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international - Page 1374

  • P. Ploncard d'Assac - Conférence Paris - Connaître l'ennemi...

  • Vers la fin du nouvel ordre mondial ?

    Pour la première fois depuis la chute de l’URSS et l’avènement du nouvel ordre mondial, la Russie mène une opération militaire hors de ses frontières, dans un pays voisin et souverain et ce afin de défendre des citoyens russes. Le jeudi 7 août 2008 restera dans les annale car l’opération militaire russe actuellement en cours va modifier à "jamais" les relations internationales.

    Comment en est-on arrivé là et pourquoi cette petite bande de territoire semble avoir tellement d’importance pour Moscou, Tbilissi, Washington ou encore l’UE ? Et quelles sont les perspectives ?

    La Géorgie, pion du grand échiquier

    En novembre 2003, la Géorgie a été victime d’un « coup d’Etat démocratique » : la Révolution des roses, une des Révolutions colorées organisées par la CIA et des officines « proches » afin de renverser des régimes des Etats jugés trop proches politiquement de Moscou ou ceux sur des emplacements stratégiques. Ont principalement été visés des Etats comme la Serbie, l’Ukraine ou encore la Géorgie (lire à ce sujet mon article).

    La Serbie parce que alliée de la Russie dans les Balkans, l’Ukraine et la Géorgie parce que stratégiques dans la volonté d’encerclement (containment) de la Russie, ces deux Etats étant membres actifs du GUUAM.

    Depuis la prise de pouvoir de Mikhail Saakachvili, la Géorgie est devenue un allié indéfectible de Washington, le président a lui-même été formé par Georges Soros, l’homme derrière les Révolutions colorées d’Europe centrale, l’investisseur du groupe Carlyle... Des ministres de l’actuel gouvernement sont des anciens collaborateurs du financier américain au sein de sa fondation. Un certain nombre de jeunes conseillers de Saakachvili ont également été formés aux Etats-Unis dans le cadre des échanges universitaires mis en place et gérés par la Fondation privée de Soros. Le gouvernement américain, quant à lui, a doublé son aide économique bilatérale à la Géorgie qui atteint aujourd’hui 185 millions de dollars. De plus, la Maison-Blanche est engagée dans un programme de formation des forces spéciales de l’armée géorgienne dans le cadre de la lutte contre le terrorisme islamiste dans la région avec l’aide d’Israël, lire à ce sujet cet article extrêmement bien documenté. À la mi-juillet, les troupes états-uniennes et géorgiennes ont tenu un exercice militaire commun dénommé « réponse immédiate » impliquant respectivement 1 200 États-Uniens et 800 Géorgiens.

    J’ai déjà également traité de l’importance de la guerre énergétique en cours et notamment du pipeline BTC. Ce pipeline devant permettre de passer outre la Russie, et de desservir l’Europe du Sud via la Géorgie, la Turquie et Israël, qui souhaite par ce biais jouer un rôle essentiel dans la région bien sûr, en contournant la Russie, mais surtout dans la ré-exportation du pétrole vers l’Asie ! La revue russe Kommersant ne titrait-elle pas le 14 juillet 2006 que : « Le pipeline BTC a considérablement changé le statut des pays de la région et cimenté une nouvelle alliance pro-occidentale. Ayant influé pour la construction de l’oléoduc vers la Méditerranée, Washington a pratiquement mis en place un nouveau bloc avec l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Turquie et Israël. »

    Ces coups d’Etats fomentés par la CIA aux frontières de la Russie, l’extension à l’est de l’Otan, l’installation du système de radars américains en Europe centrale, les négociations d’entrée de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’Otan (bloquées fort heureusement par l’Allemagne), mais surtout l’extension de l’UE (désormais sur la mer Noire) et la terrible affaire du Kosovo ont été considérées par la Russie comme autant d’agressions indirectes et de viol du droit international qu’on lui prétend lui « opposer » pourtant officiellement partout.

    Juillet / août 2008

    Le 12 juillet 2008, une annonce du ministère géorgien de la Défense déclarait que les troupes états-uniennes et géorgiennes « s’entraînent durant trois semaines sur la base militaire de Vaziani » près de la capitale géorgienne, Tbilissi (AP, 15 juillet 2008). Ces exercices, qui se sont achevés à peine une semaine avant l’attaque du 7 août, étaient la répétition générale évidente d’une opération militaire qui, selon toute probabilité, avait été planifiée en étroite coopération avec le Pentagone.

    Dans un premier temps, la Géorgie, puissamment armée et entraînée par l’Amérique et Israël, a contesté l’organe chargé de régler le conflit – la Commission mixte de contrôle – qui est coprésidé par la Russie, la Géorgie, l’Ossétie du Nord et l’Ossétie du Sud.

    Le 7 août, coïncidant avec la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques de Beijing, le président de Géorgie ordonne d’attaquer militairement tous azimuts la capitale de l’Ossétie du Sud, Tskhinvali. Une attaque militaire d’assez haute intensité pour « rétablir l’ordre constitutionnel ». La Russie a alors réagi comme se doit de réagir un Etat souverain chatouillé sur sa frontière et dont les citoyens sont menacés militairement. Elle a répliqué afin de chasser les soldats géorgiens et de protéger ses citoyens. L’attaque contre l’Ossétie a abouti à l’affrontement direct avec les forces russes.

    Ces cinq derniers jours, les combats ont été extrêmement violents, ce soir, mardi, l’armée géorgienne a été repoussée hors d’Ossétie et les combats entre troupes russes et géorgiennes se seraient rapprochés de l’est du pays, vers la capitale Tbilissi. Comme l’affirme Alexandre Lomaia, le chef du Conseil national de sécurité géorgien, «  Nous n’avons pas capitulé, notre armée reste en bon ordre malgré les pertesJe peux vous assurer que nous recevons une aide militaire de l’étranger… Et nous la recevrons jusqu’à ce que nous ayons chassé les Russes du pays. »

    Le Kremlin a ouvertement accusé l’Amérique de « favoriser  » la Géorgie. Comme le Premier ministre, Vladimir Poutine, l’a dit lui-même : « Ce n’est pas le cynisme des politiques (américains) qui étonne (...) mais c’est le niveau de ce cynisme, la capacité à présenter ce qui est blanc en noir, ce qui est noir en blanc, la capacité à présenter l’agresseur en victime de l’agression  »«  Saddam Hussein devait être pendu parce qu’il a détruit quelques villages chiites, mais les autorités géorgiennes actuelles doivent être défendues alors qu’elles ont rayé de la Terre en une heure des dizaines de villages ossètes, qu’elles ont écrasé vieillards et enfants avec leurs chars et qu’elles ont brûlé vif les gens dans leurs maisons ». Pourtant malgré l’aide internationale l’armée russe est en train de « très sérieusement » affaiblir la force militaire géorgienne, afin de simplement éviter qu’une opération d’une telle ampleur ne puisse se reproduire.

    «  Qu’est-ce qui peut empêcher les Russes d’aller jusqu’à Tbilissi ? … Saakachvili a pensé qu’il allait pouvoir regagner du terrain par la force. Imaginer que cette petite avancée tactique serait acceptée par la Russie est le calcul de quelqu’un de stupide », reconnaissait hier un diplomate européen plein d’amertume. Effectivement, si l’on regarde les forces en présence, on ne peut comprendre le geste de folie de Mikhail Saakachvili, sauf si ce dernier a naïvement cru que le fait d’être dans les bonnes grâces des Occidentaux lui donnait tous les droits…

    Jugez vous-même :

    RUSSIE : 1 000 000 d’hommes / 23 000 tanks / 26 000 pièces d’artillerie / 1 802 avion de combats / 1 932 hélicoptères.

    GEORGIE : 32 000 hommes / 128 tanks / 109 pièces d’artillerie / 8 avions d’attaques / 37 hélicoptères.

    Comment dans ces conditions et sans l’aval de certains le Petit Poucet géorgien pouvait-il penser faire tomber l’ogre russe, ce dernier bénéficiant en plus de l’appui des milices ossètes et des volontaires cosaques ! Les vrais responsables des tragiques événements ne sont pas la Russie, qui ne fait que défendre des citoyens russes victimes d’une agression militaire de l’armée géorgienne, mais bel et bien la politique de fou de l’Amérique dans cette partie du monde, Amérique qui a fait miroiter à Saakachvili tout et n’importe quoi, de l’Union européenne à l’Otan, celui-ci n’ayant en fait servi que de marionnette pour permettre la création du pipeline BTC sus-cité, et servir de fusible pour chatouiller l’ours sur sa frontière…

    Comme tout fusible, ce dernier va finir par brûler et ce sont les civils géorgiens et ossètes qui vont et ont déjà commencé à en faire les frais. Parallèlement, un second front s’est ouvert en Abkhazie. La Géorgie vient tout simplement de disparaître en tant qu’Etat souverain.

    De l’Ossétie au Kosovo, l’échec de l’Otan

    Derrière le conflit qui aboutira sans doute à la partition territoriale de l’Ossétie et de l’Abkhazie, comment ne pas voir un des ricochets de la politique irrationnelle de Washington dans les Balkans et notamment la sombre affaire du Kosovo ? Certes, les cas de figures sont différents, certes les Ossètes n’ont pas envahi l’Ossétie comme les Albanais le Kosovo, mais puisque les Américains ont prouvé que l’on pouvait modifier les frontières des Etats sans aucune raison au mépris des peuples et de toutes les règles de droit international, pourquoi ce qui serait valable pour les Kosovars ne le serait pas pour les Ossètes ou les Abkhazes ? Vladimir Poutine avait parlé de l’Amérique dans des termes "post-guerre froide", comparant ce pays à : "un loup affamé qui mange et n’écoute personne"… Au début de cette année, le ministre russe des Affaires étrangères, Lavrov, avait prévenu son homologue américain que : "la reconnaissance du Kosovo constituerait un précédent pour l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud". Mais celui-ci n’a pas été écouté.

    Naïvement, Saakashvili a pensé que d’être dans les bonnes grâces du Pentagone lui conférait un blanc-seing et le droit de recourir à la force sans aucune raison. En ce sens, un parallèle est faisable entre le viol de la souveraineté territoriale de la Serbie (à savoir la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, alors que la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l’ONU - qui réaffirmait sans ambiguïté la souveraineté de la Serbie sur ce territoire) et l’agression militaire contre l’Ossétie de jeudi dernier.

    Néanmoins, s’il est facile d’agresser un voisin faible, il l’est beaucoup moins contre un voisin fort, à savoir la Russie. Cette dernière affirme en outre que près de 2 000 civils auraient péri dans les combats, que 30 000 réfugiés auraient fui en Ossétie du Nord et parle habilement et ouvertement de génocide à l’encontre du peuple ossète, des termes qui rappellent ceux utilisés par l’Otan pour justifier sa campagne de bombardements en Serbie en 1999.

    En ce sens, la réaction russe de ces derniers jours est non seulement parfaitement justifiée, mais elle est saine pour l’Europe et l’humanité tout entière : elle prouve que l’Otan ne peut impunément violer les règles de droit international sans que personne ne s’y oppose. Si l’implication de Washington semble évidente pour les Russes, il semble certain que les premiers qui le nient ont lourdement sous-estimés la capacité de réaction russe.

    Vers la fin du nouvel ordre mondial

    L’opération militaire en cours a un sens bien plus important que le seul affrontement russo-géorgien. En effet, pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, la confrontation Russie-Amérique vient de tourner à l’avantage des Russes. Pour la première fois, un coup d’arrêt clair et net est imposé a l’aigle, par un ours réveillé et en colère. Pour la première fois surtout, la Russie vient de s’opposer militairement et de façon "indirecte" à l’Amérique en dehors de ses frontières. Il ne faut pas se tromper sur le sens réel des événements et essayer de comprendre la démonstration de forces des Russes. Le trio "Medvedev-Poutine-Lavrov" vient simplement de mettre fin au système unilatéral agencé par l’Otan pendant la guerre du Golfe de 1991.

    Après la décennie de l’effondrement (de 1990 à 1999), la décennie de l’extension à l’est de l’Otan et parallèlement du réveil russe (de 1999 à 2008), il est fort plausible que nous entrions dans la décennie du reflux à l’Ouest et du regain d’influence russe sur les anciennes marches de l’Empire.

    Eltsine n’avait rien pu faire face à l’endormissement de l’ours, Poutine l’a réveillé, celui-ci est désormais éveillé et attentif. Alors que se tendent les relations russo-américaines via l’Europe de l’Est et le Caucase, se dessinent sensiblement de nouvelles frontières du monde de demain.

    Plus qu’un message à l’humanité, la Russie a montré sa détermination et sa capacité à répondre désormais à toute agression injustifiée. Pour les Européens qui se cherchent toujours une réelle politique militaire, l’heure approche où il faudra prendre position pour ou contre la Russie et par conséquent devoir imaginer à très court terme de se séparer de l’Otan pour former la grande alliance continentale pré-esquissée par le général de Gaulle et souhaitée par Vladimir Poutine aujourd’hui : l’alliance continentale Euro-Russe, seule garante de la paix sur notre continent.

    Dans le cas contraire, l’Europe se coupant de la Russie et de ses voisins se suiciderait littéralement, condamnée à ne rester que la vassale de l’Amérique, en froid avec son principal fournisseur énergétique.

    par Alexandre Latsa (son site)

  • Les entretiens de Franck Abed - Le Complot Mondialiste par Philippe Ploncard d'Assac

  • Pour une troisième voie économique

    Bonjour mesdames et messieurs,

    J’ai aujourd’hui l’honneur de m’adresser à vous à l’invitation de Serge Ayoub. Je ne suis pas membre de Troisième Voie, l’expérience m’ayant enseigné qu’un engagement politique est incompatible avec le recul attendu d’un analyste impartial. Pour autant, je me considère comme un compagnon de route de votre mouvement. J’ai en effet coécrit, avec Serge et un mystérieux « M. Thibaud », un petit ouvrage, « G5G, la guerre de cinquième génération », dont certaines idées se retrouveront sans doute, à l’avenir, dans votre Troisième Voie.

    C’est pourquoi, quand Serge m’a demandé une contribution à votre réflexion sur l’économie, j’ai immédiatement accepté. De toute manière, le moment est excellent pour proposer des voies nouvelles. Après tout, ce que nous allons vivre dans les vingt ans qui viennent, c’est la fin d’un monde. Alors profitons-en pour dessiner, dès à présent, ce que nous espérons pour le monde d’après.

    Entendons-nous bien : cette formule, « la fin d’un monde », n’est pas une « manière de parler ». C’est l’exacte réalité, nous vivons, tous ici, depuis notre naissance, dans un monde : le monde de la consommation, de la confiance en l’avenir et du crédit. Nous allons, dans les deux décennies qui viennent, basculer dans un autre monde : le monde de la rareté, de la méfiance devant l’avenir et de la menace.

    Nous sommes à la veille de constater la faillite du monde anglo-saxon. La dernière fois que ça s’est produit, c’était en 1343, sous le règne d’Edouard III. Cela a entraîné la chute du capitalisme médiéval, conditionné la prolongation de la guerre dite de Cent Ans, et contribué à la division par deux de la population de notre continent. Oyez, oyez, bonnes gens, grand spectacle en perspective ! On ne voit pas ça tous les jours !

    C’est comme ça, on n’y peut rien… Essayons de faire une opportunité de cette grande menace : voilà ce dont il doit être question, pour une troisième voie économique.

    Mais commençons par prendre l’exacte mesure de la réalité.

    Sur le plan financier, la situation actuelle de l’Occident est facile  à résumer : c’est la faillite à peu près complète d’à peu près tout le monde. Il y a, dans le système et avant de prendre en compte les produits dérivés, trois ou quatre fois plus de dettes que ce qui est soutenable au regard des taux de croissance actuels. Les évaluations des actifs monétaires sont totalement déconnectées du réel et ne renvoient plus qu’à un immense schéma de Ponzi. Les actifs immobiliers sont estimés sur la base de ce que les baby-boomers étaient prêts à payer pour préparer leur retraite, on va bientôt voir ce qu’ils vaudront quand ces mêmes baby-boomers devront les revendre aux classes démographiques creuses. Les actifs productifs eux-mêmes sont largement surévalués, puisqu’apparemment, personne n’a provisionné les implications des crises énergétiques et écologiques à venir.

    En fait, tout l’Occident, c’est ENRON. Tous les occidentaux sont des salariés d’ENRON : ils croient qu’ils ont un boulot, mais en fait, ils n’ont qu’une ligne de crédit sur un compte déjà dans le rouge.

    En 2008, les USA et l’Europe se sont offert un répit en sauvant leur système bancaire par les comptes publics. Mais l’Etat salvateur est lui-même totalement démuni. A court terme, la faillite de certains Etats occidentaux devra forcément être constatée, d’une manière ou d’une autre. Va-t-on sauver l’Etat par la Banque, après que la Banque a été sauvée par l’Etat ? Si oui, cela passera par les super-souverains, FMI, BCE. Et après ? Et après, rien. On n’aura fait que reculer pour mieux sauter.

    Dans notre situation et à l'intérieur du cadre imposé par la haute finance actuellement au pouvoir, dans l'Etat profond, aux USA et en Europe, il n’y a que trois solutions : admettre qu’on ne peut pas rembourser les dettes, ce qui implique la déflation, puisque les faillites détruisent des revenus ; faire semblant de rembourser en imprimant de la monnaie à tour de bras, ce qui finit toujours par provoquer une inflation, par exemple via les prix des matières premières ou des denrées alimentaires ; ou bien gérer au fil des évènements, une politique de stop and go, pour fabriquer autant que possible une stagflation ou quelque chose qui s’en rapproche.

    C’est cette dernière solution que nos élites vont probablement suivre ; tout l’indique à ce stade, en tout cas. Dans les années 1970, cela avait permis de gérer l’abandon de l’étalon-or et les chocs pétroliers ; mais cette fois, la situation est bien plus grave : une stagflation étalée sur dix ans, qui se traduira probablement par une inflation réelle de l’ordre de 10/15 % par an, avec dans le même temps des salaires qui stagneront ou progresseront peu en monnaie courante, voilà le programme. La soupe à la grimace, et il y en aura pour tout le monde ; le tout venant impacter des sociétés ravagées par trente ans de dérive inégalitaire et d’appauvrissement des jeunes au profit des vieux.

    Première rupture : c’est la fin de l’ère de la consommation, c’est le début d’une ère de rareté relative. Voire, si certains mécanismes s’emballent, de rareté tout court.

    Circonstance aggravante dans ce contexte pour le moins tendu, le système financier international est par terre. Pour l’instant, on a l’impression qu’il est toujours debout parce que tout le monde fait semblant de ne pas voir qu’il est par terre, mais il est bel et bien par terre.

    La zone euro sera évidemment à brève échéance contrainte à un réaménagement drastique ; ce sera peut-être une explosion pure et simple entre une zone mark et une zone franc, peut-être le passage à un euro monnaie commune mais pas unique, peut-être une assez improbable sortie de crise par l’inflation, une inflation orchestrée par la BCE – une issue assez improbable vu les positions allemandes sur la question.

    Mais en tout cas, ce qui est certain, c’est que la zone euro telle que nous la connaissions, c'est fini. Ça ne pouvait pas durer, de toute manière. En gros, c’était : « empruntez comme des Américains si vous êtes espagnols ou irlandais, négociez vos salaires comme des Français si vous êtes français, et profitez cependant des avantages d’une monnaie forte, à l’Allemande, si vous êtes riches. » Ce genre d’incohérence ne peut pas durer très longtemps. Surtout quand ça crée un système où il n’y a plus aucun outil de contrôle au sein d’un espace allant de Naples à Paris…

    Le dollar, lui, n’est plus appuyé sur rien, à part la trouille bleue que le monde entier éprouve devant l’US Army. A ce sujet, pour ceux qui se demanderaient ce que les armées occidentales vont faire en Lybie : non, il ne s’agit pas de défendre les droits de l’homme parce que BHL a prophétisé son oracle. Il s’agit d’implanter une présence militaire euro-américaine pour empêcher par les armes la progression jusque là irrésistible de la Chinafrique, et ainsi conserver les matières premières sous contrôle – la seule raison qu’il reste au monde de vouloir du dollar, c’est en effet qu’on en a besoin pour acheter du pétrole et des matières premières.

    Conclusion : le système que l’Occident est en train de mettre en place, en gros, c’est le durcissement de la structure de classes en interne, et l’impérialisme à l’extérieur, pour défendre le pouvoir de la haute finance, principalement anglo-saxonne, en confisquant les matières premières et les énergies. Soit l’impérialisme pour sauver l’hypercentralisme du capital privé.

    Techniquement, ça rappelle assez certaines logiques des années 30, n’est-ce pas ?

    Militants de Troisième Voie, à l’avenir, quand on vous traitera de fascistes, vous pourrez répondre à bon droit que vous l’êtes  en tout cas moins que les gens que vous combattez ! Une réponse alternative serait que vous assumez les bons côtés du fascisme-projet, alors que les dirigeants actuels du capitalisme globalisé incarnent les mauvais côtés du fascisme-Etat, mais ce genre de nuances est probablement incompréhensible pour la plupart des gens…

    Bref, revenons au sujet.

    En face de ce fascisme bancaire occidental, un contre-pôle apparaît. En gros, c’est l’Organisation de Coopération de Shanghai, c'est-à-dire principalement l’alliance sino-russe, avec l’Inde en arrière-plan, même si elle n’a pas encore clairement choisi son camp.

    Ce contre-pôle, on peut le remarquer au passage, est allié avec une partie du monde musulman, mais ennemi d’une autre partie. Ici comme ailleurs dans l’Histoire, l’unité musulmane apparaît comme un leurre, et ceux qui ont espéré, à une certaine époque, en l’Islam unifié contre l’Empire de la Banque… eh bien ceux-là apparaissent, une fois de plus, comme des rêveurs. Le monde musulman, sur le plan géopolitique, ça n’existe pas. Il y a des pays musulmans, la plupart sont sans force. La Turquie et l’Iran ont un véritable pouvoir régional, mais le face-à-face planétaire, évidemment c’est Chine contre USA, avec l’Europe à ce stade dans le camp américain, et la Russie dans le camp chinois.

    Il y a un contre-impérialisme pour défendre l’hypercentralisme du capital d’Etat, et ça n’a rien à voir avec le Grand Jihad Hollywoodien et autres fariboles plus ou moins made in CIA...

    Le monde qui émerge, à travers cette confrontation pour l’instant très froide et très indirecte entre OTAN et OCS, c’est un monde de la méfiance. La méfiance de tous devant l’avenir engendre la méfiance de chacun devant les autres. C’est la deuxième rupture : le passage d’un monde de la confiance en l’avenir à un monde de la méfiance devant l’avenir, et donc de la méfiance entre les puissances.

    Cette rupture est sinistre, bien sûr, mais il faut aussi reconnaître qu’elle traduit une prise de conscience : les peuples qui ont fait confiance à l’Empire occidental savent maintenant à quoi s’en tenir, quand on leur tient des discours lénifiants sur la démocratie et la société ouverte. Allez parler de société ouverte aux retraités russes, vous allez voir, ils ont des choses à dire à ce sujet…

    Bref, revenons au sujet : le temps de la méfiance.

    La manifestation concrète de cette méfiance, c’est la décision sino-russe de commercer désormais en roubles et yuans. La signification de cette décision, c’est que la moitié du monde se prépare à sortir du cadre de représentation monétaire promu par l’Occident. La confiance ne règne pas…

    Et elle ne règne pas, d’ailleurs, pour de bonnes raisons.

    Ce cadre de représentation monétaire, promu par la sphère anglo-saxonne, dominante au sein de l’Occident, est depuis toujours appuyé sur le système du crédit. Ce système du crédit, concrètement, cela consiste à fabriquer, via la dette, une masse monétaire un peu plus importante que les besoins de l’économie réelle, qu’on lance ainsi à la poursuite d’une fiction : l’économie qu’il faut construire pour donner un sous-jacent à la masse monétaire générée par le crédit. De ce cadre de représentation, induit par le système du crédit, découle l’obligation de la croissance.

    Au départ, tout cela n’était pas malsain ; cela a pu contribuer à créer de la prospérité. Mais le système a peu à peu dégénéré, au fur et à mesure que le capitalisme butait sur des limites écologiques et énergétiques niées contre toute évidence. La machine économique occidentale s’est ainsi virtualisée jusqu’à définir une véritable paraphrénie, une sorte de discours délirant produit par un cerveau global schizophrène : vous ne pouvez plus rouler en voiture, mais les compagnies automobiles font des bénéfices records ; vous êtes  rendus malades par les médicaments, mais l’industrie pharmaceutique prospère. C’est de la folie. Le système économique occidental, depuis quelques décennies, c’est de la folie.

    Le résultat contemporain, c’est une course en avant qui a échappé à toute limite, à tout processus de pilotage coordonné, un cerveau global entièrement dominé par une irrésistible « pulsion de croissance », si j’ose dire, en  fait un cerveau global psychotique. Un cerveau global qui, parvenu au terme de son évolution, révèle progressivement son caractère psychotique, jusqu’à devenir une sorte de serial killer planétaire, ivre de toute puissance technologique, exactement comme un pervers violent est ivre de puissance devant une victime.

    Il y a un moment où il va falloir que nous, occidentaux contemporains, acceptions de nous voir tels  que nous sommes, même si c’est douloureux…

    Nous sommes une civilisation malade. Nous avons détruit la conscience en anéantissant les cadres religieux qui interposaient des limites, des barrières, entre nous et nos fantasmes de toute-puissance. Nous sommes sortis de la religion, puis nous avons laissé tomber nos idéologies, qui étaient des formes religieuses dégénérées. A présent, nous sommes dans les ténèbres, mais nous ne le savons pas. Nous avançons tels des somnambules, ou plutôt tels des morts vivants, des robots, des créatures programmées par une obsession qui les commande pour leur perte. De la disparition de toute référence à une extériorité transcendante, de l’émergence d’une sorte de projection de nous-mêmes comme point de référence à notre course, est sortie une vision du monde pathologique. Celle d’un Jacques Attali, qui nous présente comme « l’idéal judéo-grec » la double négation de la conscience juive du péché et de la conscience grecque de la nature. Véritablement, c’est une maladie dégénérative.

    Nous sommes aussi une civilisation contagieuse. Parce que nous engageons une course indéfinie à la puissance technologique, tout le monde est obligé de nous suivre. Certains n’y parviennent pas : Africains, musulmans, sud-américains, pour l’instant. D’autres y parviennent : Russes et Chinois, Indiens aussi, en partie. Il y a donc d’un côté ceux que nous pouvons détruire, et d’autre part ceux qui sont amenés, à leur façon, à nous suivre pour résister à notre menace – en produisant une menace en sens inverse.

    C’est là que nous trouvons la troisième rupture : bienvenu dans le siècle des menaces, et des menaces croisées, réciproques.

    Donc, je me résume pour que tout le monde ait les idées claires, voilà la situation : l’ère de la consommation, de la confiance et du crédit, nous a conduits, à l’instant de son retournement, dans l’ère de la rareté, de la méfiance et de la menace.

    Et alors la Troisième Voie, dans ce contexte ? J’y viens.

    Deux voies existent aujourd’hui. Le système s’arrange toujours plus ou moins pour fabriquer deux voies. Ça ne date pas d’hier…

    La première voie est définie par le bloc occidental : c’est le capitalisme de la Banque ; la seconde voie est incarnée désormais par la Chine : c’est le capitalisme de l’Etat. Dans les deux cas, le capitalisme n’a plus grand-chose à voir avec la libre entreprise, encore moins avec la liberté. Il n’y a pas de libre entreprise dans un pays où la Banque déclenche des faillites collectives  pour ramasser périodiquement la mise. Il n’y en a pas plus, évidemment, dans un système où l’Etat conserve fondamentalement un contrôle presque total sur la société.

    Ces deux voies, chinoises et anglo-saxonnes, n’en font qu’une à long terme. Aucune des  deux ne répond aux défis de l’heure. Elles sont produites par le siècle des menaces, mais elles ne permettent pas de répondre aux défis de ce siècle. Dans les deux cas, ce que nous avons, c’est un programme de maximisation de la puissance, une obsession de la croissance quantitative. Ni le modèle américain, ni le modèle chinois ne permettent de définir un avenir humain dans un monde où l’impératif de croissance va buter sur ses impératifs écologiques, énergétiques, mais aussi psychosociaux.

    En fait, ces deux modèles supposent implicitement un rebond technologique avant la date fatidique où les catastrophes convergent, entre 2020 et 2030. Mais ce rebond paraît très improbable. L’énergie de fusion, les ordinateurs quantiques… on nous promet  tant de choses. Mais en pratique, ce que l’on voit, c’est un déluge de gadgets, une multiplication des micro-innovations d’un intérêt de plus en plus douteux.

    La voie du capitalisme financiarisé, virtualisé, à l’occidentale, nous conduit vers un monde où le Capital privé, devenu maître de l’Etat, bâtit un pôle de puissance et de richesse prédateur et restreint, dominant un contre-pôle de pauvreté et d’impuissance, formé par une masse dominée. C’est le monde créé par la toute-puissance de la Banque virtualisée, toute-puissance prédatrice et corruptrice, racine de presque tous nos maux, en réalité. Fondamentalement, le cœur de cette voie se trouve dans les pays anglo-saxons et en Israël. Précisons que les peuples américains, anglais ou israéliens n’y sont, dans leur écrasante majorité, pour rien ou à peu près ; ils se trouvent simplement que le Capital a élu domicile chez eux. Ils commencent d’ailleurs à figurer parmi les victimes les plus cruellement attaquées, d’ailleurs, s’agissant en tout cas des Américains et des Anglais.

    La voie du capitalisme encore industriel, à la chinoise, nous conduit exactement vers le même monde, avec deux ou trois décennies de retard, malgré la vitesse étonnante du décollage chinois. Le capitalisme de l’Etat, tout en haut de la structure,  donne peut-être à la voie chinoise, à ce stade, une plus grande cohérence. Mais ne nous y trompons pas, cette cohérence n’est pas mise au service de la liberté, de la dignité des êtres ordinaires. Le système chinois a l’immense mérite de parvenir à gérer un pays d’un milliard trois cent millions d’habitants. Mais ce n’est pas un système que nous, européens, pouvons envier.

    En pratique et en profondeur, Chine, USA, cela revient au même : c’est le modèle d’une humanité à deux vitesses, pour mettre en cohérence le maintien du niveau de l’empreinte écologique démesurée des riches et l’harmonisation des structures de classes à l’échelle planétaire. Deux voies s’opposent, mais elles s’opposent pour se cautionner, et pour conduire, par leur opposition, à un unique modèle. Lire Jacques Attali, pour savoir ce qu’est ce modèle.

    Chine-USA, une opposition en forme de piège. Une ruse de l’Histoire. Ou plutôt : de ceux qui font l’Histoire.

    Mais c’est aussi une opportunité, car à la charnière de ces deux voies opposées par leur origine, et convergentes par leur dynamique, une troisième voie peut apparaître.

    Cette troisième voie, c’est notre espoir.

    Le duopole sino-américain est en crise. Il y a une sorte de course de vitesse entre deux phénomènes historiques : d’une part la confiscation progressive du pouvoir par une hyperclasse mondialisée qui a encore, sans doute, besoin de plusieurs décennies pour prendre vraiment conscience d’elle-même à l’échelle globale ; d’autre part l’implosion de l’empire jusque là dominant, celui du capitalisme occidental, et une transition complexe à gérer vers une nouvelle structure, au sein de laquelle la Chine risque d’être prédominante. La super-crise sociale et la super-crise géopolitique : laquelle des deux va surdéterminer l’autre ?

    Alors, à tout moment, l’opposition de façade entre capitalisme occidental et capitalisme asiatique peut devenir autre chose qu’une opposition de façade. Le système global n’est pas stabilisé ; il faudra encore plusieurs décennies pour le stabiliser.

    Et c’est donc pendant ce moment historique, entre l’ère impérialiste occidentale et l’ère de l’hyperclasse globalisée, et à la charnière entre les deux sphères occidentale et asiatique, c’est ici et maintenant, que peut se trouver une des rares lueurs d’espoir de notre époque : l’hypothèse d’une renaissance européenne, pour une troisième voie, ni américaine, ni asiatique.

    Le monde a besoin d’un retour à l’esprit de limitation, parce que nous sortons de la consommation et entrons dans la rareté. Le monde a besoin d’une proposition de société qui préfère l’équilibre à la croissance, parce que nous sortons du temps de la confiance aveugle en l’avenir, parce que nous  entrons dans l’ère de la méfiance. Et par-dessus tout, le monde a besoin d’une capacité à construire la paix et la stabilité, parce qu’il est, désormais, le monde de la menace. Ces caractéristiques, limitation, équilibre, stabilité, ne peuvent être apportées ni par l’économie atlantique contemporaine, véritable prolifération cancéreuse de la valeur comptable sans contrepartie réelle, machine à secréter le déséquilibre destructeur, ni par une économie chinoise pour l’instant éclatante de santé, mais caractérisée en profondeur par des déséquilibres sociaux gravissimes, qui finiront par pousser Pékin à s’engager dans un impérialisme adapté à la donne chinoise.

    Dans un tel contexte, la définition d’une troisième voie par un troisième pôle est une espérance pour le monde.

    Cette troisième voie, sa définition suppose d’une part qu’une force émerge qui puisse dire non à l’impérialisme anglo-saxon, d’autre part que ce refus soit accompagné d’une proposition positive de refondation.

    La force, pour liquider l’énorme masse de dettes  en la soldant sur la finance spéculative – ce qui suppose, pour que le voleur rende gorge, que la puissance de l’US Army et des réseaux d’influence de l’Empire occidental, gardiens du pouvoir de la Banque, trouve en face d’elle une puissance dissuasive, de force sinon égale, au moins comparable. La force, en somme, pour préempter la crise géopolitique, pour l’utiliser comme un levier, au lieu de la subir.

    Et la proposition de refondation, c’est la fin, ou plutôt le dépassement de la psychose occidentale. Si notre civilisation a fabriqué cette psychose, c’est d’abord parce qu’elle avait pris énormément d’avance sur les autres civilisations du globe. Ceci implique aussi que nous pouvons, peut-être, trouver les premiers le remède à la maladie que nous avons répandue.

    Ce remède, on le connaît tous en réalité. Arrêtons de tourner autour du pot : très concrètement, il s’agit de convaincre les  riches qu’ils vivront une vie bien plus intéressante en partageant. Hors de là, pas de salut. Un processus d’imitation parcourt la structure sociale et la modèle de haut en bas. Nous devons en changer le contenu, pour qu’il répande à nouveau, à travers toutes les couches de la société, les valeurs supérieures du courage, de l’ascèse, du partage, et de la protection du faible par le fort en somme. Bref, il faut en finir avec le règne des marchands.

    Si l’on a pu s’illusionner un instant sur une possible révolution conservatrice aux USA, il devient désormais évident que nous ne trouverons pas la formule de cette réhabilitation des valeurs supérieures dans un monde atlantique qui nous domine, mais qui illustre, jour après jour, sa renonciation à toute décence. Nos traditions de l’Europe continentale sont notre dernier espoir, voilà ce qu’il nous faut raviver si nous ne voulons pas périr.

    Bref, qu’il s’agisse de constituer un pôle de puissance ou de lui donner une substance, c’est toujours par un choix géostratégique que peut et doit commencer toute « troisième voie économique » : nous devons choisir le contrepoids à la puissance et aux valeurs d’un monde atlantique malade et prédateur, qui nous fait crever parce qu’il héberge, pour l’instant du moins, la Banque, le Capital parasitaire. Demain, peut-être, une deuxième révolution américaine me fera mentir.

    Mais pour l’instant, nous savons tous où se trouve l’alternative : dans l’alliance russe.

    Et nous savons tous, aussi, comment cette alliance peut s’organiser. Depuis que Vladimir Poutine a publié dans la Süddeutsche Zeitung un plaidoyer pour un espace économique de Lisbonne à Vladivostok, tout le monde a pu constater que le Kremlin veut l’alliance européenne – ce qui est parfaitement logique, puisque cela installe la Russie en pont terrestre entre l’Europe et l’Asie. Et tout le monde a pu constater, aussi, que la proposition a été formulée en allemand, ce qui, là encore, n’étonnera personne, du moins parmi les gens qui se sont intéressés, ces dernières années, à la progression fulgurante du commerce germano-russe.

    Bref, le nom concret de l’alliance russe, c’est : Paris-Berlin-Moscou.

    Alors soyons clair : si vous vous demandez, parmi les gens qui vous parlent, qui est du côté des peuples, il y a deux questions à poser. La première, évidente, c’est : êtes-vous pour le retour à la souveraineté monétaire des Etats, donc pour l’abolition de la loi de 1973 interdisant à la Banque de France d’accepter les effets du Trésor à l’escompte. La deuxième, moins évidente mais tout aussi cruciale, c’est : êtes-vous pour une alliance Paris-Berlin-Moscou ?

    Ceux qui répondent oui aux deux questions veulent une troisième voie économique.

    Ceux qui répondent oui à la première question, la loi de 73, mais non à la seconde, Paris-Berlin-Moscou, sont de doux rêveurs, qui n’ont pas pris conscience des vrais rapports de force.

    Vous en trouverez aussi qui répondent oui à la deuxième question, Paris-Berlin-Moscou, mais non à la première, la loi de 1973. Ceux-là veulent en réalité positionner le pouvoir bancaire au cœur d’une future économie continentale – car, il faut bien le comprendre, ce pouvoir, aujourd’hui logé dans le monde atlantique, peut très bien, demain, se repositionner dans un cadre différent, y compris à travers un axe Berlin-Moscou maîtrisé, en réalité, par les banques d’affaires. La politique et l’économie sérieuses, ce n’est jamais simple.

    Mais supposons que tous les écueils ont été contournés. Supposons qu’un nouveau pouvoir, en France et en Allemagne, sans rompre totalement les liens avec les USA, engage réellement l’Europe dans une troisième voie économique…

    Imaginons que le rêve esquissé par Vladimir Poutine dans la Süddeutsche Zeitung est devenu réalité. En quoi consiste alors la troisième voie ?

    Oh, ça n’a rien de bien sorcier : c’est d’une part le relèvement de tout ce qui a été abattu par un demi-siècle de despotisme bancaire, et d’autre part l’adaptation de ces dispositifs restaurés à la nouvelle donne créée par les défis du XXI° siècle, des défis qui ne seront pas ceux du XX° siècle.

    En France, en gros, il faut refaire le Conseil National de la Résistance, en nous souvenant que l’enjeu n’est plus tant de sortir de la pauvreté que d’organiser une aisance écologiquement responsable. En Allemagne, il faut revenir, là encore sous des formes renouvelées, à ce qui s’appelle, là-bas, l’économie sociale de marché et la cogestion. Et en Russie, il faut continuer le bon travail fait, depuis dix ans, par Poutine, en tirant profit des avantages considérables que la Russie peut espérer d’un investissement technologique européen. Nous avons notre hinterland à développer, il s’appelle la Sibérie, et il est immense. Croyez-moi, si nous osons renaître, nous ne sommes pas les plus mal placés sur terre…

    On peut tout à fait imaginer que progressivement ces modèles européens, ces projets nationaux inscrits en Europe, se rapprochent et, dans une certaine mesure, fusionnent. Il est hors de doute qu’il existe aujourd’hui en  France un intérêt pour ce que l’Allemagne a réussi mieux que nous ; une partie de cet intérêt est obscène : cette partie renvoie au fantasme que le pouvoir capitaliste français a toujours entretenu à l’égard de la société germanique hiérarchisée. Mais une autre partie de cet intérêt est tout à fait sain : le fait est que la cogestion et l’économie sociale de marché, eh bien cela marche tout simplement, dans certains domaines, mieux que la planification indicative à la française – même si dans d’autres  domaines, c’est le système français qui s’impose.

    D’ailleurs, il existe aujourd’hui en Allemagne un vif intérêt pour l’esprit de solidarité français – évidemment, les médias dominants, ici, ne vous en parlent pas, mais savez-vous que récemment, un sondage a révélé que 75 % des Allemands approuvaient une grève dure dans les chemins de fer, parce qu’ils estiment la rigueur excessive ? Vous a-t-on parlé des manifestations importantes  qui viennent de secouer la Saxe, à peu près là d’où est parti, en 1989, le mouvement qui devait mettre la RDA par terre… Non, évidemment : vous comptez compter sur les médias français quand il s’agit de ne pas vous informer de ces choses. On préfère vous expliquer que les Allemands bossent dur et ferment leur gueule, et que vous devriez faire pareil. Eh bien, sachez-le, on vous ment : en Allemagne, il n’y a pas que des patrons et des retraités, il y a aussi une population qui souffre. Rien ne dit que cette population acceptera éternellement d’être le prisonnier modèle de la nouvelle prison des peuples, j’ai nommé l’Union Européenne bruxelloise…

    En fait, ce qui se passe en ce moment, c’est que l’Europe est en train d’hésiter entre conclure son suicide et renaître.

    Si nous ne parvenons pas à triompher de la dictature des marchés financiers, si nous devenons les auxiliaires du combat d’une soi-disant voie occidentale vers la société de l’injustice, contre une voie asiatique conduisant d’ailleurs elle aussi à cette même société de l’injustice… bref, si nous nous laissons entraîner dans une voie que nous n’avons pas choisie, les gens qui nous ont poussé au suicide finiront leur travail.

    Mais il y a une autre voie.

    La voie qui consiste, tout simplement, à décider nous-mêmes de notre avenir. Restaurer notre souveraineté nationale, l’insérer dans un ordre européen reposant sur une alliance structurelle entre des puissances européennes souveraines, mais coordonnées par un système d’agences, souple et réactif. Utiliser le formidable levier de puissance de cette alliance pour reconquérir les instruments de la souveraineté monétaire. Utiliser la souveraineté monétaire pour opérer, à l’échelle d’un espace eurosibérien coordonné, une véritable refondation monétaire. Profiter de cette refondation monétaire pour faire, à l’échelle de cet immense espace eurosibérien, ce que jadis, en plus petit, l’alliance des résistants dans le CNR avait fait en France, ou encore ce que, d’une autre manière, les politiques habiles et raisonnables firent en Allemagne, dans les années 50. Redistribuer les revenus. Dompter le capitalisme. L’obliger à produire, sans violence inutile, sans contrainte autre que celle strictement nécessaire, la dose exacte de socialisme qui doit servir de contrepoids à un libéralisme sain, un libéralisme des entrepreneurs. Et choisir, ainsi, à travers l’économie, qui n’est qu’un outil, la renaissance de nos vieux peuples.

    On sait tous très bien ce qu’il faut faire. Et on sait tous très bien que la seule chose qui nous empêche de le faire, c’est, tout simplement, le pouvoir des riches, des très riches. Il faut, donc, tout simplement, briser ce pouvoir, là où il est à ce stade concentré : dans l’Anglosphère. La troisième voie, c’est la voie qui conduit à remporter cette bataille-là.

    C’est possible. Mon opinion est qu’il y a très peu de chances pour que cela arrive, je ne vous le cacherai pas. Mais c’est possible, et c’est absolument la dernière chance, le dernier arrêt pour descendre et changer de train. Après, le programme, c’est highway to hell.

    Donc, en conclusion, voilà à quoi, à mon avis, doit correspondre la troisième voie économique défendue par votre mouvement : saisir la dernière chance de l’Europe.

    Evidemment, on dira qu’il y a un extraordinaire décalage entre cette ambition et vos moyens. A quoi bon, dira-t-on, parler de ces questions à des gens si peu nombreux, si peu puissants ?

    A cette objection, je répondrai qu’on ne vous demande pas, à vous du mouvement Troisième Voie, d’être plus que des auxiliaires dans ce grand combat.

    A ceux qui s’étonnent, ici ou là, que je sois un compagnon de route de votre mouvement, je réponds en général ceci : quand on va passer aux choses sérieuses, ce qui arrivera forcément dans quelques années, et nous le savons tous… quand on va passer aux choses sérieuses, donc, vous préférez les trouver où, les jeunes gars de cette tendance : en face de vous, ou à côté de vous ?

    Et donc, voilà pourquoi j’espère, militants et sympathisants du mouvement Troisième Voie, vous avoir, en bon compagnon de route,  un peu aidé aujourd’hui à choisir le bon combat.

    Michel drac http://www.scriptoblog.com

  • Pierre Hillard sur l’actualité du mondialisme

    En cette fin d’année, le chercheur en géopolitique Pierre Hillard (livres ici) décrypte l’actualité du mondialisme en une vingtaine de minutes.

    http://www.contre-info.com/

  • Tant qu’il y aura des cons pour jouer le jeu de l’oligarchie…

    70 000 euros par an et dissonance cognitive

    Le Monde Libertaire

    Le 22 Novembre 2012 url de l’article original:

    http://www.monde-libertaire.fr/anticapitalisme/16017-70-000euros-par-an-et-dissonance-cognitive

    « Moi je ne respecte pas les fonctionnaires français. Je gagne 70 000 euros par an, vous gagnez le Smic, alors vous fermez votre gueule. »

    Une vidéo, sur le net. On ne voit pas grand-chose, mais on entend. Un conflit entre un voyageur et une employée de la SNCF. Banal, surtout depuis que le libéralisme sabre le personnel de la SNCF, qui ne peut plus bien entretenir ses lignes (celles qui subsistent), entraînant des retards consternants et que l’on n’avait jamais vus ces dernières années en France.

    Mais non, ce n’est pas cela. En gare de Viroflay (banlieue réputée pour le malheur de ses habitants qui échouent souvent à passer de la Mercedes à la Bentley), un homme crie dans son portable, et bloque une queue. L’employée lui demande de se pousser pour laisser la place aux autres. Le monsieur répond, ce qui déjà vaut son pesant de stock-options, que lui, « il est cadre, que ce n’est pas son problème, qu’il a des soucis ». D’où l’on déduit qu’il y a au moins un cadre en France qui juge qu’il faudrait deux types de guichet : avec queue pour la population, sans queue pour les cadres. Mais l’internaute continue à enregistrer : « Moi je ne respecte pas les fonctionnaires français. Je gagne 70 000 euros par an, vous gagnez le Smic, alors vous fermez votre gueule. » Et encore : « C’est que nous, on se casse, nous on en a marre. » Ou bien : « Si vous n’aviez pas de gens comme moi à payer 10 000 euros d’impôts, vous n’auriez pas votre salaire, vous feriez quoi, vous seriez à la rue ! » Puis : « Nous, on est supérieurs à vous, et vous, vous allez crever. Moi je vous pique 70 000 euros si vous êtes chez Orange. Je suis tous les mois à Saint-Domingue pour Orange, c’est pour ça que je gagne 70 000 euros. Et le week-end, je suis à La Baule. Vous gagnez combien ? Vous avez votre salaire de merde ? » Lumineux.

    Que les éructations du bonhomme soient vraies ou non (Orange affirme qu’elles sont fausses), on aura rarement, en nos temps hypocrites, aussi bien éclairci la haine de classe. La vraie. La féroce, la sans pitié. Celle qui jouit d’être la botte qui piétine le pauvre. Celle qui crache à la figure du mendiant. Celle qui aime les prisons et les camps. Karl Marx a certes eu tort de faire de la lutte de classes le seul moteur de l’histoire, il a néanmoins l’excuse qu’en son temps de telles déclarations, plus polies mais pas moins sincères ni moins haineuses, étaient monnaie courante, se lisaient dans les livres et les journaux. à quels vilains ressorts psychologiques font-elles appel ? L’ignorance, la honte, l’aigreur.

    L’ignorance, parfois involontaire, souvent volontaire, est une caractéristique constante de la pensée de droite. L’imbécile assertion selon laquelle ce sont les riches qui font vivre les pauvres (« Si vous n’aviez pas de gens comme moi… ») était déjà utilisée par les idéologues contre-révolutionnaires en 1790 : s’il n’y avait pas de ducs, que mangeraient les laquais, les tailleurs et les carrossiers ? (J’entends une voix, au fond de la classe, murmurer « des comtes et des marquis ».) Refuser de comprendre que les revenus des ducs (des cadres…) proviennent en totalité, directe ou indirecte, du travail des pauvres (des employés…) est évidemment la preuve d’une ignorance insondable, et rarement si involontaire que ça.

    La honte. Les survivants des camps de concentration, et une myriade de psychologues, ont depuis longtemps mis en évidence le phénomène. Quelle que soit l’idéologie qui anime un être humain non entièrement psychotique, annihiler, torturer, humilier, exploiter un autre être humain ne va pas sans honte. Cette désagréable sensation ne peut être combattue que par un surcroît de haine et de déshumanisation de la victime. C’est le côté opposé du vieux mécanisme psychologique par lequel on tend à aimer ceux à qui l’on fait régulièrement du bien. La « tendance à la réduction de la dissonance cognitive », dissonance entre deux pensées contradictoires, pousse à la modification de la perception de la réalité afin que l’une des deux pensées contradictoires disparaisse. Haïr le captif impuissant que l’on torture permet de ne plus avoir honte du crime que l’on commet. Notre petite ordure de Viroflay ne doit pas être si fière que cela de gagner sept fois plus qu’une guichetière de la SNCF.

    L’aigreur. Oui, les cadres travaillent dur. De plus en plus dur, d’ailleurs. Et s’ils sont cadres, ils sont donc insérés dans une organisation hiérarchisée, implacable, ils doivent avaler couleuvre sur couleuvre, ils prennent de nombreux risques, ils sont souvent obligés de produire tel ou tel résultat sans être sûrs d’avoir les moyens ou les instruments ou le temps nécessaires. Mais la rage que tout cela entraîne ne peut pas être dirigée contre leurs supérieurs. Bien sûr, pas ouvertement, mais pas non plus psychologiquement : ils ont trop investi moralement, émotionnellement, narcissiquement pour admettre que leur job est une constante humiliation et que leur employeur est leur pire ennemi (réduction de la dissonance cognitive, là encore). Alors, la soupape est la haine du pauvre. Et puisque l’on travaille si dur, on invente que si le pauvre est pauvre, c’est qu’il ne travaille pas assez. Qu’il est paresseux (ce que secrètement le cadre voudrait être). On réussit donc l’exploit d’être à la fois envieux et méprisant envers les pauvres. à peu près comme le catholique pratiquant sexuellement coincé, qui est à la fois envieux et méprisant du célibataire passant d’un lit à l’autre.

    Terminons sur un trait d’humour involontaire : Orange s’est empressé de déclarer que « ce type de propos ne reflète en rien les valeurs d’Orange ». En aurions-nous jamais douté ?

    Nestor Potkine http://resistance71.wordpress.com/

  • Préface de Nicolas Bonnal à “Indignations politiques” (Chroniques barbares IX) de Philippe Randa

    Philippe Randa contre l’erreur médiatique

    Je préfère une chronique à un éditorial. Un éditorial sent sa gazette, son directeur de la rédaction, son obligation professionnelle. Même si l’on est son propre patron, on se sent obligé de tenir compte d’un certain nombre d’impératifs plus ou moins catégoriques. Le lecteur, abonné ou pas, a le droit, puisqu’il a payé, d’écouter la voix de son contremaître de la pensée…
    La chronique est plus libre. On peut ne pas tenir compte de son lecteur, on peut aussi ne pas tenir compte de l’actualité. La chronique se fait alors considération inactuelle, la chronique évoque le temps de l’Histoire, pas celui précipité de l’actualité chaotique. Le style du chroniqueur en outre ne vieillit pas, alors que celui de l’édi­torialiste…
    On peut relire n’importe quelle chronique d’un bon auteur à toutes époques ; le ton, s’il est bon, nous semble familier. Je lis bien sûr très régulièrement les chroniques de Philippe Randa, qu’il me demande ici de préfacer, exercice que je pratique avec curiosité pour la première fois. Internet nous permet finalement de mieux nous connaître et nous suivre alors que nous ne voyons jamais ; voilà pourquoi j’ai jadis parlé de nouvelle voie initiatique.
    Je pensais donc connaître ces chroniques d’autant qu’elles datent de l’année écoulée où je me suis comme jamais passionné pour l’actualité qui me semblait un rien apocalyptique : la fin de la monnaie, le printemps en rab, l’affamé du FMI sous les barreaux malgré tous ses appuis, les sacrifices estivaux en Norvège…
    Mais une chose est de les lire chaque semaine, une autre de les absorber en moins d’une journée, précipitamment, comme un tord-boyaux ou une liqueur bien forte ! D’autant que Philippe vit et réagit en France, ce qui n’est pas mon cas depuis plus de dix ans maintenant. J’avais donc perdu l’habitude de cette abjection française si fatigante et répétitive, et je me retrouve face à un pavé dans la mare de l’horreur médiatique à la française : ma meilleure défense, c’est la fuite, d’ailleurs facilitée par l’explosion parisienne et azuréenne de l’immobilier… Mais tel est le talent de Randa et les avantages d’un livre de chroniques qu’on le peut goûter à petits gorgées, le savourer avec modération avant de se coucher ou d’aller affronter le métro.
    Mieux vaut le plaisir répété que la consommation à outrance d’une denrée aussi excitante et nécessaire ; car il est quand même bon de savoir ou de se rappeler que le mal, cette universelle médiocrité, existe. Nous ne sommes plus en Eden, ni même en France, depuis Maastricht.
    Dans les pays où j’ai vécu depuis onze ans, essentiellement en Espagne et en Amérique latine, la presse impressionne par la quantité de ses pages (mais oui !), mais surtout par sa qualité, sa profondeur, ses édifiants éditoriaux surtout de droite d’ailleurs. En France, elle est vraiment lamentable, et la malédiction française veut que nos journaux dits politiquement incorrects (et non plus « nationalistes » ou « d’extrême droite ») ne se vendent pas, ou ne soient pas connus ou simplement n’intéressent pas le con­sommateur de nouveautés providentielles. Il est vrai que le Thé­nardier de la Fin des Temps préfère bouquiner sa revue de motos, de piscines ou de ragots. Quelle race prosaïque que ces Français, disait déjà Lawrence d’Arabie ! Mais n’injurions pas le lecteur potentiel de Philippe Randa, qui tentera, lui, de remonter le niveau du bobo…
    Philippe a le goût des formules bien commerciales, qui sont souvent les meilleures : il a imposé dans le paysage éditorial l’expression « politiquement incorrect ». Le politiquement incorrect est tout ce qui doit être tu. Le système repose sur la peur et le mensonge, il repose aussi sur le silence entendu : par exemple la francisque de Mitterrand dont les médias niaient l’existence avant de lui ruer dans les brancards, au père François. Mais tout le monde à droite savait que cette francisque existait et qu’elle tintait. C’est cela être politiquement incorrect et cela dépasse de beaucoup l’extrême droite.
    Si Marine Le Pen s’est illustrée et a une chance de s’imposer cette année, c’est bien parce qu’elle a rompu avec l’extrême droite et qu’elle a imposé sa vue politiquement incorrecte : sortir de l’euro qui nous ruinera avant de ne plus rien valoir. Elle applique le même principe que Philippe : souligner ce qui ne va pas entre le fait et sa traduction, dénoncer le mensonge plutôt que de s’en prendre au menteur.
    On retrouve donc dans ces chroniques beaucoup de richesse informative (que je n’ai jamais la patience d’acquérir), aucune rage – Philippe est toujours cool et on ne lui connaît guère d’ennemis… –, un ton à la fois serein et philosophe, avec parfois, pourquoi pas ! Un soupçon de révolte, comme celle de nos indignés qui ont défrayé la chronique l’an dernier… et qui inspirent peut-être le titre de cet ouvrage.
    J’ai vécu en Espagne cette affaire des indignés venus de France comme toutes les erreurs qui ont frappé ce pauvre pays depuis qu’il est sorti de la « dictature ». Ni instruits, ni motivés, ni guidés, ni courageux (au premier frimas, au début des vacances, pendant les fêtes, ils disparaissent tous), les indignés ont reçu le soutien de Hessel, vague porte-étendard du Parti socialiste français qui est ici venu soutenir Zapatero, l’homme aux cinq millions de chômeurs et honorer la mémoire et la fortune du PSOE, ce Parti socialiste qui n’est ni ouvrier ni espagnol, comme tous les partis sociaux-démocrates européens qui se respectent. Autant dire que le mot d’indigné aura souffert des avanies avec Hessel comme celui – pour Bernanos – d’antisémitisme avec Hitler !
    Et pourtant, Philippe Randa s’indigne ! Lui qui fait montre de modération (on l’a dit), de pondération, de considération distinguée, aura choisi l’indignation ! Avec l’âge et la tempe grise, je pensais que l’on s’adoucissait ! Mais comment a-t-il pu ?
    Il faut dire que l’année écoulée aura été celle de tous les scandales, de toutes les dépravations, même si 2012, entre le Concordia et les dégradations des notes souveraines, s’annonce aussi bonne… Cette année 2011, dis-je, est un scandale et elle mérite un chroniqueur patenté et de sang-froid pour tout recenser, dénoncer et au besoin expliquer.
    Au-delà des faits, il y a les causes (qui a fait l’euro, et pourquoi ? Qui est donc DSK ? Qui est donc Ben Laden ?) ; et au-delà des faits, il y a la bêtise petite-bourgeoise increvable de notre presse, et l’abjection commentatrice.
    Philippe garde tout son calme et arrive à user de l’arc ou de la massue pour jauger les carrefours développés et viser les bisons pas très futés qui passent dans la grande prairie de notre monde vide. De ce point de vue, si un auteur et éditeur aussi « force tranquille » que lui a décidé de « s’indigner », c’est qu’il va se passer quelque chose pour le sixième centenaire de notre sainte patronne !
    Scandales ? Dénoncer les scandales, et sur un ton un rien paisible, un rien ironique ? Randa a-t-il raison de le faire ? La question est de savoir si comme le disait un cynique italien dans les années 80 – déjà… – « il y avait des scandales, mais il n’y en a plus… », une opinion saturée de la mondaine porcherie en devient-elle blasée ? Je ne le crois pas, Philippe non plus, et c’est pourquoi même il dénonce, par-delà les scandales, les absences de scandales. Malheur à celui par qui l’absence de scandale arrive. Le public se croit informé, il ne l’est pas ; ou il se croit renseigné, comme dans le village du « Prisonnier », et il n’est qu’informé. Il n’a que des bribes. Et c’est pourquoi il lui faut des auteurs et même des éditeurs.
    L’opinion n’est pas blasée, elle est impuissante. Elle a le droit de voter pour être déçue dans le pire des régimes à l’exclusion de tous les autres, et elle doit choisir en général entre Laurel et Hardy, sauf en France où, tout de même, nous avons la chance de humer la fragrance politiquement incorrecte d’une famille bretonne fidèle à son destin… Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas à cette presse désastreuse qualitativement et moralement que je dénonçais plus haut que nous devons le lepénisme politique que le monde entier nous envie.
    À cet égard, Philippe a choisi non pas son camp, mais sa région politique et métapolitique, celle des exclus des plateaux télé, où l’on trouve de tout, idéologiquement et même éthologiquement ! même des modérés comme lui dont le ton familier ne cache rien des fermes convictions et du désir de voir mieux faire… Comme dirait mon Alter Ego Horbiger, derrière le ton nonchalant de l’Alter Ego de Philippe – « Jacques Bonhom­me »(1) –, on sent comme un besoin de surhomme…
    Il faut qu’il y ait des éditeurs. C’est une chance pour l’auteur et pour le lecteur. La grande originalité de Philippe, depuis que je le connais, c’est qu’il est un excellent auteur et un non moins bon éditeur, passionné par tous les sujets. C’est cet éclectisme et cet encyclopédisme éditorial qui justifient sa largeur de vues qui contraste avec l’excitation permanente des usuriers du système entropique où nous agonisons, largeur de vues qui s’accompagne de fermes convictions et d’une vision du monde qui n’est pas celle de Juppé ou d’Obama.
    Le problème de l’édition aujourd’hui, je le sais bien moi qui suis auteur, c’est que l’on télécharge gratuitement et que l’on vit des temps où la culture est gratuite et où l’on trouve plus de rédacteurs – ou de scripteurs – que de lecteurs. Je suis moi-même grâce à cela redevenu un bon lecteur de classiques, mais je n’en constate pas moins le péril de mort que court le petit monde de l’édition et même le journalisme.
    Mais ne nous adonnons pas au spleen ; et comme dirait Horbiger, faites l’humour, pas la guerre. Nous laissons aux héritiers de Roosevelt, ce diable si bien décrit par le Dr Plouvier (un des meilleurs auteurs de Philippe) le soin de déclarer la guerre à tout le monde dans le Globalistan. Nous, nous préférons rire et sourire au moment où tremble notre carcasse.
    Et je lui laisse le dernier mot, que je trouve dans ses chroniques (à propos de l’affaire Joly) et qui est irrésistible, célinien quoi : « Tout arrive… enfin ! Même la condamnation du racisme anti-blanc ! Qui plus est, anti-nordique ! »
    Si tout arrive enfin, peut-être qu’en 2012 après tout, aux élections…
    Bonne lecture de Philippe, cher lecteur… en attendant… http://francephi.com

    Note

    (1) Jacques Bonhomme est le nom attribué par Jean Froissart à Guillaume Caillet ou Callet qu’en mai 1358, les paysans révoltés, les Jacques, prirent pour chef et nommèrent « roi » ou « capitaine souverain du plat pays ». Derrière l’expression « Jacques Bonhomme », les sources de l’époque désignent l’ensemble des révoltés de la Grande Jacquerie. Elle vient de l’ancien français « jacques », qui désigne les paysans, par synecdoque, du fait du port d’une veste courte du même nom, la « jacque ».
    Auteur de plusieurs ouvrages sur des sujets sociétaux, po­litiques et artistiques, Nicolas Bonnal a écrit notam­ment sur Tolkien, François Mitterrand, Jean-Jacques An­naud et Nostradamus. Ancien collaborateur du Li­bre Journal de la France courtoise, il collabore désor­mais à l’hebdomadaire Les 4 Vérités hebdo et  à Con­tre­littérature. Ses chroniques sont publiées en « tribune libre » sur www.francephi.com. Son dernier livre paru est Mal à droite, Lettre ouverte à la vieille race blan­che et à la droite (Michel de Maule, 2011).

  • Erdogan plus fort que Charles X : L’AKP en Turquie, une Restauration réussie ?

    par Nicolas Gauthier.

    Passé de la domination ottomane à la colonisation occidentale, le monde arabo-musulman se cherche. Après une séquence laïque et socialiste, concepts directement importés d’Occident, le “salut” viendrait-il de l’ancienne tutelle turque ? Laquelle aurait réussi cette restauration de l’ordre ancien que la France aurait jadis manquée… L’AKP plus forte que Charles X ? C’est à croire.

    Comparaison n’est certes pas raison, mais certains parallèles valent néanmoins. Quand, en 1824,  Charles X monte sur le trône de France, après la période transitoire incarnée par Louis XVIII, cet homme, pourtant imprégné de pensée contre-révolutionnaire, raisonne un peu, c’est le comble, comme un révolutionnaire. Et estime donc qu’il est possible de faire table rase du passé, d’agir comme si, justement, rien ne s’était passé depuis 1789. À ceux qui pensaient faire naître un “homme nouveau”, il entend ressusciter un “homme ancien”… Et, pire, tient une partie de l’opinion publique, républicains et bonapartistes, pour quantité négligeable. En 1830, les Trente glorieuses l’emporteront dans la tourmente. Charles X ignorait l’histoire. L’histoire aura eu tôt fait de l’oublier.

    En 2003, Recep Tayyip Erdogan, devient Premier ministre turc. Premier à avoir été élu dans des conditions “normales”, après des années de kémalisme autoritaire et de dictature militaire. A-t-il retenu les leçons du passé ? Ça y ressemble. Issu de ces confréries soufies persécutées par Kemal Atatürk, mais remontant aux premiers temps de l’islam, il sait que l’arbre, avant d’être tronc et branches, est avant tout racines. Que la Turquie, avant que d’avoir été kémaliste, a agrégé des peuples aussi variés que les Hittites, les Phrygiens, les Cimmériens, les Lyciens, les Grecs, les Gaulois, les Romains, les Byzantins et… même les Ottomans. La Turquie, bien que musulmane, est aussi chrétienne, tandis que le paganisme gréco-romain a également contribué à façonner son paysage. De ce passé, il ne fera donc pas table rase.

    Kemal Atatürk avait voulu encaserner l’islam et transformer les imams en équivalents de nos prêtres jureurs d’autrefois ? Erdogan libère cet islam, tout en prenant le risque de sa diversité : des soufis aux chiites alévis dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ont une pratique assez décontractée du Coran et de la Sunna. Et même redonne le droit aux Kurdes de parler kurde, de s’habiller kurde et de pratiquer cet islam kurde qui laisse parfois perplexes les islamologues les plus érudits.

    Dans la foulée, en 2004, anniversaire de la chute de Constantinople, Erdogan a-t-il proposé aux chrétiens turcs de rouvrir la cathédrale Sainte-Sophie, transformée par Atatürk en musée, afin que la messe de Pâques puisse y être dite. Depuis, les musulmans aimeraient qu’un tel privilège leur soit accordé, mais entre l’afflux de touristes et la restauration des miniatures byzantines, l’affaire risque bien de prendre encore un peu de temps.

    Au contraire d’un Charles X donc, Recep Tayyip Erdogan sait qu’il lui faut aussi composer avec le kémalisme et ses révolutionnaires acquis laïques. Interdire le voile a causé bien des problèmes ; le rendre obligatoire aboutirait à autant de soucis. Il est donc laissé à l’appréciation de chacune et il n’est pas rare de voir, dans les vieux quartiers d’Istambul, et ce en plein Ramadan, deux amies, l’une voilée et l’autre en mini-jupe. Qu’importe, tant qu’on est Turque et qu’on en est fière…

    L’actuel Premier ministre aura donc compris qu’en un pays où l’histoire, la grande histoire, se niche à chaque coin de rue et derrière chaque pierre, il n’avait d’autre moyen de composer. Ainsi, le moindre vestige, fut-il le plus modeste, pierres éparses léguées par les Grecs, restes de temples dus aux Romains, est-il soigneusement entretenu et en permanence visité. Seul petit détail : on y verra toujours le drapeau national, planté bien en vue.

    Ce patriotisme inclusif, au contraire d’un nationalisme naguère exclusif, culmine à Ephese, là où la Vierge Marie a séjourné en compagnie de saint Jean l’Évangéliste. On peut y voir les vestiges de la première église qui lui fut consacrée. Les Turcs en sont plus que fiers et à en croire les guides, c’est tout juste si la mère du Christ n’est pas née à Ankara, ville fondée il y a plusieurs siècles par les Gaulois, ces Galates ayant donné leur nom au célèbre club de football stambouliote, le Galatasaray. Bref, de l’art de restaurer le califat sans le dire.

    Alors que les Arabes s’embourbent dans leurs printemps, les Turcs, forts de leur passé, anticipent déjà l’avenir. Un exemple ? Pourquoi pas

    © Publié précédemment sur www.bvoltaire.fr

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  • The Economist, donneur de leçons illégitime

    Les anglais n’ont aucune leçon à donner à personne, eux qui ont tout misé sur la financiarisation et la dérégulation. Même après avoir détruit toute l’économie anglaise, la City continue aujourd’hui à se gaver. Cameron et toute la clique politique sont tenus de suivre leurs maîtres en imposant des réformes qui vont plonger le Royaume-Uni dans le chaos et la misère. Le monde thalassocratique a été une catastrophe économique et géopolitique, comme l’a bien démontré Carl Schmitt.

    Le torchon de The Economist est à l’image de son fondateur :

    « James Wilson, était un fabricant de chapeaux, qui croyait au libre-échange, à l’internationalisme et à un minimum d’intervention de l’État, sur les marchés en particulier. Il a créé le journal en 1843 pour faire campagne contre des lois protectionnistes (Corn Laws). Bien que celles-ci fussent abolies en 1846, le journal perdura, restant fidèle aux idées libérales de Wilson. The Economist affirme nettement son soutien au libre-échange et à des marchés libres. (1) »

    Et ça continue :

    « Partisan de l’intervention américaine au Vietnam, il a également soutenu et épousé certaines causes libérales en se montrant favorable à la décolonisation, la légalisation de la consommation de drogues, adversaire de la peine de mort, militant pour le mariage homosexuel. Il a clairement affiché son opposition au traité constitutionnel européen au nom du libéralisme. »

    Ce journal est donc moderniste, non-conservateur et mondialiste. Il est à l’image du libéralisme-libertaire : on ouvre les frontières aux capitaux, aux personnes et aux marchandises et on détruit toutes les structures traditionnelles – religion, valeurs, culture et histoire –, afin de créer un espace transnational avec des citoyens du monde sans patrie, ni culture consommant bêtement ce que leur prescrit l’autorité mondiale qui s’incarne aujourd’hui dans l’Union européenne, créée avec la bénédiction du département d’État américain.

    Cet article est une insulte à la France et à ses traditions. The Economist a fait son fonds de commerce dans la calomnie permanente envers la France.

    Quant aux solutions proposées, elles sont ridicules et dénotent la totale incompétence en matière d’économie de ce pauvre journaliste. Il ne parle ni du protectionnisme, ni de l’abandon de l’euro, ni de l’immigration, ni du pouvoir incessant du cartel bancaire et financier.

    Il se borne à saluer l’euro, monnaie qui a détruit l’économie française, dont les Tchèques ne veulent même pas, à exiger plus de transferts de souveraineté à des instances non-démocratiques qui se foutent de l’avis des peuples et à taxer encore moins les entreprises françaises sans évoquer les PME (alors qu’il faut distinguer PME et grandes entreprises).

    Avec ces solutions, la pauvreté s’accroîtra, la France disparaîtra peu à peu pour devenir une colonie sous l’égide des « gauleiter » européens ou technocrates illégitimes de l’UE, et le niveau de vie des Français va tendre vers celui des Chinois.

    Comme Paul Bairoch l’a justement démontré dans Mythes et paradoxes de l’histoire économique, les économies française, américaine et allemande se sont développées grâce au protectionnisme. À chaque retour à au libre-échange, elles se sont effondrées. Le libre-échange n’a fonctionné qu’au Royaume-Uni, ce qui est dû à sa géographie et à son empire thalassocratique. Les continentaux doivent revenir au nomos, selon la terminologie schmittienne, car les solutions étrangères ne fonctionnent pas dans des pays de culture, de religion et de géographie différentes.

    Antoine S. http://www.egaliteetreconciliation.fr

    (1) http://fr.wikipedia.org/wiki/The_Ec...