Par Pascal Nari - Un projet de nouvelle constitution a été adopté en Égypte. Ce texte rompt avec l’inspiration religieuse généralement de mise dans le monde arabe. L’Occident ne s’en montre pas moins réservé, voire critique.
La nouvelle constitution égyptienne vient d’être votée après deux jours de débats par la chambre haute du parlement. Ce texte de deux cent quarante sept articles a été rédigé par un comité d’experts venus d’horizons divers et présidé par Amr Moussa, ancien secrétaire général de la Ligue arabe, juriste de formation française, l’homme politique le plus respecté du pays et sans doute l’un des plus populaires, toutes tendances d’opinion confondues. Le samedi 14 décembre, il a été déclaré qu’il serait soumis à un référendum les 15 et 16 janvier prochain.
Un texte moderne
Plusieurs traits essentiels marquent ce nouveau projet et en font un texte novateur dans le monde arabo-musulman.
La liberté de croyance et d’opinion devient "absolue", ce qui avait été écarté par le texte élaboré et voté par les Frères musulmans.
La formation des partis politiques sur des bases religieuses est interdite, ce qui bloque le retour au pouvoir des "Frères" sous forme d’un parti politique et constitue une garantie pour la laïcité des institutions.
L’égalité "absolue" entre les hommes et les femmes, tant sur le plan des droits que des devoirs, est proclamée et explicitée. Une nouveauté. Le texte précédent faisait des femmes les "compléments des hommes" ! Les islamistes faisant partie de la commission de rédaction et de la chambre haute ont protesté et refusé leur vote. Mais la disposition a été approuvée.
La loi islamique, la charia, n’est plus proclamée comme base de la législation et de droit. La constitution est laïque.
Au cours des deux prochaines mandatures présidentielles, la désignation du ministre de la Guerre, chef des armées, devra recevoir l’accord du Conseil supérieur des forces armées, et le budget militaire sera octroyé sous forme de dotation. Dispositions critiquées par certains en Occident mais nécessaires, croyonsnous, pour la stabilité des institutions par rapport aux menaces islamistes, etc. Le chef suprême d’El-Azhar, la plus haute autorité de l’islam sunnite, et l’Église copte, représentant 10 à 15 % de la population, ont approuvé l’ensemble du texte. Un beau succès.
Réactions en Occident
De prime abord, l’Occident devrait se féliciter de la mise en place de cette constitution, et des élections qui vont suivre, qui mettront fin aux désordres qui n’ont pas cessé depuis l’éviction du président Moubarak début 2011, souhaitée, voire planifiée, en tout cas ouvertement aidée par Washington. C’est un texte qui respecte, pour la première fois dans le monde arabe depuis des années, les "valeurs" dont on se gargarise de Paris à Washington. Il n’en est rien. Silence radio à Washington, Paris et Londres. Critiques violentes dans les milieux bien pensants sur le "recul des libertés" en Égypte, éditorial enflammé du très respecté New York Times, etc. L’Égypte est toujours tenue en quarantaine, les "sanctions" américaines contre ce pays restent en place. La nostalgie du règne anarchique et dévastateur des Frères musulmans continue...
Deux poids, deux mesures
On occulte l’islamisation progressive, mais désormais accélérée, de la Turquie de M. Erdogan, ses milliers de prisonniers politiques, la presse de plus en plus muselée, l’inégalité croissante entre hommes et femmes qu’on y instaure. On oublie la désagrégation quasi totale de la Libye par suite de l’instauration de la "démocratie", le chaos qui s’installe progressivement en Tunisie. Sans parler de l’Arabie séoudite ni de son étrange régime qui est tout sauf démocratique. On s’accommode de tous ces cas, mais on s’attaque à l’Égypte, la plus grande et la plus ancienne des nations arabes, qui s’engage de nouveau sur la bonne voie, celle de la rénovation et de la modernisation, de la séparation de la religion et de l’État, d’un régime respectueux des droits fondamentaux de l’homme. Deux poids, deux mesures. Il faudrait soutenir la nouvelle évolution de l’Égypte. Tant pis pour la frustration des bonnes âmes à propos de l’échec des islamistes dans ce pays.
Pascal Nari - L’ACTION FRANÇAISE 2876
http://www.actionfrancaise.net/craf/?Egypte-constitution-novatrice