Georges Feltin-Tracol
Ancien rédacteur des discours du premier président du Conseil européen, le Belge Herman van Rompuy, et auparavant conseiller politique du libéral Frits Bolkestein, le Néerlandais Luuk van Middelaar examine en historien et en philosophe politique le fonctionnement de l’Union dite européenne dans un essai incontournable, Quand l’Europe improvise. Dix ans de crises politiques (Gallimard, coll. « Le débat », 2018, 412 p., 24 €).
Longtemps, l’organisation de Bruxelles a végété dans une rassurante routine. « Traditionnellement, les institutions de l’Union européenne, écrit-il, sont uniquement aménagées en fonction d’une politique de la règle afin de construire et d’équilibrer un marché (p. 25). » Or une série de crises majeures (sort de l’euro, désastre financier grec, guerre dans l’Est de l’Ukraine, arrivée massive des « migrants », Brexit, élection de Donald Trump) bouleverse cette douce torpeur. « Dans ces crises, observe l’auteur, l’Union a dû abandonner le cadre sacro-saint de sa vision éternaliste et agir pour survivre. Une tâche colossale : être prête à faire face aux imprévus et mener une politique de l’événement (p. 222). » Jusqu’à ces moments critiques cruciaux, les instances dites européennes se complaisaient dans la « politique de la règle », car « le projet de construction initial, resté longtemps dominant, poursuit-il, consiste dans la dépolitisation par le droit (p. 19) ». Dans une approche très schmittienne, Luuk van Middelaar pense que « les crises exigent une capacité d’action politique différente de celle que permettent les structures bruxelloises traditionnelles. Elles requièrent non des normes, mais des décisions (p. 18) ». Les dirigeants de l’Union pseudo-européenne ont dû improviser afin de donner un contenu politique pertinent à un ensemble polysynodal en proie à la multiplication des oppositions, des fractures et des contentieux.