Le 10 novembre 1975, l'ONU votait une résolution qui fit scandale car elle "décrétait" que « le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale ». À cette occasion, le grand écrivain et critique Pierre Gripari (1925-1990) nous donna une tribune libre qui fut publiée dans notre n° du 20 novembre 1975 mais qui, trente-cinq ans plus tard, mérite d'autant plus d'être méditée que cette résolution onusienne n° 3379 est restée lettre morte. Depuis 1975, l'Etat hébreu n'a cessé d'aggraver le sort des Palestiniens si bien que les problèmes qui se posaient alors sont plus aigus que jamais.
Il ne faut pas se leurrer : pour quiconque a la tripe historique, le racisme n'est pas une exception, ni un scandale, ni une monstruosité : il est la nature même, la plus ancienne religion du monde. La « religion naturelle » n'est pas, comme le croyait Rousseau, l'adoration d'un dieu unique et universel, commun à tous les hommes c'est au contraire un culte familial. Celui des dieux de la tribu, des grands ancêtres, du héros éponyme, du patriarche mythique.
C'est qu'en effet, quand les peuples commencent à se fixer au sol, les divinités, elles aussi, s'enracinent, deviennent locales, géographiques, propriétaires d'un site. Parallèlement, au lieu de sacrifier les prisonniers, on les fait travailler. C'est le début de l'esclavage, considérable adoucissement des mœurs.
Il se trouve que les Juifs, après avoir amorcé cette évolution, se sont trouvés victimes d'une sorte de blocage qui les a fait régresser au stade primitif. Leur littérature religieuse en témoigne et porte à cet égard une lourde responsabilité : elle est le premier manifeste écrit d'un racisme qui n'est plus le racisme naïf de nos pères les Pithécanthropes, mais un racisme en idéologie.
Ainsi, la loi juive (Deutéronome, chapitre 20) frappe d'interdit toutes les populations palestiniennes comme impures. Elles doivent être exterminées, sans distinction d'âge ni de sexe, leurs villes rasées, tout le bétail détruit. Interdiction pour les Hébreux de faire des prisonniers, de s'approprier du butin, d'emmener des esclaves. Et ce génocide rituel n'est pas présenté comme un effet de la barbarie des mœurs : c'est Dieu lui-même qui en donne l'ordre, et qui en revendique hautement la responsabilité ! Tout manquement est sanctionné par un retrait de la grâce divine. C'est ainsi que Saül perdra son trône pour avoir laissé vivre le roi d'Amalek et s'être adjugé les meilleures têtes de son bétail (I Samuel).
Le plus drôle de l'histoire, c'est que ces récits de massacres (Deutéronome, Josué, etc.) sont mensongers. Tous les archéologues sont d'accord là-dessus : il semble bien que la pénétration des Beni-Israël en Palestine se soit effectuée d'une façon relativement pacifique et, dès l'époque de Salomon, il n'y avait déjà plus de « race juive ». Bien plus, les dieux cananéens étaient adorés concurremment avec le Dieu de Moïse, au grand déplaisir des prophètes et des sacrificateurs du Temple... Enfin l'hébreu lui-même, la langue hébraïque, n'est pas autre chose qu'un dialecte cananéen. On pourrait bâtir une belle théorie en expliquant les malheurs du peuple juif par le fait que sa langue sacrée n'est pas la langue d'Abraham, mais, au contraire, un idiome emprunté à ces affreux Palestiniens frappés d'exécration, abominables aux yeux du Seigneur. La Kabbale, tradition magique fondée sur l'interprétation symbolique des lettres et des mots hébreux, n'aurait été qu'un piège contre le peuple élu !
Donc, les Juifs ne sont pas des Juifs, mais des Cananéens judaïsés, comme les Algériens sont des Kabyles arabisés. Que s'est-il passé depuis ?
Il s'est passé que, malgré les promesses de Moïse, le peuple hébreu ne s'est pas multiplié « comme les sables de la mer » et n'a pas « possédé la porte de ses ennemis ». Après une courte période de semi-indépendance correspondant aux règnes de David (allié des Philistins) et de Salomon (allié des Phéniciens, qui ne sont pas autre chose que les Cananéens de la côte), le royaume se morcelle, tombe en décadence et se trouve finalement annexé à l'empire babylonien.
Les dix tribus du nord perdent bientôt toute personnalité ethnique et leur destin se confond, dès lors, avec celui du peuple de la région. Mais les Juifs, c'est-à-dire les citoyens du royaume de Juda, maintiennent leurs traditions jusque dans l'exil, et c'est là qu'intervient la régression dont je parlais tout à l'heure : les cadres politiques n'existant plus, il ne reste aux prophètes qu'à miser sur le cadre familial, sur le sentiment de la communauté biologique.
Babylone une fois prise par les Perses, les Juifs obtiennent de Cyrus l'autorisation de rentrer à Jérusalem, d'en relever les murs et de reconstruire le Temple (Néhémie, Ezra). C'est alors que le sacrificateur Ezra n'hésite pas à falsifier les Écritures, fait récrire tous les textes - un peu à la manière dont les communistes récrivent l'histoire du Parti chaque fois que la ligne politique a changé - et fonde enfin le judaïsme moderne, avec son obsession de la pureté, sa phobie du mélange et du métissage, son interdiction des mariages interraciaux, sa théorie de l'honneur racial, enfin son apologie du génocide systématique des populations qui ont le mauvais goût d'habiter le Lebensraum du Herrenvolk (l'espace vital de la race des Seigneurs). On se demande bien pourquoi Hitler n'a pas cité l'Ancien Testament au premier rang de ses sources. La référence le gênait peut-être un peu...
Cela se passait il y a plus de trois mille ans. Depuis, nombre de Juifs se sont assimilés aux peuples qu'ils côtoyaient, et à chaque génération, il s'en assimile encore : nous sommes tous des Juifs allemands, et bien autre chose... Le malheur, c'est que le rabbinat, loin de mettre ce temps à profit pour évoluer normalement vers une conception de la divinité moins barbare, a toujours maintenu farouchement la discrimination raciale héritée du calamiteux sacrificateur Ezra.
Vers la fin de l'Antiquité, les Grecs se convertissent au judaïsme. C'est le début du christianisme, qui n'est encore qu'une secte juive. Mais, dès le premier siècle de la nouvelle ère, l'Eglise de Jérusalem, craignant d'être noyée dans la masse des nouveaux convertis, refuse de se mélanger à eux. C'est la querelle entre saint Pierre et saint Paul (Epître aux Galates), c'est la scission, c'est la rupture. Le monde occidental sera judaïsé, puisque christianisé, mais il sera aussi antisémite.
Au XVIIe siècle, Spinoza tente, à son tour, de sortir du ghetto. Sa philosophie est un panthéisme à la fois intellectuel et sentimental, d'un charme indéniable, et son intention avouée est de donner une interprétation universaliste de la religion judéo-chrétienne. Il est immédiatement excommunié par le rabbinat, décrété impur et frappé d'interdit comme un vulgaire Cananéen !
Au XVIIIe siècle en Pologne, en Russie et en Lituanie apparaît la secte des Hassidim, partisans d'une mystique et non sans analogie avec celle de Maître Eckhart : il s'agit pour chaque individu, de réaliser immédiatement, pour lui-même, en lui-même, la venue du Messie, en Esprit et en Vérité. Là encore, opposition rageuse de la Synagogue et disparition de la secte.
Enfin, dernière tentative d'universalisation, le communisme russe. Mais, une fois de plus, après avoir lancé le mouvement, les Juifs refusent de se laisser assimiler, entretiennent l'esprit du ghetto, de sorte qu'aujourd'hui l'URSS est antisémite. En outre, l'expérience marxiste ayant donné ce qu'on sait, les anticommunistes ne le sont pas moins !
Il n'est évidemment pas question de défendre Hitler sur ce chef. Il est parfaitement odieux de persécuter les gens pour une ascendance familiale à laquelle ils ne peuvent rien. Cependant si l'on veut être juste, il faut remarquer deux choses :
1° ) L'antisémitisme n'est pas un « crime gratuit ». C'est, en fait, un contre-racisme, un réflexe de colonisé. TOUT LE MONDE EST COUPABLE, à commencer par ceux qui, par bigoterie ou inconscience élèvent leurs enfants dans les idées de la Torah.
2°) La doctrine léniniste de la lutte des classes est aussi criminelle que la doctrine judéo-nazie de la lutte des races. Dans un cas comme dans l'autre, il y a certes des antagonismes. Mais les résoudre par la suppression physique des "bourgeois", des "koulaks" ou des Juifs n'est qu'une stupidité. Les génocides de classe pratiqués par la racaille léniniste n'ont pas eu d'autre résultat que de remplacer les patrons par le Parti-patron, ce qui n'a rien arrangé, au contraire ! Quant à la culture juive, elle est, qu'on le veuille ou non, une part inaliénable de la culture européenne. Nous vivons sur la Bible et Kafka aussi bien que sur Homère et sur Tolstoï.
Seulement, il faut sortir du cercle vicieux. Depuis trente siècles, racisme juif et antisémitisme se conditionnent l'un l'autre. Je rêve d'un Vatican Il de la Synagogue... Malheureusement, elle n'en prend pas le chemin !
Le véritable danger, c'est Israël.
Je me hâte de préciser que les Israéliens ne sont pas les plus coupables. Que les persécutions hitlériennes aient porté de l'eau au moulin des extrémistes juifs, c'était inévitable. L'aventure sioniste est un mouvement de masse, un mouvement passionnel, que l'on peut déplorer, mais qui est fort compréhensible.
Le malheur, c'est que la fondation de l'Etat juif était un crime et une folie. Et l'ONU, de l'époque (URSS comprise) a fait preuve, en cette occasion, de la même inconscience que Jéhovah lui-même, quand il fit don à son peuple d'une terre déjà occupée.
Après la condamnation du racisme, on fonde un Etat qui ne peut être que raciste, puisque Etat juif ayant sous sa juridiction une population qui n'est juive qu'en partie. Et, au moment où l'on s'apprête à imposer à l'Europe vaincue le largage de ses colonies, on crée un nouveau foyer de colonialisme en laissant s'installer en Palestine une population européenne, avec l'agrément de tout le monde, sauf justement des principaux intéressés : les Palestiniens !
Ceux-ci, comme il fallait s'y attendre, se révoltent, prennent le maquis, et ici intervient encore un troisième paradoxe : après avoir chanté les louanges de la Résistance (alors que, jusque-là, les francs-tireurs étaient considérés comme des criminels de guerre), après avoir flétri les militaires allemands qui luttaient contre elle, les Juifs se voient contraints d'adopter les méthodes nazies, de torturer des terroristes et de pratiquer la répression de masse contre les villages rebelles. Et la liste des Oradours palestiniens s'allonge tous les ans.
Pour bien moins que cela, notre intelligentsia juive n'a pas hésité à tirer dans le dos de nos frères, les Européens d'Algérie. Qu'espérait-elle donc ? Que les Arabes raisonneraient d'une façon à Alger et d'une autre façon, diamétralement opposée, à Jérusalem ? Les Arabes ne sont pas si bêtes ! Etait-ce mauvaise conscience, goût refoulé du suicide ?
Quoi qu'il en soit, le résultat est là : les Juifs ont soutenu le communisme, et le monde communiste est contre eux. Ils ont poussé à la décolonisation, et maintenant le Tiers-Monde est contre eux. Seuls, les dirigeants de l'Angleterre, de l'Allemagne et de l'Amérique acceptent encore de leur servir de porte-glaive - je dis bien : les dirigeants, car, pour les peuples, c'est beaucoup moins sûr.
Je passe pour un obsédé parce que, depuis mon premier livre, je reviens sans cesse sur ce problème. Mais l'obsession n'est pas seulement en moi : c'est celle de notre époque. Personne ne le dit vraiment, mais au fond tout le monde le sait : s'il y a une troisième guerre mondiale, ce sera, comme la deuxième, avant tout une guerre juive. Ça vaut tout de même le coup d'y réfléchir...
Le récent vote de l'ONU a l'avantage de poser, pour une fois, la question clairement. Oui, la fondation de l'Etat d'Israël était une agression à caractère colonialiste, oui le sionisme est un racisme, et un racisme encore très modéré, si on le compare au judaïsme orthodoxe !
Je ne prétends pas résoudre la question qui n'est pas de mon ressort. Mais ce qu'il y a de sûr, c'est que les protestations hypocrites, les indignations jouées, les mensonges impudents la résoudront encore moins. Si nous voulions sincèrement que tout le monde ait le « droit de vivre », commençons donc par accepter d'y voir clair.
par Pierre GRIPARI
LE STRABISME DU PARLEMENT ARABE
Organe de la Ligue arabe, le Parlement du même couscous qui s'est réuni trois jours au Caire a appelé le 29 décembre « le peuple suisse à reconsidérer sa décision erronée » d'interdire les minarets, ce qui « traduit les sentiments de haine et d'animosité envers l'islam et les musulmans qu'éprouvent les groupes de la droite extrémiste et raciste en Europe ».
Le Parlement arabe ne serait-il pas mieux inspiré de s'inquiéter des agissements de la « droite extrémiste et raciste » israélienne qui multiplie les empiétements à Jérusalem-Nord - où le gouvernement Netanyahou vient d'annoncer un nouveau plan de construction de logements réservés aux juifs - afin d'y éradiquer toute présence palestinienne ?
RIVAROL 15 JANVIER 2010