Le vingtième siècle aura été marqué par d’épouvantables guerres racistes menées par les Allemands, guerres menées contre d’autres peuples blancs, surtout le russe ; au cours de la première guerre mondiale, l’Allemagne aura tué deux millions de soldats russes, facilité la fin du tsarisme et la venue au pouvoir des bolcheviques et donc la guerre civile ; ensuite, au cours de la deuxième guerre mondiale, l’Allemagne nazie, qui a succédé à celles des Ludendorff et autres Hindenburg, prédécesseur de Hitler au pouvoir, extermine vingt millions de Russes et d’Ukrainiens au nom de la criminelle et burlesque théorie raciale venue de Gobineau et de Chamberlain, et qui voit dans les slaves une race européenne récemment mongolisée (?!?) et rendue miraculeusement inférieure par le cours de l’Histoire !
C’est en 1870, suite à la trop facile victoire contre la France dilettante et sordide du Second Empire, que les Allemands attrapent la grosse tête, comme on dit, et se convainquent qu’ils doivent mener le monde à leur guise avec le peuple-frère anglais, qui leur déclarera pourtant deux fois la guerre. Les sinistres et grotesques théories de Chamberlain deviennent le livre de chevet de Guillaume II qui les offre même aux diplomates américains comme le curieux Rowland Francis, futur ambassadeur en Russie pendant la Révolution du même nom.
Et c’est à ce moment que notre cher Ernest Renan, un des Français les plus cultivés et plus fins de ce siècle, prend la plume pour écrire au penseur allemand David Strauss, auteur comme lui d’une vie de Jésus retentissante et postchrétienne. Renan aimait l’Allemagne pacifique et savante, celle du peintre Friedrich et du début du siècle romantique. Voyez Balzac qui écrit au début de la célèbre "Auberge Rouge" : « cette noble Germanie, si fertile en caractères honorables, et dont les paisibles moeurs ne se sont jamais démenties, même après sept invasions ».
Mais Bismarck et la Prusse militariste passèrent par là et modifièrent l’âme et le comportement de ce pays. Renan écrit donc deux lettres à Strauss en septembre 1870, dont la deuxième est ici la plus intéressante. Il lui indique dans un premier temps que l’Allemagne va filer un mauvais coton avec son unification prussienne réussie - si l’on peut dire - par le fer et par le feu - pour reprendre l’expression du chancelier Bismarck, un assez bon ami de l’empire russe.
« L’Allemagne, en se livrant aux hommes d’Etat et aux hommes de guerre de la Prusse, a monté un cheval fringant qui la mènera où elle ne veut pas. »
Comme Nietzsche, Renan voit surtout que la théorie raciste - völkisch, comme on dit en allemand - qui finit par servir de base pour tout en Allemagne doit déboucher inéluctablement sur des guerres de type hitlérien, à savoir d’extermination.
« La division trop accusée de l’humanité en races, outre qu’elle repose sur une erreur scientifique, très peu de pays possédant une race vraiment pure, ne peut mener qu’à des guerres d’extermination, à des guerres zoologiques, permettez-moi de le dire, analogues à celles que les diverses espèces de rongeurs ou de carnassiers se livrent pour la vie. »
Car l’homme moderne est moins un loup qu’un rat pour l’homme.
Si un esprit supérieur comme Renan peut écrire en 1870 que le racisme n’a aucune base scientifique il faudra trois quarts de siècle à d’autres esprits pour le comprendre !
Il est vrai que Renan est scandalisé par la confiscation de l’Alsace et de la Lorraine contre l’avis de leur population. Et là il voit un autre problème pour l’Allemagne, qui va devenir avec le développement du pangermanisme un autre risque pour le monde slave :
« Vos journaux ne voient pas une montagne qui est devant leurs yeux, l’opposition toujours croissante de la conscience slave à la conscience germanique, opposition qui aboutira à une lutte effroyable. »
Mais Renan voit en fait émerger une menace slave assez formidable qui motivera sans doute l’agressivité du militarisme allemand ; il ne voit pas à terme dans les slaves le peuple victime de la barbarie germanique ; il voit ce peuple vainqueur. Car les Slaves ont pour eux la démographie, le courage et les vertus militaires d’une race jeune et encore bien dirigée (la mieux dirigée d’Europe avec la prussienne, dit-il, car la moins démocrate), et ils ont aussi une dimension presque onirique et eschatologique :
« Le Slave, dans cinquante ans, saura que c’est vous qui avait fait nom synonyme d’esclave : il verra cette longue exploitation historique de sa race par la vôtre, et le nombre du Slave est le double du vôtre, et le Slave, comme le dragon de l’Apocalypse dont la queue balaye la troisième partie des étoiles, traînera un jour après lui le troupeau de l’Asie centrale, l’ancienne clientèle des Gengis Khan et Tamerlan. »
Comme on voit, ces expressions du maître Français justifient d’une manière prémonitoire les peurs et alibis nazis d’un monde slave à connotation asiatique et bolchevique qu’il conviendrait de repousser lors du grand combat vers l’Est ! Dans son bilan de l’histoire, écrit après 1945, le grand historien René Grousset parlera, à propos de l’armée Rouge de la reconstitution de l’empire des steppes, mais blindé et motorisé ! Il s’agit bien sûr plus d’une image ironique, comme me semble-t-il sous la plume de Renan : « l’ancienne clientèle » sonne bizarrement...
Un rappel sur cette question asiatique dont les nazis firent leurs choux gras pour justifier leur croisade contre la Russie. On sait que durant la guerre, les Allemands - comme les Américains aujourd’hui - trouveront en fait plus facilement à s’allier en Union soviétique, avec des peuples périphériques, notamment caucasiens ou musulmans, qu’avec les slaves ; l’armée allemande terminera assez islamisée - comme l’occident américanisé d’aujourd’hui - et plus multiraciale que jamais, alors que l’armée Rouge défendra la terre, la vie et la liberté slaves. Ce n’est pas le moindre paradoxe de l’hitlérisme : Hitler s’est allié en Asie aux Japonais et aux Hindous contre les Blancs, il avait des musulmans un peu partout comme partisans, et a partout traité les Blancs comme des sous-hommes (y compris les Norvégiens et ses alliés italiens à la fin de la guerre) ! Les antiracistes d’aujourd’hui devraient dresser au Führer des statues. La race blanche n’a pas eu plus implacable ennemi.
Terminons. Avec une délicatesse qui confine au génie, comme souvent chez lui, Renan prévoit une victoire des Slaves, qui auront mis à profit les leçons cruelles de la docte Allemagne dont il prévoit d’ailleurs aussi la fin du rayonnement et le déclin intellectuel :
« Si un jour les Slaves viennent revendiquer la Prusse proprement dite, la Poméranie, la Silésie, Berlin, par la raison que tous ces noms sont slaves, s’ils font sur l’Elbe et sur l’Oder ce que vous avez fait sur la Moselle, qu’aurez-vous à dire ? »
Renan conclut justement qu’aucune nation n’aura tant à souffrir de cette fausse façon de raisonner que l’Allemagne. Comme on sait, à la fin de la deuxième Guerre Mondiale, plus de dix millions d’Allemands seront repoussés de leur terre natale, en plein conflit militaire et en plein froid hivernal. Un autre désastre humanitaire à mettre au crédit de cette guerre raciale insensée dont Renan parle si bien 75 ans auparavant, guerre raciale qui aura eu raison de nous tous finalement.
Voir l’étude étonnante de l’universitaire Alex Alexiev écrite pour la Rand Corporation en 1982 : "Soviet nationalities in German wartime strategy". Elle est aisément chargeable en PDF.
Nicolas Bonnal http://www.france-courtoise.info