Dans le conflit ukrainien, il est clair que la bataille de l’information a été gagnée par les séparatistes pro-russes. Utilisant les médias sociaux et les médias en ligne alternatifs comme tremplin, les séparatists ont réussi à présenter leur vision des choses et leurs revendications. La presse nationaliste francophone relaie depuis le début du conflit les écrits et comptes-rendus des forces de Novorussia.
Les nationalists ukrainiens sont quant à eux rarement entendus et leur discours est souvent retransmis via les lentilles déformantes des médias de masse. C’est donc pour pallier ce manque flagrant que nous avons interrogé Olena Semenyaka, la coordinatrice du projet « Reconquista Azov », membre du service de presse du Régiment Azov, un régiment international combattant les rebelles russes.
Le Harfang : Pourriez-vous vous présenter ainsi que le Régiment Azov dans lequel vous opérez ?
Olena Semenyaka : Je suis une historienne de la philosophie, une membre du Club traditionaliste ukrainien et une adepte de la Révolution conservatrice, particulièrement d’Ernst Jünger. J’ai dû reporter ma thèse, car en tant qu’activiste de la droite ukrainienne, je dois mettre mes connaissances et mes contacts internationaux au service de ma nation. Mes agréables découvertes, mais également mes déceptions vous seront dévoilées dans le texte.
La base du Régiment Azov est constituée de la plus vieille formation paramilitaire, Patriote d’Ukraine, et se réfère idéologiquement à l’Assemblée sociale-nationale. Lorsque les manifestations de Maidan débutèrent, les dirigeants Andriy Biletskyi et Oleh Odnorozhenko furent emprisonnés par le régime de Victor Ianoukovitch. Mais les membres de Patriote d’Ukraine étaient parmi les combattants de rues les mieux formés et prirent part aux affrontements avec les forces de l’ordre. Une des victoires de Maidan fut la libération de tous les prisonniers politiques, dont les dirigeants de cette organisation qui prirent immédiatement la tête de cette jeunesse passionnée. Ils formèrent le Corps Noir, une unité de combattants vêtus de noir qui se lança dans une guérilla contre les séparatistes pro-russes et les occupants. Ils durent improviser pour les armes et durent souvent se servir des armes saisies lors de combats.
Il faut savoir que le cœur du mouvement nationaliste s’est toujours trouvé dans l’Est de l’Ukraine, dans la ville de Kharkiv plus exactement. Ce fut une énorme surprise pour les séparatistes de voir leurs voisins russophones diffuser des vidéos promettant de se débarrasser du chauvinisme qui afflige leur ville, ruinant ainsi la propagande du Kremlin à propos de la « junte russophobe » et des « rebelles de Novorussia ». En mai, les « petits hommes noirs », véritables contrepoids aux « petits hommes verts » russes, sortirent de l’anonymat et devinrent le Bataillon Azov, un bataillon spécial placé sous l’égide du ministre des Affaires intérieures. Sa première victoire fut la libération de la ville de Marioupol, ce qui empêcha les Russes de créer un corridor continental vers la Crimée. Le haut niveau de discipline, de dévouement et d’efficacité du bataillon fut apprécié du gouvernement et, à l’automne, le bataillon devint un régiment de la Garde nationale d’Ukraine, ses effectifs passant de 400 à 1 200 et étant maintenant approvisionné en armes lourdes.
La propagande du Kremlin dépeint le régiment comme une organisation « nazie », terme qui signifie « russophobe », mais plusieurs Russes servent dans ses rangs. La seule force russophobe dans ce conflit est le gouvernement russe. Le régiment est également composé de Suédois, de Biélorusses, de Croates, d’Italiens, de Géorgiens, dont le souhait d’obtenir la citoyenneté ukrainienne a récemment été accordé par le gouvernement qui leur a simplifié le processus. Le Régiment Azov continue de défendre la région de Marioupol où il est très respecté par les habitants, surtout après que la ville ait été bombardée par les séparatistes le 24 janvier, bombardement qui causa 30 morts et 117 blessés. Le régiment a participé aux batailles près de Maryinka et de Ilovays. De plus, en février, il a mené la seule opération victorieuse de l’armée ukrainienne en reprenant le village de Shyrokyne que les forces pro-russes tentent de reprendre en vain.
Il serait pourtant erroné de considérer le Régiment Azov comme une formation uniquement militaire. Les principes de l’Assemblée sociale-nationale furent réinterprétés, améliorés et adaptés aux défis actuels. LeCorps Civil du Régiment Azov, qu’on pourrait voir comme le noyau d’un parti politique futur, est présent à travers le pays. Plusieurs supporteurs d’Europe ont déjà visité ses locaux à Kiev et collaborent à différents niveaux. La ligne idéologique pourrait se résumer par le terme de Reconquista, un terme ayant sa propre logique de développement : aujourd’hui l’Ukraine, demain le Rus’ (révolution en russe) et l’Europe entière (ce qui signifie restaurer la volonté européenne dans toutes les sphères de la vie et réaliser le dernier souhait de Dominique Venner).
Le Harfang : Plusieurs informations contradictoires ont circulé dans les médias à propos des manifestations de Maidan. Quelle fut la motivation des nationalistes qui y prirent part ?
Olena Semenyaka : Le conflit opposant le régime de Ianoukovitch et les nationalistes au début de Maidan avait débuté avant Maidan avec la répression contre l’organisation nationaliste Tryzub, qui devint par la suite le noyau de Secteur Droit, le cas monté de toutes pièces des « terroristes de Vasylkivsky », l’emprisonnement d’Andriy Biletskyi, commandant du Régiment Azov, et d’Oleh Odnorozhenko, professeur en histoire, héraldiste et responsable du personnel au Régiment Azov, la suppression de l’histoire nationale et de la culture, la corruption et la mise en place d’un État policier. Ces réalités étaient celles de l’Ukraine pré-Maidan et furent la raison pour laquelle les nationalistes se joignirent aux manifestations et virent la présence d’un million d’Ukrainiens dans les rues, après le passage à tabac d’étudiants par l’unité spéciale de police Berkout, comme une opportunité de renverser le gouvernement. Sans détermination, sans expérience de combat, sans dévouement et sans coordination, les forces nationalistes n’auraient pu l’emporter.
Le Harfang : Les médias de masse présentèrent souvent les manifestations de Maidan comme étant des manifestations d’appui au projet d’adhésion à l’Union européenne (U.E.), organisation considérée par de nombreux nationalistes comme néfaste pour les nations la composant. Pourquoi donc ce désir de joindre l’U.E. ?
Olena Semenyaka : Il faut dire que les manifestations de Maidan n’étaient pas des manifestations pro-U.E. Avant le début de la guerre avec la Russie, nombre d’Ukrainiens idéalisaient l’U.E. comme étant lesummum de la civilisation et représentant un niveau de vie plus élevé. L’échec de l’accord avec l’U.E., qui n’est même pas dû à Ianoukovitch, fut le déclencheur de l’expression de la grogne populaire contre le régime en général. Si aujourd’hui plusieurs citoyens ukrainiens supportent de façon inconditionnelle l’U.E., c’est dû à l’ignorance et au travail des médias de masse et des fonds internationaux, mais la réalité les rattrape : les relations amicales entre l’U.E. et Poutine malgré les sanctions, les dénonciations européennes envers le nationalisme, les demandes de Bruxelles pour faire de l’Ukraine une fédération, ce qui signifierait sa partition, et l’absence d’aide concrète politique et militaire alimentent le désillusionnement et les déceptions face à l’U.E.
Il faut aussi ajouter que bien que Ianoukovitch soit considéré comme une marionnette de Poutine, il n’était en aucun cas anti-occidental ou anti-U.E. Tout comme en Russie, la rhétorique anti-occidentale n’est qu’un écran de fumée destiné à camoufler la vente du pays aux intérêts occidentaux en continuant de faire croire qu’ils « se relèvent de leurs cendres ». Tous les hauts dirigeants ukrainiens, de même que les Russes, gardent leurs fonds dans des banques occidentales, envoient leurs enfants étudier à l’étranger, alors la confrontation avec l’Occident n’est que de la fiction populiste qui justifie l’expansion territoriale comme en Crimée. C’est le régime de Ianoukovitch qui a initié l’intégration à l’U.E. et c’est la force spéciale Berkout, opposée aux « pro-occidentaux » de Maidan, qui protégea la tentative de parade gay organisée par le maire de Munich. Donc les sympathies pro-européennes exprimées lors de Maidan n’étaient qu’une première tentative des Ukrainiens de se sortir du joug post-communiste des oligarques capitalistes qui fleurissent en Ukraine et en Russie.
Le Harfang : Les Ukrainiens ne font-ils pas le sale boulot des Américains en minant l’influence des Russes dans une région du globe qui leur était proche ?
Olena Semenyaka : Ce n’est pas parce que deux pays sont géographiquement rapprochés qu’ils cœxistent pacifiquement pour autant et ça, les voisins de la Russie impérialiste le savent mieux que quiconque. Les ambitions impérialistes de la Russie moderne sont particulièrement dangereuses, car elle sont souvent en opposition totale avec les traditions culturelles et étatistes de la Rous’ de Kiev et de son successeur direct, l’Ukraine. La Grande Principauté de Moscou, qui émergea après Kiev, fut renommée Russie par Pierre Ier en 1721 seulement et resta sous la domination de la Horde d’Or jusqu’à 1480, adoptant un modèle de gouvernement absolutiste asiatique et d’après les eurasistes eux-mêmes. C’est donc pourquoi parmi les séparatistes pro-russes, qui sont en fait des nouveaux arrivants, on retrouve des Tchétchènes, des Bouriates, des Ossètes et d’autres peuples de la pseudo-Fédération russe qui suivent les hordes du Kremlin, force anti-russe.
L’Ukraine qui, durant des siècles, dut lutter sur deux fronts, notamment avec Bohdan Khmelnytskyi fit l’erreur d’accepter un protectorat russe, initialement supposé n’être qu’une alliance militaire avec le Traité de Prereïaslav en 1654, mais ce fut plutôt le début de l’assaut russe contre la souveraineté et la culture ukrainiennes dès la première révolte cosaque contre l’oppression polonaise. À partir de là, on assiste à une russification et à une réécriture impérialiste de l’histoire ukrainienne, notamment durant la période de l’Empire russe et de l’Union soviétique. Même si les Ukrainiens ont participé à l’Union soviétique, les troisHolodomor (famines créées artificiellement) sont difficiles à oublier. Ce n’est pas pour rien que beaucoup d’Ukrainiens considèrent la question de souveraineté comme étant la souveraineté face à Moscou. La Russie néo-bolchévique et impérialiste répond avec une guerre anti-ukrainienne et tente d’imposer une historiographie niant nos traditions conservatrices étatistes, affirmant que l’Ukraine n’est capable que de révoltes anarchistes contre le gouvernement et niant l’état de nation à l’Ukraine qui est le berceau des peuples slaves, présentant notre nation comme un projet occidental visant à miner les intérêts russes. Alors les fantasmes sur « le sale boulot des Américains » relèvent de la propagande anti-ukrainienne du Kremlin.
De plus, c’est vraiment symptomatique des gens de droite actuels qui oublient le voile de patriotisme dont s’est drapé le bolchévisme et qui aident aujourd’hui un des co-fondateurs du Nouvel Ordre mondial, la Russie, successeur de l’U.R.S.S., à diviser le plus grand pays européen, pays qui est en train de vivre une renaissance nationale. Heureusement, beaucoup de pays européens qui appartiennent à l’axe géopolitique Nord – Sud (Lituanie, Pologne, Géorgie et même Bélarus, supposé dépendre de la Russie) nous aident à regagner notre territoire national et notre souveraineté. Il y a aussi des Russes qui considèrent l’Ukraine comme la Rous’ originelle et souhaitent vaincre la Horde d’Or du Kremlin et libérer leur pays d’origine.
Le Harfang : Comment expliquez-vous que des politiciens occidentaux s’opposant au nationalisme dans leurs pays supportent les nationalistes ukrainiens ?
Olena Semenyaka : Ils supportent l’image médiatique de l’Ukraine pro-U.E. et ne connaissent rien de notre histoire ou de la complexité des aspirations de ceux qui ont participé aux manifestations de Maidan, qui avaient le potentiel pour devenir une véritable révolution nationale, une révolution qui fut interrompue par l’annexion de la Crimée par la Russie. De plus, ils ne supportent pas l’Ukraine par des actions concrètes, car l’Ouest ne souhaite pas une Ukraine forte et indépendante. Cela relève de la lutte entre deux entités mondialistes pour leur sphère d’influence.
Le Harfang : Les troupes de l’O.T.A.N. sont présentement impliqués dans cette région, le Canada ayant récemment envoyé des troupes pour former les soldats ukrainiens. Êtes-vous équipés par l’O.T.A.N. et les soldats occidentaux combattent-ils à vos côtés ?
Olena Semenyaka : Même si les citoyens canadiens et particulièrement la diaspora ukrainienne ont beaucoup aidé en envoyant des denrées alimentaires et des fonds, l’aide occidentale est fortement exagérée par les médias qui souhaitent apaiser les citoyens. Les États-Unis ont envoyé de l’aide financière et un peu d’aide militaire, mais leur attitude est plutôt passive, alors les frappes préventives russes contre une ingérence américaine ne sont qu’une façon de camoufler les vieilles ambitions impérialistes de la Russie. En ce moment, des instructeurs américains forment des soldats ukrainiens, mais ils n’ont aucun impact sur le déroulement de la guerre. Le Régiment Azov a ses propres instructeurs et volontaires étrangers, alors ça ne change rien à nos capacités.
Le Harfang : Le Donbass est ethniquement russe. Notre organisation croit en l’auto-détermination et au respect des droits ethniques. Pourquoi vous opposez-vous donc à l’indépendance de ces républiques russes ?
Olena Semenyaka : L’affirmation de départ est fausse; même après des tentatives de colonisation, le Donbass compte un grand nombre d’Ukrainiens et de pro-Ukrainiens, même si ceux-ci sont ethniquement russes. Après la victoire de Maidan, plusieurs unités Berkout, des politiciens pro-russes et des activistes russes, s’enfuirent au Donbass pour préparer une contre-offensive contre l’État ukrainien. C’est un des mythes du Donbass russe. Les activités des « petits hommes noirs », ainsi que la tranquillité et les sympathies pro-ukrainiennes observées dans les villes supposément russes libérées par les soldats ukrainiens au printemps dernier comme à Kharkiv, Odessa, Marioupol, Mykolayiv, prouvent que la source de violence et d’oppression est la Fédération russe et non la « junte » ukrainienne. De plus, les confessions de l’ancien leader militaire de Novorussie Igor Strelkov (Guirkine) à propos du référendum illégal de Crimée, durant lequel les troupes russes obligèrent les députés à voter en faveur de l’annexion, montrent que le référendum du Donbass, qui n’a pas atteint le quorum, fut une farce. Cela explique pourquoi l’armée russe n’occupe aujourd’hui que la Crimée, les villes de Lougansk et Donetsk ainsi que quelques villages avoisinants, alors que l’objectif initial de Novorussie était d’englober la moitié de l’Ukraine.
Il faut aussi garder en tête que les territoires qui furent connus sous le nom de Nouvelle Russie ne furent pas donnés à l’Ukraine par la Russie, mais au contraire furent volés au Cosaques ukrainiens. Sur toutes les cartes, atlas et traités, ces territoires étaient identifiés comme la Zaporoguie jusqu’en 1775.
Finalement, j’aimerais attirer votre attention sur les récents appels de Dmitry Dyomouchkine, président de la plus importante organisation nationaliste russe, qui s’adressait aux nationalistes du reste du monde. Dans cet appel, ils demandent aux nationalistes de faire preuve de solidarité et de ne pas appuyer Poutine. Dyomouchkine, qui a été fouillé par le F.S.B. pour une huitième fois, rappelle que le gouvernement russe actuel emprisonne même les nationalistes loyaux au régime (« Il faut une permission pour aimer Poutine »). Les nationalistes russes rappellent aussi les politiques économiques et immigrationnistes anti-russes prisent par la Fédération russe et souligne que la défense des droits des Russes d’Ukraine n’est qu’un mythe cynique : l’annexion de la Crimée et la guerre au Donbass ont eu un impact négatif sur les Russes de ces territoires, divisent les Ukrainiens et les Russes et menacent l’unité slave. Alors les nationalistes québécois qui sentent que les Ukrainiens ont raison sont tout à fait justifiés. Espérons que cette entrevue permette de clarifier les choses pour tout le monde.
• Propos recueillis par Rémi Tremblay pour Le Harfang, magazine de la Fédération des Québécois de souche, vol. 3, n° 5, juin – juillet 2015.
• D’abord mis en ligne sur Cercle non conforme, le 7 juin 2015.
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