Haut fonctionnaire, intellectuel et homme politique français, Jean-Yves Le Gallou a fondé en 2003 la Fondation Polémia, très présente sur Internet. Au lendemain d'un colloque sur le coût de l'immigration auquel il a participé, nous l'avons notamment interrogé sur la liberté d'expression et les libertés politiques, sujets qui sont au coeur de son combat.
❏ L'Action Française 2000 – Pouvez- vous présenter la fondation Polémia à nos lecteurs qui ne la connaîtraient pas encore ?
❏ Jean-Yves Le Gallou – Polémia, c'est d'abord un cercle de pensée dissidente à l'opposé du système oligarchique dominant. Son rôle est d'être un incubateur d'idées nouvelles et un brise-glace idéologique du politiquement correct.
Polémia c'est également une encyclopédie numérique politiquement incorrecte. Les 4 500 textes mis en ligne sont rigoureusement sourcés et référencés. Polémia est une source précieuse de réflexion et de documentation que son moteur de recherche rend facilement accessible. Polémia, c'est aussi un site phare de la réinfosphère. Polémia contribue à faire entendre les points de vue de tous ceux qui sont attachés aux libertés, à l'identité et à la souveraineté, ce sont les valeurs du "LIS", ou du Lys si vous préférez. Polémia, c'est enfin un centre de décryptage des médias.
Les médias ne sont pas un contrepouvoir, ils sont le pouvoir. Le pouvoir sur les esprits. Polémia a consacré plusieurs publications à l'analyse des phénomènes médiatiques : La Tyrannie médiatique, le Dictionnaire de Novlangue, le Dictionnaire de la réinformation - 500 mots pour la dissidence et Les Médias en servitude. Polémia s'apprête à lancer l'Observatoire des journalistes et des médias pour placer sous le projecteur de la critique ceux qui fabriquent l'opinion. Polémia organise aussi chaque année une journée d'étude de la réinformation et la cérémonie - parodique - des Bobards d'or distingue les "meilleurs des journalistes", ceux qui n'hésitent pas à bobarder, c'est-à-dire à mentir délibérément pour servir le politiquement correct.
❏ L'immigration est, à vos yeux, un des enjeux majeurs de la décennie à venir. D'abord sur le plan économique bien sûr...
❏ En terme d'emploi, l'immigration est une absurdité dans un pays qui compte 10 % de chômeurs à temps plein (et 15 % à temps plein ou partiel). Un pays où le chômage des étrangers hors Union européenne est trois fois supérieur au taux moyen. Un pays où le taux de chômage des enfants d'immigrés (de quinze à vingt-quatre ans toujours hors Union européenne ) dépasse 35 %. Mais il est vrai que l'immigration est voulue par le Medef pour peser à la baisse sur le niveau des salaires. L'immigration joue ici le même rôle que les délocalisations ; l'immigration c'est la délocalisation à domicile dans le cadre d'un monde sans frontières 1.
En termes budgétaires, l'immigration est aussi une folie dans un pays surendetté. Yves-Marie Laulan, de l'Institut de géopolitique des populations, a chiffré le coût de l'immigration présente actuellement en France à 72 milliards d'euros. Il faut y ajouter le coût des investissements nécessaires pour accueillir les 200 000 étrangers qui entrent chaque année : 15 milliards pour construire les logements, les transports, les places d'école, d'université, d'hôpital et de prison. En tout, près de 100 milliards, l'équivalent du déficit public 2.
❏ Mais peut-être l'immigration constitue-t-elle un enjeu plus grave encore sur le plan de la cohésion sociale et celui de l'identité nationale. Considérez-vous que nous sommes à un tournant en la matière ?
❏ Vous avez raison, « l'économie n'est pas le destin ». Et l'immigration de masse que nous subissons pose un problème crucial en termes d'identité nationale. Certes, quelques individualités parviennent à s'assimiler, mais, globalement, l'intégration est un échec. Chaque année, le gouvernement donne la nationalité française à plus de 100 000 personnes. Malheureusement, beaucoup de ces Français administratifs ne sont pas des Français par la culture, par la civilisation, par le sentiment. C'est de la fausse monnaie nationale. Et des pans entiers du territoire se transforment par l'islamisation ou l'africanisation. Nous sommes en train d'importer le choc des civilisations en France.
❏ Plutôt que d'une islamisation rampante de la société, ne conviendrait-il pas de parler d'une communautarisation ?
❏ Bien sûr, il y a communautarisation quand le gouvernement et les médias déroulent le tapis rouge aux organisations communautaristes telles que le Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), le Cran (Conseil représentatif des associations noires) et le CFCM (Conseil français du culte musulman).
Mais au-delà, il y une islamisation de la société, c’est-à-dire que la minorité musulmane (un peu moins de 10 % de la population) impose progressivement ses règles de vie à tout le monde : là où le voile islamique s'impose, la vie devient de plus en plus difficile pour les jeunes femmes qui ne le portent pas. Que les musulmans mangent halal (ou les israélites casher), c'est une chose. Que l'ensemble des Français se voient imposer ces pratiques, c'en est une autre. Et pourtant, aujourd'hui en France, 60 % des moutons et 30 % des bovins sont abattus selon les pratiques rituelles orientales. De même, il est anormal de financer des mosquées avec l'argent des contribuables et d'accorder des dérogations aux règles d'urbanisme pour permettre l'édification de minarets. Le pire est que, dans les écoles, la transmission de la mémoire française soit abandonnée pour complaire aux nouveaux arrivants.
❏ Un autre de vos combats est celui pour les libertés. Vous avez, dans un récent éditorial, souligné les dérives en la matière : Lopsi, Acta, persécutions policières et judiciaires contre ceux qui refusent le politiquement correct, censure à la télévision, sans oublier ces lois « scélérates » (dixit Anne Le Pourhiet) que sont, notamment, les lois communautaristes, mémorielles ou antidiscriminatoires adoptées successivement en France depuis 1972. Les historiens y sont de plus en plus opposés, mais le pays légal dans son ensemble est favorable à ces lois liberticides. Quel combat mener ? Comment ? Quel espoir avoir en la matière ?
❏ Cette formidable régression des libertés s'accompagne d'une régression civilisationnelle. À travers l'antiquité gréco-latine, la première Renaissance du XIIe et XIIe siècle, la grande Renaissance, la pensée européenne a toujours distingué deux ordres de vérité : les vérités religieuses, où le dogme s'impose comme article de foi ; les vérités scientifiques ou historiques, qui se déterminent par le libre débat. Dans ces domaines peut être dit vrai (ou faux) ce qui est librement réfutable. Philosophiquement, un fait, une opinion, un point de vue, une analyse qui ne peut être librement réfuté ne peut être dit ni vrai, ni faux (sauf dans l'ordre religieux). Ainsi les lois mémorielles transforment-elles des événements historiques en dogmes religieux. C'est une formidable régression. En retirant des pans entiers d'histoire au libre examen, les lois mémorielles (Gayssot, Taubira ou Boyer 3) ne sont pas seulement des atteintes à la liberté d'expression, ce sont aussi des fautes contre l'esprit. Que faire ? Ne pas se laisser intimider ; résister ; ne pas se laisser imposer l'historiquement correct ; ne pas "plier" ; continuer à réclamer l'abolition des lois scélérates. Grâce à internet, c'est possible.
❏ Vous avez enfin évoqué la tentative de truquage de l'élection présidentielle, visant à empêcher Marine Le Pen de se présenter. Que pensez-vous de la décision du Conseil constitutionnel sur la publicité des signatures des maires ?
❏ Il y a effectivement la volonté d'imposer une élection présidentielle croupion, comme il y a des parlements croupions. Un certains nombres de candidats ont déjà été sortis du jeu : Boutin, Nihous, Morin ou Lepage. Qu'on soit d'accord ou non avec eux, c'est regrettable. La tentation existe aussi d'éliminer Marine Le Pen, mais ce sera évidemment plus difficile. Mais déjà les médias manipulent l'opinion : sans attendre le premier tour, ils scénarisent le "duel" du deuxième tour qu'ils programment entre Hollande et Sarkozy, qui sont d'accord sur l'essentiel et feignent de s'opposer sur l'accessoire. Le parrainage des candidats à l'élection présidentielle par les maires a fait son temps. Mais le sujet le plus grave reste la tyrannie médiatique.
Propos recueillis par François Marcilhac L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 1er au 14 mars 2012
1 - « Immigration : l'illusion de l'intégration » ; http://www.polemia.com/article.php?id=1730
2 - Synthèse des travaux du colloque "Peut-on raisonnablement calculer le coût de l'immigration ?" ; http://www.polemia.com/article.php?id=4596
3 - « Loi sur le génocide arménien : une régression civilisationnelle »
culture et histoire - Page 1932
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JEAN-YVES LE GALLOU Libertés et civilisation en régression
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30 janvier 1972, le Dimanche Sanglant - Domhnach na Fola - Bloody Sunday
Parce que nous nous souvenons...Mar gheall ar cuimhin linn ...
Parce qu'au sein de l'Europe était un pays en situation "d'apartheid" environné de barbelés. Que nos frères catholiques vivaient sous l'oppression protestante, descendante des planteurs anglais et écossais, unioniste ou loyaliste.- "En Irlande du Nord, le droit de vote aux élections locales était limité aux propriétaires (qui bénéficiaient en outre d'un deuxième droit de vote s'ils possédaient une seconde maison autre que leur résidence) et aux locataires-bailleurs d'une habitation (tenants) et à leurs épouses, excluant donc les locataires de meublés (lodgers) ainsi que les enfants adultes vivant sous le toit parental. En 1961, plus du quart des électeurs qualifiés pour voter aux élections à la Chambre des communes étaient privés du droit de vote aux élections locales et régionales. L'abolition de cette discrimination en matière de droit de vote était une des revendications du Northern Ireland Civil Rights Association qui organisa des manifestations pour les droits civiques en 1968-1969, qui marquèrent le début de la guerre civile en Irlande du Nord. La législation nord-irlandaise sur le droit de vote aux élections locales fut par la suite alignée sur celle déjà en vigueur dans les autres parties du Royaume-Uni, et les premières élections locales au suffrage universel eurent lieu en mai 1973.
- Le chômage, jusqu'au Fair Employment Act de 1976 et 1989, touche plus durement la population catholique, parfois au double de la population protestante. La majorité des gros employeurs étant protestants, il existe une forte discrimination à l'embauche
- La distribution des logements sociaux étant confiée aux conseils locaux, la population protestante en profite plus La Royal Ulster Constabulary devait à l'origine être composé d'un tiers de catholiques, elle n'en contient que 10 %. L'Ulster Special Constabulary, force supplétive plus lourdement armée, est composée de 100 % de protestants. La police, en collusion avec des groupes paramilitaires loyalistes pendant le conflit nord-irlandais, multiplie les violences contre les catholiques.
- Cause principale du conflit nord-irlandais, la discrimination subit par les catholiques nord-irlandais provoque un exode de population. Entre 1937 et 1961, 90 000 catholiques émigrent. Un mouvement pour les droits civiques se lance au milieu des années 1960... Vingt-six manifestants et passants pacifistes des droits civils ont été pris pour cible par des soldats de l'armée britannique. 13 hommes, dont sept adolescents, sont morts immédiatement et un autre homme est décédé quatre mois et demi plus tard, à la suite des blessures reçues ce jour-là. Deux manifestants ont également été blessés quand ils ont été écrasés par les véhicules militaires. Cinq de ces blessés ont été touchés dans le dos. Le drame est survenu au cours de la marche de l'Association nord-irlandaise pour les droits civiques ; les soldats impliqués étaient du 1er Bataillon du Régiment de Parachutistes du Royaume-Uni."(Wikipédia)
Parce que nous Français n'oublions pas nos frères Irlandais, les "Oies Sauvages" qui participèrent à notre histoire.
- Parce que nous n'oublions pas que nous leur devons la grande victoire de Louis XV à Fontenoy.
- Que les Irlandais arrivés en masse sous Louis XIV, fondèrent la célèbre "Brigade Irlandaise" des Rois de France (dont nous avons reproduit les drapeaux en vente sur notre boutique et qui participent aux rassemblements des Camelots et Volontaires du Roi du GAR)
- Parce que les Irlandais seront toujours les premiers volontaires à partir en Amérique durant la guerre de Sept ans (1754-1761) et lors de la guerre d'indépendance sous Louis XVI, pour servir la France aux ordres du Roi contre les anglais.
- Parce que nous Français nous souvenons que de nombreux irlandais rejoindront l’armée des Princes, par fidélité au Roi et pour fuir les persécutions de la Révolution.
- Que le colonel Lord Rice, tenta même de sauver la reine.
- Le comte Arthur de Dillon, héros de la guerre d’indépendance américaine, mourra sur l’échafaud en avril 1794.
- C’est à un irlandais, l’abbé Edgeworth de Firmont, que revient l’honneur d’accompagner le roi Louis XVI à la mort en prononçant ces mots : « Fils de Saint Louis, montez au Ciel ! »
- Qu'une Irlandaise était à la tête de l'armée de Charette...Cette fidélité se retrouvera plus tard, lors de la première IRA durant un voyage du Comte de Chambord, où de nombreux irlandais avec le leader indépendantiste Daniel O’Connell (député puis lord-maire,Dublin 1841) proposèrent au Prince : « Une brigade irlandaise au service d’Henri V pour reconquérir le trône de ses aïeux »
Fuarthas an fidelity níos déanaí, nuair a bheidh an IRA chéad uair le linn turas Comte de Chambord, áit go leor Gaeilge le separatist ceannaire Dónall Ó Conaill (MP agus Ard-Mhéara, Baile Átha Cliath 1841) a bheartaítear an Prionsa: "An Briogáid Éireannach seirbhís Henry V agus faigh ar ais an ríchathaoir a sinsear "
Parce que nous n'oublions pas, nous sommes les fils de la mémoire...
Toisc nach bhfuil muid dearmad, táimid ag an mac an chuimhne ...
Tiocfaidh àr là - Notre Jour Viendra
SEMPER et UBIQUE FIDELIS -Frédéric Winkler http://www.actionroyaliste.com
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Guy Steinbach et le 6 février 1934 :
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Le complexe d’Orphée (Jean-Claude Michéa)
« « Déracinés de tous les pays, unissez-vous sous l’égide du marché mondial ! » ; tel pourrait donc être, en somme, le nouveau mot d’ordre de la gauche libérale. »
Le lecteur du nouvel essai de Michéa ne sera guère surpris. Le thème central en est à peu près toujours le même : démontage en règle du libéralisme, critique de la Gauche d’un point de vue authentiquement socialiste (donc réactionnaire), défense des gens ordinaires. Aucune surprise donc, mais seulement a priori, car en repartant d’Orwell anarchiste tory en 1995 jusqu’à son dernier bouquin intitulé La double pensée en 2008, on comprend tout de suite l’intérêt de ce nouvel opuscule.
Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un degré supplémentaire – et à mon avis son plus complet – dans la somme qu’il constitue depuis plus de quinze ans. Sociologie, histoire, philosophie, anthropologie, toutes les disciplines sont ici convoquées dans un substantiel bouillon de culture.
Au regard des sociétés humaines, du quotidien des gens ordinaires et de la socialité propre à chaque civilisation, une certitude apparaît : le mythe progressiste et libéral (pléonasme) est une aberration. Chacun en rirait s’il ne provoquait toutefois tant de souffrances et ne menaçait pas de toujours plus tout emporter sur son passage. Michéa s’inscrit en faux [contre] cette théologie.
Comme Maurras en son temps – mais sans être réactionnaire contre-révolutionnaire – il invite néanmoins à revenir sur nos pas pour corriger urgemment les ravages des malades du complexe d’Orphée : ceux qui par peur de perdre Eurydice se doivent de ne jamais regarder en arrière, vers un passé sombre, nauséabond et intrinsèquement fasciste, cela va de soi.
Seront ici privilégiés les éléments nouveaux de la réflexion de Michéa, bien que sa manière de démontrer l’alliance objective entre « sociologues de gauche et économistes de droite » soit toujours aussi brillante, tout comme la corrélation entre l’extrême-gauche libérale et le MEDEF (Schweitzer, ancien directeur de la HALDE, est président du MEDEF international et membre éminent du Siècle, apprend-on ; quant à Cordier et Hessel l’indigné citoyen sans-frontières, ils ont fourni avec leur club Jean Moulin plusieurs cadres à la Trilatérale) et la mise au pilori de la bêtise et de l’incompétence du « néo-journalisme ».
Historiquement, la Gauche n’est pas le socialisme. Le terme de Gauche désignait au contraire depuis le début du 19ème siècle le parti du Mouvement et du Progrès, inspiré par les Lumières. Fatalement, leurs adversaires tombaient sous la dénomination de Droite, laquelle était encore au 19ème siècle partisane de la Restauration. Le socialisme ouvrier, mouvement indépendant, entendait rester une force de troisième voie.
Ce n’est qu’avec l’affaire Dreyfus que notre « géométrie électorale » s’est polarisée de manière bipartite (1), lorsque les socialistes décidèrent de faire alliance avec la Gauche pour défendre le « front républicain ». A partir de là, le socialisme fut à tort assimilé au progressisme. Ce, malgré les dernières tentatives ouvrières pour rester autonomes : le syndicalisme révolutionnaire et la charte d’Amiens.
Les deux modèles civilisationnels, Socialisme et Gauche, sont profondément antinomiques. La Gauche entend édifier une société nouvelle, construite sur la ruine des enracinements et de l’expérience sensible, et fait l’apologie du bougisme (Michéa parle de gauche kérosène, « celle pour qui le déplacement perpétuel est devenu une fin en soi »). Le croyant de gauche récuse l’idée que les choses pouvaient être mieux avant, ce qui mène aujourd’hui à un véritable double bind : les « socialistes » critiquent la dégradation de la vie des classes populaires, mais refusent tout de même de reconnaître que les choses étaient mieux avant, sous peine d’hérésie au dogme.
Le progressisme est une Réaction inversée, adepte du « ce sera mieux demain » perpétuel, aidé par la surenchère mimétique des crétins de l’extrême-gauche. Rien ne saurait donc faire obstacle aux droits de l’homme, toute critique est perçue comme une discrimination. Michéa nous offre ici l’exemple récent de l’affaire Zemmour (voir annexe de la présente fiche [de lecture]) et des arguments illogiques au possible du système et de ses accusations de crime-pensée. La seule discrimination que tolère cependant le système reste bien entendu la discrimination de classe, que l’écart jusqu’alors jamais vu entre salaires vient confirmer tous les jours.
Résumé d’un mot, la défense du peuple est le populisme. L’antipopulisme de la Gauche est donc une démophobie. Michéa en conclut donc logiquement, par ce qu’il nomme le « théorème d’Orwell », que « quand l’extrême-droite progresse chez les gens ordinaires (classes moyennes incluses), c’est d’abord sur elle-même que la gauche devrait s’interroger. »
Car en fin de compte, quelles sont les valeurs propres aux gens ordinaires ? Pas que d’aujourd’hui, mais dans les diverses civilisations et à travers les âges ? La continuité historique, l’enracinement et la filiation. Bref, l’identité, ce minimum de valeurs partagées qui permettent d’établir les bases d’une société décente autour d’un fait social total qui fasse sens pour la collectivité. C’est-à-dire qu’une base anthropologique viable ne saurait passer outre certains éléments conservateurs, dont la permanence doit être assurée et reproduite sous peine de chaos.
La famille, l’effort physique comme « clé ultime de tout perfectionnement individuel et de toute estime de soi », l’attachement à une éthique défiant le pur technicisme du pragmatique contemporain, telles sont les valeurs indépassables d’une société qui entend jeter des bases saines et fécondes pour sa reproduction. Michéa reste toutefois lucide, et c’est pour cela qu’il parle de la décence comme base de départ. Une conscience morale et la bonne volonté des gens ordinaires ne suffit pas à faire fonctionner une société décente, il faut y adjoindre des connaissances techniques.
Politiquement, que choisir ? Le socialisme ouvrier est-il souhaitable ? Une fois de plus, Orwell représente pour Michéa une piste de réflexion privilégiée. On le sait, l’Anglais aimait provoquer en se qualifiant d’anarchiste tory (anarchiste conservateur) – un anarchisme par-delà droite et gauche, quand on le lit. Il serait une alternative face à « l’anarchisme de pouvoir » (le sadisme) dont parle Pasolini et que reprend Michéa. Cet anarchisme tory ne représente cependant pas de contenu distinct, mais peut proposer des éléments viables.
L’anarchisme suppose ici de mettre fin à la domination de classe, et non l’avènement d’une société sans classes. (2) La dimension conservatrice implique de ne pas confondre émancipation (socialisme ouvrier) et omni-modernisation (la Gauche) : savoir garder ce qui convient, tout en faisant preuve d’esprit critique sur les évolutions présentées comme des avancées. De plus, toute critique du capitalisme se doit de comporter des éléments conservateurs, qui seuls protègent les fondements de la vie en commun. Une fois de plus, il faut en revenir à l’originarité du cycle de don / contre-don, au fondement des sociétés humaines et qui suppose de savoir se fixer des limites.
L’individu socialisé doit donc devenir un sujet mature et apte à vivre de manière décente parmi ses semblables, loin de la soif de pouvoir de l’enfant gâté jouisseur et transgresseur : « C’est d’abord cette forme d’équilibre intuitif entre le « solitaire » et le « solidaire » qui constitue la marque la moins discutable d’un « anarchisme tory ». » Partant, ce que Michéa qualifie de moment « conservateur » de toute théorie radicale requiert de « restaurer des équilibres écologiques compromis par la « croissance » [...] préserver les conditions morales, culturelles et anthropologiques d’un monde décent. » En premier lieu, restaurer les face à face contre les « réseaux sociaux » virtuels à la Facebook et Twitter.
Il convient pour cela de mettre fin au règne de l’économie de marché et à l’impératif de croissance – et ses indicateurs bidon comme le PIB ou l’IDH. Mais une société socialiste n’est pas une société collectiviste. Le secteur privé doit rester présent et la logique marchande un tant soit peu conservée. Si les besoins et les désirs des individus étaient collectivisés, un des fondements de la vie privée serait aboli, et le terrain propice au totalitarisme. Une société socialiste se doit donc de conserver un secteur privé, mais il faudra toutefois que celui-ci ne s’érige pas en marché comme c’est maintenant le cas.
L’économie doit être « réenchassée » dans un tissu de relations, pour reprendre Polanyi qui reste une référence fréquente de Michéa – renouer ainsi avec l’éthique des sociétés traditionnelles. En pratique, deux pistes nous sont ici proposées, avec 1) une partie des revenus réinjectée dans les « circuits courts » pour favoriser l’économie de proximité, qui favorise le tissu social, de par ce caractère justement de proximité et 2) nationalement ou internationalement, la mise en place de la « monnaie fondante » proposée par Silvio Gesell : « Sous ce nom, Gesell désignait une « monnaie socialiste » dont la valeur « fondait » progressivement avec le temps lorsqu’elle n’avait été ni dépensée pour couvrir les besoins quotidiens des individus ni épargnée dans le but de parer aux aléas inévitables de la vie. »
Comme Alain de Benoist, loin du centralisme destructeur jacobin, Michéa précise toutefois qu’une société socialiste est plurielle. Ainsi, une communauté locale pourra si elle le décide refuser le système de l’échange marchand.
L’enracinement est nécessaire pour trois autres raisons. 1) Le principe de mobilité présente un risque énergétique majeur, 2) il entraîne une généralisation de l’emploi, interchangeable, au détriment du métier (3), savoir acquis par l’homme et qui lui confère une relative autonomie, 3) un tel monde monde serait « peu propice à l’exercice d’un pouvoir populaire. » Sans territorialisation, la démocratie communale deviendrait un concept vidé de sa substance car dénué d’expérience historique et culturelle partagée. Ceci encouragerait notamment la corruption, par l’absence de proximité avec ses compatriotes. Sans pour autant interdire les voyages, Michéa note qu’une société décente refusera l’obligation du nomadisme.
Pour lutter effectivement contre le marché mondial, la prise de conscience doit être internationale – au sens de la coopération entre nations, l’exact opposé du cosmopolitisme libéral-libertaire. Un socialisme international qui se respecte se doit de respecter à son tour les cultures enracinées, libérées de l’aliénation occidentale des droits de l’homme et de la fausse bonne conscience humanitaire. Des médiations doivent pour cela être créées afin que les peuples puissent s’appréhender dans leur universalité tout en restant fidèles à leurs culture et identité.
Pour paraphraser Michéa, il nous faut promouvoir un monde commun de la diversité des cultures enracinées, avec une coopération des peuples, contre un monde de l’uniformisation libérale par le règne bicéphale du marché et du droit.
Enfin, philosophiquement, une société décente « implique, entre autres, qu’on réhabilite les idées de lenteur, de simplicité volontaire, de fidélité à des lieux, des êtres ou des cultures et, avant tout, l’idée fondamentale selon laquelle il existe (contrairement au dogme libéral) un véritable art de vivre dont la convivialité, l’éducation du goût dans tous les domaines et le droit à la « paresse » (qui ne saurait être confondue avec la simple fainéantise) constituent des composantes fondamentales. »
On l’aura compris, Michéa a définitivement franchi le Rubicon et rejoint le camp de la Bête Immonde du populisme. Contrairement au think tank PS d’Olivier Ferrand, Terra Nova, Michéa entend encore défendre les gens ordinaires et les formes saines de la socialité, bases indépassables d’une société décente.
Et s’il nous rappelle qu’Orwell était considéré comme le « Chesterton de gauche », Michéa est quant à lui un « Imatz de gauche », tant la lecture – comparative et complémentaire – des deux sommes que sont Par-delà droite et gauche d’Arnaud Imatz et de ce Complexe d’Orphée s’avèrent indispensables pour construire une troisième voie digne de ce nom, celle des inter-nationalistes anti-mondialistes contre le totalitarisme mondialiste du marché global et de ses serviteurs liberticides, que ceux-ci se situent à l’une ou l’autre « des deux ailes du château libéral. »
Notes :
(1) Maurras faisait le même constat dès 1941, dans La seule France. Une entreprise qu’il nomma la « troisième révolution anglaise », faisant suite à 1789 et 1848.
(2) Michéa s’appuie très fréquemment sur Le Quai de Wigan de George Orwell, dont la lecture est recommandée afin de mieux cerner son socialisme et les reproches qu’il adressait déjà aux progressistes et professionnels de la révolution.
(3) Michéa opère la distinction suivante : le métier est le travail concret qui produit des valeurs utiles, tandis que l’emploi est le travail abstrait qui produit des valeurs d’échange.
Citations :
« Puisque tout essai se doit d’avoir un titre, j’ai donc choisi de désigner sous le nom de complexe d’Orphée ce faisceau de postures a priori et de commandements sacrificiels qui définit – depuis bientôt deux siècles – l’imaginaire de la gauche progressiste. Semblable au pauvre Orphée, l’homme de gauche est en effet condamné à gravir le sentier escarpé du « Progrès » (celui qui est censé nous éloigner, chaque jour un peu plus, du monde infernal de la tradition et de l’enracinement) sans jamais pouvoir s’autoriser ni le plus léger repos (un homme de gauche n’est jamais épicurien, quelles que soient ses nombreuses vantardises sur le sujet) ni le moindre regard en arrière. »
« C’est pourquoi il devait inévitablement venir un temps – et nous y sommes, de toute évidence, arrivés – où, derrière la conviction autrefois émancipatrice qu’on n’arrête pas le progrès, il deviendrait de plus en plus difficile d’entendre autre chose que l’idée, à présent dominante, selon laquelle on n’arrête pas le capitalisme et la mondialisation. Car tel est bien, en vérité, le lourd tribut à payer (dont l’abandon par la gauche moderne de toute critique socialiste du mode de vie capitaliste ne représente qu’un effet secondaire) pour tous ceux dont le « complexe d’Orphée » continue à organiser – consciemment ou non – la compréhension de l’histoire et de la politique. Que ce soit en raison de leur appartenance sociale (les nouvelles élites mobiles du marché global) ou de leur rapport psychologique personnel à l’univers familial et à l’idée de filiation. C’est donc d’ici qu’il va falloir repartir si nous tenons encore à vivre dans un autre monde que celui qui advient. »
« Aux yeux de l’intellectuel de gauche contemporain, il va nécessairement de soi que le respect du passé, la défense de particularismes culturels et le sens des limites ne sont que les trois têtes, également monstrueuses, de la même hydre réactionnaire. »
« La religion du progrès épargne, par définition, à ses nombreux fidèles ce que Tocqueville appelait le « trouble de penser ». Devant n’importe quel « problème de société » – déjà présent ou bientôt à nos portes (comme, par exemple, la légalisation de l’inceste ou l’abolition de toutes les formes de « discrimination » entre l’homme et l’animal) –, un esprit progressiste n’est, en effet, jamais tenu par les contraintes de la réflexion philosophique. Il lui suffit de répondre – avec l’aplomb caractéristique de ceux qui savent qu’ils naviguent dans le sens de l’histoire – que de toute façon la discussion n’a pas lieu d’être puisqu’un jour viendra inévitablement où l’humanité rira (c’est la formule habituellement employée par les progressistes lors des débats télévisés) de ce que l’on ait pu s’opposer à une évolution du droit aussi naturelle et évidente. Dans une société progressiste intégralement développée, la philosophie n’aurait donc plus la moindre place (ou alors seulement en tant que théorie de la « déconstruction » perpétuelle des préjugés « conservateurs » et des idées « nauséabondes »).
Annexe :
L’« affaire » Zemmour (pp.204-208)
« Lorsque le développement logique du libéralisme atteint le point où toute expression publique d’un jugement personnel ferme et précis (et l’existence des « nouvelles technologies » – à l’image du téléphone portable – permet aujourd’hui de rendre publique n’importe quelle conversation privée ou off) commence à être perçue comme une volonté perverse de nuire à tous ceux qui sont d’un avis différent, la société entre alors dans ce que j’ai appelé la « guerre de tous contre tous par avocats interposés ».
Les effets de cette guerre juridique moderne (qui, ne nous leurrons pas, n’en est encore qu’à ses débuts) apparaissent d’autant plus inquiétants que ceux qui se sont arbitrairement institués en gardiens officiels du temple libéral (mais le nom de policiers de la pensée leur conviendrait mieux) semblent à présent tenir la logique (et, avec elle, le vieux principe de contradiction) pour une fantaisie purement privée qui ne saurait, à aucun titre, peser le moindre poids dans un débat public (on reconnaît là l’une des conséquences extrêmes de cette curieuse épistémologie postmoderne pour laquelle la science elle-même ne serait, en fin de compte, qu’une simple « construction sociale » arbitraire).
De ce point de vue, la récente « affaire » Éric Zemmour est assurément emblématique. Ce journaliste (l’un des rares représentants du « néoconservatisme » à la française autorisé à officier sur la scène médiatique) ayant, en effet, déclaré, lors d’un débat télévisé, que les citoyens français originaires d’Afrique noire et du Maghreb étaient massivement surreprésentés dans l’univers de la délinquance (et notamment dans celui du trafic de drogue), la police de la pensée s’est aussitôt mobilisée pour exiger sa condamnation immédiate – voire, pour les plus intégristes, sa pure et simple interdiction professionnelle (Beruf verboten, disait-on naguère en Allemagne).
Je me garderai bien, ici, de me prononcer officiellement sur le bien-fondé de l’affirmation d’Éric Zemmour, et ce pour une raison dont l’évidence devrait sauter aux yeux de tous. Dans ce pays, l’absence de toute « statistique ethnique » (dont l’interdiction est paradoxalement soutenue par ces mêmes policiers de la pensée) rend, en effet, légalement impossible tout débat scientifique sur ces questions (un homme politique, un magistrat ou un sociologue qui prétendrait ainsi établir publiquement que l’affirmation de Zemmour est contraire aux faits – ou, à l’inverse, qu’elle exprime une vérité – ne pourrait le faire qu’en s’appuyant sur des documents illégaux).
Il n’est pas encore interdit, toutefois, d’essayer d’envisager toute cette étrange affaire sous l’angle de la pure logique (« en écartant tous les faits », comme disait Rousseau). Considérons, en effet, les deux propositions majeures qui structurent ordinairement le discours de la gauche sur ce sujet.
Première proposition : « la principale cause de la délinquance est le chômage – dont la misère sociale et les désordres familiaux ne sont qu’une conséquence indirecte » (comme on le sait, c’est précisément cette proposition – censée s’appuyer sur des études sociologiques scientifiques – qui autorise l’homme de gauche à considérer tout délinquant comme une victime de la crise économique – au même titre que toutes les autres – et donc à refuser logiquement toute politique dite « sécuritaire » ou « répressive »).
Seconde proposition : « les Français originaires d’Afrique noire et du Maghreb sont – du fait de l’existence d’un « racisme d’Etat » particulièrement odieux et impitoyable – les victimes privilégiées de l’exclusion scolaire et de la discrimination sur le marché du travail. C’est pourquoi ils sont infiniment plus exposés au chômage que les Français indigènes ou issus, par exemple, des différentes communautés asiatiques ». (Notons, au passage, que cette dénonciation des effets du « racisme d’Etat » soulève à nouveau le problème des statistiques ethniques mais, par respect pour le principe de charité de Donald Davidson, je laisserai de côté cette objection.)
Si, maintenant, nous demandons à n’importe quel élève de CM2 (du moins si ses instituteurs ont su rester sourds aux oukases pédagogiques de l’inspection libérale) de découvrir la seule conclusion logique qu’il est possible de tirer de ces deux propositions élémentaires, il est évident qu’il retrouvera spontanément l’affirmation qui a précisément valu à Zemmour d’être traîné en justice par les intégristes libéraux (« Le chômage est la principale cause de la délinquance. La communauté A est la principale victime du chômage. Donc, la communauté A est la plus exposée à sombrer dans la délinquance »).
Les choses sont donc parfaitement claires.
Ou bien la gauche a raison dans son analyse de la délinquance et du racisme d’État, mais nous devons alors admettre qu’Éric Zemmour n’a fait que reprendre publiquement ce qui devrait logiquement être le point de vue de cette dernière chaque fois qu’elle doit se prononcer sur la question.
Ou bien on estime que Zemmour a proféré une contrevérité abominable et qu’il doit être à la fois censuré et pénalement sanctionné (« pas de liberté pour les ennemis de la liberté » – pour reprendre la formule par laquelle Saint-Just légitimait l’usage quotidien de la guillotine), mais la logique voudrait cette fois (puisque ce sont justement les prémisses de « gauche » qui conduisent nécessairement à la conclusion de « droite ») que la police de la pensée exige simultanément la révocation immédiate de tous les universitaires chargés d’enseigner la sociologie politiquement correcte (ce qui reviendrait, un peu pour elle, à se tirer une balle dans le pied), ainsi que le licenciement de tous les travailleurs sociaux qui estimeraient encore que la misère sociale est la principale cause de la délinquance ou qu’il existerait un quelconque « racisme d’État » à l’endroit des Africains (au risque de découvrir l’une des bases militantes privilégiées de la pensée correcte).
Le fait qu’il ne se soit trouvé à peu près personne – aussi bien dans les rangs de la gauche que dans ceux des défenseurs de droite d’Éric Zemmour – pour relever ces entorses répétées à la logique la plus élémentaire en dit donc très long sur la misère intellectuelle de ces temps libéraux.
On en serait presque à regretter, en somme, la glorieuse époque de Staline et de Beria où chaque policier de la pensée disposait encore d’une formation intellectuelle minimale. Dans la long voyage idéologique qui conduit de l’ancienne Tcheka aux ligues de vertu « citoyennes » qui dominent à présent la scène politico-médiatique, il n’est pas sûr que, du point de vue de la stricte intelligence (ou même de celui de la simple moralité) le genre humain y ait vraiment beaucoup gagné. »
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La morale à géométrie variable
Il fut un temps où les Américains étaient assez réputés pour leur esprit inventif. Il est vrai que ce temps, point si lointain au regard de l'histoire, était celui où beaucoup d'entre eux n'étaient pas nés en Amérique et restaient, malgré leur désir d'assimilation à la nouvelle patrie, des Européens aux dents longues et à la hardiesse intellectuelle intacte. Le Dr Spock, M. Mac Donald, Mme Coca-Cola et l'institut Gallup ne les avaient pas encore passés à la moulinette.
Certes, les apports variaient selon les races et les cultures, mais si les Irlandais se bornaient à réinventer les pommes de terre et les Italiens la Cosa Nostra, les Ecossais industrieux et malins, les Allemands - juifs ou non - appliqués et tenaces, les Polonais et les Hongrois passant du brin de génie au délire éthylique apportaient à leur pays d'adoption des innovations techniques qui ne tardaient pas à faire le tour du monde.
Mais il est frappant de constater que ces innovations se limitaient, précisément aux plans technique et parfois scientifique. Elles ne se situaient jamais sur le plan des idées : où un pays qui se prenait déjà pour le premier du monde oscillait perpétuellement entre le vide total et la singerie hyperbolique. Je me souviens d'avoir, en ma lointaine et peu studieuse jeunesse, préparé un étrange diplôme sorbonnard qui s'intitulait pompeusement « certificat de civilisation américaine », ce que les bons esprits considéraient déjà comme une contradiction dans les termes - ce qu'on appelle un oxymoron dans les beaux quartiers. Pour mener à bien cette titanesque besogne, il suffisait de ce procurer contre une somme relativement modique un seul et unique volume, paru chez Gallimard, où l'on trouvait un résumé fidèle et complet de toutes les ondes cérébrales ayant parcouru les crânes américains de 1776 à 1950.
La lecture en était à la fois affolante et édifiante : en près de deux siècles, aucune idée philosophique, aucune construction intellectuelle nouvelle, n'avait pris naissance sur le continent américain. Tout s'y était résumé à l'importation frénétique et à la mise en application délirante des plus redoutables et imbéciles utopies ayant hanté l'Europe des XVIIIe et XlXe siècles. La poussée vers l'Ouest et les Indiens avaient, certes, mis un terme à un certain nombre d'extravagances ; les effectifs exacts des disciples de Saint-Simon ou du Père Enfantin morts de soif dans le désert du Colorado ou scalpés dans le Nebraska restent à déterminer. Mais le reste de la société américaine n'en continua pas moins à vivre intellectuellement - si l'on peut se permettre d'employer un tel adverbe en un tel cas - sur du Rousseau mal digéré et du Wesley poussé aux dernières extrémités. Sans plus ; nul ne saurait considérer comme des philosophes ce pornographe hypocrite de Benjamin Franklin ou ce touchant écolo d'Henry Thoreau Brice Lalonde avec du poil et de la plume en plus.
Mais il ne faut jamais désespérer. Et, en cette dernière décennie d'un XXe siècle qui s'en finit pas de mal finir, voilà que les Américains se sont décidés à inventer une notion philosophique nouvelle : la morale à géométrie variable - comme les chasseurs-bombardiers du même nom.
Ce système, mis au point par M. George Bush - avec, sans nul doute, l'amical concours de son gourou Billy Graham - mais considérablement perfectionné par son successeur, M. William Lewinsky Clinton, vous permet, au nom du respect des Droits de l'homme et de la préservation de la paix mondiale, d'assassiner tous ceux dont la tête ne vous revient pas, qui prétendent gérer eux-mêmes leur pays ou qui se refusent à manger les bananes à goût de navet produites par les colonies économiques américaines, tout en s'abstenant soigneusement de toucher à des tortionnaires installés dans leurs meubles du totalitarisme ou des massacreurs opérant en toute liberté sur plusieurs continents.
N'est-il pas, en effet, tragiquement cocasse qu'au moment précis où avions et fusées d'une OTAN honteusement détournée de ses buts et de son sens s'acharnent à "casser du Serbe", une délégation commerciale de Chine communiste débarque à Los Angeles et une équipe sportive américaine se rend da!!s le Cuba de Fidel Castro ? Peut-être M. Slobodan Milosevic aurait-il dû apprendre à jouer au base-bail pendant qu'il était encore temps. C'est presque aussi beau que M. Tony Blair, surnommé "Clinton's poodle" - le caniche de Clinton - par une partie de la presse britannique, saisissant l'occasion d'une visite officielle à Pékin pour lancer, en avant-première des actuelles agressions, un « grand appel au respect des Droits de l’homme ».
Rappelons à toutes fins utiles que si au Kosovo, les troupes serbes opéraient dans une province serbe, les troupes chinoises, au Tibet, ont envahi un pays souverain et l'ont réduit en esclavage en y pratiquant un « nettoyage ethnique » en règle. Rappelons que les méthodes employées par les troupes israéliennes dans les territoires occupées pourraient appeler certaines remarques. Rappelons surtout qu'il y a un an, près d'un million de personnes étaient massacrées dans des conditions atroces au Burundi sans que la « communauté internationale » intervienne.
Pourquoi, vous demanderez-vous peut-être, la communauté internationale n'est-elle pas intervenue ? Tout simplement parce que les États-Unis s'y sont opposés. Et pourquoi les États-Unis s'y sont-ils opposés ? Par peur. Peur toute simple, physique, immédiate. Parce que l'opinion américaine ne s'était pas remise lors de l'opération ratée de Somalie. En revanche, les mêmes Américains moyens acceptent fort bien de voir, sur leurs écrans, des villes serbes ou irakiennes écrasées par les fusées, tant que les "boys" ne sont pas en danger.
La vérité est que les Américains adorent faire la guerre à la condition expresse de ne pas risquer de s'y faire tuer. On a souvent dit que les États-Unis étaient allés directement de la barbarie à la décadence sans passer par la civilisation. En considérant ce qui est devenu une nation d'enfants gâtés, obèses, arrogants et lâches, j'ai parfois peur que ce ne soit vrai.
Et pourtant, j'aimais tant Jack London, Louis Armstrong et James Stewart ...
Jean BOURDIER National Hebdo du 22 au 28 avril 1999Lien permanent Catégories : actualité, culture et histoire, géopolitique, international 0 commentaire -
Jean Markale - Le cycle du Graal
(Cliquez sur les titres pour télécharger l'ouvrage)
Les origines de la légende : la mystérieuse figure de Merlin, tour à tour inspiré par Dieu et par le diable, «deus ex machina» de tous les événements qui vont se dérouler sur les terres anciennes d'Angleterre et de Bretagne, mais aussi sur l'énigmatique et brumeuse île d'Avalon.
L'ascension et la prise du pouvoir du roi Arthur, protégé par Merlin l'enchanteur : seul, le roi réussit à soulever l'épée Excalibur, gage et symbole de la souveraineté. Il rassemble autour de lui les «chevaliers-servants» pour assurer l'équilibre d'un monde nouveau. Ainsi naît la Table Ronde.
Fils de roi, Lancelot du Lac est soustrait à sa mère dans son enfance et élevé par la Dame du Lac dans un palais de cristal, au fond des eaux. Une fois adulte, il devient le héros d'une série d'épreuves héroïques, déjouant les pièges et les embûches de monstres et de démons. Il apparaît bientôt comme le champion des forces bienfaisantes, triomphant du Mal, et parvient à la cour du roi Arthur où il surpasse tous les chevaliers. La reine Guenièvre lui révèle l'Amour.
Lancelot du Lac a gagné l'amour de la reine Guenièvre. Mais cet adultère l'empêche de devenir le roi du Graal. C'est à son fils Galaad qu'il reviendra d'accomplir son destin. Pendant ce temps, tapie dans la forêt de Brocéliande, la fée Morgane, sensuelle et ambiguë, énigmatique et provocatrice, trouble les cœurs, pervertit les âmes ou les sauve. Elle est la déesse, l'ordonnatrice suprême, la femme éternelle : amante, mère et fille. C'est l'une des images mythologiques féminines les plus rayonnantes que l'imaginaire a créées.
La quête de l’impossible. Derrière la grande figure illuminée de Lancelot du Lac, qui éclipse parfois les compagnons de la Table Ronde, se dressent cependant des héros tout aussi valeureux, tout aussi indispensables à l’équilibre du royaume d’Arthur, et tout aussi importants par leur signification symbolique et mythologique. À trop admirer Lancelot, on risque ainsi de méconnaître Gauvain, le fils du roi Loth d’Orcanie et neveu d’Arthur, dont la réputation de bravoure et de courtoisie dépasse de loin les frontières du royaume imaginaire de Bretagne où s’accomplissent tant d’exploits dans la perspective, encore lointaine, de découvrir les grands secrets du Graal.
Au risque de se perdre. Dans l’univers arthurien, mis patiemment en mouvement par Merlin le Sage, chacun est à sa place autour de la Table Ronde, symbole évident de l’égalité individuelle dans une entreprise collective dirigée théoriquement par le roi mais illuminée par la souveraineté solaire qu’incarne la reine. Arthur est au centre de cet univers, comme il est au centre du royaume, et sa santé est garante de la puissance de celui-ci, tant est rituel, sacré, mystique le mariage du souverain et de la terre que la divinité lui a confiée. Cependant, le roi, dans la tradition celtique qui constitue la base de cette fantastique épopée, n’est rien sans les guerriers dont il est l’émanation et l’élu, autrement dit le primus inter pares, le premier entre ses pairs, avec toutes les faiblesses, toutes les contraintes et toutes les obligations qu’implique cette fonction.
Étrange collectivité d’ailleurs, mais sans doute à l’image de l’humanité, avec ses rivalités internes, ses intrigues, ses jalousies, ses fantasmes et ses espérances constamment déçues ou reportées vers un avenir incertain ! Oui, tout est en place, tout est stable, aussi stable que le clan adverse, sur l’échiquier. Mais comme ils sont trompeurs, ces dehors ! Un souffle de vent suffi-rait à ébranler tout ce bel édifice. Car quelque chose mine de l’intérieur la société arthurienne, une blessure jamais guérie, une blessure que symbolise le coup douloureux porté jadis par le chevalier Balin à Pellès, le Roi Pê-cheur.
À l’instar de Sisyphe, Arthur a été décrit comme surgissant de l’abîme pour hisser son rocher au faîte de la montagne. Mais une fois parvenu là, il s’est arrêté pour reprendre sa respiration. Et le rocher a de nouveau dévalé la pente avant d’être englouti par l’ombre. Après la quête du Graal, qui marque l’apogée du règne d’Arthur, la société qu’il a mise en place, grâce certes à son génie personnel mais surtout à celui d’un Merlin invisible et omniprésent, ne peut demeurer statique au sommet, puisque sa nature propre est action. Elle doit donc s’effondrer, et ce rapidement, puis tout devra recommencer. Cette conception cyclique du temps est bien évidemment liée à des hypothèses métaphysiques que concrétisent les exploits prêtés aux héros, lesquels appartiennent à une mythologie universelle -
Israël et le 11-Septembre : les faits démentent Caroline Fourest
Caroline Fourest est à mes yeux aussi fiable et impartiale qu’un BHL ou un autre manipulateur dangereux, et la voilà qu’elle s’attaque à des sujets qui risquent de la ridiculiser plus qu’elle ne l’est déjà aux yeux de ceux qui s’informent ne serait-ce qu’un minimum. Ce qui peut m’inquiéter, c’est que certains vont gober le contenu de l’émission. Je relaie néanmoins cette manipulation de très bas niveau, cela permettra toujours quelques traits d’humour intéressants dans les commentaires.
Mardi soir, en prime time, France 5 a diffusé un documentaire intitulé « Les obsédés du complot » et réalisé par Caroline Fourest.
L’objectif affiché par la journaliste consistait à décrédibiliser la contestation de la version officielle du 11-Septembre en s’attaquant à certaines figures, plus ou moins marginales, du mouvement.
La méthode fut simple : approximations, amalgames et raccourcis ont émaillé les 52 minutes de cette prétendue « enquête ».
Une séquence visait ainsi à remettre en question l’assertion -présentée comme paranoïaque- selon laquelle existait, dès 2001, un projet américain de redécoupage du Moyen-Orient.
A 19’55 du documentaire, après la brève allusion (dont la fin est coupée au montage) d’un militant au sujet de certains « agents du Mossad qui se seraient fait passer pour…», Caroline Fourest donne le ton :
« Ce qui anime beaucoup la blogosphère, ce sont des gens beaucoup plus politiques, beaucoup plus idéologues qui sont un peu axés sur le complot américano-sioniste ».
Son interlocuteur, le blogger et compère de longue date Rudy Reichstadt, acquiesce et reprend l’expression du « complot américano-sioniste » pour réfuter également son existence.
La documentariste enchaîne alors pour discréditer l’opinion selon laquelle l’Administration Bush avait envisagé, dès 2001, de « remodeler le Moyen-Orient » à la faveur des attentats.
Celle qui se targue, tout au long de son film, de respecter les faits omet de signaler au téléspectateur du service public ceux allant à l’encontre de son discours.
Sur le Mossad : cinq Israéliens ont été arrêtés par la police du New Jersey, le 11 septembre 2001, pour avoir manifesté une joie incongrue à la vue du crash du premier avion dans le World Trade Center. Après 71 jours de détention, ils seront renvoyés à Tel-Aviv. Certains médias locaux, comme The Record, rapporteront l’incident et révéleront par la suite, telle la revue de la communauté juive new-yorkaise dénommée The Forward, que deux d’entre eux étaient des agents du Mossad sous couverture.
Question : pourquoi des employés des services secrets israéliens avait-ils exprimé leur jubilation, en se prenant en photo, devant la Tour nord embrasée du World Trade Center ? Cette arrestation n’est que le sommet de l’iceberg : environ 200 Israéliens, déguisés en étudiants en art ou en vendeurs de jouets et soupçonnés d’espionnage, ont été arrêtés sur le sol américain, autour de la date du 11 septembre 2001. Plus étrange : certains d’entre eux étaient domiciliés à proximité des futurs « pirates de l’air » présumés.
Sur le « remodelage du Moyen-Orient » : ce projet a bel et bien existé. Comme le rappelle le journaliste américain Jason Vest, dans son article de 2002 intitulé « The men from Jinsa and CSP », un programme -dans cette direction- a été rédigé par des haut-fonctionnaires de l’appareil d’Etat exerçant aussi bien pour le compte de Washington que pour celui Tel-Aviv. Dénommé « Une coupure nette : une stratégie pour sécuriser le domaine », ce rapport a été commandé en 1996 par le Premier ministre Benyamin Netanyahu auprès d’un think-tank basé à Jérusalem et disposant d’une antenne dans la capitale américaine. Selon Jason Vest, il s’agissait là d’une « sorte de manifeste néo-conservateur américano-israélien ». Les hommes à l’origine de ce rapport ont tous exercé des responsabilités importantes au sein de la future Administration Bush. Ainsi, David Wursmer deviendra le conseiller en charge du Moyen-Orient auprès du vice-président Richard Cheney tandis que Richard Perle occupera un poste de consultant proche de Donald Rumsfeld, secrétaire à la Défense.
A partir de 2003, suite à l’invasion de l’Irak, George Bush reprendra à son compte ce projet, délesté de son aspect belliciste et rebaptisé « le Grand Moyen-Orient ». Ce n’est pas tant la CIA, comme l’affirme (naïvement ?) Caroline Fourest, qui est visée par les détracteurs de ce plan que le Pentagone et la vice-présidence Cheney, alors occupés par des idéologues à la fois atlantistes et ultra-sionistes. L’intrusion de ce clan va-t-en-guerre au sommet de l’appareil d’Etat est le fruit d’un lobbying idéologique de 25 ans, remontant notamment à la création, en 1976, du JINSA – un influent think-tank oeuvrant au rapprochement stratégique des Etats-Unis et d’Israël. En 1982, le journaliste et ex-fonctionnaire au ministère israélien des Affaires étrangères, Oded Yinon, préconisait déjà le redécoupage du Moyen-Orient en mini-Etats opposés les uns aux autres afin de garantir une hégémonie israélienne sur la région. 20 ans plus tard, les guerres menées par les Etats-Unis « contre le terrorisme et les armes de destruction massive » serviront, en définitive, la cause d’Israël. L’un des trophées remportés par « les hommes du JINSA » fut ainsi la balkanisation de l’Irak, cet ennemi historique de l’Etat hébreu.
Caroline Fourest a passé ces faits sous silence. Pour cause : ils consolident la thèse, de plus en plus ouvertement débattue à travers le monde, d’un « complot américano-sioniste » pour provoquer ou faciliter les attentats du 11-Septembre dans le but, précisément, de remodeler le Moyen-Orient en faveur des intérêts stratégiques de Washington et Tel-Aviv.
Le lecteur désireux d’en savoir plus est invité à consulter mon ouvrage à ce propos. Intitulé « Israël et le 11-Septembre : le grand tabou », cet essai, disponible en ligne depuis le 5 février, est la collecte sourcée et recoupée de faits relatifs à une implication israélienne dans la réalisation des attentats. Depuis onze ans, ce faisceau d’indices est tantôt ignoré, tantôt édulcoré par la plupart des médias occidentaux.
Il est grand temps, aujourd’hui, de briser l’omerta.
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Radio Courtoisie : “Une terrible beauté est née”
Samedi 09 février à midi, Romain Lecap recevra dans le Libre Journal des lycéens, sur Radio Courtoisie, Adriano Scianca et son éditeur Gérard Vaudan, pour la sortie en France de l’ouvrage “Une terrible beauté est née“, livre-évènement sur le phénomène Casa Pound Italie..
Nous retrouverons également les chroniqueurs habituels ainsi que Patrick Weber pour son livre Eva-Evita, pour l’amour du diable !
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Guerres de Vendée : Reynald Secher prépare un documentaire sur la Virée de Galerne
L’historien Reynald Secher a projeté de réaliser un documentaire historique et télévisé sur la Virée de Galerne. Cette virée, c’est celle que les vendéens, après la défaite de Cholet, vont entreprendre sur la rive droite de la Loire, en terre chouanne. Du 18 octobre au 23 décembre 1793, après avoir franchi le fleuve, ils vont poursuivre leur campagne jusqu’à Granville, avant de regagner la Loire. Ils seront massacrés avant de la franchir, au Mans d’abord, puis à Savenay, ainsi qu’en témoigne d’ailleurs un protagoniste de l’époque, le général républicain Westermann :
« Il n’y a plus de Vendée, elle est morte sous notre sabre libre avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les marais et dans les bois de Savenay. Suivant les ordres que vous m’avez donnés, j’ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré les femmes qui, au moins pour celles-là, n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé… »
Le documentaire construit à partir du récit d’un témoin de cette marche tragique s’articule autour d’interventions d’historiens et de responsables d’associations qui entretiennent la mémoire de ces événements.
En cette année anniversaire de la Contre-Révolution, le souvenir de cette geste vendéenne, épopée hors du commun qui finira en tragédie, sera l’occasion de revenir sur l’extermination délibérée, planifiée et légiférée dont seront ensuite victimes les vendéens du sud de la Loire, alors même qu’ils ne représentaient plus aucun danger pour la république. Un ressort idéologique à cette extermination de masse : la volonté de bâtir un homme nouveau. Des événements sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir au cours de cette année…
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Qu’est-ce que l’ingénierie sociale ? partie 2
Ingénierie sociale négative
Commençons par l’IS- (ingénierie sociale négative).
Le livre « Gouverner par le chaos. Ingénierie sociale et mondialisation » expose les grands principes de l’ingénierie sociale négative. En un mot, il s’agit de « démolition contrôlée », comme on peut le faire avec des bâtiments, mais appliquée à l’esprit et aux personnes.
Qu’il puisse exister chez certains individus une volonté de destruction méthodique des groupes humains semble inconcevable à beaucoup d’autres. C’est pourtant cette méthodologie rationnelle de la destruction, cet « ordre par le chaos » qui constitue l’essence de la Doctrine secrète ésotérique élaborée, perfectionnée et transmise au fil des siècles par ses adeptes et que l’on retrouve jusqu’à aujourd’hui dans l’idée de « stratégie du choc » qui structure le modèle capitaliste (obsolescence programmée de la marchandise industrielle, crises financières provoquées, etc.), ou dans l’idée de révolution, dont le ferment morbide consiste toujours à faire « table rase » et à provoquer une rupture irréversible (de 1789 au pseudo « printemps arabe »).
« Gouverner par le chaos » récapitule comment ces inspirations et aspirations politiques ont fusionné au 20ème siècle dans le creuset de la cybernétique et des sciences de la gestion, aboutissant à concevoir le vivant comme un objet, susceptible d’être déconstruit et reconstruit à volonté par une véritable ingénierie, non seulement génétique mais aussi des champs psychiques, spirituels, culturels ou comportementaux.
Au croisement de ces pistes, on trouve la psychanalyse, en particulier dans la version qu’en a donnée Jacques Lacan, dont l’intérêt est d’avoir mis à jour ce que l’on pourrait appeler l’ADN de l’esprit, sa structure et ses composants élémentaires. L’éthique de la psychanalyse est cependant non-intrusive, non-interventionniste, construite originellement en opposition à l’hypnose, et cherche à donner au patient les moyens de son propre cheminement (d’où la lenteur de certaines cures). Malheureusement, comme pour toute science, elle peut être récupérée et placée entre de mauvaises mains qui en feront un usage destructeur, ce qui explique qu’elle soit appliquée quotidiennement et avec un succès inquiétant dans le management, le marketing et la propagande politique, et ceci dès les années 1920, quand Edward Bernays se met à utiliser les découvertes de son oncle Sigmund Freud.
Obéissant au serment d’Hippocrate et à la déontologie médicale, la psychiatrie, la psychologie et la psychanalyse se consacrent en principe à sauver des vies en rétablissant de l’ordre, de la structure, de la loi, de l’autorité, de la hiérarchie, de l’équilibre, de la normalité, en un mot du « Surmoi » dans la vie psychique. À l’opposé, l’ingénierie sociale négative consiste en une valorisation du chaos comme outil de transformation psychologique et sociologique, et s’apparente à un « permis de tuer », ou « permis de détruire autrui » érigé en philosophie globale, telle une vraie religion, ou anti-religion de la mort, dont l’élaboration sous-terraine apparaît comme un contre-point à l’Histoire officielle.
La trame narrative de l’Histoire officielle en Occident repose largement sur un conditionnement pavlovien d’IS-, inculqué dès l’école et consistant en la répétition d’un mantra hypnotique : « C’était pire avant ». Il s’agit de fabriquer le consentement du peuple au changement, à l’instabilité, à la bougeotte (« bougisme »), le tout étant décrit comme la marche du Progrès, de l’émancipation des peuples et des minorités hors de la domination autoritaire des régimes obscurantistes du passé.
Une Histoire révisée décrirait l’invention de cette rhétorique progressiste au 18ème siècle comme une technique de phishing, un hameçonnage constitué d’un appât simulé, le Progrès, pour « faire bouger autrui » dans le sens voulu par le hameçonneur. En l’occurrence, il s’agit de faire adhérer le peuple aux changements violents en les dépeignant comme un processus révolutionnaire de libération forcément bénéfique, pour mieux lui faire avaler la pilule de la mise en place d’un système de domination découplé (« double standard », « double éthique »), dans lequel une fraction minoritaire de la population stabilise ses conditions de vie et de conservation tout en imposant à une partie majoritaire de survivre dans un monde où la crise est devenue la règle.
De fait, les révolutions ne remplissent jamais leurs promesses. Introduisant à encore plus d’instabilités et encore moins de libertés, elles se révèlent finalement toujours au service du Capital. Une Histoire révisée de l’Occident serait donc celle de l’émergence de deux grands principes de la gouvernance par le chaos : le capitalisme et la révolution.
Que veulent vraiment les « hameçonneurs » et ingénieurs sociaux qui provoquent des crises et des révolutions ? Ils cherchent à imposer leur nouvel ordre à la place du précédent. En termes de sociologie des organisations et d’analyse des organigrammes, on voit que les sociétés humaines obéissent à un mode d’organisation spontané, un ordre naturel, qui les conduit toujours à adopter des formes pyramidales. Dans une pyramide, la droite et la gauche n’ont guère d’importance, puisqu’elles sont relatives quand on en fait le tour, et le seul clivage absolu se situe entre le haut et le bas. Mais spontanément, comme on le voit dans toute société traditionnelle, le haut et le bas sont solidaires.
À l’opposé, l’IS- obéit à une double éthique consistant à désolidariser les parties et accuser les différences du système pyramidal selon le schéma suivant : diviser le bas pour unifier le haut ; augmenter l’entropie du bas pour augmenter la néguentropie du haut. En termes simples : me faire du bien, c’est faire du mal. La relation haut/bas est ici sur le modèle gagnant/perdant. Telle est la structure élémentaire du nouveau logiciel.
L’esprit de l’IS-, en tant que piratage des consciences humaines, pourrait aussi se résumer ainsi : détruire l’ordre du réel car il est incontrôlable pour lui substituer un nouvel ordre du réel, sous contrôle. Ce nouvel ordre ne peut être qu’un simulacre. En effet, le seul moyen pour le Pouvoir d’exercer un contrôle total sur le peuple, c’est d’augmenter artificiellement l’entropie de ce dernier en le plongeant dans un état de crise perpétuelle. Cet état n’ayant rien de naturel et disparaissant de lui-même s’il n’est pas alimenté, il faut donc obliger le peuple à entrer dans une simulation, une hallucination collective, dont les paramètres auront été définis pour entretenir une situation de crise et de précarité perpétuelles.
Le chaos est ici un instrument au service d’un ordre plus global et qui n’apparaît qu’à une échelle d’observation supérieure, que d’aucuns appellent « trans-humaniste » ou « post-humaniste », mais qui suppose dans tous les cas le génocide de notre espèce. On se reportera pour plus d’informations à Ray Kurzweil et à son ouvrage princeps « Humanité 2.0 : la bible du changement ».
À cette échelle d’observation supérieure, le calcul des turbulences et du chaos social provoqués afin que ceux qui les provoquent ne soient pas impactés et ne subissent pas de choc en retour s’appelle le shock-testing (test de choc). Ce calcul du shock-testing doit permettre, pour reprendre les mots de Bertrand Méheust, de rester juste en-deçà du point de fusion et de catharsis de la colère du peuple, afin que ce dernier ne comprenne jamais ce qui se passe vraiment et ne soit jamais en état de s’organiser massivement pour reprendre la maîtrise de son destin. De sorte à brouiller la perception et la compréhension de ce qui se passe, la démolition contrôlée est sectorisée. L’effondrement du système ne sera donc ni global, ni brutal, mais bien progressif, à petites doses.
À vrai dire, nous y sommes déjà, en plein dedans, et nous pouvons donc en décrire les formes de l’intérieur et en direct. Il consiste, d’une part, à détruire les États-nations au prétexte d’une dette publique complètement fictive, et d’autre part, à détruire le secteur privé au prétexte tout aussi fictif que tel site de production ou telle activité ne sont pas rentables, alors qu’ils le sont. L’exemple de Florange et d’ArcellorMittal est ici emblématique de cette manipulation puisqu’un document interne ayant fuité a révélé que le site menacé de fermeture était en fait l’un des plus rentables. http://www.challenges.fr/industrie/...-20121213]
l’IS + : ingénierie sociale positive
Sur le fond, l’IS+ prête moins à débats, polémiques et analyses que l’IS- car il est plus aisé de la comprendre et d’admettre qu’elle existe. L’IS+ s’identifie à des vertus morales telles que l’empathie, l’esprit collectif, le sens du groupe et des responsabilités. Ses bases ont déjà été déposées dans les grandes philosophies éthiques et les religions. C’est ce que l’on entend généralement par « altruisme », et qui consiste à augmenter la néguentropie générale de toute la pyramide sociale, dont le haut et le bas restent solidaires. À rebours de l’IS-, se faire du bien est tout à fait compatible avec faire du bien à autrui. On est dans le gagnant/gagnant. Transposé à l’époque postmoderne, l’esprit de l’IS+ pourrait se résumer ainsi : abattre la simulation sous contrôle chaotique du réel pour revenir dans le réel incontrôlable pour tout le monde, donc égalitaire. Faire de l’anti-phishing et du contre-hameçonnage.
L’IS+ s’identifie donc à une méthode générale de « sortie de crise ». Mais afin de ne pas rajouter du chaos sur le chaos, cette méthodologie de sortie de crise ne peut s’accomplir que par un changement majeur dont l’effet serait paradoxalement d’en finir avec les changements majeurs : soit une « révolution lente » (ou « révolution conservatrice », au sens allemand des années 1920). Résister aux changements rapides, en eux-mêmes subversifs, en les subvertissant de l’intérieur par du changement lent, voire carrément de l’inertie et de l’immobilisme.
Comme le soulignait Gilles Deleuze, le chaos, c’est la vitesse. Gouverner par le chaos, c’est donc simplement accélérer volontairement tous les processus psychosociaux, impulser au monde réel un rythme falsifié et artificiel au moyen d’une représentation simulée de ce monde réel. Par exemple : l’économie réelle et son propre rythme naturel seront falsifiés et mis en chaos par leur subordination à une simulation d’économie, sous la forme d’une économie virtuelle, purement financière, dont le rythme aura été accéléré artificiellement. L’IS+ consiste donc dans un premier temps à « ralentir ». Sortir de la crise, sortir de la Matrice virtuelle, se dés-impliquer de la simulation génératrice de chaos élaborée par les médias et la finance, c’est d’abord ralentir tous les processus qui ont été accélérés artificiellement et les ramener à leur vitesse naturelle d’origine. Puis, se projeter dans l’éternité, pour s’extraire également du court terme. Ramener les choses à elles-mêmes, après qu’elles aient été déportées loin d’elles-mêmes.
Ces procédures de re-naturalisation sont modélisables. En effet, le comportement humain n’est ni libre, ni imprévisible, mais repose sur des routines, des habitudes, des « habitus », des rituels, des régularités, des constantes, des programmes, des algorithmes, des recettes, des automatismes, des conditionnements, des réflexes, des cycles, des boucles, en un mot de la répétition. Le sentiment de liberté ressenti malgré tout par de nombreuses personnes vient simplement de ce que les routines comportementales obéissent à des causalités non-linéaires et multifactorielles complexes, souvent contradictoires, du type logique floue ou multivalente, dont le calcul ne peut être que probabiliste et tendanciel. Ceci laisse du jeu comportemental aux individus, interprété dans certaines cultures comme du libre-arbitre. La base de l’IS+ doit donc être de cultiver tous les processus de régularité, de constance, de discipline, de régulation et de stabilisation des systèmes. La répétition possède des vertus anxiolytiques et dé-stressantes qui permettent de maîtriser le tonus émotionnel.
Un exemple concret d’ingénierie sociale positive est « La ferme du parc des meuniers », à Villeneuve-le-Roi, dans la banlieue sud de Paris. Il s’agit d’un centre de travail social visant à réinsérer des gens ayant été désocialisés. On peut lire sur le site : « Développement, ingénierie sociale. Vous avez des projets dans le domaine de l’aménagement de structures ou de terrains autour des relations sociales, de la formation, de l’insertion, du lien social dont la dominante est l’activité agricole et fermière... nous pouvons vous aider à développer votre projet en vous apportant notre expertise. »
La Charte de référence est ainsi libellée : « Le projet de la ferme s’est élaboré sur le constat de dégradation du lien social, c’est-à-dire de la capacité des gens à "vivre ensemble" dans le respect des différences (différence d’âge, de couleur, de croyance, de statut social), dans la cohésion sociale et la solidarité. Les causes de ces phénomènes sont connues. La société a considérablement changé, les repères qui permettaient hier de se situer dans l’espace social, culturel et professionnel se troublent et s’estompent peu à peu. La transmission des savoir-faire et des savoir être qui se faisaient hier par la famille, l’école, le travail, le tissu associatif, est aujourd’hui largement défaillante. Ces mutations conduisent à un morcellement de la société. Elles sont porteuses d’exclusion, de repli sur soi, d’isolement et de peur de l’autre. Elles sont génératrices de méfiance et de soupçon, parfois même de violence. Elles contrarient l’épanouissement individuel. Elles freinent les dynamiques collectives et les solidarités. » (http://fermedesmeuniers.blogspot.fr/)
Le problème est identifié : « La société a considérablement changé ».