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culture et histoire - Page 1931

  • Sait-on encore « ce qu'est la littérature ? »

    Armand Gouzien, Gabriel de Yturri, Henri Houssaye, Ernest Judet, autant de célébrités dont le nom ne dit strictement plus rien à nos contemporains. D'où vient alors qu'on prend tant de plaisir à la réédition des Souvenirs littéraires de Léon Daudet (1867-1942) ?
    DAUDET LE MAGNIFIQUE
    D'abord grâce à l'allégresse du style, à la cocasserie des métaphores, à la vivacité des portraits - fût-ce de parfaits inconnus - troussés de main de maître, qu'il s'agisse d'amis chers ou d'adversaires. À preuve : « [Paul Déroulède] était un héros de Corneille égaré dans une pièce de son oncle Emile Augier, moitié Don Quichotte, moitié basochien. Il portait du feu dans un verre vide. L'assentiment d'autrui le grisait. » Ou encore : « Le marquis de Ségur est inexistant comme écrivain, insignifiant comme historien, craintif de tout ; mais c'est un lapin blanc des plus aimables (...). À force de trotter à travers la Société et la Revue des Deux Mondes, il est arrivé à rencontrer un fauteuil académique. Personne ne lui en veut de s'y être installé et d'y brouter, en jetant de-ci de-là des yeux inquiets, maints feuillets de sa salade anecdotique. » À part chez le cher Ghislain de Diesbach, aussi svelte que Daudet était enveloppé mais lui aussi grand dîneur en ville et commensal de toute la "Société", où trouve-ton aujourd'hui cette joyeuse férocité ?
    On l'a vu avec l'évocation de Déroulède, ces Souvenirs ne se bornent pas au monde littéraire. Lui-même praticien, l'auteur des Morticoles épingle sévèrement la sphère médicale et ses mandarins (même « Charcot Imperator », ami de son père Alphonse et qu'il admire profondément, n'échappe pas à son scalpel), la basse-cour journalistique sur laquelle régnait au début du XXe siècle le directeur du Gaulois, Arthur Meyer, maître en délation (« Son désir est logé à l'enseigne de Judas ») vivant entouré d'« hommes d'affaires mystérieux, en scheim, en as, en poulo, en cohn et tronc de cohn introduits par des portes dérobées », et bien sûr la nomenklatura politique à laquelle le député Daudet Léon appartient de droit. Si, comme plus tard un certain Sarkozy, il est plein d'indulgence pour Georges Mandel et d'éloges pour « sa lucidité, son implacabilité, son érudition politique, son vouloir », d'autres sont en revanche descendus en flèche : Edouard Herriot, faux dur qu'on « sent flottant, sous ses formules friables, comme un costume de saindoux dans un caleçon de tulle illusion » ou Léon Blum, « sorte de lévrier hébreu, minaudant et hautain, type classique de dupeur du peuple, chéri des salonnards et salonnardes qu'il éblouit avec des manchettes étincelantes et des prédiction de Grand Soir ».
    Commun à toute l'Action Française, l'antigermanisme rabique de Léon Daudet, qui lui fait admirer Clemenceau et exécrer Briand, ne surprend pas. Plus étonnante, du moins pour qui n'a pas lu son Voyage de Shakespeare, est son empathie avec la littérature anglaise et même la Grande-Bretagne. La campagne écossaise, l'aquarium et le jardin zoologique de Londres l'enchantent ainsi que Westminster - « Notre Panthéon parisien, avec l'innommable Zola et l'outre vide de Jean Jaurès, est à la fois grotesque et honteux. L'abbaye de Westminster, où dorment toutes les gloires authentiques de l'Angleterre, est grandiose ». Il porte aux nues George Meredith en lequel il voit l'un des plus grands écrivains du siècle, auquel la postérité rendra forcément justice. Prédiction qui ne s'est pas réalisée.
    Michel Toda n'a sans doute pas eu tort d'écrire : « Sans la rencontre de Charles Maurras dont la pensée rigoureuse le brida et le disciplina pour son plus large profit, Daudet, emporté par son trop-plein d'énergie, par sa surabondance de vie, n'aurait pas évité les abîmes. » Mais ce sont justement ces emballements parfois immérités, ces attaques souvent injustifiées, ces outrances" hugotiformes" (le mot est de Daudet lui-même) qui, portés par une plume superbe, font près d'un siècle plus tard le prix de ces Souvenirs.
    DES ÉCRIVAINS TROP TRANQUILLES... SAUF ZEMMOUR
    Que paraissent raisonnables et convenus, en comparaison, les écrivains interrogés - d'ailleurs intelligemment, et avec une fine connaissance de leurs œuvres - par Joseph Vebret dans ses Causeries littéraires ! Bernard-Henri Lévy pose à la victime et pontifie comme à son habitude, Amélie Nothomb joue en virtuose de la fausse confidence, Patrick Poivre d'Arvor et Jean d'Ormesson rient de se voir si fascinants dans le miroir et même les provocateurs patentés comme Michel Houellebecq, Frédéric Beigbeder, Patrick Besson, Jean Dutourd ou Gabriel Matzneff restent dans le Politiquement Correct. Auquel seul déroge Eric Zemmour quand il soutient : « Depuis les années 1980, le gouvernement, les media, les élites - et particulièrement les élites juives - ont fait des Juifs LE peuple victime de la Shoah LE crime absolu de l'histoire de l'humanité, et, de fait, ont ouvert la boîte de Pandore de la concurrence victimaire. » Ajoutant que ce « crime de la concurrence victimaire » s'accompagne du « crime de la désaffiliation : plus personne, dans cette génération, ne se sentant français, on reprend ses billes ethniques, communautaires et/ou religieuses ».
    Un leitmotiv dans cette quarantaine d'interviews dont, malgré leur sagesse, beaucoup sont intéressantes : les références à Céline, de très loin l'écrivain le plus cité par les auteurs contemporains, de Pierre Assouline pour qui le Dr Destouches « surplombe tous les autres » à Zemmour, encore lui, qui en fait « le plus grand écrivain du siècle », ajoutant : « Aujourd'hui, Céline est devenu une insulte suprême, parce qu'il était antisémite. Mais c'est toujours la même chose. Premièrement : on ne sait plus ce qu'est un écrivain. Deuxièmement : on ne sait plus ce qu'est la littérature. Troisièmement : on a fait de l'antisémitisme le crime absolu. Et les trois s'emboîtent. »
    Il est décidément loin le temps où Léon Daudet, patriote mais fou de littérature, se battait aux déjeuners du jury Goncourt pour faire attribuer en 1919 le prix tant envié à Proust et à ses Jeunes filles en fleurs plutôt qu'à Roland Dorgelès pour ses Croix de bois, puis récidivait en 1932 en faveur du Voyage au bout de la nuit, manifeste pacifiste à mille lieues de ses propres options idéologiques...
    Hervé DEMESTRE. Rivarol du 22 octobre 2010
    L. Daudet : Souvenirs littéraires, éd. Grasset, collection Les Cahiers rouges. 574 pages. 13,80 €. Regrettons l'absence d'un index, indispensable dans un si gros livre, mais on se console avec la fine préface de Kléber Haedens.
    J. Vebret : Causeries littéraires, éd. Jean Picollec. 448 pages (cette fois avec index !). 24,90€.

  • Repenser le populisme

    Appelant le peuple à reprendre le pouvoir contre les oligarchies, les partisans du populisme entendent construire une nouvelle doctrine politique sur les cendres du conformisme.
    Encore aujourd'hui assimilé aux pires pathologies de l'espèce humaine, le populisme devient peu à peu un marqueur clivant qui ne constitue plus l'apanage des éternels bosseurs grognards, que nos intellectuels urbains rangeaient allègrement dans la case de "l'esprit gaulois impulsif". Non, il jaillit désormais aussi bien du côté de l'éternelle droite poujadiste que de celui de la gauche ouvrière. Il élargit son auditoire jusqu'aux classes moyennes au fur et à mesure que celles-ci poursuivent leur déclassement social. Il pénètre l'inconscient des hommes et femmes politiques qui y voient le gain de leur irresponsabilité, manipulations et autres démagogies gracieusement rémunérées par le contribuable durant près de trente années.
    Idéologies complices
    Avant d'évoquer une tentative de promotion d'un système politique populiste, il convient tout d'abord d'en finir avec le caractère prométhéiste des deux idéologies maîtresses du XXe siècle que sont le libéralisme et le socialisme. Si le socialisme s'est éteint avec la chute de l'URSS au début des années quatre-vingt-dix, le libéralisme, dans sa variante américaine, vient d'avorter à son entrée dans le XXIe siècle. Ce qu'il faut cependant comprendre, c'est que la vieille opposition fratricide de ces deux idéologies fondatrices de la modernité est totalement périmée. Si l'on s'en tient à la théorie de la discrimination ami-ennemi développé par Carl Schmitt, on peut même y déceler des principes totalement complémentaires qui fondent une nouvelle doctrine que certains appellent "mondialisme" ou "libéralisme libertaire".
    En effet, si le socialisme n'a pas su emprunter au libéralisme sa puissance économique pour dépasser ses contradictions mortelles, le système libéral a, lui, totalement digéré le caractère totalitaire du socialisme pour renforcer son immunité face aux violentes attaques dont il est l'objet depuis dix ans. Ainsi, l'internationalisme moral, l'interpénétration du politique dans toutes les sphères constitutives d'une société, la promotion d'une culture du désir, la foi dans le progrès, la liquidation des valeurs traditionnelles ont été chantés par le système libéral en vue d'étendre sa capacité de neutralisation des contestations humaines. Le philosophe Jean Claude Michéa, dans son essai intitulé L'Empire du moindre mal, insiste sur la nécessité de faire tomber le faux masque du libéralisme qui, pour mieux prospérer, ne cesse de se définir comme système économique du moindre mal. Or, comme le montre très bien Michéa au travers d'une lecture orwellienne, il existe une unité du libéralisme tant sur le plan économique que culturel, philosophique, sociétal et religieux. Le libéralisme ne peut plus être pensé comme un principe de réalité mais comme un projet qui absorbe toute la culture de gauche jugée compatible. Ainsi, le démantèlement de la famille traditionnelle, historiquement défendu par la gauche au nom de l'émancipation individuelle, est aujourd'hui totalement intégré dans la logique libérale d'atomisation de la société humaine. Personne ne s'étonnera dès lors que la marque de chaussure Eram lance une nouvelle campagne de promotion des nouvelles formes de famille en insistant sur le caractère sacré non pas de la famille mais du projet vendu au consommateur.
    Culture globale
    Le libéralisme a muté, il a fusionné avec les oripeaux de la culture de gauche et fonde aujourd'hui ce que l'on peut appeler la Global Culture, mise au service d'un mondialisme dont la marge de progression dépend de sa capacité à rogner les libertés du comportement humain en société. Les prémonitions de George Orwell sur le risque d'établissement d'un totalitarisme soft mais irréversible sont dès lors plus que jamais d'actualité. Bien sûr, les penseurs de la tradition et de la subsidiarité, à l'image de Charles Maurras, voyaient déjà poindre l'embastillement de l'homme réel, la dématérialisation politique de son environnement par l'hypertrophie républicaine légale ; d'où leur proposition de distinction du pays réel-pays légal. S'il faut bien sûr comprendre l'aspect totalitaire du système qui s'impose à nous, il faut également répondre de manière dialectique en puisant dans les contestations éparses, une force constitutive d'une nouvelle réflexion politique. Et celle-ci est déjà toute désignée par ses ennemis jurés : la pensée populiste.
    Au-delà de Poujade
    Si, dans les années cinquante, le populisme était caractérisé par des réactions impulsives et incohérentes d'une frange de la société traditionnellement contestataire et dont la traduction politique s'inscrivait dans le poujadisme, il dégage aujourd'hui une tout autre saveur et propose de nouvelles perspectives. Déjà au temps de Pierre Poujade, il illustrait les réactions des petits commerçants, des artisans et des petits patrons ; forces créatrices et gestionnaires des villes, des quartiers, de la vie en communauté. Bien entendu, ce sont également les premiers à supporter fiscalement l'extension du champ d'action des pouvoirs publics tout en subissant les conséquences du cadenassage de leur activité professionnelle. Cependant, jamais cette forme de populisme n'a pu déboucher sur une action politique consciente, se cantonnant à des réactions pulsionnelles sans lendemain, sans jamais comprendre que le seul vecteur d'action durable demeurait l'État.
    Alors, comment définir le populisme et l'organiser sur le plan politique ? Le populisme doit d'abord être envisagé comme une conceptualisation politique du peuple à partir d'une prise de conscience de son antagonisme à l'égard des élites qui ne le représentent plus. Dans un deuxième temps, il doit incarner un modèle de société qui fait fi d'une conception moderne des droits de l'homme pour lui préférer la défense des libertés des hommes dans le réel, c’est-à-dire dans le respect du principe de subsidiarité. Un État ayant pour doctrine le populisme ne s'arrogera pas le droit de décider ou non de l'interdiction de fumer, ni de prendre un arsenal répressif à l'encontre des automobilistes. Enfin, dans un troisième temps, le populisme proposera l'unité d'action des hommes en fonction de leur activité, de leurs lieux de vie et de leur statut social. Il n'opposera plus les Français en fonction de critères idéologiques gauche-droite, solidarisant dans l'enceinte de l'UMP, par exemple, un grand banquier avec un petit patron de PME et, au PS, un chanteur millionnaire avec un ouvrier smicard. Il défendra l'éthique de la proximité et de l'enracinement comme garant de la liberté de l'homme contre les processus oligarchiques. Un nouveau bloc de constitutionnalité permettra, par exemple, de contrôler l'action de l'État non plus dans une logique droit-de-l'hommiste, mais avec une finalité populiste de défense des libertés locales et des intérêts du peuple.
    La conquête de l'État
    À l'inverse de George Orwell et de Michéa, qui ne proposent pas d'alternative politique, la doctrine populiste envisage la conquête de l'État comme indispensable à la manifestation du pouvoir du peuple contre les oligarchies. L'État symbolise également l'opposition au mondialisme et c'est pourquoi le populisme du XXIe siècle, loin dénoncer la puissance publique, en fera un acteur incontournable pour faire naître les bases d'une société populiste. C'est pourquoi l'État total, selon les mots de Carl Schmitt, aura vocation à interpénétrer tous les ordres sociaux pour contrecarrer l'État total ennemi. Il entreprendra toutes les actions nécessaires pour reconstituer le tissu familial volontairement démantelé par l'État ennemi, pour promouvoir le statut des associations, des syndicats de professions, des conseils d'arrondissement, des provinces. Il ne s'agit donc en aucun cas d'esquisser les contours d'une société idéale, ni de proposer un système politique alternatif finalisé, mais bien d'ouvrir les champs de réflexion et d'études pour que la pensée politique renaisse des cendres du conformisme. C'est ainsi, par exemple, que les magistères de Charles Maurras, de Sainte-Beuve, des penseurs de la communauté, du socialisme Français, de la décroissance pourront être réactualisés et redécouverts en vue de fonder la nouvelle pensée politique alternative au mondialisme.
    Jean Goursky L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 1er au 14 décembre 2011

  • SEYFO 1915 : l’histoire niée et occultée du génocide assyrien – Par Eric Timmermans

    SEYFO 1915 : l’histoire niée et occultée du génocide assyrien – Par Eric Timmermans

    Image ci-dessus : en rouge, régions majoritairement assyriennes au moment du génocide.

    « Nous Assyriens avons perdu les deux tiers de notre population en 1915. Nous avons été arrachés de notre terre natale. Les survivants du génocide furent jetés dans des lieux éloignés dans le monde. Aujourd’hui nous luttons pour notre pure existence. » (Seyfo 1915. Allocution de Sabri Atman, spécialiste du génocide de 1915, à la Chambre des Communes de Londres le 24 janvier 2005, à l’occasion de la conférence organisée par l’institut Firodil)(10).

     

    [NDLR : Seyfo est le nom sous lequel est également connu le génocide assyrien]

    Les personnalités assyriennes et les spécialistes du génocide assyrien soumis à la « loi du silence » jusque sur le sol européen ?

    Le 11 décembre 2007, vers 15h30, à l’Université de Örebro, en Suède, un homme s’écroule. Un individu vient de l’attaquer par derrière et de lui porter plusieurs coups de couteau au cou. Le 12 décembre, la mort de cet homme est annoncée. Il se nommait Fuat Deniz.

    Aussitôt, la police suédoise, en liaison avec la Säkerhetspolisen (SÄPO), soit la Sûreté suédoise, annonça qu’elle examinait l’hypothèse d’un attentat politique, et les observateurs de tourner leurs regards vers certains milieux radicaux turcs. De fait, le Dr. Fuat Deniz (1967-2007), sociologue et écrivain suédois d’origine assyrienne, travaillait au Département des Sciences Politiques et Sociales de l’Université d’Örebro. C’était une personnalité connue de la communauté assyrienne en Suède et il était également connu internationalement pour sa recherche sur le massacre des Assyriens de Turquie.

    Certes, il s’avéra ultérieurement que les motivations de cet assassinat n’avaient rien de politiques. La thèse de l’attentat politique fut dès lors écartée (Nouvelles d’Arménie Magazine,18 janvier 08, 14 : 23. Voir sources en fin d’article). Pourtant, a priori, cette thèse n’avait rien de saugrenue. Les recherches du docteur Deniz portaient sur le massacre des minorités chrétiennes en Turquie, en 1915, et spécialement sur le génocide assyrien. Il avait consacré sa thèse de doctorat –« L’Odyssée d’une Minorité : l’Exemple assyrien-chaldéen-syriaque »- à cette question, et il comptait y consacrer un second livre. En outre, Fuat Deniz devait participer à une conférence internationale consacrée à l’identité assyrienne et au génocide des Assyriens par les Turcs, le 14 décembre 2007, à l’Université de Leiden, aux Pays-Bas. La thèse de l’assassinat politique, si elle ne put être effectivement retenue dans le cas qui nous occupe –il s’agirait d’un meurtre lié à un contentieux familial très ancien-, était d’autant moins absurde que plusieurs collègues de Deniz, en Suède, avaient eux-mêmes été menacés en raison de leur travail sur les génocides assyrien et arménien.

    Comme l’a souligné, pour le journal suédois Svenska Dagbladet, David Gaunt, historien suédois de l’Université Söderthörn (sud de Stockholm), « Il y a une menace contre tous ceux qui conduisent des recherches sur les Assyriens et les meurtres de masse sous l’Empire Ottoman. De temps en temps des gens prétendant être des journalistes apparaissent et prennent des photos de ceux qui suivent des séminaires (sur ce thème). Même si ce ne sont pas toujours des menaces directes elles sont sous-entendues. C’est une question extrêmement sensible où les recherches sont prises pour des faits politiques. Tous ceux qui s’intéressent aux minorités chrétiennes en Turquie le vivent comme une menace. » (jcdurbant.wordpress.com, voir sources en fin d’article)

    Les Assyriens, des chrétiens d’Orient méconnus

    Pour l’écrasante majorité des Européens, le terme « assyrien » renvoie exclusivement à la plus haute antiquité proche-orientale et à l’univers feutré des salles de musée. Nous viennent à l’esprit des images de palais grandioses, de statues monumentales et de jardins suspendus, de dieux et de déesses, qui n’ont plus rien de commun avec la réalité des populations assyriennes du 21e siècle. Comme nous allons le rappeler, les populations assyriennes furent l’objet d’un génocide orchestré par l’Empire ottoman, au même titre que les populations arméniennes. Mais l’extermination planifiée des deux tiers de ce peuple, sa dispersion en de nombreuses communautés réparties désormais sur plusieurs continents et la notoriété de l’ampleur et de l’horreur du génocide arménien, ont abouti à l’occultation pratiquement totale de l’histoire de ce peuple que l’on commence à peine à redécouvrir.

    En France et dans le monde occidental francophone, les travaux de Josef Yacoub ont toutefois permis de souligner les caractéristiques des Assyriens, « ce professeur de science politique à l’université catholique de Lyon a publié de nombreux ouvrages et articles sur la question des minorités et la nécessité de leur articulation au sein des Etats modernes. La minorité syriaque est encore mal connue dans notre pays et un travail sur l’histoire et le destin des minorités chrétiennes du Moyen-Orient (Syriaques orthodoxes, Chaldéens, Assyro-Chaldéens) est primordial. » (jcdurbant.wordpress.com, voir sources en fin d’article). De fait, il convient aujourd’hui de rappeler à la mémoire du monde l’odyssée tragique du peuple assyrien et de relayer, autant que faire se peut, ses légitimes revendications.

    Définir ce qu’est le peuple assyrien n’est guère chose aisée pour l’observateur extérieur, d’autant que les différentes composantes de ce peuple, adeptes d’auto-désignations ethniques particulières, ne s’accordent pas toujours entre elles, et ce pour des raisons tant historiques que religieuses et linguistiques. Pour résumer, disons que les Assyriens se présentent, d’une part, comme les héritiers de l’ancien Empire assyrien, d’autre part comme les héritiers des anciens Araméens dont la langue était la langue administrative de l’Empire perse. Du 3e siècle, jusqu’à l’an 650 de l’ère chrétienne, l’araméen constituait la principale langue écrite au Proche-Orient et pouvait servir de langue véhiculaire dans pratiquement l’ensemble du monde connu, de l’Egypte à l’Indus. Il existe également un alphabet araméen particulier. L’araméen appartient, comme l’hébreu et l’arabe, à la famille sémitique. Son nom a pour origine Aram, une ancienne région du centre de la Syrie. On distingue aujourd’hui trois groupes dialectaux : le néo-araméen occidental (ou syriaque occidental, que l’on retrouve dans certaines régions de Syrie et du Liban, de même que dans la diaspora américaine) ; le néo-araméen oriental (ou néo-syriaque, syriaque vulgaire, qui compterait quelques centaines de locuteurs particulièrement concentrés dans le nord de l’Irak, dans le Caucase et dans la diaspora d’Europe, des Amériques et d’Australie) ; le néo-araméen central (que l’on parle encore dans les villages de la région de Tur-Ubin, en Turquie, de même que dans la province syrienne d’Al-Hasaka et dans la diaspora, particulièrement en Suède).

    Ces populations se divisent en outre en un certain nombre d’églises dont les membres ont leur préférence en matière d’auto-désignation ethnique (Assyriens, Araméens, Syriaques, Chaldéens…) : l’Eglise apostolique assyrienne de l’Orient et l’Ancienne Eglise de l’Orient (« Assyriens orientaux »), de même que d’autres chrétiens de langue araméenne membres d’autres églises de tradition syriaques telle que l’Eglise syriaque orthodoxe, l’Eglise catholique syriaque, l’Eglise maronite (« Assyriens occidentaux ») et l’Eglise chaldéenne (Assyriens orientaux de confession catholique). Afin de simplifier, nous utiliserons donc le terme « Assyrien » comme terme générique, et les termes « araméens » et « syriaques » comme des « presque-synonymes ».

    Au début du 20e siècle, les populations assyriennes étaient largement concentrées dans ce qui correspond aujourd’hui à la région où se rejoignent les frontières de l’Irak, de l’Iran et de la Turquie (plus précisément : la Turquie orientale, le nord de l’Irak et le Nord-Ouest de l’Iran) ; à noter que les Assyriens de Perse seront également exterminés par les troupes ottomanes). D’importantes communautés étaient localisées non loin du lac d’Orumieh (Perse), du lac de Van (particulièrement la région du Hakkari), en Mésopotamie, de même que dans les provinces de Diyarbakir, Erzeroum et Bitlis (aujourd’hui situées en Turquie). Ces populations avaient pour principaux voisins des populations majoritairement musulmanes (à l’exception du Hakkari et, dans une moindre mesure, du Tur-Abdin, « région-refuge » des Assyriens). La population assyrienne était en grande partie rurale et se voyait traitée, tout comme les autres chrétiens de l’Empire ottoman, comme des citoyens de second ordre, avant de se voir accusés par les politiques, suite aux défaites subies par les troupes ottomanes face à l’armée russe, de constituer une « cinquième colonne chrétienne » dans l’Empire, ce qui devait déboucher sur le génocide que l’on sait. Celui-ci était déjà en cours au 19e siècle, connut une pointe dans les années 1895-1896 (massacres de Diyarbakir), puis son apogée dans les années 1914-1923, qui seront d’ailleurs suivies de persécutions, d’intimidations et de vexations constantes, celles-ci expliquant l’exode massif des Assyriens survivants vers l’étranger.

    Une résistance militaire assyrienne tenta bien de s’organiser, mais le petit nombre de résistants, leur manque d’armes et de munitions et le fait qu’ils furent, en définitive, lâché par le Royaume Uni, ne lui permit pas de remporter des succès militaires décisifs. Un certain nombre d’assauts furent cependant menés, notamment à Ainwardo, où un grand nombre d’Assyriens affluèrent. Ils furent ainsi 22.000 à y résister durant deux mois. Le 3 mars 1918, les forces ottomanes, menées par des soldats kurdes, assassinèrent l’un des leaders assyriens de l’époque, Mar Shimun XIX Benyamin. Les Assyriens ripostèrent en attaquant avec succès la forteresse kurde de Simku. Leur victoire ne leur permit toutefois pas de capturer le leader kurde responsable de la mort de Mar Shimun XIX Benyamin, qui parviendra à prendre la fuite. Les Assyriens vont ainsi mener un certain nombre de combats contre les forces ottomanes, mais leur manque de moyens et leur isolement politique les prédestinaient à la défaite. Certes, Londres, qui, dans le cadre de la Première guerre mondiale et pour des raisons économiques –vues sur les réserves pétrolières de la région de Mossoul-, voulaient obtenir le soutien des Assyriens, leur avait promis qu’à l’issue de la guerre, un Etat leur serait octroyé.

    SEYFO 1915 : l’histoire niée et occultée du génocide assyrien – Par Eric Timmermans

    « The Assyrian Levies ». Crédit photo : atour.com, via Wikipédia, (cc).

    Les Assyriens jurèrent donc fidélité au Royaume Uni qui, comme on le sait, ne tint pas parole et abandonna par la suite les Assyriens à leur sort. Un escadron assyrien, réuni dans une unité militaire moderne, « The Assyrian Levies », a pourtant servi sous commandement britannique de 1918 à 1955. Cet escadron incluait notamment une unité parachutiste et il servit de nombreux fronts (Italie, Grèce, Albanie, Proche-Orient…).

    En Europe, aujourd’hui, la grande majorité de la population syriaque survivante est présente en Suède où l’on compterait environ 60.000 Syriaques, parfaitement intégrés dans la société suédoise. Il en était ainsi de Fuat Deniz, qui naquit en 1967 dans le village de Kerbûran, dans la région du Tour Abdin (Sud-Est de la Turquie), et qui émigra en Suède, avec ses parents, à l’âge de huit ans. De fait, nombre de Syriaques, pour des raisons tant politiques que religieuses (ex. : assassinats non-revendiqués dans des villes du sud de la Turquie), émigrèrent dans ce pays, dans les années 1970. Une grande partie de cette population vit aujourd’hui dans une ville du sud de la région de Stockholm, Södertälje. De fait, seules quelques familles syriaques osent encore vivre dans des agglomérations du sud de la Turquie, les autres ayant choisi d’émigrer en Europe, dans les Amériques ou en Australie. Le 11 mars 2010, le génocide du peuple assyrien a été officiellement reconnu par le parlement suédois, au même titre que les génocides des Arméniens et des Grecs pontiques. En Belgique, la communauté araméenne n’est certes pas aussi importante qu’en Suède, mais on retrouve néanmoins à Bruxelles 80 % de la communauté araméenne de Belgique soit, selon le journal Le Soir, 1500 familles, soit environ 5000 personnes. Elle tente de faire entendre sa voix notamment par des manifestations (devant le mémorial arménien d’Ixelles, au parc du Cinquantenaire), mais ne bénéficie que d’une médiocre, pour ne pas dire d’une inexistante, couverture médiatique.

    Le génocide physique des populations chrétiennes de Turquie a donc été parachevé par un génocide culturel. Aussi est-il aujourd’hui essentiel de parler de ces identités saccagées, d’entretenir leur mémoire, et voilà pourquoi les travaux de Fuat Deniz seront poursuivis, « car l’étude de l’identité de ces minorités est fondamentale pour comprendre la complexité et la diversité des populations aux traditions anciennes ayant habité au Moyen-Orient. Ses travaux avaient mis en évidence la permanence dans le temps de l’identité syriaque, souhaitons que d’autres voix surgissent pour porter cette exigence scientifique. » (5).

    A noter encore que si, au Traité de Lausanne de 1923, les Arméniens, les Grecs et les Juifs obtinrent d’Istanbul le droit de pratiquer librement leur religion, les Assyriens durent, eux, y renoncer. En outre, ils ne sont toujours pas reconnus comme un peuple autochtone, ni même une minorité, en Turquie.

    Seyfo : cet autre génocide nié par la Turquie

    Ankara, nous le savons, s’obstine à ne pas reconnaître sa responsabilité dans le génocide arménien dont la Turquie va d’ailleurs jusqu’à contester l’existence (nette révision à la baisse du nombre de victimes, assimilation de celles-ci à des activistes révolutionnaires, mise en cause de prétendus « bandits et pillards arméniens » qui, selon la Turquie, seraient les vrais exécuteurs des massacres, etc.) et mène une campagne acharnée contre tout Etat (dont la France) ou personne qui ose affirmer la réalité de cette extermination planifiée des populations arméniennes sous l’empire ottoman. Ainsi, au début de l’année 2004, un romancier turc nommé Orhan Pamuk, qui avait osé écrire, dans un journal suisse, qu’un million d’Arméniens avaient été massacrés en 1915, a vu ses livres rassemblés et brûlés dans les rues de Turquie. Mais si le génocide arménien est connu, le génocide assyrien, lui, n’évoque généralement rien pour la grande majorité des citoyens européens. Or, ce génocide a bel et bien existé et a été reconnu par l’IAGIS, l’Association Internationale des Universitaires Spécialistes du Génocide.

    En 2007, dans le cadre d’un complément d’études, l’IAGIS votait massivement –la motion a été adoptée à 83 %- « la reconnaissance des génocides infligés aux populations assyriennes et grecques de l’Empire ottoman entre 1914 et 1923 » a ainsi indiqué le journaliste indépendant français Jean Eckian. La résolution de l’IAGIS déclare ainsi que « c’est la conviction de l’IAGIS que la campagne contre les minorités chrétiennes de l’Empire ottoman entre 1914 et 1923 constitue un génocide contre les Arméniens, les Assyriens, les Pontiens et les Grecs de l’Anatolie » et « invite le gouvernement turc à reconnaître les génocides contre ces populations, à présenter des excuses officielles, et à prendre rapidement des mesures importantes pour les réparations. » (6).

    SEYFO 1915 : l'histoire niée et occultée du génocide assyrien - Par Eric Timmermans

    Corps de victimes du génocide assyrien. Crédit photo : auteur inconnu, via Wikipédia.

    Les Assyriens et les Grecs ont donc bien été exterminés dans des conditions analogues et avec des méthodes globalement semblables à celles utilisées par les Ottomans dans le cadre du génocide perpétré à l’encontre de la population arménienne de l’Empire : expropriations, expulsions, enlèvements (particulièrement des femmes et des adolescentes, parmi les plus jolies), mariages forcés, conversions forcées à l’islam, famines organisées (notamment dans des camps de concentration édifiés en zone désertique), marches de la mort, déportations en wagons à bestiaux, et, finalement, exécutions directes. Ces crimes furent commis par les génocidaires turcs et leurs supplétifs kurdes (« massacreurs d’infidèles », trop heureux de se débarrasser de leurs voisins et rivaux arméniens), de 1894 à 1923, soit bien au-delà du génocide proprement dit de l’été 1915, et ce sous les régimes du Sultan Abdul Hamid, des Jeunes-Turcs et de Mustapha Kemal Attaturk (jcdurbant.wordpress.com). Sir Henry Robert Conway Dobbs, haut-commissaire du royaume d’Irak sous mandat britannique de 1923 à 1929, estimait à cette époque que les Assyriens, persécutés et massacrés dans tout l’Empire ottoman, avait perdu environ deux tiers de leur peuple. Au cours de l’histoire de l’Empire ottoman, il y aurait ainsi eu une trentaine de génocides perpétrés contre les Assyriens, les faisant passés de vingt millions à un ou deux millions. De manière plus générale, la population chrétienne qui représentait jadis un tiers de la population de la Turquie, n’en représenterait plus que 0,1 % aujourd’hui (jcdurbant.wordpress.com). Ajoutons, à titre indicatif, que sur les centaines de villages assyro-chaldéens-syriaques présents dans la région du Hakkari (Turquie), seuls dix villages ont survécu au génocide (la-croix.com, citant l’Institut assyro-chaldéen-syriaque).

    Au total, le génocide turc aurait fait 270.000 morts parmi les Assyriens, si l’on en croit l’universitaire Joseph Yacub, mais ces chiffres ont été largement revus à la hausse : l’Agence d’informations assyriennes évoque ainsi 750.000 morts, soit les trois quarts de la population assyrienne de l’Empire ottoman. On compte également 1,5 million de victimes arméniennes et 500.000 victimes grecques, soit un total d’environ 2,75 millions de chrétiens orientaux exterminés. Ce génocide trouve notamment son origine dans les défaites subies par les troupes ottomanes face aux armées russes sur le front caucasien. A la suite de ces défaites militaires, les autorités ottomanes prétextèrent un complot des Arméniens contre l’Empire, dans le but de légitimer la déportation et l’extermination de ceux-ci. Suite à une nouvelle défaite face aux Russes, à Sarikamish, le 29 décembre 1914, après laquelle l’Empire ottoman se voit envahi par les troupes de Moscou, puis au soulèvement de la ville de Van, le 7 avril 1915, les Jeunes-Turcs vont profiter de l’occasion pour exterminer la totalité des Arméniens de l’Asie mineure. Ce sera ensuite le tour des Arméniens du reste de l’Empire, auquel il faut donc ajouter les victimes assyriennes et grecques. Les massacres de 1915 ne constituent donc pas un élément isolé de l’histoire turco-ottomane, mais un point d’orgue dans une opération génocidaire qui s’étala sur des siècles et s’accéléra dans la moitié du 19e siècle pour finalement atteindre son apogée au début du 20e siècle.

    A Ankara, l’élite politique veut considérer le triple génocide des Arméniens, des Assyriens et des Grecs comme un élément du passé relevant exclusivement du domaine des historiens, comme si la Turquie actuelle n’avait plus qu’à oublier les persécutions et les massacres commis par elle durant un passé finalement assez récent. A cette attitude, il est permis de répondre : « Notre problème est ceux qui ont planifié et mis en œuvre ce génocide. Vous croyez peut-être que c’est bizarre, puisque les criminels sont tous morts. En effet. Mais c’est sur leur héritage que le pays a été fondé. C’est de cette façon que la République moderne de Turquie a été fondée. La Turquie a été homogénéisée, et cela est uniquement dû aux exterminateurs. Il n’est pas exagéré de prétendre que la prospérité économique et les succès des élites politiques en Turquie n’ont pu être réalisés que grâce au génocide des Chrétiens. Et je n’ai pas entendu parler de recherches sérieuses sur ce sujet en Turquie à ce jour. » (Sabri Atman, allocution à la Chambre des Communes de Londres, le 24 janvier 2005).

    SEYFO 1915 : l'histoire niée et occultée du génocide assyrien - Par Eric Timmermans

    Cliquer sur l’image pour l’agrandir. Crédit photo : EliasAlucard, (cc).

    Mais, faut-il le préciser, Ankara ne reconnaît pas plus les génocides assyrien et grec que le génocide arménien. Ainsi, lorsque la Municipalité de Sarcelles fit ériger, le 15 octobre 2005, une stèle (photo ci-contre) à la mémoire du « génocide assyro-chaldéen », Uluç Özulker, ambassadeur de Turquie en France écrivit au maire de Sarcelles, une lettre datée du 20 octobre et écrite en ces termes : « C’est avec une grande surprise que j’ai été témoin qu’une stèle à la mémoire d’un certain « génocide assyro-chaldéen » dont je n’ai pu trouver trace nulle part dans l’histoire, a été érigée par vos louables efforts personnels et inaugurée par votre Municipalité en votre présence le 15 octobre. Je vous félicite d’avoir écrit une nouvelle page d’histoire inconnue ! »

    Nulle trace du génocide assyrien dans l’histoire, donc, selon M. Özulker. Mais comme le rappelle justement la résolution de l’IAGIS, « le déni du génocide est largement reconnu comme l’étape finale du génocide, de la consécration de l’impunité pour les auteurs du génocide. » Cette dénégation ouvre « manifestement la voie aux futurs génocides », et les universitaires de s’inquiéter du sort de la population assyrienne d’Irak, particulièrement vulnérable à une attaque génocidaire. De fait, depuis 2003, les Assyriens d’Irak ont été exposés à de graves persécutions et ont eu à subir des opérations de « nettoyage ethnique ». Près de la moitié de la population assyrienne aurait d’ores et déjà fui ce pays. Et l’on ne peut également que s’inquiéter du sort des chrétiens orientaux de Syrie où sévit la guerre civile que l’on sait.

    Alors que l’on parle de manière régulière du génocide arménien, les génocides assyrien et grec sont eux pratiquement autant absents des pages des grands médias que des cours d’histoire de nos universités. Aussi, afin de faire face au négationnisme d’Ankara et d’alerter plus efficacement l’opinion publique mondiale sur les menaces bien réelles qui pèsent aujourd’hui encore sur les peuples chrétiens du Proche-Orient, les Arméniens ont pris la décision de s’engager plus avant au côté des Assyriens et des Grecs, autres victimes du génocide orchestré par la Turquie ottomane. Symboliquement, un mémorial consacré  aux victimes du génocide assyrien a été inauguré à Erevan, capitale de l’Arménie, le 24 avril 2012, jour durant lequel, chaque année, sont commémorées les persécutions dont les Arméniens eurent à souffrir. Cette journée rappelle la date du 24 avril 1915, durant laquelle plus de 200 intellectuels et dirigeants de la communauté arménienne à Constantinople (Istanbul) furent arrêtés par les Turcs. Cette série d’arrestations avait marqué le début d’une vague de massacres et de déportations qui se sont poursuivies jusqu’en 1917.

    Le génocide des Arméniens en cache donc deux autres, celui des Assyriens et celui des Grecs. Ces génocides furent perpétrés par une Turquie qui refuse aujourd’hui encore de reconnaître la réalité de ces crimes et moins encore la responsabilité qu’elle porte dans leur perpétration. C’est pourtant ce pays que d’aucuns nous proposent avec insistance de laisser adhérer à l’Union européenne, ce pays donc, qui se contente d’affirmer que l’extermination systématique de ses populations chrétiennes qui représentaient un tiers de la population de l’Empire ottoman, n’est plus aujourd’hui qu’un problème d’historien, ce pays qui occupe toujours militairement la moitié de l’île de Chypres, ce pays dont nombre d’élites économiques et politiques européennes et occidentales ne cessent pourtant de vanter les mérites. Or, sans même aborder la question des différences civilisationnelles qui distinguent la Turquie de l’Europe, soulignons que le refus de la Turquie d’assumer son histoire et de reconnaître sa responsabilité historique dans les génocides commis à l’encontre de ses minorités chrétiennes, rend absolument absurde l’idée que ce pays puisse adhérer à l’Union Européenne.

    Rappelons encore à ce sujet qu’au Canada, le simple fait que les atrocités commises par les Ottomans lors du triple génocide des Assyriens, des Arméniens et des Grecs pontiques, aient été incluses dans un cours portant sur les génocides historiques, avait suffit à provoquer la colère des organisations turques, mais également d’autres organisations musulmanes non-turques qui ont protesté contre cette décision. En Turquie, le triple génocide est présenté comme une « cruelle conséquence de la guerre », pudiquement baptisée au mieux de « tragédie de 1915 », au pire de « prétendu génocide arménien » (« Sözde Ermeni Soykirimi ») et non comme un acte volontaire. Dans le nouveau Code pénal turc, pourtant censé rapprocher la Turquie des standards européens en terme de droits de l’homme, il est prévu des sanctions à l’encontre de ceux qui contreviendraient à la version officielle turque sur le triple génocide : l’article 305 punit ainsi de trois ans à dix ans de prison et d’une amende, tous les « actes contraires à l’intérêt fondamental de la nation », la peine pouvant être étendue à quinze ans de prison, si cette opinion est exprimée dans la presse. La Turquie refuse également d’ouvrir les archives ottomanes concernant la période du triple génocide, autant dire qu’une information libre et objective sur le sujet y est impossible.

    La majorité des intellectuels et des historiens turcs soutiennent les thèses niant le triple génocide, rares sont ceux qui osent aller à contre-courant de la thèse officielle. Et pour cause. Le 16 décembre 2005, un procès sera ouvert contre Orhan Pamuk, pour des propos considérés comme une « insulte à l’identité nationale turque » et passibles à ce titre de six mois à trois ans de prison. Les poursuites seront toutefois abandonnées en 2006. Un prêtre assyrien du nom de Yusuf Akbulut, sera lui emprisonné et accusé de trahison pour avoir défendu la réalité du génocide assyrien de 1915 au côté du génocide arménien. Le 19 janvier 2007, Hrant Dink, le rédacteur en chef de la revue arménienne d’Istanbul Agos et principal promoteur de la reconnaissance du génocide en Turquie, fut assassiné par un jeune nationaliste turc. Certes, l’on soulignera que près de cent mille manifestants descendront dans les rues d’Istanbul à l’occasion de ses funérailles, en scandant « nous sommes tous des Arméniens », mais selon les sondages, huit Turcs sur dix pensent que leur pays devrait rompre les négociations d’adhésion avec l’Union européenne, si celle-ci exigeait la reconnaissance du génocide.

    De fait, la reconnaissance officielle du triple génocide pourrait impliquer d’importants enjeux financiers et territoriaux pour la Turquie. Reconnaître ce triple génocide perpétré contre les populations chrétiennes de l’Empire ottoman pourrait ainsi ouvrir la voie à des demandes de dommages et intérêts, de même qu’à des revendications visant à la restitution de territoires originellement dévolus aux populations arméniennes, grecques et assyriennes.

    Bref, le passé doit être oublié, dit en substance Ankara aux descendants des victimes des génocidaires ottomans. Mais comment oublier, même au-delà des décennies et des siècles ? Kémal Yalcin, un écrivain turc qui vit en Allemagne, connaît bien les Assyriens et les Arméniens qu’il a souvent interviewé à propos du génocide. Dans un livre, il résume en ces termes, par la voix d’un vieil homme, les émotions et les pensées de nombreux Assyriens et Arméniens : « Peu d’entre nous ont été témoins de la grande, horrible catastrophe. Mais ses blessures ont modelé nos mémoires. Je souffre même de ma mémoire. Même si nous n’avons pas vécu ces jours effroyables, ces caravanes de la mort, nous portons leurs cicatrices sur nous. Et qu’ont fait ceux qui ont connu ces jours ? Dans notre région, le meurtre des Arméniens était délégué aux Kurdes. Tout le monde sait cela. Les Kurdes employaient l’expression : « le massacre des infidèles ». (Je dois signaler que le terme « infidèle » [gâvour] est un terme dédaigneux pour désigner les Chrétiens). Je n’accuse nullement ni tous les Kurdes, ni les Turcs. Ma colère s’adresse à ceux qui ont planifié cette catastrophe en détail. Je serai soulagé quand tout cela sera révélé et reconnu. Je n’ai pas de haine envers les Turcs, ni envers les Kurdes. Ils devraient avoir honte d’eux-mêmes ! Mais je prie que Dieu les punisse ! »  

    Les régions du sud-est de la Turquie où vivaient autrefois une majorité d’Assyriens, n’en comptent plus aujourd’hui que quelques milliers. L’islamisation, l’émigration massive causée par les persécutions, de même que les massacres planifiés, ont largement affecté l’identité de cette région. Mais bien qu’ils vivent actuellement à l’étranger, les Assyriens originaires de Tur-Abdin et du Hakkari, restent attachés à leur pays d’origine, et cela même si leur départ remonte à de nombreuses décennies. Un bel exemple de fidélité à la terre natale.

    Eric TIMMERMANS pour Novopress

    Sources :

    (1) « Assassinat d’un chercheur du seyfo assyro-chaldéen-syriaque ». http://suryoye.forumpro.fr/, 16 décembre 2007.

    (2) « Fuat Deniz », http://fr.wikipedia.org/wiki/Fuat_Deniz

    (3)  Nouvelles d’Arménie Magazine, le 18 janvier 2008, 14 : 23

    (4) « Génocide assyrien : la continuation du jihad par d’autres moyens – Turkey’s other forgotten Christian genocide », http://jcdurbant.wordpress.com/2007/12/27/

    (5) « Deniz, l’odyssée de la minorité syriaque », Christophe Premat, liberation.fr, 12 mai 2008.

    (6) « Turquie : L’IAGIS reconnaît officiellement les génocides assyrien et grec », Radio Publique d’Arménie, traduit par GM, http://eafjd.eu/spip.php?brevel1083 , 19 décembre 2007.

    (7) « Le génocide Assyrien », http://www.forum-metaphysique.com/t9317-le-genocide-assyrien , 28 juillet 2012, 15 :59

    (8) « Un mémorial pour les victimes du génocide assyrien à Erevan, en Arménie », www.la-croix.com, 24 avril 2012

    (9) « Question d’Histoire : Quelles sont les raisons du génocide assyrien par les musulmans ? », http://fr.answers.yahoo.com/, 2010.

    (10) « SEYFO 1915 : Où sont maintenant les enfants d’Assyrie ? », Allocution de Sabri Atman, spécialiste du génocide de 1915, à la Chambre des Communes de Londres le 24 janvier 2005, à l’occasion de la conférence organisée par l’institut Firodil, traduction Louise Kiffer,

    (11) http://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9nocide_assyrien

    (12) « Les Syriaques se déchirent », Robert François, lesoir.be, 29 octobre 2008.

    (13) « Des Araméens au Maelbeek. Conversation discrète dans un appartement d’Ixelles », Robert François, lesoir.be, 2 septembre 1991.

    Crédit carte en Une : Rafy, via Wikipédia, domaine public.

  • Robert Steuckers : russie "Remettre une élite politique sur pied" (archive 2006)

     1 — Nous observons aujourd’hui en Russie l’émergence d’un fort courant nationaliste qui traverse tous les partis et bouscule ainsi le traditionnel clivage gauche/droite. Ceci rend difficile un décryptage aisé des forces en présence ainsi qu’une compréhension claire des projets portés par chacune d’elles. Par exemple, que renferme le mouvement de gauche Rodina (« mère-patrie »), dirigé par des anciens membres du Parti communiste ? Certains le considèrent comme une création du Kremlin. Si c’est le cas, à quelles fins ?
    Votre question, très précise et fort bien formulée, évoque avant tout une évidence qui crève les yeux : un courant nationaliste puissant bouscule forcément, et quasi par définition, le clivage arbitraire et intenable sur le long terme entre « gauche » et « droite ». Surtout en Russie. Pour des motifs historiques bien patents. La Russie est aujourd’hui un pays perdant, un vaste pays, un pays-continent, qui a perdu la Guerre Froide, qui a évacué sa première ceinture de glacis, soit les pays du COMECON en Europe centrale et orientale. Elle a ensuite perdu ses glacis conquis au prix fort au temps des tsars, dans les années vingt et trente du XIXe siècle dans le Caucase d’abord, dans la seconde moitié du XIXe en Asie centrale ensuite. Le processus actuel de dissolution, sous les coups bien ciblés des diverses stratégies américaines mises en œuvre avec une constance et un acharnement féroces, s’est déclenché non pas immédiatement après la seconde guerre mondiale, comme on nous le fait croire, ou sous le règne de Khrouchtchev, mais immédiatement dans la foulée de l’invasion soviétique de l’Afghanistan en décembre 1979.
    L’URSS, malgré les cadeaux européens, consentis par Roosevelt à Yalta, restait une puissance encerclée, sans véritables ouvertures vers les mers chaudes donc sans espoir de se développer dans la compétition bipolaire et d’acquérir un statut authentique de grande puissance. Jordis von Lohausen, le géopolitologue autrichien qui fut mon maître, nous expliquait fort bien, dans la double tradition géopolitique allemande de Ratzel et de Tirpitz, qu’une vraie superpuissance est une superpuissance qui a accès à toutes les mers, les dominent et entretient une flotte capable de damer le pion à tout adversaire potentiel. Dans ce contexte de la guerre froide, les États-Unis, dans un premier temps, avaient intérêt à maintenir l’Europe en état de division, à ne pas en chasser les forces soviétiques qui occupaient les espaces complémentaires nécessaires au déploiement de la machine économique de leurs concurrents allemands et ouest-européens, à se faire passer pour les protecteurs « bienveillants » des pays satellisés de la portion occidentale de notre continent, où ils avaient remis en selle tous les corrompus, les prévaricateurs et les concussionnaires d’avant-guerre.
    Le soviétisme, offensif en apparence, militarisé, avait, par les allures qu’il se donnait, une utilité médiatique : il apparaissait comme un croquemitaine ; des politicards véreux, revenus dans les fourgons de l’armée britannique ou de l’US Army, recyclés dans un occidentalisme hostile aux souverainetés nationales, comme Paul-Henri Spaak, pouvaient s’écrier à toutes les tribunes internationales « J’ai peur ! » et réclamer, en tant que faux socialistes, des crédits militaires inutiles, en faisant acheter, par les gouvernements européens vassalisés, du matériel et surtout, bien entendu, des avions américains ; du coup, face à une URSS peu séduisante sur le plan publicitaire, les États-Unis se donnaient toujours le beau rôle, gagnaient la bataille médiatique et pouvaient fourbir leur meilleure arme, celle du soft power.
    Ce concept de la politologie moderne désigne et définit l’ensemble des atouts médiatiques, scientifiques, culturels, cinématographiques (Hollywood), politiques, économiques des États-Unis, selon la définition du politologue contemporain Nye, ensemble d’atouts qui fait que les masses ignorantes et manipulables à souhait, ou des fragments considérables de la masse, capables, même minoritaires de faire basculer les opinions publiques, adhèrent sans réfléchir, tacitement, à l’image quasi publicitaire que donne l’Amérique d’elle-même. Ces masses ou parties de masse considèrent les « vérités » médiatiques américaines comme des évidences incontestables. Qui ne sont presque jamais contestées effectivement, parce qu’il n’existe aucun soft power alternatif !
    Pour revenir plus directement à votre question, je dirais d’abord que la Russie actuelle ne dispose pas de ce soft power, ni de rien d’équivalent, ensuite que les médias occidentaux puisent encore et toujours dans les arsenaux publicitaires de la guerre froide, puisque la Russie reste, en fin de compte, l’ennemi à abattre, qu’elle ait été tsariste ou communiste hier, qu’elle soit démocratique aujourd’hui. Poutine passe pour une sorte de nouveau Staline, pour un « méchant » qui devrait au plus vite quitter le pouvoir, pour laisser la place à un « chef » que l’on considèrera comme un good guy, bien « démocratique », mais qui laissera oligarques, banquiers, organisations internationales piller, neutraliser et avachir la Russie.
    En Belgique, le principal quotidien bruxellois, Le Soir, publie chaque jour des articles haineux, et de ce fait délirants, contre la Russie. De ses colonnes, on pourrait facilement tirer une anthologie de la russophobie la plus rabique. Aucune autre instance médiatique ne peut répondre à ces délires, ni en Belgique ni dans le reste de la francophonie (à l’exception, parfois du Temps de Genève), en démonter l’inanité, en exhiber la profonde malhonnêteté, car aucun soft power russophile n’existe, ne dispose d’arsenaux sémantiques suffisamment étoffés, d’instruments cinématographiques ou de banques d’images alternatives.
    La mouvance identitaire, à laquelle vous appartenez, devrait réfléchir à cette terrible lacune, qui nous fait perdre guerre après guerre, dans les conflits « cognitifs » d’aujourd’hui : il n’y certes pas de soft power russe ; il n’y a pas davantage de soft power européen ou japonais, capables de neutraliser les effets du soft power américain. On constate, à intervalles réguliers, que, pour dénigrer l’Allemagne ou la France, le Japon ou la Chine, des images stéréotypées, totalement fausses mais médiatiquement vendables, des clichés rabâchés sont ressortis et diffusés à grande échelle, créant, ponctuellement, dans les pays anglo-saxons, et dans le monde, des réflexes germanophobes, francophobes, japonophobes ou sinophobes.
    Rappelez-vous que Chirac en a fait les frais lors de ses essais nucléaires en 1995, puis en 2003, lors de l’épisode fugace de l’Axe Paris-Berlin-Moscou, et enfin, pour le rendre encore plus malléable, lors des émeutes des banlieues en novembre 2005 ; quant à la germanophobie, elle est récurrente, d’autant plus que le croquemitaine nazi n’a jamais cessé d’être agité. Pour le Japon, les médias et agences médiatiques disposent de clichés bien rodés, que vous connaissez forcément : le méchant « Jap » revient souvent à la surface, tant dans les médias anglo-saxons que dans certains médias parisiens, où les ennemis de l’Amérique sont fustigés avec une hystérie bien connue.
    La meilleure exploitation offensive du soft power, à des fins qui équivalent à une guerre classique, soit la conquête d’un territoire qui se traduit aujourd’hui par son inféodation à l’OTAN, a été la pratique nouvelle des « révolution de velours », en Serbie, en Ukraine, en Géorgie et au Tadjikistan. On voit alors sur les écrans des télévisions du monde entier un peuple qui se dresse sans armes, en agitant des drapeaux d’une couleur douce, « sympa » ou « cool », ou en battant des casseroles comme jadis au Chili pour tenter de faire tomber Pinochet. Tout cela se passe soi-disant de manière spontanée, alors que ces phénomènes sont téléguidés par des professionnels de l’agitation bien entraînés, dans des séminaires largement financés par les fondations privées, d’inspiration néo-libérale, qui travaillent directement pour les intérêts géopolitiques de Washington.
    La Russie risque de subir, elle aussi, une « révolution orange » à la mode ukrainienne lors des prochaines présidentielles de 2008. Si une telle opération réussissait, le pouvoir central russe ne se soucierait plus de récupérer les influences perdues dans ces périphéries de glacis, que j’évoquais ici au début de ma réponse. Il est donc normal, pour revenir à votre question, que les Russes nationalistes, qui acceptent l’ensemble des avancées positives de la Russie depuis sa création et surtout depuis la renaissance qu’elle a connue à partir d’Ivan le Terrible au XVIe siècle, d’une part, et que les Russes nostalgiques de la super-puissance soviétique (mais une super-puissance relative !), d’autre part, connaissent une convergence d’intérêts, partagent une communauté de soucis bien justifiables. Les uns comme les autres veulent ravoir un pays qu’ils pourraient à nouveau juger intact, avec des frontières « membrées » (comme le disaient Vauban et Richelieu), capables de retenir ou d’absorber une invasion en direction du cœur moscovite de l’empire (comme contre les Tatars à l’Est, contre les Polonais à partir du « Temps des Troubles » à la fin du XVIe et du XVIIe, contre les Suédois de Charles XII, contre Napoléon et contre Hitler).
    Le terme Rodina, ou « mère-patrie », rappelle le sursaut russe de 1942, quand Staline consent à abandonner la phraséologie soviétique, qui ne motivait pas le peuple et, même, pire, le révulsait, pour reprendre à son compte les linéaments du patriotisme russe traditionnel, beaucoup plus porteur sur le plan de la propagande. « Mère patrie » est donc un vocable né à l’ère soviétique, tout en s’en démarquant sur le plan strictement idéologique. Quand le mouvement déliquescent de mai 68 frappait l’Europe occidentale et qu’il était « in » de se proclamer contestataire dans le sillage du jeune Cohn-Bendit, l’Union Soviétique était, a contrario, agitée par une contestation tranquille, nullement « progressiste » et déliquescente, mais soucieuse de renouer avec les racines russes pré-soviétiques, afin de redonner une « épine dorsale » spirituelle à un empire soviétique, prisonnier des limites et des apories de l’idéologie froide (la notion d’ « idéologie froide » se retrouvait dans les écrits de Castoriadis, Papaioannou et Axelos en France).
    Dans les rangs de l’armée rouge, dès la fin des années 60, l’idéologie communiste ne faisait plus recette, était vraiment considérée pour ce qu’elle était, c’est-à-dire une fabrication sans profondeur temporelle ni spirituelle : les officiers se souvenaient des généraux des tsars, de Pierre le Grand, de Souvarine, de ces conquérants de terre, de ces défenseurs de la « russéité » face aux dangers tatar et turc. C’est à cette veine-là que se réfèrent indubitablement les animateurs, anciens communistes, du mouvement Rodina.
    La convergence, qui éveille votre curiosité et justifie votre question, entre nationalisme et résidus du communisme dans la Russie actuelle n’est donc nullement étonnante. Seul ce mixte peut donner à terme une majorité parlementaire capable de défendre les intérêts de la Russie contre les menées des agences internationales, des fondations américaines, d’un éventuel mouvement « orange ».
    Que Rodina soit ou non une création du Kremlin, n’a pas d’importance. Ce mouvement doit, avec d’autres, participer au barrage qu’il faudra bien constituer en Russie, demain, pour affronter les « forces orange » qui ne manqueront pas de se dresser, avec l’appui de la Fondation Soros et de ses consœurs, toutes virtuoses de la « nouvelle subversion ».

    
• 2 — En novembre 2005, le LDPR de Vladimir Jirinovski a fait exclure Rodina des élections à la Douma de la ville de Moscou pour incitation à la haine raciale. Ceci ne laisse pas de surprendre. Que faut-il penser du LDPR ? Son chef plutôt controversé, personnage haut en couleurs et peu économe en provocations, est-il à prendre au sérieux ?
    Vous savez bien que les dissensions, les exclusions mutuelles, les querelles de chapelle, les chamailleries de chefaillons sont le lot quotidien des mouvements « identitaires ». La France, la Belgique francophone, l’Allemagne, l’Espagne et d’autres pays encore connaissent ce phénomène. La mouvance « nouvelle droite » en deviendra même le paradigme aux yeux des historiens de demain. Il est dû, à mon avis, indirectement aux effets inconscients du soft power américain. Je m’explique.
    Jadis, Yannick Sauveur [ici en 1983 aux côtés de Thiriart], représentant malheureusement isolé, mais pertinent et courageux, du mouvement Jeune Europe (1962-1969) et de Jean Thiriart (1920-1992), avait rédigé un mémoire universitaire sur la fonction métapolitique d’une revue comme Sélection du Reader’s Digest, où il démontrait comment, tout de suite après la victoire américaine de 1945 en Europe et en Extrême-Orient, les services cherchaient à remplacer les cultures nationales par une culture prédigérée (« digest » !), édulcorée, banale, où ne s’insinuerait aucune pertinence historique ou politique, pouvant s’avérer à terme contraire aux intérêts américains.
    Par ailleurs, le grand angliciste français Henri Gobard, à qui nous devons le concept de « guerre culturelle », dénonçait les stratégies de Hollywood, où le cinéma américain, qui a cherché à s’imposer par la force, par le chantage (comme celui que subit le gouvernement Blum en France en 1948), dans tous les pays d’Europe et d’ailleurs, offre des images, souvent bien présentées selon toutes les règles du septième art, qui éclipsent toutes les autres, potentielles, que l’on pourrait créer sur notre propre histoire, sur nos propres mœurs, en y insinuant nos propres messages politiques. Claude Autant-Lara, dans le discours inaugural * qu’il fit, en tant que doyen des parlementaires à Strasbourg, a fustigé cette situation avec un brio remarquable, qui provoqua bien entendu un scandale chez les bonnes consciences de la « correction politique » à Paris.
    Les chamailleries des chefaillons viennent du simple fait qu’ils sont inconsciemment imbibés de cette culture fabriquée et exportée, qu’ils sont ensuite prisonniers de vieux schémas obsolètes, que l’on a laissé survivre parce qu’ils n’étaient pas dangereux, qu’ils adhèrent et participent aux faux débats, créés artificiellement par les médias, débats sans objet réel qui visent surtout à esquiver l’essentiel. La mouvance nationaliste ou identitaire ou néo-droitiste (peu importent les qualificatifs) n’a pas généré une culture alternative suffisamment forte pour affronter le soft power américain en France, une culture alternative qui aurait été non schématique, bigarrée, aussi polyvalente que la culture du Reader’s Digest ou de Hollywood. Les cénacles qui composent cette mouvance sont traversés de contradictions irrésolues, sources de querelles, de scissions, d’effondrements politiques et de ressacs, tout simplement parce qu’il n’y a pas d’accord durable possible sur l’essentiel, c’est-à-dire sur la sauvegarde des cultures et des traditions du Vieux Monde, cultures et traditions qui sont bien entendu les garantes de la souveraineté des peuples, car elles devraient, si elles retrouvaient leur authenticité, générer des formules politiques adéquates, inscrites dans la continuité historique des peuples, dans leur vécu pluriséculaire.
    En ce sens, ce paysage politique de la mouvance identitaire fragmentée, paysage tout de désolation, est, indirectement, le résultat du poids très lourd que pèse le soft power américain sur l’ensemble des cultures d’Eurasie, Russie comprise. Dans les États vassalisés de l’américanosphère (selon le terme forgé par Guillaume Faye dans les années 80), aucune opposition organisée n’a vu le jour, jusqu’ici, parce que toute émergence d’un mouvement offensif sera, à court ou moyen terme, « cassée » par une dissidence soudaine, qui agira souvent en toute bonne foi, mais sera inconsciemment téléguidée par un appareil secret, dont le siège se trouve Outre-Atlantique, où l’on ne cesse de pratiquer la « guerre cognitive », comme la nomment les stratégistes français contemporains.
    L’opposition offensive, avant d’être brisée dans son élan, reposera forcément sur une synthèse ou un syncrétisme idéologique et affectif, composé de « dérivations » et de « résidus » pour parler comme Pareto, qui sera bien évidemment fragile, présentera des failles, des faiblesses, où s’insinuera le dissensus, téléguidé par ceux qui, au sein des services, ont pour profession d’observer d’abord, d’étudier les dynamiques à l’œuvre dans le pays donné, de faire appel à des historiens et des politologues qui éclaireront leur lanterne. Il suffit de passer en revue les catalogues de certaines maisons d’édition anglo-saxonnes. Une dissidence apparaîtra qui s’appuiera sur un programme en apparence similaire, sauf quelques nuances, qui fera perdre des voix et des sièges à l’opposition de première mouture, la déforcera dans la mise sur pied de majorités parlementaires ou dans la création d’un gouvernement de coalition. On se rappellera qu’il suffisait jadis de générer des dissensions au sein du mouvement communiste à l’aide des cénacles trotskistes pour ruiner l’accession de communistes à des postes clefs. Avec les nationalistes, au discours plus flou, aux références bien plus bigarrées, le travail serait, en l’état actuel des choses, beaucoup plus aisé.
    Dénoncer Rodina pour « incitation à la haine raciale » doit tout simplement nous faire réfléchir à quoi servent les lois, règlements et dispositions qui permettent ce genre d’intervention intempestives, contraire à la liberté d’expression et même à l’esprit de tous les corpus juridiques européens, soucieux de la liberté du civis romanus ou de l’homo germanicus. Notez que je m’insurgerais avec la même véhémence contre toute loi qui interdirait le socialisme, ou punirait l’expression d’idées anarchistes, ou voudrait juguler l’expression de la religion ou bannirait toute nouvelle exploitation ou interprétation des idées de Marx et Engels (contre la nouvelle internationale du « néo-libéralisme » par ex., qui est l’idée motrice de la « globalisation » et de la « mondialisation » actuelles).
    Tous les appareils et arsenaux judiciaires qui existent en Europe, pour limiter l’expression d’idées, sont autant de dénis des libertés politiques et intellectuelles, qui servent à casser des élans et à maintenir le statu quo ou à renforcer la mainmise néo-libérale. C’est-à-dire à installer la dictature masquée des sphères économiques, ou comme ose le dire Pierre-André Taguieff, en réhabilitant par là même un concept qui était devenu sulfureux, la dictature « ploutocratique ».
    Or, au départ, les principes de la démocratie visaient à faire advenir dans nos espaces politiques une pratique quotidienne des « choses publiques » (en latin : res publicae) cherchant à briser la pesanteur des situations de statu quo. En Belgique, la loi électorale à l’échelon communal (municipal) prévoyait, au début de notre histoire politique, un exercice, comme aujourd’hui, de six années, avec renouvellement du tiers des conseils communaux tous les 2 ans, afin d’éviter les encroûtements, l’installation durable d’incapables et les pratiques de concussion sur le long terme. Aujourd’hui, cette pratique intelligente du « renouvellement », à chaque tiers de législature, est depuis belle lurette jetée aux orties, et la corruption fonctionne allègrement comme le prouvent les scandales récents, ingérables, qui ont secoué le paysage politique de villes comme Charleroi et Namur.
    Ensuite, Moshe Ostrogovski, théoricien de la démocratie dans la première moitié du XXe siècle, démontrait qu’une démocratie optimale ne peut nullement fonctionner sur base de partis politiques permanents. Si un parti politique demeure « permanent », s’impose à la société comme une « permanence » inamovible et indéboulonnable, il crée, par sa présence ubiquitaire à tous les échelons de décision de la communauté populaire, des niches d’immobilisme, contraires au principe de fluidité qu’a prétendu vouloir incarner la démocratie, au départ, en Europe occidentale. Le socialisme wallon, mais aussi le démocratisme chrétien flamand, sont des exemples devenus paradigmatiques de déni de démocratie, sous couleur d’une idéologie qui n’a de « démocratique » que le nom qu’elle veut bien se donner. Le grand sociologue Max Weber, l’idéologue italien Minghetti, avaient, à leur époque, dénoncé, eux aussi, ces dérives malsaines.
    Ce type de dénonciation est reprise aujourd’hui par le libéral belge a-typique (et qui a de gros ennuis !), Alain Destexhe. Il est en butte à la haine du bourgmestre FDF Gosuin d’Auderghem, qui a lâché des fiers-à-bras, armés de marteaux et d’autres objets contondants, contre les amis de ce politologue avisé, comme s’ils étaient de vulgaires militants « identitaires » ; preuve sans nul doute que Destexhe, dans ses critiques, a visé juste. Petite parenthèse : avez-vous déjà entendu un idéologue de la mouvance identitaire faire référence à ces corpus démocratiques, rédigé par Destexhe et son ami Eraly, pour dénoncer la fausse démocratie ambiante ? Non. Voilà une des raisons de leur stagnation.
    Je déplore donc que Jirinovski et ses co-équipiers aient choisi de telles pratiques pour exclure un adversaire politique des débats de la Douma. Ceci dit, je suis profondément intéressé par ce que je lis, et qui émane du LDPR et de sa commission géopolitique, où œuvre le géopolitologue Mitrofanov, dans les entretiens qu’a donnés Jirinovski au Deutsch National Zeitung du Dr. Frey à Munich, et surtout dans l’ouvrage universitaire que Fabio Martelli a fait paraître naguère à Bologne sur la « géopolitique de Jirinovski » (La Russia di Zhirinovskii, Il Mulino, Bologna, 1996 ; recension in Vouloir n°9, 1997).
    Cet ouvrage est important car il nous donne effectivement les grandes lignes d’une géopolitique eurasienne intéressante, dont les piliers sont les suivants :
        •    1) faire advenir un projet eurasien qui repose sur l’idée d’une fédération d’empires traditionnels régénérés (on reconnaît là une idée-maîtresse de Douguine, dont l’influence a dû s’exercer un moment sur les think tanks du LDPR) ; pour l’équipe rassemblée à l’époque autour de Jirinovski, les principales traditions impériales à ranimer sont celles de la Russie, bien évidemment, du Japon, de l’Iran, du Saint Empire romain-germanique.
        •    2) À ce quadrige d’empires devrait s’ajouter le pôle balkanique serbo-bulgare, d’inspiration byzantine et de base ethnique slave, réminiscence du projet brisé de Stepan Douchane au XIVe siècle, immédiatement avant les invasions ottomanes.
        •    3) Jirinovski parle ensuite de briser la puissance de l’Arabie Saoudite wahhabite et alliée des États-Unis, depuis le contrat pétrolier qui a uni Roosevelt et Ibn Séoud en 1945. Au wahhabisme, il faut dès lors opposer un islam plus riche, plus trempé de traditions diverses, enrichi par des syncrétisme divers, not. islamo-perse.
        •    4) Le programme de la commission géopolitique du LDPR évoque également le projet de déstabiliser les pays très fortement liés aux États-Unis, et périphériques de la masse continentale eurasienne, comme la Grande-Bretagne, en pariant là-bas sur l’élément celtique et irlandais. Ce travail ne serait possible que par le truchement d’une élite d’ascètes traditionalistes, réceptacles des cultures immémoriales du Vieux monde eurasien.
    Un programme cohérent, donc, à méditer, au-delà de toutes les querelles de chapelle.

    • 3 — Récemment les français ont pu découvrir Alexandre Dugin et aussi lire ses travaux qui empruntent à Alain de Benoist, sans s’en cacher d’ailleurs, un bon nombre de ses réflexions. Bien que Dugin soit souvent cité dans les milieux identitaires, son mouvement Evrazija (Eurasie) semble pourtant aligner des effectifs plutôt limités. Que recouvre concrètement le terme d’Eurasie ? Quelle est l’influence réelle de Dugin et de son mouvement sur la politique Russe ?
    Vous aurez appris que j’ai rencontré Alexandre Douguine, à Paris d’abord en 1991 [au XXIVe colloque du GRECE], à Moscou ensuite en 1992, et, enfin, en novembre 2005, lors de sa tournée de conférence en Belgique. On ne peut pas dire que Douguine incarne un calque russe du message de la « nouvelle droite » parisienne, du moins dans l’état actuel où se trouve celle-ci. L’évolution de ce mouvement français, rupturaliste à ses débuts, va, depuis une bonne décennie, comme l’avait très bien prévu Jean Thiriart dès la fin des années 60, dans le sens d’une confusion totale et se caractérise par l’absence de toute clarté dans le discours. Douguine, comme moi-même et bien d’autres, retient fort justement l’idée néo-droitiste initiale d’une bataille métapolitique, à gagner avant de vaincre sur le plan politique, mais, la situation française étant ce qu’elle est, avec ses verrouillages et ses interdits, de Benoist [ci-contre à côté de Douguine, à Moscou en 2008] n’a pas pu véritablement s’insérer dans les débats de la place de Paris.
    Face à cet échec, dont il n’est nullement le responsable mais la victime, de Benoist a cru bon, par toutes sortes de manœuvres rentrantes et de stratagèmes de contournement, finalement boiteux, de tenter quand même un entrisme dans le PIF (paysage intellectuel français), not. via les antennes de France Culture, où il participait à d’excellentes émissions, comme aujourd’hui, en marge du PIF, à Radio Courtoisie. Alain de Benoist s’est fait malheureusement éjecté de partout, poursuivi par la vindicte d’une brochette de vigilants hystériques. Les plus anciens de vos lecteurs se rappelleront certainement de toutes ces affaires parisiennes récurrentes, où le pauvre de Benoist était la tête de Turc, de l’affaire ridicule des candélabres SS, du complot dit des « rouges bruns » (1993), orchestrés par les Olender, Daeninckx, Monzat, Spire, Plenel et autres figures malveillantes et malfaisantes du Tout-Paris.
    Cette haine tenace, indécrottable, permanente, a déstabilisé psychologiquement le malheureux de Benoist, qui en est sorti complètement déboussolé. Peureux de nature, n’étant ni un polémiste vigoureux ni un foudre de guerre, déçu et meurtri, tenaillé par la frousse de se faire traiter de « raciste » (ce qu’il n’est assurément pas), il n’a plus cessé de se dédouaner et, dans ce misérable travail de déconstruction de soi, de ce qu’il avait été, a trahi tous ses amis, dont Guillaume Faye, exposant d’un intéressant projet « eurosibérien ». Cette trahison, peu reluisante sur le plan éthique, lui a valu des polémiques supplémentaires, dont il fit les frais, et qui émanaient cette fois de la mouvance néo-droitiste elle-même, dont un certain Cercle gibelin, aujourd’hui disparu. De Benoist est désormais pris en tenaille, d’une part, par ceux qui ont toujours voulu l’exclure des débats, et, d’autre part, par ses anciens amis qui n’acceptent pas ses trahisons. Sa position est pour le moins inconfortable.
    Les « vigilants » de la correction politique reprochaient à de Benoist d’avoir fréquenté Douguine. Et d’avoir rencontré Ziouganov, leader du PCR, et Babourine à Moscou. Pour ces « vigilants », ces petits débats moscovites, intéressants, courtois, publiés dans le journal « Dyeïnn » de Prokhanov — l’ancien directeur de Lettres soviétiques qui avait réhabilité Dostoïevski (quel crime !) — annonçaient une terrible convergence totalitaire, qui allait tout de go balayer la démocratie occidentale, provoquer comme par un coup de baguette magique la fusion entre le PCF et le FN de Le Pen, capable de devenir le premier parti de France : la figure de « Mascareigne », du fameux roman humoristique de Jean Dutourd, risquait de devenir une réalité ! On nageait en plein délire. Les rapports entre de Benoist et Douguine se sont relâchés, à la suite de ces scandales, jusqu’au moment où notre ami russe a connu le succès dans son pays, est devenu un animateur radiophonique en vue, a patronné la création de plusieurs sites internet du plus haut intérêt, sans plus éveiller la méchante verve de nos « vigilants », dont les gesticulations n’avaient pas vraiment ameuté les foules.
    Le tour de force de Douguine a été de trouver dans quelques pays de bons traducteurs de la langue russe. En Belgique, je dois à ce cher Sepp Staelmans quelques excellentes traductions de Douguine et d’articles tirés de sa revue Elementy. Les autres traductions issues du russe me viennent de jeunes et charmantes collaboratrices et stagiaires de mon bureau, et je profite de votre entretien pour les remercier une fois de plus. En Espagne et en Italie, des slavistes chevronnés, dont Mario Conserva, nous ont livré de bonnes traductions, qui ont servi de base à leurs publications en français, généralement éditées par Christian Bouchet. La stratégie de Dougine, avisée, a donc été de trouver les bons hommes aux bonnes places, partout en Europe et dans le monde.
    Pour moi, Douguine est essentiellement, sur le plan spirituel et idéologique, le traducteur et, partant, l’importateur, des idées et visions de René Guénon et Julius Evola en Russie. En ce sens, il doit plus aux travaux d’un Claudio Mutti en Italie ou d’un Antonio Medrano en Espagne qu’à de Benoist. Douguine est aussi celui qui a couplé le traditionalisme de Guénon et d’Evola à l’œuvre du Russe Constantin Leontiev. Ce dernier contestait la volonté des panslavistes modernistes à vouloir démembrer l’Empire ottoman moribond, à ramener les Balkans dans le giron d’une Europe gangrenée par la modernité ou dans celui d’une orthodoxie dont la rigueur s’affaiblissaient.
    C’est dans Leontiev qu’il faut aller retrouver les racines d’une certaine « islamophilie » de Douguine. Cette islamophilie n’est nullement d’inspiration hanbalite ou wahhabite mais renoue avec un certain soufisme caucasien, plus particulièrement azéri et perse, qui a fusionné avec le chiisme au temps des shahs séfévides. Dans ce soufisme azéri islamisé, on trouve des références à la tradition hyperboréenne, que ne retient évidemment pas l’islam saoudien. Rappelons que la dynastie des Séfévides iraniens s’est imposée à la Perse, moribonde après les invasions mongoles, grâce au concours d’un mouvement religieux et militaire azéri et turkmène, les Qizilbash, ou « chapeaux rouges », qui s’opposeront aux Ottomans sunnites et aux Ouzbeks, tout en faisant alliance avec les Byzantins en exil, le Saint Empire et l’Espagne.
    Pour clore le chapitre des rapports de Douguine et de la ND française, je rappellerais ici que, pour illustrer ce qu’est, ou a été, la ND, le site Evrazija affiche mes réponses personnelles sur cette mouvance, accordée à Marc Lüdders à la fin des années 90, dans le cadre d’un ensemble de débats, en Allemagne, sur les évolutions, involutions, mutations et métamorphoses des « nouvelles droites » (car le pluriel s’impose, effectivement !).
    Le mouvement Evrazija n’est pas un mouvement de masse, donc la question de ses effectifs me parait oiseuse. Ce qui compte, c’est son accessibilité via la grande toile, c’est la présence réelle et physique de son animateur sur la scène internationale, en Europe, aux États-Unis, au Japon, en Iran, c’est la répercussion de ses voyages dans les médias russes.
    Quant au terme « Eurasie », terme-clef dans la vision du monde de Douguine, je pense qu’il signifie surtout, pour lui, de 2 choses :

    
1) sauver au minimum la cohérence du territoire de l’ex-URSS, réceptacle potentiel d’une aire de « civilisation russe », exactement comme le Shah d’Iran parlait, à propos des zones chiites de Mésopotamie et d’Afghanistan, d’une aire de la « civilisation iranienne ». En même temps que cette cohérence territoriale du noyau russe et de ses glacis adjacents, Douguine réclame, dans sa vision eurasiste, une cohérence spirituelle en amont de l’histoire, qui se réfère au temps d’un « âge d’or », contrairement à la cohérence en aval que postulait le communisme messianique, qui œuvrait pour l’avènement d’une félicité planétaire au terme de l’histoire, après l’élimination de tous les reliquats du passé (« Du passé, faisons table rase ! »). Cette cohérence en amont permet de sauter au-dessus des clivages religieux et ethniques et d’unir tous les tenants de la « Tradition primordiale », dont dérivent toutes les traditions actuelles (ou ce qu’il en reste), dans une même phalange, contre l’idéologie moderniste de l’Occident américanisé ;
    2) de donner, à l’instar des nombreux eurasistes russes des années 20, qu’ils aient été blancs ou rouges, en URSS ou en exil, ou qu’ils se soient situé idéologiquement entre les 2 pôles de la terrible guerre civile, comme les « monarchistes bolcheviques », une dimension dynamique à références scythes, mongoles ou tatares. Pour les eurasistes des années 20, comme pour le panslaviste Danilevski au XIXe siècle, comme pour le Spengler tardif, les sociétés sédentaires d’Europe occidentale ont fait vieillir les peuples prématurément, en ont fait de petits rentiers craintifs, des boursicotiers ou des ronds-de-cuir, alors qu’une idéologie sauvage, conquérante et cavalière, comme celle, implicite, des conquérants mongols unificateurs de l’Eurasie quand ils étaient au sommet de leur gloire, aurait permis de garder la jeunesse et, partant, la créativité. Pour Douguine, tous les unificateurs de l’Eurasie, quelle que soit leur carte d’identité raciale, sont des modèles à rappeler, à exalter et à imiter. Douguine a parfois parlé de la Russie, du Continent russe, comme le fruit de la fusion idéale entre éléments slaves (indo-européens) et turco-mongols.
    À ces 2 piliers principaux de la vision douguinienne du mouvement eurasiste, il faut ajouter la connaissance de la géopolitique allemande de Karl Haushofer, penseur de l’idée du « quadrige grand-continental », avec la Russie soviétique, l’Allemagne hitlérienne, l’Italie mussolinienne et le Japon shintoïste.
    Mon compatriote et ancien voisin de quartier, Jean Thiriart, qui fit également le voyage à Moscou avant de mourir en novembre 1992, avait théorisé l’idée d’une grande Union Soviétique, étendue à l’ensemble de la masse continentale eurasienne, portée par un communisme corrigé par la philosophie nietzschéenne (réétudiée en URSS par le philosophe Odouev), et par là même, futuriste, toujours hostile aux religions établies. Thiriart et Douguine s’entendaient bien, même si leurs visions étaient diamétralement opposées sur le plan religieux. Il faut relire aussi les textes derniers de Thiriart, not. dans les diverses revues « nationales bolcheviques », publiées à l’époque par Luc Michel, et dans Nationalisme & République, organe animé par Michel Schneider, vieil admirateur français de Thiriart.
    L’influence de Douguine sur la politique russe ne peut pas se mesurer de manière précise : disons qu’il est un exposant de vérités russes, eurasiennes, parmi beaucoup d’autres exposants. Comme dans le cas de la Révolution conservatrice allemande des années 20, qui fut un foisonnement luxuriant, Douguine, au sein de l’anti-conformisme russe actuel, occupe une place de choix, parmi bien d’autres, dans un paysage idéologique tout aussi luxuriant.

    • 4 — Tous ces mouvements précédemment évoqués semblent plus ou moins soutenir la politique de Poutine. Est-ce vraiment le cas ? Faut-il en conclure que le personnage de Poutine n’est pas exempt d’aspects intéressants au regard d’un identitaire ? Peut-on lui faire confiance ?
    Douguine a très bien expliqué que Poutine, dans le contexte d’une Russie démembrée, est le « moindre mal ». Douguine insistait pour nous expliquer qu’à son avis la faiblesse du poutinisme réside tout entière dans son incapacité à générer une élite ascétique alternative, suffisamment bien armée et structurée, pour faire face à toutes les éventualités. Il dit ainsi, en d’autres termes, ce que j’ai tenté de vous expliquer dans l’une de vos questions précédentes : en Russie aujourd’hui, comme en Europe ou ailleurs dans le monde, la plus extrême difficulté, à laquelle nous allons tous devoir faire face, est de remettre une élite politique sur pied, à même de comprendre les rouages impériaux et traditionnels, de connaître notre histoire sans les filtres médiatiques, qui faussent tout.
    Il faut un temps infini pour reconstituer une élite de ce type, telle que l’avait si bien définie, en son temps, l’Espagnol José Ortega y Gasset. Pour l’instant, sans cette élite alternative, sans les glacis qui membraient jadis le territoire russe, sans les masses financières dont disposent ses adversaires, Poutine n’a évidemment pas les moyens de faire une grande politique russe tout de suite, de mettre « échec et mat » ses adversaires en un clin d’œil. Il doit avancer au coup par coup, à petits pas, travailler avec les moyens du bord, en affrontant le travail de sape des oligarques, des fondations néo-libérales, des agences médiatiques américaines.
    Poutine gagnera la bataille, mais uniquement s’il parvient, comme nous l’a démontré notre ami autrichien Gerhoch Reisegger dans les colonnes d’Au fil de l’épée, à réaliser les projets eurasiens d’oléoducs et de gazoducs, entre la Chine, le Japon, les 2 Corées, l’Inde, l’Iran et l’Europe. Le pétrole et le gaz fourniront à la Russie, du moins si les oligarques n’en détournent pas les fonds, les moyens de sortir de l’impasse. Mais ce projet général est systématiquement torpillé par les États-Unis et leurs alliés saoudiens wahhabites.
    La Tchétchénie se situe sur le tracé d’un oléoduc amenant le brut des rives de la Caspienne. La Géorgie devait théoriquement accueillir les terminaux sur la Mer Noire ; elle pratique une politique anti-russe, dont les derniers soubresauts ont émaillé les actualités fin septembre début octobre 2006. Pour alimenter l’Allemagne, il a fallu contourner les nouveaux membres de l’OTAN en Europe de l’Est, la Pologne et la Lituanie.
    La grande guerre pour le pétrole est celle qui se déroule sous nos yeux, mais elle ne fonctionne plus comme les 2 grandes conflagrations de 1914 et de 1939. La guerre a pris d’autres visages : celui de la guerre cognitive, celui de la guerre indirecte, celui du low intensity warfare, celui des guerres menées par personnes ou tribus interposées.

    • 5 — Seul le Parti National Bolchevique, à l’esthétique pour le moins provocante et conduit par le célèbre écrivain Eduard Limonov, entretient une véritable agitation contre le pouvoir Poutinien. Dans son opposition systématique au Kremlin, il est allé jusqu’à s’allier aux mouvements pro-occidentaux et libéraux. N’est-ce pas un peu paradoxal ? Que penser de ce mouvement et de son chef qui semble compter quelques soutiens parmi de nombreux intellectuels français de gauche comme de droite ?
    Pour moi, Edouard Limonov reste essentiellement l’auteur d’un livre admirable : Le Grand Hospice occidental. Dans cet ouvrage, publié en français, Limonov reprenait à son compte un vieux thème de la littérature russe, celui du vieillissement prématuré et inéluctable de l’Occident [Zapad]. On le retrouve chez les slavophiles du début du XIXe siècle, qui considéraient les peuples latins et germaniques comme « finis », comme des peuples qui avait épuisé leurs potentialités, bref comme des peuples vieux.
    Danilevski, dans une perspective non plus slavophile et donc ruraliste et paysanne, mais dans une perspective panslaviste plus moderniste et offensive, réactualisait, quelques décennies plus tard, la même idée. Plus récemment, un auteur, mort dans la misère à Moscou en 1992, Lev Goumilev, qui a influencé Douguine, évoquait la perte de « passion », de « passionalité », chez les peuples en voie de déclin (sur Goumilev et son influence sur les nouvelles droites russes, voir l’ouvrage universitaire très fouillé de Hildegard Kochanek, Die russisch-nationale Rechte von 1968 bis zum Ende der Sowjetunion, F. Steiner Verlag, Stuttgart, 1999). Moeller van den Bruck, traducteur allemand de Dostoïevski et figure de proue de la Révolution conservatrice, parlait de « révolution des peuples jeunes », parmi lesquels il comptait les Italiens, les Allemands et les Russes. Pour lui, les peuples vieux, étaient les Anglais et les Français.
    Limonov ne veut pas que la Russie devienne un « hospice », comme l’Occident qu’il fustigeait à sa façon, en d’autres termes que Zinoviev quand ce dernier démontait les mécanismes de l’occidentisme. Mais, à lire attentivement les 2 ouvrages, celui de Limonov et celui de Zinoviev, on trouvera sans nul doute des points de convergence, qui critiquent l’étroitesse d’horizon, la nature procédurière, voire judiciaire, des rapports sociaux, en Occident.
    Cette horreur du vieillissement et de l’encroûtement, que subissent effectivement nos peuples, a amené bien évidemment Limonov à une autre nostalgie, intéressante à noter : celle de la littérature engagée, celle de l’écrivain combattant, militant, auréolé d’un panache d’aventurier. Jean Mabire, récemment décédé, n’avait jamais cessé de nous dire, justement, que cette littérature-là est la plus séduisante de nos 2 derniers siècles, qu’elle est impassable, qu’on y reviendra inlassablement. Limonov, fidèle à ce double filon, celui de la jouvence russe et celui de l’engagement, a forcément posé une esthétique de la révolution et de la provocation, de la bravade, celle que vous évoquez dans votre question.
    Cette esthétique est comparable à celle des écrivains du temps de la guerre d’Espagne ou à celle des rédacteurs de Gringoire ou Je suis partout en France, autant d’écrivains engagés, dont le plus connu demeure évidemment André Malraux, avec sa Voie royale et son action dans l’aviation républicaine. Il y a eu des Malraux communistes, fascistes et gaullistes. Limonov entend faire la synthèse de ces gestes héroïques, de ces postures mâles, politisées, impavides, picaresques, et de les incarner en sa propre personne.
    Limonov a donc pris la pose de ces écrivains des années 30, dans un contexte contemporain où ce type d’attitude est totalement rejeté et incompris, car nous ne sommes plus du tout dans une période héroïque de l’histoire, mais dans une période plate et triviale. Cet anachronisme apparent, qui déroute et choque, rend évidemment Limonov sympathique à tous ceux qui, à gauche comme à droite, regrettent le bel âge des engagements totaux.
    Embastillé naguère pour ses multiples frasques par Poutine ou par un juge nommé par Poutine, Limonov, en toute bonne logique révolutionnaire/littéraire, se mettra à combattre, sans répit et de manière inconditionnelle, celui qui l’a fait jeter dans un cul-de-basse-fosse. Et là, nous débouchons immanquablement sur les paradoxes que vous soulignez. Un ultra-national-bolchevique, haut en couleur, au talent littéraire avéré, qui s’allie à des libéraux pour lutter de concert contre un régime présidentiel parce que celui-ci ne les autorise pas à marchander et à trafiquer à leur guise, c’est bien entendu un paradoxe de belle ampleur ! Mais ce n’est certes pas la première fois dans l’histoire que cela se passe…
    Il n’y a rien à « penser » du mouvement de Limonov. Il y a à constater son existence, à observer ses vicissitudes. Sans entonner des louanges déplacées. Sans tonner de condamnation pour se dédouaner. Le phénomène Limonov, comme tout phénomène du même acabit, comme celui d’Erich Wichman en Hollande dans les années 20 et 30, comme le phénomène Van Rossem en Belgique il y a une quinzaine d’années, sont nécessaires au bon fonctionnement d’une communauté politique. Les outrances ne déplaisent qu’aux rassis et aux moisis. Elles mettent en exergue des disfonctionnements avant que tous les autres ne s’en rendent compte. Elles font office de signaux d’alarme.
    Personnellement, je n’ai jamais rencontré Limonov. Le Français qui l’a le mieux connu, et l’a défendu en organisant pour lui un comité de soutien, est Michel Schneider, l’ancien animateur de la revue Nationalisme & République.

    • 6 — D’autres mouvements plus marginaux, comme l’Union Russe Nationale, aux sympathies ultra-orthodoxes et au nationalisme traditionnel, semblent constituer une nébuleuse insaisissable. Quel est le potentiel de ces multiples mouvements dont le discours est un subtil mélange de panslavisme, d’anti-américanisme, d’orthodoxie et parfois même de communisme ?
    Comment voulez-vous que je vous réponde, si la nébuleuse est insaisissable ? Comment voulez-vous que je la saisisse ? Comme les bravades de Limonov à l’avant-scène, sous les feux de la rampe, les nébuleuses, en arrière-plan, comme « fond-de-monde », sont tout aussi nécessaires. Dans le contexte qui nous préoccupe, vous énumérez les ingrédients de la nébuleuse, tous ingrédients consubstantiels à la culture russe. Vous oubliez simplement la slavophilie, présente dans des réseaux comme Pamiat, au début de la perestroïka. La slavophilie, comme toutes les références völkisch (folcistes) est évidemment insoluble dans le libéralisme et la globalisation, puisque ses références sont le peuple particulier, face à un monde d’élites dénationalisées. Aucune « généralité » philosophique ou politique ne trouve grâce à ses yeux.
    Le panslavisme hisse cette slavophilie à un niveau quantitativement supérieur, veut une union de tous les Slaves, qui ne s’est pas réalisée parce les clivages confessionnels sont demeurés plus forts que l’appel à l’unité. Entre Catholiques polonais et Uniates ukrainiens, d’une part, Orthodoxes russes et autres, d’autres part, sans oublier la tradition laïque ou hussite en Bohème, entre Catholiques croates et Orthodoxes serbes, les fossés sont chaque fois trop grands, n’ont jamais pu être comblés, en dépit des exhortations et des proclamations. Si le panslavisme n’a pas fonctionné, comment voulez-vous, dès lors, que cette russéité, ou ces identités slaves non russes, s’évanouissent dans une panmixie planétaire ?
    L’orthodoxie, bien plus conservatrice que le catholicisme, dans ses formes et sa liturgie, constitue bien entendu un rempart plus solide encore contre la mondialisation et ses effets pervers. Quant au communisme, aujourd’hui, il n’est plus du tout la pratique quotidienne de la révolution, l’espoir d’un monde meilleur, mais un reliquat du passé. Le réflexe conservateur inclut désormais l’idéologie révolutionnaire dans ses nostalgies, parce que cette idéologie ne meut plus rien, ne participe pas à la grande marche en avant éradicatrice de la modernité : l’idéologie de la globalisation, de la table rase, de l’éradication, c’est désormais le néo-libéralisme et non plus la vieillerie qu’est devenue le communisme.
    Dès l’heure de la perestroïka, le philosophe Mikhaïl Antonov avait repris la critique du matérialisme économique énoncée au début du XXe par des figures comme Soloviev et Boulgakov. Pour leur discipline et actualisateur Antonov, les idéologies matérialistes, comme le capitalisme et le socialisme se réclamant du matérialisme économique, sont responsables des catastrophes du XXe siècle et de l’effondrement de l’économie soviétique. La disparition du communisme strict, sous Gorbatchev, ne conduira, pensait Antonov, qu’à un accroissement du bien-être matériel, ce qui maintiendra, pour son malheur, la Russie dans une forme seulement plus actualisée du soviétisme moderniste, lui-même issu du matérialisme bourgeois occidental.
    Pour éviter cet enlisement, l’économie doit se référer à des traditions nationales russes, moduler ses pratiques sur celles-ci, et ne pas adopter des modèles occidentaux, américains, néo-libéraux. Le publiciste nationaliste Sergueï Kara-Mursa, poussant plus loin encore les thèses d’Antonov, affirme que le capitalisme est intrinsèquement étranger à l’âme russe, incompatible avec les principes de fraternité de la chrétienté orthodoxe, fondements du caractère national russe et matrices de ses orientations socialistes spontanées et particulières, inaliénables et pérennes.
    L’ouverture que constituait la perestroïka était dès lors perçue, par des hommes comme Antonov et Kara-Mursa, comme une tentative de miner les fondements moraux et spirituels du peuple russe et de lui injecter, par la même occasion, le « poison » de la civilisation capitaliste occidentale. Les théories d’Antonov seront rapidement reprises par Ziouganov dans le programme du PCR, ce qui explique la mutation profonde de ce parti, qui renonce ainsi à tout ce que le communisme avait de rébarbatif et d’inacceptable, et, par voie de conséquence, explique toutes les convergences entre nationaux et communistes, objets de cet entretien.
    Dans la nébuleuse, que vous évoquez, c’est la notion de fraternité qui est cardinale, qui est le point de référence commun. Elle est effectivement incompatible avec le néo-libéralisme, idéologie de la globalisation. Elle postule le solidarisme, soit un socialisme de la fraternité, d’où ne sont pas exclues les dimensions religieuses.

    • 7 – Les médias occidentaux ont attribué la paternité des violences ethniques survenues en Carélie, dans la ville de Kondopoga, à un mystérieux mouvement russe contre les migrations illégales, le DPNI. Qui se cache derrière cette organisation et quelle force représente-t-elle concrètement ? Le DPNI semble jouir d’une certaine sympathie auprès de la population russe, est-ce le cas ?
    L’affaire de Kondopoga est évidemment un fait divers tragique, comme nous en connaissons à profusion en Belgique et en France. Cette année, à Arlon et à Ostende, des bandes tchétchènes ont tué un jeune, rançonné des fêtards, ravagé une discothèque. Les brigades spéciales de la police fédérale de Bruges ont dû intervenir à la côte. Ces énergumènes ont évidemment un sentiment de totale impunité : ils se posent comme les victimes de Poutine et de l’armée russe. Ils sont des résistants intouchables, adulés par un journal comme le Soir. À Arlon, à la suite de l’assassinat sauvage d’un jeune homme tranquille de 21 ans, une « marche blanche » de plus de 2.000 personnes a défilé, réclamant la dissolution des bandes tchétchènes. La presse n’en a pas dit un mot !
    En Russie, et surtout dans cette zone excentrée de la Carélie, la foule n’a pas eu recours à une « marche blanche », mais s’est exprimée d’une autre façon, plus musclée.
    Je ne peux évidemment juger du capital de sympathie ou d’antipathie dont bénéficie le DPNI en Russie. On peut simplement constater en Europe comme en Russie une lassitude de la population face à des exactions commises par des diasporas agressives et déboussolées.

    • 8 – L’antenne russe du site internet Indymedia, qui se revendique un média alternatif et dont la tonalité est clairement altermondialiste, a récemment suscité la polémique. Certains militants antiglobalisation accusaient son animateur, Vladimir Wiedemann, de sympathie avec la Nouvelle Droite. Plus largement, existe-t-il en Russie des connexions entre la mouvance antiglobalisation et des éléments d’obédience nationale-identitaire ?
    Vladimir Wiedemann est l’un des hommes les plus charmants, que j’ai rencontré. J’ai fait sa connaissance dans le Fichtelgebirge en Allemagne et nous nous sommes promenés, avec le Dr. Tomislav Sunic venu de Croatie, dans les rues de Prague. C’était à l’occasion d’une Université d’été allemande en 1995. Depuis, V. Wiedemann a participé à plusieurs universités d’été et à des séminaires de Synergies européennes ou de la DESG/Deutsch-Europäische Studien Gesellschaft, organisation sœur en Allemagne du Nord. Wiedemann a ensuite négocié avec les altermondialistes d’Indymedia l’ouverture, sous sa houlette, d’une antenne russe de ce réseau de sites contestataires. C’est bien sûr ce qui a déclenché le scandale après quelques mois.
    Je ne sais pas si l’on peut qualifier V. Wiedemann d’exposant de la ND. Ses positions sont bien différentes. Surtout quand il évoque la nécessité de retrouver des racines byzantines et orthodoxes pour refonder l’impérialité russe. La renaissance russe passe donc, à ses yeux, par une théologie impériale, de facture byzantine, où l’Empereur est simultanément chef de guerre et pontifex maximus.
    Cette position orthodoxe pure met évidemment Wiedemann en porte-à-faux avec une ND, du moins en France, qui valorisait l’Empereur, et surtout Frédéric II de Hohenstaufen à la suite de Benoist-Méchin, mais un empereur qui s’était débarrassé au préalable de tous les oripeaux du christianisme et ne régnait que par son charisme personnel et par la gloire de ses actions, sans référence à un au-delà ou à une métaphysique quelconque. Wiedemann va même plus loin : cette théologie impériale byzantine doit être capable, à terme, de générer un « espace juridique et impérial unitaire et grand continental », expliquait-il lors de l’Université d’été du Fichtelgebirge.
    Nous n’avons plus affaire, comme chez Douguine, à une référence à l’eurasisme des années 20, d’inspiration scythique ou panmongoliste, complétée par une réflexion sur les thèses ethnogénétiques de Goumilev, ni à un futurisme technocentré et technomorphe comme chez Thiriart ou Faye, mais à une tradition religieuse romaine, dans l’expression qu’elle s’était donnée à Byzance, au temps de sa plus grande gloire. Wiedemann prend très au sérieux, et sans nul doute plus au sérieux que tous les autres exposants du non conformisme identitaire russe contemporain, le rôle dévolu à la Russie après la chute de Constantinople en 1453 : celui d’être une « Troisième Rome », qui reprendrait intégralement à son compte le système traditionnel de l’impérialité incarnée par le Basileus byzantin (cf. V. Wiedemann, « Russie : arrière-cour de l’Europe ou avant-garde de l’Eurasie ? », in : Vouloir n°6, 1996).
    Quant aux connexions entre altermondialistes et identitaires, elles existent de facto potentiellement, à défaut d’exister in concreto sur le plan organisationnel, car une hostilité au déploiement néo-libéral planétaire actuel est plus conforme aux discours, épars aujourd’hui encore, des identitaires qu’à ceux des altermondialistes de gauche. Ceux-ci rejettent tout autant les obligations et les devoirs qu’implique une identité, ou, plus exactement, une imbrication dans une continuité historique particulière et non interchangeable, que les capitalistes globalistes contre lesquels ils s’insurgent. Au discours globaliste de Davos, ils opposent un autre discours globaliste, également sans frontières, sans ordre, sans garde-fou. Quand des militants de l’antenne wallonne de Terre & Peuple, de concert avec des militants de Nation, m’avaient demandé de parler de l’Europe et de la globalisation en novembre 2005 à Charleroi, j’ai utilisé, pour parfaire et étayer ma démonstration, les nombreux petits ouvrages diffusés par ATTAC, en en corrigeant les outrances ou les dérapages ou les insuffisances, mais aussi en montrant tous les points de convergence qui pouvaient exister entre eux et les positions de Synergies européennes.
    Wiedemann a dû poser exactement la même analyse en Russie : il s’est présenté et est devenu tout naturellement l’animateur d’Indymedia-Russie. Sa haute intelligence doit rendre ce site-là bien plus intéressant que les autres émanations d’Indymedia. Wiedemann ne doit publier que des textes pertinents, en expurgeant toute la phraséologie post-soixante-huitarde, tous les dégoisements gnangnan que cet altermondialisme officiel produit. D’où les colères impuissantes qu’il a suscitées.
    ► Fait à Forest-Flotzenberg, octobre 2006. Paru dans ID n°7, 2006. http://vouloir.hautetfort.com
    * : Le bateau coule : Discours de réception à l'Académie des Beaux-Arts, éd. Libertés, 1989. Un appel aux européens pour sauver leurs arts, leurs avant-gardes, leurs réflexes philosophiques et religieux profonds. Discours prononcé avant l'entrée de l'auteur au Parlement de Strasbourg, ce texte recèle un vigoureux plaidoyer contre l'hollywoodisme, contre l'intervention des marchands dans le monde des arts. Claude Autant-Lara milite pour sauver le cinéma français et européen, victime de la bourgeoisie ploutocratique, du mauvais goût des esprits bas qui cherchent à se donner bonne conscience en prononçant des discours aussi généreux dans la forme qu'insipides dans le fond. Le vieux cinéaste, le parlementaire qui a osé dire comme l'enfant d'Andersen que « le roi est nu », s'est attiré la haine féroce des voleurs et des escrocs de la politique, a suscité la méchanceté insondable de tous les les abominables médiocres qui ont tué la culture européenne, de tous ceux que le sublime aveugle, qui confondent liberté d'expression et étalage des turpitudes, des bassesses, des petites saletés qui encombrent toutes les âmes. Ceux qui injurient Autant-Lara ne méritent que nos crachats, autant qu'ils sont. Surtout les "socialistes" [alors au gouvernement au moment du scandale journalistique] et les hommes de gauche qui ont vendu leur âme par conformisme, qui ont baissé la garde pour des mangeoires, qui ont oublié leur jeunesse contestataire, qui ont oublié que, jadis, ils voulaient que l'imagination prenne le pouvoir. 

  • Henri III (Au coeur de l’Histoire)

    Au coeur de l’Histoire (Franck Ferrand), émission du 07/02/13.

    Invités :
    Jean-Christophe BUISSON, rédacteur en chef culture du Figaro Magazine
    Michel PERNOT, agrégé d’histoire, maître de conférences honoraire des universités.

  • Jean-Yves Le Gallou : « La Tyrannie Médiatique »

    Jean-Yves Le Gallou poursuit son travail sur les manipulations des mots et des médias, et nous présente son nouveau livre, « La Tyrannie Médiatique », consacré aux mensonges médiatiques, à la pensée unique et à la désinformation.


    Jean-Yves Le Gallou : "La Tyrannie Médiatique" par MrPierreLegrand


    Via Romana

  • Aux sources des écologies

    À la vision de l'homme cartésien « maître et possesseur de la nature », promoteur d'une science opératoire, cet article oppose un art conçu dans le prolongement de la nature, où il serait déjà présent de façon immanente, privilégiant l'approche contemplative.
    L’écologie politique est l'enjeu majeur du XXIe siècle, entend-on souvent. Mais de quelle écologie parlons-nous ? Parce qu'elle utilise des moyens variés et parfois contradictoires, fait appel aux sentiments humains ou à la rationalité scientifique, défend les animaux ou bien l'homme, parce qu'elle est diverse et qu'il n'y a pas qu'une forme d'écologie mais des écologies, il convient de rappeler que celles-ci ne sont pas toutes bonnes et que si la finalité reste la même (« Sauvons notre planète ! ») les moyens mais surtout les principes qui les régissent s'opposent bien souvent.
    Rivalité historique
    Notre rapport à la nature n'a pas toujours été identique au cours de notre histoire. Pierre Hadot, dans Le Voile d'Isis - Essai sur l'histoire de l'idée de nature, met en évidence l'opposition entre l'attitude « prométhéenne » et l'attitude « orphique » vis-à-vis de la nature. « Si l'homme éprouve la nature comme une ennemie, hostile et jalouse, qui lui résiste en cachant ses secrets, il y aura alors opposition entre la nature et l'art humain, fondé sur la raison et la volonté humaines. L'homme cherchera, par la technique, à affirmer son pouvoir, sa domination, ses droits sur la nature. » C'est l'attitude prométhéenne. « Si, au contraire, l'homme se considère comme partie de la nature, parce que l'art est déjà présent, d'une manière immanente, dans la nature, il n'y aura plus opposition entre la nature et l'art, mais l'art humain [...] sera en quelque sorte le prolongement de la nature, et il n'y aura plus alors rapport de domination. » C'est l'attitude orphique.
    Ce que nous appelons la vision anthropocentrique du monde, fondée en grande partie sur la philosophie aristotélicienne, était cette attitude orphique qui consistait à lier l'homme à la nature, à faire du microcosme humain une partie du macrocosme (du cosmos, de "l'univers"). À cette tradition "logothéorique" dans laquelle la science était contemplative et observait les phénomènes naturels pour les étudier, s'est substituée une autre tradition lors de la révolution scientifique du XVIIe siècle. Des personnages comme Képler, Bacon, Galilée ou encore Descartes en sont représentatifs.
    L'univers mis en équations
    Le chancelier anglais Francis Bacon (1561-1626) propose ainsi un Novum Organum (1620) pour remplacer l'ouvrage majeur de la physique aristotélicienne, l'Organon : les méthodes scientifiques changent radicalement, partant des phénomènes particuliers et non plus des lois générales, supprimant toute idée de finalité, refusant les préjugés (« idoles ») qui occultent notre faculté d'observer. Si ces méthodes scientifiques se révèleront bien plus efficaces, elles s'accompagnent toutefois d'une philosophie qui sera le point de départ de nos problèmes écologiques contemporains : René Descartes (1596-1650) justifie en effet la promotion du mécanisme, c'est-à-dire la compréhension du monde à l'aide de la géométrie et des calculs arithmétiques. Le paradigme technoscientifique (la science opératoire) remplace alors le paradigme logothéorique (la science contemplative) : l'homme doit donc se rendre « comme maître et possesseur de la nature » (Discours de la méthode).
    Dés cet instant, comme le dit le poète anglais John Donne au XVIIe siècle : « Tout est en morceaux, toute cohérence disparue ; plus de rapports justes, rien ne s'accorde plus. » Galilée fait du monde un grand livre dont le langage serait mathématique. La nature s'éloigne de notre perception intuitive, elle devient étrangère, énigmatique. Se développe un vocabulaire judiciaire pour faire parler cette nature si récalcitrante à nous livrer ses secrets : « Les secrets de la nature se révèlent plutôt sous la torture des expériences que lorsqu'ils suivent leur cours naturel » (Francis Bacon, Novum Organum). Cuvier reprendra cette métaphore : « L'observateur écoute la nature, l'expérimentateur la soumet à un interrogatoire et la force à se dévoiler. » L'homme devient alors « le maître des oeuvres de Dieu » ( Johannes Kepler, De macula in sole observata).
    Positivisme
    La science se fait violente, toute puissante, et le XIXe siècle, avec ses nouveaux moyens scientifiques, va pousser plus loin encore cette vision du monde. Le positivisme, créé par Auguste Comte, tend à appliquer la méthode scientifique à tous les domaines (y compris à la morale ou à la société). L'idée de progrès humain ne fait qu'avantager cette perception d'une nature régie par la science, dont témoigne l'Exposition universelle de Paris en 1889 qui a pour symbole la tour Eiffel, qui signe l'âge de l'acier et de l'électricité. La science toute puissante a alors ses prophètes (Palissi, Papin, Lavoisier, Pasteur, Berthelot, etc.), ses temples (expositions universelles), ses idoles (tour Eiffel) ; ce XIXe siècle marque un changement dans notre rapport au monde, dans le prolongement du XVIIe siècle.
    Si l'homme agit sur la nature comme un maître et comme un tortionnaire, alors il ne fait plus partie intégrante de la nature. La révolution darwinienne comme les nombreuses oppositions au positivisme ne semblent pas avoir véritablement porté dans le grand public. Nous assistons toujours au règne d'une science toute puissante qui serait la seule à pouvoir distinguer le vrai du faux : ne demande t'on pas toujours des "preuves scientifiques" ? Le terme même de "scientifique" ne s'identifie- t-il pas, de plus, en plus à "vérité" ?
    Manichéisme
    De fait, l'homme est plus que jamais coupé de la nature, considéré comme radicalement autre, et bien souvent l'écologie nous propose une vision moderne de cet homme cartésien « maître et possesseur de la nature ». En témoigne le vocabulaire utilisé couramment, les oppositions de langage que nous faisons entre "naturel" et "culturel", "biologique" et "chimique", alors que la culture est proprement un phénomène de nature chez l'homme et que la chimie est tout aussi présente dans la nature que dans les pratiques humaines. Ajoutons ce manichéisme réducteur, de plus en plus accentué, entre une nature belle et bonne (l'homme ne l'est-il jamais ?) et un homme destructeur et égoïste (la nature n'est-elle pas aussi souvent terrible et dangereuse ?).
    Peut-être faut-il se réconcilier avec la nature et se comprendre à nouveau comme partie intégrante de ce monde. L'écologie politique, qui est bien dans sa terminaison même l'accord entre la nature et l'homme, commence sans doute par cette considération essentielle : l'homme est naturel, il est à la fois animal et politique ; sa spécificité tient donc dans la possibilité qu'il a d'harmoniser nature et culture.
    Dimitri Julien L’ACTION FRANÇAISE 2000 4 au 17 novembre 2010

  • Hier le Champ de Mars, demain l’Elysée !

    Il y a près d’un mois déjà ce dimanche 13 janvier 2013, journée digne des HLPSDNH de sinistre mémoire, une troupe de

    « misérables factieux de la secte réactionnaire-bourgeoise, n’hésita pas à défier le gouvernement démocratique et populaire de West-Europa. Ce ramassis de séides de la réaction nationale-négationniste osa profaner le sol de notre capitale Delanoë-City pour dévaster les quartiers réservés à l’élite progressiste et à nos dirigeants bien-aimés ».

    Enfin, crime des crimes,

    « ces séditieux foulèrent de leurs pieds d’agitateurs malfaisants, la pelouse sacrée du Champ des Martyres LGBT, où se dresse illuminée de mille feux la Tour Taubira » !

    C’est à peu de choses près la vision qu’auront eu les sectaires au pouvoir, de ces français manifestant pacifiquement une légitime inquiétude : se voir imposer une loi dénaturant le mariage traditionnel.

    Le PS et ses compères ont en effet mis en ordre de marche une machine de guerre et de destruction du socle familial qui, associée à la GPA et autres PMA, mènera à terme à la marchandisation des enfants. Et ce n’est pas la dernière initiative de la garde des Sceaux autorisant la délivrance d’un certificat de nationalité française aux enfants nés à l’étranger de mère porteuse, qui va nous rassurer quant à la bonne foi de ce gouvernement.

    « Portant sur le front une mâle assurance, nous partîmes 500, mais par un prompt renfort… »

    Nous vîmes ce dimanche-là, la France profonde, le pays réel si cher Maurras, la France qui ne descend jamais dans la rue, exprimer des seules armes qui lui restent, puisqu’on lui a confisqué tout autre moyen d’expression, son opposition à cette criminelle loi dite du « mariage pour tous ». Nos pieds et nos slogans furent nos bulletins de vote (cela dit, voir autant de français dans la rue après huit mois de présidence, permet d’apprécier la performance des socialos. Chapeau bas !).

    Quand à la polémique qui fit suite sur le nombre de participants à cette marche, elle aura vu les sots, la flicaille régimiste, les journalistes à la botte du pouvoir et les progressistes nuisibles, ne pas reconnaitre l’ampleur de la manifestation (800 000 au bas mot, selon le général Dary, conseiller du « comité de pilotage » de la manif). Les sites d’information honnêtes ont facilement démontré les tentatives de trucage des services officiels et des relais du pouvoir.

    Il n’y a pas si longtemps encore, un déploiement de telle ampleur aurait « interpellé » n’importe quel gouvernement un tant soit peu responsable. Oh, rassurez-vous, pas pour reconnaitre de quelconques erreurs, mais uniquement pour préserver une certaine tranquillité sociale et ne pas trop compromettre les élections suivantes. Assurer un repli stratégique sur quelques sujets devenus brusquement « à problème », ne fait en principe pas tomber un gouvernement ; un ministre, tout au plus.

    Aujourd’hui la donne a changé.

    La populace contre l’Elite progressiste

    Les socialistes, les progressistes et toute l’avant-garde de l’humanité éclairée, sont maintenant au pouvoir. Le droit est donc pour eux. Enfin surtout le droit d’avilir le peuple, ce conglomérat de crétins visiblement butés ayant trahi ses leaders naturels, en votant notamment pour cette peste « Bleue Marine » (couleur qui reste plus seyante tout de même que la peste brune de jadis). Ces abrutis en bleu de chauffe sont vraiment trop bas de plafond, pour n’avoir comme minable horizon que l’épaisseur de leur porte-monnaie et n’avoir pour soucis, que le remplissage du bol de soupe après le 15 du mois. Et trouver un travail pour les moins doués d’entre eux.

    Non, les enjeux essentiels, cruciaux et primordiaux de ce 21ème siècle sont ailleurs, comme la socialo-kommandantur s’efforce de le démontrer, vainement visiblement : supprimer les voies sur berges à Paris, remplacer le terme de « maternelle » pour ne pas déstabiliser nos chères petites têtes (de moins en moins) blondes, ouvrir des supermarchés de la dope pour se piquer en toute légalité sous les yeux consternés de la maréchaussée, canoniser cette pseudo-naïve mais vraie pénible Florence Cassez et donc, objet de toutes les attentions du moment, permettre aux fofolles de convoler enfin en justes noces.

    Tout bien réfléchi, les travailleurs ne méritent vraiment pas l’élite qui est aux commandes et qui elle, sait ce qui est bon pour le vulgum pecus. Le revers de la démocratie, sans doute…

    Ce foutu peuple, manipulé par des religieux obscurantistes et des lepeno-sarkosistes, s’est une fois de plus fourvoyé dans l’ignorance des vrais enjeux de société. Il aura démontré son ignorance crasse du fléau de la discrimination homo et fait montre d’un égoïsme petit-bourgeois envers une population si cultivée, aux goûts si sûrs, mais ostracisée, proscrite, bannie et vilainement ghettoïsée dans les profondeurs sordides des 3ème et 4ème arrondissements de la capitale. Heureusement, le train du progrès sociétal est maintenant en marche et rien ne l’arrêtera, surtout pas une majorité des français rétrogrades !

    La démocratie, c’est « cause toujours ! »

    Eussions-nous été 2, 5 voire 10 millions de marcheurs, la si peu avenante tétèche1 Taubira serait restée inflexible, droite comme une canne à sucre sous son katoury2 créole !

    Pourquoi donc demander l’avis du peuple sur des sujets que seule l’élite auto-proclamée du Marais parisien est légitime à traiter ? Certes, un candidat socialiste devenu brusquement autiste depuis son arrivée à l’Elysée, s’était engagé à consulter la Nation sur des sujets majeurs de société, mais ça, c’était avant, du temps des promesses des banquets de campagne.

    Un référendum, exigiez-vous ? Quelle bonne blague ! MDR ! « Hors de question » nous aura martelé l’acariâtre mégère de la place Vendôme. « PAS CONS-TI-TU-TIO-NNEL » 3, parait-il. En somme, mettre un bulletin dans une urne n’est pas démocratique. Parfait, j’en prends bonne note.

    Eh oui,

    « bande de mécréants rétrogrades et ignorants, on a des députés de gauche pour voter les lois qui conviennent au populo, cela suffit bien. Toi y’en a comprendre ? Ta mauvaise foi fascistoïde devrait t’étouffer vu que le débat a déjà eu lieu il y a 5 mois de cela, abruti de francaoui hétéro ».

    Fermez le ban et les urnes avec !

    Quant au réac-catho version Cyrillus, forcément manipulé par les corbeaux noirs de l’épiscopat, eux-mêmes téléguidés par la Place Saint-Pierre de Rome, qui se poserait ingénument la question de savoir où ont bien pu se dérouler les fameux débats évoqués par la Gôche, il n’aura qu’à écrire au ministre en question pour de plus amples renseignements. Se voir confisquer derechef sa carte d’électeur pour outrage à la Démocratie Populaire de Métisse-Land, est un risque qu’il faudra assumer, mais après-tout, pour ce à quoi elle sert… (La bonne nouvelle, c’est que depuis le 13 janvier, ce pays compte donc au bas mot 1 000 000 d’antidémocrates. Bonne nouvelle pour le Centre Royaliste d’Action Française. Envoyez les cotises !).

    Un peuple désespéré aujourd’hui, en colère demain ?

    Il n’est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Et quand cette surdité gouvernementale s’accompagne du plus parfait terrorisme intellectuel sauce bolchévique, une protestation gentillette comme celle du 13 janvier restera sans effet et amusera follement des bobos invertis sûrs de leur victoire. Le Marais s’en amuse déjà.

    Alors, un coup d’épée dans l’eau le crapahut du 13 janvier, alors que l’organisation d’une nouvelle marche de protestation semble pourtant se dessiner ? Et bien soit, marchons donc de nouveau. Mais enfin, pour atteindre quel objectif ? Pour un autre 13 janvier familial, propret, œcuménique et festif (et si possible moins froid et humide, merci) ?

    Evidemment, trottiner en famille restera toujours utile pour nos silhouettes malmenées par les derniers réveillons et autres chandeleurs. Mais la multiplication des pieds sur le pavé parisien ne changera probablement pas la donne, sauf à courroucer de nouveau cette folledingue de Maire de Paris qui ne manquera pas d’envoyer une nouvelle facture pour dégradation de pelouse (porter atteinte aux pelouses, voilà qui doit bien traumatiser nos « amies » lesbiennes, tiens).

    C’est pourquoi, à toi Ministresse de l’Injustice, à toi et à ton gouvernement de discorde, nous le peuple de France, nous te conseillons de porter une très vive attention à ce qui s’est passé ce 13 janvier. Votre hautaine et méprisante attitude envers les citoyens, ces autochtones que vous méprisez depuis vos lambris et vos dorures pourtant si peu populaires, heurte nos consciences et blessent nos cœurs.

    Le peuple était dans la rue et vous, gouvernement de schizophrènes, vous ne vous en n’êtes pas rendu compte, préférant écouter la minorité d’inverti qui vous sert de cour. Môssieur le Président aura ainsi préféré se faire tirer le portrait avec deux représentants LGBT pleurnichards, sodomites au teint blafard et au regard de vipères sadiques, sinistres représentants d’une minorité de minorité. Mais notre Flamby-le-boutefeux lui, refusera d’écouter « son » peuple qui crie aujourd’hui son désespoir et son incompréhension. Tout juste condescendra-t-il à recevoir en catimini la madone Barjo. Que d’égards…

    Hier le Champ de Mars, demain l’Elysée !

    La gauche n’aime pas le peuple français, elle s’en sert. Terra Nova lui a d’ailleurs déjà expliqué comment s’en passer. Quant à la république, elle a souvent montré qu’elle n’aimait pas les français. Hier, elle tirait sur la foule (vendéens et chouans, canuts de Lyon, fusillés de Fourmies et de Draveil, anciens combattants et nationaux du 6 février, pieds noirs et harkis…), aujourd’hui elle se contente de l’ignorer et de la mépriser. Combien de temps encore se contentera-t-elle de cette passivité, avant de faire sortir ses gardes-mobiles ?

    Le peuple de France a bien des défauts, mais il pourrait ne pas oublier votre morgue de corrupteurs de civilisation. Un roi et une reine, martyrs de 1793, n’avaient pas cette tare-là, surtout pas le millième de la perversité des mandarins actuels et pourtant, Samson fit tomber leur tête au pied de l’échafaud.

    D’une façon ou d’une autre, le peuple de France vous fera payer votre cécité, votre entêtement criminel et votre dédain des vrais français et de leur civilisation.

    Pour se faire entendre, il va donc falloir passer au stade supérieur et ne pas se contenter d’user nos croquenots sur le pavé dans l’espoir d’un revirement intellectuel des fripouilles au pouvoir, ou dans l’espoir qu’une hypothétique alternance UMPesque fasse machine arrière (ce qui semble assez improbable au vu du discours actuel de ce traitre de Jacob).

    La voie du salut passera d’abord par la transformation des bisounours de paroisse en vrais insurgés et d’électeurs passifs en militants actifs de la cause nationale.

    Et de faire de ces républicains, des royalistes.

    Mais avant de décréter le premier jour de l’insurrection nationale qui chassera de ses palais l’élite auto-proclamée de la branchitude invertie, j’invite le Maréchal Flamby sauveur du Mali, probablement déjà Grand-Maître l'Ordre de la Médaille de l'Etoile d'Argent du Mérite National Malien, à s’occuper enfin des millions de chômeurs qui hantent le Pôle emploi, aux milliers d’artisans, commerçants et paysans étranglés par le fisc. Eux non plus ne vont pas tarder à descendre dans la rue, histoire de rappeler à la gauche ce qu’est le peuple, le vrai, le travailleur, le besogneux, celui qui par ses impôts, vous permet de dilapider les richesses de la France.

    Que la gauche persévère dans cette fuite en avant, préférant donner satisfaction aux promoteurs des idées les plus folles et s’entêtant à répandre son idéologie destructrice (mariage pour tous, droit de vote des immigrés, police de la pensée et novlangue à foison), sans vouloir s’occuper des vrais problèmes de notre pays, elle trouvera de plus en plus de français dans la rue pour s’opposer à sa dictature molle.

    Quant à dame Taubira, condescendante « Garde des Sots », qu’elle médite donc ce dicton de sa Guyane natale :

    « Jwé bien ké makak mé pa pilé so latjo »

    « Jouez tant que vous voulez avec le singe, mais ne lui marchez pas sur la queue »

    Nantes, article écrit le jour anniversaire du 6 février 1934  http://soudarded.hautetfort.com

    1. tétèche : riche paysanne guyanaise
    2. katoury : chapeau de Guyane en arouman, tressé en diagonale
    3. Faux, la possibilité de référendum est directement lié au sujet en question : ce qui se rapporte au social peur faire l’objet d’une consultation, il suffirait de considérer que la déstructuration du mariage répond à cet impératif « social ». C’est une interprétation à faire, donc un choix politique à assumer.
  • Le complot à la portée de tous ?

    « La race du futur sera eurasienne négroïde, elle remplacera la diversité des peuples par une multitude de personnalités. L’homme du futur sera métissé. » Nicolas Coudenhove-Kalergi.

    Le complot, cet objet de recherche de ceux que les media du Système appellent conspirationnistes, implique des acteurs bien précis, une histoire (un passé) tout à fait réelle, et bien sûr une « eschatologie » unique et précise aussi cachée, voire plus, que le véritable fonctionnement interne de la machinerie sociopolitique mise en œuvre par cette engeance implacable. Il est compréhensible que l’immense majorité de la population occidentale ne croit pas à ce Complot comme elle ne croit pas non plus aux milliers de conspirations mises en branle chaque jour à travers le monde pour neutraliser tel opposant, tel causeur, tel indiscret ou nous ne savons qui encore. Ou afin que l’Engeance s’accapare de nouvelles richesses, de nouveaux pouvoirs locaux, afin que les tentacules du poulpe sectaire enserrent plus sûrement encore les sociétés qu’il mène vers le plus parfait des esclavages. Comment le téléspectateur lambda shooté quotidiennement à ses flashes morphiniques, à ses émissions stupéfiantes, à ses séries propagandistes, à sa téléréalité de vie virtuelle addictive, pourrait-il parvenir à s’extraire de cette prison mentale dans laquelle l’enferme constamment le complexe médiatique d’aujourd’hui ? Comment le gentil petit électeur désinformé au jour le jour par les JT des grandes chaînes de télévision qu’il avale avec délectation croyant s’enrichir intellectuellement par ce biais et aiguiser son esprit critique, comment ce parfait abruti nourri de messages subliminaux, de rhétorique propagandiste savamment distillée parviendrait-il à observer objectivement (le pléonasme est ici nécessaire) le monde de pantomime jouée par des acteurs politiques de figuration ? Quelle gageure pour l’esprit se voulant libre de rompre d’avec le joug informatif officiel qui l’aiguillonne et le tient bien au chaud dans l’illusion du confort d’une sorte de cocon maternel de savoirs et d’autorité !

    Dans son cocon anxiolytique, le télémane est aveugle
    On le voit, on le sait, la télévision constitue une source sacrée d’informations pour toute sa clientèle ! Le politicien en mauvaise posture peut toujours mentir et « pratiquer la langue de bois », mais le journaliste de télévision cravaté, poli, souriant « qui est ton ami » ne pourrait trahir le spectateur selon ce dernier : L’éventualité de la trahison n’est même pas envisagée par le télémane. Le souriant de la télé aux yeux humides est ton ami. Et à l’instar de la présentatrice gourgandine de la météo, le lecteur du 20H du prompteur de Big Brother constitue en quelque sorte le garant de la vérité, le vulgarisateur de la complexité factuelle de ce monde, le tuteur quotidien du cerveau du télétox, le corset émotif de tous ces esprits bridés de naissance. Quiconque a tenté d’éclairer au moins une fois l’un de ces télémanes sur des questions politiques dissonantes a compris sur quel roc son discours circonstancié, même formidablement argumenté, imparable, s’écrasait-il… L’expérience impossible ! Tant le « vu à la télé » hypnotise-t-il l’abruti de la petite lucarne. Pas touche au Totem qui a bercé l’enfance du téléspectateur, car, en effet, l’écran de télévision représente pour tous les moins de cinquante ans voire pour les moins de soixante ans une véritable mère qui les a dorlotés par ses dessins animés, ses reportages animaliers, son sport et qui a toujours pris la défense du gentil souriant contre « tous ces névrosés faisant grise mine ». Comment cette mère chaleureuse, (la téloche est toujours visionnée dans des lieux de vie agréable, le télétox s’étant confectionné un petit espace lui permettant de baigner dans une sorte de liquide amniotique symbolique avec canapé douillet, nourriture à portée de main –souvent grasse et sucrée-, comme si notre néo-bébé était relié à un cordon ombilical qui le rassurait en permanence. La télé est le plus puissant des anxiolytiques modernes et ce n’est pas le malade télétox qui va entreprendre avec masochisme une entreprise de démythification de son remède miracle !), pourrait-elle nuire à ses enfants, comment pourrait-elle leur mentir alors qu’elle prône sans cesse le libre-arbitre et la liberté de jouir tout en leur conseillant d’être prudents en hiver sur le verglas nivéal des petites routes de campagne comme maman exhorte ses enfants à fuir le grand méchant loup ? Et le media présente aux spectateurs-« citoyens » le monde comme l’Engeance veut qu’il soit présenté, avec ses faux représentants politiques, ses faux moralistes, ses faux gardiens, ses faux sages, ses fausses religions, ses fausses disputes, ses fausses joutes électorales, ses faux débats créés ex nihilo, ses faux opposants et même ses faux diables. Dans cette configuration il est sûr que notre télévore (qui représente l’Hexagonal de base, il faut bien l’avouer) ne puisse imaginer sérieusement, une seule seconde, que la vérité est ailleurs, que l’élite ne lui veut pas forcément du bien, qu’il existe un énorme complot travaillant à sa parfaite soumission, et qu’une fraction de la population mondiale est vouée à disparaître. Un sentiment de confiance et de sérénité (objectivement complètement injustifié) alimenté intensément par le cinéma qui tourne systématiquement au ridicule la réalité du complot que l’ « on » présente toujours comme « les » théories du complot et donc comme une pure construction intellectuelle névrotique. Pour la masse, il ne saurait ainsi y avoir de conspiration intégrale. Cependant, le « citoyen » un peu plus curieux, un peu moins téléphage, se sentant davantage enraciné que ses malheureux congénères, ressentant quelque malaise en son for intérieur, éprouvant le besoin de connaître l’envers du décor par instinct de vie, se heurte d’emblée au cours de ses recherches balbutiantes aux postulats mensongers d’intellectuels qui ont infiltré diverses mouvances pour étouffer, freiner, saboter, toute renaissance nationaliste. De Taguieff à Alain de Benoist, du postmoderne Maffesoli aux prétendus fascistes du Troisième Millénaire, tous nient quasiment sans argumenter mais en postulant avec une effroyable violence, avec cette condescendance de petits profs ignares ou stipendiés qui devrait les rendre insupportable, que le complot n’existe pas, que la rationalité dit « non au complot » (!), que croire au complot impliquerait une façon imbécile de penser… Selon ces tristes sires, il n’y a pas complot parce qu’il n’existerait tout simplement pas de société secrète suffisamment puissante pour orchestrer cette gigantesque entreprise… Là aussi, il s’agit d’un postulat arbitrairement posé, de la posture d’agents systémiques qui camouflent l’objet de leur mission sous un vernis intellectuel de petite facture mais que personne au sein de la clique élitiste ne viendrait à discuter. Alors beaucoup de petits curieux, en majorité peu téméraires, abandonnent le paradigme complotiste qui « vous fait passer pour un doux dingue ou un fou furieux dans les dîners entre amis »… Et Dieu sait que les hommes « désespérément normaux » craignent plus que tout d’être marginalisés, stigmatisés, réputés négativement. Le tour est joué ! Et au sein même de la mouvance nationaliste… Il fallait le faire ! Ils l’ont fait !

    Le Complot démasqué ?
    Alors si je veux ici recenser l’ouvrage extraordinaire des Néerlandais Robin de Ruiter et Fritz Springmeier, le fameux Livre Jaune Numéro 7, intitulé Les 13 lignées sataniques, la cause de la misère et du mal sur Terre, quelques cerveaux programmés par les discours pavloviens de petits gourous de la Nouvelle Droite antinationaliste et maçonnique déchireront réflexivement mon papier, leur inconscient leur ordonnant d’agir ainsi pour rester dans le cadre conforme de la rationalité définie. Pendant des années, le lectorat nationaliste a été abreuvé de fausse logique sociologique et de ce que l’on appelle la théorie de l’individualisme méthodologique consistant à voir dans chaque fait social le fruit d’actions non concertés d’individus liés ou non entre eux par le travail, les intérêts ou quelques valeurs. Mais jamais, je dis bien jamais, dans cette mouvance nouvellement droitière un fait ou un phénomène social, politique ou sociétal n’a été analysé avec une entière honnêteté scientifique, et donc en prenant en considération le fait que l’évènement étudié puisse découler d’un complot ourdi par une engeance définie. L’explication est d’analyse marxiste, matérialiste, individualiste, purement et ouvertement axiologique mais jamais, jamais, d’origine complotiste. Comme si quelques centaines d’individus sur cette Terre n’avaient ni les moyens, ni l’envie, ni le loisir d’agir secrètement pour concrétiser leur rêve ou pour réifier dans ce monde des projets secto-religieux animant cette élite dont la puissance est inimaginable aux yeux du grand public. Cela a le don, certainement, de troubler la sérénité de ceux qui postulent qu’il ne faut pas « se ridiculiser » en lisant et en évoquant le complot mondial. Mais les auteurs du Livre Jaune ne postule pas arbitrairement, contrairement à tous ces censeurs anti-conspirationnistes, mais argumentent chaque assertion et illustrent par des documents consultables chaque point de leur démonstration. L’érudition est au rendez-vous, comme les sciences psychologique et sociologique, les saines intuitions, et la documentation historique, n’en déplaisent aux persifleurs maçons infiltrés au sein de la mouvance nationaliste. Pourtant, il suffit pour appréhender la queue visible de la Conspiration de se référer aux déclarations multiples de membres des plus grosses familles cosmopolites mondiales. Comme celle-ci de David Rockfeller dictée doctement en 1991 à quelques journalistes aux ordres : « Nous sommes reconnaissants au Washington Post, au New-York Times, Time Magazine et d’autres grandes publications dont les directeurs ont assisté à nos réunions et respecté leurs promesses de discrétion depuis presque 40 ans. Il nous aurait été impossible de développer nos plans pour le monde si nous avions été assujettis à l’exposition publique durant toutes ces années. Mais le monde est maintenant plus sophistiqué et préparé à entrer dans un gouvernement mondial. La souveraineté supranationale d’une élite intellectuelle et de banquiers mondiaux est assurément préférable à l’autodétermination nationale pratiquée dans les siècles passés. » Le Complot s’établit étape après étape en fonction de la vitesse de désagrégation de l’esprit critique des populations occidentales. Nier cela relève d’une incroyable stupidité ou d’une profonde malveillance. D’autant plus que ces sorties mondialistes sont nombreuses et parfois, comme ici, sont des déclarations de membre de l’une des 13 familles « sataniques » qui sont depuis des décennies, voire des siècles, en relation étroite les unes avec les autres. Tout cela apparaîtrait peut-être farfelu si les prévisions, les « prophéties », les prédictions de tous ceux que nos auteurs néerlandais désignent comme étant des Illuminati, ne devenaient systématiquement choses réelles. Les familles incriminées sont toutes mises en exergue dans Le Livre Jaune. Leur enrichissement expliqué, leur réseau économique, politique et religieux mis en lumière. Avouons que l’on apprend beaucoup de choses à sa lecture !

    Certains sujets agitant les gouvernements de toutes les nations (peut-on cependant encore parler de nations dignes de ce nom ?) industrialisées ont directement été introduits sur la scène politique mondiale par un Rothschild, un Russell, un Dupont, un Rockefeller, un Warburg, un Collins. En 1987, Edmund de Rothschild balançait pour la première fois lors du Quatrième Congrès Mondial sur les Milieux Sauvages l’idée saugrenue que le CO₂ était la cause d’un réchauffement mondial créé par l’homme. Et l’on remarquera, a posteriori s’il le faut, que toutes ces familles diaboliquement riches n’interviennent que lors de congrès mondiaux pour affirmer des solutions mondiales à des problèmes « évidemment » mondiaux… La solution est toujours mondiale puisque le problème est toujours mondial… Enfin sont mondiaux les « problèmes » choisis par l’Engeance ! Elle n’est pas bête la Bête ! La pollution est mondiale (quid des pollutions locales qui tuent des dizaines de milliers de personnes chaque année ?), la démographie est mondiale, le réchauffement est mondial, le sida est mondial, l’homosexualité est un phénomène mondial, les droits de l’homme doivent concerner le monde entier comme la démocratie, la tolérance, la liberté, l’éducation des petites filles, la chirurgie esthétique et tant de sujets que choisit en fonction de son agenda l’Engeance qui nous gouverne.

    Des acteurs hétéroclites mais…
    Si la plupart des Illuminati (car il s’agit bien ici d’un traitement des agissements de cette secte hyperpuissante à travers le monde) provient originellement d’Europe occidentale, nombre d’entre eux sont étrangement issus du Proche Orient, et émanent en particulier du peuple bigarré des Khazars et de cette population néo-juive assoiffée de conquête et disposée culturellement à imposer ses délires politico-ésotériques sur le reste du monde. Mais nous trouvons encore d’autres Illuminati à travers la planète. En Chine en particulier où la famille Li jouit d’une grande tradition en Chine… Pour les auteurs du Livre Jaune qui avancent les arguments, circonstanciés et explicités limpidement, « il ne fait aucun doute que la Chine communiste fait partie du complot pour le Nouvel Ordre Mondial, qu’elle collabore avec le système des Illuminati. »

    Des méthodes radicales !
    Robin de Ruiter et Fritz Springmeier s’intéressent également de près aux moyens utilisés par l’Engeance mondiale et mondialiste dans sa conquête effrénée du monde. Ils évoquent à ce propos le projet Monarque qui consiste, aujourd’hui plus que jamais, à contrôler un nombre défini de cerveaux (par le truchement de la torture, du viol, de l’éducation intégrale de petits nourrissons jusqu’à leur âge adulte…) qui sont autant d’armes télécommandées à distance qui meuvent les terroristes et les forcenés d’aujourd’hui et de demain. Il est toujours utile d’activer quand le besoin s’en fait sentir pour ces familles proprement lucifériennes de pauvres fous qui vont s’en aller abattre telle ou telle personnalité gênante, trop gênante. Nous étions sincèrement un peu sceptiques avant d’entreprendre la lecture des chapitres concernant ce thème. Mais encore une fois, il faut avouer que les descriptions et les documents avancés par nos chercheurs chamboulent quelque peu certaines idées reçues. Bref, ce numéro 7 doit être lu par tout nationaliste curieux. Car même si le lecteur sceptique de nature, insensible à la réalité du complot, balaie d’un revers de main les conjectures de nos audacieux auteurs, il ne pourra dénier l’énorme travail de ces derniers, et la mise en exergue de tous ces indices démontrant malgré tout l’effroyable « légèreté » de nos funestes dirigeants. Un ouvrage indispensable.
    François-Xavier Rochette.
    Livre Jaune Numéro 7, les 13 lignées sataniques, la cause de la misère et du mal sur Terre, Mayra Publications, commande à La Librairie Française (sur Internet), 318 pages, 30 euros (4 euros de port).

  • Dépasser les mythes économiques

    bairoch-dddd7.jpgLes idées reçues contemporaines sont le fléau quotidien de tout chercheur de vérité. Combattre le lieu commun constitue un exercice délicat tant les cerveaux humains sont aujourd’hui, mais cela ne date pas d’hier, contaminés par l’opium de l’oligarchie dirigeante. Paul Bairoch, dans son livre Mythes et paradoxes de l’histoire économique, fait l’exégèse des lieux communs en matière d’histoire économique.

    Selon lui, «  l’histoire économique est un sourd qui répond à des questions que nul économiste ne lui a jamais posées  ». Son premier objet d’étude est la crise économique de 1929. Selon la légende, elle serait due essentiellement à la montée du protectionnisme. Or, en 1928, la France a abaissé sensiblement ses tarifs douaniers. En outre, l’Europe et le Japon ont connu de 1920 à 1929 la plus forte croissance économique depuis cent trente ans, ce qui contredit l’idée selon laquelle les économies occidentales étaient dans un état catastrophique avant la crise.

    Pour autant, les années trente furent plus prospères en Grande-Bretagne et en Allemagne que les années vingt. De 1934 à 1938, en raison de la politique de réarmement, le chômage allemand fut divisé par trois. Cependant, l’auteur relativise largement les performances des économies fascistes avant la guerre. De même, avant les guerres de 1914 et de 1870, les résultats économiques furent excellents.

    L’auteur s’évertue à démontrer que le protectionnisme n’est pas un mal ou un quelconque projet de haine de l’autre. Toutes les politiques industrielles, à l’exception de celle du Royaume-Uni, se sont développées grâce à un haut taux de barrières tarifaires afin de se mettre à l’abri de la concurrence étrangère. À la fin du XIXème siècle, les Anglais se sont mis eux-aussi à augmenter les barrières douanières.

    Les États-Unis, la Chine et le Japon n’échappent pas à cette règle. En 1914, les droits de douane étaient chez l’oncle Sam quatre fois supérieurs à ceux de la perfide Albion. Les Britanniques ont profité du libéralisme car ils avaient une avance technologique importante. Dans le reste des pays, l’abaissement des barrières tarifaires s’est systématiquement soldé par un ralentissement de l’activité économique.

    Paul Bairoch s’intéresse aussi aux relations avec les pays du tiers monde. À la question de savoir si les matières premières du tiers monde ont été indispensables à l’industrialisation des pays occidentaux, il répond par la négative. À la veille de la Première Guerre mondiale, les pays européens étaient en suffisance énergétique. Le solde est devenu négatif à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce qui explique largement les guerres impérialistes des Américains et de leurs toutous de l’OTAN. Les matières premières ne représentaient qu’un quart des exportations des pays du tiers monde.

    Les débouchés coloniaux jouèrent-ils un rôle important dans le développement des industries occidentales  ? Là encore, Bairoch montre que les pays non ou peu colonialistes comme l’Allemagne, les États-Unis, la Suède, la Suisse, la Belgique ont eu une croissance plus rapide que les pays colonialistes comme la Grande-Bretagne ou la France. «  Si l’Occident n’a guère gagné au colonialisme, cela ne signifie pas que le tiers monde n’y ait pas beaucoup perdu.   »

    L’auteur ose même s’attaquer au lieu commun voulant que seul l’Occident fût un grand colonisateur. Les Égyptiens, les Perses, les Romains, les Arabes et les Ottomans participèrent aussi à ce phénomène. Le trafic d’esclaves dans le monde musulman a duré plus longtemps et a touché un plus grand nombre d’esclaves, dont il reste peu de descendants car beaucoup étaient castrés. La problématique de la forte participation de la communauté juive au trafic d’esclaves occidental n’est pas traitée car elle n’a aucun rapport avec la question posée.

    Contrairement au mythe répandu, c’est bien la croissance économique qui est à l’origine du commerce et non l’inverse. Les pays du tiers monde exportent énormément mais n’ont quasiment pas de croissance.

    Paul Bairoch termine son livre en enfonçant une porte ouverte, mais l’évidence suivante mérite tout de même d’être rappelée  : une politique de libre-échange absolu ou un protectionnisme absolu n’a évidemment aucun sens. Pourtant, les partisans du libre-échange vivent sur un modèle idéalisé et fantasmé où la « main invisible » réglerait tout. C’est pourquoi toute idée protectionniste est taxée par eux d’isolationnisme. Ceux qui réclament l’intervention de l’État quand leur arrogance et leurs multiples erreurs ont abouti à la catastrophe n’ont aucune leçon à donner. Comme l’écrit Léon Bloy, dans son Exégèse des lieux communs : «  Le bonheur des uns ne fait pas le bonheur des autres.  »

    http://www.egaliteetreconciliation.fr