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Rachida Dati dénonce le gender à l'école
Propos de Rachida Dati, dans Valeurs Actuelles :
"La gauche n’a jamais autant mobilisé les Français pour les diviser de manière violente. En s’attaquant à l’institution du mariage et à la famille, la gauche a heurté des millions de Français, de manière volontaire. Et sur tous les sujets, elle s’attaque aux valeurs structurantes de notre pays : la cohésion sociale en favorisant le communautarisme, l’intégration en supprimant les internats d’excellence, en dévalorisant l’apprentissage et l’éducation, en préférant, pour l’école, parler de théorie du genre et de morale laïque au lieu de se concentrer sur les fondamentaux."
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Encore : Jérémie, 22 ans, égorgé dans la rue par …
Jérémie, un jeune homme de 22 ans, est mort dimanche après avoir été poignardé vendredi à Marseille.
Egorgé, dans la rue, dans le centre-ville, alors qu’il se rendait chez un camarade.
Ce jeune homme originaire des Vosges a été vraisemblablement tué par un individu de 41 ans, rapidement présenté comme « déséquilibré ».Tiens, voilà un mot qui n’est pas anodin : on sait qu’il est de plus en plus employé dans la novlangue du Système pour désigner un immigré tuant un Français, sans motif clair (et sans bien sûr qu’il soit possible d’évoquer la simple haine raciale envers les Français)…
Les médias sont avares d’informations sur l’identité du tueur. L’express, qui s’étale sur l’affaire, concède que l’homme est « né dans la Drôme ».
Tout cela sent la diversion et en cherchant bien, on découvre enfin que l’assassin se prénomme Ali.La victime n’avait plus son téléphone portable quand elle a été secourue en vain, mais on a retrouvé trace de celui-ci dans les « quartiers nord », zone à majorité afro-maghrébine.
Bien sûr, nous ne nions pas que « Ali » puisse être mentalement déséquilibré (qui égorge les gens sans l’être ? Question à 1000 francs…)
Mais il est un fait que ces « déséquilibrés » qui sévissent de plus en plus, chaque année, en massacrant dans la rue, en égorgeant, en poussant sur les rails du métro, sont rarement français contrairement à leurs victimes, et donc que leur folie reste orientée par des critères ethniques.Dans un communiqué, Manuel Valls a demandé à l’ensemble des responsables publics « d’éviter les surenchères et les polémiques déplacées » sur la sécurité dans la cité phocéenne.
Bien sûr, là, surtout pas d’amalgames ! Ce n’est pas le genre de la maison (voir l’affaire Méric et ses conséquences) !
Et il ne faudrait pas non plus que les gens pensent que Marseille devient un vaste coupe-gorge, symbole de l’échec cinglant et inéluctable du « multiculturalisme », où chacun Français risque, en se déplaçant, d’être mortellement attaqué sans qu’il ne comprenne ce qui lui arrive. -
Des Veilleurs à la rencontre des Français
Une vingtaine de Veilleurs, opposants au mariage homosexuel, ont quitté dimanche matin Rochefort (Charente-Maritime) pour arriver le 31 à Paris après vingt jours d'une marche destinée à aller à la rencontre des Français.
« Notre rassemblement est ouvert à tous, quelles que soient les convictions de chacun, il n'est pas nécessaire d'avoir manifesté contre la loi Taubira », a expliqué un des porte-parole des Veilleurs. Pour ce futur professeur de lettres, « cette marche a pour objectif d'aller à la rencontre des Français et d’ouvrir notre veille à d'autres problèmes et difficultés que le mariage pour tous. »
Les participants, qui ne portent aucune banderole et signe distinctif, sont pour la moitié des étudiants venus de toute la France, l'autre moitié étant constituée d'actifs et de retraités, selon les organisateurs qui espérèrent être rejoints par d'autres marcheurs au fil des jours.
Au cours de ce périple, ils longeront la côte atlantique avant de se retrouver les trois derniers jours dans la région parisienne après avoir fait étape à Nantes.
Chaque soir, ces Veilleurs se retrouveront sur une place publique afin de discuter ensemble sur un thème particulier.
Dimanche soir à Châtelaillon, première étape de leur périple, ils seront rejoints par Jérôme Lambert, député PS de la troisième circonscription de Charente, un des quatre députés socialistes à avoir voté contre la loi sur le mariage homosexuel.
« Ils m'ont invité à venir les rencontrer et j'ai accepté de dialoguer ce soir (dimanche ndlr) avec eux autour du thème de la place de l'homme », a indiqué le député.
Le député PS, qui se présente comme un homme politique « ouvert et à l'écoute » reconnaît toutefois qu'il ne sera sûrement pas d'accord sur l'ensemble des points de vues évoqués par les Veilleurs.
M. Lambert, l'un des neveux de François Mitterrand, entend notamment leur expliquer qu'il a voté contre la loi sur le mariage et l'adoption pour les homosexuels par opposition à un lien de filiation entre un enfant et deux adultes de même sexe.
Samedi soir, les Veilleurs étaient une centaine à se retrouver devant la corderie royale de Rochefort pour se pencher sur le thème « lever l'encre et tisser des liens », ont indiqué les organisateurs.
Avec AFP http://www.francepresseinfos.com/ -
Des Veilleurs à la rencontre des Français
Une vingtaine de Veilleurs, opposants au mariage homosexuel, ont quitté dimanche matin Rochefort (Charente-Maritime) pour arriver le 31 à Paris après vingt jours d'une marche destinée à aller à la rencontre des Français.
« Notre rassemblement est ouvert à tous, quelles que soient les convictions de chacun, il n'est pas nécessaire d'avoir manifesté contre la loi Taubira », a expliqué un des porte-parole des Veilleurs. Pour ce futur professeur de lettres, « cette marche a pour objectif d'aller à la rencontre des Français et d’ouvrir notre veille à d'autres problèmes et difficultés que le mariage pour tous. »
Les participants, qui ne portent aucune banderole et signe distinctif, sont pour la moitié des étudiants venus de toute la France, l'autre moitié étant constituée d'actifs et de retraités, selon les organisateurs qui espérèrent être rejoints par d'autres marcheurs au fil des jours.
Au cours de ce périple, ils longeront la côte atlantique avant de se retrouver les trois derniers jours dans la région parisienne après avoir fait étape à Nantes.
Chaque soir, ces Veilleurs se retrouveront sur une place publique afin de discuter ensemble sur un thème particulier.
Dimanche soir à Châtelaillon, première étape de leur périple, ils seront rejoints par Jérôme Lambert, député PS de la troisième circonscription de Charente, un des quatre députés socialistes à avoir voté contre la loi sur le mariage homosexuel.
« Ils m'ont invité à venir les rencontrer et j'ai accepté de dialoguer ce soir (dimanche ndlr) avec eux autour du thème de la place de l'homme », a indiqué le député.
Le député PS, qui se présente comme un homme politique « ouvert et à l'écoute » reconnaît toutefois qu'il ne sera sûrement pas d'accord sur l'ensemble des points de vues évoqués par les Veilleurs.
M. Lambert, l'un des neveux de François Mitterrand, entend notamment leur expliquer qu'il a voté contre la loi sur le mariage et l'adoption pour les homosexuels par opposition à un lien de filiation entre un enfant et deux adultes de même sexe.
Samedi soir, les Veilleurs étaient une centaine à se retrouver devant la corderie royale de Rochefort pour se pencher sur le thème « lever l'encre et tisser des liens », ont indiqué les organisateurs.
Avec AFP http://www.francepresseinfos.com/ -
En matière de terrorisme, vous êtes les professeurs et nous sommes vos élèves
Lettre ouverte d’Hassan Hamade à l’ambassadrice de l’Union européenne
Commentateur politique le plus écouté au Liban, Hassan Hamade a réagi à l’inscription de la « branche militaire » du Hezbollah sur la liste européenne des organisations terroristes. Plutôt que de défendre la Résistance, ce qui va de soi, il porte le fer sur l’absence de capacité morale de l’Union européenne à distinguer le Bien du Mal.Votre Excellence Madame l’Ambassadrice,
Madame, vous savez que l’une des tâches les plus difficiles pour un diplomate civilisé et respectable ayant réellement foi en la paix, tel que vous, est de se trouver contraint dans l’exercice de ses fonctions à défendre une décision inique et agressive prise par sa hiérarchie représentant un État ou un ensemble d’États, comme c’est le cas de l’Union européenne qui a décidé d’inscrire sur sa liste des organisations terroristes internationales ce qu’elle a qualifié d’« aile militaire » du Hezbollah !
Ceci, soit dit en passant, alors que le ministre bulgare des Affaires étrangères M. Kristian Vigenine a officiellement déclaré qu’il n’y avait aucune preuve d’une relation quelconque entre le Hezbollah et l’explosion du bus transportant des passagers à Burgas en Bulgarie, ce qui signifie que c’est en toute connaissance de cause que l’Union européenne a pris sa décision en contradiction avec l’enquête menée par ce pays ; et ceci, maintenant que le voile se lève sur l’attentat du 18 juillet 1994 contre un immeuble d’une institution juive à Buenos Aires, attentat immédiatement attribué au Hezbollah alors que les investigations suivent toujours leur cours et que les doigts accusateurs pointent M. Vladimir Corach, ancien ministre argentin de l’Intérieur connu pour ses étroites relations avec la mafia et les Services de sécurité israéliens.
Concernant cette dernière décision de l’Union européenne, il est de mon devoir de noter quelques observations que je vous confie en espérant que vous voudrez bien les transmettre à votre hiérarchie pour la bonne raison que la définition du terrorisme, adoptée par l’Union elle-même, s’applique en premier lieu aux gouvernements et aux décideurs qui en font partie.
Madame, nul doute que vous savez que l’Union européenne considère la prise en otage de civils innocents comme un « crime terroriste » ne souffrant d’aucune prescription, crime équivalant à un crime contre l’humanité que rien ne pourrait justifier. Par conséquent, le moins que l’on puisse dire est que l’Union européenne adopte une position officielle déraisonnable, inhumaine, et conciliante avec les auteurs de ces crimes quand il s’agit des otages libanais enlevés à A’zaz, ou de Monseigneur Paul al-Yazigi et de Monseigneur Jean Ibrahim, tous deux victimes syriennes incontestablement pacifiques et innocentes.
Nul doute que vous savez ce qui est désormais de notoriété publique concernant l’impact direct et décisif du gouvernement de M. Erdogan sur les organisations terroristes armées ; gouvernement d’un État membre de l’OTAN regroupant nombre de gouvernements de votre Union européenne, alliés et complices dans la guerre dévastatrice menée contre la Syrie.
Vous savez aussi que rien de tout cela n’a empêché votre Union de poursuivre sa collaboration sur le terrain avec le gouvernement turc en soutenant, armant et entraînant les terroristes qui comptent pas moins de quarante mille mercenaires étrangers à la Syrie, comme l’a reconnu l’Émissaire international M. Lakhdar Brahimi. C’est là une vérité qui place votre Union dans le cercle des accusés au premier degré et engage votre responsabilité éthique et juridique, avec tout ce que cela implique comme poursuites judiciaires contre les responsables aux commandes.
Il est absolument inadmissible de vous voir couvrir ces crimes odieux, d’autant plus que votre Union ne cesse de donner des leçons à autrui insistant sur la nécessité de combattre le terrorisme où qu’il sévisse sans aucune concession et sous aucun prétexte. Et si jamais il vous fallait encore des preuves, il est plus que probable que les vidéos innombrables mises en ligne sur YouTube par les terroristes criminels et nécrophages, eux-mêmes, n’ont pu échapper à votre vigilance !
Madame, pardonnez-moi de préciser que je ne vous imagine pas ignorante du fait que le détournement d’un avion civil équivaut, à juste titre et selon vos propres critères, à un crime classé dans le registre du terrorisme international et comparable aux enlèvements de personnes et à leur détention ou à leur assassinat avec ou sans documents photographiques à l’appui, etc... N’est-ce pas ce qui s’est passé il y a quelques semaines lorsque certains gouvernements de votre Union ont fermé leur espace aérien à l’avion du président bolivien Evo Morales en provenance de Moscou ? N’a-t-il pas été obligé à un atterrissage forcé en Autriche ? N’a-t-il pas été bloqué pendant des heures sous prétexte que l’Etats-unien Edward Snowden —qui a révélé au monde que le gouvernement US « vous » espionnait— pouvait se trouver à son bord ? L’information n’est-elle pas partie de l’Ambassade états-unienne à Moscou ? Quel paradoxe !
Cet incident, qui est donc pure agression contre un avion civil transportant le président d’un État indépendant et souverain, nous rappelle la première opération de ce genre qui a eu lieu le 22 octobre 1956 lorsque des responsables français ont jugé bon de détourner un avion civil transportant des dirigeants du FLN de Rabat vers Tunis [Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed, Mohammed Khider, Mohammed Boudiaf, Mostefa Lacheraf]...
Le détournement des avions, Madame, est malheureusement une invention européenne tout comme, par exemple, le nazisme qui est d’inspiration européenne... Nous en resterons donc là et nous nous contenterons de vous rappeler que les gouvernements européens classent les détournements d’avions dans le registre du terrorisme international !
Madame, la crise tragique qui a frappé la Syrie a fait tomber plus d’un masque et a révélé l’étendue de vos mensonges ; le premier de ces mensonges étant votre décision de placer Al-Qaïda et ses dérivées au sommet des organisations terroristes internationales, parce que la plus dangereuse. Et voilà que la scène syrienne nous révèle les mécanismes de coordination, sur le terrain, entre votre organisation européenne et celle d’Al-Qaïda ; coordination déjà flagrante et publiquement rodée en Libye avant de se traduire avec éclat sur le territoire syrien comme en témoignent les nombreuses déclarations de responsables européens.
Je me limiterai à deux de ces éminents responsables : le ministre français des Affaires étrangères, M. Laurent Fabius, qui a clairement dit l’année dernière à Marrakech lors d’une Conférence des prétendus amis de la Syrie que les terroristes de Jabhat al-Nosra faisaient du « bon boulot » avant que les USA ne les placardent sur la liste des terroristes ; et le prolixe ministre britannique des Affaires étrangères, encore plus brutal et sadique, qui a carrément déclaré que les membres d’ Al-Qaïda et dérivées ne devaient pas rentrer de Syrie car ils étaient une menace pour vos pays civilisés !
Je me limiterai donc, et ne m’étendrai pas sur le flot continu d’armes et de munitions introduites en Syrie à travers des « portes européennes » que nous connaissons et que vous connaissez fort bien vous-même.
En revanche, je vous dirai que l’Union européenne qui n’a cessé de prétendre se soucier des chrétiens du Proche-Orient a constamment et systématiquement persécuté le christianisme et les fidèles adeptes de cette religion céleste née de notre terre et donc « fille de l’Orient ». Disant cela, je n’exagère, ni ne triche, témoin en est Sa Sainteté le pape Benoît XVI. Philosophe et très grand théologien, il a tenu à avertir de cette persécution permanente dans son message célébrant la « Journée mondiale de la Paix » début 2011. Je vous le livre, mot pour mot, tel qu’il est rédigé en fin du paragraphe 14 : « J’exprime aussi le souhait qu’en Occident, spécialement en Europe, cessent l’hostilité et les préjugés à l’encontre des chrétiens qui veulent donner à leur vie une orientation cohérente avec les valeurs et les principes exprimés dans l’Évangile. Que l’Europe apprenne plutôt à se réconcilier avec ses propres racines chrétiennes : elles sont essentielles pour comprendre le rôle qu’elle a eu, qu’elle a et veut avoir dans l’histoire ; elle saura ainsi faire l’expérience de la justice, de la concorde et de la paix, en cultivant un dialogue sincère avec tous les peuples. » [1].
Madame, vous savez comme je sais que ces vérités sont pratiquement ignorées de vos peuples car ils vivent derrière un nouveau rideau de fer, encore plus opaque, plus rusé et plus insidieux que le rideau de fer plus primitif qui se dressait autour du Bloc de l’Est, et qui est toujours debout autour des dictatures arabes et non arabes. Votre rideau à vous est invisible, mais le plus effrayant est qu’il se manifeste par la soumission de vos gouvernements à une double occupation ; d’une part, l’occupation militaire, sécuritaire et économique états-unienne ; d’autre part, l’occupation sécuritaire et culturelle israélienne.
C’est la vérité, Madame, quoi que nous fassions pour l’ignorer. Et la récente décision de l’Union européenne ne fait que confirmer la réalité de cette double occupation de vos pays, occupation dont nous souhaiterions que vous vous libériez un de ces jours. Nous savons que c’est difficile, car la plus tenace des occupations est celle qui se saisit des esprits au moyen d’un « terrorisme culturel » incessant exercé par vos différents médias presque totalement sous la domination des sionistes.
Madame, nous vivons tous, vous comme nous, une période de changement social où la vraie confrontation est entre la liberté et l’esclavage. Mais si la liberté ne se fonde que sur une seule norme et sur une seule mesure, les critères de l’esclavage sont multiples.
Veuillez m’excuser si j’ai été trop long, mais l’horreur du tsunami de mensonges exige que nous mettions quelques points sur les « i ». Soyez assurée que je suis convaincu de votre sincérité et de la noblesse de vos objectifs contrairement à ce que je pense de l’Union européenne que vous représentez.
L’Europe, Madame, n’est pas dans une situation juridique et éthique qui lui permette de nous donner des leçons d’humanité, ni d’humanisme.
Hassan Hamade http://www.voltairenet.orgSource As-Safir (Liban)
[1] Liberté religieuse, chemin vers la paix. Message pour la célébration de la Journée mondiale de la Paix, Benoît XVI, 1er janvier 2011.
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Léon Bloy et la terrible punition de l’Allemagne
Ange du bizarre pour Poe, le Germain est devenu un objet de répulsion dans la pensée des Européens modernes. Il fut une horreur à abattre coûte que coûte et peu s’en est fallu que ce peuple ne soir tout bonnement liquidé en 1945.
Je découvre avec horreur et retard l’horrible sort des prisonniers allemands à la fin de la deuxième guerre mondiale : quatre millions de condamnés à mourir de faim, de dysenterie et même de soif dans des camps de concentration démocratiques, y compris français d’ailleurs. C’est le Figaro qui à l’époque avait eu le courage par la plume du journaliste Paul Bromberger de dénoncer cette infamie ; car les Américains avaient même prêté des femmes et des enfants aux gardiens de camp français qui leur avaient commandé des esclaves de travail pour se dédommager des dégâts de la Guerre et de l’Occupation. On tenait là une belle revanche, digne de la tradition républicaine qui traita aussi biens ses coloniaux que ses cathos ! De Gaulle avait dû se taire, soi-disant pour se ménager les bonnes grâces de l’administration américaine et de l’immonde Truman qui donna en même temps la Chine aux communistes, avec les millions de morts qui allaient suivre. Je reviendrai sur cette drôle de paix et d’époque qui ne font que me confirmer le trait de Soljenitsyne : les êtres humains dans leur plus grande part ne savent pas s’ils sont vivants.
Mais j’en reviens à l’Allemagne, pays devenu au vingtième siècle du fait de son militarisme prussien, de son paganisme préhistorique et son orgueil nationaliste le symbole de l’horreur moderne. Et je passe par Léon Bloy qui dans son "Journal" (tome : "au Seuil de l’Apocalypse") dénonce l’horreur du comportement allemand :
« Tout le monde croit au succès de cette horrible guerre, à l’anéantissement de l’empire germanique. Les Allemands, d’ailleurs, se conduisent avec une barbarie atroce. Pillage, incendie, viol, massacre des femmes et des enfants, tuerie des blessés. Leur guerre a un aspect diabolique. On finira par ne plus faire de prisonniers. Jamais un peuple ne s’était montré aussi haineux et n’avait autant excité l’exécration universelle. »
On est seulement en octobre 1914. Les Allemands ont du souci à se faire car le monde entier ou presque les déteste et célèbre la victoire de la Marne, dont je me demande rétrospectivement si elle a été une bonne affaire pour la France et pour l’humanité.
Bloy établit un parallèle d’ailleurs inquiétant, prémonitoire et lourd de significations entre les Juifs et les Allemands :
« Oui, l’Allemagne est au-dessus de tout et par les incomparables qualités de la race germanique et par une prédestination divine, assez semblable à celle du peuple hébraïque dans l’Ancien Testament. »
Puis il cite un abbé qui considère dès 1914 les Allemands comme Roosevelt, Staline ou Morgenthau, reconnus pourtant pour leur sévérité en la matière (je ne parle pas de Churchill et des bombardements de Dresde et du reste)...
« 12. - "Si on épargne l’empire allemand", écrit l’abbé Wetterlé, "si on lui accorde une paix honorable après sa défaite, tout sera, dans dix ans, à recommencer. Ces gens-là ne renonceront jamais à leur rêve de domination universelle, à moins qu’on ne paralyse définitivement leur action. Ce sont d’incurables mégalomanes, les maniaques de la force brutale, les virtuoses de la barbarie. Le monde ne retrouvera la paix que le jour où la Prusse n’existera plus ou sera redevenue la pauvre et impuissante principauté de Brandebourg." »
On comprend que dans ce cas de figure on désire en finir une fois pour toutes, physiquement et globalement, avec un peuple aussi déroutant (c’est le peuple de Bach, Goethe et de Beethoven tout de même) et épouvantable :
« Continuation des atrocités allemandes. On assassine et on torture les blessés et les prisonniers.
Un paysan furieux disait, ce matin, qu’il faudrait égorger tous les prisonniers allemands.
Je pense que, sans en venir à une telle extrémité, il conviendrait de massacrer tous les officiers qu’on pourrait prendre, les faisant responsables des horreurs commises par leurs hommes. »
Dès le début de la guerre, les Allemands sont passés (je ne dis pas : à tort ou à raison) pour des Huns, des tueurs, des barbares. On n’a même pas attendu Bernays et la propagande de masse pour dénoncer les horreurs germaniques. Léon Bloy manie l’humour noir à propos des pillages qui annoncent les shoppings estivaux de Goering :
« Le chef d’oeuvre de la célèbre organisation allemande paraît être celle du pillage. Quand les derniers Allemands non encore exterminés auront quitté la Belgique, on se demande ce qui restera de ce malheureux pays. Les Germains sont d’extraordinaires déménageurs. »
Bloy s’en prend même au pape Benoît coupable selon lui de ne pas assez réagir en jetant l’interdit sur la catholique Autriche. Mais qu’avaient à faire du pape la maçonne France, la protestante Angleterre, la tzariste puis bolchévique Russie, enfin la maçonne Italie ? On sait que Rome sera très proche (deux ans plus tard) de l’héritier pacifiste au trône d’Autriche. Mais les alliés ne veulent pas la paix, ils ne veulent que la destruction de l’Allemagne, écrit Ludendorff dans son passionnant journal de guerre :
« Vous voyez enfin et surtout Benoît XV se déclarant neutre pendant qu’on massacre ses enfants par centaines de mille et croyant à la politique, sans avoir même la pensée d’user des armes redoutables qu’il possède !
Vu Léon Bonhomme. Il vit à Saint-Denis, dans un milieu fort hostile à la religion. Il m’a parlé de Benoît XV dont la conduite obscure et timide scandalise tant de chrétiens. Il a été témoin, dans son entourage, du triomphe des impies disant : "Le voilà, votre pape ! Il est neutre, c’est-à-dire avec le plus fort." Que répondre à ces misérables ? Je crois que le démon ne pourrait pas susciter un hérésiarque aussi funeste que ce pontife. »
Si Pie XII ne dit pas grand-chose sur la shoah, il fut aussi silencieux sur le sort des prisonniers allemands. En cas de culot avéré, il aurait été balayé ; car combien de divisions a-t-il ?, demandait le tyran rouge, pendant que les avionneurs anglo-saxons bombardaient froidement le mont Cassin.
Anticipant le démembrement de l’Allemagne et le supplice physique de sa population déjà emmenée sur la voie du déshonneur et du crime par Hitler, Bloy poursuit avec inspiration :
« L’Allemagne réduite au désespoir, ce sera ce que j’ai nommé la guerre intégrale, c’est-à-dire d’extermination. On a peine à concevoir une telle horreur. »
Et comme s’il anticipait le morcellement du pays et le déplacement de quatorze millions d’allemands en 1945 - dont cinq de Pologne -, déplacement qui se soldera par plus de deux millions de morts (chiffres officiels), Bloy décrit avec délectation la punition du monstre :
« Pourtant, cette parfaite abomination serait-elle autre chose qu’un lever de rideau ? Il me semble que le vrai drame apocalyptique se précisera ainsi : Le monstre allemand définitivement abattu et tous les peuples se précipitant à la curée, chacun voulant avoir le plus gros morceau de la charogne. »
Bloy (il mourra en 1917) est dominé sur la fin de sa vie par son fanatisme apocalyptique et sa croyance aux signes. C’est sa force littéraire (voir sa fameuse "Ame de Napoléon", aussi géniale stylistiquement que creuse philosophiquement), c’est bien sûr sa faiblesse ontologique (cette faiblesse pour l’Apocalypse, Bonald en a très bien parlé). Il voudrait une révélation que les temps lui refusent, ces Temps qui sont ceux d’une Fin de l’Histoire qui n’a plus rien de chrétien.
« On aurait eu, au moins l’illusion d’un renouveau de la Vie surnaturelle et les conséquences auraient pu être infinies. Mais nous sommes loin des Grégoire et des Innocent.
Toute grandeur est exilée au fond de l’Histoire et si Dieu veut agir manifestement, il faudra bien qu’il agisse de Lui-même victorieusement comme il y a deux mille ans, lorsqu’il ressuscita d’entre les morts.
J’attends les Cosaques et le Saint-Esprit. »
C’est beau, c’est même grandiose. C’est en 1915. On a eu à la place les bolcheviques et le Traité de Versailles. Et Bloy est mort avant. C’est ça les prédictions. C’est comme Fatima et la conversion de la Russie...
« History, Stephen said, is a nightmare from which I am trying to awake. »
C’est dans Joyce. C’est aussi de 1915 : l’histoire comme cauchemar dont on tente de s’éveiller.
Nicolas Bonnal http://www.france-courtoise.info
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Montaigne et l’indifférence active par Claude BOURRINET
1) Dans les Essais, le discours n’est nullement l’enregistrement d’une existence mais le monologue d’une conscience qui se voit agir, qui s’accepte agissante sans pour cela paraître trop indulgente ni sans omettre de relever ce qui est digne d’être pris comme modèle. Il est donc tentant de soupçonner a priori une mauvaise foi latente dans tout ce qui est avoué, et d’autant plus que c’est avoué. Les relations qui existent entre Montaigne et son œuvre sont d’ordre dialectique. Dialogue socratique entre un homme qui voudrait être, sans plus (mais tâche ô combien ardue !) et une excroissance de cette essence problématique, monstrueuse (dans le sens du XVIe siècle) et inquisitrice, dont la tâche est d’établir un bilan sans concession et de ne cesser de rappeler qu’il est nécessaire d’accepter, pour être. De boire la coupe jusqu’à la lie. Une manière de conscience assumée, en quelque sorte, superlative, alternant entre lucidité aiguë et impératif pratique.
2) Le discours des Essais a ceci de singulier qu’il se détruit lui-même en avouant son incapacité à réformer la vie. C’est un anti-discours, comme celui des pyrrhoniens. Impression de n’en jamais tenir le bout, de perpétuel enlisement. Sa véritable sagesse, c’est l’absence de sagesse.
3) De vouloir trop appréhender l’homme Montaigne, malgré le prologue des Essais, c’est renouveler l’illusion réaliste dans l’art pictural.
4) Quand on lit et apprécie les Essais, on se sent délivré de tout scrupule à se réconcilier avec les mille travers de l’humaine condition, tellement ils nous semblent devenus naturels, mais aussi innocents, et l’un parce que l’autre (ce que rend bien le terme « naïf »). À vrai dire, il peut paraître excessif de prétendre cela. Mais ces travers ne sont ni mauvais, ni bons : ils sont ce que la nature et nous-mêmes les faisons, ce qui laisse une substantielle amplitude à la Fortune et à la volonté.
5) Inutilité des Essais en période vertueuse. Les cannibales en auraient-ils besoin ? Les Essais n’existent que parce que le siècle est corrompu.
6) Il faut prendre garde que Montaigne se veut hautement, ou bassement (au sens de basse continue) philosophe : « La moyenne région loge les tempestes, les deux extrêmes, des hommes philosophes et des hommes ruraus, concurrent en tranquillité et au bon heur ».
7) C’est à cette époque que les derniers feux de l’idée de croisade s’éteignent.
8 – L’intériorisation et la spiritualisation du sentiment de l’honneur tendent à remplacer son ostentation, même dans la dévotion. François de Salles fondera l’humble, l’orgueil de n’être que commun.
9) Montaigne change parfois de chaussures, mais c’est toujours pour aller sur la même voie et dans la même direction.
10) Écrire et publier sont deux fonctions qui appartiennent à des individus différents. Publier est affaire de vanité, de mensonge, de sincérité, de dévoilement, de témoignage, de générosité, d’égoïsme, d’intérêt bien compris, que sais-je encore ? Mais écrire est affaire d’être.
11) Le discours de Montaigne (pensée appuyée sur des expériences) n’est pas discours rationnel : « La plus part des instructions de la science à nous encourager ont plus de montre que de force, et plus d’ornement que de fruict (La Pléiade, p. 1026) ».
12) Dans les Essais, on ne trouve pas tout de la doctrine chrétienne, mais tout ce qu’on y trouve, on eût pu l’y chercher.
13) L’indifférence est un idéal asymptotique.
14) Il se peut que Montaigne ne se soit pas définitivement « corrigé », mais au moins s’est-il progressivement découvert, non abstraitement, mais dans sa chair, ce qui n’a pas été sans efforts et sans sacrifices. Il est tragique sans pathos.
15) Sacrifice du « vieil homme ». Se connaître, c’est connaître ce que Dieu a daigné que l’on soit. Loin d’être « impersonnel », le Montaigne « stoïcien » était résolument individualiste. Élaguer le moi de cette protubérance vaniteuse et ostentatoire, c’est redevenir véritablement « impersonnel », enfant de Dieu et de Fortune. Et là est atteinte la véritable personne.
16) La sagesse de Montaigne n’existe pas a priori, elle est Expérience, elle est Leçon, que l’on reçoit et donne. La sagesse est apprentissage.
17) Le siècle devient « comme un autre passé (La Pléiade, p. 1081) ». Il n’est plus ce présent indigne du passé : il devient une deuxième Antiquité. Passé, présent, futur sont identiques.
18) Montaigne n’est ni stoïcien, ni épicurien, ni pyrrhonien, ni quoi que ce soit de ce que la Grèce et Rome ont légué, mais un peu de tout cela. Il est avant tout Montaigne. Et, au demeurant, devrions-nous le classer à tout prix, il nous faudrait l’intégrer à cette longue lignée de philosophes chrétiens qui, jusqu’à l’humanisme dévot en train de naître, s’est évertué de replacer l’homme à sa juste place sans l’écraser.
19) Nous sommes si éloignés de la vie et de nous-mêmes que la redécouverte qu’en fait Montaigne nous semble une nouveauté miraculeuse.
20) Le Livre III des Essais, et surtout les derniers chapitres, sont parmi les expressions les plus pures du mysticisme baroque.
21) Il faut se garder de croire naïvement, malgré certains passages des Essais, que Montaigne préconise une vie médiocre, sans s’apercevoir en quoi cet idéal est utopique pour un homme tel que lui. Ces « ruraus », ce sont les cannibales de son terroir. Bien sûr, ils « vivent », et la bête elle-même manifeste pleinement la puissance d’être. Mais vivre, est-ce « exister » ? Avoir conscience de vivre, n’est-ce point doublement vivre ?
22) Les Essais sont une conquête personnelle du présent, du siècle et de l’instant. De la présence.
23) On ne peut parfois s’empêche de penser qu’il y a du « fumeur de haschisch, chez Montaigne. Moins l’orgueil.
24) En grand danger de nihilisme ? Dans un passage de l’Apologie de Raymond Sebond, il est dit en substance qu’il est dangereux de s’aventurer plus avant. Tzara : « Les réactions des individus contaminés par la destruction, sont assez violentes, mais ces réactions, épuisées, annihilées par l’insistance satanique d’un à quoi bon continuel et progressif, ce qui reste et domine est l’indifférence. »
25) L’indifférence active est la suprême conscience.
26) Ce même mouvement qui porte l’intérêt de Montaigne pour le passé et le présent a pour aboutissement la réconciliation et comme moyen la rupture. Il procède de la redécouverte émerveillée d’un monde que l’on croyait connaître.
27) Montaigne cherche à reconstituer un Nomos afin que, quelque combat qu’il mène, il se trouve toujours en situation de préserver les remparts de son être. Mais ces murailles, c’est le monde. Nomos équivaut à Kosmos.
28) Montaigne a eu besoin de son livre pour se réconcilier. La béance se sera élargie chez Cervantès, et la sagesse devra s’accorder avec la folie.
29) Il ne faut pas tomber dans le piège des justifications prétendument « sincères » de Montaigne, à propos des raisons qui l’ont poussé à écrire. Il n’est rien de plus renard que la sincérité. La littérature est mauvaise foi. Il faut douter de toute affirmation péremptoire de l’auteur. Écrit-il pour ses proches ? Par originalité ? Sait-on vraiment pourquoi il écrit ? Sait-on pourquoi l’on écrit ? Les Essais sont entre autre la cristallisation d’impératifs qu’il se donne, moraux ou non, et qu’il ne suit pas toujours. Ils sont comme un miroir, mais un miroir déformé et déformant, renvoyant une image redressée du monde et de lui-même, du moins ce que Montaigne se veut être en se surprenant. S’il y a sincérité, elle est dans la relation courageuse qu’il établit avec son livre, c’est-à-dire avec sa conscience.
30) Tout ce qu’il dit à propos des Essais n’est pas faux, mais dans le sens qu’il donne aux termes « mensonge » et « vérité », qui sont des modalités justifiées de l’être et de sa puissance.
31) Car si l’on s’en tient uniquement, et docilement, à ce qu’il dit de lui-même et de son œuvre, on risque d’être désabusé : il n’existe pas de livre, ni d’individu, de son aveu même, qui ne soient aussi farcis de contradictions, constat qui authentifie sa vérité, plus sûrement que toute démonstration.
32) On s’est souvent arrêté à la nonchalance de Montaigne, et on a trop négligé ce qu’elle supposait de luttes dramatiques, pas toujours victorieuses
33) La « diversion » est-elle encore fiable dès lors que l’on s’attache volontairement à la mettre en pratique ? Il subsiste toujours un Montaigne rebelle aux effets de l’indifférence totale, un Montaigne, non certes angoissé, mais inquiet et roide, non point à cause d’une trop grande soif de lucidité, mais de cette lucidité même, d’une tension trop aiguë vers la réalisation de l’être.
34) La « lucidité » de Montaigne provient non d’un détachement radical du monde, mais d’une adhésion à sa nature profonde, à sa nécessité, fût-elle à fleur de peau.
35) L’ignorance consiste à concéder de la substance à la perception phénoménale du monde. La docte ignorance est de s’accommoder de cette substance, et d’avoir la sagesse d’en jouir.
Claude Bourrinet http://www.europemaxima.com/
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L'acuité du regard de Jean Madiran
Extrait de l’homélie prononcée lors des obsèques de Jean Madiran, le lundi 5 août à Notre-Dame des Armées à Versailles, par Dom Louis-Marie de Geyer d’Orth, père abbé du Barroux (intégralité dans Présent) :
"Saint Bernard disait dans une homélie que les yeux sont ce qu’il y a de plus excellent dans le corps, malgré leur petitesse. Il disait cela en pensant à la vision béatifique. Mais il aurait pu le dire aussi en voyant les yeux de Jean Madiran, parce que Jean Madiran avait des yeux assez exceptionnels. Non seulement à cause de leur charme, joyeux et pétillant – un regard d’enfant – mais aussi à cause de cette crainte révérencielle que l’on ressentait devant l’acuité de son regard. Jean Madiran était fait pour la lumière, mais c’était aussi un homme qui faisait la lumière, sans compromis.
Très tôt, il s’est tourné vers la lumière. Car, avant de devenir un maître, comme l’ont salué nombre d’hommages dont celui de Philippe Maxence, d’Yves Chiron et plusieurs autres dizaines, Jean Madiran fut un disciple attentif. D’abord de Maurras qu’il a lu tous les jours, à partir de ses quinze ans, et cela pendant sept années, jusqu’à ce qu’il rencontre le maître de Martigues.
Puis ce fut l’autre maître intellectuel qu’il eut la grâce de rencontrer en la personne d’Henri Charlier. Il faudrait dire : les Charlier, la famille Charlier, à travers laquelle la tradition vivante de Péguy et du père Emmanuel du Mesnil-Saint-Loup est venue jusqu’à lui.
Madiran disait : « C’est André Charlier qui m’a appris à lire Chesterton et Claudel et Pascal. C’est lui qui m’a appris ce qu’est le grégorien, qui m’a montré la France, qui m’a enseigné le silence. C’est lui qui m’a fait comprendre ce que je savais déjà et c’est lui qui m’a disposé à ce que je ne devais comprendre que plus tard. L’essentiel est l’éducation de la liberté. »
Et si Jean Madiran a su et pu se mettre à l’école de ces géants, c’est que lui-même avait du génie.
Maurras le lui a dit dans la préface de son livre sur La Philosophie politique de saint Thomas d’Aquin. André Charlier affirmait que seul Péguy avait poussé aussi loin et avec pareille finesse l’art de lire. Et si Jean Madiran a pu se jucher sur les épaules de géants, c’est qu’avec son intelligence il avait reçu de son éducation la piété filiale qui donne à la connaissance de la vérité une acuité spéciale, ce qui lui a permis d’interpréter en toute fidélité ce qu’il avait reçu, et de pouvoir à son tour ajouter de la lumière à la lumière. [...]
Dans le domaine de l’engagement chrétien en politique, il accompagna l’aventure de la Cité catholique, participant activement et intervenant au premier Congrès de Lausanne, dénonçant dans certains écrits, tels La laïcité dans l’Eglise, la déviance envers notre action catholique.
Dès le lendemain du Concile, Jean Madiran combattit contre la gabegie qui s’installait à divers niveaux dans l’Eglise universelle, mais notamment dans la portion qui en réside en France.
Qui ne se souvient de cette constance, jusqu’à sa mort, contre la démobilisation des catholiques en matière d’engagement politique, ou contre certains de leurs engagements erronés.
En matière religieuse, Jean Madiran a appliqué ce qu’enseigne le Catéchisme de l’Eglise Catholique au numéro 907, qui dit : « Selon le devoir, la compétence et le prestige dont ils jouissent, les fidèles laïques ont le droit et parfois le devoir de donner aux pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Eglise et de le faire connaître aux autres fidèles, restant sauve l’intégrité de la foi et des mœurs et la révérence due aux pasteurs, et tenant compte de l’utilité commune et de la dignité des personnes. »
[...] Chose incroyable, avec des moyens extrêmement limités, Jean Madiran ose lancer avec quelques amis, en 1982, le quotidien Présent, sans l’appui d’aucune publicité, et dont il dirigera la publication. Il y écrira jusqu’à ses derniers jours contre le déferlement de l’immoralité, du laïcisme agressif, de l’impiété, du libéralisme, du relativisme maçonnique ou du marxisme militant, destructeurs de la civilisation chrétienne dans tous ses aspects. [...]"
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L’économie est-elle une science exacte ?
Par Oskar Morgenstern (avril 2000)
L’économie jouit d’une situation particulière parmi les sciences : ses résultats sont quotidiennement utilisés dans l’action politique. Cette situation ne favorise pas toujours l’examen critique des mesures et des théories. Plutôt que d’examiner s’il est possible de donner un contenu expérimental et mesurable aux concepts de la science économique, les économistes – en France tout spécialement - se sont longtemps enfermés dans des débats entre « littéraires » et « scientifiques ».
Ces querelles reflètent des conflits entre personnalités de formation différente. Elles n’apportent aucun élément de solution à la question : “L’économie est-elle une science expérimentale ?” Oskar Morgenstern, fondateur avec Von Neumann de la théorie des jeux, tente ici de répondre avec impartialité. S’il critique les économètres, ce n’est pas faute de connaitre leurs thèses ; s’il juge les faits sociaux difficilement mesurables, ce n’est, pas faute de s’être penché sur le problème. L’économie est une science, mais l’incertitude y joue un rôle fondamental, qu’il est vain de dissimuler.
Lorsqu’on entreprit pour la première fois de recenser la population de la France, Laplace se rendit compte aussitôt qu’on n’arriverait jamais à dénombrer sans aucune erreur la totalité des habitants. Il demanda par conséquent que l’on calcule l’erreur probable et qu’on la fasse figurer dans le recensement publié. L’éminent mathématicien, qui apporta une contribution si décisive à la théorie de la probabilité, trouvait donc naturel, et même indispensable, pareille exigence de précision.
Mais rien ne fut fait en ce sens, et même de nos jours, il n’y a pratiquement aucun pays au monde où la publication de données sociales et économiques s’accompagne de considérations sur l’erreur probable. On se contente, d’une façon ou d’une autre, de présumer qu’il n’y a pas d’erreur, bien qu’il soit facile à n’importe qui de constater que les erreurs abondent partout et qu’elles différent énormément d’une statistique à l’autre ; pourtant, il serait éminemment désirable de connaître exactement, l’importance de ces erreurs.
Dans les sciences de la nature, il en va tout autrement. La nature, en général, ne présente pas ses données sous forme numérique ; c’est de façon qualitative, essentiellement, qu’elle est perçue, et il incombe à la théorie physique de créer des méthodes, souvent extrêmement compliquées, qui convertissent les données qualitatives en données quantitatives. Dans la vie en société, toutefois, beaucoup de données se présentent sous forme numérique, les prix, la quantité d’argent, la production des denrées, le nombre des naissances dans un pays, le nombre des travailleurs en activité et des chômeurs, etc.
Dans les sciences physiques, comme les mesures numériques sont difficiles à effectuer et qu’il coûte cher de les raffiner, on traite avec le plus grand respect les chiffres obtenus et on se préoccupe, de savoir exactement, à quel genre de nombre on a affaire. En revanche, dans les sciences sociales, les chiffres sont livrés «tout faits», et il est donc assez naturel que les économistes ne se soucient pas outre mesure de leur qualité.
Certes, ils s’efforcent d’être exacts, mais leur exactitude ne va pas plus loin, d’ordinaire, que de transcrire les chiffres avec soin, d’utiliser les documents originaux plutôt que des sources de seconde main, de surveiller la façon dont ils combinent, ou agrègent, les données, etc. Beaucoup de difficultés, évidemment, surviennent déjà à ce stade, comme par exemple, tous les problèmes de classification, et risquent donc de faire prendre à l’économiste des décisions arbitraires.
Faudra-t-il, par exemple, classer avec les produits synthétiques ou avec les fibres naturelles, un tissu mi-coton mi-nylon ? Ici on adoptera l’une de ces classifications, ailleurs l’autre. C’est l’occasion de toutes sortes de décisions arbitraires.
Vivre dans l’incertitude
Les sciences de la nature ont accompli un grand pas en avant lorsqu’elles se sont aperçues, grâce aux implications philosophiques de la mécanique quantique, qu’il est impossible d’éliminer complètement l’erreur. L’erreur est irréductible. Cela fut très bien démontré par Brillouin. Il n’a pas été facile à la science d’accepter cette idée, et cela pour bien des raisons.
L’une d’elles est qu’on éprouve une impression d’inconfort à vivre en permanence avec l’erreur ; on préférerait un monde dont tous les aspects puissent être déterminés. Désormais, le grand problème est : comment vivre avec l’erreur ; l’effort essentiel reste celui qui vise à la réduire de plus en plus sans perdre de vue, comme on la dit plus haut, que chaque réduction coûte des sommes d’argent et d’énergie toujours croissantes.
Voici qui peut vous donner une idée d’ensemble du problème. Lorsque Newton élabora et démontra sa théorie de la gravitation, il utilisait des données entachées d’environ 4 % d’erreurs. Aujourd’hui, ce chiffre a été réduit à un dix-millième de 1 %, et pourtant Newton avait déjà pu formuler les traits essentiels d’une théorie très puissante, capable d’applications expérimentales.
Plus tard, lorsque Einstein postula que dans certaines conditions la lumière devait s’incurver au lieu de se propager en ligne droite, les observations de l’époque comportaient un taux d erreur d’à peu près 20 %. Cela n’a pas empêché la théorie de la relativité de prendre le dessus. C’est seulement depuis quelques mois, grâce à l’utilisation de radiotélescopes, que cette marge d’erreur a été réduite à des valeurs pratiquement négligeables ; les instruments qui ont permis ce résultat n’étaient pourtant pas encore inventés à l’époque où Einstein élaborait sa théorie (voir la Recherche, n’ 9, février 1971, p. 164).
Ce qui précède contient une leçon importante, à savoir que des théories puissantes peuvent être établies à partir de données assez peu satisfaisantes, et vérifiées au moyen de ces mêmes données de façon suffisamment probante. On ne risque donc guère, si l’on sait que les informations et les statistiques économiques et sociales fourmillent d’erreurs, de jeter lé bon grain avec l’ivraie ni de nier la possibilité de toute théorie : on souligne simplement que les théories doivent s’adapter au caractère des données et des renseignements disponibles.
Il serait certainement injustifié de prétendre atteindre un haut degré de précision dans les données économiques ; on rencontre cependant cette prétention un peu partout, et elle est en particulier souvent revendiquée par les gouvernements qui ont la responsabilité de décisions économiques cruciales. On consent à admettre que nous ne savons pas tout de la nature, cependant assez bien connue ; mais en même temps on accepte sans broncher que nous puissions prétendre expliquer avec une grande précision le monde économique et social, dont la complication est incroyable.
Ainsi, on donne sans indiquer la moindre marge d’erreur le chiffre du PNB produit national brut, déclaration qui sous-entend une précision de 1/10 ou même 1/100 de 1 %. Un tel chiffre est inacceptable, parce que le sens commun devrait suffire à nous faire voir qu’il est impossible de rendre compte sans aucune erreur du volume total des transactions en tous genres qui constituent l’économie d’un pays.
Cela s’applique tout aussi bien aux pays développés qu’aux pays sous-développés. mais ces derniers, en outre, ne possèdent presque pas d’archives, le chiffre de leur population est inconnu, et dans leur cas les données « par tête d’habitant » n’ont donc aucun sens. On se livre pourtant à des débauches de comparaisons entre nations, même au sein des institutions les plus prestigieuses des organismes internationaux.
Une illustration prise au hasard : il est impossible pour un observateur étranger de déterminer le prix de… disons de l’électricité fournie à une société privée dans certains pays. Certaines transactions internationales, comme l’exportation de produits importants d’un pays vers un autre, selon qu’on les évalue au moyen des statistiques d’exportation de ce pays ou des statistiques d’importation de l’autre, varient souvent de presque 100 % en quantité ou en valeur.
Ce phénomène a été observé jusque dans les transactions portant sur l’or, produit de grande valeur qui bénéficie d’un luxe de soins pour son transport et son enregistrement, mais qui sont parfois couvertes par le secret ; les tarifs d’assurance de son transport enfin sont très élevés, mais sont souvent tournés grâce à diverses manipulations, etc. Pourtant on n’hésite pas à fonder sur de tels chiffres des décisions affectant de nombreuses nations et des millions de personnes, lorsqu’ils font ressortir excédents ou déficits pour certains pays.
Dans un domaine où entrent en jeu des sommes considérables et où l’enregistrement des transactions est fait avec le plus grand soin, par exemple dans la détermination de la masse monétaire, des différences énormes ont été observées. L’an dernier, la masse monétaire des États-Unis est apparue entièrement différente de ce qu’on avait annoncé jusque-là.
En août 1970, son taux d’accroissement avait d’abord été évalué à 6,8 %, mais se trouva être en réalité de 10 %. En septembre, on remplaça 1,2 % par 5,7 %, etc. Ainsi des variations énormes se manifestent, sans paraître influencer ni les hommes politiques ni les travaux scientifiques d’économétrie.
Un observateur indépendant qui débarquerait de la planète Mars ne saurait pas quelles statistiques utiliser pour ses calculs. Même le dénombrement de la population, entrepris à grands frais par les gouvernements des pays développés, à l’aide de techniques évoluées et avec les outils statistiques les plus perfectionnés, laisse subsister des erreurs très importantes.
Dans le recensement américain de 1950, par exemple, 5 millions de personnes n’ont pas été comptées, ainsi que l’ont démontré plus tard des investigations très attentives ; et même le dernier, celui dé 1970, comporte une erreur similaire, qui représente environ 3 à 4 % de la population totale.
Nous avons vu plus haut qu’il ne s’agit pas là d’une erreur inacceptable ; mais c’est quand même bien une erreur, et il est parfaitement inadmissible qu’on agisse actuellement tout à fait comme si elle n’existait pas.
On aimerait donc voir des statistiques économiques où chaque chiffre serait accompagné de l’indication de son écart type ; cette pratique n’a pas cours, et il n’est pas bien difficile. de trouver pourquoi. Les raisons sont fréquemment de nature politique. Le gouvernement reçoit de l’argent d’une assemblée, congrès ou parlement, et préfère ne pas montrer aux législateurs, qui tiennent les cordons de la bourse, qu’il entre une part d’incertitude dans ses calculs et dans ses mesures.
Il n’y aurait pourtant point de honte à cela, car il serait facile de démontrer que la perfection n’est pas de ce monde. Il y a quelques années, en Allemagne, un organe consultatif du gouvernement, sorte de conseil économique, fit une tentative pour livrer des chiffres assortis de leur marge d’erreur, dans la mesure où elle pouvait être évaluée. Le gouvernement intervint pour mettre fin à cet étalage indécent.
Une attitude comme la sienne, si elle continuait à prévaloir comme c’est le cas à présent, rendrait impossible tout progrès aussi bien dans le domaine politique que dans celui de la science économique, pour autant qu’elle se fonde sur une notion rigoureuse de ce que sont des données quantitatives. Quand on dévalue le dollar, quelqu’un décide qu’une dévaluation de tant pour cent, ni plus ni moins, constitue la dose requise, mais cet individu ne possède aucun renseignement qui permette de savoir si ce taux est bien le bon.
Même si l’on s’est livré à des calculs préalables, ceux-ci sont fondés sur des chiffres censés exempts, d’erreur, et il est clair que si l’existence de ces erreurs était prise en considération dans les calculs, les déclarations politiques ne seraient pas formulées avec la belle assurance qui les caractérise aujourd’hui.
Les pièges du produit national brut
Je me suis référé jusqu’ici à des faits accessibles à l’observation directe, mais le mal est plus profond : il tient à quelques-uns des concepts mêmes qui sont à la base de certaines observations. Prenons par exemple le produit national brut, ou PNB : c’est une notion populaire dans le monde entier, et pourtant chargée d’absurdités et de difficultés incroyables. Le PNB prétend mesurer l’évolution de la production nationale par l’intermédiaire des variations du volume total des transactions.
L’œil et l’attention des, gouvernements, des hommes d’affaires et du public sont fixés sur ce chiffre, sur lui seul. S’il augmente, c’est merveilleux ! Ne fût-ce que d’un demi pour cent, c’est mieux que rien. Une différence comme celle entre 1,5 et V % pendant le bref intervalle d’un trimestre sera considérée comme « significative ». Mais qu’y a-t-il derrière ? Il est impossible, on l’a dit plus haut, de mesurer aussi rapidement une masse d’événements aussi vaste que l’est l’ensemble de toutes les transactions ayant eu lieu dans un pays. Cela reste vrai même si l’on dispose d’ordinateurs, qui accélèrent le traitement des informations, et si l’on utilise à fond tous les autres moyens de renseignement. Mais non, on veut que ce chiffre à lui seul nous fasse savoir si le pays est en progrès ou en régression sur le plan économique.
Ce chiffre est d’ailleurs un chiffre scalaire, et non pas même un vecteur dont les composantes correspondraient aux divers secteurs de l’économie. Tout ce qui a pour résultat un accroissement des dépenses est enregistré comme une «croissance». Ce qui est curieux, c’est que les pannes du système sont inscrites à son crédit.
Si vous êtes immobilisé dans un embouteillage, vous consommez davantage d’essence, vous payez plus cher le kilomètre en taxi ; si des avions font la queue au-dessus des aéroports sans pouvoir atterrir tandis que d’autres attendant pour décoller, ou même s’il arrive une catastrophe qui entraîne des réparations, tout cela nous est comptabilisé comme un accroissement du PNB !
L’économie est trop complexe pour pouvoir être représentée par un chiffre unique. C’est comme si la croissance d’un homme depuis le biberon jusqu’à l’âge adulte était représentée par un seul chiffre qui couvrirait sa croissance physique, sa taille, son poids, ses études, son intelligence, etc. ; si minime est l’effort de réflexion requis pour apercevoir toutes ces difficultés qu’on est parfois gêné, en tant qu’économiste, vis-à-vis de physiciens ou autres, d’avoir à révéler que cet état de choses est caractéristique de la situation des sciences sociales.
Il est d’ailleurs assez curieux que la théorie des probabilités, sans laquelle la science moderne ne serait pas ce qu’elle est, tire son origine dans des phénomènes sociaux : l’étude des jeux de hasard, et l’observation de certains phénomènes économiques et mouvements de population. Après quoi cette théorie si puissante, et dont l’importance ne cesse de croître, a surtout été utilisée dans les sciences physiques, depuis le début du XIX’ siècle jusqu’à nos jours.
Dans les sciences sociales, une attitude déterministe continue de prévaloir, et c’est tout juste si l’on commence aujourd’hui à percevoir quelques indices d’un changement de perspective et de point de vue. Il n’est pas encore tout à fait admis en bonne compagnie de mettre l’accent sur l’existence d’erreurs dans les observations économiques et sociales, dans, les statistiques et dans les mesures prises, de même que naguère encore il n’était pas poli de dire que quelqu’un était mort d’un cancer : à présent, on n’hésite pas à mentionner dans les nécrologies cette cause de décès.
Si un déterminisme aussi marqué caractérise dans l’ensemble les sciences économiques, ce n’est pas seulement par crainte de regarder en face l’incertitude qui affecte leurs données, mais aussi, je crois, en grande partie pour des raisons politiques. Tout parti politique, qu’il soit marxiste ou capitaliste, tient à démontrer que ses conclusions sont définitives, que ses prévisions sur l’évolution de l’économie ou ses dithyrambes sur la façon admirable dont fonctionne le libre marché, sont solidement fondés et ne laissent pas prise au doute, ne souffrent aucune incertitude. Il va falloir changer tout cela, et l’on commence en effet à voir venir un changement.
A l’avenir, il sera certainement impossible aux sciences sociales de se développer de façon différente des sciences physiques, en ce qui concerne les exigences de rigueur scientifique et les méthodes d’analyse. Si l’observation de la nature est elle-même chargée d’incertitude, comment le monde social et économique, dans toute sa complexité, pourrait- être observé valablement d’un point de vue plus déterministe, lui qui est véritablement encastré dans l’univers naturel ?
La validité des prévisions varie évidemment selon qu’on se rend compte ou non de l’importance des incertitudes. Il est intéressant de noter que jusque dans un domaine économique où les données atteignent un maximum de précision, à savoir les cotes de la bourse, les prévisions restent notoirement incertaines. En fait, dans la plupart des situations, elles sont même impossibles.
Il se peut que ce soit dû à la structure particulière de la bourse, mais si ce grand et important marché est sujet à des variations aléatoires, comment d’autres marchés, où les renseignements sont bien plus difficiles à obtenir et chargés de bien plus d’erreurs, pourraient-ils être mieux compris ? Comment les théories pourraient-elles y posséder un pouvoir de prévisions plus grand ?
Sortir l’économétrie de son ghetto mathématique
Les économistes se trouvent vraiment devant un étrange dilemme. D’un côté, la quantité d’informations économiques s’accroît selon un taux incroyable, surtout grâce aux ordinateurs, qui permettent d’enregistrer de nombreuses activités qui échappaient autrefois à l’observation numérique. En même temps, l’économétrie, science qui vise à faire des mesures économiques véritables et à les lier ou les combiner en vue de les incorporer à une théorie, devient de plus en plus mathématique et a besoin de subir de profonds rajustements.
On a vu il y a quelques années un curieux débat : les mesures sans théorie, c’est-à-dire « impartiales », font-elles vraiment progresser la science économique, ou les théories doivent-elles précéder toute tentative de mesure ? Cela rappelait assez le vieux conflit entre l’économie comme science théorique et comme science historique, qui a débouché comme on sait sur la découverte que les deux choses ne sont pas contradictoires dans les faits : il est impossible de faire de la théorie économique sans mesures, et des mesures sans théorie ne veulent rien dire.
On peut dire que tous les progrès, dans toutes les sciences, ont été accomplis grâce à l’introduction de concepts nouveaux, et ceux- ci à leur tour ne pouvaient naître que lorsque le chercheur avait sous les yeux un grand nombre de données empiriques. C’est ce qui s’est passé pour les découvertes de Kepler, fondées sur les prodigieuses observations et mesures de Tycho-Brahé ; et aussi pour Mendel, qui commença par accumuler de longues années d’expériences de génétique.
De même, l’économétrie aujourd’hui doit relever un immense défi. Il s’agit d’élaborer une image du monde réel qui tienne compte de toutes les Incertitudes impliquées par les procédés de description. Pour ce faire, les chercheurs qui ont pour tâche d’organiser les divers aspects de cette image devront utiliser le sens commun, en même temps que certains concepts empruntés à la théorie économique devront servir de guide.
La difficulté est que les économètres sont dispersés dans de nombreux pays dont les structures économiques et sociales sont très différentes : on doit donc émettre des réserves sur la valeur des comparaisons de leurs mesures. De plus, les économies changent, tandis que les lois de la nature sont stables, du moins dans le champ d’action qui est celui de la physique, et même de la biologie.
Face à ces difficultés, il n’est pas étonnant que les économètres trouvent plus commode d’élaborer des méthodes abstraites et très raffinées que de les mettre en pratique. L’économétrie a produit un volume important d’ouvrages théoriques, mais rares sont les applications expérimentales qui permettraient d’en extraire ce dont on a, en fait, besoin : une Image de la façon dont fonctionnent réellement les systèmes économiques de différents pays.
Notons aussi que les méthodes statistiques, potentiellement très puissantes, nécessitent un appareil de données et de théories économiques dont la structure soit très rigoureuse et ne laisse passer que des erreurs minimes. Cela souligne le fait qu’une grande précision des données et des mesures n’est vraiment nécessaire ou môme utile que pour des théories très puissantes, mais il se trouve justement que la plupart des données disponibles sont de mauvaise qualité et ne sauraient servir à travailler avec les concepts plutôt raffinés que l’on tente d’instaurer et d’utiliser en théorie économique.
Il y a donc une dualité entre la structure – fine ou non – de la théorie, et la qualité des données correspondantes. Comme en physique, l’écart est considérable entre le degré de confiance qu’on peut accorder à telle information et à telle autre, entre le degré de précision d’une mesure et d’une autre. Par conséquent, les affirmations fondées sur des théories économiques sont de valeur très inégale. Malheureusement, de nos jours, et surtout dans les milieux gouvernementaux, on ne fait pas de telles distinctions, et dans les manuels scolaires pour débutants ou même pour les étudiants plus avancés, on ne trouve pas le moindre mot indiquant qu’il subsiste dans les sciences économiques des problèmes non résolus.
Cependant, ces sciences sont pleines d’énigmes encore à résoudre. Il arrive certes que des prévisions correctes soient faites, ce qui semblerait renforcer la puissance et l’exactitude de la théorie sous-jacente ; mais ce sont là des faits dont on aurait tort d’exagérer l’importance.
Même des théories fausses sont capables de prévisions exactes : témoin la théorie ptoléméenne, d’après laquelle nous pouvons calculer la date juste de la prochaine éclipse de lune tout en sachant parfaitement que la théorie est fausse. Ainsi, une prévision correcte ne prouve ni l’exactitude des observations qui l’ont précédée, ni la justesse de l’interprétation qu’on en a faite.
L’ordinateur… et la mauvaise manière de s’en servir
La découverte de l’ordinateur a évidemment une importance énorme pour les chercheurs en sciences sociales. C’est sans doute la plus grande découverte technologique de notre époque, plus importante même que la fission de l’atome. Comme, parmi les sciences économiques, il en est peu qui se prêtent à une expérimentation directe, la simulation rendue possible par l’ordinateur supplée au manque de procédés expérimentaux.
La transformation des sciences économiques par l’ordinateur; ne fait que commencer, mais on peut déjà discerner quelques grandes lignes importantes ; quelques dangers méritent une mise en garde.
Le grand mathématicien Gauss disait. « Le manque de réflexion. mathématique ne se fait jamais voir de façon aussi éclatante que dans l’excès de précision apporté à des calculs numériques. » Que dirait Gauss aujourd’hui, ou des informations insuffisamment analysées, de qualité très inégale, sont entrées pêle-mêle dans les ordinateurs pour subir des millions de multiplications, dans l’espoir qu’au bout du compte quelque résultat significatif apparaîtra ?
Tout cela repose souvent sur un petit nombre d’équations qui prétendent refléter la réalité économique ; et, à partir des calculs on fait des prévisions, qui servent de base à des décisions politiques.
Le champ des mathématiques numériques s’est énormément développé depuis l’avènement de l’ordinateur. Cependant, la plupart des ouvrages portent avant tout sur des techniques de calcul ou des procédés plus simples et plus sûrs pour résoudre les équations. Le problème qui nous occupe ici intéresse par contre la nature des relations entre les théories fondamentales d’une part, et les résultats numériques obtenue par des calculs fondés sur les modèles qu’elles ont construits d’autre part.
La théorie économique s’est très tôt posée des questions de ce genre : on se souvient du fameux passage où Pareto, dans son Manuel d’économie politique 1907 démontre que, suivant sa théorie générale de l’équilibre, pour un système contenant seulement 100 personnes et 700 produits, il n’y aurait pas moins de 76990 équations à résoudre. Chiffre énorme, et pourtant il est clair que, par rapport à la population d’un pays, 100 personnes ne constituent qu’une fraction minime.
Au lieu de résoudre les équations concernant un si petit nombre d’individus, on préfère travailler sur des agrégats, établie des modèles qui ne comprennent qu’un petit nombre de variables dont chacune couvre un grand nombre d’individus. On espère ,ainsi diminuer la difficulté, et dans un certain sans, évidemment, on y parvient. Hélas ! tout se paie, et l’évaluation des agrégats, loin d’être un procédé inoffensif, engendre à son tour des problèmes.
De la modélisation au calcul
Examinons comment envisager un calcul, quel qu’il soit, sur une grande échelle. Je me réfère ici à un ouvrage important de Von Neumann et Goldstine. Quoique leurs travaux datent d’il y a vingt-cinq ans, rien n’est venu affecter la validité de leurs résultats ni, je crois, ne pourrait le faire. Comme beaucoup de problèmes économiques sont représentés par des matrices d’un ordre élevé, comprenant plusieurs centaines de lignes et de colonnes, nous pouvons citer le problème que pose l’inversion des matrices, elle comporte quatre stades, qui occasionnent inévitablement des erreurs de types divers dont certaines, nous le verrons, d’importance primordiale.
En voici la liste :
Le problème économique, brut, à la base, ne peut être exprimé qu’au prix d’une idéalisation, d’une simplification et d’omissions. En d’autres termes, il faut construire un modèle mathématique, qui, comme les modèles dans toutes les sciences, constitue une simplification de la réalité. Je n’insiste pas sur ce point, car le problème est commun à toutes les sciences, et tout économiste est conscient qu’il simplifie, parfois de façon radicale. C’est un dilemme auquel on ne saurait échapper, et d’ailleurs une simplification n’est pas forcément néfaste.
Étant donné le succès de théories physiques telles que la théorie newtonienne de la gravitation, on voit qu’il est possible d’aller très loin même avec des simplifications grossières.
Si l’on accepte le modèle comme une image fidèle et cohérente de la réalité, on constatera que la description du phénomène choisi nécessitera des paramètres dont la valeur sera fixée par l’observation, directement ou indirectement c’est-à-dire par l’intermédiaire d’une autre théorie ou d’un calcul préalable. Ces paramètres vont donc comporter des erreurs qui, à leur tour, se retrouveront dans les résultats de tous les calculs. C’est là le point décisif. C’est à ce stade qu’interviennent les erreurs d’observation, et leur influence affecte les résultats plus gravement qu’aucune.
La formulation mathématique stricte du modèle doit être remplacée par une formulation approximative. Cela veut dire que de nombreuses opérations transcendantes telles que celles qu’impliquent des fonctions comme le sinus ou le logarithme, ou des opérations telles que l’intégration et la différenciation, ainsi que les expressions implicites, etc., que l’on trouve inévitablement dans les divers modèles utilisés en théorie économique – tout cela devra être traité numériquement.
Autrement dit, il faudra remplacer toutes ces opérations par des procédés élémentaires. De même, les processus qui convergent ou tendent vers une limite devront être interrompus à un certain endroit ou tronqués dès qu’on jugera atteindre un niveau d’approximation suffisant.
Même si l’on ne se sent pas gêné par ces trois sources d’erreurs, qui influent sur la nature des calculs et leur validité, il en reste encore une très importante dont la présence est significative.
C’est qu’aucun procédé ou moyen de calcul ne peut faire les opérations élémentaires – en tout cas pas toutes les opérations élémentaires – avec une rigueur absolue et sans fautes. Il ne s’agit pas ici des erreurs que peut commettre un ordinateur mal programmé ou qui souffre de déficiences mécaniques ou électriques. Non, c’est plus grave. Le processus de calcul lui-même comporte des traits inhérents qui lient l’exécution de toutes les opérations à l’introduction simultanée, inévitable et systématique de certains types d’erreurs.
Considérons, pour illustrer les erreurs liées au fait d’arrondir un chiffre, un ordinateur ayant une limite de capacité lui permettant de retenir disons 8 chiffres : en multipliant deux nombres de 8 chiffres, on en obtient un de 16 chiffres qu’il faudra arrondir à 8. Répétez l’opération quelques millions de fois comme c’est nécessaire dans bien des inversions de matrices et demandez-vous si le résultat final est encore valide. C’est là un problème fondamental. Quelle que soit la capacité de l’ordinateur, il vient toujours très vite un moment où il faudra arrondir, sans quoi on finirait bientôt par avoir des nombres comprenant plus de chiffres qu’il n’y a de particules dans l’univers.
En ajoutant cette difficulté au fait que les données comportent un assortiment d’erreurs diverses, on aura une idée de l’étendue du problème auquel se heurte la vulnérabilité relative de divers types de modèles à divers coefficients d’erreur. Des recherches ont démontré que certains des modèles les plus connus sont extrêmement vulnérables.
Par exemple, dans un modèle a six équations, même si le coefficient représentant les salaires est le seul où se soit glissée une erreur, mettons de 10 %, le chiffre indiquant les profits sera affecté d’une erreur de 23,4 % en trop ou de 21 % en moins si l’erreur de base est négative. Quand toutes les variables sont sujettes à l’erreur, comme c’est toujours le cas, les résultats sont encore pires. Et ce n’est là qu’une seule illustration.
Je termine ces réflexions par un simple exemple qui devrait nous inspirer à tous une salutaire prudence. Prenons le système de deux équations
x-y = 1 et x-1,00001 y = 0
Elles ont pour solution : x = 100.001, y = 100.000.
Mais les deux équations suivantes presque identiques :
x-y = 1 et x-0,999 99 y ont pour solution : x = -99 999, y = -100 000.
Les coefficients diffèrent tout au plus de deux unités à la cinquième décimale, mais les solutions diffèrent de 200.000. Est-il nécessaire de ne rien ajouter ?