En demandant à l'ONU de reconnaître l'État palestinien, Mahmoud Abbas a mis les grandes puissances au pied du mur.
Le 16 septembre, à New-York, Mahmoud Abbas, Président de l'Autorité palestinienne, a demandé aux Nations-Unies de reconnaître l'État palestinien et de l'admettre au sein de l'ONU comme un membre à part entière. Cette revendication est soutenue par des nations musulmanes d'envergure, comme la Turquie, l'Egypte ou l'Arabie Saoudite où le prince Turki al-Faisal, frère et possible successeur du ministre des Affaires étrangères, a affirmé que la collaboration avec les États-Unis ne peut continuer sous sa forme actuelle.
Elle se heurte en revanche à l'opposition d'Israël (qui a condamné une « initiative unilatérale » - mais comment pourrait-elle être autrement ?) et des États-Unis. Du côté européen, Catherine Ashton, chargée des Affaires étrangères pour l'Union européenne (UE), a travaillé d'arrache-pied à un compromis avec les Palestiniens, afin qu'ils renoncent au droit de poursuivre les politiciens israéliens devant la cour pénale internationale. Nicolas Sarkozy, quant à lui, a suggéré à Mahmoud Abbas de formuler sa demande auprès de l'Assemblée générale de l'ONU - plutôt qu'auprès du Conseil de sécurité, comme le Président de l'autorité palestinienne l'avait annoncé - afin d'obtenir un statut d'État associé.
Abbas s'en est pourtant tenu à ce qu'il avait annoncé : le 23 septembre, c'est au Conseil de sécurité qu'il a adressé sa requête - ce qui obligera les puissances à se prononcer et les États-Unis à mettre leur veto si une majorité se dessine en faveur des Palestiniens, qui peuvent déjà compter sur le soutien de la Chine, du Brésil, de la Russie, du Liban et de l'Afrique du Sud.
« C'est l'heure de vérité, a déclaré Mahmoud Abbas devant l'Assemblée générale de l'ONU. Les Palestiniens attendent de connaître la réponse du monde. L'heure a sonné pour le printemps palestinien, c 'est le moment de l'indépendance. »
Les Israéliens ont eux aussi cherché des soutiens : début juillet, le Premier-ministre israélien Benjamin Netanyahu s'était rendu à Sofia et à Bucarest, où il avait reçu l'engagement des gouvernements bulgare et roumain que ces pays ne voteraient pas à l'ONU en faveur de la création d'un État palestinien. Le ministre israélien des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, fondateur du parti d'extrême droite Israël Beytenou, s'était pour sa part rendu en Albanie.
En attendant la réponse de l'ONU, le Quartette des médiateurs sur le Proche-Orient - dirigé par l'ancien premier-ministre britannique Tony Blair et qui réunit les États-Unis, l'Union européenne, la Russie et les Nations-Unies - a proposé le 23 septembre aux Israéliens et aux Palestiniens de reprendre les négociations de paix, gelées depuis un an, avec l'objectif d'aboutir à un accord final fin 2012. Dès le 1er octobre, le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, affirmait cependant que l'initiative du Quartette n'avait « pas réussi ». Les négociations de paix butent notamment sur la question des colonies israéliennes. Une jeune Palestinienne expliquait récemment : « Je suis contre la création de deux États car cette perspective nous accorderait seulement 22 % du territoire palestinien, où sont déjà implantées des colonies israéliennes ».
La « plus mauvaise situation diplomatique »
Dans ce contexte le feu vert donné par Tel Aviv à la construction de 1100 nouveaux logements dans un quartier de colonisation juive à Jérusalem Est apparaît comme une provocation, en tout cas une fin de non-recevoir à la demande de reconnaissance d'un État palestinien.(1)
Tel Aviv semblait pourtant avoir baissé le ton ces derniers temps, surtout depuis l'assaut donné par la population égyptienne de son ambassade au Caire, le 10 septembre dernier : les diplomates israéliens avaient dû fuir par l'arrière du bâtiment - Benjamin Nétanyahou a d'ailleurs remercié la police égyptienne pour son intervention, qui sauva la vie de l'ambassadeur israélien. Avigdor Lieberman, qui menaçait jadis de bombarder le barrage d'Assouan si l'Égypte participait à une guerre contre Israël, a estimé que les liens avec l'Égypte devait être renforcés. Et Dan Meridor, vice-premier ministre et ministre des services de renseignement, a souligné la nécessité d' « infléchir la tendance qui s'est emparée de l'Égypte et qui commence à poindre en Turquie ».
Les services de renseignement israéliens et le journal Haaretz ont d'ailleurs averti que la sécurité d'Israël passe par une entente au Proche-Orient. La dirigeante du parti d'opposition Kadima, Tzipi Livni, reproche à Nétanyahou d'avoir placé le pays dans sa « plus mauvaise situation diplomatique ». Et le ministre de la Défense, Ehud Barak, prévient : « Si nous accentuons les tensions avec les Palestiniens, nous contribuerons à isoler Israël ».
L'ensemble de la communauté internationale a d'ailleurs vivement réagi à l'annonce des nouvelles constructions - y compris Barack Obama, pourtant plus mal jugé qu' aucun président américain ne le fut jamais par les Palestiniens, qui n'ont pas oublié qu'en septembre 2010, il avait promis la création d'un État palestinien dans un délai d'un an. Depuis, Obama est entré dans la campagne pour l'élection présidentielle de 2012, pour laquelle il aura besoin de l'électorat juif-américain...
On peut prévoir qu'un rejet par l'ONU de la demande palestinienne se traduira par un accroissement des tensions au Proche-Orient et une nouvelle flambée de violence. Il n'est pas certain qu'Israël le redoute : l'État hébreu pourrait alors imputer au Hamas la multiplication des actions terroristes, et en tirer argument pour ne rien céder. Mais à terme, cette politique du pire pourrait être la pire des politiques.
Laurent Glauzy monde & vie 8 octobre 2011
(1) Rappelons que la communauté internationale n'a jamais reconnu l'annexion par l'État hébreu de Jérusalem Est en 1967.
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Le prix de nos abandons et de nos lâchetés...
« Il existe aujourd'hui trois pôles de pouvoir dans le monde, les Etats-Unis, l'Allemagne, la région Asie pacifique. Vous êtes sceptique sur la construction européenne et cependant vous ne jurez que par l'Europe, sa civilisation, ses potentiels, sa diversité géographique et intellectuelle. Pour un antimaastrichtien comme vous, n'est-ce pas un peu contradictoire ? »
Le plus simple, pour vous répondre, est de commencer par un bref rappel historique et de réfléchir sur l'évolution des idées en Europe et dans le monde au cours des deux derniers siècles. Le XIXe et le XXe siècle ont été tout à fait déterminants pour le millénaire qui commence. On ne peut cerner le paysage géopolitique actuel sans se référer à une longue durée et aux différents projets de civilisation qui ont accouché du XXe siècle et, maintenant, d'une ère nouvelle qu'il nous reste à définir. C'est, en effet, au cours de ces deux siècles que se sont affirmées les trois conceptions de la vie en société qui ont profondément changé le visage de l'humanité. En se plaçant, comme on peut le faire aujourd'hui, sur un satellite qui orbiterait autour de la Terre et qui tournerait d'ouest en est, c'est-à-dire en balayant du regard la culture américaine, la culture européenne et ce que fut la soviétique, vous avez les trois étapes de l'évolution de la société sur laquelle je souhaiterais m'arrêter.
En commençant par les États-Unis. La société américaine est fondée sur une idée simple, celle de la toute-puissance de la nature dont il suffit d'observer les règles. Dans la nature, il n'y a ni fraternité, ni égalité, ni liberté, il y a plutôt la loi de la jungle, à savoir que le plus fort l'emporte, que le plus faible est marginalisé. Lorsque les États-Unis ont découvert le darwinisme au XIXe siècle, ils ont appliqué à l'homme la théorie relative à l'évolution des espèces. Ils découvraient là une justification du capitalisme, à savoir qu'il était normal qu'un individu plus actif, plus intelligent, plus travailleur et plus fort physiquement l'emporte sur celui qui était moins doué. Il y avait là, pour eux, une manifestation normale de l'état de nature.
Au contraire, l'Europe est marquée, à partir de la fin du XVIIIe siècle - il y a déjà des antécédents, mais cette date marque une étape - dans la plupart des pays et notamment en France, pays phare à
l'époque, par le souci de maîtriser la nature, de supprimer les inégalités naturelles, d'avantager le faible par rapport au fort, de manière à créer une société qui serait au-dessus de l'état de nature. Cette tendance forte est notable dès le XVIIe siècle ; par exemple en littérature dans le classicisme français tel qu'on a pu l'étudier dans les tragédies de Racine ou de Corneille, la langue est corsetée. Elle n'est pas naturelle. Elle l'est beaucoup moins que chez Shakespeare. Il y a déjà là une opposition entre le classicisme français et la conception anglo-saxonne.On peut aussi prendre l'exemple des jardins que Le Nôtre a dessinés.
En effet, il a fait plier la nature, il a découpé les arbres et taillé les buissons de manière à recomposer totalement le paysage, et ce contre la conception anglaise du jardin naturel.
Vous retrouvez cette opposition encore plus tard avec la naissance du romantisme allemand ou anglo-saxon par opposition à la persistance du classicisme français.
Cette idée de maîtriser la nature, de ne pas céder à ses lois, se retrouve dans les idéaux de 1789. Notre société s'est construite en rébellion contre les inégalités naturelles, elle les a combattues en tentant de favoriser les plus faibles au détriment des plus forts. Il s'agit, bien entendu, de l'idée de contrat social, mais pas seulement: cela concerne aussi l'éducation, la culture populaire et la manière dont on s'accommode de la dignité.
Maintenant, si notre observateur sur orbite céleste avait continué son parcours et se trouvait au-dessus de l'URSS, il aurait vu que là on avait dépassé l'excès révolutionnaire français de 1789, non pas jusqu'à créer une société dans laquelle la nature serait corrigée de ses défauts, sans brutalité, mais pour construire une société capable d'accoucher d'un homme nouveau. Ce n'est pas seulement une société nouvelle que l'on a construite, c'est un homme nouveau formant une société nouvelle.
Ce raisonnement a été porté jusqu'à l'extrême avec le Cambodge de Pol Pot où l'on a détruit les individus dotés de mémoire parce qu'ils représentaient un passé empêchant de créer un homme nouveau. Cet homme nouveau devait être débarrassé de toute séquelle du passé.
Si j'ai encore, à titre personnel et du haut de mon grand âge, un peu de foi dans l'humanité, c'est que j'ai bon espoir dans les deux extrêmes, l'américain -ou la nature est copiée, respectée au mépris des plus faibles- et le soviétique- qui a voulu créer une société nouvelle sans aucun rapport avec ce qui est naturel-, ces deux extrêmes, à mon sens, sont appelés à disparaître. Seule la conception européenne me paraît être un juste milieu entre les rigueur de la nature et les excès du rationalisme anti-naturel. Vous voyez bien que je ne suis pas aussi anti-européen que cela.
« Votre parcours sur orbite est irréprochable. Mais l'Amérique n'est pas une création « ex nihilo ». C'est un bourgeon d'Europe. À l'origine des États-Unis, il y a l'esprit des Lumières. Les grandes migrations vers ce pays au XIXe siècle sont le lot d'une petite bourgeoisie éclairée. Les vrais pauvres étaient rares. Pourquoi établissez-vous une telle coupure entre l'Europe et les États-Unis ? »
« L'Amérique a rédigé une Constitution en 1787, et depuis s'y est tenue. Sa conception de la société est immuable. Il y a eu 25 ou 27 amendements à cette Constitution, mais elle est encore debout. Or si vous observez ce qui s'est passé en Europe pendant la même période, c'est tout à fait différent. En 1945, quand j'étais en Angleterre, à la fin de la guerre, j'avais écrit un article dans la revue de la France Libre qui s'appelait « La quatorzième Constitution ». Car on se préparait, à l'époque, avec le retour du général de Gaulle en France, à adopter une quatorzième Constitution. Entre-temps, il y a eu l'Empire, la Monarchie de Juillet, de nouveau l'Empire, la révolution de 1830, les émeutes de 1831, la révolution de 1848,
Que d'événements et que d'écoles de pensée: Proudhon, Fourier en France, Orwell en Grande-Bretagne, Marx et Engels en Angleterre et en Allemagne...
Il y a eu des mouvements d'idées considérables, permanents, comme si les conquêtes de 1789 étaient constamment remises en question, comme s'il fallait les perfectionner inlassablement pour arriver à une société meilleure. En tout cas, il y avait ce désir d'améliorer le sort des hommes par des approches successives, parfois violentes, parfois purement intellectuelles, mais qui marquaient une constante recherche de l'amélioration du sort de l'être humain. »« Comment vous situez-vous personnellement par rapport à cet héritage ? »
« Je me situe dans la mouvance du perfectionnisme progressif. C'est-à-dire que je comprends très bien les saint-simoniens, les démocrates-chrétiens comme Lacordaire ou Lamennais, mais aussi qu'il y ait eu Marx et Engels, Proudhon, Fourier, qu'il y ait eu les Ateliers nationaux, qu'il y ait eu la
Commune, je comprends tous ces mouvements »« Vous comprenez aussi qu'il y ait eu Danton et Robespierre ? »
« Parfaitement. Je comprends que tous ces mouvements aient existé, non pas que je les approuve tous, mais parce que je crois que leur objectif était l'amélioration de la condition de l'être humain.
Une amélioration progressive qui passe parfois par des solutions extrêmes, radicales, avec des erreurs, parfois par des solutions plus justes et plus proches de la réalité. Il n'y a pas eu, heureusement, l'idée absurde, anti-dualiste, qui a été celle du stalinisme et a fortiori celle du « PolPotisme ». C'est dans ce cadre qu'il faut étudier ce qui s'est passé dans le monde au cours de ces dernières années. Le millénaire qui commence est marqué par ces trois concepts. Le plus extrême, celui de l'URSS, a été éliminé.
Il a prouvé son inhumanité excessive, il a disparu, pour l'instant. »
« La solution américaine souffre donc, selon vous, d’un certain nombre de défauts? Vous parliez à l'instant de l'immigration? »
« Les Etats-Unis sont effectivement un pays d'accueil avec un mélange de cultures, aux mœurs différentes. Cette vocation est louable, mais elle repose sur des mesures autoritaires qui se traduisent par une propension à user de la force.
Voyez, par exemple, cet amendement à la Constitution qui permet à chaque individu de posséder une arme, comme s'il était nécessaire de défendre son existence et son bien l'arme à la main.
Cela est profondément choquant. Voyez encore le maintien de la peine de mort qui est un excès que l'humanité ne doit pas s'accorder. Le système socioéconomique favorise également la force au détriment de la faiblesse. Il y a là, selon moi, des risques de dérapage, bien moins grands que ceux qu'a connus I'URSS, mais I'URSS est tombée en panne en route, et il est possible que les États-Unis tombent eux aussi en panne dans quelques années.
Il resterait alors cette Europe qui balbutie actuellement mais dont il se trouve qu'elle a été lors de ces deux derniers siècles, en particulier, un laboratoire où s'expérimentent des systèmes juridiques complexes et où peuvent s'inventer des systèmes sociaux originaux. Je ne dis pas que cela est gagné, mais je pense comme Robert Reich que l'avenir de l'Europe se joue autour de ces questions. »« D'où vient alors ce privilège de l'Europe? »
« C'est un problème de géopolitique. Elle joue ce rôle parce qu'elle a bénéficié d'une morphologie favorable et d'une relative stabilité politique. Si vous regardez la carte du monde et que vous excluez les zones extrêmes (nord et sud) en ne considérant que les zones tempérées, là où l'être humain se développe le mieux, vous constaterez que l'Europe est de tous les continents celui où l'homme a le plus bénéficié de l'action civilisatrice de l'eau pour sa subsistance et pour les échanges eux-mêmes facteurs de civilisation. En revanche, si vous regardez l'Afrique, ce continent en retard, vous constatez que ses contours sont compacts, que les fleuves qu'il contient sont peu navigables et que des déserts rendent les échanges difficiles. D'où le retard millénaire de l'Afrique. En comparaison, la Grèce, avec ses isthmes et ses îles, est une terre maritime par excellence. Et, dès le VIIe siècle avant J.-C., elle a été l'un des principaux pôles de civilisation.
Or cet avantage que les Européens se sont donné s'est prolongé dans le temps et le résultat a été que l'Europe s'est trouvée, jusqu'à la fin du XXe siècle, l'élément dominant de la civilisation mondiale. »
« Est-ce que, dans cette Europe-là, vous incluez la Russie? »
« Non, l'Europe que je décris actuellement est l'Europe maritime. Mais cet avantage que l'eau a accordé, par les inventions nouvelles qu'elle a suscitées, la voie ferrée, l'avion ensuite, l'Europe l'a démultiplié. L'avantage de l'eau, aujourd'hui, n'a plus guère de sens, mais c'était un point de départ morphologique.
Un autre aspect morphologique dont nous profitons en Europe est celui de son cloisonnement montagneux. Loin d'être un ensemble de vallées dans lesquelles la civilisation aurait été cloisonnée, comme cela a été le cas dans le Caucase, par exemple, le relief, relativement accommodant, laissait de grands espaces qui ont permis le regroupement et le développement, de peuples assez nombreux pour constituer une force. Et le troisième aspect à l'origine de cette Europe est que les États européens au cours de vingt siècles d'histoire ont été à peu près stables. Ils se sont battus les uns contre les autres mais dans une relative stabilité, en ce sens que, en tant que royaumes ou empires ou même comme républiques, ils ont duré. En se rétrécissant, en se dilatant, en fonction du verdict des guerres, mais ils ont duré. Ce qui n'est pas souvent le cas des empires des autres continents qui ont disparu rapidement.
Cette stabilité relative a été à l'origine de la prospérité économique et par conséquent du développement de leurs sciences et de leurs techniques, d'où l'avantage qu'ils en ont tiré.
« Ces trois caractéristiques ont donc placé ce continent en position de phare? »
« Cette position a été érodée et est en passe d'être détruite par les propres inventions de cette Europe, et maintenant, bizarrement, par la construction européenne. Car la puissance de l'Europe est née de ces rivalités qui étaient sources de compétition, d'activité et de créativité. Les peuples luttant les uns contre les autres ont perdu bien des avantages dans les guerres, mais en ont aussi acquis par la dureté de la compétition. Or la création de l'Europe détruit cette compétitivité. L'uniformité que recherche la commission de Bruxelles dans tous les domaines en est un exemple, un exemple puéril, mais un exemple tout de même. Il illustre bien que cette uniformité signifie l'arrêt de la créativité. »
« Nous sommes donc en train de détruire ce qui fut notre avantage? »
« Notre avenir me paraît complexe, parce que notre passé est à la fois porteur d'espoir pour les raisons énoncées plus haut, à savoir celle du juste milieu entre l'extrême russe et l'extrême américain. En revanche, la phase de création d'une entité politique se substituant aux nations existantes qui ont été formées par l'histoire, par les rivalités, par les compétitions et par les efforts d'éveil compétitif des peuples, est en train de nous faire disparaître. En bref, nous sommes en train de nous anéantir.
« Prenons un autre aspect de cette Europe, la décentralisation administrative, très à la mode de nos jours, qui conditionne la création européenne à la construction d'une Europe fédérale qui serait, selon l'expression de Helmut Kohl, fondée sur deux idées, le fédéralisme et le régionalisme. Le fédéralisme ne serait-il possible qu'à partir du régionalisme dès lors que les États-nations ont disparu ? »
Cette idée a un inconvénient. En fractionnant les États pour donner la priorité aux régions, on enlève aux États une partie de leurs ressources. Par exemple, soit un pays X qui recevait un capital 100. Si on y fait dix régions, ce capital 100 sera divisé par 10 pour alimenter l'effort de chaque région. Mais cet État, hier au capital 100, ne pourra plus se lancer dans de grandes entreprises
d'intérêt national parce que les ressources lui manqueront et chacune des régions, qui ne disposera plus que du dixième des ressources, ne le pourra pas davantage. »« Pouvez-vous nous donner des exemptes? »
« La France d'avant le régionalisme et la décentralisation a pu construire le TGV, le France, le Concorde; elle a pu lancer une politique énergétique indépendante, et parler haut dans le monde.
Mais si demain, elle en vient au régionalisme à la demande et si les ressources ne sont plus à la disposition d'un État qui est à la tête de ses régions et qu'elles sont réparties, émiettées, à l'intérieur de ces régions, alors chacune de ces régions n'aura plus que les ressources nécessaires pour créer des musées, des maisons de retraite ou des chemins vicinaux. Si bien sûr, l'Europe était faite comme les
États-Unis et qu'il n'y avait dans cette Europe qu'un seul État, un seul gouvernement, un seul Parlement, une seule diplomatie, une seule armée, ce que je dis ne serait pas vrai. Mais aujourd'hui, ce n'est pas le cas. »« Historiquement, cela peut-il être le cas ? »
« La question est ouverte. Il se trouve que l'Amérique a été constituée à partir d'un territoire relativement vide, sans Histoire (avec un grand H), ou tout au moins avec une histoire dont les nouveaux arrivants voulaient ignorer les tenants et les aboutissants. Ceux-ci souhaitaient seulement s'approprier la terre, la seule source de richesses à l'époque, pour en faire un vaste ensemble uni qui a donné les États-Unis d'Amérique
L'Europe s'est faite de manière totalement différente par le cloisonnement dont je viens de vous parler.
Celui-ci a été une source de richesses pour elle, mais également un poids historique tel qu'il s'y trouve- en simplifiant-20 à 25 peuples d'origines et d'histoires différentes. Si bien que leur transformation en un seul peuple peut demander un nombre d'années considérable. Nous vivons actuellement une situation intermédiaire. Les États abandonnent leur souveraineté au profit d'une entité politique qui n'existe pas encore et qui n'est pas souveraine non plus.
Donc la souveraineté a disparu. Elle existe aux États Unis, elle existe en Inde, elle existe en Chine, elle existera peut-être au Nigeria, demain, mais en Europe elle n'existera pas parce que l'Europe n'est pas politiquement faite et que les États se défont. »« Vous insistez beaucoup sur l'idée d'abandon de souveraineté. La déploration, reposant sur l'opposition systématique entre un passé heureux et glorieux et le malheur du présent, n'est-elle pas récurrente? La France, après l'Empire, n'était pas glorieuse.
J'aimerais avoir votre avis sur ce qu'écrit à ce sujet Pascal Boniface dans son livre, La France est-elle encore une grande puissance? voici ce passage, « la mondialisation et sa traduction diplomatique, la multilatéralisation, viennent inéluctablement effriter l'image de la puissance nationale. La perception d'une France qui ne serait plus une grande puissance relève avant tout d'un processus psychologique lié à cette multilatéralisation […] par rapport à un modèle de puissance qui passait autrefois par la voie nationale, on se trouve aujourd'hui dans un système de relations internationales de plus en plus multilatérales. Que pensez-vous de ce constat? »
« Aujourd'hui, la France est devenue une puissance « sous-moyenne ». Mettons que l'Allemagne soit une puissance moyenne par rapport à ce qu'est aujourd'hui l'Amérique et ce que sera demain la Chine. En comparaison avec ces superpuissances mondiales, l'Allemagne est une superpuissance locale à l'échelon européen, mais c'est la seule en Europe. Donc si l'Allemagne est une puissance moyenne, la France est une puissance « sous-moyenne ». Et elle l'est de plus en plus en fonction de ses abandons de souveraineté. Un État abandonnant sa souveraineté n'est plus un État pouvant être qualifié de puissance moyenne influente. La preuve, c'est qu'elle a fait la guerre, médiocrement d'ailleurs, en Irak, au profit des États-Unis et contre ses intérêts. C'est encore ce qui s'est passé dernièrement dans les Balkans, où elle est intervenue pour en venir à trois constructions politiques. État croate épuré, une Bosnie à trois composantes bien distinctes, et maintenant un Kosovo épuré.
Cela prouve bien que la France n'a plus aucune politique propre. Une puissance qui n'a plus de politique étrangère indépendante ne peut pas être considérée comme une grande puissance. »
« Cet abandon des souverainetés se fait-il avec la Russie ou contre elle ? Quels sont les enjeux, à ce niveau, entre cette Europe qui se construit et cette Russie qui est toujours à part? »
« Ce n'est pas une question de détail. En ce qui concerne la Russie, il faudrait, avant de répondre, se rendre compte que l'Europe, qui n'est plus souveraine, se trouve dépendre pour son économie mondiale des États-Unis. Au fond, la monnaie européenne, l'euro, dépend du dollar. Si le dollar baisse, l'euro monte, si le dollar monte, l'euro baisse. L'organisation mondiale du commerce est entre les mains des Etats-Unis. Les problèmes militaires et diplomatiques dépendent également d'eux.
Or, les États-Unis ne tiennent pas du tout à ce que l'Europe continentale se fasse avec la Russie. Celle-ci deviendrait une puissance rivale trop importante. Par conséquent, tous les efforts sont faits pour maintenir la division. L'image que les États-Unis ont du monde est réfléchie. À mon avis, ils considèrent le monde en le divisant en zones. Il y a des zones fortes et des zones molles. Pour eux, la zone forte, c'est d'une part eux-mêmes et d'autre part celle qu'ils redoutent, la zone Asie pacifique.
La zone molle, c'est l'Amérique latine, l'Europe et l'Afrique. Dans leur esprit, pour se garder des rivalités futures avec la zone forte qu'est la zone Asie Pacifique, il faut, d'une part, dominer cette Europe et, d'autre part, se concilier les bonnes grâces d'une troisième zone tout à fait particulière qu'est l'Islam. L'Islam, de l'Atlantique au Pacifique, va englober un milliard d'individus, détient 60 à 70% des richesses énergétiques mondiales et constitue, en plus, un gigantesque marché.Cliquez sur l'image pour agrandirEn effet, cet Islam-là, découpé, divers, constitué d'éléments parfois opposés, est un marché qui a l'avantage de ne pas être compétitif. Ses atouts, outre l'énergie, sont davantage sa culture et ses artisans que ses scientifiques et ses techniciens. Ils ne sont pas prêts de rivaliser avec les États-Unis quant à la production des techniques de pointe mais, en revanche, ils sont des acheteurs. Et comme le pétrole coule à flots, ils ont de quoi payer. Cet Islam constitue donc une zone particulièrement intéressante. La question se pose donc pour les Américains de savoir, à l'intérieur de ce tableau, où se situe la Russie. Pour eux, il faudrait sans doute maintenir la Russie dans un état de faiblesse permanente de manière qu'elle soit pour l'Europe un poids, et qu'elle ne soit pas pour l'Asie un appoint.
Or l'Asie n'a pas assez d'énergie, tandis que la Russie en a, l'Europe, elle non plus, n'a pas d'énergie. Elle dépend de l'Islam, mais elle pourrait dépendre aussi de la Russie. Par conséquent, la stratégie américaine consiste à maintenir la Russie en état de faiblesse, tout comme, pour d'autres raisons, l'Irak. À petite échelle, c'est l'Irak. À grande échelle, c'est la Russie. »« Vous parlez d'émulation entre peuples européens, mais l'Europe de l'après-1945 est née de l'idée du « plus jamais ça ». Plus jamais la guerre et la rivalité entre les nations européennes. »
« Oui, c'était la thèse des fondateurs de l'Europe. Leur thèse était la suivante.
Un: nous avons été écrasés par la puissance allemande en 1940 et nous avons découvert la puissance militaire américaine. L'ordre américain, voilà ce qu'il nous faut en Europe. Et Jean Monnet ne cachait pas son admiration pour les États-Unis et le désir de faire, en Europe, des États-Unis d'Europe sur un système fédéral analogue. Or, entre-temps, à partir de 1945, un élément nouveau était intervenu: l'existence de l'atome. Au cours des années cinquante, quand il prêchait pour une Europe fédérale, il ne s'était pas rendu compte qu'en 1945 Hiroshima avait changé la donne des affaires internationales: Hiroshima avait rendu la guerre absurde, irréalisable. Je puis affirmer que depuis 1945 jamais, à aucun moment, y compris pendant la crise de Cuba, une guerre n'a été même concevable. Les hommes d'État ont laissé croire qu'elle était possible se donnant des airs de grands hommes d'Etat qui épargnaient les horreurs de la guerre à leur population. C'était le rôle des deux frères Kennedy pendant la crise de Cuba.En effet durant cette crise, Khrouchtchev ne pouvait pas faire la guerre à l'Amérique pas plus que l'Amérique ne pouvait faire la guerre à la Russie. J'étais dans les couloirs de l'Otan à ce moment-là et je vous assure qu'on souriait en lisant la presse qui n'arrêtait pas d'alimenter la peur de la guerre. Ce qu'elle ne savait pas, c'est que plus la crise est grave, plus les états-majors prennent de précautions: les radars sont en alerte, les sous-marins sont à la mer, les avions sont en vol.
Dans ce cas de figure, il n'y a donc aucune chance de pouvoir détruire les armes de l'adversaire afin de ne pas avoir à en souffrir les effets en retour.
1962, la crise de Cuba et la guerre froide, la tension est à son comble.
Par conséquent, à l'ère de l'atome, s'il y a un moment où une guerre n'est pas possible, c'est bien quand il y a crise majeure. C'est paradoxal mais c'est ainsi. »
« A cause de l'atome ? »
« Oui, c'est avant l'atome que les crises dégénéraient en guerre. Cette nouvelle donnée n'a pas été intégrée et ne l'est toujours pas. Jean Monnet ne l'avait pas comprise. S'il l'avait comprise, il n'aurait pas brandi l'argument de la paix forcée. La paix n'avait pas besoin des États-Unis d'Europe pour se faire.
L'existence de l'atome rendait la guerre inconcevable. Il a de plus simplifié la situation en passant sur l'héritage historique et sur les difficultés qu'il y avait à fédérer des peuples aux passés très différents. Aujourd'hui, à ceux qui souhaitent le retour au système fédéral, il faut rappeler les exemples suivants: l'Italie du Nord qui refuse de payer le prix de la misère de l'Italie du Sud; la Croatie et la Slovénie qui ont voulu se séparer de la Serbie et du Monténégro parce qu'elles ne voulaient pas supporter le prix de leur pauvreté paysanne. Quand les pays de l'Est - Roumanie, Bulgarie, Pologne - entreront dans l'Europe, nous verrons naître des problèmes politiques et économiques gigantesques, avec des conditions d'existence et des niveaux de vie totalement différents. Alors, les pays prospères rechigneront à payer pour l'élévation du niveau de vie des nouveaux entrants, ceux-ci en seront profondément humiliés. La construction européenne peut peut-être se faire mais peu à peu. D'ailleurs, lorsqu'il faut sauter le pas et consentir de nouveaux abandons de souveraineté, comme ce fut le cas à Nice récemment, des freins apparaissent. La France a abandonné sa souveraineté avant même qu'une souveraineté nouvelle n'ait été créée. Il n'y a toujours pas d'Europe souveraine. Nous sommes dans un « vide européen » , dont profitent naturellement les États-Unis, État constitué, et dont profitera demain la zone Asie Pacifique - constituée de vieux États comme l'Inde ou comme la Chine, souverains depuis des temps immémoriaux et qui gardent leur totale souveraineté...« Mais ne peut-on pas concevoir une Europe fédérale qui serait une Europe des nations? »
« Non, vous ne pouvez pas à la fois déléguer votre souveraineté et la conserver. Ou bien vous êtes totalement souverain, avec une stratégie, un Parlement, un gouvernement, ou bien vous avez abandonné cette souveraineté et vous n'avez plus les moyens de l'exercer. Par exemple, le contrôle par la banque de Francfort de l'économie européenne va empêcher au bout de quelque temps les États européens de prendre des initiatives. Car l'Europe dans son ensemble aura besoin de l'approbation de quelque 30 voire de 40 gouvernements. Comment cette Europe de 30 à 40 gouvernements, qui ont chacun leur vision, peut-elle rivaliser demain avec les États-Unis où un seul homme et un seul gouvernement dirigent le pays ?
Il faudrait que ces gouvernements n'existent pas. Alors, dans ce cas, leurs pays respectifs deviendraient des provinces. Le pas à sauter est: la France peut-elle être comparée à l'Oregon, voire à la Louisiane ? Cela me paraît peu concevable. »
« Dans cette perspective d'abandon des souverainetés, quel peut être le rôle de la France? Peut-elle encore avoir un rôle phare? »
Absolument pas. Elle devra se contenter d'un rôle purement administratif qui consistera à régler des problèmes de circulation routière, de formation dans les écoles, de protection sociale, et encore... régionalement les ressources lui manqueront. Dans ces conditions, le rôle de la France devient très limité.
« Comment peut-on, au niveau de la pensée, expliquer que ces vieux États européens abandonnent tout ce qu'ils ont? Comment ont-ils été amenés à envisager ce passage? Dans quelle perspective se sont-ils situés ? »
« Ils se sont imaginé qu'ils pourraient concilier les deux. Continuer à être ce qu'ils sont tout en disposant d'une autorité vaguement supranationale qui aurait la capacité de faire ce qu'à leur niveau
ils sont incapables de faire. Or cette autorité supranationale n'existe pas. Si elle existait, elle disposerait de tous les moyens matériels et alors les nations ne les auraient plus. On ne peut pas avoir à la fois le pouvoir supranational et le pouvoir national. C'est une question de moyens matériels et surtout de logique politique. »« Dans les discussions qui ont pu avoir lieu entre Jean-Pierre Chevènement et François Bayrou par exemple, ne peut-on pas voir une prise de conscience par les hommes politiques du constat que vous faites ? Delors a toujours défendu les prérogatives françaises. »
« Non, je ne le pense pas. Au contraire, la situation s'est de plus en plus dégradée. La politique économique n'a jamais été clairement expliquée aux citoyens. L'euro devait prétendument rivaliser avec le dollar et nous permettre de jouer dans le monde un rôle très important autour de cette monnaie unique qui représenterait l'économie européenne.
Or cet euro a des accès de faiblesse ou de force qui ne dépendent pas de l'économie européenne florissante mais uniquement de la réserve fédérale américaine. Il n'y avait aucune raison, il y a six mois ou un an, de voir chuter l'euro puisque l'économie était très favorable en Europe. II est tombé à un niveau très bas parce que l'Amérique se portait très bien. Encore une fois, l'économie européenne dépend de celle des États-Unis. »
« Votre raisonnement n'est-il pas un peu déterministe ? »
« Je ne le crois pas. Par exemple, dans certains secteurs de la recherche scientifique, l'Amérique, qui a la même population que l'Europe, dépense à elle seule entre trois et quatre fois plus que nous ne le faisons.
Or, une des garanties de la suprématie mondiale se trouve dans la recherche scientifique. Là-dessus l'Europe décroche. Dans le domaine de la politique étrangère, les pays européens sont à la remorque des États-Unis. Ils ont matraqué l'Irak parce que les États-Unis voulaient s'y installer. Ils ont souscrit aux sanctions contre ce malheureux peuple depuis neuf ans parce que l'Amérique voit un avantage certain à entretenir une armée en permanence à côté des sources de pétrole qui coule à bon marché.Ce sont des intérêts strictement américains. Ils ont fustigé la Russie et sa tentative de mise en ordre en Tchétchénie seulement parce que l'Amérique avait décrété qu'elle voulait prendre en charge le Caucase qui était le deuxième eldorado pétrolier facilement accessible pour le moment. Là encore, l'Europe a été à la remorque des États-Unis. Qu'a été faire l'Europe en Somalie ?
Et en ce qui concerne les Balkans, en février 1994, la France a appelé au secours les États-Unis qui s'y sont installés en maître. L'accord de Rambouillet est un traité américain et ce sont les États-Unis qui ont réglé la question des Balkans. Ce ne sont pas les Européens. »
« À cause du pétrole? »
Bien entendu. Figurez-vous que pour évacuer le pétrole du Caucase, il existe le projet de construire deux nouveaux oléoducs. I1 y en a un qui aboutirait en mer Égée et frôlerait la Macédoine où les Américains se sont installés en 1993. Et il y en aurait un autre qui déboucherait en Adriatique près de Trieste en traversant la Serbie et la Bosnie où les Américains sont présents par l'accord de 1994 et la création de la fédération croato-musulmane. Par conséquent, à la fois diplomatiquement et politiquement, c'est l'Amérique qui mène le jeu, et la volonté politique, économique et financière des États européens a disparu. C'est l'Amérique qui domine. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
« Même d'un point de vue strictement géopolitique, le fait que les Américains aient condamné la position russe en Tchétchénie, est-il une raison suffisante de non-intervention? »
« Qu'est-ce qui a déclenché la deuxième guerre en Tchétchénie? En août 1997, Madeleine Albright convoquait, à Washington, le président Alliev, président de l'Azerbaïdjan. Pourquoi ? Parce qu'on venait de découvrir des ressources pétrolières nouvelles dans la mer Caspienne et aussi parce que l'évacuation du pétrole du Turkménistan et du gaz du Kazakhstan se faisait par la Caspienne à l'ouest, et par Bakou, capitale de l'Azerbaïdjan. Elle lui a alors déclaré que, « pour son pays, l'Amérique, ce serait une tâche exaltante de prendre en charge le destin du Caucase ». Cela voulait dire clairement que les Américains se proposaient de remplacer la Russie dans le Caucase. Or le Caucase depuis un siècle et demi est une chasse gardée de la Russie. C'est son proche étranger, et son pactole financier. Tout naturellement comme l'unique pipeline existant à l'époque passait par Grozny, si l'Amérique s'installait dans l'Azerbaïdjan - car Madeleine Albright avait proposé que les troupes de l'Otan se déplacent en Azerbaïdjan -, la Russie se voyait menacée en Tchétchénie, à Grozny, par le passage de l'unique pipeline qui la ravitaille en essence et qui aboutit sur le littoral russe de la mer Noire.
Elle a donc profité des agitations du Daguestan pour rouvrir le conflit auquel Lebed avait essayé de mettre un terme. La deuxième guerre a été déclenchée de cette manière. »
« Vous semblez ne pas prendre en compte la revendication du peuple tchétchène... »
« Il est membre de la communauté des États indépendants dirigée par Moscou. Mais, majoritairement musulman, il revendique une indépendance qui conviendrait aux Etats-Unis. Comme celui du Kosovo peu à peu envahi par les musulmans d'Albanie, son sort est difficilement supportable mais comme celui du peuple irakien depuis près de dix ans et dont la communauté internationale s'accommode fort bien. »
« Autrement dit, les États-unis ont déclenché les opérations du Kosovo à cause du pipeline de la mer Égée, les opérations de l'Irak à cause de la puissance pétrolière de Bagdad et les opérations de Tchétchénie à cause de la richesse de ta mer Caspienne ? »
Exactement. Les faits historiques sont là, et chaque fois nous nous sommes rangés à leur côté. Cela prouve qu'il n'y a plus de politique européenne. À propos de l'Irak c'est parfaitement clair. La France avait une position tout à fait spéciale en Irak.
Elle était la préférée, avec la Russie, de Saddam Hussein. Elle lui avait vendu toutes les armes qu'elle voulait lui avait enseigné le nucléaire, et lui avait vendu deux centrales nucléaires. Elle avait appris aux Irakiens à devenir une puissance nucléaire et les avait incités à le faire sans doute de manière à équilibrer la puissance de l'Iran de Khomeiny. Et puis, l'Amérique découvrant l'intérêt que représentait l'Arabie Saoudite du point de vue pétrolier a monté cette opération de guerre irakienne. Et brusquement nous avons changé de camp et nous avons bombardé l'Irak. Nous savions très bien que Bagdad, fort de son pétrole, n'avait pas besoin d'énergie nucléaire. Pourquoi a-t-on vendu à l'Irak deux centrales nucléaires? »
« Oui, pourquoi ? »
« Tout simplement parce que cela nous rapportait de l'argent! Lorsque nous avions des difficultés dans l'industrie de l'armement, nous allions voir Saddam Hussein pour lui demander de nous acheter des armes. En échange, il nous garantissait de nous alimenter en pétrole à bon compte. Cette stratégie s'est effondrée parce que nous avons suivi la politique américaine. Encore une fois, nous avons renoncé à être souverains et à défendre nos intérêts. C'est bien la preuve que l'abandon de souveraineté concerne tous les domaines, économiques, militaires et diplomatiques. »
« La politique de la France vis-à-vis de l'Irak avait aussi des répercussions sur l'ensemble du monde arabe. Elle était englobée dans une politique plus large. S'est-elle aussi totalement effondrée? »
« L'Irak, figurez-vous, était un pays socialisant, un pays laïc, le seul pays laïc du monde arabe avec la Syrie qui, à ce moment-là, avait mauvaise presse. Il offrait aux pays de l'Islam une option laïque, avait adopté les idées du parti Baas fondé à Damas en 1944 et qui est un parti socialiste produit de l'enseignement universitaire français. Cette option nous l'avons détruite, au profit d'une option islamiste radicale. La conséquence se retrouve dans les excès de l'islamisme dont l'Algérie souffre tous les jours. Avant les années quatre-vingt-dix, il existait encore une chance de voir l'Islam se fractionner, avec, d'une part, un Islam laïcisant tourné vers l'Occident et, d'autre part, un Islam demeurant religieux. En détruisant l'option laïque de l'Islam, en traitant Saddam Hussein de Satan, en le diabolisant, on n'a laissé qu'une seule issue: l'option religieuse. Nous sommes donc indirectement responsables de ce drame qu'est l'intégrisme religieux. »
« Diriez-vous que cet abandon de souveraineté a également joué dans la politique française au Proche-Orient? »
« Oui, car l'intégrisme est devenu déterminant et l'Amérique l'a choisi... N'oubliez pas que le GIA avait des représentants à Washington. Avec les accords d'Oslo, l'Amérique a tenté, à mon avis, d'une part de se délester du problème israélien au profit du monde islamique.
Elle ne voulait plus être accusée d'être le « grand Satan », travaillant au profit d'Israël. Les accords d'Oslo en sont le résultat, avec cette imbrication du peuple palestinien dans le peuple israélien, imbrication particulièrement en Cisjordanie qui a abouti à l'Intifada.
Auparavant, dans cette région du monde, il y avait des guerres, mais des guerres qui se déroulaient entre armées, entre des gouvernements, jordaniens, irakiens, égyptiens, israéliens, des guerres organisées entre armées régulières. Aujourd'hui, c'est la guerre des pierres, la guerre des peuples entre eux, la guerre de la haine. Cette haine entre Israéliens et Palestiniens est beaucoup plus forte qu'elle ne l'était au moment où Israël avait triomphé pendant la guerre des Six Jours ou la guerre du Kippour. Parce que c'étaient des combats entre armées organisées. »« Pensez-vous que l'intérêt des États-Unis est de démanteler les Etats pour mieux asservir, voire d'instrumentaliser les peuples? Oncle Sam, grand Satan, est-ce si simple ? »
« La réalité historique est ce qu'elle est. Ce qui compte, ce sont les conséquences, pas les intentions ou les vœux pieux. Les accords d'Oslo, montés par les Etats-Unis, conduisent à cette situation. Leur soutien à la Bosnie également. Ils ont conçu une fédération croato-musulmane en 1994, de même qu'ils ont fourni à l' UCK (armée de libération du Kosovo) l'occasion de se manifester en faisant mine d'ignorer son rêve d'une grande Albanie, dans le seul but de dire au monde musulman plus ou moins fanatisé: « nous ne sommes pas vos ennemis, nous ne sommes pas le protecteur d Israël, nous avons créé une Bosnie musulmane, nous soutenons les musulmans albanais, nous leur promettons qu'ils s'installeront au Kosovo. »
Alors même qu’ils allaient faire voter la résolution 1244 qui rattachait le Kosovo à la Serbie. D'où le maintien l'instabilité et la présence américaine au Kosovo et dans les Balkans en général. »
« L'idée de souveraineté est-elle utile pour l'action au moment où l'on invente de plus en plus de formules d'intégration et de gestion « mondialisée »et reste-t-elle un bon instrument d'analyse et d'intelligence pour celui qui veut comprendre les relations internationales d'aujourd'hui? Autrement dit, cette fiction naguère si salutaire est-elle encore nécessaire de nos jours? » se demande Bertrand Badie dans son livre « Un monde sans souveraineté ».
Que lui répondriez-vous? En quoi la souveraineté n'est-elle pas une fiction? »
« Pourquoi serait-elle une fiction ? Pourquoi un peuple de 60 millions d'habitants ne peut-il pas demeurer souverain alors que le Canada qui en compte 30 est membre du G8 et demeure souverain ? La Corée du Sud, l'un des dragons d'Asie, qui n'a pas 40 millions d'habitants, ne pense pas à se fondre dans une Asie politique. La vérité est très simple. La vérité est outre-Rhin. Nous en reparlerons plus tard car, pour comprendre ce qui se passe en Europe il faut se référer à l'Allemagne.
Mais puisque vous me demandez mon avis sur ce que Bertrand Badie appelle la « gestion mondialisée », je vous répondrai par une formule: l'Europe s'est mise hors jeu. C'est mon dada: à vouloir se faire, l'Europe se défait. Elle ne compte plus. Elle ne sait plus s'orienter. Nous autres, Européens, nous prétendons rivaliser avec de vieux peuples mûris depuis longtemps: dans l'unité: la Chine et l'Inde depuis des milliers d'années, la Russie - si elle se régénère - depuis Ivan le Terrible, l'Amérique depuis 1776. Mais leur cheminement n'a pas du tout été le même que le nôtre. Comment voulez-vous que se crée, en Europe, un état d'esprit, une organisation une discipline analogues à ceux de peuples qui ont traversé ensemble pendant des siècles les mêmes succès et les mêmes épreuves ? Ce n'est pas possible. C'est vouloir annuler l'effet du temps. C'est vouloir pratiquer la génération spontanée en politique. C'est vouloir accélérer le rythme de 1'histoire comme disait Daniel Halévy. C'est se plier à une dynamique historique qui ne correspond pas aux intérêts profonds des peuples européens.
Comme s'il était politiquement possible de générer spontanément un nouvel État qui condenserait en vingt ans vingt siècles d'histoire. Je ne vois pas comment on peut le faire. C'est encore une fois une ambition inhumaine. »A suivre... http://www.lesmanantsduroi.com
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La France veut armer les rebelles syriens le plus vite possible !
La France et l’Angleterre ont décidé de faire un pas supplémentaire dans l’ingérence concernant la Syrie. Persuadées que leur grille de lecture idéologique doit s’imposer au monde entier, et sans considération poussée plus avant sur les enjeux géopolitiques et géostratégiques en présence, ni sur la fragile stabilité du Moyen Orient, Paris et Londres veulent armer les rebelles syriens contre l’État de droit d’un pays souverain et reconnu comme tel.
C’est ainsi que ces deux pays se sont accordés pour solliciter l’avancée de la prochaine réunion de l’Union européenne, afin de discuter de la levée de l’embargo sur les armes destinées la Syrie. Mais qu’à cela ne tienne, si l’Union européenne n’abondait pas dans leur sens, chacune des deux nations prendrait sur elle de livrer, à titre national, des armes aux rebelles. C’est ce qu’a annoncé en effet hier matin Laurent Fabius, chef de la diplomatie française -qui nourrit vraisemblablement une idée très singulière de la diplomatie.
La France et la Grande-Bretagne demandent « aux Européens, maintenant, de lever l’embargo pour que les résistants aient la possibilité de se défendre« , a ainsi déclaré le ministre français sur France Info. Et pour justifier la livraison d’armes, avec ou sans l’accord de l’Union, Laurent Fabius de déclarer que la France, de toute façon, « est une nation souveraine« . Grosse blague. Quand on sait que la quasi totalité de ses prérogatives régaliennes, expression de sa souveraineté, ont été abdiquées à Bruxelles.
« On ne peut pas accepter qu’il y ait ce déséquilibre actuel avec d’un côté l’Iran et la Russie qui livrent des armes à Bachar et de l’autre des résistants qui ne peuvent pas se défendre« , s’est défendu Laurent Fabius. « Lever l’embargo c’est un des seuls moyens qui restent pour faire bouger politiquement la situation« , a-t-il estimé. Il reste que l’idéologie, fut-elle couverte des meilleurs sentiments, est un critère de discernement un peu fragile dans le cas d’une déclaration de guerre : à quelle alternative aboutirait la victoire des rebelles ? Cette question a-t-elle seulement été posée ? Ont-ils donc déjà oublié l’épisode de la Libye ? N’ont-ils donc aucun écho, à Paris, sur la nature religieuse de la rébellion, sur ces massacres perpétrés par les islamistes armés par l’Occident contre les chrétiens ?
A l’idéologue, nous préférerons toujours l’homme prudent.
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Habemus bonum papam
« Pape des pauvres », les médias internationaux sont satisfaits ; les organisations juives aussi ; alors tout va bien, l’humanité a un bon pape ! Jean-Yves Le Gallou commente l’événement. polemia
1-En 2005, les médias avaient tenté de s’inviter au conclave. Ils faisaient alors campagne pour l’élection d’un pape « progressiste » et surtout pour faire barrage au cardinal Ratzinger.
2-Celui-ci fut malgré tout élu. Son pontificat fut marqué par les campagnes de diabolisation conduites contre lui : à l’occasion du discours de Ratisbonne où il rappelait le rôle de la raison hellène dans la foi ; puis lors de son voyage en Afrique où il dénonça le tout préservatif ; puis lors du rapprochement avec les traditionalistes.
3-Les médias ont été relativement plus discrets lors de l’élection du successeur de Benoît XVI. D’abord, parce qu’il n’y avait probablement pas de papabile aux convictions conformes à la doxa médiatique, aucun cardinal n’étant en rupture avec les papes précédents sur la défense de la vie et du mariage. Tout au plus de nombreux médias exprimaient-ils leur préférence pour un pape non européen.
4-Sur ce point les vœux médiatiques sont exaucés : même s’il est d’origine italienne, le pape François est le premier pape qui vient d’un pays du Sud du monde. C’est culturellement et géopolitiquement important pour l’Eglise mais aussi pour l’Europe et les Européens.
5-On objectera, bien sûr, que ce choix du conclave est logique puisque l’Eglise romaine est universelle et que 40% des catholiques sont sud-américains, principalement hispaniques ; d’autant que le christianisme est en vive concurrence dans le monde (y compris en Europe, d’ailleurs) avec l’islam et le pentecôtisme.
6-Tout ceci n’est pas sans importance : car alors comment garder l’équilibre entre raison et émotion ? Comment garder l’équilibre entre traditions européennes et présence de plus en plus importante de fidèles d’origine africaine et amérindienne ? N’y a-t-il pas alors un risque pour les Européens de déseuropéanisation de la foi chrétienne qui est depuis près de 2000 ans leur religion ? au moment même où leur droit à l’identité est mis en cause ?
7-Le pape François n’aura pas seulement – comme il en est pressé, là aussi, par les médias – à réformer la curie, il aura aussi à répondre à d’immenses questions. Les Européens eux-mêmes devront aussi s’interroger sur leurs racines et leur identité.
8-Après tout, les Sud-Américains, catholiques ou non, cultivent leur hispanité et leur indianité. Les Africains, leur négritude. Les Européens eux-mêmes – s’ils veulent survivre – n’échapperont pas non plus à un retour sur eux-mêmes et à la culture de leur européanité. Le souci de l’universel ne peut effacer la réalité de la pluralité des mondes ni les différences, ni même les préférences de civilisation.
Jean-Yves Le Gallou http://www.polemia.com
14/03/2013 -
Pétain et le problème juif
La découverte d'un document annoté par le maréchal Pétain n'apporte rien de nouveau, selon le professeur François-Georges Dreyfus, qui rappelle la banalité de l'antisémitisme dans les années précédant l'Occupation.
La publication d'un avant-projet portant sur le statut des juifs fait couler beaucoup d'encre et entraîne certains à commettre de graves erreurs. Il y a peu de chances que les annotations soient de la main du maréchal Pétain, dans la mesure où on le voit mal renuméroter les articles après modification. On en tire, par ailleurs, des affirmations excessives et discutables.
Les instituteurs montrés du doigt
Examinons-les : elles suppriment la dérogation dont auraient bénéficié les descendants des juifs français installés en France avant 1860, et durcissent les conditions faites aux enseignants et aux magistrats. La dérogation était la reprise d'une proposition du Consistoire central des Israélites de France de fin septembre 1940, ainsi que l'a montré le professeur israélien Asher Cohen dans Persécution et Sauvetage (Le Cerf, 1993). Il était évident qu'elle n'avait aucune chance d'être acceptée. Cela laisse penser que l'avant-projet retrouvé émane de la Chancellerie. On voit mal Alibert imposer une telle proposition. Les mesures aggravées contre les enseignants s'inscrivent dans une logique que l'on oublie. Entre les deux guerres, les instituteurs sont dans leur majorité pacifistes, et depuis la fin des années vingt, cela inquiète les milieux militaires. Pour redonner courage à la jeunesse, renforcer son patriotisme, il faut réformer la formation des instituteurs. C'est pourquoi en 1934, après le 6 Février, le Maréchal, qui entre dans le gouvernement, souhaite le portefeuille de l'Éducation nationale ; mais cela aurait été une telle provocation que Doumergue lui confie la Défense. Dans l'esprit du Maréchal, empêcher les juifs, à la fois pacifistes et fauteurs de guerre, d'enseigner, est assez logique. Fauteurs de guerre, en effet, à la fin de 1938, après la Nuit de cristal et la prise de Prague par Hitler, ils poussent à la guerre contre l'Allemagne.
Le Maréchal n'est pas le seul à s'en inquiéter. Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères du gouvernement Daladier, se plaint, en mars 1939, dans le quotidien radical de Périgueux, dont il est le député, des menées belliqueuses de la communauté juive. Jérôme Carcopino, ministre de l'Éducation nationale de 1940 à 1942, demande des dérogations pour un millier d'enseignants, essentiellement du secondaire et du supérieur. Le Conseil d'État, dont l'avis est obligatoire, rejette les trois quarts de ses demandes. Or, les neuf dixièmes des conseillers d'État avaient été nommés avant 1940 ! En définitive, il n'y eut que quelques dérogations accordées. Par exemple pour Marc Bloch, Louis Halphen ou Robert Debré
D'un poste à l'autre
Les autres ministères agiront d'une manière totalement différente. Puisque les cadres supérieurs juifs doivent être révoqués, on va modifier l'intitulé de leur emploi. M. X, ingénieur des Ponts et Chaussées, ou M. Y, ingénieur du Génie maritime, deviennent conseillers techniques de l'administration, du ministère de l'Intérieur ; on transforme en "agents supérieurs" des administrateurs civils et des membres du corps préfectoral. Au reste, en zone libre, il n'y a pas d'école spéciale pour les juifs et on ne porte pas l'étoile. On peut voyager normalement et les mariages mixtes ne sont pas interdits à la différence des Pays-Bas. D'ailleurs, entre 1940 et 1944 il y a une proportion plus grande de juifs à l'X et à l'École normale supérieure, que dans l'entre-deux guerres.
En fait, les mesures antisémites sont liées à l'état d'esprit qui règne en France depuis les années trente, en raison de l'afflux de juifs allemands poussés à l'émigration et de juifs polonais et roumains fuyant l'antisémitisme de leurs États alliés de la France. Médecins et avocats se plaignent de leur concurrence, tout comme les artisans du textile ou de l'alimentation. C'est au temps de Vichy que sera créé l'ordre des Médecins proposé par le Sénat depuis des lustres. On imagine mal l'importance de cet antisémitisme. Un écrivain rapporte qu'on est venu lui demander son aide pour empêcher l'expulsion d'étrangers. Voici ce qu'il raconte : « Je suis allé les voir... J'ai trouvé une famille d'Askenasys, les parents et leurs quatre fils, qui n'étaient d'ailleurs par leurs fils et n'avaient aucun permis de séjour... On devinait celui qui vendrait les cartes postales transparentes, celui qui serait le garçon à la Bourse, puis Stavisky, celui qui serait le médecin avorteur, celui qui serait au cinéma, d'abord le figurant.. puis M. Cerf et M. Natan. » Et l'auteur conclut ainsi : « Le pays ne sera sauvé que provisoirement par les seules frontières armées, il ne peut l'être que par la race française et nous sommes complètement d'accord avec Hitler pour proclamer qu'une politique n'atteint sa forme supérieure que si elle atteint sa forme raciale. » Ce texte n'émane pas de l'extrême droite raciste ; il est de Jean Giraudoux. Il a été publié dans Pleins Pouvoirs. L'"achevé d'imprimé" est du 17 juillet 1939, et il n'est pas inintéressant de se souvenir que le 25 juillet suivant, M. Giraudoux sera nommé commissaire général à l'Information du gouvernement de la République. On le voit, l'antisémitisme règne partout, y compris à gauche. Nombre de militants de la SFIO se plaignent de l'entourage essentiellement juif de Léon Blum.
Dès lors, ayons le courage de dire que cet avant-projet autour duquel on fait tant de bruit n'apporte rien de nouveau. Paul Baudouin, ministre des Affaires étrangères du Maréchal, avait déjà montré dans ses Mémoires l'aggravation donnée par le Maréchal à la condition faite aux enseignants juifs. Dire que le gouvernement de Vichy fait preuve d'antisémitisme est incontestable. Il y est poussé par l'opinion, et par les mesures prises en zone occupée par les Allemands. Mais il faut établir un bilan objectif. Les deux tiers des juifs de France déportés appartiennent à des familles juives arrivées après 1920, tandis que les juifs français ont été relativement protégés. Cette distinction entre français et étrangers est bien entendu la conséquence de la volonté du gouvernement de protéger les premiers. Mais il y a aussi le comportement des autorités juives elles-mêmes : à l'automne 1941, le père Fessard et l'abbé Glasberg viennent demander au cardinal Gerlier d'intervenir en faveur des juifs étrangers que l'on va interner dans des camps ; ils s'entendent répondre par le président du Consistoire central, appelé par le cardinal, qu'il ne faut rien faire, car cela entraînerait des risques pour les juifs français.
Un bilan nuancé
Depuis un certain nombre d'années bon nombre d'historiens français, à la suite de Robert Paxton, développent une pensée unique, sommaire et réductrice, présentant une image manichéenne de la France sous Vichy. Selon eux, il faut mettre en avant l'origine française de la politique antisémite. La situation est beaucoup plus complexe : le livre de Mme Linore Yagil, La France, terre de refuge (Le Cerf, 2010), remet les choses au point. Les historiens israéliens sont, en définitive, plus objectifs que nombre d'historiens français. Ce sont eux qui rappellent le plus souvent qu'aux Pays-Bas, où il n'y a pas de gouvernement, 82 % des juifs résidant dans le pays ont été déportés. En Belgique, 45 % l'ont été. Les déportés depuis la France représentent 21 % de la population juive de 1939.
Je ne suis pas sûr que le nombre de survivants aurait été aussi important si les maires, les brigadiers de gendarmerie, les curés de campagne ne s'étaient pas sentis couverts par leurs supérieurs. On oublie un peu facilement que 20 % des préfets seront déportés entre 1943 et 1945. Par exemple, le préfet de l'Hérault, M. Hontebeyrie, laisse ses services aider les persécutés (juifs, communistes, résistants) et la Résistance. Il n'est pas révoqué par Vichy, mais déporté par la Gestapo. Il n'est pas le seul à être dans ce cas (cf. la situation en juin 1944). Notons d'ailleurs que la résistance française fait elle-même preuve d'antisémitisme dans le Premier Cahier de l'OCM (Organisation civile et militaire), rédigé par M. Blocq-Mascart, et publié un mois à peine avant la rafle du Vel d'Hiv.
Si le maréchal Pétain avait été aussi antisémite qu'on le dit, « la zone libre n'aurait pas été, comme le dira Annie Kriegel, une terre d'asile et un îlot préservé ». Après tout, on pourrait distinguer la zone libre où vivent 215 000 juifs dont 26 000 seront déportés, et la zone nord où ils sont 113 000 et dont 48 000 seront déportés. C'est bien la preuve que le gouvernement de Vichy est quand même arrivé à limiter le désastre que sera la déportation.
François-Georges Dreyfus L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 21 octobre au 3 novembre 2010 -
Non au 19 mars du FLN, du PC et de la FNACA ! par Alain Sanders
Pour la première fois en cinquante ans – triste première – les communes de France sont officiellement « invités » à commémorer le 19 mars 1962. À savoir la victoire de l’ennemi fellouze. Sous les applaudissements du PC, de la FNACA et des gaullistes résiduels.
Dans un communiqué signé par son président national, Thierry Rolando, le Cercle algérianiste, qui « condamne sans réserve cette initiative qui divise la communauté nationale, heurte les consciences et avive les blessures de milliers de familles de victimes », demande aux maires de faire « le choix de la concorde et de la réconciliation nationale en renonçant à s’associer à ces commémorations de la honte ».Jusque-là, seules les mairies socialistes, communistes, plus quelques mairies de félons gaullistes, se vautraient dans la commémoration de cette sinistre date. Aujourd’hui, c’est toutes les communes qui sont incitées à participer à l’ignominie. Aussi rappelons encore – et nous ne cesserons jamais de le faire – ce qu’on commémore en commémorant le 19 mars : de mars à juillet 1962, 150 000 Français musulmans et leurs familles massacrés, 10 000 Européens assassinés et, pour nombre d’entre, eux, enlevés et disparus à jamais.Dès le 19 mars 1962, le FLN commença les tueries. Le 26 mars, à Alger, une foule pacifique qui se portait au secours de Bab-el-Oued quadrillée et matraquée par les forces régimistes, fut mitraillée : 80 morts, plus de 200 blessés.Rappelons que Mitterrand – Mitterrand lui-même – déclarait le 24 septembre 1981 (et il ne varia jamais là-dessus) : « S’il s’agit de marquer le recueillement national et d’honorer les victimes de la guerre d’Algérie, je dis que cela ne peut être le 19 mars. »Et ce sont ceux qui, aujourd’hui, se réclament de son héritage qui fêtent avec les fellouzes au pouvoir à Alger – mais eux, c’est normal – une honte nationale. Aussi faut-il que, ce 19 mars 2013, tous les patriotes, tous les Anciens Combattants, se mobilisent pour manifester leur rejet. Il y aura bientôt des élections municipales : il faut faire savoir aux maires indignes qu’on ne les ratera pas.Comme chaque année, le 26 mars prochain, l’Association des Familles des Victimes du 26 Mars 1962 (portée exemplairement par Nicole Ferrandis) appelle à une cérémonie de recueillement au Mémorial national du quai Branly à 14 h 30. Une cérémonie qui associe la mémoire des disparus, des Harkis, des victimes des massacres (et notamment à Oran sous les yeux d’une armée française restée l’arme au pied). Le même jour, à 18 h 30, une messe sera célébrée en l’église Saint-Nicolas du Chardonnet où, depuis le 26 mars 1999, se trouve une statue de Notre-Dame d’Afrique.Ceux qui fêtent le 19 mars 1962 sont les mêmes que ceux qui fêtaient Berlin, Varsovie, Budapest, Prague, Saïgon, Phnom Penh comme « des victoires de la paix et du socialisme ».En choisissant de commémorer le 19 mars 1962, ce gouvernement – un gouvernement de porteurs de valises et de porte-coton du FLN – nie en toute connaissance de cause (1) le droit à la mémoire des harkis et des Pieds-Noirs. Il choisit, comme le dénonce le Cercle algérianiste, de leur infliger « une double peine puisque, désormais, l’injustice mémorielle s’ajoute à l’injustice du déracinement et de l’exil ».C’est une provocation insupportable. Il ne faut donc pas la supporter. Et y apporter une réponse à la mesure des souffrances qu’elle provoque.¢
(1) À commencer par Hollande qui sait parfaitement à quoi s’en tenir : son père fut un militant Algérie française très engagé.Alain Sanders pour Présent -
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Mali : la France partie, la septicémie islamiste reprendra
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Ce mercredi matin, un journaliste de France info explique que François "normal" veut faire des économies; enfin ! se dit-on, pensant qu'il a - même un peu tard... - été finalement touché par les ailes du génie du bon sens. Sauf que...
Posant la question à un autre journaliste, en duplex, et lui demandant où le président va faire ses économies, l'autre journaliste - qui suit le président dans son déplacement en Bourgogne - répond sans langue de bois (pour une fois !) que c'est "avec les collectivités territoriales". Et d'expliquer que c'est là que le bât blesse parce que, au fond, qu'est-ce que c'est, dit-il, que les collectivités territoriales : en substance, "une grosse PME socialiste à laquelle, vu les retombées électorales auxquelles leurs dépenses renvoient, il va être extrêmemnt délicat de toucher, et qu'il ne va pas falloir trop titiller...".
Saluons la franchise du ton, et la justesse de l'analyse.
La décentralisation, c'est la meilleure des choses. Faite par le Système, avec les Lois Deferre, elle s'est révélée aboutir au pire des résultats : recréer des dizaines de féodalités, gourmandes en fonds publics, et à visées électoralistes et clientélistes évidentes. Tout cela parce qu'il n'y a pas de fédérateur, pas d'arbitre au sommet de l'Etat; où, si l'on préfère, parce que la République, qu'est-ce que c'est, sinon "l'absence de Roi" - comme le rappelait Hilaire de Crémiers dans son Café politique de samedi dernier à Marseille...
Ce qu'une Royauté moderne pourrait faire et ferait, car l'Etat serait "nationalisé par le Roi" (la formule célèbre est de Léon Daudet), une République caracterisée par l'absence d'un pouvoir stable, permanent, a-démocratique au sommet de l'Etat ne peut pas le faire. Et si elle le fait - comme elle s'y est essayé avec les lois Deferre - cela aboutit à la catastrophe à laquelle on assiste avec nos collectivités locales budgétivores, et pièce supplémentaires du monstrueux millefeuille de notre sur-administration, qui nous ruine, nous étouffe, nous paralyse...
Précisément parce que cette absence d'autorité stable, ce court-termisme institutionnel, empêche l'Etat de jouer le rôle de régulateur, d'arbitre, sans lequel les autorités locales dégénèrent en autant de féodalités, dont le centre d'intérêt n'est pas le Bien commun, mais leur bien à elle, tout court, et tout simplement...