce que nos lointains ancêtres avaient le droit et le devoir de porter l’épée !

     

    Georges Feltin-Tracol http://www.europemaxima.com/

     

    • Paul Lycurgues, Aux Armes Citoyens ! Plaidoyer pour l’autodéfense, Éditions Mordicus, coll. « Coups de colère », Paris, 2012, 32 p., 4,95 €.