Il n'est pas besoin de supputer des calculs politiques ni de chercher des complots ni de faire des rapprochements avec les années 30 pour expliquer le mouvement des Gilets jaunes.
Une réalité disparate, insaisissable, déconcertante.
Naturellement portés sur la gauche, mais déçus par celle-ci, ils ont pu être tentés, pour nombre d'entre eux, par les promesses d'un Sarkozy, avant d'être définitivement dégoûtés de tous les partis et de s'inclure dans les 57% d'électeurs inscrits qui se sont abstenus lors de la dernière présidentielle. Mais certains ont pu compter parmi les électeurs de Marine Le Pen, cependant que d'autres ont pu succomber aux sirènes macroniennes, dans l'espoir de voir enfin la réalisation d'un avenir meilleur. Aujourd'hui, ils éprouvent le sentiment de ne devoir compter que sur eux-mêmes, et se méfient de tous les partis, y compris les partis protestataires comme La France insoumise ou le Rassemblement national. Et les centrales syndicales ne sont pas logées à meilleure enseigne. Ce sont des Français seuls et tout nus qui se rassemblent et se révoltent.
De faux ascendants
La comparaison ne vaut pas. Les poujadistes des années 1950 appartenaient à seulement deux catégories professionnelles, celles des commerçants et des artisans, le plus souvent assez aisées, nonobstant leurs problèmes fiscaux et les risques que laissaient planer sur elles la modernisation de l'économie et l'évolution de la société. Pas de pauvres, de chômeurs ou de travailleurs précaires parmi elles. Quant aux manifestants du 6 Février, ils relevaient le plus souvent des classes moyennes, et dénonçaient la corruption de la caste politique et l'incurie des institutions plus que leur situation sociale. Les Gilets jaunes, eux, recrutent dans les classes moyennes comme dans les plus modestes, voire les pauvres, et dans toutes les professions ; ils se battent pour la défense de leur niveau de vie ; et s'ils dénoncent une politique qui les sacrifie et « clive » la société en winners et loosers, et se défient de la classe politique, ils ne taxent pas cette dernière de corruption et ne vouent pas les institutions aux gémonies. Et, contrairement aux précurseurs qu'on veut leur donner, ils ne subissent nullement l'influence de quelque idéologie fascisante ou socialisante, n'aspirent ni à un sauveur de type bonapartiste, ni à la conquête du pouvoir par le peuple insurgé. Un phénomène inédit, donc, et qui ne ressortit pas aux explications habituelles.
Le rôle ambigu et l'influence incertaine des médias
Un peuple réduit à sa plus simple expression

Notre sémillant président pouvait-il le comprendre ? Son discours du 27 novembre montrait qu'il l'a fort mal discerné. Il s'est, en effet, efforcé de raccrocher à son écologisme militant la résolution des problèmes de nos compatriotes en montrant la solidarité des questions environnementales et des difficultés sociales, et les méfaits d'une société productiviste insoucieuse de la préservation de la nature et du cadre de vie des hommes. De là, il a conclu à la nécessité de lier étroitement le social et l'écologique et de s'engager sur la voie de l'édification d'un nouveau modèle économique respectueux de l'environnement et des conditions de vie, justifiant sa politique de taxation des carburants et de renoncement graduel aux énergies fossiles, et annonçant la création d'un Haut-conseil pour le climat. Sa seule concession est la subordination de l'augmentation des taxes sur les carburants aux fluctuations du cours de ces derniers.
Les réactions des Gilets jaunes à ce long discours, toutes négatives, montrent qu'il ne les a pas convaincus. D'aucuns affirment que les Français auront toutes les peines du monde à se convertir au nécessaire modèle socio-économique à dominante écologique, défendu par Macron, et voient là l'origine de la révolte des Gilets jaunes. Et, sans doute, convient-il de beaucoup critiquer la société productiviste, rentabiliste, massificatrice et consommatrice de la seconde moitié du XXe siècle, source de détresse matérielle et morale. Mais ce que voient nos compatriotes, c'est qu'après les avoir sacrifiés à la société du profit, on les sacrifie à la reconversion écologique de cette dernière, et, qui plus est, au moment où ils n'ont plus rien pour vivre, pas même l'espérance. Et le tout pour un discours convenu de politiques qui refusent de les comprendre.
Que Macron prenne garde : de cette nouvelle exigence risque de sortir quelque chose de terrible. Le peuple de France ne peut disparaître dans un trou noir.