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géopolitique - Page 866

  • Gollnisch reçu à haut niveau en Russie : face au mondialisme, la nécessaire préservation des indépendances nationales

    Bruno Gollnisch rentre aujourd’hui de Russie après deux jours de rencontres et de débats aussi intéressants que fructueux qui ont retenu l’intérêt des médias russes. A la tête, de facto, d’une délégation de plusieurs parlementaires et élus européens (autrichien, néerlandais, letton, polonais, tchèque), le président de l’Alliance Européenne des Mouvements Nationaux, accompagné également de plusieurs membres de l’AEMN, dont Valerio Cignetti, répondait notamment à l’ invitation de la Commission des droits de l’homme à Moscou. Ils ont été reçus à la Douma (parlement russe) avant de se rendre jeudi en République autonome de Karatchaïévo-Tcherkessie.

    A la Douma, nos amis russes étaient intéressés par l’opinion de Bruno Gollnisch et de ses collègues sur les activités, rarement désintéressées, des associations, ONG et autres fondations, quand celles-ci sont financées par l’étranger.En présence notamment de plusieurs dizaines de députés russes de différents courants politiques, les débats ont été supervisés par Yaroslav Nilov, jeune et brillant président de la Commission parlementaire pour les organisations sociales et religieuses.

    Ouvrons ici une parenthèse pour rappeler que M. Nilov fut un des parlementaires qui, en pleine tempête médiatique générée par les provocations  contre les chrétiens orthodoxes du groupe anarchiste Pussy riot, fut à l’origine d’une résolution de la Douma portant sur « les meurtres de chefs spirituels », « le vandalisme contre des propriétés de l’Eglise », et «les actes blasphématoires de hooliganisme».Ladite résolution appelait à des peines plus sévères contre toute personne qui offenserait les sentiments religieux.

    Chroniqueur pour l’agence de presse RIA Novosti, Alexandre Latsa rappelait dernièrement –nous nous en faisions l’écho sur ce blog en septembre 2012- que cette question revêt en Russie une importance cruciale.« La Russie notait-il, sort de 70 ans de communisme (…) de relatives tensions interreligieuses et intercommunautaires à la dislocation de l’Union-Soviétique et à ce titre, les Russes ont conscience de l’importance de faire respecter les lieux de culte (…). »

    « La Russie est un pays multiconfessionnel, pluriculturel (…) encore aujourd’hui victime du terrorisme fondamentaliste et qui maintient assez habilement une cohabitation entre des groupes religieux et ethniques très variés, sur un territoire gigantesque (…). Au sortir de presqu’un siècle de dictature athéiste, le renouveau de la foi est quelque chose de particulièrement sensible. »

    Autant dire que les menaces sur la paix civile, de déstabilisation, que portent en germe toute atteinte à la foi religieuse,  sont prises au sérieux par le gouvernement et les élus russes, toutes étiquettes politiques confondues.

    Menaces de déstabilisations qui sont aussi réelles, au travers des activités des « ONG », « associations » et « fondations » évoquées plus haut, qui doivent être comme telles portées à la connaissance des citoyens, et qui étaient donc l’objet des discussions à la Douma évoquées plus haut.

    Rappelons que cette subversion sous faux drapeaux ne  concerne pas que la Russie. Eric Denécé, ancien du renseignement, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (Cf2R), le rappelait au sujet des révolutions du « printemps arabe », qui étaient en préparation depuis plusieurs années et qui n’avaient pas de caractère « spontané. »

    « Dès 2007-2008, des conférences organisées sous l’égide d’ONG américaines, comme Freedom House, l’International Republican Institute ou Canvas, et où étaient présents la plupart des blogueurs et des leaders de ces mouvements, ont instillé le germe de la démocratie, créant un contexte favorable aux révolutions. Le processus était le même que celui qui a précédé le démantèlement de l’URSS, la Révolution serbe, la Révolution orange en Ukraine ou encore celle des Roses en Géorgie. »

    A titre d’exemple, l’Open Society Institute, un des « outils » du milliardaire mondialiste George Soros, très impliqué dans la défense des Roms, mais aussi partisan de la poursuite d’une politique d’immigration soutenue des pays du Sud vers l’Europe, est intervenu à de nombreuses reprises en Amérique latine et en Europe de l’Est, pour favoriser la mise en place de dirigeants ayant l’aval de Washington.

    La « Fondation Soros » joua également un rôle de tout premier plan dans la déstabilisation des ex-républiques yougoslaves et de la Russie, par le biais du soutien apporté à certaines révolutions « colorées » (Ukraine, Géorgie …).

    Bruno Gollnisch a été également reçu avec beaucoup de chaleur par Alexandre Vladimirovitch Konovalov, le ministre de la justice de Vladimir Poutine, pour un entretien portant sur la nécessaire préservation des indépendances et des intérêts nationaux face aux menées du mondialisme.

    Jeudi, Bruno Gollnisch et la délégation européenne se sont rendus à plus de 1500 kilomètres de Moscou, en République autonome de Karatchaïévo-Tcherkessie, membre de la Fédération de Russie, pour la commémoration très émouvante d’un des drames de la seconde guerre mondiale. A savoir la déportation meurtrière (plus de 40 000 morts) par Staline du peuple Circassien (Tcherkesse), au prétexte que celui-ci fut accusé de collaboration avec l’armée allemande.

    Le président de l’AEMN a été reçu avec beaucoup de sympathie par le président de la République autonome qui a tenu à rappeler à ses invités son attachement indéfectible à l’unité de la Fédération de Russie, mais aussi que contrairement à une certaine propagande « occidentale », on peut s’exprimer librement en Russie !

    http://www.gollnisch.com

  • Livre : La guerre inachevée (Afghanistan, 2001-2013)

    Afghanistan 2001-2010. Chronique d’une non-victoire annoncée ne passa pas inaperçu lors de sa sortie éditoriale en mars 2010. Etude pionnière en histoire immédiate sur ce sujet brûlant, cet essai du professeur Jean-Charles Jauffret fut récompensé par le prix du livre de Verdun en novembre de la même année. Ses mérites étaient d’ouvrir la voie d’un vaste champ d’étude pour les historiens désireux de poursuivre ce sillon, tout en présentant au grand public l’engagement des soldats français, les enjeux autour de cette guerre et les perspectives envisageables pour en sortir de la meilleure façon possible. Ce travail rencontra - nous pouvons en témoigne- plus qu’un succès d’estime auprès de nombreux militaires français engagés dans le conflit, qui trouvèrent pour la première fois dans la littérature grand public, un ouvrage s’attachant à retranscrire aussi fidèlement que possible la situation sur le terrain. Il est vrai que Jean-Charles Jauffret, spécialiste de l’histoire militaire coloniale et directeur du master « Histoire militaire, Défense et géostratégie » à l’IEP d’Aix-en-Provence, est l’un des grands connaisseurs universitaires du monde militaire.  

    C’est donc avec une certaine impatience que nous nous apprêtions à découvrir la nouvelle édition revue et augmentée de cet ouvrage, titré La Guerre Inachevée. Afghanistan 2001-2013. Une courte introduction souligne d’emblée au lecteur l’ambition de ce volume. Elle est de mener une réflexion sur ce conflit et de faire un bilan de l’engagement français. C’est un témoignage érudit sur une histoire en train de se faire. Elle en expose aussi les limites inhérentes à cet exercice : « [personne ne sait pas] comment tout cela risque de finir » (p 12). Enfin, elle pose une série de questions importantes sur la pertinence des modèles historiques à étudier pour penser la contre-insurrection à l’ère post-coloniale. Elle s’interroge sur l’efficience des différentes réponses (politiques, diplomatiques, militaires, humanitaires, etc.) développées par l’Occident en Afghanistan, face à un adversaire dont les succès sont immanquablement le miroir de nos faiblesses. Encore faut-il vouloir prendre le temps de les observer…

    Les principales analyses qui ont fait la réussite du premier opus sont toujours présentes. Bien entendu, elles ont été enrichies par les derniers prolongements du conflit. De l’histoire de l’Afghanistan à une analyse géopolitique de la région, en passant par une description de la nature, des techniques et des procédures d’un adversaire « polymorphe », l’auteur balaie de nombreux champs. Il n’oublie pas de proposer à la sagacité du lecteur une analyse dans le temps des étapes de ce conflit depuis 2001, tout en incluant un long développement sur l’engagement français. A la veille de leur retrait, l’historien propose de faire le bilan des actions des forces françaises sur le terrain. Il met en lumière l’émergence d’une culture de guerre qui s’est forgée au contact de ce théâtre d’opération exigeant. Il emprunte d’ailleurs certains aspects de son imaginaire aux conflits coloniaux, dont nous voyons à nouveau se diffuser le langage parfois fleuri. Terrain d’expérimentations tactiques et technologiques de tout ordre, cette « campagne d’Afghanistan » deviendra-t-elle celle qui aura vu la dernière génération du feu ? Dans tous les cas, nous pouvons d’ores-et-déjà affirmer que cette génération, forgée par une expérience commune des opérations interarmes en situation de guerre, est celle qui œuvre dans  les opérations actuelles au Mali.

    A retenir tout particulièrement, les riches développements consacrés aux étapes de l’engagement militaire occidental en Afghanistan. L’auteur démontre comment les efforts entrepris sous la présidence Obama par les généraux McChrystal et Petraeus, pour reproduire un « surge »  à l’irakienne, se soldent par des échecs que peine à masquer par la communication de l’OTAN. En outre, depuis le 2 mai 2011, l’élimination physique d’Oussama Ben Laden ouvre une porte de sortie pour une coalition, qui précipite les opérations de transferts d’autorité à l’ANA dès l’été. Ce travail de  chronologie, de mise en cohérence et d’analyse des événements successifs, constitue une plus-value certaine de cette version actualisée. Enfin, la lecture de l’ensemble du chapitre concernant l’engagement français, qu’il concerne les différentes phases militaires, la culture de guerre ou l’hommage aux blessés et aux morts, est très fortement recommandée (p 205-253). L’auteur retient particulièrement la date du 30 décembre 2009 et la prise en otage des deux journalistes de France 3 en Kapisa, comme étant celle d’un coup d’arrêt aux opérations de contre-insurrection dans la zone de responsabilité française. Enfin, cet essai se ponctue par une analyse des solutions qui auraient pu être mises en avant pour garantir l’avenir de ce pays où tout est désormais possible, entre le spectre du retour de la guerre civile et l’espoir d’une paix possible.

    Soyons clair, la lecture de cet ouvrage remanié nous semble indispensable pour tout historien souhaitant traiter de la guerre en Afghanistan. Comme son prédécesseur, il pose des bases  très solides (chronologiques, thématiques, etc.) pour de futures analyses sur le conflit, enrichies par d’autres sources. Les annexes contiennent un lexique appréciable pour qui souhaite comprendre le langage militaire contemporain, nourrit de sigles et autres termes issus du sabir « otanien ». Une bibliographie succincte et un recueil de sources sont aussi présents. Pourtant, on peut regretter la suppression de la chronologie présente dans la première édition, mais cet outil, consubstantiel du travail de l’historien, a disparu sans doute au profit de notes de bas de pages plus abondantes et fournies. Toutefois, l’éditeur a fait le choix de reléguer celles-ci en fin d’ouvrage, ce qui a tendance à rendre la lecture parfois un peu inconfortable. Enfin, une carte de l’évolution des implantations militaires françaises et quelques illustrations iconographiques auraient pu être un « plus » appréciable pour le lecteur non spécialiste.

    En conclusion, et en période de promulgation imminente du Livre Blanc, cet ouvrage de référence vient aussi souligner l’échec d’une stratégie s’appuyant, au final, essentiellement in fine (en dépit de l’activité inlassable des troupes présentes sur le territoire) sur la neutralisation (arrestation, élimination) de chefs insurgés par les forces spéciales. Elle vise à garantir une meilleure transition de la responsabilité aux forces de sécurité afghane et à permettre aux forces occidentales de se désengager. En portant l’effet majeur sur l’insurrection (et non sur la population), loin d’éteindre les causes d’un conflit, elle en alimente paradoxalement le foyer. A l’heure où la tentation du repli sur soi est partout présente, l’Afghanistan rappelle aussi que le « tout forces spéciales » ne peut être la solution unique pour garantir les futurs succès des armes de la France, l’alpha et l’oméga d’une politique de défense. On sait bien depuis la bataille d’Alger qu’au cœur de la problématique de la contre-insurrection demeure la question de la « fin et des moyens » et de nos valeurs. La guerre en Afghanistan n’aura pas permis, malheureusement, de trancher ces épineuses questions.

    Christophe Lafaye http://theatrum-belli.org

    Editions Autrement, Paris, 2013, 352 p, 24 €.

    Nous avons demandé à Jean-Charles Jauffret de bien vouloir répondre à quelques questions complémentaires :

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  • Londres, Pékin, Tokyo et l’agonie du multilatéralisme

    Par Irnerio Seminatore, président de l’Institut européen des relations internationales et directeur de l’Academia diplomatica europaea

    Trois minirévolutions sont aujourd’hui en cours à Londres, Pékin et Tokyo.

    Le référendum sur le “Brixit” (mot-valise composé de Britain et exit) pour décider de la sortie ou du maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne marque une mutation dans l’équilibre des pouvoirs entre le Royaume-Uni et les pays de la zone euro.

    Le rééquilibrage de l’économie chinoise, qui aura d’importantes répercussions sur l’économie mondiale, vise à passer d’un développement à forte croissance tiré par l’investissement et les exportations à une économie à faible croissance tirée par la consommation.

    L’émission massive de liquidités par la Banque du Japon, avec pour objectif d’atteindre une inflation de 2 % en deux ans, est un virage économique majeur, consistant à inverser les priorités entre croissance et désendettement, et la logique de résorption de la dette aujourd’hui à l’oeuvre aux Etats-Unis et en Europe.

    Nous assistons, dans les trois cas, à l’abandon de la croyance en un multilatéralisme efficace, et à un retour aux étalons décisionnels de l’unilatéralisme national.

    ÉCHEC D’UN SYSTÈME MONDIAL

    C’est aussi l’échec des illusions sur la création d’un système mondial cohérent structuré autour de sous-ensembles homogènes s’inspirant de manière pragmatique du modèle de l’Union européenne. C’est en effet “l’intérêt national” qui dicte, dans les trois cas, les choix d’une politique économique.

    Le choix du Royaume-Uni concerne sa relation historique et politique avec l’Europe continentale. Il porte un nom : la réforme de l’Union et la renégociation des traités.

    Il s’appuie sur deux points-clés : la défense intransigeante de l’intérêt national et l’intangibilité du concept de souveraineté. A ce titre, le Royaume-Uni ne peut adopter l’objectif d’une plus forte intégration politique, le “plus d’Europe” voulu par la chancelière allemande Angela Merkel.

    Cet objectif d’une Union de plus en plus intégrée, indispensable pour surmonter la crise de la dette et sauver la zone euro, sera donc réglé, à Londres, par le recours au référendum.

    Ce plus d’intégration comporterait en effet des délégations de pouvoir à Bruxelles dans des domaines budgétaires que le Royaume-Uni juge attentatoires à sa souveraineté et qui correspondent, selon ses appréciations, à une forme d’idéologie et d’utopie. Les contraintes liées à cet objectif (union bancaire et union fiscale) provoqueraient un changement de nature de l’Union, et donc un déséquilibre de pouvoir entre la zone euro et le Royaume-Uni, marginalisant celle-ci.

    RENÉGOCIER

    Enfin, ce “plus d’Union” lèse le seul grand intérêt du Royaume-Uni, le marché unique, qui constitue un intérêt vital pour une nation marchande, ouverte à l’Europe comme au monde.

    D’où l’intention de renégocier les termes de l’adhésion de 1975, car les nouveaux équilibres de pouvoirs penchent en direction de l’Allemagne, dont le Royaume-Uni n’entend pas devenir un Land.

    Le premier ministre britannique, David Cameron, et les conservateurs entendent donc faire pression sur l’Allemagne et la France pour que l’Union, à l’heure de la compétition planétaire engagée avec la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie, soit “plus ouverte, plus concurrentielle et plus flexible“.

    C’est d’ailleurs à cette compétition planétaire que se préparent également la Chine et le Japon.

    La Chine, dont la montée en puissance ne cesse d’inquiéter par ses aspects politiques et militaires, est en train d’opérer une transition difficile en matière économique. Elle entend entrer, au cours de la prochaine décennie, dans une nouvelle période de croissance, caractérisée par le déclin de l’investissement et l’essor de la consommation.

    Mais les difficultés de cette transition, qui ont déjà fait échouer le Japon dans les années 1990, sont multiples. Le ralentissement économique, le surinvestissement et la dépendance à l’exportation ont généré des bulles financières et des effets de stagnation.

    SÉRIE DE DÉRAPAGES

    Il n’est donc pas exclu que, dans une période de vieillissement de la population et de pénurie de main-d’oeuvre, cette mutation s’accompagne d’une série de dérapages dans le domaine du crédit immobilier, de la solidité du secteur bancaire ou des inégalités de revenu.

    Enfin, la rupture de politique monétaire au Japon, les “Abenomics” [surnom donné aux réformes engagées par le premier ministre, Shinzo Abe], apparaît comme un coup de dés. Elle vise une dépréciation du yen et donc une plus forte compétitivité internationale de l’économie japonaise, tout en mobilisant massivement tous les outils disponibles pour soutenir l’économie.

    Pour absorber un endettement public colossal de l’ordre de 240 % du produit intérieur brut (PIB), cette véritable révolution monétaire consiste en quelque sorte à éliminer la dette par l’endettement.

    Cette stratégie est-elle une vraie rupture, ou participe-t-elle d’un coup de marketing, le succès dépendant en dernier ressort de l’environnement économique et politique régional et mondial, et en grande partie de l’évolution des tensions géopolitiques avec la Chine et les deux Corées ?

    Elle est en tout cas radicale et pourrait bien inspirer Américains et Européens en quête d’une stratégie de rechange pour relancer la croissance.

    Mais si la logique de la compétitivité devait se transférer des produits aux monnaies, la concurrence se déplacerait des biens et services aux investissements monétaires, et la guerre des monnaies deviendrait l’arbitre de la mondialisation, condamnant de fait le multilatéralisme à devenir une idéologie du commerce mondial de la fin du XXe siècle…

    En clair, il ne peut y avoir de multilatéralisme efficace, car la dimension inégalitaire de l’ordre international est due au poids inégal des Etats, produit d’une régulation hiérarchique et naturelle des relations économiques et politiques.

    Le Monde  http://fortune.fdesouche.com

  • Intronisation du facteur falseflag

    http://www.dedefensa.org/

    On connaît depuis longtemps, quasiment depuis l’attaque de septembre 2001, le tour polémique aigu qu’a pris le concept du “complotisme” (ou “théorie des complots”), dont l’expression falseflag est une des expressions sémantiques de représentation récemment mise en vogue et très utilisée aujourd’hui. Il s’agit d’abord d’une question centrale de communication accordée au règles de fer du conformisme-Système, avec le constat que l’idée même d’une telle hypothèse de montage a été, dans son principe, dès l’origine, non seulement rejetée mais diabolisée à l’égal des pires diabolisations imposées par le Système. Cela correspondait bien entendu à la “mythologisation” de l’événement 9/11 que rien ne devait entacher ni mettre en doute, qui s’est accompli selon un processus-Système quasiment automatique (c’est-à-dire sans “complot” humain de la part du Système, puisque de la part du Système), impliquant un verrouillage fait de références obligatoires et destiné à emprisonner l’esprit dans un mode de pensée de pérennisation et de légitimation du Système. (A notre sens, ce processus, toujours dans un mode automatique renvoyant à la dynamique de surpuissance du Système, est allé jusqu’à une tentative de faire de 9/11 un événement métaphysique [voir le 11 octobre 2011]. A cet égard, l’événement de l’attaque du 11 septembre 2001 peut sans le moindre doute être considéré comme “refondateur” de la légitimité du Système pour sa dernière phase d’expansion et de domination telle qu’on l’a vue se développer, justement à partir de 9/11, – mais, très vite, avec des avatars et des crises tendant à l’autodestructiont qui ont rendu encore plus sensible toute mise en cause avec potentialité de “dé-mythologisation” de cet événement.)

    De ce point de vue évoqué, la situation était que toute personne envisageant une telle possibilité de complot, de manipulation, de montage, etc., concernant 9/11, puis bientôt concernant tous les actes de la “politique de l’idéologie et de l’instinct” de l’époque Bush, transformée ensuite avec l’abandon de références politiques courantes en politique-Système, devait être considérée comme subversive, moralement condamnable sans appel, quasiment relaps ou hérétique, etc. Nous insistons particulièrement sur ce point : nous ne parlons pas de la valeur ou non, de la véracité ou non de telle ou telle hypothèse de complot, de montage, etc., mais bien d’un principe-Système. (Si le mot “principe” peut-être accolé au Système, ce qui est en soi une contradiction, mais qui peut être accepté pour ce cas en comprenant que le terme “principe” est employé techniquement et nullement dans sa signification ontologique. S’il est considéré ontologiquement, il doit être apprécié dans ce cas comme une totale inversion de la véritable signification d’un “principe”.)

    C’est dans ce contexte de terrorisation des psychologies opérationnalisée par le Système que la nouvelle selon laquelle l’ancien chef de cabinet du secrétaire d’État (2001-2005) Colin Powell, le colonel Lawrence Wilkerson, estime que l’actuelle polémique sur l’emploi du chimique en Syrie pourrait être, notamment mais significativement, une opération falseflag israélienne est un fait important. L’emploi même de l'expression/du mot falseflag, qui fait partie du vocabulaire “démonisé” par le Système, est en soi un fait symbolique d’une grande signification. Quoi qu’il ait déjà exprimé des opinions critiques très appuyées, Wilkerson reste, du fait de sa carrière et de ses fonctions anciennes, un personnage qui peut être considéré comme faisant partie du Système. Cette appréciation est d’autant plus acceptable qu’il est admis qu’à cause de ses liens avec Powell les déclarations de Wilkerson sont d’une façon courante considérées comme implicitement cautionnées par Powell, – personne considérable du Système, pour sa part. (Il est possible que sa déclaration fasse évoluer ce “statut” de Wilkerson, mais c’est une autre affaire. Dans tous les cas, cela nous paraît improbable à cause du désordre régnant aujourd’hui à l’intérieur du Système, – comme nous argumentons plus loin.)

    La nouvelle a été donnée dans un article de Jurriaan Maessen sur son site Explosive Report, le 3 mai 2013. Elle a été aussitôt reprise, bien entendu, sur Infowars.com, le même 3 mai 2013. (On connaît la réputation et la spécialité d’Infowars.com. Le site ne va pas rater une nouvelle qui conforte à ce point son fond de commerce fondamental, qui est l’exploitation des nouvelles et hypothèses en tous genres, de complots, manipulations, et falseflag en tous genres.)

    «Former chief of staff to Colin Powell, Retired Colonel Lawrence Wilkerson, told the Young Turks the early “indications” of the use of chemical weapons by the Syrian regime could point to “an Israeli false flag operation”. Wilkerson: “We don’t know what the chain of custody is. This could’ve been an Israeli false flag operation, it could’ve been an opposition in Syria… or it could’ve been an actual use by [Syrian President] Bashar al-Assad, but we certainly don’t know with the evidence we’ve been given.”»

    Le reste de l’article reprend diverses occurrences où des hypothèses de falseflag dans diverses affaires ont été évoquées dans des organisations proches du Système, par des personnalités-Système mais de moindre envergue que Wilkerson. Ces cas n’ont absolument pas la signification symbolique de l’intervention de Wilkerson et ne servent que d’illustrations pour la défense du “principe” de la possibilité de falseflag, chose qui ne nous intéresse pas ici. (Que les falseflag, les “complots”, etc., existent, c’est une évidence à laquelle il est inutile de s’attarder. Le cas traité ici est bien entendu celui du principe-Système qui repousse cette hypothèse comme relaps dès lors qu’elle a quelque lien que ce soit avec 9/11, qui reste la référence sacrée à cet égard.)

    Le cas de Wilkerson tend à renforcer les constats que nous faisions dans un de nos textes consacrées à l’attaque de Boston, le 23 avril 2013 : «Le premier et le principal constat remarquable de cette deuxième phase de l’attaque de Boston, avec l’identification et l’élimination des deux suspects aussitôt qualifiés de coupables, c’est ce climat extraordinaire où l’hypothèse du montage et de la manipulation par les services de sécurité US, FBI en tête, est non seulement une hypothèse honorablement admise mais pas loin d’être l’hypothèse principale. Dans tous les cas, il y a une sorte d’unanimité dans la mise en cause du FBI, allant effectivement de l’hypothèse d’incompétence aux hypothèses beaucoup plus sombres de manipulations.» Nous développions ensuite le thème de cette “popularisation du complotisme”, le 26 avril 2013Boston et la symbolique du triomphe du complotisme»). Il est bien entendu que nous plaçons l’intervention de Wilkerson dans le cadre du “climat” qui a notamment permis que se développe, à propos de l’attentat de Boston, ce que nous en avons décrit.

    D’une façon générale, cette évolution n’est pas anecdotique et ne peut être considérée simplement comme la progression de perceptions plus nuancées à l’intérieur du Système, dans le cas de l’un ou l’autre individu, non plus simplement comme une progression de la perception de la situation syrienne et du comportement d’Israël. Il s’agit de l’illustration d’une tendance plus générale qu’on a vue déjà exposée à l’occasion de l’affaire de l’attentat de Boston et autour de cette affaire, au niveau du système de la communication. On y distingue aisément la décadence d’une perception générale accordée aux normes du Système et de l’expression de l’unité de vue au moins sur les grands thèmes et les grands axes de jugement à l’intérieur des directions politiques et des élites du Système. On peut alors interpréter cet épisode, comme la situation générale à laquelle on se réfère, comme le reflet au sein du système de la communication de différents désordres qui prolifèrent, aussi bien dans les aspects extérieurs de la politique-Système, comme le désordre de la politique-Système en Syrie par exemple, aussi bien dans les aspects intérieurs avec le désordre de politique intérieure à Washington même, que ce soit entre les différents centres de pouvoir, les concurrences entre agences et ministères, ou que ce soit à l’intérieur du corps politique, à l’intérieur des deux ailes (démocrates et républicains) du “parti unique” et entre ces deux ailes. La conséquence de ces désordres est la démobilisation et la dissolution de la psychologie-Système dans son rôle premier d’interprétation absolument favorable au Système avec censure hermétique de quelques grands domaines “sacralisés”. Le résultat est la dégradation et la dissolution de l’interprétation de la politique-Système générale, la dissolution de la cohésion, et la perte de vue des références essentielles du Système.

    http://euro-synergies.hautetfort.com/

  • C’est le coup le plus dur porté à la Syrie depuis la guerre d’Octobre 1973

    Quelle lecture faites-vous des récentes attaques israéliennes contre la Syrie ?

    Si on regarde bien les pays qui forment «les amis de la Syrie», on se rend vite compte qu’il s’agit de pays pro-USA et pro-Israël. On a décidé d’armer l’opposition et elle est donc sortie des mains des Syriens, un tiers des 120 000 combattants rebelles sont des djihadistes étrangers qui luttent pour leur propre idéologie, instrumentalisés par les pétro-monarchies. Le conflit a évolué de confrontations entre la population et le pouvoir en place pour revendiquer la démocratie en un conflit sunnites-chiites puis en un conflit international avec des puissances étrangères derrière, les Atlantistes face aux puissances émergentes. Au sein de tout cela, il y a l’extension de la guerre israélo-arabe. La déstabilisation du régime syrien, de l’Etat syrien, comme entité unie, noyau du «Front du refus» face à Israël, profite à plusieurs parties, comme Israël, les Etats-Unis, etc.

    Quel a été le véritable objectif de ces frappes ?

    Israël a profité du chaos actuel en Syrie, de la guerre dans laquelle est enlisée l’armée syrienne et de la faiblesse relative de la Syrie pour mener ces frappes au nom de sa guerre contre le Hezbollah. Or, je ne pense pas que cela a un lien direct avec le Hezbollah, car on parlait d’armes acheminées vers le Hezbollah, mais je ne vois pas du tout comment des armes destinées à la résistance libanaise seraient justement entreposées au sein du Bataillon 105 de la Garde républicaine qui est censée protéger la capitale, Damas ! ça ne tient pas du tout. Ce qui a été vraiment visé, c’est la garde prétorienne de l’armée syrienne, des unités d’élite installées dans trois bases qui n’ont pas été encore mobilisées. C’était une frappe très stratégique pour Israël et le coup le plus dur porté à la Syrie depuis quarante ans, depuis la guerre d’Octobre 1973.

    Y aura-t-il une réplique syrienne ? Sous quelle forme ?

    La Syrie va répondre en changeant complétement sa stratégie. L’accord de cessez-le-feu signé entre la Syrie et Israël en 1974, qui a établi finalement les règles du jeu, qui a instauré une situation où la frontière syrienne avec Israël a été la plus sûre et la plus bouclée de toutes les autres frontières arabes, ce cessez-le-feu est maintenant caduc. Rien n’empêche dorénavant d’ouvrir le front du Golan à la résistance, un peu sur le modèle du Hezbollah au Liban-Sud, et surtout continuer l’acheminement d’armes plus sophistiquées au Hezbollah. On connaît la force de dissuasion du Hezbollah qui a les moyens de tenir tête à Israël. Cette résistance sera renforcée, aujourd’hui, face aux violations répétées d’Israël des territoires syrien et libanais, et il s’agit, aux yeux des Syriens, d’une réponse légitime à la violation du cessez-le-feu.

    Talal El Atrache http://www.voxnr.com

    Notes :

    Talal El Atrache est un journaliste syrien, coauteur de Quand la Syrie s’éveillera aux Éditions Perrin en 2011.

    Source : El Watan :: lien

  • Le wahhabisme et sa volonté de dominer le monde arabo-musulman : une menace en Méditerranée ?

    Huntington avait tort. Le clash prévu ne concerne pas les civilisations entre elles, mais s’applique au moins, aujourd’hui, au sein même de l’islam dans le monde arabo-musulman.
    Ce sont des composantes archaïques et rétrogrades du monde musulman qui tentent d’imposer leur loi à d’autres croyants musulmans, dont la foi s’exprime de façon différente, visiblement plus sereine, ouverte et humaniste, tout en affichant leur respect des préceptes du Livre saint. Il convient de s’alarmer de cette situation soutenue par des stratégies d’influence venues d’un ailleurs étranger à la région méditerranéenne, car elle constitue une menace tant pour les pays visés que pour leurs voisins, y compris non musulmans.

    Le constat

    Les révoltes arabes ont fait naître, dans les pays qui ont connu le renversement de leur régime politique, un grand espoir de liberté, de dignité et d’émergence de la capacité égale des citoyens de participer aux choix politiques qui président à leur destin. Dans les faits, ces révoltes ont conduit à l’accession au pouvoir de mouvements politiques islamistes qui se sont révélés répondre à une certaine aspiration des citoyens à moins de corruption, à plus d’équité ainsi qu’à un renforcement de la valorisation de leur identité arabo-musulmane. Il est certain que cette région, qui depuis les indépendances a connu la domestication du fait religieux par les pouvoirs autoritaires, éprouve une religiosité intrinsèque qui la met en résonance avec les démarches de certains pays du Golfe arabe, prônant le retour aux sources de l’islam et la rend vulnérable aux instrumentalisations extérieures. La chaîne Al Jazeera et son prédicateur vedette, Al Qaradawi, en constituent l’un des vecteurs(1).
    Deux ans après les premiers soulèvements, force est de constater que ces bouleversements ont, avec la complicité active des nouveaux gouvernements ou en raison de leur incapacité à contrôler les ailes les plus dures de leur parti, ouvert la porte à des composantes politiques le plus souvent brutales et violentes, drapées dans leur version du religieux pour promouvoir un retour à un passé idéalisé sans rapport avec les réalités actuelles. Ces composantes, sous des formes diverses(2), y compris djihadistes, se réclament toutes du wahhabisme(3), mouvement politico-religieux saoudien fondé par Mohammed ben Abdelwahhab, qui estimait que l’islam devait être ramené à sa forme originelle, selon son interprétation du Coran et des Hadiths, différant ainsi des autres doctrines de l’islam, très largement majoritaires. Les wahhabites rejettent tous les autres courants de l’islam qu’ils considèrent comme hérétiques.
    En Tunisie, Libye, Egypte, Syrie, à des niveaux divers et en fonction des situations politiques, nous observons :
    - L’établissement de régimes autoritaires sous l’impulsion des islamistes prônant ou favorisant les règles et usages wahhabites et/ou lutte des milices islamistes armées contre le pouvoir, élu comme en Libye ou imposé comme celui d’Assad, tout en s’affrontant aux autres composantes laïques ou non wahhabites pour imposer leur domination.
    - L’apparition de brigades réprimant des comportements jugés non conformes aux critères wahhabites, pourchassant les attitudes jugées licencieuses entre hommes et femmes.
    - La destruction de mausolées, d’églises ou de mosquées non rattachées au wahhabisme, le squat de mosquées, la condamnation des fêtes et célébrations religieuses de rite malékite, l’agression contre les manifestations artistiques et festives sortant des codes salafistes.
    - Des actes violents allant jusqu’à l’assassinat de personnalités progressistes, des actions contre des manifestants non religieux et des incidents dévoilant l’existence d’armes et de mouvements terroristes se réclamant du djihadisme.
    -L’accroissement des actions d’intimidation et d’humiliation contre les étrangers, les chrétiens, spécifiquement les coptes, les juifs, mais également contre les chiites, les alaouites, les soufis.
    - La prolifération des conférences de chouyoukh wahhabites, la création d’associations religieuses fondamentalistes, la multiplication de prêches salafistes, la multiplication des visites de chouyoukh du Golfe, tout cela dans des régions de tradition étrangère au wahhabisme.
    Les pays n’ayant pas connu de révoltes subissent également cette volonté de domination wahhabite. Au Bahreïn, l’Arabie Saoudite et les autres Etats du Golfe conduisent une répression meurtrière contre un mouvement de protestation chiite opposé au pouvoir sunnite minoritaire. La monarchie saoudienne a volé au secours de son allié, prétextant de l’instrumentalisation de la rébellion par l’Iran chiite et craignant sans doute de voir s’exacerber l’opposition chiite dans le royaume wahhabite. Le Liban est depuis longtemps confronté à cette pression qui s’exerce le plus souvent à travers les camps palestiniens à Tripoli, bien sûr(4), mais aussi en d’autres sites.
    Au Sahel, plus précisément au Mali, ces mouvements, sous le drapeau de milices islamistes alliées à des bandes de trafiquants ou de terroristes se réclamant en partie d’Al Qaîda, ont élargi leur zone d’action. Après avoir conquis le nord du pays, le soumettant à des règles rétrogrades appuyées sur une vision de la charia interprétée dans son acception la plus archaïque, ces mouvements ont entrepris d’occuper le Sud en détruisant, au passage, les fondements identitaires et religieux des populations locales : destruction des mausolées et de documents historiques et religieux, application brutale de la charia dans une version fondamentaliste étrangère aux us locaux, etc.
    Le Maroc, peu après l’explosion des révoltes arabes en 2011, a été démarché pour rejoindre le club des monarchies arabes du Golfe : le Conseil de coopération du Golfe. La Jordanie, elle-même épargnée par ces révoltes jusqu’à aujourd’hui, plus perméable sans doute aux influences du Golfe, faisait acte de candidature spontanée au Conseil de coopération du Golfe arabe (CCEAG).
    L’Algérie, où le régime a su se préserver du mouvement des révoltes arabes, à la fois pour des raisons liées à son histoire récente mais aussi compte tenu des structures du pouvoir, semble également sous la pression de cette volonté dominatrice wahhabite. Elle se retrouve désormais avec des combattants salafistes rescapés des combats internes des années 1990, notamment dans le Sud, sur ses frontières avec le Sahel, et ceux-ci ont fait la liaison avec les mouvements opérant hors de ses frontières. Néanmoins, si des tentatives de créer un parti d’obédience wahhabite sont apparues, celles-ci ne semblent pas en mesure d’atteindre leur objectif.
    Ces divers événements ne peuvent pas être innocents et il est difficilement imaginable qu’ils ne soient pas reliés. Ils relèvent d’une même dynamique. Quelle stratégie sous-tend ces démarches ? A partir de ce constat, il est difficile de ne pas identifier une volonté stratégique qui peut s’exprimer selon les trois priorités suivantes :
    - Tout d’abord, sous couvert d’un retour à la «vraie foi», soumettre les populations à des exigences reposant sur une interprétation archaïque des textes fondamentaux et ainsi, à travers ce carcan qui règle le quotidien de tous les instants, étouffer toute velléité des individus de recherche d’autonomie, de libre arbitre et d’ouverture au monde(5). Les concepts mêmes de démocratie, de droits de l’homme, d’équité homme-femme, de liberté de conscience, d’égalité entre les êtres humains sont de facto hors la loi.
    - Ensuite, imposer la loi divine selon son interprétation wahhabite comme seule et unique référent du pouvoir. Ainsi, les autres expressions de l’islam étant écartées, le pouvoir est étroitement lié à la source du wahhabisme, ouvrant la voie à un califat musulman englobant le monde arabo-musulman, voire plus si affinités, qui assure la domination religieuse et donc politique par cette source(6). Le danger de la reproduction des révoltes nées dans des pays non féodaux est ainsi écarté(7).
    - Si les monarchies ont, semble-t-il, constitué des remparts contre les soulèvements, il convient aussi de s’assurer qu’elles ne puissent pas être contaminées par l’émergence de ce si mal nommé Printemps arabe. Pour cela, il est imaginé de rassembler ces monarchies dans une alliance(8) qui aurait pour avantage de regrouper les pays à faible démographie du Golfe avec d’autres, plus peuplés, au Maghreb ou au Proche-Orient, pour faire bénéficier l’ensemble non seulement de la disponibilité de masses humaines mobilisables, mais aussi de moyens militaires organisés et entraînés de leurs forces armées.
    Cette stratégie n’est évidemment pas affichée, d’autant plus qu’elle est l’objet d’une concurrence entre l’Arabie et le Qatar(9), qui jouent cependant la même partition pour leur bénéfice propre et pour celui des Etats-Unis : le containment de l’Iran. Ces Etats poursuivent des politiques différentes avec des partenaires parfois distincts(10) et des priorités occasionnellement divergentes(11), mais étroitement déterminées par les rapports existant entre ces pouvoirs et les oulémas qui sont sensiblement différents. Elle est d’ores et déjà dénoncée par les responsables les plus éclairés. Cela apparaît dans des travaux universitaires(12), des déclarations politiques ou sur des sites internet dont nombreux sont l’émanation de musulmans qui s’insurgent contre ce qu’ils vivent comme une violence faite à leur propre foi : « Ce groupe (les wahhabites) qui se nourrit d’ignorance dans la croyance, d’extrémisme dans le dogme et de violence dans l’action, ne réussit à diffuser sa propagande que grâce aux richesses des pétrodollars. »(13) Mais il est plus pertinent de faire référence à des hommes de religion, tel le cheikh Chemseddine Baroubi Al Jazaïri, célèbre imam algérien, qui n’hésite pas à mettre en garde les Tunisiens contre «l’invasion du wahhabisme»(14 ). Il est aussi possible d’évoquer la création, le 31 janvier 2013 à Alger, de la Ligue des oulémas du Sahel destinée à «combattre l’extrémisme, le fanatisme et la criminalité» et à «trancher les questions de la religion et éviter ainsi le recours à des canaux et des pensées qui sont loin de refléter notre ouverture sur le monde, notre pratique religieuse et nos références théologiques». Les conclusions de cette rencontre fondatrice dénoncent ainsi «les crises qui touchent le monde musulman constituent une atteinte à ses références religieuses, à son unité territoriale et à ses principes fondamentaux»(15).Une stratégie apparaît donc, visant à imposer une certaine vision obscurantiste de l’islam, une domination religieuse et donc politique par une seule source de pouvoir et enfin un modèle unique de gouvernance monarchique pour le monde arabo-musulman.

    Qui soutient ces modes d’action ?

    Cependant, ces modes d’action nécessitent des soutiens financiers puissants, à la fois pour recruter des hommes, combattants(16) ou militants, mais aussi pour disposer de moyens logistiques, d’armes et de relais. Ces soutiens, évidemment discrets compte tenu à la fois de leurs objectifs peu avouables et de leurs méthodes d’intervention, ne dédaignant de plus ni la violence ni le terrorisme, sont délicats à identifier.
    Compte tenu des stratégies évoquées, il est aisé d’imaginer où se situent les centres fournisseurs de soutien.
    Ils sont d’ailleurs régulièrement évoqués dans la presse, tant lors des commentaires sur les attentats du 11 septembre 2001, que lors des révoltes arabes ou de l’intervention au Mali.
    De fait, les fonds mis à disposition ne relèvent pas forcément de la puissance publique officielle, mais d’initiatives prises par des hommes qui se trouvent plus ou moins proches du pouvoir (17 ).
    Ce soutien, venant du Qatar ou d’Arabie Saoudite est, par nature, très discret. Il a été régulièrement dénoncé en Tunisie, comme s’exerçant auprès des salafistes, en Libye au profit des milices de l’Est, en Egypte à l’avantage du parti Al Nour, en Syrie en appui aux Frères musulmans et à diverses autres mouvances, armées ou non, comme Jabhat Al Nosra ou Ahrar Al Sham encore plus radicaux, etc.
    Ce soutien est également observé au Mali au profit de Ançar Eddine (proche d’Al Qaîda au Maghreb islamique) et du Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest). Il n’est pas inintéressant de relever que le Qatar, dont la section du Croissant-Rouge a été particulièrement active au Sahel, est l’un des rares pays à avoir déclaré officiellement son opposition à l’intervention armée française, au profit et à la demande du Mali confronté à une tentative de conquête par une alliance de circonstance de mouvements terroristes, mafieux et islamistes.
    D’autres voies, plus transparentes, permettent également ce type de soutien à travers l’aide à la construction d’édifices et de centres religieux à l’étranger, dans lesquels est souvent prêché le wahhabisme, ou le financement de chaînes de télévision pratiquant également le prosélytisme(18). Des bourses sont généreusement attribuées à des ressortissants arabes, invités à étudier la religion islamique dans les universités, dont «une fois diplômés, la grande majorité de ces étudiants, sous influence wahhabite, rentre prêcher cette version de l’islam dans leurs pays respectifs, tandis que les meilleurs d’entre eux deviennent des salariés du royaume saoudien». Même s’il est difficile d’apporter des preuves tangibles de ce soutien aux mouvements d’inspiration wahhabite, il est évident que la multiplicité des soupçons, sur des théâtres aussi divers que la Tunisie, la Syrie, la Libye ou le Mali, ainsi que les faisceaux de présomption reposant sur les prises de position officielles ou d’organismes liés aux pouvoirs, constituent des éléments convaincants étayant la crédibilité de cette volonté.

    Quel danger pour le monde euroméditerranéen ?

    Au demeurant, il est légitime de s’interroger sur l’importance que cette stratégie peut avoir sur les intérêts français et plus largement européens car à défaut de menace, voire de risques, la question pourrait apparaître aux Européens comme indifférente. Malheureusement, cela ne semble pas être le cas.
    - Tout d’abord, ces soutiens financiers profitent à des acteurs qui, bien qu’éloignés de l’Europe, agissent contre ses intérêts. C’est le cas des groupuscules fondamentalistes sectaires et potentiellement violents, notamment au Pakistan ou en Afghanistan, mais aussi en Afrique subsaharienne.
    - Sur le pourtour méditerranéen et dans l’Afrique francophone, les désordres, engendrés par cette volonté d’imposer la règle wahhabite aux populations, mettent en péril les intérêts européens, mais aussi l’existence même de liens historiques, tout en créant les conditions d’un accroissement important de l’émigration qui fatalement se dirigera majoritairement vers la France. Les déstabilisations qui en découleront, y compris du fait des échecs économiques attendus, seront propices à la défaillance des Etats et donc à l’émergence de zones en déshérence ou de non-droit, traditionnellement favorables au développement de bases terroristes. La crise au Mali donne une illustration instructive de ce qu’aurait pu devenir ce pays, entraînant avec lui les pays frontaliers, vers un avenir de soumission à des règles archaïques, imposées par la violence, sans aucune tolérance pour les non-wahhabites et bien évidemment sans respect de la dignité ni des droits humains.
    - Sur le territoire français ou européen, les conséquences d’une immigration massive ne manqueraient pas de déstabiliser les équilibres sociaux déjà bien fragiles. Les liens familiaux existants avec les pays d’origine des citoyens européens arabes entraîneraient inévitablement de leur part des engagements partisans, sources de tensions internes entre mouvances immigrées, sans écarter l’accroissement du risque terroriste visant à infléchir les positions de la France dans telle ou telle direction. Enfin, l’expansion dans nos populations d’une doctrine archaïque en tous points opposée(19) aux valeurs fondamentales de l’Union européenne et de la République, au détriment de l’islam traditionnel des pays d’origine de nos concitoyens arabes, n’est pas favorable au renforcement de l’harmonie du peuple français, et plus largement européen.
    La France et l’Europe, dans une mesure assez similaire, sont directement concernées par cette stratégie visant la soumission du monde musulman africain et proche-oriental à cette volonté wahhabite. Si cette stratégie devait atteindre ses objectifs, nous aurions à faire face à un renforcement des menaces pesant sur nos intérêts tant domestiques qu’internationaux. Nous serions également confrontés à un environnement immédiat fait de pays dépendants de pouvoirs éloignés, enfermés dans des rapports sociaux frustrants, intolérants à toute présence autre que celle soumise à leurs préceptes religieux et fermés aux influences étrangères.
    Certes, il est possible de trouver des exemples de situations de ce type déjà existantes et cela sans dégât majeur sur les relations internationales... Mais ces solutions sont-elles adaptables à des pays autrement plus peuplés et dont les ressources, même en supposant une aide venant d’ailleurs, sont totalement sous-dimensionnées pour pouvoir, comme dans les pays visés, satisfaire les besoins des habitants ?
    En conclusion, il est temps d’interroger nos partenaires à l’origine de cette volonté stratégique et de leur faire valoir la nécessité de prendre en compte nos intérêts, de façon à trouver des solutions équilibrées et responsables qui nous permettent de poursuivre, dans la sérénité et sans accroître les risques auxquels nous sommes exposés, des relations sereines. Les arguments utiles à une telle négociation existent, mais mériteraient sans doute une concertation européenne, voire occidentale.
    Il est quand même paradoxal que la France entretienne un accord de défense, et des exercices d’entraînement quadriennaux fort coûteux(20), avec un certain pays qui est soupçonné d’agir contre nos intérêts. De même les Etats-Unis n’ont, semble-t-il, pas beaucoup modifié leurs relations avec l’Arabie Saoudite après les «attentats du 11 Septembre» et leurs alliances dans la région(21) sont souvent difficilement compréhensibles.
    A défaut, il suffira peut-être de s’en remettre aux sociétés du Sud. Celles-ci montrent déjà, notamment en Tunisie, Algérie et Syrie, qu’elles peuvent se dresser contre ces agissements si contraires à leurs traditions, à leurs convictions, à leur ouverture au monde et à leur foi. Avec le même souci, semble-t-il, la Turquie inquiète de la remise en cause des acquis de la révolte de la dignité, multiplie les dons et conventions visant à renforcer les moyens d’action gouvernementaux en Tunisie.
    Mais une telle indétermination occidentale conduirait sans aucun doute, à l’occasion de ces rebellions pour la dignité, à des dégâts humains moralement insupportables dans des pays qui nous sont si proches.

    Jean-François Coustillière http://www.voxnr.com

    Notes :

    1 - Revue Politique internationale – n°138 – Naoufel Brahimi El Mili - Tous les chemins mènent à Doha : « Le cheikh Youcef Al-Qaradawi, qui n’a pas son pareil pour haranguer les foules et conspuer les régimes en place, se révèle l’un des socles de cette stratégie médiatique visant à «promouvoir» le printemps arabe»
    2- Revue Politique internationale n°138 – Entretien avec Khairat Al Shater, membre du bureau de la guidance des Frères musulmans égyptiens : «Q- Vos alliés naturels, a fortiori au Parlement égyptien, ce sont les salafistes. On ne comprend pas toujours en Occident ce qui vous distingue d’eux. Réponse de KAS - Il n’y a pas de grandes différences entre les doctrines…»
    3- Sur Sunna Info «les principaux points qui fondent le dogme wahhabite sont au nombre de quatre»
    4-Depuis des années Tripoli est une imara salafiste sous protection et financement saoudo-haririen» in «Le Liban dans le contexte convulsé du Proche-Orient » de Georges Corm, dans Afkar/Ideas 36 – janvier 2013
    5 - Georges Corm dénonce ce constat dans la revue «Moyen Orient», n°17 de janvier 2013, page 12, dans les termes suivants : «Pour maintenir l’autoritarisme dans toutes les sociétés musulmanes, on a trouvé commode cette interprétation wahhabite de l’islam qui fait appel aux écoles les plus radicales, tel un adjuvant extraordinaire pour maintenir le contrôle sur les populations.»
    6- «Son but final [AlQaïda], sera d’éradiquer tous les mécréants et de répandre le wahhabisme partout pour l’avènement du Grand Califat avec à sa tête le «Serviteur des deux Lieux saints», titre que se donne le gardien des lieux saints de l’islam : le roi Ibn Saoud qui sera auréolé du titre envié d’Amir El Mou’minin, Commandeur des croyants - in «La peste noire ou le wahhabisme triomphant » de Rachid Barnat, sur
    El Kasbah News, 18 janvier 2013
    7- Hala Kodmani «les pays du Golfe ne veulent probablement pas que les transitions arabes réussissent. Ils préfèrent maintenir un désordre maitrisé pour ne pas être atteints par de bons exemples » confirme Hasni Abidi. » - In Confluences Méditerranée n°84 – L’implication du Qatar dans les révolutions arabes.
    8 - Le CCG vient de faire un choix politique et stratégique important mais douteux, pour ne pas dire aventureux : aller vers sa logique utltime, soit devenir une sorte de sainte alliance (La Tribune du Sahara 17 mai 2011).
    9 - Hala Kodmani, l’incapacité du Qatar à entretenir son influence propre et la convergence de ses opinions wahhabites avec l’Arabie Saoudite (Confluences Méditerranée n°84)
    10 - Georgio Kafiero : en misant sur des chevaux différents en Egypte et en Tunisie, l’Arabie Saoudite et le Qatar sont devenus rivaux (site Epoctimes, 10 octobre 2012)
    11 Gilles Kepel : «Soutenus par le Qatar, les Frères veulent s’emparer du pouvoir par le haut en prenant le pays par les urnes» (Liiberté du 6 avril 2012)
    12 - Karim Sader : «Le minuscule émirat tire les pleins bénéfices de cet affaiblissement et entend s’imposer comme le nouveau pôle d’attraction islamique du XXIe siècle) (Confluences n°84)
    13- Qui sont les wahhabites ? - http://www.sunna.info/wahhabite/wahhabites/_CadreWah.php
    14 - Kapitalis – 25 janvier 2013 – «Un imam algérien avertit les Tunisiens contre l’invasion du wahhabisme »
    15 - El Watan 31 janvier 2013 «Imams érudits et prédicateurs du Sahel se rencontrent à Alger - Une ligue pour combattre le fanatisme religieux »
    16 - «Par la diffusion de leur doctrine, les wahhabites sont l’origine de toutes sortes de groupes qui, au nom de la légitimité de l’individu à être indépendant pour interpréter les textes, se permettent les assassinats, le terrorisme, la formation de groupes entrainés aux meurtres, aux pillages et aux viols. Ils considèrent effectivement qu’hormis eux, tout le monde est mécréant, à maltraiter et à abattre.»
    17 - «Traditionnellement, le canal de financement de ces mouvances salafistes se fait par le biais d’organisations humanitaires et caritatives islamiques, ou présentées comme telles, ou via des membres de la famille royale, de Samir Amghar, in «Comment la mouvance salafiste carbure aux pétrodollars saoudiens» France 24 – 27 septembre 2012
    18 - de Samir Amghar, in «Comment la mouvance salafiste carbure aux pétrodollars saoudiens» France 24 – 27 septembre 2012
    19 - Sur le site du Monde, le 13 mars, article «Berlin interdit 3 groupes salafistes»
    20 - Voir «Fin de l’exercice Gulf Falcon 2013 au Qatar» sur le site Défense
    21 - Georges Corm, Afkar/Ideas : «(...) les 3 piliers des alliances américaines, en dehors du Japon et du monde occidental, sont l’Arabie Saoudite, le Pakistan et Israël»

    Source :

    El Watan :: lien

  • Syrie : ridicule de justifier le terrorisme par la volonté de renverser Assad

    Lettre du général Aoun :

     

    "Je vous adresse cette lettre car je suis convaincu que le silence doit être brisé en ce qui concerne l’enlèvement des deux évêques d’Alep, en espérant que vos gouvernements puissent prendre les mesures qui s’imposent pour trouver une issue à cette question grave et urgente. Le 22 Avril, l’évêque grec orthodoxe d’Alep Mgr Boulos Yazigi et son homologue syriaque orthodoxe l’archevêque Youhana Ibrahim ont été enlevés sur la route de leur retour à Alep au niveau d’un village sur la frontière syro-turque; leur chauffeur a été tué devant eux de sang-froid comme indiqué par la presse.

    La situation en Syrie a atteint un niveau dramatique et les crimes perpétrés par les hommes armés au nom de la liberté ont visé cette fois-ci deux hommes de l’église, qui n’ont rien à voir avec le conflit armé actuel en Syrie. Bien au contraire, ils n’ont cessé d’appeler et d'œuvrer pour la paix et de prier pour toute la Syrie dans toutes ses composantes.

    Pourtant, ce dernier épisode n'est pas un acte isolé ni le premier dans la série d’agressions qui visent les religieux chrétiens. En effet, les deux évêques enlevés rentraient d’une mission pour négocier la libération de deux autres prêtres pris en otage, le père Michel Kayal de l’église arménienne catholique et le père Maher Boulos Mahfouz de l’église grecque orthodoxe, tout deux enlevés le 14 février dernier. Quelque temps plus tôt, le 25 Octobre et le 26 Décembre 2012, deux prêtres grecs orthodoxes, Fadi Haddad et Bassilios Nassar, ont été aussi assassinés par des hommes armés.

    Ces actes ne peuvent en aucun cas traduire une quelconque «lutte pour la liberté ». Ce sont des actes de terrorisme perpétrés par des terroristes assoiffés de haine qui se nourrit du sang des innocents et de la vie des civils. Par ailleurs, il est devenu ridicule et risible de justifier ce terrorisme par la volonté de renverser le régime Assad. Votre pays a apporté un soutien politique et médiatique à la rébellion syrienne et aux hommes armés et continue de le faire. De plus, des rapports médiatiques ont évoqué la possibilité que certains pays aient vraisemblablement fourni ces groupes armés en hommes et en armes les encourageant ainsi dans leurs agissements horribles et terrifiants, car ils savent qu’ils peuvent toujours compter, en toute impunité, sur votre soutien.

    Votre pays condamne certainement tous les actes de violence, mais son silence retentissant vis-à-vis de ces actes lui fait porter aussi une responsabilité morale à la hauteur de sa capacité de faire éviter ces crimes. Le devoir moral vous appelle donc à tout faire pour assurer la sécurité des Archevêques Yazigi et Ibrahim et mettre à contribution tout les moyens pour assurer leur libération au plus tôt.

    Je continue à croire que la politique doit respecter les codes de la morale pour le bien de l'humanité en général et des peuples divisés de notre région en particulier. Par conséquent, j’ai l’honneur de m’adresser à vous pour vous solliciter d’agir pour sauver les deux évêques avant qu’il ne soit trop tard et avant que le remord ne se substitue à l’action. L’histoire jugera les actes et non les intentions et sanctionnera l'inaction. Enfin, je suis convaincu que vous allez soutenir cet appel et agir car vos peuples souffrent autant du terrorisme, le danger le plus grave qui menace la stabilité du monde."

    Michel Janva  http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • Jihadistes ou brigadistes ?

     

    [Tribune libre] Les ministres de l’Intérieur français, Manuel VALS, et belge, Joëlle MILQUET, s’étonnent et s’offusquent que des volontaires musulmans, issus des « banlieues » puissent s’engager dans les rébellions en Lybie, en Syrie ou au Mali aux côtés des mercenaires payés, entraînés et armés par l’Arabie Saoudite et le Qatar.

    Quoi de plus normal puisque depuis plusieurs années les gouvernements européens ont aidé à la déstabilisation de l’Irak, de l’Afghanistan, de l’Egypte, de la Tunisie ou de la Lybie hier, et aujourd’hui de la Syrie.

    Les complices de la parodie de procès de Saddam Hussein ayant conduit à sa pendaison, les commanditaires de l’assassinat de Mouammar Kadhafi, les responsables de l’échec afghan, de l’éviction de Moubarak et de Ben Ali, ceux qui exigent la peau de Bachar-el-Assad, refusent maintenant que des milliers de maghrébins inassimilables puissent rallier les sunnites au Proche-Orient, au Maghreb ou ailleurs en Afrique.

    Pourquoi reprocher à ces volontaires d’aller défendre leurs convictions ou leur idéal pour une cause qui leur a été présentée comme indispensable à l’instauration de la « démocratie » ?

    Pourquoi critiquer ces « jeunes » et condamner leur engagement, alors que dans le même temps les médias, aux ordres du gouvernement, dénoncent en permanence ces « dictatures » à abattre ?

    Les donneurs de leçons de la mafia socialaud-libéro-écolo-humaniste feraient bien de se taire et balayer devant leur porte. Durant la guerre d’Espagne (1936-1939) des dizaines de milliers d’européens ont rejoint les Brigades Internationales au prétexte d’instaurer, les armes à la main, le communisme (chanté et adulé par Dolorès Ibarruri la « Pasionaria ») contre la volonté de la majorité du peuple espagnol. Ces brigadistes du marxisme mondialiste ont toujours et partout été montrés en exemple, tout au long de la seconde moitié du XXème siècle, par les charlatans de la démocrasse.

    Il est donc naturel, logique et compréhensible que le combat pour défendre le domaine de l’Islam soit aujourd’hui alimenté par des volontaires – janissaires du 21ème siècle – nourris et lobotomisés par ceux qui durant des décennies ont saboté et vilipendé les valeurs séculaires qui ont fait la grandeur de l’Europe.

    Mais le déclin de notre civilisation et la décadence de notre culture conduisent une partie des immigrants à se tourner vers d’autres horizons. C’est pourquoi le boomerang droit de l’hommiste et la culture de l’excuse se retournent contre les saltimbanques de la Pensée Unique, du Politiquement Correct et du Melting-Pot à tous les étages !

    Et quand Carla DEL PONTE, membre de la Commission de Recherche de l’ONU sur les violations des Droits de l’Homme, confirme maintenant que les rebelles de l’ASL et les katibas salafistes utilisent la torture, commettent d’innombrables viols envers les civils et font usage de gaz sarin pour assassiner la population, il est grand temps d’ouvrir les yeux, de changer de discours et de tout mettre en œuvre pour sauver le soldat BACHAR ! ! !

    Pieter KERSTENS http://www.contre-info.com/

  • Israël bombarde la Syrie dans un assourdissant silence médiatique

    Pour une fois, je citerai Le Figaro, qui est à peu près le seul journal à en parler.

    Même (et surtout) le podcast de France Inter retire les paroles "imprudentes" du journaliste qui évoquait ce sujet brûlant dans les titres ce matin à 7h (si on compile les 4 articles entre 7h et 7h30, on s'aperçoit qu'il manque 2 minutes et 33 secondes : celles qui correspondaient à cette annonce).

    Ce qui s'appelle de l'auto-censure, au minimum, car je pense que des directives sont tombées avant que le sujet ne puisse être développé.

    En fait, il n'y a à ma connaissance aucun écho à cette info, nulle part, en dehors du Figaro et de quelques discrets media alternatifs..

    On nous parle comme d'habitude de sujets sans grande importance, mais sur ce sujet capital, motus et bouche cousue.

    C'est pourtant d'une importance majeure, un pas vers la guerre israélo-syrienne, en prélude à la guerre israélo-iranienne et donc à un conflit généralisé.

    Ainsi, des avions israéliens ont pu bombarder la Syrie, survoler le palais présidentiel, ce qui est un acte guerre caractérisé, sans attirer l'attention de nos journalistes, à part ici (citation) :

    Syrie : un troisième raid israélien passé sous silence

    Par Georges Malbrunot le 6 mai 2013

    Outre les deux raids menés le week-end dernier, un premier bombardement de l’aviation israélienne en Syrie est en revanche resté sous silence aussi bien à Tel Aviv qu'à Damas. Il eut lieu la nuit du samedi 27 au dimanche 28 avril, nous ont affirmé plusieurs sources diplomatiques et militaires. 

    Après avoir frappé leur cible dans la banlieue de Damas, les avions de combat israéliens ont ensuite survolé le palais présidentiel de Bachar el-Assad dans la capitale syrienne, selon un diplomate qui suit de près la crise syrienne. Comme ils l’avaient fait en 2007 lorsque l’aviation israélienne avait détruit un site nucléaire syrien dans le désert à l’est du pays.
    (http://blog.lefigaro.fr/malbrunot/2013/05/syrie-un-troisiemeraid-
    israel.html )
     
    Et il faut féliciter Georges Malbrunot, un des rares à avoir le courage d'en parler, puisque apparemment il en faut pour proclamer la vérité.        
    En fait, il s'agit bien de provocations israéliennes : devant l'impuissance des insurgés (une bande de mercenaires voyous surarmés par le Qatar avec l'appui marqué des USA et d'Israël) à renverser le gouvernement syrien, l'état israélien, tout en cachant ses provocations par la mainmise qu'il a sur toute la presse, tente de provoquer une riposte syrienne, qui aurait, elle, toute la publicité qui convient. Mais le pouvoir syrien se garde bien de marcher dans la combine, et n'offre aucun prétexte aux appétits guerriers de Tel-Aviv, préférant en appeler aux instances internationales pour faire cesser l'agression (sans grand écho d'ailleurs, car il y a longtemps que l'ONU a choisi son camp). Obama, pour sa part, semble bien embêté, et semble craindre qu'Isrël ne lui force la main, ce en quoi il n'a pas tort :  http://www.lefigaro.fr/international/2013/05/06/01003-20130506ARTFIG00791-barack-obama-tente-de-calmerlejeu.php                                                                          
     
    Extrait : "Devant la crainte d'une contagion régionale, Washington résiste aux pressions pour intervenir dans le conflit. Avec la stupéfiante affirmation de Carla Del Ponte, selon laquelle l'utilisation de gaz sarin en Syrie pourrait avoir été le fait des rebelles et non du régime d'Assad, la confusion redouble à Washington sur la marche à suivre, même si la Maison-Blanche s'est dite hier « hautement sceptique » sur l'hypothèse d'une utilisation d'armes chimiques par les insurgés, pointant du doigt le pouvoir. Dans le brouillard de la guerre syrienne, l'appel à la prudence d'Obama s'en trouve renforcé, lui permettant de gagner du temps."             
     
    L'ONU a par ailleurs immédiatement réagi aux propos de Carla Del Ponte pour en minimiser l'importance, parce qu'évidemment c'est la version "armes chimiques gouvernementales syriennes" qui doit prévaloir....Il faut retenir de tout cela qu'il ne faut pas compter sur nos média aux ordres pour nous tenir informés d'autre chose que des âneries et des choses sans importance, et que les événements les plus dramatiques, avant-coureurs d'un conflit mondial, nous sont soigneusement cachés. 
  • Causerie à bâtons rompus sur la notion de patrie charnelle par Robert STEUCKERS

     

    La notion de patrie charnelle nous vient de l’écrivain et militant politique Marc Augier, dit « Saint-Loup », dont le monde de l’édition — en particulier Les Presses de la Cité — a surtout retenu les récits de son aventure militaire sur le Front de l’Est pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais l’œuvre de Saint-Loup ne se résume pas à cette seule aventure militaire, ses récits de fiction, son évocation des Cathares de Montségur ou de la Terre de Feu argentine le hissent au niveau d’un très grand écrivain, ce qu’il serait devenu indubitablement pour la postérité s’il n’avait traîné une réputation de « réprouvé » donc de « pestiféré ». Dans les écrits de ce Français très original, il y a beaucoup plus à glaner que ces seules péripéties militaires dans un conflit mondial du passé qui ne cesse de hanter les esprits, comme le prouve l’existence de belles revues sur papier glacé, comme 39-45 ou Ligne de front, par exemple. Il faut se rappeler, entre bien d’autres choses, qu’il a été l’initiateur des « Auberges de jeunesse » sous le Front Populaire, lorsqu’il était un militant socialiste, incarnant un socialisme fort différent de celui des avocats aigris, « maçonneux », encravatés et radoteurs-rationalistes : le socialisme du camarade Marc Augier (qui n’est pas encore Saint-Loup) est joyeux et juvénile, c’est un socialisme de l’action, du grand « oui » à la Vie. Saint-Loup, que je n’ai rencontré que deux fois, en 1975, était effectivement un homme affable et doux mais amoureux de l’action, de toute action amenant des résultats durables, hostile aux chichis et aux airs pincés des psycho-rigides qui ont incarné les établissements successifs dont la France a été affligée.

     

    Un monde qui devrait être tissé de fraternité

     

    Le terme « action », en politique, dans l’espace linguistique francophone, possède une genèse particulière. Maurras utilise le mot dans le nom de son mouvement, l’Action Française, sans nécessairement se référer à la philosophie du catholique Maurice Blondel, auteur d’un solide traité philosophique intitulé L’Action, pour qui l’engagement pour la foi devait être permanent et inscrit dans des « œuvres », créées pour le « Bien commun » et qu’il fallait perpétuer en offrant ses efforts, sans tenter de les monnayer, sans espérer une sinécure comme récompense. En Belgique, le Cardinal Mercier, correspondant de Blondel, donnera une connotation politisée, sans nul doute teintée de maurrassisme, à des initiatives comme l’Action Catholique de la Jeunesse Belge (A.C.J.B.), dont émergeront deux phénomènes marquants de l’histoire et de l’art belges du XXe siècle : 1) le rexisme de Degrelle en tant que dissidence contestatrice fugace et éphémère du « Parti Catholique », et, 2) dans un registre non politicien et plus durable, la figure de Tintin, qui agit dans ses aventures pour que le Bien platonicien ou la justice (divine?) triomphe, sans jamais faire état de ses croyances, de ses aspirations religieuses, sans jamais montrer bondieuseries ou affects pharisiens. Cette dimension aventurière, Saint-Loup l’a très certainement incarnée, comme Tintin, même si son idiosyncrasie personnelle ne le rapprochait nullement du catholicisme français de son époque, amoureux des productions graphiques d’Hergé via la revue Cœurs Vaillants; en effet, Saint-Loup est né dans une famille protestante, hostile à l’Église en tant qu’appareil trop rigide. Ce protestantisme se muera en un laïcisme militant, exercé dans un cadre politique socialiste, se voulant détaché de tout appareil clérical, au nom du laïcisme révolutionnaire. Saint-Loup crée en effet ses Auberges de jeunesse dans le cadre d’une association nommée « Centre laïque des Auberges de Jeunesse ». Dans cette optique, qui est la sienne avant-guerre, le monde idéal, s’il advenait, devrait être tissé de fraternité, ce qui exclut tout bigotisme et tout alignement sur les manies des bien-pensants (et là il rejoint un catholique haut en couleurs, Georges Bernanos…).

     

    Contre la « double désincarnation »

     

    Les linéaments idiosyncratiques de la pensée émergente du jeune Marc Augier conduisent bien entendu à une rupture bien nette avec l’ordre établi, parce que l’ordre est désormais désincarné et qu’il faut le réincarner. Comment ? En recréant de la fraternité, notamment par le biais des auberges de jeunesse. Aussi en revenant aux sources de toutes les religions, c’est-à-dire au paganisme (option également partagée par Robert Dun). Sur le plan politique, les options de Saint-Loup sont anti-étatistes, l’État étant une rigidité, comme l’Église, qui empêche toute véritable fraternité de se déployer dans la société. Saint-Loup ne sera donc jamais l’adepte d’un nationalisme étatique, partageant cette option avec le Breton Olier Mordrel, qui fut, lui, condamné à mort par l’État français en 1940 : le militant de la Bretagne libre va alors condamner à mort en esprit l’instance (de pure fabrication) qui l’a condamné à mort, lui, le Breton de chair et de sang. Chez Saint-Loup, ces notions de fraternité, de paganisme, d’anti-étatisme postulent en bout de course : 1) une vision de l’espace français comme tissu pluriel, dont il ne faut jamais gommer la diversité, et 2) une option européenne. Mais l’Europe, telle qu’elle était, telle qu’elle est aujourd’hui, aux mains des bien-pensants, n’était et n’est plus elle-même; elle est coupée de ses racines par un christianisme étranger à ses terres et par la modernité qui est un avatar laïcisé de ce christianisme éradicateur. Constater que l’Europe est malade et décadente revient donc à constater une « double désincarnation ».

     

    Les deux axiomes de la pensée charnelle

     

    Cette perception de l’Europe, de nos sociétés européennes, se révèle dans le roman La peau de l’aurochs, géographiquement situé dans une vallée valdôtaine. Les Valdôtains de La peau de l’aurochs se rebiffent contre l’industrialisation qui détruit les traditions populaires (ce n’est pas toujours vrai, à mon sens, car dans des régions industrielles comme la Lorraine, la Ruhr ou la Wallonie du sillon Sambre – Meuse sont nées des cultures ouvrières et populaires riches, d’où les sculpteurs Constantin Meunier et Georges Wasterlain ont tiré leurs créations époustouflantes de beauté classique). Et les Valdôtains du roman de Saint-Loup veulent aussi préserver les cultes ancestraux, ce qui est toujours plus aisé dans les régions montagneuses que dans les plaines, notamment en Suisse, où les dialectes des vallées se maintiennent encore, ainsi que dans tout l’arc alpin, notamment en Italie du Nord où une revue comme Terra Insubre défend et illustre les résidus encore bien vivants de la culture populaire lombarde et cisalpine. La peau de l’aurochs est un roman qui nous permet de déduire un premier axiome dans le cadre de la défense de toutes les identités charnelles: la PRÉSERVATION DE NOTRE IDENTITÉ = la GARANTIE DE NOTRE ÉTERNITÉ. Cet axiome pourrait justifier une sorte de quiétisme, d’abandon de toute revendication politique, un désintérêt pour le monde. Ce pourrait être le cas si on se contentait de ne plus faire que du « muséisme », de ne recenser que des faits de folklore, en répétant seulement des traditions anciennes. Mais Saint-Loup, comme plus tard Jean Mabire, ajoute à cette volonté de préservation un sens de l’aventure. Nos deux auteurs s’interdisent de sombrer dans toute forme de rigidité conceptuelle et privilégient, comme Olier Mordrel, le vécu. Le Breton était très explicite sur ce recours permanent au « vécu » dans les colonnes de sa revue Stur avant la Seconde Guerre mondiale. De ce recours à l’aventure et au vécu, nous pouvons déduire un second axiome : les RACINES SONT DANS LES EXPÉRIENCES INTENSES. Ce deuxième axiome doit nous rendre attentifs aux oppositions suivantes : enracinement/déracinement, désinstallation/installation. Avec Saint-Loup et Mabire, il convient donc de prôner l’avènement d’une humanité enracinée et désinstallée (aventureuse) et de fustiger toute humanité déclinante qui serait déracinée et installée.

    On ne peut juger avec exactitude l’impact de la lecture de Nietzsche sur la génération de Saint-Loup en France. Mais il est certain que la notion, non théorisée à l’époque, de « désinstallation », est une notion cardinale de la « Révolution conservatrice » allemande, relayée par Ernst Jünger à l’époque de son militantisme national-révolutionnaire puis, après 1945, par Armin Mohler et, à sa suite, par la « nouvelle droite », via les thèses « nominalistes » qu’il avait exposées dans les colonnes de la revue munichoise Criticon, en 1978-79. La personnalité volontariste et désinstallée, en retrait (« withdrawal », disait Toynbee) par rapport aux établissements installés, est celle qui, si la chance lui sourit, impulse aux cycles historiques de nouveaux infléchissements, lors de son retour (« return » chez Toynbee) sur la scène historico-politique. Cette idée, exposée dans la présentation que faisait Mohler de la « révolution conservatrice » dans sa célèbre thèse de doctorat, a été importée dans le corpus de la « nouvelle droite » française par Giorgio Locchi, qui a recensé cet ouvrage fondamental pour la revue Nouvelle École.

     

    Saint-Loup, Tournier : la fascination pour l’Allemagne

     

    Le socialiste Marc Augier, actif dans le cadre du Front populaire français de 1936, découvrira l’Allemagne et tombera sous son charme. Pourquoi l’Allemagne ? Dans les années 30, elle exerçait une véritable fascination, une fascination qui est d’abord esthétique, avec les « cathédrales de lumière » de Nuremberg, qui s’explique ensuite par le culte de la jeunesse en vigueur au cours de ces années. Les auberges et les camps allemands sont plus convaincants, aux yeux de Marc Augier, que les initiatives, somme toute bancales, du Front populaire. Il ne sera pas le seul à partager ce point de vue : Michel Tournier, dans Le Roi des Aulnes, partage cette opinion, qui s’exprime encore avec davantage de brio dans le film du même titre, réalisé par Volker Schlöndorff. Le célèbre créateur de bandes dessinées « Dimitri », lui aussi, critique les formes anciennes d’éducation, rigides et répressives, dans sa magnifique histoire d’un pauvre gamin orphelin, devenu valet de ferme puis condamné à la maison de correction pour avoir tué le boucher venu occire son veau favori, confident de ses chagrins, et qui, extrait de cette prison pour aller servir la patrie aux armées, meurt à la bataille de Gallipoli. Le héros naïf Abel dans Le Roi des Aulnes de Schlöndorff, un Abel, homme naïf, naturel et intact, jugé « idiot » par ses contemporains est incarné par l’acteur John Malkovich : il parle aux animaux (le grand élan, la lionne de Gœring, les pigeons de l’armée française…) et communique facilement avec les enfants, trouve que la convivialité et la fraternité sont réellement présentes dans les camps allemands de la jeunesse alors qu’elles étaient totalement absentes, en tant que vertus, dans son école française, le collège Saint-Christophe. Certes Schlöndorff montre, dans son film, que cette convivialité bon enfant tourne à l’aigreur, la crispation et la fureur au moment de l’ultime défaite : le visage du gamin qui frappe Abel d’un coup de crosse, lui brise les lunettes, est l’expression la plus terrifiante de cette rage devenue suicidaire. Tournier narre d’ailleurs ce qui le rapproche de l’Allemagne dans un petit essai largement autobiographique, Le bonheur en Allemagne ? (Folio, n° 4366).

     

    Une vision « sphérique » de l’histoire

     

    Toutes ces tendances, perceptibles dans la France sainement contestatrice des années 30, sont tributaires d’une lecture de Nietzsche, philosophe qui avait brisé à coups de marteau les icônes conventionnelles d’une société qui risquait bien, à la fin du « stupide XIXe siècle », de se figer définitivement, comme le craignaient tous les esprits non conformes et aventureux. Le nietzschéisme, via les mouvements d’avant-gardes ou via des séismographes comme Arthur Moeller van den Bruck, va compénétrer tout le mouvement dit de la « révolution conservatrice » puis passer dans le corpus national-révolutionnaire avec Ernst Jünger, tributaire, lui aussi, du nietzschéisme ambiant des cercles « jungkonservativ » mais tributaire également, dans les traits tout personnels de son style et dans ses options intimes, de Barrès et de Bloy. Quand Armin Mohler, secrétaire d’Ernst Jünger après la Seconde Guerre mondiale, voudra réactiver ce corpus qu’il qualifiera de « conservateur » (ce qu’il n’était pas aux sens français et britannique du terme) ou de « nominaliste » (pour lancer dans le débat une étiquette nouvelle et non « grillée »), il transmettra en quelque sorte le flambeau à la « nouvelle droite », grâce notamment aux recensions de Giorgio Locchi, qui résumera en quelques lignes, mais sans grand lendemain dans ces milieux, la conception « sphérique » de l’histoire. Pour les tenants de cette conception « sphérique » de l’histoire, celle-ci n’est forcément pas « linéaire », ne s’inscrit pas sur une ligne posée comme « ascendante » et laissant derrière elle tout le passé, considéré sans la moindre nuance comme un ballast devenu inutile. L’histoire n’est pas davantage « cyclique », reproduisant un « même » à intervalles réguliers, comme pourrait le faire suggérer la succession des saisons dans le temps naturel sous nos latitudes européennes. Elle est sphérique car des volontés bien tranchées, des personnalités hors normes, lui impulsent une direction nouvelle sur la surface de la « sphère », quand elles rejettent énergiquement un ronron répétitif menaçant de faire périr d’ennui et de sclérose un « vivre-en-commun », auparavant innervé par les forces vives de la tradition. S’amorce alors un cycle nouveau qui n’a pas nécessairement, sur la sphère, la même trajectoire circulaire et rotative que son prédécesseur.

    Le nietzschéisme diffus, présent dans la France des années 20 et 30, mais atténué par rapport à la Belle Époque, où des germanistes français comme Charles Andler l’avaient introduit, ensuite l’idéal de la jeunesse vagabondante, randonneuse et proche de la nature, inauguré par les mouvements dits du « Wandervogel », vont induire un engouement pour les choses allemandes, en dépit de la germanophobie ambiante, du poids des formes mortes qu’étaient le laïcardisme de la IIIe République ou le nationalisme maurrassien (contesté par les « non-conformistes » des années 30 ou par de plus jeunes éléments comme ceux qui animaient la rédaction de Je suis partout).

     

    B.H.L. : exécuteur testamentaire de Mister Yahvé

     

    Je répète la question: pourquoi l’Allemagne ? Malgré la pression due à la propagande revancharde d’avant 1914 et l’hostilité d’après 1918, la nouvelle Allemagne exerce, comme je viens de le dire, une fascination sur les esprits : cette fascination est esthétique (les « cathédrales de lumière »); elle est due aussi au culte de la jeunesse, présent en marge du régime arrivé au pouvoir en janvier 1933. L’organisation des auberges et des camps de vacances apparaît plus convaincante aux yeux de Saint-Loup que les initiatives du Front Populaire, auquel il a pourtant adhéré avec enthousiasme. La fascination exercée par la « modernité nationale-socialiste » (à laquelle s’opposera une décennie plus tard la « modernité nord-américaine » victorieuse du conflit) va bien au-delà du régime politique en tant que tel qui ne fait que jouer sur un filon ancien de la tradition philosophique allemande qui trouve ses racines dans la pensée de Johann Gottfried Herder (1744 – 1803), comme il jouera d’ailleurs sur d’autres filons, sécrétant de la sorte diverses opportunités politiques, exploitables par une propagande bien huilée qui joue en permanence sur plusieurs tableaux. Herder, ce personnage-clef dans l’histoire de la pensée allemande appartient à une tradition qu’il faut bien appeler les « autres Lumières ». Quand on évoque la philosophie des « Lumières »  aujourd’hui, on songe immédiatement à la soupe que veulent nous servir les grands pontes du « politiquement correct » qui sévissent aujourd’hui, en France avec Bernard-Henri Lévy et en Allemagne avec Jürgen Habermas, qui nous intiment tous deux l’ordre de penser uniquement selon leur mode, sous peine de damnation, et orchestrent ou font orchestrer par leurs larbins frénétiques des campagnes de haine contre tous les contrevenants. On sait aussi que pour Lévy, les « Lumières » (auxquelles il faut adhérer !) représentent une sorte de pot-pourri où l’on retrouve les idées de la Révolution française, la tambouille droit-de-l’hommiste cuite dans les marmites médiatiques des services secrets américains du temps de la présidence de Jimmy Carter (un Quaker cultivateur de cacahouètes) et un hypothétique « Testament de Dieu », yahvique dans sa définition toute bricolée, et dont ce Lévy serait bien entendu l’unique exécuteur testamentaire. Tous ceux qui osent ne pas croire que cette formule apportera la parousie ou la fin de l’histoire, tous les déviants, qu’ils soient maurrassiens, communistes, socialistes au sens des non-conformistes français des années 30, néo-droitistes, gaullistes, économistes hétérodoxes et j’en passe, sont houspillés dans une géhenne, celle dite de l’ « idéologie française », sorte de cloaque nauséabond, selon Lévy, où marineraient des haines cuites et recuites, où les spermatozoïdes et les ovaires de la « bête immonde » risqueraient encore de procréer suite à des coïts monstrueux, comme celui des « rouges-bruns » putatifs du printemps et de l’été 1993. Il est donc illicite d’aller remuer dans ce chaudron de sorcières, dans l’espoir de faire naître du nouveau.

     

    Habermas, théoricien de la « raison palabrante »

     

    Pour Habermas — dont, paraît-il, le papa était Kreisleiter de la N.S.D.A.P. dans la région de Francfort (ce qui doit nous laisser supposer qu’il a dû porter un beau petit uniforme de membre du Jungvolk et qu’on a dû lui confier une superbe trompette ou un joli petit tambour)— le fondement du politique n’est pas un peuple précis, un peuple de familles plus ou moins soudées par d’innombrables liens de cousinage soit, en bref, une grande famille concrète; il n’est pas davantage une communauté politique et/ou militaire partageant une histoire ou une épopée commune ni une population qui a, au fil de l’histoire, généré un ensemble d’institutions spécifiques (difficilement exportables parce que liées à un site précis et à une temporalité particulière, difficilement solubles aussi dans une panade à la B.H.L. ou à la Habermas). Pour Jürgen Habermas, le fiston du Kreisleiter qui ne cesse de faire son Œdipe, le fondement du politique ne peut être qu’un système abstrait (abstrait par rapport à toutes les réalités concrètes et charnelles), donc une construction rationnelle (Habermas étant bien entendu, et selon lui-même, la seule incarnation de la raison dans une Allemagne qui doit sans cesse être rappelée à l’ordre parce qu’elle aurait une tendance irrépressible à basculer dans ses irrationalités), c’est-à-dire une constitution basée sur les principes des Lumières, que Habermas se charge de redéfinir à sa façon, deux siècles après leur émergence dans la pensée européenne. Dans cette perspective, même la constitution démocratique adoptée par la République fédérale allemande en 1949 est suspecte : en effet, elle dit s’adresser à un peuple précis, le peuple allemand, et évoque une vieille vertu germanique, la « Würde », qu’il s’agit de respecter en la personne de chaque citoyen. En ce sens, elle n’est pas universaliste, comme l’est la version des « Lumières » redéfinie par Habermas, et fait appel à un sentiment qui ne se laisse pas enfermer dans un corset conceptuel de facture rationnelle.

    Dans la sphère du politique, l’émergence des principes des Lumières, revus suite aux cogitations de Jürgen Habermas, s’effectue par le « débat », par la perpétuelle remise en question de tout et du contraire de tout. Ce débat porte le nom pompeux d’« agir communicationnel », que le philosophe Gerd Bergfleth avait qualifié, dans un solide petit pamphlet bien ficelé, de « Palavernde Vernunft », de « raison palabrante », soit de perpétuel bavardage, critique pertinente qui a valu à son auteur, le pauvre Bergfleth, d’être vilipendé et ostracisé. Notons que Habermas a fabriqué sa propre petite géhenne, qu’il appelle la « pensée néo-irrationnelle » où sont jetés, pêle-mêle, les tenants les plus en vue de la philosophie française contemporaine comme Derrida (!), Foucault, Deleuze, Guattari, Bataille, etc., ainsi que leur maître allemand, le bon philosophe souabe Martin Heidegger. Si l’on additionne les auteurs jetés dans la géhenne de l’« idéologie française » par Lévy à ceux que fustige Habermas, il ne reste plus grand chose à lire… Il n’y a plus beaucoup de combinatoires possibles, et tenter encore et toujours de « combiner » les ingrédients (« mauvais » selon Lévy et Habermas) pour faire du neuf, pour faire éclore d’autres possibles, serait, pour nos deux inquisiteurs, se placer dans une posture condamnable que l’on adopterait que sous peine de devenir immanquablement, irrémédiablement, inexorablement, un « irrationaliste », donc un « facho », d’office exclu de tous débats…

     

    Jean-François Lyotard, critique des « universaux » de Habermas

     

    Avec un entêtement qui devient tout-à-fait navrant au fil du temps, Habermas veut conserver dans sa philosophie et sa sociologie, dans sa vision du fonctionnement optimal de la politique quotidienne au sein des États occidentaux, posés comme modèles pour le reste du monde, une forme procédurière à la manière de Kant, gage d’appartenance aux Lumières et de « correction politique », une forme procédurière qui deviendrait le fondement intangible des mécanismes politiques, un fondement privé désormais de toute la transcendance qui les chapeautait encore dans la pensée kantienne. Ce sont ces procédures, véritables épures du réel, qui doivent unir les citoyens dans un consensus minimal, obtenu par un « parler » ininterrompu, par un usage « adéquat » de la parole, conditionné par des universaux linguistiques que Habermas pose comme inamovibles (« Kommunikativa », « Konstativa », « Repräsentativa/Expressiva », « Regulativa »). Bref, le Dieu piétiste kantien remplacé par le blabla des baba-cools ou des députés moisis ou des avocaillons militants, voir le « moteur immobile »  d’Aristote remplacé par la fébrilité logorrhique des nouvelles « clasas discutidoras »… Le philosophe français Jean-François Lyotard démontre que de tels universaux soi-disant pragmatiques n’existent pas : les jeux de langage sont toujours producteurs d’hétérogénéité, se manifestent selon des règles qui leur sont propres et qui suscitent bien entendu des inévitables conflits. Il n’existe donc pas pour Lyotard quelque chose qui équivaudrait à un « télos du consensus général », reposant sur ce que Habermas appelle, sans rire, « les compétences interactionnelles post-conventionnelles »; au contraire, pour Lyotard, comme, en d’autres termes, pour Armin Mohler ou l’Ernst Jünger national-révolutionnaire des années 20, il faut constater qu’il y a toujours et partout « agonalité conflictuelle entre paroles diverses/divergentes »; si l’on s’obstine à vouloir enrayer les effets de cette agonalité et à effacer cette pluralité divergente, toutes deux objectives, toutes deux bien observables dans l’histoire, on fera basculer le monde entier sous la férule d’un « totalitarisme de la raison », soit un « totalitarisme de la raison devenue folle à force d’être palabrante », qui éliminera l’essence même de l’humanité comme kaléidoscope infini de peuples, de diversités d’expression; cette essence réside dans la pluralité ineffaçable des jeux de paroles diverses (cf. Ralf Bambach, « Jürgen Habermas » , in J. Nida-Rümelin (Hrsg.), Philosophie der Gegenwart in Einzeldarstellungen von Adorno bis v. Wright, Kröner, Stuttgart, 1991; Yves Cusset, Habermas. L’espoir de la discussion, Michalon, coll. « Bien commun », Paris, 2001).

    En France, les vitupérations de Lévy dans L’idéologie française empêchent, in fine, de retourner, au-delà des thèses de l’Action Française, aux « grandes idées incontestables » qu’entendait sauver Hauriou (et qui suscitaient l’intérêt de Carl Schmitt), ce qui met la « République », privée d’assises solides issues de son histoire, en porte-à-faux permanent avec des pays qui, comme la Grande-Bretagne, les États-Unis, la Turquie ou la Chine façonnent leur agir politique sur l’échiquier international en se référant constamment à de « grandes idées incontestables », semblables à celles évoquées par Hauriou. Ensuite, l’inquisition décrétée par ce Lévy, exécuteur testamentaire de Yahvé sur la place de Paris, interdit de (re)penser une économie différente (historique, institutionnaliste et régulationniste sur le plan de la théorie) au profit d’une population en voie de paupérisation, de déréliction et d’aliénation économique totale; une nouvelle économie correctrice ne peut que suivre les recettes issues des filons hétérodoxes de la pensée économique et donc de parachever certaines initiatives avortées du gaullisme de la fin des années 60 (idée de « participation » et d’« intéressement », Sénat des régions et des professions, etc.). Les fulminations inquisitoriales des Lévy et Habermas conduisent donc à l’impasse, à l’impossibilité, tant que leurs propagandes ne sont pas réduites à néant, de sortir des enlisements contemporains. De tous les enlisements où marinent désormais les régimes démocratiques occidentaux, aujourd’hui aux mains des baba-cools saoulés de logorrhées habermassiennes et soixante-huitardes.

     

    Habermas : contre l’idée prussienne et contre l’État ethnique

     

    Habermas, dans le contexte allemand, combat en fait deux idées, deux visions de l’État et de la politique. Il combat l’idée prussienne, où l’État et la machine administrative, le fonctionnariat serviteur du peuple, dérivent d’un principe de « nation armée ». Notons que cette vision prussienne de l’État ne repose sur aucun a priori de type « ethnique » car l’armée de Frédéric II comprenait des hommes de toutes nationalités (Finnois, Slaves, Irlandais, Allemands, Hongrois, Huguenots français, Ottomans d’Europe, etc.). Notons également que Habermas, tout en se revendiquant bruyamment des « Lumières », rejette, avec sa critique véhémente de l’idée prussienne, un pur produit des Lumières, de l’Aufklärung, qui avait rejeté bien des archaïsmes, devenus franchement inutiles, au siècle de son triomphe. Cette critique vise en fait toute forme d’État encadrant et durable, rétif au principe du bavardage perpétuel, pompeusement baptisé « agir communicationnel ». Simultanément, Habermas rejette les idéaux relevant des « autres Lumières » , celles de Herder, où le fondement du politique réside dans la « populité », la « Volkheit », soit le peuple (débarrassé d’aristocraties aux mœurs artificielles, déracinées et exotiques). Habermas, tout en se faisant passer pour l’exécuteur testamentaire des « philosophes des Lumières », à l’instar de Bernard-Henri Lévy qui, lui, est l’exécuteur testamentaire de Yahvé en personne, jette aux orties une bonne partie de l’héritage philosophique du XVIIIe siècle. Avec ces deux compères, nous faisons face à la plus formidable escroquerie politico-philosophique du siècle ! Ils veulent nous vendre comme seul produit autorisé l’Aufklärung mais ce qu’ils placent sur l’étal de leur boutique, c’est un Aufklärung homogénéisé, nettoyé des trois quarts de son contenu, cette tradition étant plurielle, variée, comme l’ont démontré des auteurs, non traduits, comme Peter Gay en Angleterre et Antonio Santucci en Italie (cf. Peter Gay, The Enlightenment : An Interpretation – The Rise of Modern Paganism, W. W. Norton & Company, New York/London, 1966-1977; Peter Gay, The Enlightenment : An Interpretation – The Science of Freedom, Wildwood House, London, 1969-1979; Antonio Santucci (a cura di), Interpretazioni dell’Illuminismo, Il Mulino, Bologna, 1979; on se référera aussi aux livres suivants : Léo Gershoy, L’Europe des princes éclairés 1763-1789, Gérard Montfort éd., Brionne, 1982; Michel Delon, L’idée d’énergie au tournant des Lumières (1770-1820), P.U.F., Paris, 1988).

     

    Deux principes kantiens chez Herder

     

    Cette option de Herder, qui est « populaire » ou « ethnique », « ethno-centrée », est aussi corollaire de la vision fraternelle d’une future Europe libérée, qui serait basée sur le pluralisme ethnique ou l’« ethnopluralisme », où les peuples ne devraient plus passer par des filtres étrangers ou artificiels/abstraits pour faire valoir leurs droits ou leur identité culturelle. La vision herdérienne dérive bien des « Lumières » dans la mesure où elle fait siens deux principes kantiens; premier principe de Kant : « Tu ne feras pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’autrui te fasse »; ce premier principe induit un respect des différences entre les hommes et interdit de gommer par décret autoritaire ou par manœuvres politiques sournoises les traditions d’un peuple donné; deuxième principe kantien : « Sapere aude ! », « Ose savoir ! », autrement dit : « Libère-toi des pesanteurs inutiles, débarrasse-toi du ballast accumulé et encombrant, de tous les filtres inutiles, qui t’empêchent d’être toi-même ! » Ce principe kantien, réclamant l’audace du sujet pensant, Herder le fusionne avec l’adage grec « Gnôthi seautôn ! », « Connais-toi toi-même ». Pour parfaire cette fusion, il procède à une enquête générale sur les racines de la littérature, et de la culture de son temps et des temps anciens, en n’omettant pas les pans entiers de nos héritages qui avaient été refoulés par le christianisme, le dolorisme chrétien, la scolastique figée, le cartésianisme abscons, le blabla des Lumières palabrantes, le classicisme répétitif et académique, etc., comme nous devrions nous aussi, sans jamais nous arrêter, procéder à ce type de travail archéologique et généalogique, cette fois contre la « pensée unique », le « politiquement correct » et le pseudo-testament de Yahvé.

     

    Définition de la « Bildung »

     

    Dans la perspective ouverte par Herder, les fondements de l’État sont dès lors le peuple, héritier de son propre passé, la culture et la littérature que ce peuple a produites et les valeurs éthiques que cette culture transmet et véhicule. En bref, nous aussi, nous sommes héritiers des Lumières, non pas de celles du jacobinisme ou celles que veut nous imposer le système aujourd’hui, mais de ces « autres Lumières ». Saint-Loup, en critiquant le christianisme et le modèle occidental (soit, anticipativement, les « Lumières » tronquées de B.H.L. et d’Habermas) s’inscrit dans le filon herdérien, sans jamais retomber dans des formes sclérosantes de « tu dois! ». « Sapere aude ! »  est également pour lui un impératif, lié à la belle injonction grecque « Gnôthi seautôn ! ». Toujours dans cette perspective herdérienne, l’humanité n’est pas une panade zoologique d’êtres humains homogénéisés par la mise en œuvre, disciplinante et sévère, d’idées abstraites, mais un ensemble de groupes humains diversifiés, souvent vastes, qui explorent en permanence et dans la joie leurs propres racines, comme les « humanités » gréco-latines nous permettent d’explorer nos racines d’avant la christianisation. Pour Herder, il faut un retour aux Grecs, mais au-delà de toutes les édulcorations « ad usum Delphini »; ce retour ne peut donc déboucher sur un culte stéréotypé de la seule Antiquité classique, il faut qu’il soit flanqué d’un retour aux racines germaniques dans les pays germaniques et scandinaves, au fond celtique dans les pays de langues gaéliques, aux traditions slaves dans le monde slave. Le processus d’auto-centrage des peuples, de mise en adéquation permanente avec leur fond propre, s’effectue par le truchement de la « Bildung ». Ce terme allemand dérive du verbe « bilden », « construire ». Je me construis moi-même, et mon peuple se construit lui-même, en cherchant en permanence l’adéquation à mes racines, à ses racines. La « Bildung » consiste à chercher dans ses racines les recettes pour arraisonner le réel et ses défis, dans un monde soumis à la loi perpétuelle du changement.

    Pour Herder, représentant emblématique des « autres Lumières », le peuple, c’est l’ensemble des « Bürger », terme que l’on peut certes traduire par « bourgeois » mais qu’il faut plutôt traduire par le terme latin « civis/cives », soit « citoyen », « membre du corps du peuple ». Le terme « bourgeois », au cours du XIXe siècle, ayant acquis une connotation péjorative, synonyme de « rentier déconnecté » grenouillant en marge du monde réel où l’on œuvre et où l’on souffre. Pour Herder, le peuple est donc l’ensemble des paysans, des artisans et des lettrés. Les paysans sont les dépositaires de la tradition vernaculaire, la classe nourricière incontournable. Les artisans sont les créateurs de biens matériels utiles. Les lettrés sont, eux, les gardiens de la mémoire. Herder exclut de sa définition du « peuple » l’aristocratie, parce qu’est s’est composé un monde artificiel étranger aux racines, et les « déclassés » ou « hors classe », qu’il appelle la « canaille » et qui est imperméable à toute transmission et à toute discipline dans quelque domaine intellectuel ou pratique que ce soit. Cette exclusion de l’aristocratie explique notamment le républicanisme ultérieur des nationalismes irlandais et flamand, qui rejettent tous deux l’aristocratie et la bourgeoisie anglicisées ou francisées. Sa définition est injuste pour les aristocraties liées aux terroirs, comme dans le Brandebourg prussien (les « Krautjunker »), la Franche-Comté (où les frontières entre la noblesse et la paysannerie sont ténues et poreuses) et les Ardennes luxembourgeoises de parlers romans.

     

    Une formidable postérité intellectuelle

     

    L’oeuvre de Herder a connu une formidable postérité intellectuelle. Pour l’essentiel, toute l’érudition historique du XIXe siècle, toutes les avancées dans les domaines de l’archéologie, de la philologie et de la linguistique, lui sont redevables. En Allemagne, la quête archéo-généalogique de Herder se poursuit avec Wilhelm Dilthey, pour qui les manifestations du vivant (et donc de l’histoire), échappent à toute définition figeante, les seules choses définissables avec précision étant les choses mortes : tant qu’un phénomène vit, il échappe à toute définition; tant qu’un peuple vit, il ne peut entrer dans un corset institutionnel posé comme définitif et toujours condamné, à un moment donné du devenir historique, à se rigidifier. Nietzsche appartient au filon ouvert par Herder dans la mesure où la Grèce qu’il entend explorer et réhabiliter est celle des tragiques et des pré-socratiques, celle qui échappe justement à une raison trop étriquée, trop répétitive, celle qui chante en communauté les hymnes à Dionysos, dans le théâtre d’Athènes, au flanc de l’Acropole, ou dans celui d’Épidaure. Les engouements folcistes (c.a.d. « völkisch »), y compris ceux que l’on peut rétrospectivement qualifier d’exagérés ou de « chromomorphes », s’inscrivent à leur tour dans la postérité de Herder. Pour le Professeur anglais Barnard, exégète minutieux de l’œuvre de Herder, sa pensée n’a pas eu de grand impact en France; cependant, toute une érudition archéo-généalogique très peu politisée (et donc, à ce titre, oubliée), souvent axée sur l’histoire locale, mérite amplement d’être redécouverte en France, notamment à la suite d’une historienne et philologue comme Nicole Belmont (cf. Paroles païennes. Mythe et folklore, Imago, Paris, 1986). Théodore Hersart de la Villemarqué (1815 – 1895), selon une méthode préconisée par les frères Grimm, rassemble dans un recueil les chants populaires de Bretagne, sous le titre de Barzaz Breiz en 1836. Hippolyte Taine ou Augustin Thierry, quand ils abordent l’histoire des Francs, l’époque mérovingienne ou les origines de la France d’Ancien Régime effectuent un travail archéo-généalogique, « révolutionnaire » dans la mesure où ils lancent des pistes qui dépassent forcément les répétitions et les fixismes, les ritournelles et les rengaines des pensées scolastiques, cartésiennes ou illuministes-républicaines. Aujourd’hui, Micberth (qui fut le premier à utiliser le terme « nouvelle droite » dans un contexte tout à fait différent de celui de la « Nouvelle Droite » qui fit la une des médias dès l’année 1979) publie des centaines de monographies, rédigées par des érudits du XIXe et du début du XXe, sur des villages ou de petites villes de France, où l’on retrouve des trésors oubliées et surtout d’innombrables pistes laissées en jachère. Enfin, l’exégète des œuvres de Herder, Max Rouché, nous a légué des introductions bien charpentées à leurs éditions françaises, parus en édition bilingue chez Aubier-Montaigne.

     

    Irlande, Flandre et Scandinavie

     

    Le nationalisme irlandais est l’exemple même d’un nationalisme de matrice « herdérienne ». La figure la plus emblématique de l’« herdérianisation » du nationalisme irlandais demeure Thomas Davis, né en 1814. Bien qu’il ait été un protestant d’origine anglo-galloise, son nationalisme irlandais propose surtout de dépasser les clivages religieux qui divisent l’Île Verte, et d’abandonner l’utilitarisme, idéologie dominante en Angleterre au début du XIXe siècle. Le nationalisme irlandais est donc aussi une révolte contre le libéralisme utilitariste; l’effacer de l’horizon des peuples est dès lors la tâche exemplaire qui l’attend, selon Thomas Davis. Écoutons-le : « L’anglicanisme moderne, c’est-à-dire l’utilitarisme, les idées de Russell et de Peel ainsi que celles des radicaux, que l’on peut appeler “ yankeeïsme ” ou “ anglichisme ”, se borne à mesurer la prospérité à l’aune de valeurs échangeables, à mesurer le devoir à l’aune du gain, à limiter les désirs [de l’homme] aux fringues, à la bouffe et à la [fausse] respectabilité; cette malédiction [anglichiste] s’est abattue sur l’Irlande sous le règne des Whigs mais elle est aussi la malédiction favorite des Tories à la Peel » (cité in D. George Boyce, Nationalism in Ireland, Routledge, London, 1995, 3e éd.). Comme Thomas Carlyle, Thomas Davis critique l’étranglement mental des peuples des Îles Britanniques par l’utilitarisme ou la « shop keeper mentality »; inspiré par les idées du romantisme nationaliste allemand, dérivé de Herder, il explique à ses compatriotes qu’un peuple, pour se dégager de la « néo-animalité » utilitariste, doit cesser de se penser non pas comme un « agglomérat accidentel » de personnes d’origines disparates habitant sur un territoire donné, mais comme un ensemble non fortuit d’hommes et de femmes partageant une culture héritée de longue date et s’exprimant par la littérature, par l’histoire et surtout, par la langue. Celle-ci est le véhicule de la mémoire historique d’un peuple et non pas un ensemble accidentel de mots en vrac ne servant qu’à une communication élémentaire, « utile », comme tente de le faire croire l’enseignement dévoyé d’aujourd’hui quand il régule de manière autoritaire (sans en avoir l’air… à grand renfort de justifications pseudo-pédagogiques boiteuses…) et maladroite (en changeant d’avis à tour de bras…) l’apprentissage des langues maternelles et des langues étrangères, réduisant leur étude à des tristes répétitions de banalités quotidiennes vides de sens. Davis : « La langue qui évolue avec le peuple est conforme à ses origines; elle décrit son climat, sa constitution et ses mœurs; elle se mêle inextricablement à son histoire et à son âme… » (cité par D. G. Boyce, op. cit.).

    Catholique, l’Irlande profonde réagit contre la colonisation puritaine, achevée par Cromwell au XVIIe siècle. Le chantre d’un « homo celticus »  ou « hibernicus », différent du puritain anglais ou de l’utilitariste du XIXe siècle, sera indubitablement Padraig Pearse (1879 – 1916). Son nationalisme mystique vise à faire advenir en terre d’Irlande un homme non pas « nouveau », fabriqué dans un laboratoire expérimental qui fait du passé table rase, mais renouant avec des traditions immémoriales, celles du « Gaël ». Pearse : « Le Gaël n’est pas comme les autres hommes, la bêche et le métier à tisser, et même l’épée, ne sont pas pour lui. Mais c’est une destinée plus glorieuse encore que celle de Rome qui l’attend, plus glorieuse aussi que celle de Dame Britannia: il doit devenir le sauveur de l’idéalisme dans la vie moderne, intellectuelle et sociale » (cité in F. S. L. Lyons, Culture and Anarchy in Ireland 1890 – 1939, Oxford University Press, 1982). Pearse, de parents anglais, se réfère à la légende du héros païen Cuchulainn, dont la devise était : « Peu me chaut de ne vivre qu’un seul jour et qu’une seule nuit pourvu que ma réputation (fama) et mes actes vivent après moi ». Cette concession d’un catholique fervent au paganisme celtique (du moins au mythe de Cuchulainn) se double d’un culte de Saint Columcille, le moine et missionnaire qui appartenait à l’ordre des « Filid » (des druides après la christianisation) et entendait sauvegarder sous un travestissement chrétien les mystères antiques et avait exigé des chefs irlandais de faire construire des établissements pour qu’on puisse y perpétuer les savoirs disponibles; à ce titre, Columcille, en imposant la construction d’abbayes-bibliothèques en dur, a sauvé une bonne partie de l’héritage antique. Pearse : « L’ancien système irlandais, qu’il ait été païen ou chrétien, possédait, à un degré exceptionnel, la chose la plus nécessaire à l’éducation : une inspiration adéquate. Columcille nous a fait entendre ce que pouvait être cette inspiration quand il a dit : “ Si je meurs, ce sera de l’excès d’amour que je porte en moi, en tant que Gaël ”. Un amour et un sens du service si excessif qu’il annihile toute pensée égoïste, cette attitude, c’est reconnaître que l’on doit tout donner, que l’on doit être toujours prêt à faire le sacrifice ultime : voilà ce qui a inspiré le héros Cuchulainn et le saint Columcille; c’est l’inspiration qui a fait de l’un un héros, de l’autre, un saint » (cité par F. S. L. Lyons, op. cit.). Chez Pearse, le mysticisme pré-chrétien et la ferveur d’un catholicisme rebelle fusionnent dans un culte du sang versé. La rose noire, symbole de l’Irlande humiliée, privée de sa liberté et de son identité, deviendra rose rouge et vivante, resplendissante, par le sang des héros qui la coloreront en se sacrifiant pour elle. Cette mystique de la « rose rouge » était partagée par trois martyrs de l’insurrection des Pâques 1916 : Pearse lui-même, Thomas MacDonagh et Joseph Plunkett. On peut vraiment dire que cette vision mystique et poétique a été prémonitoire.

    En dépit de son « papisme », l’Irlande embraye donc sur le renouveau celtique, néo-païen, né au Pays de Galles à la fin du XVIIIe, où les « identitaires » gallois de l’époque réaniment la tradition des fêtes populaires de l’Eisteddfod, dont les origines remontent au XIIe siècle. Plus tard, les réminiscences celtiques se retrouvent chez des poètes comme Yeats, pourtant de tradition familiale protestante, et comme Padraig Pearse (que je viens de citer et auquel Jean Mabire a consacré une monographie), fusillé après le soulèvement de Pâques 1916. En Flandre, la renaissance d’un nationalisme vernaculaire, le premier recours conscient aux racines locales et vernaculaires via une volonté de sauver la langue populaire du naufrage, s’inscrit, dès son premier balbutiement, dans la tradition des « autres Lumières » , non pas directement de Herder mais d’une approche « rousseauiste »  et « leibnizienne » (elle reprend — outre l’idée rousseauiste d’émancipation réinsérée dans une histoire populaire réelle et non pas laissée dans une empyrée désincarnée — l’idée d’une appartenance oubliée à l’ensemble des peuples « japhétiques », c’est-à-dire indo-européens, selon Leibniz) : cette approche est parfaitement décelable dans le manifeste de 1788 rédigé par Jan-Baptist Verlooy avant la « révolution brabançonne » de 1789 (qui contrairement à la révolution de Paris était « intégriste catholique » et dirigée contre les Lumières des Encyclopédistes). L’érudition en pays de langues germaniques s’abreuvera à la source herdérienne, si bien, que l’on peut aussi qualifier le mouvement flamand de « herdérien ». Il tire également son inspiration du roman historique écossais (Walter Scott), expression d’une rébellion républicaine calédonienne, d’inspiration panceltique avant la lettre. En effet, Hendrik Conscience avait lu Scott, dont le style narratif et romantique lui servira de modèle pour le type de roman national flamando-belge qu’il entendait produire, juste avant d’écrire son célèbre Lion des Flandres (De Leeuw van Vlaanderen). Les Allemands Hoffmann von Fallersleben et Oetker recueilleront des récits populaires flamands selon la méthode inaugurée par les Frères Grimm dans le Nord de la Hesse, le long d’une route féérique que l’on appelle toujours la « Märchenstrasse » (« La route des contes »). De nos jours encore, il existe toute une érudition flamande qui repose sur les mêmes principes archéo-généalogiques.

     

    L’idéal de l’Odelsbonde

     

    En Scandinavie, la démarche archéo-généalogique de Herder fusionne avec des traditions locales norvégiennes ou danoises (avec Grundvigt, dont l’itinéraire fascinait Jean Mabire). La tradition politique scandinave, avec sa survalorisation du paysannat (surtout en Norvège), dérive directement de postulats similaires, les armées norvégiennes, au service des monarques suédois ou danois, étant constituées de paysans libres, sans caste aristocratique distincte du peuple et en marge de lui (au sens où on l’entendait dans la France de Louis XV, par exemple, quand on ne tenait pas compte des paysannats libres locaux). L’idéal humain de la tradition politique norvégienne, jusque chez un Knut Hamsun, est celui de l’Odelsbonde, du « paysan libre » arcbouté sur son lopin ingrat, dont il tire librement sa subsistance, sous un climat d’une dureté cruelle. Les musées d’Oslo exaltent cette figure centrale, tout en diffusant un ethnopluralisme sainement compris : le même type d’érudition objective est mis au service des peuples non indo-européens de l’espace circumpolaire, comme les Sami finno-ougriens.

    L’actualité montre que cette double tradition herdérienne et grundvigtienne en Scandinavie, flanquée de l’idéal de l’Odelsbonde demeure vivace et qu’elle peut donner des leçons de véritable démocratie (il faudrait dire : « de laocratie », « laos » étant le véritable substantif désignant le meilleur du peuple en langue grecque) à nos démocrates auto-proclamés qui hissent les catégories les plus abjectes de la population au-dessus du peuple réel, c’est-à-dire au-dessus des strates positives de la population qui œuvrent en cultivant le sol, en produisant de leurs mains des biens nécessaires et de bonne qualité ou en transmettant le savoir ancestral. Seules ces dernières castes sont incontournables et nécessaires au bon fonctionnement d’une société. Les autres, celles qui tiennent aujourd’hui le haut du pavé, sont parasitaires et génèrent des comportements anti-laocratiques : le peuple d’Islande l’a compris au cours de ces deux ou trois dernières années; il a flanqué ses banquiers et les politicards véreux, qui en étaient les instruments, au trou après la crise de l’automne 2008. Résultat : l’Islande se porte bien. Elle a redressé la barre et se développe. Les strates parasitaires ont été matées. Nos pays vont mal : les banquiers et leurs valets politiciens tirent leur révérence en empochant la manne de leurs « parachutes dorés ». Aucun cul de basse-fosse ne leur sert de logis bien mérité. Dès lors tout vaut tout et tout est permis (pourquoi faudrait-il désormais sanctionner l’ado qui pique un portable à l’étal d’un Media-Markt, si un patapouf comme Dehaene fout le camp après son interminable cortège de gaffes avec, en son escarcelle, des milliards de dédommagements non mérités ?). Les principes les plus élémentaires d’éthique sont foulés aux pieds.

     

    Tradition « herdérienne »  dans les pays slaves

     

    Dans les pays slaves, la tradition archéo-généalogique de Herder s’est maintenue tout au long du XIXe siècle et a même survécu sous les divers régimes communistes, imposés en 1917 ou en 1945 – 48. Chez les Tchèques, elle a sauvé la langue de l’abâtardissement mais s’est retournée paradoxalement contre l’Allemagne, patrie de Herder, et contre l’Autriche-Hongrie. Chez les Croates et les Serbes, elle a toujours manifesté sa présence, au grand dam des éradicateurs contemporains; en effet, les porteurs de l’idéal folciste sud-slave ont été vilipendés par Alain Finkelkraut lors de la crise yougoslave du début des années 90 du XXe siècle, sous prétexte que ces érudits et historiens auraient justifié à l’avance les « épurations ethniques » du récent conflit inter-yougoslave, alors que le journaliste et slaviste israélite autrichien Wolfgang Libal considérait dans son livre Die Serben, publié au même moment, que ces figures, vouées aux gémonies par Finkelkraut et les autres maniaques parisiens du « politiquement correct » et du « prêt-à-penser », étaient des érudits hors pair et des apôtres de la libération laocratique de leurs peuples, notamment face à l’arbitraire ottoman… Vous avez dit « bricolage médiatique » ? En Russie, l’héritage de Herder a donné les slavophiles ou « narodniki », dont la tradition est demeurée intacte aujourd’hui, en dépit des sept décennies de communisme. Des auteurs contemporains comme Valentin Raspoutine ou Alexandre Soljénitsyne en sont tributaires. Le travail de nos amis Ivanov, Avdeev et Toulaev également.

    En Bretagne, le réveil celtique, après 1918, s’inscrit dans le sillage du celtisme irlandais et de toutes les tentatives de créer un mouvement panceltique pour le bien des « Six Nations » (Irlandais, Gallois, Gaéliques écossais, Manxois, Corniques et Bretons), un panceltisme dûment appuyé, dès le lendemain de la défaite allemande de 1945, par le nouvel État irlandais dominé par le Fianna Fail d’Eamon de Valera et par le ministre irlandais Sean MacBride, fils d’un fusillé de 1916. La tradition archéo-généalogique de Herder, d’où dérive l’idéal de « patrie charnelle » et le rejet de tous les mécanismes anti-laocratiques visant à infliger aux peuples une domination abstraite sous un masque « démocratique » ou non, est immensément riche en diversités. Sa richesse est même infinie. Tout mouvement identitaire, impliquant le retour à la terre et au peuple, aux facteurs sang et sol de la méthode historique d’Hyppolite Taine, à l’agonalité entre « paroles diverses » (Lyotard), est un avatar de cette immense planète de la pensée, toute tissée d’érudition. Si un Jean Haudry explore la tradition indo-européenne et son émergence à l’ère proto-historique, si un Pierre Vial exalte les œuvres de Jean Giono ou d’Henri Vincenot ou si un Jean Mabire évoque une quantité impressionnante d’auteurs liés à leurs terres ou chante la geste des « éveilleurs de peuple », ils sont des disciples de Herder et des chantres des patries charnelles. Ils ne cherchent pas les fondements du politique dans des idées figées et toutes faites ni n’inscrivent leurs démarches dans une métapolitique « aggiornamenté », qui se voudrait aussi une culture du « débat », un « autre débat »  peut-être, mais qui ne sera jamais qu’une sorte d’ersatz plus ou moins « droitisé », vaguement infléchi de quelques misérables degrés vers une droite de conviction, un ersatz à coup sûr parisianisé de ces « palabres rationnels » de Habermas qui ont tant envahi nos médias, nos hémicycles politiques, nos innombrables commissions qui ne résolvent rien.

    Robert Steuckers http://www.europemaxima.com/

     

    • Avec la nostalgie du « Grand Lothier », Forest-Flotzenberg et Nancy, mars 2012.

    • Conférence prononcée à Nancy, à la tribune de Terre & Peuple- Lorraine, le 10 mars 2012.

    • D’abord mis en ligne sur Euro-Synergies, le 5 mars 2013.