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culture et histoire - Page 1897

  • Non au 19 mars du FLN, du PC et de la FNACA !‏ par Alain Sanders

    Pour la première fois en cinquante ans – triste première – les communes de France sont officiellement « invités » à commémorer le 19 mars 1962. À savoir la victoire de l’ennemi fellouze. Sous les applaudissements du PC, de la FNACA et des gaullistes résiduels.

    Dans un communiqué signé par son président national, Thierry Rolando, le Cercle algérianiste, qui « condamne sans réserve cette initiative qui divise la communauté nationale, heurte les consciences et avive les blessures de milliers de familles de victimes », demande aux maires de faire « le choix de la concorde et de la réconciliation nationale en renonçant à s’associer à ces commémorations de la honte ».
    Jusque-là, seules les mairies socialistes, communistes, plus quelques mairies de félons gaullistes, se vautraient dans la commémoration de cette sinistre date. Aujourd’hui, c’est toutes les communes qui sont incitées à participer à l’ignominie. Aussi rappelons encore – et nous ne cesserons jamais de le faire – ce qu’on commémore en commémorant le 19 mars : de mars à juillet 1962, 150 000 Français musulmans et leurs familles massacrés, 10 000 Européens assassinés et, pour nombre d’entre, eux, enlevés et disparus à jamais. 
    Dès le 19 mars 1962, le FLN commença les tueries. Le 26 mars, à Alger, une foule pacifique qui se portait au secours de Bab-el-Oued quadrillée et matraquée par les forces régimistes, fut mitraillée : 80 morts, plus de 200 blessés.
    Rappelons que Mitterrand – Mitterrand lui-même – déclarait le 24 septembre 1981 (et il ne varia jamais là-dessus) : « S’il s’agit de marquer le recueillement national et d’honorer les victimes de la guerre d’Algérie, je dis que cela ne peut être le 19 mars. »
    Et ce sont ceux qui, aujourd’hui, se réclament de son héritage qui fêtent avec les fellouzes au pouvoir à Alger – mais eux, c’est normal – une honte nationale. Aussi faut-il que, ce 19 mars 2013, tous les patriotes, tous les Anciens Combattants, se mobilisent pour manifester leur rejet. Il y aura bientôt des élections municipales : il faut faire savoir aux maires indignes qu’on ne les ratera pas.
    Comme chaque année, le 26 mars prochain, l’Association des Familles des Victimes du 26 Mars 1962 (portée exemplairement par Nicole Ferrandis) appelle à une cérémonie de recueillement au Mémorial national du quai Branly à 14 h 30. Une cérémonie qui associe la mémoire des disparus, des Harkis, des victimes des massacres (et notamment à Oran sous les yeux d’une armée française restée l’arme au pied). Le même jour, à 18 h 30, une messe sera célébrée en l’église Saint-Nicolas du Chardonnet où, depuis le 26 mars 1999, se trouve une statue de Notre-Dame d’Afrique.
    Ceux qui fêtent le 19 mars 1962 sont les mêmes que ceux qui fêtaient Berlin, Varsovie, Budapest, Prague, Saïgon, Phnom Penh comme « des victoires de la paix et du socialisme ».
    En choisissant de commémorer le 19 mars 1962, ce gouvernement – un gouvernement de porteurs de valises et de porte-coton du FLN – nie en toute connaissance de cause (1) le droit à la mémoire des harkis et des Pieds-Noirs. Il choisit, comme le dénonce le Cercle algérianiste, de leur infliger « une double peine puisque, désormais, l’injustice mémorielle s’ajoute à l’injustice du déracinement et de l’exil ».

    C’est une provocation insupportable. Il ne faut donc pas la supporter. Et y apporter une réponse à la mesure des souffrances qu’elle provoque.¢

    (1) À commencer par Hollande qui sait parfaitement à quoi s’en tenir : son père fut un militant Algérie française très engagé.
    Alain Sanders pour Présent

    http://www.francepresseinfos.com/

  • Nationalisme gaulois et perspectives révolutionnaires

     Un nouveau leitmotiv revient avec insistance dans les milieux de la Droite subversive : « Les immigrés ne repartiront pas, nous ne les rejetterons pas à la mer ».

     

    Si on veut dire par là qu’il n’y a aucune chance pour que la France des Droits de l’Homme et de la démocratie participative procède, un jour, à l’expulsion légale de huit ou dix millions d’hommes, de femmes et d’enfants dont la plus grande partie est juridiquement française, c’est l’évidence absolue.

     

    Mais sinon, c’est une absurdité. Peut-être devrait-on rappeler que la population algérienne renfermait en son sein, en 1962, environ un million de Français, c’est-à-dire 10 % de la population totale de l’Algérie, et qu’il a suffit de quelques mois pour l’expulser à peu près totalement, mettant fin à 132 ans de présence française dans ce pays

     

    Mais revenons à la conception précédente : la République française, sous sa forme actuelle, serait politiquement, idéologiquement, moralement, juridiquement incapable de mettre fin à la colonisation de peuplement islamique en cours sur son territoire. Fort bien : si on accepte l’affirmation « les immigrés ne repartiront pas » dans ce sens-là, nous avons affaire à du vrai réalisme politique, qui se traduit en premier lieu par un constat d’évidence.

     

    Le problème, évidemment, c’est la conclusion que nos nouveaux génies tirent de ce constat : « Les immigrés ne repartiront pas, nous ne les rejetterons pas à la mer, donc, qu’on le veuille ou non, il faut s’accommoder de leur présence et essayer de faire en sorte que les choses se passent le mieux possible ».

     

    Il est probable que si les mêmes s’étaient retrouvés dans le Titanic après qu’il ait heurté l’iceberg, ils auraient dit : « l’eau qui est en train de s’engouffrer ne repartira pas, nous ne la rejetterons pas à la mer, il faut s’accommoder de sa présence et essayer de faire en sorte que les choses se passent le mieux possible ».

     

    Pourtant, cela avait bien commencé : d’abord un constat réaliste pour bien montrer qu’on est pas des exaltés, qu’on est des gens raisonnables et intelligents, qu’il y a ce qui est souhaitable et ce qui est faisable, etc. Et puis juste après, la stupéfiante, la confondante, la colossale connerie : on va essayer de faire que tout se passe bien dans la future France des 40 % de musulmans.

     

    Oui, selon un sondage publié par le journal Le Monde, la France comptera 40 % de musulmans à l’horizon des années 2040.

     

    Pour le dire plus clairement, la France sera devenue une Seine-Saint-Denis géante, en pire. L’économie du 93 repose sur deux sources principales de revenus : le trafic de drogue et les prestations sociales, c’est-à-dire l’argent du contribuable français versé généreusement à des populations totalement incapables de créer par elles-mêmes de la richesse. La police ne sert plus qu’à des opérations ponctuelles, quand par exemple un quartier entier est en état d’insurrection et que les voitures des minorités gauloises crament par dizaines. Pour le quotidien, l’État a depuis longtemps abandonné le maintien de l’ordre aux islamistes et aux trafiquants.

     

    Pendant très longtemps, l’État français n’a pas osé faire vraiment ce qu’il faut pour rétablir l’ordre dans les banlieues, ce qu’on a appelé « le syndrome Malik Oussekine ». Les gouvernement de droite comme le ministère de l’Intérieur de Chevènement sont restés tétanisés par la peur de la rétorsion médiatique. N’oublions pas qu’un vote à main levée au sein de la rédaction du Monde, avant les présidentielles de 2002, avait donné Olivier Besancenot vainqueur dès le premier tour avec 80 % des voix.

     

    Nous ne voulons pas dire, d’ailleurs, que cette « peur de la bavure » a baissé, bien au contraire. Mais s’y est ajouté une autre raison, bien plus inquiétante. C’est la crainte, en touchant à un seul des cheveux d’un de ces délinquants, de déclencher la guerre civile. Le symptôme le plus frappant de cette soumission de l’État à l’envahisseur, ce sont les propos du ministre de l’intérieur Sarkozy puis du président du même nom, respectivement à propos des émeutes de 2005, puis de l’insurrection de Villiers-le-Bel en 2007 ou, rappelons-le, plus de soixante policiers ont été blessés par balles.

     

    Lors des émeutes de 2005, Sarkozy s’est félicité que des policiers sur qui on avait ouvert le feu aient battu en retraite plutôt que de riposter, ce qui aurait, selon lui, aggravé les choses. On est en droit de s’interroger sur la pertinence de cette stratégie, et sur la clairvoyance de ceux qui ont accordé leur suffrage à Sarkozy pour rétablir l’ordre, puisqu’il a tenu exactement les mêmes propos au sujet des événements de Villiers-le-Bel. Comment peut-on rétablir l’ordre si les plus hautes autorités donnent comme priorité absolue à la police de ne pas faire la moindre égratignure aux émeutiers ?

     

    Comment pourrait-on faire confiance, pour nous protéger, à des flics qui ont comme consigne de ne même pas se défendre eux-mêmes ?

     

    Aux États-Unis, si un délinquant tire sur un policier, le policier riposte, sans aucun état d’âme. La mort du délinquant ne déclenche pas d’émeutes, en tout cas pas depuis que celles de Los Angeles, en 1992, ont été réprimées au prix d’un certain nombre de morts chez les dits émeutiers.

     

    Les autorités françaises ne veulent surtout pas qu’un policier, même en état de légitime défense, tue une « racaille » puisque, étant moralement incapables, pour les raisons déjà évoquées, d’employer les moyens adéquats pour mater la rébellion, leur seule stratégie consiste à attendre que les insurgés se lassent et de ne surtout rien faire qui puisse de nouveau attiser leur colère, telle une femme battue avec son mari violent. Il s’agit en fait d’un véritable abandon de souveraineté sur des portions de plus en plus grandes du territoire de l’Hexagone.

     

    La question doit être posée : que se passerait-il si une force politique vraiment résolue à rétablir le droit français dans ces zones de peuplement islamique arrivait au pouvoir ?

     

    Il est en fait fini le temps où un peu de fermeté à l’américaine aurait suffi à remettre les choses en place.

     

    Ce ne sont pas de lointains descendants d’esclaves, convertis au christianisme, en grande partie européanisés, auxquels nous avons affaire. Que peuvent proposer, aux États-Unis les Noirs américains comme alternative politique ? Les mouvements soixante-huitards comme les Black Panthers apparaissent aujourd’hui comme à peu près aussi sérieux que le « Parti indépendantiste auvergnat ». Les problèmes que posaient les Noirs américains étaient du domaine de la délinquance, et aussi, il faut le dire, de la violence raciste gratuite, mais sans aucune organisation ni idéologie suffisamment ancrée dans la population pour être un jour autre chose que cela.

     

    Les émeutiers de la France actuelle sont, eux, en même temps l’étui et la gâchette d’une véritable arme de guerre politique et idéologique, l’islam. Historiens, islamologues et théologiens se disputent sans cesse à son sujet. Est-ce une religion, une loi, un mode de vie ? C’est tout cela à la fois, mais aussi tellement d’autres choses.

     

    On ne comprendra jamais rien à l’islam si on ne commence pas par dire qu’il s’agit en fait du totalitarisme le plus parfait, le plus implacable qui ait jamais existé de toute l’histoire de l’humanité.

     

    Bien des peuples, dans l’histoire, sont devenu musulmans alors qu’ils étaient auparavant, et souvent farouchement, chrétiens, hindous, bouddhistes. Aucun n’a pu repasser la barrière de l’apostasie. Sur le plan individuel, évidemment, il arrive qu’un musulman se convertisse à une autre religion, quasiment toujours d’ailleurs le christianisme. Il a intérêt ensuite à courir très vite. Il sera obligé en général de couper tous les ponts avec sa famille.

     

    L’islam punit l’apostasie (uniquement si elle a lieu dans ce sens, évidemment) par la mort. Bien des musulmans en France ne le savent d’ailleurs pas, mais l’imprégnation inconsciente est très forte sur les esprits. Il est d’ailleurs un peu fastidieux de tout expliquer par les préceptes coraniques et les hadith, comme si les musulmans les connaissaient tous par cœur et les appliquaient en toute connaissance de cause. On juge un arbre à ses fruits, disait le Christ. Il est aussi prévu, dans le judaïsme, de lapider la femme adultère. Quand la théorie est là mais qu’elle est, dans les faits, abandonnée depuis des siècles et des siècles, elle ne peut plus poser problème à qui que ce soit.

     

    Dans le même ordre d’idées, nous pouvons considérer que la fameuse directive coranique « aucune contrainte en religion » est nulle et non avenue, ayant été systématiquement contredite par tous les États musulmans. La règle absolue en islam est le ravalement au rang de sous-homme de tous les non-musulmans. La plupart des conversions s’expliquent de cette façon.

     

    Les peuples musulmans, ou qu’ils soient, ne se se convertirons ni au christianisme, ni au bouddhisme, ni à aucune autre religion ou idéologie désobéissant aux préceptes islamiques. Si un parti politique vraiment décidé à agir, autant que le lui permet le légalisme républicain et plus largement les préceptes de la démocratie libérale à l’américaine (cadre mental qui constitue depuis 1945 l’essentiel de notre horizon politique), arrive, disions-nous, aux commandes, cela ne changera pas grand-chose. Il pourra, en durcissant la législation, faire baisser les violences. Mais il ne pourra rien contre la sécession de territoires entiers devenus majoritairement islamiques. Et d’ailleurs, comment croire qu’en constituant 40 % de la population, les musulmans ne disposeront pas d’une partie essentielle du pouvoir politique, voire de la totalité de celui-ci dans des villes devenues religieusement homogènes où la charia sera, dans les faits, appliquée scrupuleusement par les autorités locales ? La population ne laisse déjà pas sortir les filles sans leur voile…

     

    Le problème est donc, en apparence, insoluble, et c’est pourquoi un certain nombre de gens, y compris dans le camp nationaliste, commencent à prêcher un « réalisme » qui n’est en fait qu’un renoncement total au combat pour la souveraineté, l’identité et la survie, physique comme spirituelle, des peuples européens sur leur propre sol. Révolutionnaires en peau de lapin qui considèrent qu’à partir du moment ou un individu réussit à se faire naturaliser, lui et ses descendants seront à jamais « chez eux chez nous », que l’islam, devenue religion majoritaire, de la France d’abord, de l’Europe ensuite, est une fatalité contre laquelle il ne sert à rien de lutter, et qu’il faut entamer dès maintenant une politique de collaboration. Si les croisés savaient que leur descendants sont devenues des femmes soumises, dont le plus grand acte de résistance consiste à essayer de trouver leur place dans le harem du nouveau Sultan…

     

    En réalité, ces gens qui se disent rebelles à l’ordre établi, à partir du moment ou ils sont incapables de transgresser le cadre mental du légalisme républicain, à commencer par le caractère quasiment sacré de la naturalisation, c’est-à-dire l’acquisition d’un bout de plastique qui vous dit que vous êtes juridiquement français, ces gens, disions-nous, sont en fait totalement dans la dépendance du système qu’ils prétendent combattre.

     

    Nous considérons, quant à nous, que la présence de l’islam, et donc des musulmans, sur le sol de l’Europe est, au sens strict du mot, intolérable. Que les dirigeants qui non seulement les ont fait entrer, mais leur ont octroyé la citoyenneté française (ou belge, ou allemande…) ont commis, à l’égard de leur peuple, un crime de haute trahison. Et que ceux qui tiennent la présence musulmane non comme un problème, mais comme un fait contre lequel il ne sert à rien de lutter, sont les continuateurs fidèles des collabos des années quarante, qui considéraient eux aussi la colonisation allemande comme une force irrésistible que rien ne pourrait déboulonner, et que le mieux à faire était de commencer à apprendre Gœthe et Schiller dans le texte.

     

    La fatalité qui conduit beaucoup de nationalistes à abdiquer sur l’immigration et l’islamisation, et qui les conduit à s’aligner, peu ou prou, sur les positions des médias du Système, est une erreur gravissime, parce qu’elle considère le cadre juridique, politique et mental dans lequel nous évoluons depuis 1945 comme immuable. Ce n’est en aucun cas notre position.

     

    Les nationalistes du F.N. ont cru qu’ils pourraient arriver au pouvoir par des voies légales. Cette possibilité, qu’elle ait été vraie ou pas à un moment donné, semble aujourd’hui appartenir à une époque révolue, pour des raisons qu’il serait ici fastidieux d’évoquer.

     

    Mais, répétons-le, l’impasse n’existe que pour ceux qui refusent de grimper au-dessus du mur pour scruter l’horizon.

     

    Lénine n’a jamais dit aux bolcheviques d’arracher le pouvoir des mains du tsar. Il savait pertinemment que c’était impossible. Que s’est-il finalement passé ? Le pouvoir en Russie s’est effondré sur lui-même, victime de ses errements, du désastre de la guerre contre l’Allemagne, de l’incompétence de ses dirigeants, du discrédit de la famille impériale « envoûtée » par Raspoutine. Non, les bolcheviques n’ont jamais pris le pouvoir en Russie. Ils n’ont jamais tenté de cueillir le fruit encore vert. Ils se sont contenté d’attendre qu’il pourrisse tout seul et tombe de l’arbre. Ils savaient aussi qu’à ce moment-là, ils ne seraient pas les seuls à vouloir le ramasser. C’était cela, le moment décisif, cette période d’anarchie totale ou un souffle de vent pouvait faire basculer l’histoire.

     

    L’exécution du tsar et de la famille impériale signifia le basculement de la Russie dans un autre univers, où les anciennes règles n’avaient plus cours. Le meurtre du tsar, comme celui de Louis XVI et de Marie-Antoinette, était fait pour adresser au monde le message suivant : il n’y a plus de retour en arrière possible.

     

    Ces assassinats étaient, pour les révolutionnaires russes comme français, une étape obligée. Souvenons-nous de cet axiome : la légitimité prime la légalité. Ni les bolcheviques ni les jacobins ne détenaient la moindre légitimité. Jamais les masses ne les suivirent dans leur entreprise de destruction de la dynastie de droit divin dont elles étaient, depuis des siècles, les sujets. Sans la terreur, sans les meurtres de masse exercés sur leur propre peuple, les révolutionnaires ne pouvaient espérer tenir bien longtemps, parce qu’aux yeux de ce peuple, ils n’étaient rien. On ne leur devait aucun autre respect, aucune autre déférence que celle inspirée par la peur.

     

    Ils ne purent commettre régicides et tsaricides que parce que les hommes qui occupaient cette fonction l’avaient déjà, aux yeux de la population, largement trahie.

     

    De quelle légitimité pourraient bien se doter les nationalistes, qui pourrait leur éviter, s’il leur arrivait de prendre le pouvoir à l’occasion de la guerre civile ethnico-religieuse dont nous pensons l’éclatement inéluctable, d’avoir à passer leur propre peuple par les armes, comme ont été obligés de le faire les bolcheviks, ce qui d’ailleurs, contrairement à nous, ne contredisait en rien leur idéologie ?

     

    Pour nous, il ne fait guère de doute que la légitimité doit être d’abord ethnique.

     

    Le mot « Gaulois » n’est pas seulement un nom utilisé dans les banlieues pour désigner les ancêtres de Vercingétorix, c’est aussi ce qui se cache, historiquement, derrière le pseudonyme de « Français ». Est-il, dans cet optique, plus important de se réclamer de Jeanne d’Arc que de Charles Martel ? Tous ces personnages symbolisent la résistance du peuple gaulois à l’envahisseur.

     

    Cette conscience d’appartenir au peuple gaulois, même si on l’appelle encore « français » en lui donnant un sous-entendu ethnique évident alors que les médias du Système y voient juste la possession de papiers d’identité, est une des choses les plus profondément ancrées dans la conscience de notre peuple.

     

    C’est une légitimité qui s’impose d’évidence, nous pourrions même dire, maintenant que la tradition monarchique a été rompue, qu’il n’y a plus que ça, tout en se posant la question de savoir s’il y a eu un jour autre chose. La monarchie, au fond, n’était peut-être qu’un système de gouvernement comme un autre. L’essentiel est de continuer l’histoire, d’écrire un nouveau chapitre d’une odyssée prodigieuse, celle des Gaulois. De Vercingétorix à de Gaulle, c’est le même cœur qui bat, parce que c’est le même peuple qui se bat.

     

    Nous vivons certainement le moment le plus critique de notre histoire. Ni la conquête romaine, ni les invasions barbares, ni les deux guerres mondiales n’ont menacé l’existence physique du peuple gaulois (ou français, bien que cette appellation, du fait de sa dualité ethnico-juridique, pose problème) sur son propre sol. Nous sommes minoritaires, comme l’étaient tant d’autres révolutionnaires qui, finalement, l’ont emporté. Les principes de défense du peuple gaulois dont nous nous réclamons seront le point de ralliement obligé, dans quelques années, de ceux qui ne voudront pas choisir entre la mort, l’exil ou l’assimilation par l’envahisseur.

     

    Quand les émeutes de 2005 se répéterons tous les jours, que les kalachnikov auront remplacé les cailloux et les fusils de chasse, que Paris, c’est-à-dire le centre du pouvoir, sera totalement encerclé par des banlieues complètement islamisées, et que les voitures et les bus commenceront de flamber en série dans la capitale, que se passera-t-il à ce moment-là ? Personne ne peut encore le prévoir. Mais, à tous ceux qui n’ont pas envie de léguer à leurs enfants une France dont le drapeau tricolore s’ornera d’un croissant, nous nous contenterons de rappeler ce mot d’Hannah Arendt : « la plus grande prophétie est une promesse que l’on tient ».

     

    André Waroch http://www.europemaxima.com

     

    • Mis en ligne le 5 janvier 2008.

  • Qu’est-ce que le dandy ? par Pierre Le Vigan

    Répondre à la question : qu’est-ce que le dandy, c’est comprendre l’individualité contrariée dans une société de masse. Penser le dandy, c’est d’abord penser deux choses. C’est penser la déféminisation de l’hystérie, et c’est penser sa désexualisation. Pour le comprendre, il faut d’abord faire un bref retour sur la théorie de l’hystérie, puis évoquer la figure du dandy telle qu’elle s’est constituée au XIXe siècle. Ce cheminement amènera à rencontrer des figures plus mineures de l’hystérie : le mondain, le sophistiqué, le bohème… 

    Faisons rapidement retour sur la théorie de l’hystérie. Après avoir été analysée, conformément à son étymologie, comme une maladie « féminine », - la maladie de la matrice -, l’hystérie a été rapprochée de la neurasthénie, au XVIIè siècle, en un mouvement qui ne faisait que reprendre une théorie du IIe siècle ap. JC avec Sextus Empiricus, et elle a été étendue aux hommes.  

    L’hystérie a été vue sous l’angle d’une maladie neurologique par Jean-Martin Charcot (1825-1893). Elle concernait donc tant les hommes que les femmes. Freud a repris ce point de vue mais a resexualisé, – voire sursexualisé selon certains –  l’hystérie quant à son origine, qu’il voit principalement dans des émotions sexuelles mal digérées. L’hystérie est alors un paradigme de la maladie mentale. Un siècle plus tard, nous n’en sommes plus là, et c’est la notion même d’hystérie qui semble disparaître derrière des symptômes rattachés à d’autres pathologies. Dans ces conditions, l’hystérie peut-elle encore nous dire quelque chose de la maladie mentale ?

    En tout cas, l’approche de l’hystérie en termes de paradigme ne paraît plus adéquate. C’est une approche en termes de position de vie qui retient notre attention. L’hystérie est une attitude, une position. C’est une position devant le monde et devant les autres. En cela, c’est une solution à un problème. Plus précisément c’est une tentative de solution à un problème d’économie psychique défaillante. Il s’agit d’économie psychique, et non seulement d’économie sexuelle. Ce que nous explorons ne se situe donc pas dans la lignée de la position de Freud de l’origine sexuelle de toutes les névroses donc de l’hystérie. 

    Comprendre à nouveaux frais l’hystérie, c’est la désexualiser.  L’hystérie, est  « une pathologie dans l’engagement des rôles, qu’ils soient sexuels ou non » écrit Georges Charbonneau. Nous évoquions plus haut l’idée que toute position de vie assumée constitue une tentative d’auto-thérapie. On peut estimer que l’hystérie est une « mauvaise » réponde à un vrai problème : une forme particulière de neurasthénie, l’acédie. Il y a en effet des liens entre hystérie et acédie, exactement entre l’hystérie et une tentative de soigner une acédie, celle-ci entendue  comme non pas une paresse, non pas une simple tépidité (défaillance de l’énergie, relâchement) mais au contraire comme une tension, mais une tension qui ne sait à quoi s’employer, une tension qui s’entrave elle-même et qui se heurte au non désir de soi, produisant ainsi une sorte de « tristesse sèche ».

    En ce sens, Albert Camus écrivait : « Le dandysme est une forme dégradée de l’ascèse ». Il poursuivait : « Le dandy créé sa propre unité par des moyens esthétiques, … La créature jusque là recevait sa cohérence du créateur. A partir du moment où elle consacre sa rupture avec lui, la voilà livrée aux instants, aux jours qui passent, à la sensibilité disperse. Il faut donc qu’elle se reprenne en main. » (L’Homme révolté, 1951).  L’hystérie est une tentative d’échapper à l’acédie ; elle s’inscrit dans un système global d’économie psychique. D’où l’intérêt d’étudier, au delà de tout paradigme, les figures passées et actuelles de l’hystérie, maintenant nommée l’histrionisme.

    Certaines de ces figures ont un profil assez reconnaissable. Ne négligeons pas ce que nous dit le sens commun sur l’hystérique : celui qui « fait des histoires », le coléreux pour un rien, l’acariâtre. C’est là l’hystérie rouge pourrait-on dire. Naturellement, ces caractéristiques peuvent se trouver chez d’autres types de personnalité, le psychopathe par exemple. Elles ont par contre un sens particulier chez l’hystérique, c’est le « vouloir se faire remarquer » (comme une tour que l’on voit de loin dans un paysage – ce qui pourrait amener à évoquer une hystérie architecturale), « vouloir attirer l’attention », « vouloir être au centre des préoccupations des autres ».  

    L’hystérique est ainsi un être qui adopte une attitude de hauteur, non pas par distance radicale avec les autres, mais pour se faire remarquer. Le succès recherché et surtout affiché, ou encore la revendication insatiable peuvent être ses moyens. L’hystérique est un phobique à l’envers, il a toujours besoin d’être sûr d’être au centre de l’attention d’autrui. 

    Le mondain, le dandy, le sophistiqué

    Le mondain est une figure possible de l’hystérie, il veut être parmi ses pairs, du petit nombre de ceux « qui comptent ». Il y a une affectation dans l’hystérie. Le sophistiqué, le délicat, le maniéré sont d’autres figures possibles de l’hystérie, même si ces figures peuvent renvoyer aussi à d’autres personnalités pathologiques, narcissiques notamment, évitantes parfois (ce qui n’est pas le cas du mondain). Ces dernières figures, ces attitudes sont toutes tangentielles par rapport à la centralité : entendons qu’elles ne visent pas à la centralité d’une manière simple, classique, comme le mondain y vise, mais d’une manière détournée. Plus radicale est une autre figure de l’hystérique. Nous voulons parler de la figure du dandy.

    Il y a trois modes de repérage possibles des hystéries : en fonction de la typification des rôles sexuels (ainsi le Don Juan …), de la symptomatologie corporelle (ainsi l’hypocondriaque …), du positionnement dans le champ social. Le dandy relève de ce troisième registre. Qu’est-ce qui caractérise le dandy ? C’est un rapport à la centralité complexe. Le dandy est obsédé par la centralité, mais toutefois il ne souhaite pas participer à celle-ci n’importe comment. Il souhaite apparaître, vu du centre, comme étant aux marges, ailleurs, « différent ». L’important pour le dandy, c’est « comment on le voit du centre ». C’est là toute la différence avec le mondain qui veut être « de ceux du centre », et non seulement au centre, et encore moins « vu du centre ». Il y a une dimension « nostrique » (la nostrité, l’appartenance au « nous », à une communauté) chez le mondain (la volonté « d’en être »). C’est une dimension d’appartenance qu’il n’y a pas chez le dandy.

    Autre figure, le sophistiqué. Celui-ci  est intermédiaire entre le mondain et le dandy. Il est certes, avant tout, proche du dandy. Mais sa sophistication ne constitue pas un refus aussi radical de la « nostrité » - le sentiment d’un ‘’nous’’ -  que pour le dandy. Le sophistiqué est snob d’apparence mais il est moins méprisant que le dandy. Sa sophistication est une mise à distance des autres qui ne va pas jusqu’à l’auto-mise à l’écart du dandy entendu stricto sensus. Ceci posé, les frontières entre ces sous catégories sont minces. Ecoutons les propos du chanteur Christophe, un contemporain qui relève d’un dandysme sophistiqué : « le dandysme ce serait une différence, je n’ai jamais regardé la définition sur mon dictionnaire [le dandy ne regarde pas dans un dictionnaire mais dans son dictionnaire -JML], le dandysme ce serait une différence dans laquelle je me retrouve, qui m’appartient… Mais je peux prendre des exemples. Un dandy c’est quelqu’un qui aime avoir des exemplaires uniques – mettons, j’ai créé ces bottes : alors que d’habitude on met toujours la fermeture à l’intérieur de la jambe, sur ce modèle elles sont à l’extérieur. (…). Pour moi, le dandysme c’est l’affirmation d’une différence assumée à tous les niveaux… en ce sens on peut parler d’une attitude, mais une attitude commandée par l’esprit. » i. Le dandysme est du « beau bizarre », selon le terme du parolier Bob Decout et le titre d’une chanson de Christophe, avec toujours une dimension de nostalgie et de romantisme. Charles Baudelaire avait écrit : « Le beau est toujours bizarre. Je ne veux pas dire qu'il soit volontairement, froidement bizarre, car dans ce cas il serait un monstre sorti des rails de la vie. Je dis qu'il contient toujours un peu de bizarrerie, de bizarrerie non voulue, inconsciente, et que c'est cette bizarrerie qui le fait être particulièrement le Beau » (1855).

    À beaucoup d’égards, le sophistiqué est proche du snob. « Il n'existe pas de snob à temps partiel ou d'intermittent du snobisme. Il s'agit d'une vocation, d'un sacerdoce, d'une carrière. » écrit Jean-Noël Liaut ii. Le terme snob vient de William Makepeace Thackeray, auteur de Barry Lindon et d’un Livre des snobs, publié en 1848.  Le snob, qui tient à la fois du sophistiqué et du mondain, est d’emblée un être marqué par un décalage. Il veut paraître au dessus de ce qu’il est socialement. Il aspire, note l’historien Frédéric Rouvillois, « à un statut supérieur au sien ; [c’est en ce sens] un intrus, un imitateur, un vaniteux. » iii. A la fin du XIXe siècle, le critique littéraire Jules Lemaître écrit que le snob est un « mouton de Panurge prétentieux, un mouton qui saute à la file, mais d’un air suffisant. » Le snob peut aussi être proche du dandy quand ce dernier est un mondain paradoxal.

    Ainsi était Arthur Meyer, issu d’une famille juive, fondateur du Musée Grévin, boulevardier notoire, comploteur au coté de la royaliste duchesse d’Uzès, qui fut, au tournant du XIXe et du XXe siècle un dandy caractérisé, cherchant à dérouter par rapport à ses origines et à être où on ne l’attendait pas.  C’est ainsi que ce fils de rabbin devint catholique, antidreyfusard et royaliste. Néanmoins, il se bâtit en duel avec l’antisémite Edouard Drumont et fut attaqué par l’Action française. Il était par ailleurs  patron du journal Le Gaulois, un titre qui évoque un journal populaire et qui était au contraire un quotidien peu diffusé, aristocratique et mondain, qui finira racheté par Le Figaro en 1929. Un homme de paradoxes savamment entretenus. 

    Arthur Meyer lui-même voyait dans le snobisme « le refuge naturel d’une société à laquelle la république a refusé toutes les réalités, et qui est condamnée à se contenter des apparences. » Il en ressort en tout cas clairement que le snobisme et le dandysme sont ici la même chose – une chose qui consiste à vouloir apparaître en écart avec les conventions. A l’extrême, et sans le talent d’Arthur Meyer, cela produit des gens en décalage mental avec leur situation réelle, dans une sorte de paraître sans être et qui vivent, en termes heideggeriens, sans authentique « être-là ». Toutefois, il ya bel et bien une différence entre le dandy et le snob. Emilien Carassus allait même jusqu’à dire que le snob est une « falsification du dandy ». Pourquoi ? Parce que le snob cherche à paraître au dessus de ce qu’il est dans la hiérarchie sociale, tandis que le dandy cherche à imposer sa propre image « décalé ».

    L’attitude dandy vise à essayer d’attirer les regards mais pour dire « je ne suis pas celui que vous croyez que je suis ». Cette dérive de l’identité trouve un terrain fertile dans les temps modernes. Pourquoi ? Parce que les identités de rôle y sont de moins en moins données d’avance. Les incertitudes identitaires peuvent ainsi déployer leurs figures à foison. En outre, les sociétés démocratiques amènent à un certain nivellement apparent des moeurs. Dans le cas de ces sociétés, l’attitude dandy a pu être analysée, de manière sans doute trop complaisante, mais qui contient une part de vrai, comme « une réaction pour établir la personne humaine dans ce qu’elle a de beau, d’unique, face à une société qui tend à uniformiser, à réduire les êtres » iv. C’est par réaction à cette uniformisation, et parfois par envie de situations sociales supérieures que le dandysme  trouve à s’employer en mobilisant les artifices du snobisme.  Il semblerait d’ailleurs que snob veuille dire « non noble » et, en ce sens, Marcel Proust v parle quelque part d’une femme « snob bien que duchesse » - ce qui semble bien indiquer une antinomie.

    Dans le foisonnement de ces figures, la moins hystérique est le mondain, qui est dans le registre d’un certain plaisir de la vie sociale (cf. le poème de Voltaire qui porte ce nom), puis vient le sophistiqué qui correspond à une hystérie plus grande, ou en tout cas à une névrose plus prononcée, puis enfin le dandy, qui est dans l’esquive permanente, et dans l’hystérie la plus pathologique.

    Qu’est-ce à dire quand nous parlons de figures plus ou moins hystériques ? C’est ici qu’il est nécessaire de revenir sur la symptomatologie complexe de l’hystérie. Elle n’est pas spectaculaire. Nous avons tous en tête l’image de l’hystérique comme celui, celle qui « en fait trop ». Mais l’hystérie peut être discrète. Et le dandy se rapproche alors de la discrétion de l’hystérie quotidienne. Petite description phénoménale de cette dernière. Une femme entre dans une rame de métro. Habillée en rouge. Elle se précipite vers une place assise, et ouvre immédiatement, visiblement en état d’urgence, la fenêtre pour avoir plus d’air. Sans bien sûr demander si cela gène quelqu’un (nous sommes en mai, ce n’est pas la canicule). Elle se rassoie, serre ses sacs contre elle, sourit (se sourit à elle-même), témoignant du sentiment d’avoir réussi sa mission : trouver une place, l’aménager, s’y installer. Trente secondes plus tard, elle baille ostensiblement (l’ennui arrive vite chez l’hystérique). Puis son vis-à-vis se lève, elle se précipite alors pour s’asseoir à la place laissée vacante, le tout rigide, lèvres serrées. C’est cela l’hystérie : surjouer le quotidien et le banal, et exactement surjouer l’instant, bien plus souvent que « faire des crises d’hystérie » même si cela peut être une modalité. L’hystérique surjoue l’instant car « l’instant est le sommet de la centralité ».  

    La fausse concision du style dandy

    A la discrétion de l’hystérie quotidienne répond la sobriété du style dandy. Le style dandy, ce n’est pas l’extravagance, celle par exemple des Merveilleuses  du Directoire, extravagance toute dans la centralité et dans une sorte d’égalitarisme de la centralité. Ce qui caractérise le style dandy, c’est la sobriété vi. Mais il y a dans cette sobriété quelque chose de décalé. Cette sobriété est une fausse concision. Elle est elliptique. Il y a ainsi, dans le dandysme littéraire, un « reste à dire », et, dans le dandysme vestimentaire, un subtil décalage qui dit : « Je ne suis pas là où vous croyez. Et je ne suis pas celui que vous croyez ». Le dandy aime le simulacre, et tout particulièrement le simulacre du naturel, le faussement négligé par exemple. 

    Au plan littéraire, le dandysme est toujours de l’auto-narration. Le sujet et l’auteur sont mélangés. Tout est peu ou prou auto-portrait chez le dandy. Le dandy affectionne la litote, celle-ci qui est, relève Clément Rosset, « la caricature du secret, ou encore son échec, puisque la chose que l’on prétend voiler y est, non pas dissimulée ou diminuée, mais au contraire présentée sur un plateau et proposée, démesurément grossie, au spectacle universel » vii.

    Remarquons la fausse concision du style littéraire dandy maintenant. C’est le fait que l’abondant, le florissant, auxquels on pourrait s’attendre (le baroque en d’autres termes) sont remplacés par un style « court », qui, à défaut d’être vigoureux, est une forme brève de la grandiloquence. C’est une hystérie discrète, une sorte d’hystérie blanche. Le dandy porte des masques. Mais ceux-ci ne cachent pas une personnalité secrète – un secret romantique, une sombrerie, ni même des personnalités multiples -, ils masquent plutôt l’absence de personnalité. 

    Ce qui  tient lieu de personnalité au dandy, c’est le fétichisme. Pour le dandy, sa singularité se joue socialement et lui tient lieu d’identité. Le dandy ne s’approprie pas son propre désir ; il vit à travers le regard des autres. Sa singularité  est validée par et seulement par le regard des autres. Pour le dandy, l’autre ne sert qu’à cela : servir de miroir. Conséquence : l’autre au sens de la concrétude d’une autre personne humaine n’existe tout simplement pas pour le dandy. Le dandy est en un sens rabattu sur son identité idem et non sur son identité ipsé, mais ce qui compte pour lui, c’est moins son rôle réel que celui que lui attribuent les autres. Le dandy est un être à regarder, il érotise son « être vu » qui est un « être à voir ». La panne identitaire du dandy l’amène à sans cesse surenchérir dans le déploiement du style viii. Le dandy aime la parade : c’est une « vamp » masculine. Ce qu’il aime dans la parade, c’est le signifiant, pas le signifié : les signes de la virilité par exemple, pas son exercice. (En ce sens on peut considérer que H-P Lovecraft était exactement un dandy comme le montre Lyon Sprague de Camp ix).

    Ce qui importe au dandy, c’est comment on le considère socialement. Le dandy refuse tout échange social normal, il organise les conditions pour que tout don n’entraîne jamais un contre-don, pour prendre chacun à rebours. Exemple : quelqu’un signala une fois à Brummell qu’il le trouvait fort élégant. Réponse de Brummell : «  Hélas non, puisque vous l’avez remarqué ». L’attitude du dandy est de chercher à être remarqué mais en faisant toujours la « fine bouche », ce qui est bien sûr une position « féminine », entendons par là, une position correspondant à la représentation sociale de la position féminine. 

    Chose importante, cette attitude va avec un antiféminisme théorique fort : le dandy se veut un être « froid » à l’opposé de la « chaleur » féminine et de ses « pleurs ». Barbey d’Aurevilly nous dit que le dandy voit les femmes comme de « dramatiques machines à larmes ». De fait, l’antiféminisme du dandy est radical, bien que lui-même représente plus un troisième sexe que le sexe masculin. Mais précisément, si le dandy était homme, il se distinguerait de la femme sans avoir à la haïr.

    L’antiféminisme du dandy est lié à sa haine de la « nature », à sa détestation de la « campagne ». Baudelaire écrit : « La femme est le contraire du dandy. Donc elle doit faire horreur. La femme a faim et elle veut manger. Soif, et elle veut boire. Elle est en rut et elle veut être foutue. Le beau mérite ! La femme est naturelle, c’est-à-dire abominable. Aussi est-elle toujours vulgaire, c’est-à-dire le contraire du Dandy. » (Mon cœur mis à nu. Journal intime). Le dandy déteste la femme mais il vomit aussi l’amour, qu’il renvoie à la perte de l’identité individuelle. Même jouissant, le dandy reste un avare et un coquet. 

    Offert, mais imprenable, le dandy fait de lui-même un objet de consommation. Son désir, c’est d’être désiré, et c’est même là son seul désir. Il esthétise la vie sociale elle-même en même temps qu’il l’érotise. L’essence du dandysme n’est aucunement, comme croit pouvoir l’avancer Michel Onfray, « la rébellion perpétuelle, le refus du grégarisme, l’éloge de l’individu, l’insoumission permanente » x. D’une part, le dandy est bien trop froid pour être comparable à un volcan, d’autre part il n’est ni un anarchiste, ni un rebelle, ni un « sculpteur d’énergie » comme aimerait le croire Onfray. Il n’est ni l’anarque de Jünger, ni Napoléon, ni Stendhal.  Le dandy a le souci de l’ordre – un souci exactement maniaque au sens médical du terme. « L’écriture ponctue, structure, rachète une débauche solitaire, sans en sortir, sans jamais viser,  ne fût-ce que par l’imagination, un ailleurs réel » xi.
     
    Le dandy suppose un certain style de société : il faut que l’aristocratie soit en déclin et que la démocratie ne soit pas pleinement installée. Hors ces conditions, l’extravagance a plus sa place que le dandysme à proprement parler. Mais la vanité mêlée de recherche d’originalité trouve toujours à s’employer. Barbey a ainsi pu parler de dandy d’avant le dandysme pour le duc de Lauzun, petit marquis devenu favori de Louis XIV, et on peut bien sûr trouver maints exemples de dandys d’après le dandysme.

    Mais la catégorie de dandy ne saurait être étendue sans discernement. Elle perdrait alors toute valeur en tant que forme de personnalité hystérique-histrionique. Ainsi, on peut douter que le prince Charles-Joseph de Ligne, militaire de valeur, écrivain, homme de contacts suivis avec ses pairs ait quelque chose à voir avec le dandysme : il ne suffit certainement pas d’être brillant pour être dandy, il faut être un inadapté social – et ce n’est pas donné à tout le monde ! 

    Fils de personne
    Le dandy est à l’écart de toute vraie collectivité humaine. Le dandy est « fils de personne ». Il nie les filiations, dans le sens ascendant comme descendant. Laisser des traces, non, brouiller les pistes, oui. Le dandy s’abstrait du poids de l’histoire. Il brouille aussi les appartenances sociales : elle n’est ni bourgeois ni prolétaire. Pas plus qu’il ne croit à l’histoire, le dandy ne croit à la nature. Le romantisme de la nature ? Très peu pour lui. Ni croyance au progrès ni souci d’un quelconque ordre naturel : le dandy n’est ni conservateur ni progressiste. La vision du monde du dandy est ainsi une clé de compréhension du style qu’il adopte. Le dandy voit le monde en esthète, et il le trouve laid. Voir en esthète ce qui relève du pratique permet de se donner le « luxe » de prendre un air dégouté. Le dandy privilégie les figures marginales de ce monde : l’« Apache » en 1900, le milieu « underground » de nos jours. 

    Conscient de l’uniformisation croissante du monde et des modes, le dandy réagit à cela, non par une extravagance générale mais par des particularités fétichistes. Il se veut œuvre d’art résolument fragmentaire, et non microcosmique ; il se veut à l’instar de la toile du peintre mise dans un cadre, comme ce cadre qui est partie intrinsèque de l’œuvre d’art et extrinsèque de la nature (cf. Kant, Critique de la faculté de juger, 1790). 

    Le dandy n’est pas « pittoresque » non plus qu’il ne se veut « authentique ». Il a « le besoin ardent de se faire une originalité » écrit Baudelaire (A noter que Baudelaire lui-même fut qualifié de « Boileau hystérique » par le critique Alcide Dusolier qui admirait son style sans partager son esprit). Le dandy n’est jamais naturel, et c’est son point commun avec le puritain. Il ne copie rien, mais il parodie tout. Il brouille la distinction entre l’original et la copie.  Il joue pour cela tout particulièrement sur l’ambiguïté du romantisme et du thème mélancolique. Il y a quelque chose de faisandé chez le dandy. L’esthétisation du tragique est la grande ressource du dandy, dans laquelle il puise pour orchestrer son style. 

    Cette esthétisation recherchée par le dandy est trop extrême pour ne pas donner de contre-effets. Ainsi, au plan vestimentaire, le dandy, à force de vouloir apparaître « distingué » finit par paraître surtout « décalé ». En même temps le dandy a bien vu, mieux que le mondain, que notre société n’a plus vraiment de centre, du moins fait vivre une pluralité de ceux-ci, circonstanciels, éphémères, en adéquation à des milieux et des stratégies qui ne durent qu’un temps. L’obsession de la centralité du dandy est donc doublement particulière : elle consiste à être fasciné « à rebours » donc à chercher à être en vue des marges, marges « à la mode », marges « branchées », des marges qui sont en fait des centralités périphériques ;  mais l’obsession « anti-centriste » (le dandy ne veut pas être au centre si le centre est le lieu de la banalité) du dandy est aussi en butte à l’incertitude sur ce que sont les marges et les centres ; d’où le fait que, à partir de 1848 et de l’entrée dans la modernité,  le dandy est avant tout – et paradoxalement – un homme des foules.

    ***

    Il y a une topologie particulière du dandy au XIXè siècle. Le dandy d’alors aime les « salons » puisqu’ils ont pour fonction de désennuyer et que la menace de l’ennui fait partie de l’arsenal du dandy. Il aime aussi les clubs, car on y joue sa visibilité de la centralité mais ce dans un cadre pré-choisi. Le dandy glisse alors vers le mondain. Il y a là ce que Robert Kempf appelle « une double postulation vers le cloître et la scène » xii. Mais le dandy peut aussi aimer laisser entrevoir l’ellipse de sa singularité dans la foule anonyme ou tout milieu anonyme. C’est là même tout son jeu – un jeu non conscient - proprement hystérique : se montrer, séduire et plus encore se laisser séduire (posture féminine qu’il prise), puis se dérober. Jeu de cache-cache infantile. Le style du dandy c’est apparaître, disparaître, et laisser une aura. 

    Bien entendu, le dandy ne peut travailler avec les autres, il est inapte à des relations de travail avec autrui, qui supposent engagement et fiabilité. Pour le dandy, « tout ce qui est utile est laid » comme écrit Théophile Gautier (préface à Mademoiselle de Maupin). Tout travail utile est donc laid.

    Toujours au XIXè siècle, le dandy est le promeneur de Baudelaire qui met sa singularité à l’épreuve du non sens de la société de masse, fasciné par la marchandise et, déjà, le fétichisme de la marchandise. Quand le dandy se fait homme des foules, il est toujours en retrait xiii. L’écriture d’esquisses, de croquis où il se tient à distance de lui-même peut lui tenir lieu de rôle. A l’occasion, le dandy préfèrera le « peu » du livre – de préférence sans lecteurs - au « trop » du journalisme. L’essentiel pour le dandy est de ne jamais s’engager vraiment, de refuser l’épaisseur et le poids des choses.

    Combler le vide en se tenant à distance de lui-même : c’est cela la méthode du dandy. « Le Dandy doit aspirer à être sublime, sans interruption. Il doit vivre et dormir devant un miroir. » écrit Baudelaire (Mon cœur mis à nu).  « Un dandy, écrit-il encore dans un article consacré à Constantin Guys [peintre à propos duquel Baudelaire rédige les essais Le peintre de la vie moderne], xiv peut être un homme blasé, peut être un homme souffrant ; mais, dans ce dernier cas, il sourira comme le Lacédémonien sous la morsure du renard. » De son coté, Barbey d'Aurevilly écrivait : « J'ai, parfois dans ma vie, été bien malheureux, écrivait, mais je n'ai jamais quitté mes gants blancs. » Une attitude que les Anglais résument par la formule : Never explain, never complain. Mais ce serait trop tirer le dandy vers le stoïcien que d’en rester là. Le vrai stoïcien est à l’opposé du narcissisme du dandy.

    Albert Camus remarquait : « ‘’Vivre et mourir devant un miroir’’», telle était, selon Baudelaire, la devise du dandy. Elle est cohérente, en effet. Le dandy est par fonction un oppositionnel. Il ne se maintient que dans le défi. » (L’Homme révolté).  L’archétype du dandy tel qu’il s’est définit au XIXe siècle c’est Georg Bryan Brummell (1778-1840). Le beau Brummell, d’origine modeste, fut un arbitre de la mode, ami du Prince de Galles, créateur de costume et esprit sarcastique. Il mourut ruiné après avoir fait de la prison pour dettes. Sa vie inspira Jules Barbey d’Aurevilly qui publia Du dandysme et de George Brummell en 1845 xv. 

    À cette date, Barbey d’Aurevilly est sur le point de se convertir au catholicisme. Il a abandonné les idées libérales de sa jeunesse pour se rapprocher des idées de Joseph de Maistre, doctrinaire de la contre-révolution. Son ouvrage sur Brummell est en vérité « le texte de son propre dandysme » comme écrit Fréderic Schiffter, auteur de fins essais sociétaux xvi. Comme Brummell, Barbey cherche à se « froidir » - à paraître froid. Il rappelle le principe de Brummell : restez dans le monde tant qu’on n’a pas produit d’effet, disparaître dés qu’on a produit un effet sur la société qui nous environne. Etonner plus que plaire vraiment. Garder son sang froid. Etre caustique, mais sans verve puisque celle-ci serait réservée aux passions et que le dandy n’en a pas. Savoir user du silence comme du bon goût de la fierté. Rester stoïque au point d’être parfois un martyr de la légèreté. N’accepter ne n’être fouetté que par sa propre vanité. Ne jamais rien donner aux autres et, en conséquence, en recevoir peu ou rien et ainsi être sûr de ne jamais rien perdre. N’être aimé que par spasmes. Aimer la distance non par pudeur mais parce qu’elle permet d’être fugitif. Etre ainsi un rejeté-rejetant, incompris-incompréhensible. L’ambition – car c’est bien de cela qu’il s’agit – de l’hystéro-dandy est d’être « impossible » xvii. Soyons assuré qu’il y arrive.

    La posture initiale de Brummell est toute de retenue, sobriété vestimentaire mais avec chic, sobriété de langage, pas d’engagement politique, absence de frasques sexuelles. La différence est grande avec des dandys tel lord Byron, ou, plus tard, Oscar Wilde. Comme le souligne Otto Mann, auteur de Der Moderne dandy (1925), il n’y a chez le dandy, à l’origine, rien de flamboyant mais une recherche d’équilibre – un équilibre qui se veut toutefois au dessus de la société moyenne de son temps, jugée médiocre xviii. En Allemagne, la figure du dandy est proche de celle, peu flatteuse, du Petit Bossu. Une chanson dit : « es-tu amoureux,/ lascif d'amour/ laisse moi, mon beau / voir de quoi tu as l'air? -/ Pfui! poilu,/ dandy bossu !/ Noiraud, calleux/ nain sulfureux!/ Cherche toi une fille,/ à qui tu plais! » 

    Le sentiment de médiocrité des temps présents qui affecte le dandy – à moins qu’il n’affecte seulement d’éprouver ce sentiment - se nourrit de la nostalgie d’une société plus haute comme chez Joseph Addison et Richard Steele (Les beautés du spectateur, 1801) qui exhortent à retrouver paideia (éducation au sens de formation de l’homme) et humanitas.  Dans cette perspective, William Morris, John Ruskin, Dante Gabriel Rossetti représentent un équilibre entre un certain dandysme et la capacité de création artistique. A l’époque actuelle plus encore qu’au XIXe siècle, le dandysme peut être une réaction en quelque sorte esthétique contre les sollicitations émotionnelles abusives et l’hyperémotivité ambiante – d’où la froideur affectée du dandy. « Le dandysme est un soleil couchant; comme l’astre qui décline, il est superbe, sans chaleur et plein de mélancolie.(…). » écrit Baudelaire (Le peintre de la vie moderne). Toutefois, la logique du dandysme reste pathologisante, c’est une logique de l’auto-mise à l’écart et du mépris des liens sociaux. Certes, tous les dandys ne sont pas [encore] fous, mais le dandysme rend fou.

    Il n’y a pas de dandysme sans narcissisme.  Un extrait de Maurice Barrès le montre tant par le fond que par la forme littéraire qui est la sienne : « A certains jours, se disait-il, je suis capable d'installer, et avec passion, les plans les plus ingénieux, imaginations commerciales, succès mondains, voie intellectuelle, enviable dandysme, tout au net, avec les devis et les adresses dans mes cartons. Mais aussitôt par les Barbares sensuels et vulgaires sous l'oeil de qui je vague, je serai contrôlé, estimé, coté, toisé, apprécié enfin; ils m'admonesteront, reformeront, redresseront, puis ils daigneront m'autoriser à tenter la fortune; et je serai exploité, humilié, vexé à en être étonné moi-même, jusqu'à ce qu'enfin, excédé de cet abaissement et de me renier toujours, je m'en revienne à ma solitude, de plus en plus resserré, fané, froid, subtil, aride et de moins en moins loquace avec mon âme. » (Le culte du moi I. Sous l’œil des Barbares). L’écriture – on le voit chez Barrès - fait partie du fétichisme du dandy ; c’est pour lui une façon de s’aimer narcissiquement.

    Le dandy se fait parfois aussi collectionneur. C’est encore une des formes de son fétichisme. Pierre-Marc de Biasi a prétendu que la mise en scène de collectionneurs dans les livres de Balzac constitue une compensation de « l’échec de la satisfaction sexuelle par la division fétichiste du plaisir ». La « collectionnite » du dandy peut notamment être collection de rencontres prostitutionnelles. Le dandy ne recherche pas une compagne, ni plusieurs amantes – les femmes l’ennuient parce que l’altérité l’ennuie – il recherche des jeux de miroirs, et la prostituée, par la multiplicité des désirs qu’elle « centralise », dont elle est, en d’autres termes, le réceptacle, parvient bien à donner la réplique au dandy.  Par son biais,  il s’opère en sorte un transfert de centralité au profit du dandy. Avec la prostituée, le dandy en a, dans tous les sens du terme, pour son argent. La marchandisation, il l’a, la fétichisation du corps, le sien et celui de la femme, il l’a. L’anhistoricité de son acte, il l’a. La séduction et l’esquive, il l’a. Fausse séduction et vraie esquive bien sûr. Mais n’est-ce pas exactement ce qu’il recherche ? Sauf accident, qui serait l’apparition d’un don ou d’un contre-don, le dandy a donc tout ce dont il a besoin pour alimenter son autoportrait. La prostituée, à la fois « duchesse » et « grisette », soumise et maîtresse du jeu, satisfait aussi le goût du dandy pour le brouillage des identités tout autant que pour la généralisation de l’échange marchand. Il y a là une fascination dans laquelle Georg Simmel voyait une antidote à l’angoisse du pur objet (Philosophie de l’argent, 1903).

    Le dandysme comme ennui de l’autre

    Dans tous les cas, le dandy est un personnage à qui il n’arrive rien, au sens où il n’est jamais changé, jamais affecté par ce qui lui arrive ; il n’est pas sujet à de vraies émotions, et encore moins à de vrais changements de direction de vie. Le dandy n’est d’ailleurs pas sujet du tout, il est l’objet de son dandysme, le dandysme l’agit, il est la femelle de son dandysme. C’est pourquoi A rebours, le roman de Huysmans dont le personnage est Les Esseintes est un roman « sans action ni dialogue ». Pour le dandy, il ne se passe jamais rien. 

    Le dandy est fétichiste. La fétichisation des morceaux du corps, et du corps en morceaux correspond aussi à cette fascination exercée par la prostitution. Pour le fétichiste, c’est précisément la valeur d’échange qui est plus fascinante que la valeur d’usage. La femme peut aussi représenter, comme Salomé dans A Rebours de Huysmans « la déité symbolique de l’indestructible Luxure, la déesse de l’immortelle Hystérie, la Beauté maudite » . Là encore, il s’agit d’esquisser, et non de représenter : Salomé n’est pas l’hystérie mais sa déesse. Esquisser et esquiver : le goût de l’hystérique est dans l’inachèvement. Aucun aboutissement n’est possible. L’hystérique est hors désir : si le mélancolique peut être au delà du désir, - il l’a expérimenté et il l’a déposé dans un passé qui n’est plus –, l’hystérique est en deça.  

    L’ennui est la coquetterie du dandy. C’est son fétiche. Mais quand il n’y a que de l’ennui, il n’y a pas forcément dandysme, il peut n’y avoir que la simple figure du bohème, celui qui rechigne à s’engager dans le monde, qui est chichiteux, en somme, quant aux prises de parti dans le domaine professionnel, amoureux, politique, sociétal. C’est en ce sens que le bohème se cherche voire se dérobe au sens de l’esquive et de la latéralité dandyste. Mais le terme bohème désigne plutôt un mode de vie alors que dandy désigne une organisation de la personnalité. 

    C’est naturellement un ennui de l’autre qu’éprouve le dandy, puisque l’autre ne l’intéresse pas bien qu’il en ait besoin continuellement comme miroir. C’est le cas échéant un ennui de la femme (comme figure de l’autre). L’ennui a l’avantage pour le dandy d’être auto-référentiel. Il est aussi inspiré du modèle culturel féminin de l’attente, l’attente du prince charmant irréel, le réel n’étant « jamais assez bien ».  Le dandy prétend réagir à l’ écoeurement d’un monde où « tout se répète » mais c’est surtout lui qui ne sait pas se renouveler.

    Qu’est ce que l’ennui ? Le sentiment de non implication dans le monde, un sentiment de non responsabilité de soi. Le dandy vit avec un sentiment d’étrangeté au monde – alors que le monde est, que cela plaise ou non au dandy, le seul accès au soi (il n’y a pas de « soi intérieur », de soi hors monde, hors l’épreuve du monde et les preuves du monde). Le rapport du dandy au monde, c’est un  romantisme dans le plus mauvais sens du terme. C’est le roman préféré à la vie. C’est une « neurasthénie délicate » (Emilien Carassus). C’est pourquoi, si le dandy se veut élégant, il n’est jamais, dans la mesure où il n’aime personne, « un vrai gentleman », comme le remarqua William Maginn.

    L’incertitude identitaire de celui qui s’ennuie se voit bien dans ce propos de Barbey d’Aurevilly : « Je ne sais pas ce que j’aurais donné ce soir pour ne pas être moi-même ». Attention : ce dont il est question n’est pas la panique du phobique qui ne supporte pas la centralité qu’il pense devoir assumer et dont il surestime l’impact. L’ennui, c’est l’ère du vide et ce n’est donc ni la phobie ni le tourment des passions. Léo Bersani disait que le dandysme était « une forme d’individualité non personnelle ». Comme la femme fatale, le dandy n’est personne. A la chaleur des passions, le dandy préfère l’ennui froid. Ennui de s’être perdu lui-même. Froideur de ne pouvoir s’aimer, et ainsi de pouvoir aimer les autres. Une hystérie blanche comme nous l’avons écrit plus haut.
    Dans le mélange d’apparaître et de retrait, et de dérobade du dandy, il y a un problème de distance. Le dandy n’a pas la bonne distance de celui qui a vécu, le dandy a le figé de celui qui ne peut s’engager dans le monde mais ne peut néanmoins plus se prévaloir de sa juvénilité. Le dandy met trop de distance dans ses relations sociales, distance à lui, distance aux autres, mais il a peur de cette distance et tente de l’apprivoiser par des pirouettes. 

    Pierre Le Vigan

    Notes et références

    1) Christophe, Résonances de l’inconnu,  entretiens avec Jean Cléder, Ennoïa, Rennes, 2005.
    2) Petit dictionnaire du snobisme contemporain, Payot, 2006.
    3) Histoire du snobisme, Flammarion, 2008.Histoire du snobisme, Flammarion, 2008. 
    4) Michel Le Maire, Le dandysme de Baudelaire à Mallarmé, Klincksieck, 1978.
    5) Proust lui-même faux dandy, d’une part parce qu’il était grand travailleur, d’une part par son humour caustique. Ne traitait-il pas Robert de Montesquiou de Grotesquiou – terme qui semble toutefois dû à Jean-Louis Forain ? 
    6) cf. aussi Frédéric Rouvillois, Histoire du snobisme, op. cit., chap. 11, « Apparences, élégances ».
    7) Le réel. Traité de l’idiotie, Minuit, 2004.
    8) cf. Françoise Coblence, Le Dandysme. Obligation d’incertitude, PUF, 1988 et « Le dandysme et la règle » in Alain Montandon direction, L’honnête homme et le dandy, Etudes littéraires françaises, Gunter Narr Verlag Tübingen, 1993.
    9) H-P Lovecraft : Le Roman de sa vie, éd. Durante, 2002. 
    10) Le désir d’être un volcan. Journal hédoniste, Grasset, 1998, et Livre de poche.
    11) Michel Beaujour, Miroirs d'encre. Rhétorique de l'autoportrait. Seuil, 1980.
    12) Roger Kempf, Dandies. Baudelaire et Cie, Points-Seuil, 1984.
    13) cf. Henriette Levillain, L’esprit dandy. De Brummell à Baudelaire, José Corti, 1991.
    14) Cf. Constantin Guys, Fleurs du mal, dessins, éd. Musée de la vie romantique, diff. Actes sud, 2002.
    15) Rivages-poche, 1997.
    16) notamment une Lettre sur le dandy, une Métaphysique du frimeur, une Lettre sur l’élégance,  une préface à Du dandysme de Barbey, ….
    17) cf. Françoise Dolto, Le dandy solitaire et singulier suivi de Le dandy une figure de proue, Gallimard-Le Mercure de France, 1999.
    18) cf. Günter Erbe, Dandys. Virtuosen der Lebenskunst, Böhlau-Verlag GmbH, Köln, 2002.

    Source : Esprit européen

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  • TERRE & PEUPLE Magazine n°54

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    Communiqué de Terre & Peuple-Wallonie - 12 mars 2013

    Le numéro 54 de TERRE & PEUPLE Magazine est centré autour du thème de l’Empire. Dans son éditorial, Pierre Vial épingle la mobilisation ethnique à laquelle Obama doit sa victoire : 93% des Noirs et 71% des Latinos ont voté pour lui, contre 25% des Blancs, lesquels sont moins conditionnés par les ligues de vertu que les Blancs européens. Dans les sociétés multiculturelles, la logique ethnique reste la clé du monde de demain. Sous le titre ‘Le vase déborde’, il remarque à la suite que les grands hebdomadaires L’Express et Le Point ont traité en couverture de l’immigration. L’Epress pour s’obstiner à y voir un atout économique, niant malgré la multiplication par 6 de l’aide médicale les conclusions de l’étude solide des Contribuables Associés sur son coût réel. Le Point dénonce pour sa part la tactique du grignotage des islamistes et leurs provocations pour tester la résistance des autochtones : la porte est ouverte aux revendications sans fin.

    Jean-Louis Roumégace situe la pensée du MAS sur la quête d’identité dans une France où les communautés organiques sont malmenées depuis plus de deux siècles. L’identité se nourrit d’un imaginaire où se mêlent histoire, culture, religion, tradition populaire. La tradition, c’est ce qui ne passe pas.  Elle nous permet d’évoluer en restant nous-mêmes.  Ce qui est fondamental, c’est d’entretenir la conscience commune. Lénine parlait de ‘conscience de classe’.

    Le même explique ensuite les affinités du MAS avec Casa Pound Italia et Pierre Vial enchaîne en rapportant l’heureuse expérience de sa visite à la Casa Pound romaine, car on sait que Casa Pound a essaimé dans toute l’Italie et, outre dans la solidarité avec les Italiens sinistrés, sur tous les terrains, clubs sportifs, syndicats étudiants, groupes musicaux, etc.

    Pour introduire le dossier sur l'Empire, Pierre Vial souligne combien le concept évoque la grandeur. Celle-ci n’effraie que ceux qui la confondent avec les prétentions impérialistes des Anglo-Saxons sur le monde. Pour nos patries charnelles européennes, l’idée d’empire ouvre la perspective d’une confédération euro-sibérienne des peuples.

    Jean Haudry rappelle que, dans notre tradition, le roi de France, régnant aussi sur des Allemands, des Flamands, des Bretons, des Catalans, des Provençaux, était devenu ‘empereur en son royaume’. L’Empire se définit alors comme une monarchie multinationale. L’institution du ‘Roi des Rois’ est une réalité ancienne, apparue dès le quatrième millénaire AJC en Egypte et en Orient. C’est Alexandre qui la transmettra aux Romains. Dans ses origines, l’Empire n’a pas de limites : il porte jusqu’où s’étend le pouvoir. L’empereur perse Cyrus II est Roi du monde; Rome est édifiée autour du ‘mundus’. Toutefois, la défaite de Varus devant Arminius arrête la conquête du monde au ‘limes’ et contraint l’Empire romain à la défensive. Chez les Indo-Européens, les notions de roi du monde et d’empire universel sont anciennes, mais plus on remonte et plus la notion se limite à la part qu’on connaît du monde. Cela légitime les razzias. A la période des migrations, Celtes et Germains n’ont jamais formé que des confédérations occasionnelles. La conquête de matières premières des grands empires asiatiques, avec un pouvoir central fort et une langue véhiculaire qui se superpose aux langues particulières, tout cela est étranger aux peuples indo-européens.

    Pierre Vial évoque la nostalgie des clercs médiévaux pour la paix romaine garantie par les légions, mythifiée comme toute ‘belle époque’. Le couronnement de Charlemagne à Rome par le Pape Léon III est ressenti à Constantinople, la Seconde Rome, comme un camouflet pour l’Impératrice Irène. Si Charlemagne donne des gages à l’Eglise (il impose par force le christianisme aux Saxons et aux Frisons), il ordonne dans le même temps de recueillir la littérature épique païenne. Son fils le Débonnaire en fera brûler le recueil, mais les textes seront ensuite portés par une tradition orale, les ‘vulgares cantilenae’. Réaliste, l’Empereur permet à chaque région de ‘vivre du sien’, avec son droit particulier, avec ses assemblées générales annuelles des hommes libres. Othon, élu roi par les cinq peuples, germain, lorrain, souabe, bavarois, franconien et saxon, forces d’équilibre d’un pouvoir souverain, tint à se faire couronner à Aix-la-Chapelle, et pas à Rome. Conrad II a réintégré la Bourgogne dans l’empire, mais sous son fils Henri IV le Pape réussit à échapper au contrôle de l’empereur. Le conflit du césaro-papisme et de la théocratie, qui va les dresser l’un contre l’autre pendant deux siècles, rebondit avec Frédéric Barberousse et avec son petit-fils, Frédéric II. Avec les Hohenstaufen,  ‘race de vipères’ que le pape n’eut de cesse d’exterminer, l’empire semblait condamné. Les Habsbourg lui permettront de survivre.

    Gilles Gaillez, qui passe toute leur lignée en revue, rappelle leur sage souci, sous la constante menace de l’anarchie, d’équilibrer la composante germanique par les composantes magyare et slave et de refaire l’unité en rempart contre la perpétuelle menace turque. C’est par d’astucieux mariages qu’ils établiront leur dynastie et par le principe de la primogéniture qu’ils parviendront à la faire durer trois quarts de millénaire, installée sur les domaines impériaux héréditaires. Lorsque l’impératrice Marie-Thérèse épouse le duc François de Lorraine, la puissance de l’empire est à son apogée et les Turcs en passe d’être reconduits au Bosphore. C’est la révolution libérale et bourgeoise qui aura raison de lui, bien plus que la Prusse, qui l’écrase militairement en 1866, à Sadowa. A la surprise de l’Europe, le reliquat de leur empire, l’ensemble hétéroclite austro-hongrois, va conserver une cohésion inattendue et c’est la première guerre qui va permettre au projet mondialiste d’étouffer dans l’œuf le projet trop prometteur des Habsbourg d’une triple monarchie austro-slavo-hongroise.

    Pour Gabriele Adinolfi, la contradiction n’est qu’apparente entre la Res Publica, le bien commun communautaire de la Ville, et l’empire. Mais, si le fascisme italien a épousé le mythe de l’Empire romain, c’est dans le sens de la mystique fasciste, qui oppose Rome à Carthage, en ensuite à Londres et Jérusalem. Au contraire de la pulsion impérialiste à tout soumettre à un modèle unique, l’idée impériale fasciste, c’est le respect dans la participation directe, anticolonialiste.

    Pour Willy Freson, l’Union européenne n’est que le décombre impuissant de l’Empire éclaté, dominion le moins problématique des Etats-Unis. Et le demi-siècle de paix prétendue qu’on affiche à présent à son crédit n’a rien à voir avec la Pax Romana, produit d’une puissance décisive. Prophétique, Krouchtchev parlait à l’époque avec dédain d’un « mariage d’homosexuels », infécond. Divisée en une poussière d’entités instables dont les nations actuelles sont les héritières, l’Europe révèle par contre une identité fondée sur sa géographie et plus encore sur des racines communes. L’ « équilibre européen » n’est pas l’aboutissement d’une convergence d’entités étrangères, mais la résultante d’un mode politique et d’un moule historique communs. C’est l’héritage d’Alexandre le Grand et d’un autre visionnaire inégalé, César. Celui-ci avait préféré s’assurer de l’hinterland gaulois de l’Italie, plutôt que céder au mirage de l’orient. Son héritier politique, Auguste, parachèvera la tâche en Europe centrale et orientale. C’est Tibère qui va ordonner le repli sur la ligne Rhin-Danube, pour de simples motifs de politique intérieure et non de contrainte extérieure. Eut-il tenu le front, le choc des grandes migrations s’en serait trouvé dévié et le noyau de la vigueur germanique aurait désormais agi en faveur de l’Empire. « Et il aurait rendu improbable qu’un suppôt de guerre civile comme Constantin fît du messianisme chrétien l’idéologie dominante du monde romain, et improbable de même la survie du judaïsme et l’émergence de l’islam. »  Tacite rapporte, avec mépris, que quand le feu sacrilège a été mis au Capitole, en 69, des Gaulois avaient alors présagé que la souveraineté du monde irait aux Transalpins. La prophétie ne s’est réalisée qu’en 800, autour du noyau continental Meuse-Oder-Tibre, que s’ingénieront à maintenir les empereurs germaniques et auquel fera obstacle la prétention française. Mais quand reviendront les temps où les Chinois nous désigneront à nouveau par ‘Ta Tsin’, la Grande Chine ?

    Llorenc Pierre Albanell est un Catalan  pénétré de la légitimité que peut conférer à un mouvement indépendantiste un million et demi de manifestants qui se pressaient dans les rues de Barcelone le 11 septembre dernier. Pour lui autant que pour nous, l’ordre nouveau européen doit y aller fort : les états-nations doivent disparaître. Ils ne sont plus adaptés. Ils viennent contrecarrer les collaborations inter-régionales, fécondes pour la gestion politique, économique, écologique. Le système à trois bases Europe-Nation-Région génère lenteurs et coût inutiles. Le principe de base doit être la subsidiarité et, dans l’ordre nouveau, l’Europe n’a à intervenir que pour ce qui excède les capacités régionales, notamment pour la défense et la politique étrangère. Comme le recommandait le prix Nobel d’économie Maurice Allais, l’Europe doit pratiquer un protectionnisme continental, préserver son indépendance énergétique et alimentaire et garder le contrôle des produits médicaux et d’intérêt stratégique. Notamment par la nationalisation des productions nécessaires à la survie (eau, gaz, électricité, transports) et par le contrôle des banques, de manière à éliminer toute mainmise de cartels politico-financiers. Enfin, les terres arables ne doivent appartenir qu’aux allochtones.

    Alain Cagnat fait la chronique du cynisme machiavélique de la politique pétrolière des Anglo-saxons au Moyen-Orient. Ils ont commencé avec la Guerre de Crimée, dans laquelle ils sont parvenus, sous prétexte de défendre les Turcs contre les Russes, à entraîner les Français (qui y perdront 95.000 hommes, contre 25.000 Anglais !). Il s’agissait d’empêcher les Russes de libérer les populations slaves opprimées et surtout de développer leur puissance en obtenant un accès aux ‘mers chaudes’. Avec l’invention du moteur Diesel, en 1885, il était devenu urgent pour la Royal Navy de contrôler les champs de pétrole du Moyen-Orient, car, sur la Mer Caspienne, les navires russes fonctionnaient déjà au mazout depuis 1870 ! Les Anglais commenceront par s’installer en Egypte, avant de conquérir progressivement la péninsule arabique et l’Irak. Mais, pendant ce temps, l’Allemagne, alliée des Turcs, est devenue une menace dans la région, car elle construit une ligne ferroviaire Bagdad-Berlin. La première guerre mondiale se dessine alors que les Anglais envahissent le Koweit en 1912 et que la Deutsche Bank acquiert pour la Bagdad Rail les droits de passage pour les pétroles de la très riche région de Mossoul : c’est le casus belli. Le premier prétexte suffira. C’est à ce moment que T.E.Lawrence va promettre l’indépendance à l’émir de La Mecque, son ‘ami’ Hussein ibn Ali, qu’il trahira. C’est dès cette époque que les Anglais vont déployer 1,4 millions d’hommes au Moyen-Orient, au détriment de leurs alliés français ! Cela n’empêchera pas Clémenceau d’offrir ensuite Mossoul à l’Angleterre « au nom de l’amitié franco-britannique » !  Les Anglais, qui ne veulent en aucun cas des embarras d’une unité arabe, vont jouer ensuite les Saoudiens contre les Hachémites (lesquels se feront massacrer). Lorsqu’Ibn Saoud va reprendre à son compte l’unification de la péninsule, les Anglais  fractionneront celle-ci entre l’Arabie saoudite, l’Irak, le Koweït le Yémen et la Jordanie.  Jusqu’à ce que les Américains jouent à leur tour Ibn Saoud contre leurs alliés anglais. C’est ainsi que s’explique le mariage contre nature de la Première Démocratie du Monde avec des Bédouins pillards et esclavagistes, fanatiques religieux fondamentalistes et commanditaires de terroristes, « gardiens légitimes des Lieux Saints ».

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  • Un après-guerre barbare

    Le Figaro Magazine - 01/03/2013

    La Deuxième Guerre mondiale, en Europe, n'a pas pris fin le 8 mai 1945. L'historien anglais Keith Lowe rappelle que les années d'après-guerre, jusqu'en 1950, ont été d'une grande violence.
     
         Le 7 mai 1945, la reddition de la Wehrmacht est signée par le maréchal Jodl, à Reims, devant les représentants alliés. Mais sur ordre de Staline, un second acte de capitulation est signé à Berlin, le lendemain, par le maréchal Keitel cette fois. En Asie, le conflit ne prendra fin qu'avec la capitulation du Japon, le 2 septembre 1945. Mais en Europe, le 8 mai marque-t-il vraiment la fin de la Deuxième Guerre mondiale ? Sans réfléchir, la réponse à cette question est spontanément positive : 1945, c'est bien la fin des combats et le début de la reconstruction. Mais tel n'est pas le point de vue de Keith Lowe, un historien anglais.
         Dans L'Europe barbare, un livre paru l'an dernier en Grande-Bretagne, traduit en dix langues et publié aujourd'hui en français *, l'auteur se penche sur l'histoire des années 1945-1950 en Europe. Avec l'ambition non d'exposer des faits inédits, mais de modifier notre regard sur cette époque par la juxtaposition d'événements peu ou mal connus et que l'on n'a pas l'habitude de rapprocher. Ce qui ressort de cette synthèse, c'est que l'après-guerre a été imprégné d'une violence effarante, en certains points comparable à celle qui avait dominé le conflit, et explicable, précisément, par le degré d'inhumanité de la Seconde Guerre mondiale.
         « L'histoire de l'Europe de l'immédiat après-guerre, écrit Keith Lowe, n'est donc pas avant tout celle de la reconstruction et de la réhabilitation : c'est d'abord l'histoire d'un continent qui sombre dans l'anarchie. »
         En 1945, des institutions politiques aux outils économiques, des circuits d'approvisionnement aux services de transport, tout est à rebâtir. Les destructions matérielles sont colossales : non seulement les villes allemandes sont à terre, mais aussi celles des pays qui ont été occupés, également dévastés par les bombardements et les combats. 460 000 maisons ont été détruites en France, 1 700 villes et 70 000 villages en URSS. Dans ce champ de ruines, c'est le vide humain. Entre 35 et 40 millions de personnes ont été tuées, des millions d'autres déplacées, si bien que des agglomérations ou des campagnes autrefois vivantes sont des déserts. En Europe centrale, les quartiers juifs, vidés par la Shoah, n'abritent plus que des spectres. En Pologne, la densité moyenne de la population a chuté de près d'un tiers. Privée d'hommes, l'Europe est un continent de femmes et d'enfants.
         La faim tenaille les hommes du temps. Lorsque les Alliés pénètrent aux Pays-Bas, où la ration alimentaire officielle est tombée à 400 calories quotidiennes, entre 100 000 et 150 000 Néerlandais souffrent d'oedèmes provoqués par la malnutrition. Conséquence de la famine, des maladies devenues rares, comme la malaria ou la tuberculose, reviennent en force. Pour une gamelle ou une tablette de chocolat, des femmes offrent leur corps. Viol, vol, pillage, violence : d'après Keith Lowe, c'est la « destruction morale » du continent...

     Nettoyage ethnique et guerre civile

     Après avoir campé ce paysage chaotique, l'historien poursuit son enquête autour de trois grands thèmes : la vengeance, le nettoyage ethnique et la guerre civile. Chacun d'eux est exploré pays par pays et illustré par de multiples histoires, malheureusement dramatiques, parfois relatées en quelques lignes.
         Vengeance. Lorsque les camps nazis sont libérés, l'horreur de ce que les Américains et les Britanniques découvrent est telle que certains soldats commettent instinctivement des atrocités sur les gardiens. Certains déportés en font autant, par un réflexe compréhensible mais néanmoins injustifiable au regard du principe selon lequel on ne se fait pas justice soi-même. La vengeance, ce sont aussi ces bandes de civils qui avaient été réquisitionnés pour aller travailler en Allemagne et qui, dans les semaines qui suivent l'effondrement du Reich, prennent leur revanche en pillant et en violant. La vengeance, c'est également le sort réservé aux 11 millions de prisonniers de guerre allemands (des dizaines de milliers d'entre eux périront en captivité, surtout chez les Soviétiques) ou encore la chasse aux collaborateurs (dans des conditions qui ne devaient rien à la justice) ou le sort réservé aux enfants naturels de soldats allemands et de femmes des pays occupés (des bébés, par définition innocents, furent ainsi tués). Keith Lowe ne minimise en rien les crimes hitlériens, mais il constate, même s'il n'y a pas d'équivalence à établir, qu'il est arrivé, après-guerre, que des victimes se fassent à leur tour bourreaux.
        Nettoyage ethnique. En Europe centrale et en Europe de l'Est, les Juifs qui ont survécu sont confrontés à des poussées d'antisémitisme. En Ukraine et en Pologne, un vieux conflit ethnique entre les deux peuples donne lieu à des violences. En Tchécoslovaquie, en Pologne, en Hongrie, en Roumanie et en Yougoslavie, 12 à 14 millions de civils d'origine allemande sont contraints de fuir et de rejoindre l'Allemagne, gigantesque exode qui provoque entre 500 000 et 1,5 million de morts.
         Guerre civile. En France et en Italie, la résistance communiste utilise la lutte contre les Allemands pour tenter de prendre le pouvoir. En Grèce, le phénomène débouche sur une tragique guerre civile qui ne prend fin qu'en 1949. L'assujettissement de toute l'Europe de l'Est au bloc soviétique ou au titisme yougoslave, rappelle Keith Lowe, est également une suite de la guerre.
    Au terme de cette sombre fresque, l'historien souligne un paradoxe : « Si la Deuxième Guerre mondiale a détruit le Vieux Continent, ses lendemains ont été le chaos protéiforme à partir duquel la nouvelle Europe s'est constituée. » Sommes-nous pour autant prémunis à jamais contre la barbarie ? Veillons à ce que, sous d'autres formes, elle ne revienne pas.
    Jean Sévillia http://www.jeansevillia.com
     * L'Europe barbare. 1945-1950, de Keith Lowe, Perrin. Traduit de l'anglais par Johan Frederik Hel Guedj.

  • Le paradoxe de l'objection de conscience

    Par un étrange retournement de l'histoire, l'objection de conscience est devenue aujourd'hui la revendication des catholiques qui la réclament comme un droit civil avec la liberté religieuse. On la connaissait plutôt naguère comme le refuge des libertaires et des anarchistes anti-militaristes « crosse en l'air et rompons les rangs » : — Monsieur le Président, je vous fais une lettre..., selon la fameuse chanson de Boris Vian. Dans un essai fouillé et intéressant sur la question (1), François de Lacoste Lareymondie souligne à la fois la nouveauté, l'audace et le paradoxe de la chose :
    « Incontestablement, il faut que la société moderne ait atteint un degré de désordre moral extrême pour que l'Eglise en arrive à s'exprimer dans ces termes ! (...) Quel paradoxe que de se battre sur cette ligne de défense ! N'est-ce pas reconnaître que la première ligne, celle du bien pour lui-même et de sa promotion comme objectif naturel de l'agir humain, a déjà été enfoncée ? »
    Il y a dans ce paradoxe à la fois une force et une faiblesse, autrement dit une équivoque qu'il faut dissiper, au risque de tomber dans une dialectique idéologique et un piège qui n'ont pas échappé à Mgr Jean Laffite pertinemment cité : « L'acte de refuser en conscience d'obéir à une loi injuste se réalise aujourd'hui dans un contexte de tolérance idéologique qui, par nature, n'est pas disposé à le supporter... La société idéologiquement tolérante ne peut tolérer l'objection de conscience, car elle échappe par quelque manière à son emprise. »(2)
    Comme la tolérance, la liberté (de contrainte en matière) religieuse, la dignité de la personne, la saine laïcité de l'État (distinction du temporel et du spirituel)..., l'objection de conscience est en réalité un concept sinon « inventé », du moins théorisé et pratiqué par le christianisme. En témoigne la cohorte innombrable et glorieuse des saints martyrs depuis les premiers siècles de notre ère. Mais, selon le mot de Chesterton, ces inspirations chrétiennes sont devenues des vertus folles avec le sécularisme du monde moderne.
    En les « récupérant » ou les reprenant à son avantage, sous forme d'une argumentation ad hominem et    avec un son contemporain (comme Jean-Paul II a voulu le faire pour les droits de l'homme), l'Église peut effectivement ouvrir une brèche dans un monde (du mensonge) clos sur lui-même, restituer en quelque sorte à ces valeurs leur véritable acception par leur (re)connexion à la loi naturelle et à sa transcendance. Elle peut  ainsi  offrir une réelle « pierre d'achoppement pour les autres ». Mais elle peut aussi s'engouffrer malgré elle dans la logique folle et vicieuse que postulent aujourd'hui  ces mots minés. C'est d'ailleurs ce qu'avait suggéré Benoît XVI dans son discours à la Curie (décembre 2010) en parlant du cardinal Newman et de sa conception de la conscience à l'opposé de ce qu'imaginent nos contemporains. Lorsque le bienheureux porte son premier toast à la conscience et son second, seulement, au Pape, il n'affirme pas le caractère principal, obligatoire et ultime de l'intuition subjective mais la capacité qu'à la conscience de reconnaître la vérité : « C'est l'expression de l'accessibilité et de la force contraignante de la vérité : en cela se fonde son primat. Au Pape, peut être dédié le second toast, parce que c'est son devoir d'exiger l'obéissance à l'égard de la vérité. »
    Après la révolution copernicienne opérée par l'idéalisme kantien (subjectiviste) dans une société aveuglée par les « Lumières », le danger est alors de considérer la liberté religieuse et l'objection de conscience des catholiques (avec leur assentiment) comme une conviction assurément respectable, mais au seul titre d'une opinion parmi d'autres : « Nul ne peut être inquiète pour ses opinions, même [sic] religieuses... » Respectable dans la mesure où elle ne gêne pas la vérité des autres, la volonté générale et le dogme selon lequel toutes les opinions se valent. Loin alors d'offenser la dictature du relativisme, ladite objection de conscience, dans la mesure de sa tiédeur ou de sa subjectivité singulière, viendrait alors lui servir de caution utile, comme simple note discordante (mais tolérable) dans le concert du Panthéon laïciste. Elle viendrait ainsi garantir un humanisme (un anthropocentrisme de type maçonnique) qui tend « à s'expliquer, sinon à s'assimiler toutes les croyances, mêmes celles qui le repoussent, même celles qui le nient » (André Gide). C'est la raison pour laquelle des exemples comme ceux du roi Baudouin ou du grand-duc Henri, malgré leur intention indéniable, nous apparaissent politiquement moins probants que ceux d'une Antigone ou d'un Thomas More... (3)
    Aussi, la dernière partie de Je refuse ! sur « la dimension politique de la résistance au mal » ne nous convainc pas entièrement en ce qu'elle semble écarter précisément une dimension éventuellement collective, par extension analogique, du concept d'objection de conscience (par voie électorale par exemple). Ne risque-t-elle pas aussi - au nom d'un moindre mal (appelé - meilleur possible - mais) confondu avec le moindre pire - de permettre une légitimation subreptice de certaines dérives libérales ou relativistes ? Quoi qu'il en soit, on saisit bien que pour prendre sa va leur  prophétique, « eschatotologique » (comme dit très justement François de Lacoste Lareymondie), précisément intolérable à la tolérance idéologique, la légitime objection de conscience des catholiques doit revêtir une autre dimension que celle que nous présentent parfois  quelques députés pro-vie émargeant à l'UMP, voire des évêques au sein des cénacles du temps. Comme l'écrivait Jean Madiran dans Présent du 1er mars 2007 : « La conviction, l'objection de conscience [mais aussi la dignité de l'homme et son immunité de contrainte] ne sont pas une pleine justification. La justification c'est : Dieu le veut. Comme pour la croisade ? Parfaitement (…). Cela n'est plus de notre temps ? Certes (…). Mais dans l'actuelle relégation médiatique et sociologique, dans la pariatude et l'adversité, dans la domination du mensonge (...), c'est encore et toujours la même affirmation de la réalité naturelle et surnaturelle qui est la vraie, qui est la seule colonne vertébrale. Notre témoignage ne peut demander que subsidiairement le respect de notre conscience individuelle. Il demande essentiellement le respect de la Création et de la parole de Dieu. »
    Remi Fontaine Présent du 11 mai 2011
    (1)    Je refuse ! L'objection de conscience ultime résistance au mal, éditions de l'Emmanuel.
    (2)    Voir notre article du 8 décembre 2010 sur son livre Tolérance intolérante ? Petite histoire de l'objection de conscience, aux éditions de l'Emmanuel.
    (3)    Cf. Ni laïques ni musulmans (Renaissance catholique) p. 65 : « Baudouin et Henri : Antigone ou Créon ? »