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  • La paille et la poutre des antiracistes

    ✎ Le 12 novembre, devant une trentaine de journalistes triés sur le volet, le CSA a voulu rebondir sur la magnificence obamaniaque en exhortant les responsables des chaînes de télévision française à accroître d'une manière significative le nombre de "noirs" et d' "Arabes" (sic) évoluant dans les diverses émissions qu'ils diffusent. Un discours que l'on pourrait en définitive comparer à celui d'un milliardaire se plaignant en grimaçant de l'augmentation du prix du pain. En effet, selon le professeur Eric Macé à qui l'on doit l'organisation de cette conférence de presse, il n'y aurait que 10 % de noirs et que 3 % d'Arabes dans les programmes. Si ces derniers représentent en effet plus de 3 % de la population "française", la proportion des noirs s'éclatant dans la petite lucarne n'est-elle pas largement respectée (et plus) en fonction de leur poids démographique actuel ? Eh bien non ! Macé considère cette « faible représentation » (sic) comme "intolérable". Et de poursuivre en affirmant très sérieusement que, « en France, il y a une discrimination positive en faveur des hommes blancs ». Si, si, il a osé le bougre !
    ✎ Afin de remédier à cette inique situation, le CSA se propose d'évaluer tous les six mois les efforts accomplis par les media dans leur entreprise de diversification. Ce qui veut dire que les moins enthousiastes risquent dans un avenir proche d'être tout simplement qualifiés de racistes (ou de leucocrates) par cet organisme de contrôle. Une crainte réelle pour tous ces Bo-Bos dégoulinants de bons sentiments à la gomme. Las, ils joueront une nouvelle fois le jeu et, certainement, d'aucuns surenchériront dans l'exposition raciale. Car aucune de ces huiles de la médiocratie n'a rétorqué à Macé que la présence des noirs ou, comme dirait Berlusconi, des "bronzés", était déjà considérable, et même parfois disproportionnée. Pensons au football notamment et aux équipes de Ligue 1 en particulier dont les matchs passent au moins une fois par semaine sur une chaîne de télévision.
    ✎ Le CSA apprécie de visu la race des individus évoluant à la TV - Il faut, dit-il. « plus de personnes vues comme noires. comme arabes et comme asiatiques à la télé ». Nous avons fait de même avec les footeux en observant leur photo que l'on peut trouver par exemple dans le « Guide du football 2008/2009 » d'Alexandre Ruiz. Sur environ 530 joueurs, 267 sont des hommes de couleur ou des Maghrébins (les Brésiliens ne sont pas comptabilisés). Les Blancs sont donc minoritaires. En ouvrant le « Guide du football 2007/2008 », et en pratiquant le même exercice, nous trouvons "seulement" 251 joueurs non leucodermes professionnels évoluant l'année dernière en Ligue 1 - sur un total de 534 footballeurs. Il y a donc eu une réelle progression du quota des noirs au détriment de celui des blancs. Mais, assurément, là aussi, là encore, la "présence" des derniers leucodermes doit apparaître comme un affront fait à la culture obligatoire de la diversité chérie, et chère au CSA et tous ses acolytes ...
    ✍ François-Xavier ROCHETTE. Rivarol du 28 novembre 2008

  • La pensée de Keynes aujourd'hui

    Il y a globalement trois grands courants de la pensée économique de nos jours :
    la pensée libérale et sa variante néolibérale qu'on peut aussi nommer la théorie néo-classique,
    la pensée marxiste,
    la pensée keynésienne.
    La pensée libérale (ou néolibérale) et la pensée keynésienne ont en commun d'accepter le capitalisme. A part cela, on peut dire que beaucoup de points les différencient. Keynes est l'ennemi du mercantilisme (ce qui est par exemple la politique économique de l'Allemagne, c'est-à-dire avoir une balance commerciale très excédentaire, la richesse étant considérée comme la possession importante de monnaie). Keynes est aussi l'ennemi du libre-échange (politique de l'OMC, du FMI et de la Banque Mondiale) et du monétarisme (politique actuelle de la BCE). L'intervention de l'Etat parfois massive dans la politique économique l'oppose fortement au libéralisme (le laissez-faire) qui prône un Etat minimal, c'est-à-dire garant du cadre institutionnel.
    Le monétarisme reprend la théorie quantitative de la monnaie et dont la pratique consiste à juguler l'inflation, maintenir la stabilité des prix. Le libre-échange rejette le protectionnisme ou à défaut cherche à le minimiser.
    Ces dernières années, il faut reconnaître qu'il n'est guère à la mode d'être keynésien pour différentes raisons.
    La raison principale est que les économies sont devenues de plus en plus ouvertes et qu'une politique économique dans le cadre national a de moins en moins d'effets. La construction européenne, la mondialisation ont considérablement rabaissé l'idée de frontière et son efficacité vis-à-vis d'une politique économique.
    Une des idées keynésiennes étant l'ajustement par les quantités (et non par les prix), que signifie-t-elle lorsque les entreprises délocalisent à tout-va ? Ce qui est le cas en France qui a connu la plus forte désindustrialisation depuis 1998 après la crise de 2008.
    Keynes voulait corriger le capitalisme, le rendre plus humain et pour cela il fallait à tout prix combattre le chômage. L'objectif de la théorie keynésienne est donc le plein-emploi. Sur ce point il faut reconnaître que le libéralisme s'assoit dessus et peut même considérer le chômage comme nécessaire puisqu'il fait pression sur les salaires et jugule l'inflation. Il fragilise les salariés, donc permet aux financiers de s'enrichir encore plus.
    Nous allons étudier la pensée keynésienne sans utiliser d'équations mathématiques qui créent un rejet chez beaucoup. Le principal livre de Keynes, « La théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie », ne contient quasiment pas de formules mathématiques. La mathématisation de Keynes et le fameux modèle IS-LM ont été élaborés après.
    Nous allons présenter les principales idées de la théorie keynésienne.
    L'influence de la monnaie dans l'économie
    Keynes rejette la loi de Say « l'offre crée sa propre demande », ce qui avait comme conséquence que la monnaie n'était qu'un voile. On appelle cela aussi la neutralité de la monnaie dans l'économie, thèse qui était celle des classiques anglais. Il y avait donc une dichotomie dans l'économie.
    Keynes s'oppose donc à cette idée ; la monnaie pour lui n'est pas neutre. Nous sommes dans une économie monétaire de production. On retrouve Marx pour qui les entrepreneurs transforment de la monnaie en marchandises pour récupérer encore plus de monnaie. De plus la monnaie est un réservoir de valeur et ne sert pas qu'à l'échange. Ce que Keynes nomme « la préférence pour la liquidité » a trois raisons :
    la transaction : l'argent liquide pour les dépenses courantes,
    la précaution : on garde l'argent liquide pour des besoins imprévus,
    la spéculation : on espère de meilleurs placements.
    Lorsque le taux d'intérêt baisse, « la préférence pour la liquidité » augmente. Les individus peuvent augmenter leur encaisse de précaution car le monde est « incertain » et donc moins consommer. On distingue en effet trois sortes de mondes :
    le monde certain,
    le monde probabiliste,
    le monde incertain.
    En économie selon Keynes, le monde est incertain. On ne peut pas prévoir de façon certaine, ni même en probabilité, la valeur du dollar de l'année prochaine.
    Une caractéristique importante de la théorie keynésienne est aussi une analyse en termes de circuit et non de marché.
    La demande effective
    Les entreprises décident de leur investissement en fonction des profits anticipés. Les agents économiques ne sont pas égaux puisque l'on remarque l'importance des prévisions des entrepreneurs. On a ce qu'on appelle la confiance ou non et la monnaie est responsable de l'incertitude. La demande effective se décompose en deux : la consommation qui dépend de l'emploi, et l'investissement.
    La demande effective est une variable anticipée. Lorsque les entreprises ont anticipé cette demande, ils embauchent le nombre de travailleurs nécessaires.
    L'emploi dépend donc de la demande prévue et non pas de la main d'œuvre disponible.
    On pourra jouer sur la demande effective qui est l'ensemble des dépenses qui peuvent être accomplies.
    Epargne et investissement
    Dans la théorie classique, l'épargne est première. Il faut d'abord épargner pour investir et récupérer les profits qui s'ensuivent. C'est ce qu'énonçait le Chancelier Helmut Schmidt lorsqu'il disait que l'épargne d'aujourd'hui crée l'investissement de demain et les profits d'après-demain. Ce raisonnement est totalement anti-keynésien. Dans la théorie générale, le livre de Keynes, l'investissement est premier. L'épargne ne fait que suivre.
    « L'épargne globale est en effet commandée par l'investissement global ».
    On a donc ex-post (après) toujours égalité entre épargne et investissement.
    S = I (S : saving - épargne , I : investissement)
    De nouveau, il faut souligner le rôle des entrepreneurs qui décident d'investir dans un contexte le plus souvent incertain.
    Les instruments de la théorie générale
    Le taux d'intérêt
    Dans la théorie classique, le taux d'intérêt se détermine à l'intersection de l'offre d'épargne et de la demande d'investissement.
    Keynes, une fois de plus, refuse la théorie classique. Pour lui, le taux d'intérêt « est le prix qui équilibre le désir de détenir de la richesse sous forme de monnaie et la quantité de monnaie disponible ».
    Le taux d'intérêt se détermine en comparant l'offre de monnaie (qui vient de la banque centrale) et la demande de monnaie des agents économiques qui dépend des raisons de détenir de la monnaie liquide (motifs de transaction, précaution et spéculation).
    Le multiplicateur - La propension à consommer
    Le multiplicateur a été une invention d'un élève de Keynes : Kahn. Tout accroissement de l'emploi dans les biens d'équipement entraîne un accroissement d'emploi dans les autres secteurs. L'argent, en passant de main en main, va multiplier les revenus dans l'économie. Plus la propension à consommer sera forte, c'est-à-dire que les agents économiques épargneront moins, plus le multiplicateur sera élevé.
    La propension à consommer s'explique de la façon suivante : « une proportion de plus en plus importante du revenu est épargnée à mesure que le revenu réel croît ». Une autre façon de le dire est qu'un accroissement du revenu disponible d'un agent économique entraînera un accroissement moindre de sa consommation.
    Le rendement escompté de l'investissement
    L'investissement étant une variable clé dans la théorie keynésienne, qu'est ce qui engendre la décision d'investir ?
    Dans la théorie générale, de l'emploi de l'intérêt et de la monnaie, l'investissement dépend des profits escomptés et de l'anticipation de la demande globale. Les anticipations du futur dépendent de l'état de la confiance.
    « Les évaluations des rendements futurs sont fondées en partie sur des faits actuels, qu'on peut supposer être connus avec plus ou moins de certitude et en partie sur des événements futurs qui ne peuvent qu'être prévus avec plus ou moins de confiance. »
    Comme les initiatives privées sont sujettes à l'aléa, il faut donc le contrôler entre autres par une intervention de l'Etat. « On ne peut sans inconvénient abandonner à l'initiative privée le soin de régler le flux courant de l'investissement ». De là peut résulter la nécessité d'une politique budgétaire venant de l'Etat.
    Nous allons citer deux exemples de pratiques keynésiennes. La politique économique de ce courant a généralement été utilisée soit par des gouvernements nationalistes (voire fascistes ou nazis) soit par la gauche ou des gouvernements proches de cette sensibilité.
    En Allemagne, sous l'action du président de la Reichbank Hjalmar Schocht, on a fait marcher la planche à billets dans un système économique proche de l'autarcie avec le contrôle des changes qui empêchait toute fuite de capitaux. En cinq-six ans, le nombre de chômeurs est passé de six millions à 400.000 et le revenu national a doublé (de 1932 à 1937). Tout ceci s'est réalisé alors que le livre de Keynes n'avait pas encore été publié.
    En France en 1953, Edgar Faure étant Président du conseil, la France a pratiqué une politique keynésienne : incitations fiscales à l'investissement, baisse du taux de l'intérêt. Le pays a alors connu une très forte expansion sans inflation.
    Conclusion
    La force du modèle keynésien est d'être opératoire ou tout au moins de l'avoir été. Nous verrons pourquoi il l'est moins.
    La principale idée de cette pensée est que les marchés ne sont pas autorégulateurs. La théorie classique ou même libérale n'est pas valide. Le laissez-faire aboutit la plupart du temps à du chômage et il faut donc une intervention de l'Etat puisque le plein-emploi est accidentel. Pourtant on a assisté à ta victoire idéologique du libéralisme et du néolibéralisme sans doute due aux soutiens financiers gigantesques reçus par les départements universitaires américains qui prônaient le néolibéralisme. Ce financement venait souvent des multinationales.
    L'inefficacité d'une politique keynésienne vient surtout que l'on se trouve dans une économie ouverte. Cette économie est d'autant plus ouverte que les pays européens ont perdu leur monnaie nationale. Il ne peut donc plus y avoir une politique monétaire comme la non possibilité d'une politique de taux de change abolit l'idée de frontière sur le plan économique.
    Pour de nouveau mettre en place une politique keynésienne, il faudrait que la France retrouve sa monnaie et mette en place une politique autonome sur le plan énergétique. Une politique du taux de change permettrait aussi de limiter les importations et à la France d'être à nouveau compétitive pour une ré-industrialisation. Quant à ceux qui disent que sortir de l'Euro reviendrait à rembourser la dette à un taux plus élevé, on s'aperçoit maintenant que « sauver » l'Euro coûtera à la France de plus en plus cher.
    Résumons par un schéma la politique économique keynésienne
    Patrice GROS-SUAUDEAU Statisticien-Economiste

  • Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le salaire des eurocrates sans jamais oser le demander

    Après la polémique qu’a suscité mon article sur les fonctionnaires européens dans le landerneau bruxellois, voici les salaires et avantages divers dont jouissent les fonctionnaires, agents temporaires et contractuels européens.

    Puisque seule cette partie de mon article a paru intéresser une partie des eurocrates (pas tous, heureusement), chacun pourra ainsi apprécier exactement de quoi il retourne.

    Il y a 16 grades, 1 pour le plus bas, 16 pour le plus haut. Chaque grade est divisé en cinq échelons. La fonction et le grade étant disjoints, les administrateurs (AD) commencent au niveau 5, les assistants (AST) sont en dessous (il s’agit de la grille fixée par le règlement du 20 décembre 2010, sans tenir compte des indexations intervenues depuis et qui se montent à un peu plus de 4 %).

    Les salaires vont, pour le grade 1, de 2654 à 3003 €,

    pour le grade 2, de 3003 à 3398 €,

    pour le grade 3, de 3398 à 3844 €,

    pour le grade 4, de 3844 à 4350 €,

    pour le grade 5, de 4350 à 4921 €,

    pour le grade 6, de 4921 à 5568 €,

    pour le grade 7, de 5568 à 6300 €,

    pour le grade 8, de 6300 à 7128 €,

    pour le grade 9, de 7128 à 8065 €,

    pour le grade 10, de 8065 à 9125 €,

    pour le grade 11, de 9125 à 10.324 €,

    pour le grade 12, de 10.324 à 11.681 €,

    pour le grade 13, de 11.681 à 13.216 €,

    pour le grade 14, de 13.216 à 14.954 €,

    pour le grade 15, de 14.954 à 16.919 €,

    pour le grade 16, de 16.919 à 18.371 €.

    Ces salaires sont versés sur 12 mois.

    Cette grille ne s’applique que pour ceux qui sont entrés après 2004. Ceux qui sont entrés avant cette date continuent à bénéficier de l’ancienne grille salariale (salaires plus élevés d’environ 30 % pour les AD, +20 % pour les assistants : les grades 5 et 6 n’existaient pas, on intégrait directement au grade 7). Par exemple, le premier salaire pour un administrateur avant la réforme de 2004 était de 4861 € bruts. Évidemment, les anciens sont plus nombreux que les nouveaux, et les nouveaux (7500 embauches depuis 2004) sont, dans leur très grande majorité, issus des pays d’Europe de l’Est et ne sont pas tous embauchés au grade 5 et 6… [...]

    La suite sur Coulisses de Bruxelles

    http://www.actionfrancaise.net

  • La Notion d'Empire, de Rome à nos jours

    (avec un appendice sur la "subsidiarité")
    Dans la mémoire européenne, souvent confuse voire inconsciente, l'Empire romain demeure la quintessence de l'ordre. Il apparaît comme une victoire sur le chaos, inséparable de la pax romana. Le fait d'avoir maintenu la paix à l'intérieur des limes et d'avoir confiné la guerre sur des marches lointaines (Parthes, Maures, Germains, Daces) pendant plusieurs siècles, pour notre inconscient, est une preuve d'excellence. Même s'il est difficile de donner une définition universelle du terme d'Empire — l'Empire romain n'étant pas comparable à l'Empire inca, l'Empire de Gengis Khan à l'Autriche-Hongrie des Habsbourgs — Maurice Duverger s'est efforcé de souligner quelques caractéristiques des Empires qui se sont succédé sur la scène de l'histoire (dans son introduction au livre du Centre d'analyse comparative des systèmes politiques, Le concept d'Empire, PUF, 1980) :
    D'abord, comme l'avait déjà remarqué le linguiste français Gabriel Gérard en 1718, l'Empire est un « État vaste et composé de plusieurs peuples », par opposition au royaume, poursuit Duverger, moins étendu et reposant sur « l'unité de la nation dont il est formé ». De cette définition, nous pouvons déduire, avec Duverger, 3 éléments :
        * a) L'empire est monarchique, le pouvoir suprême est assumé par un seul titulaire, désigné par voie d'hérédité et présentant un caractère sacré (une fonction sacerdotale).
        * b) L'étendue du territoire constitue un critère fondamental des empires, sans que l'on ne puisse donner de mesure précise. La grandeur du territoire est ici subjective.
        * c) L'Empire est toujours composé de plusieurs peuples, sa grandeur territoriale impliquant d'office la diversité culturelle. Selon Karl Werner, « un royaume, c'est un pays ; un empire, c'est un monde ».
    L'Empire, qui est donc un système politique complexe qui met un terme au chaos, et revêt une dimension sacrée précisément parce qu'il génère l'ordre, a une dimension militaire, comme nous allons le voir quand nous aborderons le cas du Saint-Empire romain de la Nation Germanique, mais aussi une dimension civile constructive : il n'y a pas d'Empire sans organisation pratique de l'espace, sans réseau de routes (les voies romaines, indices concrets de l'impérialité de Rome), les routes étant l'armature de l'Empire, sans un commerce fluvial cohérent, sans aménagement des rivières, creusement de puits, établissement de canaux, vastes systèmes d'irrigation (Égypte, Assyrie, Babylone, "l'hydraulisme" de Wittfogel). Au XIXe siècle, quand la nécessité de réorganiser l'Europe se fait sentir, quand surgit dans les débats une demande d'Europe, l'économiste allemand Friedrich List parle de réseaux ferroviaires et de canaux pour souder le continent. Le grand espace, héritier laïque et non sacré de l'Empire, réclame aussi une organisation des voies de communication.
    « Dans tout ensemble impérial, l'organisation des peuples est aussi variée que l'organisation de l'espace. Elle oscille partout entre deux exigences contraires et complémentaires : celle de la diversité, celle de l'unité » (Duverger, op. cit.). « Les Perses ont soumis plusieurs peuples, mais ils ont respecté leurs particularités : leur règne peut donc être assimilé à un empire » (Hegel). Par nature, les Empires sont donc plurinationaux. Ils réunissent plusieurs ethnies, plusieurs communautés, plusieurs cultures, autrefois séparées, toujours distinctes. Leur assemblage, au sein de la structure impériale, peut prendre plusieurs formes. Pour maintenir cet ensemble hétérogène, il faut que le pouvoir unitaire, celui du titulaire unique, apporte des avantages aux peuples englobés et que chacun conserve son identité. Le pouvoir doit donc à la fois centraliser et tolérer l'autonomie : centraliser pour éviter la sécession des pouvoirs locaux (féodaux) et tolérer l'autonomie pour maintenir langues, cultures et mœurs des peuples, pour que ceux-ci ne se sentent pas opprimés.
    Il faut enfin, ajoute Duverger, que chaque communauté et chaque individu aient conscience qu'ils gagnent à demeurer dans l'ensemble impérial au lieu de vivre séparément. Tâche éminemment difficile qui souligne la fragilité des édifices impériaux : Rome a su maintenir un tel équilibre pendant des siècles, d'où la nostalgie de cet ordre jusqu'à nos jours. Les imperfections de l'administration romaine ont été certes fort nombreuses, surtout en période de déclin, mais ces dysfonctionnements étaient préférables au chaos. Les élites ont accepté la centralisation et ont modelé leur comportement sur celui du centre, les masses rurales ont conservé leurs mœurs intactes pratiquement jusqu'à la rupture des agrégats ruraux, due à la Révolution industrielle (avec la parenthèse noire des procès de sorcelleries).
    Duverger signale aussi l'une des faiblesses de l'Empire, surtout si l'on souhaite en réactualiser les principes de pluralisme : la notion de fermeture, symbolisée éloquemment par la Muraille de Chine ou le Mur d'Hadrien. L'Empire se conçoit comme un ordre, entouré d'un chaos menaçant, niant par là même que les autres puissent posséder eux-mêmes leur ordre ou qu'il ait quelque valeur. Chaque empire s'affirme plus ou moins comme le monde essentiel, entouré de mondes périphériques réduits à des quantités négligeables. L'hégémonie universelle concerne seulement « l'univers qui vaut quelque chose ». Rejeté dans les ténèbres extérieures, le reste est une menace dont il faut se protéger.
    Dans la plupart des empires non européens, l'avènement de l'empire équivaut au remplacement des dieux locaux par un dieu universel. Le modèle romain fait figure d'exception : il ne remplace pas les dieux locaux, il les intègre dans son propre panthéon. Le culte de l'imperator s'est développé après coup, comme moyen d'établir une relative unité de croyance parmi les peuples divers dont les dieux entraient au Panthéon dans un syncrétisme tolérant. Cette République de divinités locales n'impliquaient pas de croisades extérieures puisque toutes les formes du sacré pouvaient coexister.
    Quand s'effondre l'Empire romain, surtout à cause de sa décadence, le territoire de l'Empire est morcellé, divisé en de multiples royaumes germaniques (Francs, Suèbes, Wisigoths, Burgondes, Ostrogoths, Alamans, Bavarois, etc.) qui s'unissent certes contre les Huns (ennemi extérieur) mais finissent par se combattre entre eux, avant de sombrer à leur tour dans la décadence (les "rois fainéants") ou de s'évanouir sous la domination islamique (Wisigoths, Vandales). De la chute de Rome au Ve siècle à l'avènement des Maires du Palais et de Charlemagne, l'Europe, du moins sa portion occidentale, connaît un nouveau chaos, que le christianisme seul s'avère incapable de maîtriser.
    De l'Empire d'Occident, face à un Empire d'Orient moins durement étrillé, ne demeurait intacte qu'une Romania italienne, réduite à une partie seulement de la péninsule. Cette Romania ne pouvait prétendre au statut d'Empire, vu son exigüité ; territoriale et son extrême faiblesse militaire. Face à elle, l'Empire d'Orient, désormais "byzantin", parfois appelé "grec" et un Regnum Francorum territorialement compact, militairement puissant, pour lequel, d'ailleurs, la dignité impériale n'aurait pu être qu'un colifichet inutile, un simple titre honorifique. À la Romania, il ne reste plus que le prestige défunt et passé de l'Urbs, la Ville initiale de l'histoire impériale, la civitas de l'origine qui s'est étendue à l'Orbis romanus. Le citoyen romain dans l'Empire signale son appartenance à cet Orbis, tout en conservant sa natio (natione Syrus, natione Gallus, natione Germanicus, etc.) et sa patria, appartenance à telle ou telle ville de l'ensemble constitué par l'Orbis. Mais la notion d'Empire reste liée à une ville : Rome ou Byzance, si bien que les premiers rois germaniques (Odoacre, Théodoric) après la chute de Rome reconnaissent comme Empereur le monarque qui siège à Constantinople.
    Si la Romania italienne conservait symboliquement la Ville, Rome, symbole le plus tangible de l'Empire, légitimité concrète, elle manquait singulièrement d'assises territoriales. Face à Byzance, face à la tentative de reconquête de Justinien, la Romania et Rome, pour restaurer leur éclat, pour être de nouveau les premières au centre de l'Orbis, devaient très naturellement tourner leur regard vers le roi des Francs (et des Lombards qu'il venait de vaincre), Charles. Mais les lètes francs, fiers, n'avaient pas envie de devenir de simples appendices d'une minuscule Romania dépourvue de gloire militaire. Entretemps, le Pape rompt avec l'Empereur d'Orient. Le Saint-Siège, écrit Pirenne, jusqu'alors orienté vers Constantinople, se tourne résolument vers l'Occident et, afin, de reconquérir à la chrétienté ses positions perdues, commence à organiser l'évangélisation des peuples 'barbares' du continent. L'objectif est clair : se donner à l'Ouest les bases d'une puissance, pour ne plus tomber sous la coupe de l'Empereur d'Orient. Plus tard, l'Église ne voudra plus se trouver sous la coupe d'un Empereur d'Occident.
    Le Regnum Francorum aurait parfaitement pu devenir un empire seul, sans Rome, mais Rome ne pouvait plus redevenir un centre crédible sans la masse territoriale franque. De là, la nécessité de déployer une propagande flatteuse, décrivant en latin, seule langue administrative du Regnum Francorum (y compris chez les notaires, les refendarii civils et laïques), les Francs comme le nouveau "peuple élu de Dieu", Charlemagne comme le "Nouveau Constantin" avant même qu'il ne soit couronné officiellement Empereur (dès 778 par Hadrien Ier), comme un "Nouveau David" (ce qui laisse penser qu'une opposition existait à l'époque entre les partisans de "l'idéologie davidique" et ceux de "l'idéologie constantinienne", plus romaine que "nationale"). Avant de devenir Empereur à Rome et par la grâce du Pape, Charlemagne pouvait donc se considérer comme un "nouveau David", égal de l'Empereur d'Orient. Ce qui ne semblait poser aucun problème aux nobles francs ou germaniques.
    Devenir Empereur de la Romania posait problème à Charlemagne avant 800, année de son couronnement. Certes, devenir Empereur romano-chrétien était intéressant et glorieux mais comment y parvenir quand la base effective du pouvoir est franque et germanique. Les sources nous renseignent sur l'évolution : Charlemagne n'est pas Imperator Romanorum mais Romanum imperium gubernans qui est per misericordiam Dei rex Francorum et Langobardorum. Sa nouvelle dignité ne devait absolument pas entamer ou restreindre l'éclat du royaume des Francs, son titre de Rex Francorum demeurant l'essentiel. Aix-la-Chapelle, imitée de Byzance mais perçue comme "Anti-Constantinople", reste la capitale réelle de l'Empire.
    Mais l'Église pense que l'Empereur est comme la lune : il ne reçoit sa lumière que du "vrai" empereur, le Pape. À la suite de Charlemagne, se crée un parti de l'unité, qui veut surmonter l'obstacle de la dualité franco-romaine. Louis le Pieux, successeur de son père, sera surnommé Hludowicus imperator augustus, sans qu'on ne parle plus de Francs ou de Romains. L'Empire est un et comprend l'Allemagne, l'Autriche, la Suisse, la France et les États du Bénélux actuels. Mais, le droit franc ne connaissait pas le droit de primogéniture : à la mort de Louis le Pieux, l'Empire est partagé entre ses descendants en dépit du titre impérial porté par Lothaire Ier seul. Suivent plusieurs décennies de déclin, au bout desquels s'affirment deux royaumes, celui de l'Ouest, qui deviendra la France, et celui de l'Est, qui deviendra le Saint-Empire ou, plus tard, la sphère d'influence allemande en Europe.
    Harcelée par les peuples extérieures, par l'avance des Slaves non convertis en direction de l'Elbe (après l'élimination des Saxons par Charlemagne en 782 et la dispersion des survivants dans l'Empire, comme en témoignent les Sasseville, Sassenagues, Sachsenhausen, etc.), les raids sarazins et scandinaves, les assauts des Hongrois, l'Europe retombe dans le chaos. Il faut la poigne d'un Arnoulf de Carinthie pour rétablir un semblant d'ordre. Il est nommé Empereur. Mais il faudra attendre la victoire du roi saxon Othon Ier en 955 contre les Hongrois, pour retrouver une magnificence impériale et une paix relative. Le 2 février 962, en la Basilique Saint-Pierre de Rome, le souverain germanique, plus précisément saxon (et non plus franc), Othon Ier, est couronné empereur par le Pape. L'Empire n'est plus peppinide-carolingien-franc mais allemand et saxon. Il devient le "Saint-Empire".
    En 911 en effet, la couronne impériale a échappé à la descendance de Charlemagne pour passer aux Saxons (est-ce une vengeance pour Werden ?), Henri Ier l'Oiseleur (919-936), puis Othon (936-973). Comme Charlemagne, Othon est un chef de guerre victorieux, élu et couronné pour défendre l'œcumène par l'épée. L'Empereur, en ce sens, est l'avoué de la Chrétienté, son protecteur. Plus que Charlemagne, Othon incarne le caractère militaire de la dignité impériale. Il dominera la papauté et subordonnera entièrement l'élection papale à l'aval de l'Empereur. Certaines sources mentionnent d'ailleurs que le Pape n'a fait qu'entériner un fait accompli : les soldats qui venaient d'emporter la décision à Lechfeld contre les Hongrois avaient proclamé leur chef Empereur, dans le droit fil des traditions de la Germanie antique, en se référant au "charisme victorieux" (Heil) qui fonde et sanctifie le pouvoir suprême.
    En hissant ce chef saxon à la dignité impériale, le Pape opère le fameuse translatio Imperii ad Germanos (et non plus ad Francos). L'Empereur devra être de race germanique et non plus seulement d'ethnie franque. Un "peuple impérial" se charge dès lors de la politique, laissant intactes les identités des autres : le règne des othoniens élargira l'œcumène franc/européen à la Pologne et à la Hongrie (Bassin danubien — Royaume des Avars). Les othoniens dominent véritablement la Papauté, nomment les évêques comme simples administrateurs des provinces d'Empire. Mais le pouvoir de ces "rois allemands", théoriquement titulaires de la dignité impériale, va s'estomper très vite : Othon II et Othon III accèdent au trône trop jeunes, sans avoir été véritablement formés ni par l'école ni par la vie ou la guerre.
    Othon II, manipulé par le Pape, engage le combat avec les Sarazins en Italie du Sud et subit une cuisante défaite à Cotrone en 982. Son fils Othon III commence mal : il veut également restaurer un pouvoir militaire en Méditerranée qu'il est incapable de tenir, faute de flotte. Mais il nomme un Pape allemand, Grégoire V, qui périra empoisonné par les Romains qui ne veulent qu'un Pape italien. Othon III ne se laisse pas intimider ; le Pape suivant est également allemand : Gerbert d'Aurillac (Alaman d'Alsace) qui coiffe la tiare sous le nom de Sylvestre II. Les barons et les évêques allemands finissent pas lui refuser troupes et crédits et le chroniqueur Thietmar de Merseburg pose ce jugement sévère sur le jeune empereur idéaliste : « Par jeu enfantin, il tenta de restaurer Rome dans la gloire de sa dignitié de jadis ». Othon III voulait fixer sa résidence à Rome et avait pris le titre de Servus Apostolorum (Esclave des Apôtres).
    Les "rois allemands" ne pèseront plus très lourd devant l'Église après l'an 1002, dans la foulée des croisades, par la contre-offensive théocratique, où les Papes vont s'enhardir et contester aux Empereurs le droit de nommer les évêques, donc de gouverner leurs terres par des hommes de leur choix. Grégoire VII impose le Dictatus Papae, par lequel, entre moultes autres choses, le roi n'est plus perçu que comme Vicarius Dei, y compris le "Rex Teutonicorum" auquel revient prioritairement le titre d'Empereur. La querelle des Investitures commence pour le malheur de l'Europe, avec la menace d'excommunication adressée à Henri IV (consommée en 1076). Les vassaux de l'Empereur sont encouragés à la désobéissance, de même que les villes bourgeoises (les "ligues lombardes"), ce qui vide de substance politique tout le centre de l'Europe, de Brême à Marseille, de Hambourg à Rome et de Dantzig à Venise.
    Par ailleurs, les croisades expédient au loin les éléments les plus dynamiques de la chevalerie, l'Inquisition traque toute déviance intellectuelle et les sectes commencent à prospérer, promouvant un dualisme radical (Concile des hérétiques de St. Félix de Caraman, 1167) et un idéal de pauvreté mis en équation avec une « complétude de l'âme » (Vaudois). En acceptant l'humiliation de Canossa (1077), l'Empereur Henri IV sauve certes son Empire mais provisoirement : il met un terme à la furie vengeresse du Pape romain qui a soudoyé les princes rebelles. Mort excommunié, on lui refuse une sépulture, mais le simple peuple le reconnait comme son chef, l'enterre et répend sur sa pauvre tombe des graines de blé, symbole de ressurection dans la tradition paysanne/païenne des Germains : la cause de l'Empereur apparaissait donc plus juste aux humbles qu'aux puissants.
    Frédéric Ier Barberousse tente de redresser la barre, d'abord en aidant le Pape contre le peuple de Rome révolté et les Normands du Sud. L'Empereur ne mate que les Romains. Il s'ensuivra six campagnes en Italie et le grand schisme, sans qu'aucune solution ne soit apportée. Son petit-fils Frédéric II Hohenstaufen, sorte de surdoué, très tôt orphelin de père et de mère, virtuose des techniques de combat, intellectuel formé à toutes les disciplines, doté de la bosse des langues vivantes et mortes, se verra refuser d'abord la dignité impériale par l'autocrate Innocent III : « C'est au Guelfe que revient la Couronne car aucun Pape ne peut aimer un Staufer ! » Ce que le Pape craint par-dessus tout c'est l'union des Deux-Siciles (Italie du Sud) et l'Empire germano-italien, union qui coincerait les États pontificaux entre deux entités géopolitiques dominées par une seule autorité. Frédéric II a d'autres plans, avant même de devenir Empereur : au départ de la Sicile, reconstituer, avec l'appui d'une chevalerie allemande, espagnole et normande, l'œcumène romano-méditerranéen.
    Son projet était de dégager la Méditerranée de la tutelle musulmane, d'ouvrir le commerce et l'industrie en les couplant à l'atelier rhénan-germanique. C'est la raison de ses croisades, qui sont purement géopolitiques et non religieuses : la chrétienté doit demeurer, l'islam également, ainsi que les autres religions, pour autant qu'elles apportent des éclairages nouveaux à la connaissance. En ce sens, Frédéric II redevient "romain", par un tolérance objective, ne cherchant que la rentabilité pragmatique, qui n'exclut pas le respect pieux des valeurs religieuses : cet Empereur qui ne cesse de hanter les grands esprits (Brion, Benoist-Méchin, Kantorowicz, de Stefano, Horst, etc.) est protéiforme, esprit libre et défenseur du dogme chrétien, souverain féodal en Allemagne et prince despotique en Sicile ; il réceptionne tout en sa personne, synthétise et met au service de son projet politique. Dans la conception hiérarchique des êtres et des fins terrestres que se faisait Frédéric II, l'Empire constituait le sommet, l'exemple impassable pour tous les autres ordres inférieurs de la nature. De même, l'Empereur, également au sommet de cette hiérarchie par la vertu de sa titulature, doit être un exemple pour tous les princes du monde, non pas en vertu de son hérédité, mais de sa supériorité intellectuelle, de sa connaissance ou de ses connaissances.
    Les vertus impériales sont justice, vérité, miséricorde et constance :
        * La justice, fondement même de l'État, constitue la vertu essentielle du souverain. Elle est le reflet de la fidélité du souverain envers Dieu, à qui il doit rendre compte des talents qu'il a reçus. Cette justice n'est pas purement idéale, immobile et désincarnée (métaphysique au mauvais sens du terme) : pour Frédéric II, elle doit être à l'image du Dieu incarné (donc chrétien) c'est-à-dire opérante. Dieu permet au glaive de l'Empereur, du chef de guerre, de vaincre parce qu'il veut lui donner l'occasion de faire descendre la justice idéale dans le monde. La colère de l'Empereur, dans cette optique, est noble et féconde, comme celle du lion, terrible pour les ennemis de la justice, clémente pour les pauvres et les vaincus.
        * La constance, autre vertu cardinale de l'Empereur, reflète la fidélité à l'ordre naturel de Dieu, aux lois de l'univers qui sont éternelles.
        * La fidélité est la vertu des sujets comme la justice est la vertu principale de l'Empereur. L'Empereur obéit à Dieu en incarnant la justice, les sujets obéissent à l'Empereur pour lui permettre de réaliser cette justice. Toute rébellion envers l'Empereur est assimilée à de la "superstition", car elle n'est pas seulement une révolte contre Dieu et contre l'Empereur mais aussi contre la nature même du monde, contre l'essence de la nature, contre les lois de la conscience.
        * La notion de miséricorde nous renvoie à l'amitié qui a unit Frédéric II à Saint-François d'Assise. Frédéric ne s'oppose pas à la chrétienté et à la papauté, en tant qu'institutions. Elles doivent subsister. Mais les Papes ont refusé de donner à l'Empereur ce qui revient à l'Empereur. Ils ont abandonné leur magistère spirituel qui est de dispenser de la miséricorde. François d'Assise et les frères mineurs, en faisant vœu de pauvreté, contrairement aux Papes simoniaques, rétablissent la vérité chrétienne et la miséricorde, en acceptant humblement l'ordre du monde. Lors de leur rencontre en Apulie, Frédéric II dira au "Poverello" : « François, avec toi se trouve le vrai Dieu et son Verbe dans ta bouche est vrai, en toi il a dévoilé sa grandeur et sa puissance ». L'Église possède dans ce sens un rôle social, caritatif, non politique, qui contribue à préserver, dans son "créneau", l'ordre du monde, l'harmonie, la stabilité. Le "péché originel" dans l'optique non-conformiste de Frédéric II est dès lors l'absence de lois, l'arbitraire, l'incapacité à 'éthiciser' la vie publique par fringale irraisonnée de pouvoir, de possession.
    L'Empereur, donc le politique, est également responsable du savoir, de la diffusion de la "vérité" : en créant l'université de Naples, en fondant la faculté de médecine de Salerne, Frédéric II affirme l'indépendance de l'Empire en matière d'éducation et de connaissance. Cela ne lui fut pas pardonné (destin de ses enfants).
    L'échec du redressement de Frédéric II a sanctionné encore davantage le chaos en Europe centrale. L'Empire qui est potentiellement facteur d'ordre n'a plus pu l'être pleinement. Ce qui a conduit à la catastrophe de 1648, où le morcellement et la division a été savamment entretenue par les puissances voisines, en premier lieu par la France de Louis XIV. Les autonomies, apanages de la conception impériale, du moins en théorie, disparaissent complètement sous les coups de boutoir du centralisme royal français ou espagnol. Le "droit de résistance", héritage germanique et fondement réel des droits de l'homme, est progressivement houspillé hors des consciences pour être remplacé par une théorie jusnaturaliste et abstraite des droits de l'homme, qui est toujours en vigueur aujourd'hui.
    Toute notion d'Empire aujourd'hui doit reposer sur les quatre vertus de Frédéric II Hohenstaufen : justice, vérité, miséricorde et constance. L'idée de justice doit se concrétiser aujourd'hui par la notion de subsidiarité, donnant à chaque catégorie de citoyens, à chaque communauté religieuse ou culturelle, professionnelle ou autre, le droit à l'autonomie, afin de ne pas mutiler un pan du réel. La notion de vérité passe par une revalorisation de la "connaissance", de la "sapience" et d'un respect des lois naturelles. La miséricorde passe par une charte sociale exemplaire pour le reste de la planète. La notion de constance doit nous conduire vers une fusion du savoir scientifique et de la vision politique, de la connaissance et de la pratique politicienne quotidienne.
    Nul ne nous indique mieux les pistes à suivre que Sigrid Hunke, dans sa persepective "unitarienne" et européo-centrée : affirmer l'identité européenne, c'est développer une religiosité unitaire dans son fonds, polymorphe dans ses manifestations ; contre l'ancrage dans nos esprits du mythe biblique du péché originel, elle nous demande de réétudier la théologie de Pélagius, l'ennemi irlandais d'Augustin. L'Europe, c'est une perception de la nature comme épiphanie du divin : de Scot Erigène à Giordano Bruno et à Gœthe. L'Europe, c'est également une mystique du devenir et de l'action : d'Héraclite, à Maître Eckhart et à Fichte. L'Europe, c'est une vision du cosmos où l'on constate l'inégalité factuelle de ce qui est égal en dignité ainsi qu'une infinie pluralité de centres, comme nous l'enseigne Nicolas de Cues.
    Sur ces bases philosophiques se dégageront une nouvelle anthropologie, une nouvelle vision de l'homme, impliquant la responsabilité (le principe "responsabilité") pour l'autre, pour l'écosystème, parce que l'homme n'est plus un pécheur mais un collaborateur de Dieu et un miles imperii, un soldat de l'Empire. Le travail n'est plus malédiction ou aliénation mais bénédiction et octroi d'un surplus de sens au monde. La technique est service à l'homme, à autrui.
    Par ailleurs, le principe de "subsidiarité", tant évoqué dans l'Europe actuelle mais si peu mis en pratique, renoue avec un respect impérial des entités locales, des spécificités multiples que recèle le monde vaste et diversifié. Le Prof. Chantal Millon-Delsol constate que le retour de cette idée est due à 3 facteurs :
       1. La construction de l'Europe, espace vaste et multiculturel, qui doit forcément trouver un mode de gestion qui tiennent compte de cette diversité tout en permettant d'articuler l'ensemble harmonieusement. Les recettes royales-centralistes et jacobines s'avérant obsolètes.
       2. La chute du totalitarisme communiste a montré l'inanité des "systèmes" monolithiques.
       3. Le chômage remet en cause le providentialisme d'État à l'Ouest, en raison de l'appauvrissement du secteur public et du déficit de citoyenneté. « Trop secouru, l'enfant demeure immature ; privé d'aide, il va devenir une brute ou un idiot ».
    La construction de l'Europe et le ressac ou l'effondrement des modèles conventionnels de notre après-guerre nécessite de revitaliser une "citoyenneté d'action", où l'on retrouve la notion de l'homme coauteur de la création divine et l'idée de responsabilité. Tel est le fondement anthropologique de la subsidiarité, ce qui a pour corollaire : la confiance dans la capacité des acteurs sociaux et dans leur souci de l'intérêt général ; l'intuition selon laquelle l'autorité n'est pas détentrice par nature de la compétence absolue quant à la qualification et quant à la réalisation de l'intérêt général.
    Mais, ajoute C. Millon-Delsol, l'avènement d'une Europe subsidiaire passe par une condition sociologique primordiale : la volonté d'autonomie et d'initiative des acteurs sociaux, ce qui suppose que ceux-ci n'aient pas été préalablement brisés par le totalitarisme ou infantilisés par un État paternel (solidarité solitaire par le biais de la fiscalité ; redéfinition du partage des tâches). Notre tâche dans ce défi historique, donner harmonie à un grand espace pluriculturel, passe par une revalorisation des valeurs que nous avons évoquées ici en vrac au sein de structures associatives, préparant une citoyenneté nouvelle et active, une milice sapientiale.
    Robert Steuckers (conférence prononcée à la tribune du "Cercle Hélios", Île-de-France, 1995). VOULOIR

  • Crise, rigueur, austérité : c’est pas gagné pour Hollande

     La révision des perspectives économiques et budgétaires de la France crée un casse-tête économique et politique pour le gouvernement de François Hollande. Il va lui falloir faire des économies, donner dans la rigueur budgétaire –voire l’austérité- tout en continuant de faire croire au contraire. On est très loin des promesses de campagne et comme le disait Martine Aubry au « Journal Du Dimanche », le 30 avril 2011 : « Arrêtez de dire qu’il travaille. François n’a jamais travaillé. Il ne fout rien. » (voirLe Gaulois)

    Le gouvernement devra non seulement revoir ses prévisions 2013 mais aussi l'ensemble de la trajectoire budgétaire du quinquennat, tout en apportant des preuves de son engagement à mener des réformes structurelles pour redresser les finances publiques et l'économie française malgré l'environnement déprimé. On est très loin des promesses de campagne.
    La satisfaction exprimée par l'aile gauche du Parti socialiste à l'annonce mercredi du renoncement à l'objectif de déficits publics ramenés à 3% du PIB fin 2013 pourrait se changer en colère contre les mesures que la France devra annoncer pour contenter les Européens et les marchés financiers.
    Ces derniers n'ont pas sanctionné la France, dont les taux d'emprunt évoluaient jeudi en strict parallèle avec les taux allemands pour la dette de référence à dix ans, signe que l'abandon de cet objectif, anticipé par les économistes depuis des mois, était devenu un secret de Polichinelle.
    Pour sa part, dans son rapport annuel, la Cour des comptes a estimé qu'il y avait peu de chances de parvenir à 3% de déficit du PIB mais qu'il était possible de tenir les objectifs structurels, qui évacuent l'impact de la conjoncture. À condition de tenir strictement les objectifs de dépenses publiques, ce qui est loin d'être assuré pour l'instant.
    Elle a par ailleurs indiqué que la stabilisation d'une partie des dépenses publiques prévues cette année "n'est pas complètement étayée et rendra nécessaire de nouvelles économies".
    La Cour a spécifiquement mentionné l'assurance maladie et les dépenses d'indemnisation chômage, dont elle trouve les projections trop optimistes au vu de la "forte dégradation" redoutée de l'emploi.
    Francois Hollande risque donc d'être confronté à un fort tangage dans sa majorité, dont une partie juge déjà que son gouvernement fait la part trop belle à une rigueur qui paraîtra douce par rapport à ce qui s'annonce.
    En outre, les collectivités locales, très majoritairement dirigées par des exécutifs socialistes, pourraient se cabrer devant l'effort demandé et certains syndicats, dont la CGT et FO, s'apprêtent à mobiliser contre les projets gouvernementaux.
    Thierry Lepaon, qui succédera en mars au secrétaire général de la CGT Bernard Thibault, a ainsi accusé François Hollande de "s'inscrire dans la suite" de son prédécesseur UMP Nicolas Sarkozy.

     

  • Tuer les malades « par devoir d’humanité », un nouveau progrès sociétal en perspective…

    L’institution qui fédère et représente les médecins français, le Conseil national de l’Ordre des Médecins, a fait un pas, hier, en faveur de l’euthanasie : il a envisagé pour la première fois l’assistance médicale à mourir. C’est ainsi qu’un collège médical pourrait permettre, en France, une « sédation terminale » pour des patients en fin de vie ayant émis des « requêtes persistantes, lucides et réitérées« . Invoquant « un devoir d’humanité« , l’Ordre juge que cette « assistance à mourir » médicalisée pourrait être une réponse adaptée, dans des cas exceptionnels, à certaines « agonies prolongées » ou à des douleurs « incontrôlables« , auxquelles la loi actuelle ne donne pas de réponse.

    « Sur des requêtes persistantes, lucides et réitérées de la personne, atteinte d’une affection pour laquelle les soins curatifs sont devenus inopérants et les soins palliatifs instaurés, une décision médicale légitime doit être prise devant des situations cliniques exceptionnelles, sous réserve qu’elles soient identifiées comme telles, non pas par un seul praticien mais par une formation collégiale. »

    Décidément, Hollande a un défaut : il tient ses promesses… en tout cas celles sur lesquelles il a encore un pouvoir. Après le mariage homo, le droit de vote des étrangers, un nouveau sujet mis sur la table : l’euthanasie. Car il ne fait pas de doute qu’elle fera prochainement l’objet d’un projet de loi, le président de la République ayant déjà sollicité un rapport sur la question -le rapport Sicard.

    Les trois sujets de société que nous venons d’évoquer sont en réalité perméables à une idéologie commune : elles font rentrer l’individu, héritier d’un nouveau feu prométhéen, dans un rapport de propriété avec lui-même, avec la famille, avec la nation. Son corps lui appartient en effet -le corps n’est plus ce que je suis mais ce que je possède-, mais les communautés naturelles d’appartenance que sont la famille et la nation, également -implications des théories contractualistes des Lumières-, si bien qu’il peut en modifier à sa guise les lois et les structures. L’homme est devenu, à l’heure de l’émancipation de toutes déterminations naturelles, facteur nécessaire de liberté et de progrès, un apprenti sorcier qui veut détrôner Dieu.

    Notez le cynisme de cette proposition : vendre la mort par devoir d’humanité ! Ah les belles âmes… Quant à nous, nous restons persuader qu’il subsiste une différence fondamentale entre accompagner quelqu’un à la porte et le pousser dans les escaliers…

    http://www.contre-info.com/

  • Le sénat unanime pour restreindre un peu plus la liberté d'expression

    Jeudi 7 février 2013, le Sénat français a adopté une loi socialiste visant à allonger les délais de prescription relatifs aux insultes « sexiste », « handiphobe » et « homophobe

    Alors qu’outre-Manche, la section 5 du Public Order Act (loi sur l’ordre public de 1986) qui réprime les « propos ou comportements insultants » a été abrogée suite à une campagne menée par Roy Atkinson, l’acteur vedette de Mr Bean ou de la série Blackadder, le Sénat français a adopté jeudi, à l’unanimité, une proposition de loi socialiste qui vise à faire passer de trois mois à un an les délais de prescription relatifs aux injures « sexistes », « homophobes » ou « handiphobes ». Comme si une injure envers une femme, une personne « homosexuelle » ou handicapée était plus grave qu’une injure envers un homme, une personne attirée par le sexe opposé ou bien portante ! Comme si d’autres « communautés » n’allaient pas ensuite exiger le même traitement !

    Et si on arrêtait d’aller pleurnicher dans les jupes de l’État nounou (nourricier ?) dès qu’un individu nous injurie ?

    A quand une coalition de personnes de bonne volonté pour demander le rétablissement progressif de la liberté d’expression totale et que cesse cette « industrie de l’indignation » qui rend la société française « extraordinairement autoritaire et contrôlante » (Atkinson, à propos de la société anglaise) ?

    Eric Martin  Nouvelles de France  9/02/2013

    http://www.polemia.com

  • La Serbie ne reconnaîtra pas le Kosovo, même pour intégrer l’Union européenne

    BELGRADE (NOVOpress via le Bulletin de réinformation) - C’est une annonce faite par Slavenko Terzic, ambassadeur de Serbie en Russie, au cours d’une conférence de presse, et alors que les négociations d’adhésions de son pays à l’Union européenne doivent s’ouvrir l’année prochaine.

    Le diplomate a ajouté que « la Serbie est prête à accorder la plus large autonomie aux Albanais kosovars, mais ne reconnaîtra jamais l’État artificiel du Kosovo ».

    Rappelons que le Kosovo, séparé du territoire serbe par les forces occidentales, n’a pas été reconnu par l’ONU, une majorité de pays défendant l’intégrité territoire de la Serbie.

    http://fr.novopress.info/

  • Au Mali, les ethnies sont-elles des créations françaises ?

    Dans sa livraison du 26 janvier 2013, l’hebdomadaire Marianne rapporte les propos suivants tenus par Jean-Loup Amselle, anthropologue et directeur d’études à l’Ehess (Ecole des hautes études en sciences sociales) : « J’ai passé de nombreuses années sur le terrain au Mali, avec les Peuls, les Bambaras, les Malinkés, et nous avons démontré qu’en réalité les ethnies telles qu’elles existent sont des créations coloniales ».

    Avec cette phrase, l’explication des événements maliens devient soudain claire : si les Maures du Mujao coupent les mains des Bambara et si les Songhay tabassent les Touareg du MNLA, c’est parce que tous sont les prisonniers inconscients de catégories sociales qui leur furent imposées par les colonisateurs. In fine, la France, ancienne puissance coloniale, est donc responsable de la guerre civile malienne... CQFD !

    En soutenant que les ethnies africaines « telles qu’elles existent sont des créations coloniales », l’anthropologue Jean-Loup Amselle nie donc l’existence des peuples qu’il a pourtant pour vocation et pour mission d’étudier. Le paradoxe est d’autant plus réel qu’au même moment, l’histoire de ces mêmes peuples a été introduite dans les programmes français du cycle secondaire…Ferait-on donc étudier à nos enfants des peuples qui n’existèrent pas ?

    Une question mérite donc d’être posée à l’anthropologue Jean-Loup Amselle : à la fin du XIX° siècle, quand débuta la colonisation, les Peul, les Bambara, les Malinké, les Maures, les Songhay et les Touareg au Mali, les Tutsi et les Hutu au Rwanda, les Darod et les Saab en Somalie, les Sotho, les Zulu et les Xhosa en Afrique du Sud, les Ovimbundu et les Kongo en Angola, les Kru et les Mano au Liberia, les Temné et les Mendé en Sierra Leone, les Baoulé et les Bété en Côte d’Ivoire, les Gbaya et les Zandé en RCA, les Tama et les Toubou au Tchad, etc., existaient-ils, oui ou non ? [...]

    Bernard Lugan - La suite sur Afrique Réelle

    http://www.actionfrancaise.net

  • La décroissance - Préalable à toute intervention écologique ?

     Peut-on être écologiste en 2013 ? C’est la question que pose Alban Vétillard, ingénieur Centralien, chef de projet dans l’aéronautique, dans un livre qui vient de paraître aux éditions Sang de la Terre qui a pour titre : Croissance et Ecologie, concilier l’homme avec la société de demain. Et qui s’interroge, nous interroge sur la finalité de l’écologie. La science des interactions entre l’homme et son milieu induit une utilisation rationnelle des ressources naturelles. Celles-ci ne sont pas infinies et la religion de la croissance ne peut aboutir qu’à leur épuisement. Notre collaborateur Hervé Montbard l’a rencontré. –

    Hervé Montbard : Vous publiez un essai sur l’incompatibilité entre une véritable pratique écologique et le dogme de la croissance, fût-elle verte. Vous vous heurtez à l’idée très répandue qui fait de la croissance la condition sine qua non de l’avenir du monde. Pourtant vous partagez l’idée tout aussi répandue qu’une vue écologique est indispensable à cet avenir. N’y a-t-il pas là une contradiction?

    Alban Vétillard : L’idée de croissance économique est une idée récente et ce n’est que depuis les années 1950-1960 qu’elle s’est imposée comme un dogme. Son avantage est énorme et a permis de résoudre bien des problèmes dans les pays occidentaux, de la lutte des classes à l’espérance de vie, de la sécurité sociale à la retraite. Mais tous les progrès ont leurs contreparties et, passé un optimum, les améliorations apportées se font au détriment des facteurs environnementaux, énergétiques et sociaux. Il est donc important de savoir changer de modèle, « de logiciel ». Car si les constats écologiques, et particulièrement l’épuisement annoncé des ressources fossiles, sont partagés, l’impératif de croissance inhibe toute volonté d’embrasser le problème dans sa globalité. En contestant la croissance au-delà d’un certain seuil que nous avons largement dépassé dans nos sociétés, la vision écologique trouve toute sa place.

    HM : Curieusement, vous semblez relativiser la possibilité de se définir comme écologiste. Selon vous, une société de croissance est-elle compatible avec une pratique écologique ?

    AV : Ce que je montre, c’est que dans notre société, la pratique écologique est forcément à géométrie variable, que l’acte écologiste n’est au mieux qu’un acte de foi, au pire qu’un simple comportement économique. Il faut donc arrêter de diaboliser les uns et de vilipender les autres. Tout écologiste qui ne remet pas en cause la croissance et le progrès technologique et social, n’a finalement que peu de divergences de vue avec le plus libéral des économistes. Le plus difficile c’est de comprendre que dans notre société, quelles que soient ses convictions, il ne peut pas y avoir d’action totalement écologique, sauf à vivre sans argent et sans lien avec la société. Dans une société de croissance, tout acte est critiquable et améliorable.

    HM : Le monde politique et les médias ont imposé d’une certaine façon la notion de développement durable. Cette voie est-elle un compromis entre l’intérêt à long terme d’une pratique écologique et la nécessité d’une croissance économique ?

    AV: Le développement durable est ce que Romain Felli nomme l’écologie « d’en haut », c’est à dire imposée par des « experts », les mêmes qui proclament haut et fort les vertus de la croissance. La croissance devient verte et le développement durable. Il est assez facile de montrer que tout mécanisme de croissance économique, fondé sur de la création monétaire perpétuelle, repose in fine sur de la consommation de matières premières et de ressources énergétiques. En ce sens, nombre d’écologistes qualifient d’oxymore l’expression « développement durable ». Pour moi, il ne s’agit que d’un mode mineur, partiel voire partial de l’écologie. La pratique de l’écologie, respectueuse des ressources, de la biodiversité, des équilibres systémiques et biologiques, impose la remise en cause de la croissance.

    HM : La notion de croissance Zéro a été proposée en 1972 par le rapport Meadows, dit du Club de Rome. Pourtant les scénarios proposés dans ce rapport n’ont eu aucun écho quatre décennies plus tard. Pour votre part, vous proposez non pas une croissance nulle mais une décroissance, c’est-à-dire une croissance négative. On imagine mal la société de marché actuelle l’accepter. Faut-il tout de même faire preuve d’optimisme ?

    AV : Tout d’abord, ceux qui ont lu le rapport Meadows rappellent que les prédictions d’effondrement n’étaient pas datées, ou seulement avant 2100. Des extrapolations actualisées de ces modèles montrent, en total accord avec la notion de pics de production de pétrole et de gaz, que les effondrements sont à craindre entre 2020 et 2040. Ce qui n’a pas valeur de certitude et ne représente pas une catastrophe globale pour nos enfants. Ensuite, la décroissance n’est surtout pas une récession : celle-ci n’est que de la destruction monétaire et ses conséquences sociétales. Dans une société de croissance, on peut s’enrichir sans dépouiller son voisin. Le gâteau grandit, et en moyenne, chaque année la part de chacun augmente. Seulement, quand on n’a plus faim, en société de croissance, il faut continuer à manger et à produire. C’est l’origine de nos dégâts sociétaux et écologiques. La décroissance, avec une remise en cause de l’origine de la monnaie et un recentrage sur les ressources naturelles, l’autonomie et la production locale, se situe en rupture avec l’idéologie de croissance.

    HM : Vous abordez la question essentiellement du seul point de vue franco-français. Or les questions que vous soulevez ont une portée planétaire : l’Europe, les pays émergents et les pays pauvres ont inéluctablement une vision différente de cette problématique.

    AV : Il n’y a pas lieu d’interdire la croissance aux pays que nous jugeons pauvres, c’est à dire, l’idée que la monnaie doit être créée en permanence et en quantité croissante. Ce mécanisme, bien mené, permet des progrès essentiels et rapides. Mais il trouve vite des limites que nous allons probablement atteindre très bientôt – certaines sont selon moi déjà atteintes. Alors avec la récession à venir, l’épuisement des ressources, le changement climatique, que nous restera-t-il pour nous enrichir ? La décroissance n’est rien d’autre qu’un projet de société centré sur l’homme, pour revenir progressivement à l’autonomie des régions et des territoires sans impact majeur sur notre qualité de vie. En cela, elle peut nous permettre d’anticiper et de préparer les enjeux globaux de demain.

    HM : Les questions posées n’ont de réponses que politiques. Or en France et en Europe, les partis de gouvernement paraissent étrangers à toute idée de limitation de la croissance. Et les partis qui se disent écologistes ne sont pas très crédibles et n’intègrent pas dans la vision de l’avenir qu’ils proposent une réelle décroissance. De plus les médias grand public sont acquis à l’idée de développement durable. Vont-ils finir par se réveiller ?

    C’est l’objet de la quatrième partie de mon livre. Il est évident que la décroissance ne s’imposera pas d’elle-même. Elle ne peut faire l’objet que d’un compromis, qui permettrait au développement durable de s’affirmer, puis de s’émanciper en sa version Majeure, la décroissance. Nombre de mesures permettant de préparer la société à la décroissance existent déjà dans les cartons des partis politiques, mais sans réelle cohérence ni appréhension des enjeux globaux. De cette liste que je dresse, comme de la description imaginée de la vie en décroissance, je nourris des espoirs pour l’avenir.

    HM : Vous consacrez une partie de votre réflexion à l’inéluctable disparition des ressources énergétiques. Mais voici que l’on évoque l’avènement du pétrole non conventionnel et surtout des gaz de schiste. C’est ainsi que les réserves potentielles de l’Algérie lui permettraient d’envisager une indépendance énergétique jusqu’à la fin du siècle et bien d’autres pays (USA, France) ont également des potentiels dont l’évaluation paraît significative. Ces réserves énergétiques nouvelles doivent-elles modifier l’approche des questions que vous soulevez, nonobstant les contraintes techniques actuellement nécessaires à leur extraction?

    AV : Ah, les gaz de schiste… tout d’abord ces gaz sont connus et exploités depuis plusieurs années, voire décennies. Leur exploitation n’est et ne sera envisageable que dans le cadre d’un renchérissement significatif du prix de l’énergie. Ensuite, les réserves font l’objet d’une intense spéculation dans le but non de donner l’indépendance énergétique, mais de gagner de l’argent ; de l’argent non sur la production, mais sur le potentiel de production. Tout comme il y a eu la mode des biocarburants. Ce ne sont que des avatars de la société de croissance, dont le seul leitmotiv est l’enrichissement. Selon l’Agence Internationale de l’Energie, les gaz de schiste (shale gas) et ses cousins non conventionnels représenteront « au mieux » en 2035, 45 % de la production gazière, soit seulement 10 % de la demande mondiale d’énergie, sans parler du coût environnemental, des conséquences sur les émissions de gaz à effet de serre et du risque de changement climatique, ou encore du désintérêt que connaîtraient alors les énergies renouvelables. Les ressources énergétiques ne sont pas infinies et la croissance non plus.

    Hervé Montbard, Entretiens avec Alban Vétillard – Metamag
    12/02/2013

    Alban Vétillard, Croissance et Ecologie, concilier l’homme avec la société de demain, ed. Le Sang de la Terre, collection La pensée écologique, janvier 2013, 226 pages

    Correspondance – Polémia – 14/02/2013