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culture et histoire - Page 1937

  • L'Allemagne est otage de la zone euro et victime d'un « chantage à l'Holocauste »

    Le titre donné par la rédaction à l’article qui suit s’inspire du thème principal du dernier livre de Thilo Sarrazin paru le 22 mai dernier, L’Europe n’a pas besoin de l’euro. Cette publication a provoqué un tollé général et les gardiens du temple Euro se sont répandus en indignation. Mais l’auteur n’en est pas à son coup d’essai : en septembre 2010, avec son L’Allemagne court à sa perte, il s’était attaqué à l’immigration et déjà les réactions à son encontre avaient été violentes, allant jusqu’à son éviction de la Deutsche Bundesbank dont il était membre du directoire.

    Il n’est jamais bon, en Europe et par conséquent en Allemagne, de toucher aux tabous. Cette fois-ci, l’auteur s’attaque à la monnaie unique en faisant un lien entre la culpabilité allemande vis-à-vis de l’Holocauste et les eurobonds : « Ils [les partisans allemands des obligations européennes] sont poussés par ce réflexe très allemand selon lequel nous ne pourrions finalement expier l'Holocauste et la Deuxième Guerre mondiale qu'une fois transférés en des mains européennes l'ensemble de nos intérêts et de notre argent. »
    Philippe Simonnot, pour Nouvelles de France, livre ses réflexions sur cette révolte de Thilo Sarrazin.
    Polémia

    Thilo Sarrazin a encore frappé avec son gros marteau. Cette fois ce n’est plus l’islamisme qu’il a mis sur son enclume comme l’année dernière, mais l’euro. Cet ancien dirigeant de la Bundesbank, dont il a dû démissionner en septembre 2010 après avoir été accusé de racisme et d’antisémitisme, a trouvé les chemins fortunés des best-sellers en disant tout haut ce que maints Allemands n’osent même pas penser tout bas. En quelques jours son L’Europe n’a pas besoin de l’euro est en tête des gondoles et des ventes. « Soit Sarrazin parle et écrit par conviction des sottises révoltantes, soit il le fait par calcul méprisable ». Cet anathème a été lancé sur sa tête par Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, qui n’est pas connu pour faire dans la dentelle.

    Que dit donc de tellement sot ou méprisable l’ancien banquier d’obédience socialiste ? Qu’Angela Merkel a tort de dire que « si l’euro échoue, l’Europe échoue ». Thilo Sarrazin nous donne pourtant un message de raison et d’espoir en ne liant pas le sort du Vieux Monde à une monnaie condamnée.

    Quoi encore ? Que les pays qui violent continuellement le pacte de stabilité doivent quitter la zone euro. Logique ! Si l’on ne respecte pas les règles d’un club, ne doit-on pas le quitter ?

    Encore ceci : Thilo Sarrazin s’insurge contre les eurobonds, prônés par la France, mais aussi par une grande partie de l’opposition allemande de gauche et écologiste. Et il accuse cette dernière d’être motivée par ce réflexe « très allemand » de penser que « l’on aura définitivement expié l’Holocauste et la Guerre Mondiale quand nous aurons mis toutes nos affaires, et aussi notre argent, entre des mains européennes ». Là, il est allé trop loin pour la bonne pensée des deux côtés du Rhin ou des Alpes. Halte-là !

    Déjà, en 1969, Franz Joseph Strauss, leader bavarois en culotte de peau, avait déclaré : « Un peuple qui a engrangé de tels succès économiques a le droit de ne plus rien entendre à propos d’Auschwitz ».

    Eh bien ! Il faut regarder les choses en face.

    La France est en ce moment bercée par les douceurs du hollandisme entre deux campagnes électorales, la présidentielle et la législative ; elle vogue dans une sorte d’apesanteur où il n’est plus question que de concertation des partenaires sociaux, de modération des loyers, de coup de pouce au SMIC, d’embauche de nouveaux fonctionnaires, de limitation des inégalités et d’imposition des « mauvais riches ». Cette France autiste est bien représentée par le portrait officiel que l’on vient de dévoiler à nos yeux ébahis. Le président est à l’ombre des grands arbres du parc élyséen, comme s’il redoutait la lumière trop crue de l’Histoire, les bras ballants alourdis par des mains enflées – une séquelle des bains de foule ? Monsieur Fraise-des-Bois est parti à la cueillette, le Palais est loin derrière, surexposé, comme dans un rêve, au moins pour cinq ans !

    Cette France qui se met à l’ombre voit moins que jamais que l’Allemagne est en train de prendre sa revanche. Une revanche séculaire.

    La puissance économique de notre voisin n’a jamais été aussi manifeste que depuis que la dernière crise du capitalisme a éclaté, et elle est en train de se muer en puissance politique. On évoque de plus en plus l’avènement d’une Europe du Nord dans laquelle la France jouerait un rôle de second rang si elle n’en est pas exclue et déclassée dans l’Europe du Sud. Le but poursuivi par Bismarck dès 1860 serait enfin atteint – cette fois, sans coup férir, et donc durablement. Comment en est-on arrivé là ?

    A force d’être obnubilé par le désastre absolu qu’a été l’hitlérisme, on a réécrit l’histoire de l’Allemagne comme si elle devait conduire fatalement au nazisme et aux camps d’extermination et comme si l’Allemagne, à jamais coupable, ne pourrait plus prétendre au rang de grande puissance. Redevenu un géant économique – depuis longtemps déjà et avec quelle rapidité – elle serait toujours un nain politique entravé par les chaînes du remords de crimes imprescriptibles. Même la réunification des deux Allemagnes a été acceptée bon gré mal gré alors que la division de la nation allemande avait été considérée depuis 1945 comme un gage de paix. On a imaginé harnacher cette nouvelle puissance par l’euro – ce plat de lentilles, qui a finalement permis à l’Allemagne, par une ruse monétaire de l’Histoire, de franchir le dernier échelon de sa marche vers le sommet européen, on le constate aujourd’hui.

    « Peut-il y avoir trop de mémoire ? » se demande Charles Maier, historien américain dans son excellent Unmasterable Past (1). Faut-il faire écho aux avertissements de Henri Heine : les Allemands ruminent des vengeances à travers les siècles ? Ne faudrait-il pas dénazifier l’histoire de l’Allemagne ? C’est à quoi nous invitent aujourd’hui Thilo Sarrazin et ses succès fracassants de librairie. L’Allemagne profonde s’exprime à travers lui.

    Les douze années de Hitler au pouvoir nous empêchent de voir que le génie allemand domine les scènes culturelle, artistique et scientifique mondiales depuis deux cents ans. Ce génie aurait dû autoriser l’Allemagne à diriger le monde au XXe siècle, mais ce destin manifeste a été contrarié par des circonstances qu’il faut expliquer par la volonté farouche de l’Angleterre de conserver ses privilèges impériaux. Si l’on se reporte un siècle plus tôt, au tout début de la Première Guerre mondiale, la supériorité allemande était évidente aux yeux des intellectuels allemands, y compris sur le plan moral, et devait lui permettre de triompher, en cette épreuve décisive pour le destin du monde, de soi-disant démocraties qui, pour lui barrer la route, s’étaient alliées avec l’un des régimes les plus réactionnaires de l’époque, la Russie tsariste, ensanglantée de pogroms à répétition et expansionniste. Même les juifs allemands considéraient l’empire de Guillaume II comme un nouvel Israël et se portèrent les premiers au front pour repousser ses ennemis.

    Fruit de la Révolution française, l’invention de la « nation » allemande avait érigé en mythe un anti-Vercingétorix en la personne d’Arminius, alias Hermann, vainqueur des armées romaines en l’année 9 de notre ère à la bataille de Teutberg (2). Corrélation : la langue allemande vierge de toute corruption latine, authentique langue du peuple, est seule capable de reprendre l’héritage grec : Herder, Fichte, Thomas Mann, Heidegger – seule capable d’exprimer l’être. On a même pu parler d’une tyrannie exercée par la Grèce sur l’Allemagne (3) – ce qui paraît risible aujourd’hui. Les juifs allemands, qui considéraient l’Allemagne comme un « nouvel Israël », n’étaient pas les derniers à opposer la Kultur à la méprisable « civilisation ». Mais cette nation privilégiée, élue (4), sainte, vraie, Urvolk, douée, animée d’un Volksgeist, « protestante » après Luther, est d’abord une nation sans Etat, et cela à cause de la France qui pourtant lui « sert » le modèle de l’Etat-nation.

    Auparavant, faut-il le rappeler aux bonnes consciences françaises, l’Allemagne avait été victime de l’impérialisme français :

    • – l’émiettement de l’Allemagne en une multitude d’Etats et de principautés (5), fut consacré par les traités de Westphalie, qui concluent la guerre de Trente Ans – « paix » qui n’empêchera pas les armées françaises de ravager le Palatinat par deux fois, en 1674 et en 1689, pour ne rien dire des ravages des conquêtes napoléoniennes ;
    • – Versailles, obsession allemande, d’abord comme modèle politique et culturel (le Sans-Souci de Frédéric II, entre autres), puis comme symbole de l’oppression française, ensuite comme lieu de consécration du 2e Reich en 1871 dans la Galerie des Glaces ;
    • – Versailles, enfin maudit comme le Traité de 1919 qui porte son nom. Versailles, comme lieu du mensonge qui a consisté à faire de l’Allemagne la seule coupable de la Première Guerre mondiale (article 231 du Traité) et à bâtir sur ce mensonge les fameuses Réparations. Le Boche paiera. Eh bien ! Non. L’Allemagne ne paiera pas – pas plus aujourd’hui qu’hier. C’est ce que nous dit Thilo Sarrazin.

    Au XIXe comme au XXe siècle, du IIe au IIIe Reich en passant par la République de Weimar, l’ambition allemande a été de disputer le sceptre du monde à une Angleterre déjà sur le déclin, une fois l’Allemagne réunifiée et modernisée.

    D’où la peur récurrente de la réunification allemande, qu’un François Mitterrand a essayé de retarder (6), en vain, puis d’apprivoiser avec la création de l’euro – en vain aussi, comme nous pouvons le constater aujourd’hui. Déjà au Congrès de Vienne, en 1815, Talleyrand se demandait : « Qui peut calculer les conséquences si les masses en Allemagne devaient se combiner en un seul tout et devenir agressives ? » Là encore, Thilo Sarrazin doit être écouté.

    La supériorité économique allemande qui obnubile de nouveau les Français (7) est en fait une vieille histoire qui remonte au moins au XIVe siècle. Elle tient à la structure non centralisée de l’Etat allemand, quand il existe, et à l’anarchie allemande, quand cet Etat n’existe pas, par opposition multiséculaire à l’Etat français tentaculaire et prédateur. Colbert, qui a ruiné la France de son temps, est impensable de l’autre côté du Rhin. La fameuse « discipline » allemande, qui est le secret de sa réussite, est en fait une autodiscipline que s’impose une nation née sans État. Cette supériorité économique a permis à Bismarck d’inventer l’état providence qui, transposé sous d’autres cieux, conduit immanquablement à la faillite ou à la guerre, du Welfare State au Warfare State

    Le génie allemand, toujours vivant, pousse aujourd’hui l’Allemagne à prendre sa revanche, au moins en Europe, et de reprendre sa marche drang nach Osten, cette fois jusqu’en Chine, sans que ni la Grande-Bretagne ni les États-Unis ne puissent l’en empêcher comme en 1905-1918 ou 1933-1945.

    Trop tard pour le salut du Vieux Monde ? Le monde a changé. Des forces nouvelles gigantesques se sont levées en Asie… La nouvelle Allemagne permettra-t-elle de sauver l’Europe aux anciens parapets ? Là est la question que nous devons nous poser. A condition de relire l’histoire avec d’autres lunettes que celles que nous avons chaussées depuis des dizaines d’années.

    « Le monde veut plus d’Allemagne », tel était le titre de l’éditorial qui s’étalait à la  Une  du Monde, daté des 5-6 février 2012. Titre que l’on pouvait lire dans l’autre sens : « L’Allemagne veut plus de monde ! » Et surtout ne plus payer pour les autres.

    Philippe Simonnot,  Tribune libre
    Nouvelles de France
    6/06/2012

    Titre original : L’Allemagne ne paiera pas

    Notes :

    1. The Unmasterable Past: History, Holocaust, and German National Identity, Harvard University Press, 1988.
    2. La célèbre pièce de Kleist, La Bataille d’Herman, Die Heramnnsschlacht, date de 1809.
    3. E. M. Butler (1935), The Tyranny of Greece over Germany, en particulier sur Lessing, Goethe, Schiller, Höderlin, K. F. Schinkel, C. G. Langhans, Schliemann, Nietzsche, Stefan George. À l’époque, l’Allemagne apparaissait comme composée d’une multitude d’États comme l’ancienne Grèce, avec une culture supérieure à celle de son éventuel conquérant (Rome). La Porte de Brandebourg (que l’on doit à Langhans), a eu comme modèle les Propylées de l’Acropole athénienne.
    4. Terme employé par Jörg Lanz von Liebenfels dans sa Théozoologie (1905).
    5. « Je ne peux m’imaginer un peuple qui serait plus divisé que les Allemands », Höderlin, Hyperion.
    6. Mais aussi Jacques Delors et Laurent Fabius.
    7. L’Allemagne enregistre trois fois plus de brevets que la France – un indice parmi beaucoup d’autres.

    Philippe Simonnot a publié en collaboration avec Charles Le Lien La monnaie, Histoire d’une imposture, chez Perrin.

    Correspondance Polémia – 7/06/2012

  • Entretien avec Jean-Claude Michéa

    Jean Cornil a rencontré le philosophe français Jean-Claude Michéa, chez lui, à Montpellier. Philosophe « inclassable », Jean-Claude Michéa a un parcours singulier. Venant d’un milieu communiste, anarchiste, penseur critique du libéralisme et singulièrement du libéralisme culturel qu’il assimile à la gauche. Dans cette émission, Jean Cornil ira à la rencontre de ce philosophe étonnant, très éloigné des schémas traditionnels de la pensée politique.

    http://fortune.fdesouche.com/

  • 1883 : Des Bourbons aux Orléans

    Le comte de Chambord s'éteint le 24 août. Le comte de Paris semble s'imposer à la tête de la maison de France. Mais dans l'entourage de la comtesse de Chambord, certains contestent le droit des Orléans : pour eux la couronne de France doit revenir à l'aîné de tous les Bourbons.
    Cette année-là, Henri V comte de Chambord, soixante-trois ans, petit-fils de Charles X, de jure roi de France depuis le 2 août 1830, s'éteignit le 24 août en exil à Frohsdorf. Depuis l'échec de la restauration monarchique en 1873, il n'avait renoncé à rien et se tenait toujours très informé des affaires de France.
    Philippe VII
    Il avait appris avec peine les succès des républicains, lesquels, depuis la démission du maréchal de Mac-Mahon, président de la République, en 1878, accaparaient tous les pouvoirs. Jean-François Chiappe disait de ce roi éminemment chrétien : « Il se montre épris de modernité et souhaiterait reformer la France de saint Louis et de Philippe le Bel, créatrice des états généraux. [...] Il se passionne pour le monde ouvrier et se désespère de la condition de ces déracinés. » 1 Nous savons que, pour garder la liberté d'améliorer le sort des humbles, il refusa de régner avec le drapeau tricolore symbole à ses yeux de l'assujettissement de la couronne aux intérêts des capitalistes sans coeur.
    Le drame d'Henri V fut de ne pas avoir eu d'enfant de son épouse Marie-Thérèse de Modène. La succession n'était pourtant pas un souci pour les milliers de fidèles venus de toute la France assister aux obsèques de leur roi dans la ville de Gorizia, où reposait déjà Charles X (alors en Vénétie autrichienne, aujourd'hui en Slovénie). En leur nom le duc de La Rochefoucauld-Bisaccia adressa à Philippe, comte de Paris, un télégramme rédigé par René de La Tour du Pin, marquis de La Charce, et approuvé par le général de Charette, où tous les assistants saluaient en lui Philippe VII, nouveau chef de la maison de France. Quelques jours plus tard, à Paris, l'Association de la Presse monarchique et catholique, fondée l'année précédente, rendait un fervent hommage au roi défunt et saluait d'un seul coeur son successeur Philippe VII.
    Une dispute déplorable
    C'était là tout simplement s'inscrire dans la grande tradition capétienne qui voulait qu'en cas d'extinction d'une branche régnante de la famille, la succession revînt au chef de la branche la plus proche par ordre de primogéniture, à condition que celle-ci ne fît pas tomber la couronne dans des mains étrangères et donc ne rompît pas l'union d'âge en âge de la famille royale et de la France. C'est pour sauvegarder ce principe et empêcher la France de devenir anglaise que l'on dut exclure les femmes et leur descendance de la succession.
    Il se trouva hélas un petit nombre de royalistes, notamment dans l'entourage de la comtesse de Chambord, pour contester le droit des Orléans. Pour eux la couronne de France devait revenir à l'aîné de tous les Bourbons, donc à Jean de Bourbon, comte de Montizon, infant d'Espagne (1822-1887), fils de Charles de Bourbon, lequel, refusant à sa nièce Isabelle II le titre de reine d'Espagne, était à l'origine de la branche carliste. Le comte de Montizon, par ailleurs beau-frère d'Henri V (il avait épousé Marie-Béatrice de Modène) était évidemment l'héritier en droite ligne de Philippe V, roi d'Espagne, et par celui-ci de Louis XIV. Sans même s'attarder à des considérations juridiques et spécieuses sur la valeur des renonciations de Philippe V au trône de France (traité d'Utrecht, 1713), le fait est que, les générations passant, cette branche espagnole des Bourbons s'hispanisait et pouvait de moins en moins incarner la France. On ne se transplante pas roi de France, il faut être des entrailles de la France. Or les Orléans, bien que ne descendant que du frère de Louis XIV, avaient, eux, toujours servi la France seule.
    Souvenir douloureux
    Hélas le débat était passionnel. On rappelait toujours Philippe Égalité : il avait voté la mort de Louis XVI en 1793, son crime était horrible, mais on oubliait qu'il s'en était repenti avant sa mort, et que le fils de celui-ci, Louis-Philippe (futur "roi des Français") s'était réconcilié avec les Bourbons dès 1809 en épousant Marie- Amélie de Bourbon-Siciles, nièce de la reine Marie-Antoinette. Quant à l'épisode fâcheux de la monarchie de Juillet, il eut au moins l'avantage de reculer de dix-huit ans l'avènement de la IIe République : Louis-Philippe ne prétendit jamais remplacer les Bourbons et, à la fin de sa vie, souhaita un rapprochement entre les deux branches, ce à quoi la reine Marie-Amélie et ses fils, notamment le duc de Nemours, s'employèrent dès 1850, et surtout en 1873. Ils trouvèrent un accueil très affectueux de la part d'Henri V, lequel déclara peu avant sa mort à un journaliste de La Liberté : « Le principe que je représente m'interdit de choisir mon successeur. Puisque j'ai le malheur de n'avoir pas d'enfant, les princes d'Orléans sont mes fils. » 2
    Tout était dit, et cette parole aurait dû clore une dispute qui dure encore de nos jours, où s'engagent avec une foi monarchique indiscutablement vibrante des Français qui ne se rendent pas toujours compte que cette division risque tout simplement de rendre une fois encore impossible la restauration pourtant si nécessaire à la France...
    Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 18 novembre au 1er décembre 2010
    1 Jean-François Chiappe : Le comte de Chambord et son mystère ; éditions Perrin, 1990.
    2 Cité dans Xavier Vallat : Le Grain

  • « Le mariage pour tous » Une supercherie linguistique doublée d’un mensonge

    Dans le concert des arguments développés par les « pour » et les « anti » mariage gay, il est une voix qu’on n’a jamais entendue : celle de la langue française.
    Au cours de mes 40 années d’enseignement (collège et lycée) en qualité de professeur de Lettres Classiques, j’ai toujours attaché une grande importance à la valeur des mots. Choisir le mot exact, le « polir sans cesse » comme disait Boileau, c’est à la fois s’assurer qu’il exprime parfaitement ce que l’on veut dire mais c’est aussi s’assurer que l’on sera bien compris de son auditoire.
    La polémique que suscite le projet de loi sur le mariage gay offre un bel exemple de cette dilution de la pensée dans le brouillard d’une terminologie approximative. A force de triturer les mots dans tous les sens, les mots n’ont plus de sens et l’opinion déboussolée y perd son latin. Les slogans réducteurs répercutés par les médias ne font qu’entretenir la confusion au point qu’on a parfois l’impression d’avoir perdu le sens commun.
    Prenons quelques exemples :
    Premier exemple : La notion de « couple » homosexuel est-elle adaptée ? La réponse est non.
    Si l’on se réfère à la terminologie du « Bon Usage », l’assemblage de deux éléments de même nature ne constitue pas un « couple » mais une « paire ». Ainsi, on dira une paire de ciseaux, une paire de lunettes et non un couple de ciseaux ou un couple de lunettes. Il en est de même pour les êtres vivants. Deux boeufs assemblés sous le même joug forment une paire de boeufs et non un couple de boeufs. Deux jumeaux de même sexe constituent une paire de jumeaux et non un couple de jumeaux. On pourrait multiplier les exemples.
    La langue française nous indique clairement que la notion de « couple » repose sur un principe de différenciation et d’altérité. Le couple, c’est « un homme et une femme unis par des relations affectives, physiques » (Robert 2012). La prise en compte de la fin de la définition ne doit pas faire oublier le début. La distorsion sémantique à laquelle on s’adonne chaque fois qu’on évoque un « couple » homosexuel crée une confusion dommageable que rien ne peut justifier, pas même une évolution des moeurs. Il s’agit bien ici d’appeler un chat « un chat »
    2ème exemple : qu’est-ce qu’un parent ?
    La reconnaissance officielle du « couple » homosexuel entraîne nécessairement – tout le monde le sait - une modification du Code Civil. La disparition des mots « père » et « mère » au profit de la notion de « parent 1 » et « parent 2 » n’est en fait qu’une supercherie linguistique doublée d’un mensonge puisque le mot désigne étymologiquement les deux personnes (père et mère) qui conjointement sont à l’origine de toute naissance. En latin, le verbe parere veut dire « engendrer » pour le père, et « enfanter » pour la mère. Comment peut-on expliquer à un enfant que ce mot de « parent » (quel que soit son numéro) s’applique à une personne qui est totalement étrangère à sa naissance, un clandestin en quelque sorte ? La loi peut-elle cautionner ce mensonge ?
    Ces deux exemples suffisent à démontrer que la terminologie avancée par les partisans de la loi n’est qu’un écran de fumée destiné à masquer une stratégie plus sournoise que les récentes manifestations viennent d’ailleurs de confirmer. Il semble en effet que les partisans du « mariage pour tous » se soient déjà engouffrés dans une brèche : l’incohérence du projet de loi :
    Une incohérence interne à la loi : un « couple » homosexuel est par définition stérile. Il est donc logique que les homosexuels aient recours à des artifices s’ils veulent avoir des enfants. C’est le sens de leur revendication première : le droit à l’adoption, baptisé outrageusement « droit à l’enfant ». Le projet de loi prévoit cette disposition mais interdit la PMA (procréation médicalement assistée pour les femmes) et la GPA (gestation pour autrui pour les hommes c’est-à-dire le recours possible à une mère porteuse). Comment justifier cette contradiction alors que la loi du « mariage pour tous » est présentée comme une extension des droits ? Les récentes manifestations des partisans du mariage ont clairement démontré que les homosexuels entendaient s’appuyer sur cette contradiction pour pousser plus loin leurs exigences. Sur cette question, on note les premiers signes d’un fléchissement de la part des promoteurs de la loi. Le recours à la PMA, exclue dans un premier temps, pourrait faire l’objet d’un amendement présenté par les députés de la majorité. Cette concession, logique en elle-même, met à nu la vraie nature du débat. Le « mariage pour tous », présenté au départ comme l’objectif essentiel, apparaît de plus en plus clairement comme un simple point de passage, une étape transitoire pour obtenir « in fine » une égalité de droit pleine et entière avec les couples hétérosexuels stériles.
    Comme le droit à l’adoption ne changera pas grand-chose à la situation des homosexuels, vu les réticences de la plupart des états à confier des enfants à des homosexuels, c’est bien sur la PMA et la GPA que se concentre toute la pression. Une fois acquis le droit à la PMA pour les femmes homosexuelles, comment interdire aux hommes, au nom de ce même principe d’égalité, d’avoir recours à la GPA ? Si c’était le cas, il y aurait là une discrimination incompréhensible, voire une injustice, tout à fait contraire à l’esprit même du projet de loi.
    Le piège des slogans
    Il est une autre supercherie linguistique qu’il convient de dénoncer et qui tient au discours même des homosexuels. Pendant longtemps, leur combat a été placé sous le signe du « droit à la différence », droit qui leur a été reconnu par l’ensemble de la communauté nationale avec la création du PACS. Aujourd’hui, le thème du « droit à la différence » a totalement disparu du glossaire homosexuel. Bizarre ! Ce virage à 180 degrés a quelque chose de surprenant et pourtant personne ne s’en étonne. Il est vrai que le slogan « le mariage pour tous » est plus rassurant et plus rassembleur que « le droit à la différence » jugé sans doute trop « clivant » pour employer un terme à la mode, un concept dépassé en tout cas que l’on range sans complexe au rayon des accessoires. Au contraire, « le mariage pour tous » sonne comme un appel à la fête, à la fusion universelle de toute l’humanité, un remake d’ « Embrassons-nous, Folleville », en somme une préfiguration du « paradis pour tous ». Qui peut résister à un tel programme ?
    Malheureusement, cette vision édénique du mariage est en décalage complet avec la réalité des faits. Il est d’abord étrange que le PACS ait eu si peu de succès auprès de la communauté homosexuelle alors que cet aménagement de la législation était notamment prévu pour elle. Et si le mariage présente tant d’attraits, comment expliquer que tant d’hommes et de femmes, de la base jusqu’au sommet de l’Etat, choisissent l’union libre c’est-à-dire le non-mariage ?
    Il est notable également que nombre d’homosexuels vivent leur vie le plus naturellement du monde sans réclamer nécessairement le passage devant Monsieur le Maire. Certains même s’étonnent de ce déchaînement médiatique sur une question qui leur est totalement étrangère.
    Alors, au bout du compte, que penser de tout ce tapage, de tout ce galimatias ?
    Pas grand chose, sinon que derrière ces acrobaties sémantiques ou stylistiques, il y a la volonté de nier une évidence.
    La négation d’une évidence :
    Quel que soit le mode de procréation choisi, la naissance d’un enfant est nécessairement le résultat de la rencontre de deux cellules, masculine et féminine. La différenciation sexuelle est constitutive de l’être humain, même si les choix de vie peuvent ensuite amener certains individus à la vivre différemment. De ce fait, on ne peut admettre qu’une simple évolution des moeurs soit un argument suffisant pour modifier le statut du couple et celui de la famille, tels qu’ils nous ont été transmis depuis les origines de notre civilisation. Les Romains eux-mêmes, qui pratiquaient librement et indifféremment les deux formes de sexualité, n’ont jamais songé à remettre en question ce mode d’organisation de la famille pour une raison très simple mais essentielle : cette structure de la cellule familiale est la seule à garantir la filiation. Grands législateurs (ne pas oublier au passage que notre Code Civil découle directement du Droit Romain), ils ont toujours tenu à préserver ce socle de l’organisation sociale. Quant à l’adoption, très courante à Rome, elle a toujours été soigneusement encadrée par tout un arsenal juridique de manière à préserver l’intégrité des liens du sang. De ce fait, l’adoption n’était juridiquement admise que dans le cadre d’une famille déjà constituée et sur le modèle du couple hétérosexuel.
    Jamais deux sans trois :
    Mais il y a plus grave : la stérilité naturelle du « couple homosexuel » induit nécessairement l’intervention d’un tiers de l’autre sexe pour le rendre fécond. Dès lors, l’accès à la PMA ou à la GPA (quelle que soit la procédure adoptée, c’est-à-dire avec ou sans rapport sexuel) conduit à s’interroger sur la nature de ce prétendu « couple » qui ne peut assurer à lui seul son désir d’enfant. Ce qui revient à dire que le contrat de mariage que signeraient deux personnes de même sexe inclut nécessairement l’intervention prévisible d’une troisième personne. Il ne s’agit donc plus d’un « couple » mais d’une « triade », une forme d’adultère biologique accepté et reconnu par la loi. Sans parler des inévitables dérives financières qu’entraînera nécessairement la recherche effrénée de donneurs et de mères porteuses. Dans certains pays, on assiste déjà à des combinaisons multiples où les homosexuels s’adjoignent - pour un temps ou pour longtemps et moyennant finances –
    le concours d’une ou plusieurs personnes pour mener à bien leur projet. Nous sommes là devant le risque majeur d’une marchandisation de l’enfant et par extension de la vie humaine. L’embryon devient un objet de convoitise assimilable à n’importe quel produit de consommation. Dans un proche avenir, on peut même imaginer l’achat en pharmacie de paillettes de sperme ou d’ovules congelées qu’on pourrait se procurer aussi facilement que la pilule contraceptive ou le Viagra, le tout remboursé par la Sécurité Sociale, au nom de ce « droit à l’enfant » brandi comme un dogme par les partisans de la loi.
    Au terme de cet argumentaire, une conclusion s’impose :
    Le « mariage » pour quelques-uns est en fait une menace « pour tous » :
    A l’évidence, l’adoption de ce projet de loi fait courir à notre société un danger d’autant plus grand qu’il est paré de toutes les vertus aux yeux du plus grand nombre. Pour employer le langage des internautes, c’est un dangereux « cheval de Troie » qu’on introduit dans la législation française. « Malheureux citoyens, quelle folie est la vôtre ! » s’écriait Laocon en voyant les Troyens disposés à introduire ce cheval maudit dans les murs de leur ville (Enéide, II, 42).
    Abandonné sur la plage, ce cheval imaginé par Homère avait tous les attraits d’un cadeau des dieux. Les Troyens sont restés sourds à l’avertissement de Laocoon. Ils ont fait mieux. Pour faciliter l’entrée du cheval dans la ville, ils n’ont pas hésité à abattre une partie de leurs murailles.
    On connaît la suite ! …
    Il est vain d’imaginer qu’on puisse contenir toutes les dérives inhérentes au projet de loi tel qu’il est présenté aujourd’hui. C’est bien sur la notion même de « mariage pour tous » qu’il faut se battre et résister. Si cette digue saute, le risque de submersion est hors de tout contrôle.
    Daniel Godard,  Professeur de Lettres Classiques
    Dans le cortège des partisans de la loi « le mariage pour tous », il y avait un slogan intéressant :
    « UNE PAIRE DE MERES VAUT MIEUX QU’UN PERE DE MERDE »
    Si l’on accepte de faire l’impasse sur le caractère outrancier et injurieux du propos, ce slogan est une aubaine !
    Pour la première fois, l’union de deux femmes est reconnue comme une « paire » et non comme « un couple »
    J’y vois la confirmation (involontaire) de mon analyse du mot « couple »
    Les arguments en faveur du mariage homo s’effondrent d’un coup devant cette évidence.
    Merci à celui ou à celle qui est à l’origine de ce slogan lumineux et providentiel !

  • Le bonapartisme, examen d’une pensée politique évanouie

    Le bonapartisme, examen d’une pensée politique évanouie Dans l’histoire française des idées politiques, le bonapartisme demeure, malgré des recherches fructueuses, une doctrine non identifiée. Pour René Rémond, il établit une tradition autoritaire et protestataire dont les manifestations ultérieures seront tour à tour le boulangisme, l’anti-dreyfusisme, l’Action française, les Ligues des années trente, le régime de Vichy, le poujadisme et le Front national. Par simplification et généralisation abusive, on peut même jusqu’à lui attribuer une responsabilité dans la naissance du fascisme, surtout si l’on postule, à la suite de Zeev Sternhell, que la droite révolutionnaire française en est l’amorce.
    Dans sa biographie récente sur Napoléon III, le spécialiste universitaire français du fascisme italien, Pierre Milza, explique au lecteur qu’« il est tentant de comparer l’Empire autoritaire et le régime mussolinien : surtout pour qui […] a longuement étudié le second et s’intéresse aux antécédents du fascisme (1) ». Le bonapartisme serait-il par conséquent l’ancêtre du populisme, de l’extrême droite, voire du fascisme ? Il importe au préalable de définir le bonapartisme.

    Qu’est-ce que le bonapartisme ?

    « Le mot “ bonapartisme ”, écrit Frédéric Bluche, apparaît en 1814. Utilisé d’abord par les royalistes, qui parlent surtout des “ buonapartistes ”, le mot conserve une nuance péjorative jusqu’en 1848, date à laquelle les partisans de Louis-Napoléon, en l’adoptant, lui donnent son véritable sens (2). » Il a pour synonymes « impérialiste », « plébiscitaire » ou, plus rarement, « napoléoniste ». Ces appellations désignent le soutien et la défense de la politique d’un membre de la famille Bonaparte. Toutefois, ni Napoléon Ier, ni Napoléon III ne sont des idéologues. Certes, « il existe une “ doctrine ” napoléonienne sous le Consulat et l’Empire, même si celle-ci n’est pas une construction abstraite, car Napoléon lui-même l’aurait récusé à ce titre. Son principal handicap est l’absence de théoricien bonapartiste après l’Empire. Par voie de conséquence, le bonapartisme n’est pas né de la légende napoléonienne. Il puise ses éléments dans la “ doctrine ” du premier Empire, simplifiée et schématisée sous la Restauration (3) ». Cette absence d’idéologie se retrouve sous le second Empire puisque P. Milza estime que le bonapartisme « est davantage une praxis, une pratique de gouvernement, vaguement théorisée après coup… (4) »
    Frédéric Bluche en retrace la généalogie politique et pense que « ni en 1799, ni en 1804, en 1848 ou 1851 le bonapartisme n’a coïncidé avec les grands courants d’opinion qui divisaient le pays : jacobinisme et contre-révolution, république et monarchie. S’il les a volontiers transcendés, il a aussi évolué, s’adaptant aux circonstances : au centre gauche en 1799 – 1800, au centre en 1802 – 1804, sans doute au centre droit sous l’Empire, à gauche en 1815, au centre et en pleine ambiguïté en 1848 et en 1851… (5) ». Pour Jean-Christian Petitfils, « le bonapartisme, après avoir hésité sous l’Empire à basculer à droite, représente à partir de 1815 une force de gauche. Ceci explique sous la Restauration l’étroite association du bonapartisme et du libéralisme en lutte contre l’ordre établi (6) ». Le bonapartisme ne peut se défaire de son origine révolutionnaire.
    Son hétérogénéité se manifeste à l’élection présidentielle du 10 décembre 1848. La victoire triomphale, à 75 % des suffrages dès le premier tour, de Louis-Napoléon Bonaparte indique que, « pour une large fraction de l’électorat qui s’est prononcé en faveur du neveu de l’empereur, le vote a une signification protestataire, ou si l’on veut tribunitienne (7) ». D’après P. Milza, les électeurs « ont voté contre la République bourgeoise – à droite parce qu’elle était censée faire le lit des “ partageux ” et de l’anarchie; à gauche parce que ses représentants avaient fait tirer sur le peuple en juin 1848 -, et ils ont opté pour un candidat qui promettait d’associer l’autorité, la grandeur de la nation, le respect de la souveraineté populaire et le souci du sort des plus démunis (8) ». Sans craindre l’anachronisme, P. Milza s’étonne de « ce bric-à-brac d’engagements contradictoires [qui] constituait moins un programme de gouvernement qu’un miroir aux alouettes destiné à rassembler sous le nom du candidat bonapartiste une clientèle hétéroclite dont les intérêts et les inclinations politiques étaient loin de converger. Première mouture d’une stratégie électorale à laquelle auront recours par la suite tous les postulants à l’établissement d’un pouvoir fort d’inspiration national-populiste, en passant par les divers avatars de la contestation ligueuse, la Révolution nationale et les brèves apparitions d’un fascisme à la française. La majeure partie des électeurs du 10 décembre qui ont choisi de voter pour Louis-Napoléon Bonaparte ne l’ont pas fait pour des raisons idéologiques; pas plus que les électeurs du général Boulanger en 1889 ou ceux de Jean-Marie Le Pen en avril 2002 (9) ». On peut retourner l’affirmation : les électeurs du général de Gaulle en décembre 1965 ont-ils voté en faveur du gaullisme ? Ou bien ceux de François Mitterrand, le 10 mai 1981, étaient-ils tous de chauds partisans du Programme commun de la gauche ou, plus certainement, souhaitaient-ils se débarrasser de Valéry Giscard d’Estaing ? L’argument de Milza n’est qu’un poncif éculé !

    Dépassement ou intégration de la dichotomie ?

    La démarche de Milza traduit bien la difficulté qu’ont les historiens à inscrire le bonapartisme sur un axe droite-gauche. Ils ne comprennent pas sa plasticité, son pragmatisme, son adaptation permanente aux événements, d’où son ambivalence paradigmatique. « Le bonapartisme est encore (en 1848 – 1849) un centrisme instable, pouvant aussi bien verser dans un bonapartisme de gauche, populaire, démocratique et anticlérical, que dans un bonapartisme de droite, conservateur, clérical, défenseur de la propriété contre la menace des “ rouges ”. Il ne se confond en tout cas avec aucune des deux traditions de la droite, observe J.-Ch. Petitfils (10). » Cette dualité appartient à la nature même du bonapartisme, d’où une lecture biaisée et simpliste qui en fait le prototype du « populisme », d’autant – circonstance aggravante – qu’il « cherche à s’enraciner dans les milieux populaires en faisant éclater le carcan des cadres traditionnels, en éliminant les influences patriarcales, les liens de la clientèle (11) ». Bref, pour J.-Ch. Petitfils, « voter […] pour les candidats bonapartistes signifie bien souvent voter contre l’emprise des notables et pour le maintien des conquêtes de la Révolution (12) ». C’est un vote d’opposition aux cadres sociaux de la société traditionnelle. On comprend mieux la raison qui incita René Rémond à caractériser sa troisième droite autour d’« un amalgame d’éléments originellement hétérogènes, mais qui a acquis une cohérence et une consistance propre sous le signe de l’autorité et du nationalisme (13) ». Néanmoins, R. Rémond reconnaît que « le bonapartisme n’est ni de droite ni de gauche. Il récuse pour lui-même ces étiquettes et refuse d’entrer dans une classification qu’il entend précisément dépasser et abolir. Reprenant le dessein de son oncle, le prince-président se propose de supprimer les partis qui divisent la nation et veut réconcilier les Français en les tournant vers une œuvre d’avenir (14) ».
    L’ambiguïté du bonapartisme augmente encore quand on se penche sur sa conception de l’État et des rapports sociaux. Prenant acte de la Modernité individualiste et de la perte de sens des communautés d’appartenance traditionnelles, « ce qui prime, aux yeux du futur Napoléon III dans L’Extinction du paupérisme, c’est ce que nous appelons l’intégration des “ masses ” (15) ». Dans cette brochure, on y lit : « Aujourd’hui, le régime des castes est fini : on ne peut gouverner qu’avec les masses; il faut donc les organiser pour qu’elles puissent formuler leurs volontés et les discipliner pour qu’elles puissent être dirigées et éclairées sur leurs propres intérêts (16). » On ne peut que constater que « le bonapartisme se sépare des conceptions libérales, l’évolution naturelle des sociétés ne peut s’accomplir de manière harmonieuse que si elle est organisée et encadrée par une forme de pouvoir qui en assure le plein épanouissement (17) ». Fort de cet étatisme directif et de cet « illibéralisme démocratique » (P. Milza), « Louis-Napoléon n’a pas attendu d’être empereur pour proclamer, dans un texte datant de 1839, qu’ “ un gouvernement n’est pas (comme tels le prétendent) un ulcère nécessaire, mais c’est plutôt le moteur bienfaisant de tout organisme social ”. L’État bonapartiste ne saurait être un simple veilleur de nuit en charge des classiques fonctions régaliennes (défense, justice, sécurité publique, etc.), tels que le souhaitent les défenseurs de l’orthodoxie libérale. Il est appelé à légiférer en matière économique. […] Il a surtout un rôle primordial à jouer en matière de crédit, de commandes et de travaux d’intérêt public (18) ». Napoléon III « assigne à l’État un rôle moteur dans le financement et la gestion de l’entreprise (19) ».

    La vision d’un État interventionniste en économie procède d’un intérêt certain pour la question sociale. Disposant du soutien sans réserve de la population rurale, Napoléon III se préoccupe du sort de la classe ouvrière. Ainsi, « la France s’est trouvée en 1870 dotée d’une législation sociale en avance sur celle des autres États européens et que les mesures prises par l’Empire en matière de reconnaissance des premiers droits des travailleurs n’ont pas été sans conséquence sur l’essor d’un mouvement ouvrier condamné jusqu’alors à manifester ses frustrations et son désespoir par l’unique voie de la rébellion sanglante (20) ». Le droit de grève est reconnu en 1864 et le second Empire encourage ouvertement les associations de solidarité ouvrière, naguère clandestines, et leur « mutuellisme » qui emprunte au proudhonisme et au catholicisme social. N’étonnons-nous pas de retrouver aux obsèques de Napoléon III en 1873, « une petite délégation d’ouvriers parisiens et plusieurs anciens communards chassés de France par la répression versaillaise (21) ». La même année, les mineurs d’Anzin se mettent en grève aux cris de « Vive Napoléon IV ! ».
    Toutefois, « le prince-président, note P. Milza, aurait souhaité faire adopter des réformes en faveur des classes populaires. On envisagea de supprimer l’octroi et l’impôt sur les boissons – impositions indirectes qui frappaient de la même manière tous les consommateurs – pour les remplacer par un impôt sur le revenu. Sous la pression des milieux conservateurs, il fallut vite renoncer à ce projet et à d’autres mesures jugées tout aussi “ démagogiques ” par les nantis : impôt sur la rente, droit de mutation sur les charges, rachat des compagnies d’assurances, etc. Le chef de l’État ne pouvait se lancer dans une politique sociale que réprouvaient ses appuis. L’heure n’était pas au renversement des alliances et Proudhon constatait en mars 1852 : “ Louis-Napoléon est arrêté net dans ses projets socialistes. […] Les banquiers boudent, la bourgeoisie se range du côté de Cavaignac, La Patrie, Le Constitutionnel protestent contre les bruits calomnieux de socialisme gouvernemental et, pour arrêter le président, compromettent ainsi sa politique (22) ». Ces velléités sociales – fort peu autoritaires d’ailleurs – et les quelques réalisations en faveur des classes laborieuses amènent Pierre Milza à reprendre sa grille d’interprétation absconse et anachronique : « Tout cela n’est pas sans relation, certes, avec le socialisme, mais aussi, et davantage peut-être, avec certaines dictatures populistes du XXe siècle. Autorité, étatisme, méfiance à l’égard des classes dirigeantes libérales et de l’idéologie du “ laisser faire ”, intérêt marqué (au moins au niveau des intentions) pour les classes populaires, militarisation du corps social, etc., autant de principes que l’on retrouvera, un siècle plus tard, dans le fascisme (23). » Mais avec quel fascisme Milza souhaite-t-il le comparer ? Le fascisme fondateur (1919 – 1921), on le sait, n’a que peu de similitudes avec le fascisme au pouvoir en Italie entre 1922 et 1943. Quant au fascisme crépusculaire de la « République sociale », sa radicalité et les circonstances de son apparition en font un cas particulier. Milza aurait pu simplement montrer que, comme tout parti dominant, il existe différentes tendances sociologiques (le « Ratapoil » de 1848 n’est pas le fonctionnaire impérial de 1859) et politiques. En 1870, on distingue les « Arcadiens » ou « Mamelouks » qui sont des bonapartistes conservateurs et autoritaires avec Paul de Cassagnac, les bonapartistes libéraux et parlementaristes avec Émile Ollivier, les bonapartistes sociaux fort proches de l’empereur, et les bonapartistes de gauche, jacobins et anticléricaux, conduits par le propre cousin de Napoléon III, le prince Napoléon-Jérôme dit « Plon-Plon » ou surnommé le « Prince de la Montagne » puisque, député en 1848, il a siégé à l’extrême gauche au sommet de l’hémicycle.

    Bonapartisme de gauche, bonapartisme de droite et centrisme bonapartiste

    Jugeant que le bonapartisme n’est ni de droite ni de gauche, E. Borne estime qu’il « donne à ces politiques – dont il n’abolit pas les contradictions réciproques – un je ne sais quoi de flamboyant, de rigoureux, d’extrême, bref de romantique, qui tranche avec les forces classiques de la gauche et de la droite (24) ». Est-ce pour autant entériner la spécificité du bonapartisme ? Non, répond Marc Crapez qui étudie la genèse de la gauche et de la droite en France. Il signale que André Siegfried « sépare de la droite les bonapartistes [… qu’il nomme] “ Gauche indépendante ” (25) ». Pour étayer son affirmation, M. Crapez ajoute que « le bonapartisme est une “ vigoureuse conception gouvernementale, où l’égalité subsiste mais où l’ordre prime la liberté ”. Ses adeptes veulent une “ République consulaire ”, “ démocratiques et autoritaire ”, une “ France, conservatrice parfois, démocratique toujours ”. Le bonapartisme populaire “ est au fond démocratique, égalitaire et anticlérical, quoique fortement porté sur l’ordre et l’autorité ”. […] Au début de la IIIe République, certains candidats bonapartistes vont “ reporter ou laisser reporter leurs voix sur le candidat de gauche ”. En certains endroits du département de la Loire-Inférieure, par exemple, plus d’un bonapartiste préfère “ donner sa voix aux républicains plutôt que d’en faire bénéficier le parti blanc. […] De temps à autre on reparle d’une combinaison où tous les bleus, c’est-à-dire les républicains et les impérialistes, s’uniraient contre les blancs ” (26) ». Ce report de voix de la part des électeurs bonapartistes démontre que « la République décennale et le second Empire, tout comme le premier, développent sur le mode autoritaire les principes de la République modérée (27) ». Plus clairement, s’il est l’« héritier de la Révolution comme son vieil ennemi l’orléanisme, et comme lui visant à la synthèse équilibrée, le bonapartisme s’en distingue à jamais par ses caractères autoritaires et démocratiques (28) ». Allant plus loin dans l’analyse, Frédéric Bluche et Stéphane Rials considèrent d’une manière qu’ils voudraient définitive, que « quelle que soit la méthode adoptée, on aboutit toujours à une négation de la définition droitière du bonapartisme. […] Il y eut toujours des hommes de droite ralliés au bonapartisme ou égarés dans ses rangs, mais sur la longue durée (de l’an VIII à 1870, et même au-delà) le bonapartisme est essentiellement un centrisme. Un centrisme autoritaire. Un centre n’est pas une droite, et surtout pas celui-là (29) ». Un centrisme autoritaire et modernisateur, peut-on préciser. Or M. Crapez conteste l’analyse : « Il ne paraît pas assuré que cet hapax puisse résoudre le problème (sauf à baptiser le fascisme centrisme totalitaire). En effet, si l’on veut bien prêter attention aux pères fondateurs de l’analyse politologique (André Siegfried, Charles Seignobos, Albert Thibaudet), ils perçurent le bonapartisme comme un phénomène hybride, une sorte de “ croisement ” idéologique (30). » Dans l’annexe de La gauche réactionnaire, M. Crapez bouleverse et affine la typologie ternaire émise par R. Rémond. Il met en évidence « la droite conservatrice [qui] entend freiner des évolutions jugées néfastes, sans se laisser intimider par la gauche, tout en détestant la droite réactionnaire. La version libérale est une grande tradition de pensée qui de Tocqueville […] à Raymond Aron, se sent proche du modèle britannique. Le courant impérial est de souvenir bonapartiste ou de copie allemande (Révolution conservatrice). Il souligne que la grande école sociologique allemande est en quelque sorte à mi-chemin de la droite conservatrice libérale et de l’impériale. Ainsi Raymond Aron et, toutes choses égales par ailleurs, Alain de Benoist, peuvent partager nombres de référents (Weber, Pareto, Schmitt, etc.) (31) ». Quand P. Milza considère que le bonapartisme a engendré le national-populisme (Le Pen) et le « démocratisme plébiscitaire » (De Gaulle), il ne donne qu’une opinion convenue et dépassée.

    Le temps de « l’Appel au Peuple »

    On aurait pu croire que l’effondrement du second Empire eût entraîné dans sa chute le bonapartisme. Il n’en est rien. De son exil britannique, Napoléon III nomme le fidèle Rouher (le « vice-empereur » sous l’Empire autoritaire) chef du parti avec la mission de le réorganiser. Élu à l’Assemblée nationale, Rouher met en place une infrastructure militante au nom révélateur : « L’Appel au Peuple ». Il s’appuie sur de puissants journaux Le Gaulois, L’Ordre et Le Pays qui comptent « en 1872 entre un sixième et un quart selon les départements des lecteurs abonnés aux journaux venus de Paris (32) ». Dès 1873, le bonapartisme renoue avec le succès grâce aux élections législatives partielles. Aux élections générales de 1876, les bonapartistes obtiennent « un million de voix, 90 députés (sans compter cinq sympathisants) élus sans aucune pression administrative et une quarantaine de sénateurs, souvent anciens serviteurs de l’Empire (33) ». Ces résultats contredisent R. Rémond qui pense qu’aux débuts de la IIIe République, « le parti bonapartiste négligea de s’organiser en fonction de nouvelles règles du jeu politique et de se constituer en parti de type moderne : il eût fallu se donner des structures fortes et observer une discipline rigoureuse, pour compenser notamment la perte de l’appui administratif qui le dispensait précédemment de se doter d’un appareil en propre. Faute de quoi, les bonapartistes furent obligés de chercher le soutien de notables traditionnels, c’est-à-dire de ceux-là même dont les électeurs manifestaient clairement le désir de s’émanciper (34) ». La poussée de la gauche républicaine contraint les bonapartistes à se tourner vers le conservatisme. Les candidats font campagne en 1876 au nom du Comité national conservateur et représentent « la moitié de la droite (contre 5 % en 1871) (35) ». Désormais, commente F. Bluche, il « est historiquement dépassé. En devenant partie intégrante de la droite, il a perdu sa raison d’être (36) ». Le déclin du bonapartisme s’amplifie avec le brusque décès du prince impérial en Afrique en 1879. Celui-ci sent la nécessité de rénover les principales « idées napoléoniennes ». Outre le recours au plébiscite à l’avénement de chaque nouvel empereur et pour, le cas échéant, le révoquer, Alain Frérejean montre que l’héritier de Napoléon III envisage la division de la France en dix-huit régions chacune pourvue d’un parlement local et d’un budget régional (37).
    Devenu le nouveau prétendant impérial, Napoléon-Jérôme « Plon-Plon » mécontente la frange la plus conservatrice et la plus cléricale de ses soutiens. Une scission s’opère entre ses partisans, minoritaires, constituent les Comités plébiscitaires et les bonapartistes conservateurs et autoritaires qui suivent Victor Napoléon, le fils de « Plon-Plon ». Plus que familiale, la rivalité est d’ordre politique. Faut-il tenir un discours à droite ou à gauche de l’échiquier politique ? Le bonapartisme doit-il rester fidèle à son origine révolutionnaire, devenir un conservatisme issu de la Révolution, une variante française de torysme ou bien se fondre dans la tradition contre-révolutionnaire en lui apportant l’autoritarisme, l’étatisme et le militarisme ? Dépités par ces querelles internes, certains bonapartistes optent pour une solution « providentialiste », le « solutionnisme » ou « n’importequinquisme » : « si la dynastie napoléonienne ne correspond plus aux décisions de la nation, résume F. Bluche, l’appel au peuple peut amener au pouvoir une nouvelle dynastie qui, elle, aura su les comprendre (38) ».
    Quand éclate la crise boulangiste, les instances officielles plébiscitaires jérômistes et bonapartistes victoriens n’apportent pas leur soutien au « général revanche » alors que le bonapartiste de base, tenté par le radical-socialisme, le rejoint, y reconnaissant un style bonapartiste. Dix ans plus tard, au moment de l’affaire Dreyfus, les divergences s’accentuent au sein du bonapartisme. S’il influence en partie le nationalisme anti-dreyfusard en gestation, « c’est en tant qu’il est de gauche et non point conservateur, observe M. Crapez, c’est en ce qu’il s’inscrit dans l’héritage jacobin. Ce sont par exemple les bonapartistes de gauche qui se délectent des clabauderies drumontiennes, alors que les bonapartistes conservateurs y sont très réticents (39) ». L’impératrice Eugènie est dreyfusarde. Le fossé s’élargit entre l’élite (incarnée par la Maison impériale) et la base de plus en plus perméable aux thèses du nationalisme radical (ou « droite révolutionnaire »). L’obsolescence du bonapartisme se poursuit au début du XXe siècle. En 1914, les derniers plébiscitaires se rallient à l’Union sacrée. Après la Grande Guerre, « en dépit de la disparition de leurs principaux organes de presse, dont L’Autorité, certains sont élus députés dans la Chambre » bleu horizon ”, tels Pierre Taittinger – président de l’Union de la Jeunesse Bonapartiste de la Seine – Paul Chassaigne-Goyon, Paul de Cassagnac. En 1923, lors d’un banquet, le comité politique annonce la création du “ Parti de l’Appel au peuple ”, et d’une revue, La Volonté Nationale, dirigée par André Desmaret. De leur côté, les Jeunesses Bonapartistes fondent le groupe des Étudiants plébiscitaires, animé par Roger Giron et Charles-Louis Vrigoneaux (rédacteur en chef de La Revue Plébiscitaire). Le Parti de l’Appel enregistre un net recul lors des élections de 1924, tandis qu’une part importante des militants adhèrent aux Jeunesses Patriotes ou à la Ligue des Patriotes, ressuscitée par le général de Castelnau, créateur de la Fédération nationale catholique. En 1925, la direction du parti est assurée par le duc de Massa, de Rudelle et le prince Joachim Murat, alors que le prince Jérôme meurt l’année suivante. Outre le Parti de l’Appel, le courant bonapartiste compte également l’Association Bonapartiste des Anciens combattants, fondée par Edmond Neveu et A. Dufour, les Jeunesses Bonapartistes qui publient à partir de 1929 L’Aiglon, Les Abeilles, groupement des dames bonapartistes et l’Association des journalistes plébiscitaires présidée par Robert Laënnec. Tant à la Chambre que lors des manifestations nationalistes, les bonapartistes doivent s’associer aux autres mouvements, défilant en 1934 aux côtés des Jeunesses Patriotes, des Croix de feu, de l’Action française, de la Solidarité française et des Francistes de Bucard (40) ».

    Les derniers feux

    En 1940, alors que les cendres de l’Aiglon sont ramenées à Paris sur ordre d’Hitler, le prince Louis Napoléon (1914 – 1997) ordonne la dissolution de toutes les organisations bonapartistes d’audience nationale et participe à la Résistance. Arrêté par la Gestapo, il rejette tout projet de restauration impériale avec l’aide de l’occupant et déclare : « Je suis Français et national ». Après la guerre, du fait de son état de résistant, avec l’accord du président Vincent Auriol et malgré la loi d’exil qui impose aux chefs des dynasties ayant régné sur la France de vivre à l’étranger et qui n’est abrogé qu’en 1951, le prince Napoléon s’installe à Paris. Vers 1957 – 1958, certains de ses partisans essaient de profiter de la déliquescence de la IVe République et de la crise algérienne pour envisager une nouvelle république consulaire. Il en rejette là encore l’idée et apporte son soutien au général de Gaulle. En 1992, le prince impérial appelle à voter « oui » au traité de Maastricht. Deux ans plus tard, il se brouille avec son fils aîné, le prince Charles Napoléon. Comme au temps de la querelle entre Napoléon-Jérôme et Victor, le conflit porte sur une question politique. Cette année-là, lors des élections européennes, Charles Napoléon encourage la liste régionaliste « Régions et peuples solidaires » de l’euro-député sortant Max Siméoni. En réaction, le prince impérial désigne son petit-fils Jean-Christophe (né en 1986) futur chef de la Famille impériale, la règle de succession des Napoléonides étant moins rigoureuse que les lois fondamentales chez les Capétiens.
    En 2001, le prince Charles Napoléon se présente aux élections municipales d’Ajaccio et, s’alliant avec le social-démocrate Simon Renucci, remporte la municipalité au détriment – ô ironie ! – du Comité central bonapartiste. Localement influent, cette structure autonome relève en fait du mouvement chiraquien. Dans les années 1990 existe un Rassemblement bonapartiste qui périclite assez rapidement. À l’orée du nouveau siècle, d’anciens militants de ce rassemblement, en compagnie des membres de la Fédération bonapartiste de Franche-Comté, fondent France bonapartiste (41). Présidé par David Saforcada, c’est un mouvement politique qui continue à réclamer du bonapartisme ! il paraît se positionner sur un créneau assez souverainiste et « républicain ». En matière européenne, il s’apprête à voter « non » au référendum sur la Constitution européenne.
    Finalement, « on doit à R. Michels ainsi qu’à J. Burnham, qui a repris les idées de Michels, d’avoir défini le bonapartisme comme une catégorie particulière du monde politique moderne. Le phénomène du bonapartisme est présenté par ces auteurs comme une des conséquences auxquelles aboutit, dans des circonstances déterminées, le principe démocratique de la représentation populaire, c’est-à-dire le critère politique du nombre et de la masse pure. […] Le bonapartisme, bien qu’il soit l’antithèse de la démocratie, peut être considéré comme son ultime conséquence. C’est un despotisme fondé sur une conception démocratique qu’il nie en fait mais que, théoriquement, il porte à son accomplissement (42) ». Sous des aspects séducteurs, (« populisme », État impartial, recours à l’homme providentiel, dépassement des clivages partisans), le bonapartisme constitue une réplique à cette secousse majeure qu’est la Modernité. Loin d’être anti-moderne, il est au contraire éminemment moderne. Il n’est donc pas surprenant qu’il soit apparu en France. Par bien des aspects, notre pays ressemble à un « Parc jurassique » des idées politiques puisqu’on y trouve tout aussi des bonapartistes que des royalistes, des gaullistes que des communistes, des souverainistes « nationistes » que des gauchistes, des fascistes que des socialistes, des libéraux que des démocrates-chrétiens. Les Français se complaisent dans des stéréotypes politiques désuets et dans des postures idéologiques datées. Longtemps lieu de la confrontation entre les pensées, l’Hexagone n’est plus qu’un dispensaire, un musée ou une vieille maison aux fenêtres cadenassées. Il serait tant de l’ouvrir de nouveau au grand air frais de la postmodernité, de la philosophie communautarienne et du fédéralisme intégral.

    Georges Feltin-Tracol http://www.voxnr.com

    Notes :

    1 : Pierre Milza, Napoléon III, Perrin, 2004, p. 259.
    2 : Frédéric Bluche, Le bonapartisme. Aux origines de la droite autoritaire (1800 – 1850), Nouvelles Éditions latines, 1980, p. 12.
    3 : Idem, p. 10.
    4 : P. Milza, op. cit., pp. 625 – 626.
    5 : F. Bluche, Le bonapartisme. Aux origines…, op. cit. , p. 336.
    6 : Jean-Christian Petitfils, La droite en France (De 1789 à nos jours), P.U.F., coll. « Que sais-je ? », 1983, p. 21.
    7 : P. Milza, op. cit., p. 159.
    8 : Idem, pp. 157 – 158.
    9 : Idem, p. 157.
    10 : J.-Ch. Petitfils, op. cit., p. 42.
    11 : Idem, p. 42.
    12 : Id., pp. 41 – 42.
    13 : René Rémond, Les Droites en France, Aubier, 1982, p. 37.
    14 : Idem, p. 107.
    15 : P. Milza, op. cit., p. 122.
    16 : Louis-Napoléon Bonaparte, L’Extinction du paupérisme, Paguerre, 1844, p. 265.
    17 : P. Milza, op. cit., p. 96.
    18 : Idem, p. 389.
    19 : Id., p. 123.
    20 : Id., p. 406.
    21 : Id. p. 616.
    22 : Id. , pp. 406 – 407.
    23 : Id., p. 124.
    24 : E. Borne, « Contradictions du bonapartisme », France-forum, février 1970, p. 20, cité par F. Bluche, Le bonapartisme. Aux origines…
    25 : Marc Crapez, Naissance de la gauche, Michalon, 1998, p. 78.
    26 : Id., p. 88. Souligné par l’auteur.
    27 : F. Bluche, Le bonapartisme. Aux origines…, op. cit. , p. 338.
    28 : Idem, p. 332.
    29 : Frédéric Bluche et Stéphane Rials, « Fausses droites, centres morts et vrais modérés dans la vie politique française contemporaine », dans Stéphane Rials, Révolution et contre-révolution au XIXe siècle, D.U.C. – Albatros, 1987, p. 44. Souligné par les auteurs.
    30 : M. Crapez, Naissance…, op. cit., p. 281. Souligné par l’auteur.
    31 : Marc Crapez, La gauche réactionnaire, Berg International, 1996, pp. 283 – 284. Souligné par l’auteur.
    32 : René Rémond, Les Droites…, op. cit. , pp. 139 – 140.
    33 : Frédéric Bluche, Le bonapartisme, P.U.F., coll. « Que sais-je ? », 1983, p. 111.
    34 : René Rémond, Les Droites…, op. cit. , p. 146.
    35 : Frédéric Bluche, Le bonapartisme…, op. cit., p. 111.
    36 : Id. , p. 117. Souligné par l’auteur.
    37 : Voir à ce sujet Alain Frérejean, Napoléon IV. Un destin brisé, Albin Michel, 1998.
    38 : Frédéric Bluche, Le bonapartisme…, op. cit., p. 116.
    39 : M. Crapez, Naissance…, op. cit., p. 129.
    40 : Ariane Chebel d’Appollonia, L’extrême-droite en France. De Maurras à Le Pen, Éditions Complexes, coll. « Questions au XXe siècle », 1988, pp. 171 – 172.
    41 : Pour plus d’informations sur l’actualité du mouvement bonapartiste, on peut consulter le site officiel de France bonapartiste : //francebonapartiste.free.fr, et le site très intéressant d’un des cofondateurs de ce mouvement bonapartiste, Christophe Guay : www.bonapartisme.monsite.wanadoo.fr. Signalons qu’il existe un Parti bonapartiste néerlandais. Serait-ce l’ébauche d’une nouvelle Internationale ?
    42 : Julius Evola, Les hommes au milieu des ruines, Guy Trédaniel – Pardès, 1984, pp. 75 – 76.

    source : http://www.europemaxima.com/

  • AFFAIRE CAHUZAC La gauche mondialisée

    L’affaire Cahuzac symbolise, à certains égards, la "mondialisation" de la gauche, qui s’est définitivement détournée d'un socialisme enraciné, au point de faire cause commune avec l’UMP.
    Arnaud Montebourg, L'Écho républicain, 7 juillet 2011 : « Je suis désolé, il y a un système affairiste au sein du Parti socialiste qui n'a rien à voir avec le socialisme. » Assurément, depuis l'affaire Urba, apparue sous le premier septennat de Mitterrand, un affairisme récurrent caractérise les socialistes et leur conception du pouvoir comme leur rapport à l'argent.

    Trahison du pays réel
    On ne peut que souscrire aux paroles du ministre du Redressement productif, lesquelles ont été subliminalement reprises, en écho, par Jean-Luc Mélenchon, le tonitruant coprésident du Parti de gauche qui lança à la face d'un Jérôme Cahuzac, ministre délégué au Budget, peu à l'aise, qu'il représentait « la vieille gauche sociale-libérale ». Sans tomber dans une trop longue exégèse, précisons tout de même que Mélenchon est loin, très loin de pouvoir se réclamer d'une gauche plus authentique que celle de son contradicteur. Si ce dernier semble approuver le ralliement de son parti au libre-échangisme mondialisé, le premier, qui prône la régularisation de tous les clandestins et l'assouplissement des conditions d'accès à la nationalité française, se fait également le chantre d'un communisme de marché dans lequel les immigrés tiennent le rang d'armée de réserve du capitalisme, pour paraphraser Marx. Et c'est bien là le problème. La gauche radicale ou socialiste contemporaine française n'a plus rien à voir avec le mouvement socialiste ouvrier tel qu'il est né dans la première moitié du XIXe siècle. Dans Le Complexe d'Orphée, Jean-Claude Michéa explique comment le socialisme s'est littéralement et définitivement perdu dans un compromis hasardeux avec la gauche dite républicaine, au moment de l'affaire Dreyfus : « en acceptant ainsi de se mêler, pour la première fois de son existence, à la guerre civile bourgeoise » contre les "blancs" antidreyfusards, « le mouvement socialiste français venait donc de sceller l'acte de naissance de la gauche moderne. [...] Il ne faudrait alors que quelques décennies à l'historiographie républicaine pour conférer à ce nouveau clivage ("rouges" et "bleus" enfin réconciliés sous le drapeau unitaire de la "gauche" contre les "blancs" de la "droite" et de la Réaction) la dignité rétrospective d'une vérité éternelle. » La droite de gouvernement n'est pas en reste dans ce que l'on pourrait appeler l'appropriation privée de la chose publique. Mais lorsque c'est la gauche donneuse de leçons et incarnation autoproclamée du Bien que l'on prend la main dans la confiture, l'affaire prend un tour autrement plus scabreux. La trahison des classes laborieuses est consommée !
    Qui oserait soutenir que l'UMPS (avatar de ces anciens États confédérés que furent, le PC «F», le PS, le RPR et l'UDF) n'est pas en collusion systémique et que là où les moutons d'électeurs croient voir de l'alternance, il n'y a, en réalité, qu'une absence d'alternative ? Si la monarchie, comme toute institution humaine, n'est pas la panacée, il convient de reconnaître qu'elle tient ses serviteurs un peu mieux éloignés que les autres des forces centrifuges de l'accaparement clientéliste.

    Des vices décuplés
    Dans Mes idées politiques, Charles Maurras écrivait ces phrases fortes et d'une confondante évidence : « Corrompu, corrupteur, c'étaient les vices du prince. Ils ne découlaient pas du principe [monarchique]. Lui mort, il suffisait qu'un prince honnête et modéré lui succédât pour que l'intégrité reprît ses droits. Au lien qu'en démocratie l'élu peut être vertueux, il n'en est pas moins le produit et le producteur, l'effet et la cause de la ploutocratie souveraine. Elle l'a fait nommer, il la soutient donc, elle régénère son autorité en faisant renouveler son mandat, et la défend de son mieux contre la justice et contre la nation. » En épousant le dogme du marché, les néo-socialistes marchent à contre-courant du peuple et de la patrie et inoculent, à l'un comme à l'autre, les terribles poisons du sans-frontiérisme, du transgenre indifférencialiste et du consumérisme hédoniste. Ils ont tout trahi, au point d'en avoir perdu le sens commun. Cette « common decency » décrite par Georges Orwell, qui fait défaut à notre oligarchie hors-sol, demeure fondamentalement la chose la mieux conservée par le pays réel, ainsi que l'ampleur de la manifestation contre le "mariage" homosexuel l'a bien montré ce dimanche 13 janvier.
    Aristide Leucate Action Française 2000 du janvier-février 2013

    
aleucate@yahoo.fr

  • Bernays, ou la révolution du spin

    L’indispensable Consciences sous influence de Stuart Ewen – dont la réédition devient plus urgente que jamais – révèle les prodromes du dol patent des décideurs de réduire les hommes au stade de servo-mécanismes actionnables et dirigeables à merci. A l’époque étudiée, maîtriser les masses impliquait la création d’une mentalité mécanique, aux réactions prévisibles et dénuées d’autonomie. L’idée de changement était implantée symboliquement dans l’esprit des sujets. Le consommatisme devait permettre la satisfaction des pulsions tout en assurant le contrôle social. Bref, depuis près d’un siècle la publicité a cherché une méthode scientifique d’influence psychique.

    Dans ce domaine, le pionnier de l’ingénierie sociale fut incontestablement Edward Bernays. Neveu de Freud et lecteur de la Psychologie des foules de Gustave Le Bon, il comprit avant l’heure les mécanismes régissant le comportement humain. On peut d’ailleurs regretter que pratiquement aucun de ses livres ne soit traduit en français, pas même celui dont fut tirée la célèbre formule de « fabrication du consentement » (The engineering of consent). Promoteur d’un « capitalisme cynique », selon Christian Salmon, il anticipa sur les manipulations de masse omniprésentes amenées à se développer pour s’en faire le héraut et le praticien. Il conçut le spin (1), cette propagande de la com’ qu’il rebaptisa « conseil en relations publiques » afin d’en améliorer l’image dans l’opinion.

    Phallus et lard fumé

    Bernays fut sollicité dans divers domaines. L’une de ses opérations de com’ la plus célèbre reste la récupération de la demande d’égalité des féministes. En 1929, l’American Tobacco Company souhaitait pousser les femmes à fumer pour augmenter ses profits et fit donc appel à lui. Ce dernier organisa l’opération « torches de la liberté ». Dix femmes allumèrent une cigarette en pleine rue un dimanche de Pâques pour lutter contre la discrimination sexuelle. Rapporté en une des journaux, l’événement réussit son objectif et les femmes furent autorisées à fumer publiquement (à avoir elles aussi leur symbole phallique). Syndrome mai 68, des activités à première vue relevant d’un désir de liberté avaient été créées en amont « à des fins de profit ou de conditionnement sociopolitique ». Résultat ? Chesterfield tripla ses ventes en quelques mois. Autre exemple d’opération marketing : l’image du petit-déjeuner traditionnel américain à base d’œufs et de bacon, construction fallacieuse demandée à Bernays par les producteurs de lard fumé. En réalité, en 1924 les Américains prenaient des toasts et du café à leur petit-déjeuner.

    Par d’habiles jeux de langage, Bernays détournait l’attention de la signification réelle d’un concept et de sa traduction en actes. Il remarquait à ce titre qu’il fallait créer l’adhésion en faisant appel à une forte charge émotionnelle. Il citait dans Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie le cas des hôpitaux militaires britanniques durant la Première Guerre Mondiale. Pour répondre à une opinion publique indignée par le traitement que l’on y réservait aux soldats blessés, ces hôpitaux furent rebaptisés « postes d’évacuation » : aucun changement structurel mais neutralisation de la critique.

    Précisons que dans son ouvrage, il encense la propagande, passée dans les mains de ses clients, les industriels et publicitaires, « sages » qui représentaient un « gouvernement invisible ». Les contrôles comportementaux induits par la nouvelle économie représentaient d’ailleurs, à ses yeux, une « Déclaration d’indépendance » à l’égard de la démocratie populaire – comprendre « populiste ». Selon Ewen, Bernays « saluait la venue d’une propagande d’entreprise, qui plaçait entre les mains anonymes des publicitaires de la Madison Avenue la responsabilité de définir l’univers du discours politique. »

    Décognition et ingénierie des perceptions

    Mais l’intérêt que représente Bernays dépasse le simple cadre du consommatisme. Il trouve son application dans le domaine politique. D’une part, dans la propagande électorale, ou la réification des citoyens fait partie du jeu (grégarisme, émulation, soumission à l’autorité, etc.), et que le plus manipulateur gagne. D’autre part, en géo-ingénierie pour la CIA contre les non-alignés d’Amérique latine (« révolution colorée » de 1954 au Guatemala, 200 000 morts).

    La méthode ? Fusion du marketing et de la politique, inspiration par les procédés commerciaux mis au point par l’industrie. Le pro-Bilderberg Chomsky résume le fond de la question : « La propagande est à la démocratie ce que la violence est à un État totalitaire. » Il ne s’agit que de la mise en adéquation d’un procédé à un système donné. Dans une société massifiée, le contrôle a été remplacé par la simple gestion des groupes sociaux. Le débat d’idées a été remplacé par l’étude de stimuli-réponses en laboratoires puis des apports du cognitivisme (neuro-marketing, etc.). Anticipant la systémique, Bernays constatait effectivement l’organicité de la société, méta-cellule composée d’une multitude de cellules au sein d’un dispositif social : « Excitez un nerf à un endroit sensible, et vous déclencherez automatiquement la réaction d’un membre ou d’un organe précis. »

    Les héritiers intellectuels du mathématicien Bertrand Russell s’inscrivirent dans cette optique. L’Institut Tavistock, explique David Christie, cherchait à créer une psychologie de masse par la découverte des effets de l’exposition à des bombardements intensifs (shell shocks), et créer une névrose de guerre chez des populations (stratégie du choc). Des traumatismes volontairement créés chez le groupe-cible centralisent progressivement les organes décisionnaires du système en place et le poussent à abdiquer sa liberté au profit de davantage de sécurité (au niveau médiatique, la télévision pour le choc des images, la radio celui des mots, la presse écrite pour celui des titres). La technique de l’Institut Tavistock était systématique : stresser l’individu psychiquement et physiquement puis le soulager. Tension et détente s’alternaient, pour que cette perturbation chronaxique finisse par détruire la résistance du sujet. (2) Nous retrouvons ici l’explication de Bernays relative aux mécanismes opératoires de la nouvelle propagande, qui passe par l’émotionnel et le psychologique pour atteindre la cible.

    L’attaque ne se fait pas de front, pour éviter tout risque de schismogenèse, mais procède par suppression de la résistance, via l’incitation, la subversion, la corruption sensorielle. Les patients étaient ainsi « reprogrammés ». Une sous-personnalité de l’homme, ce « divisé » (voir Neuro-Esclaves), laissait place à une autre. Par la recherche du consensus, l’individu, potentiellement agent de diversité, devenait agent de conformité, schéma à l’œuvre dans la destruction des valeurs traditionnelles par la nouvelle économie consommatiste.

    Année après année – jusqu’à aujourd’hui – les progrès en sciences sociales, psychologie et cognitivisme ont poursuivi leur décryptage de l’homme, tant dans sa partie rationnelle qu’émotionnelle, tant individuellement que collectivement. Loin d’être de simples essais-et-erreurs expérimentaux, poursuit Christie, ces techniques employées furent reconnues comme étant réellement efficaces par l’Empire britannique. Aujourd’hui, les apports de la systémique (avec notamment les connaissances sur les organismes dynamiques) et de la théorie du chaos (l’ordre déguisé en désordre avec par exemple l’attracteur de Lorenz, l’effet papillon comme « métaphore de la prévisibilité d’un désordre à l’état pur », l’application isomorphique de la géométrie fractale de Mandelbrot aux organismes dynamiques, i. e. l’invariance d’échelle, une symétrie qu’on retrouve quelle que soit la taille de l’organisme considéré) laissent en outre supposer que les lacunes des travaux de Tavistock ont été plus que comblées.

    Revenons à Bernays et son ingénierie sociale. Didier Lucas et Alain Tiffreau la qualifient d’ingénierie des perceptions (perception management), « action consistant à fournir et / ou à camoufler une information sélectionnée et des indices à des audiences étrangères de façon à influencer leurs émotions, leurs motivations et leurs raisonnements objectifs. » La désignation d’un candidat est censée répondre au souhait du peuple, mais en réalité, notre liberté de choix est restreinte car les chefs publics agiraient sur ordre d’hommes de l’ombre. Ce candidat aura dans les faits « été choisi par une dizaine de messieurs réunis en petit comité. » (3) L’objectif vendu est l’organisation du chaos. Pour gouverner de manière stable, ce gouvernement invisible cherche à simplifier la pensée collective (opérer la décognition générale), via l’omniprésence de la propagande, « tout effort organisé pour propager une croyance ou une doctrine particulière », arme des minorités actives. Le double discours de Bernays est représentatif de la propagande dite grise, privilégiée dans les opérations d’ingénierie des perceptions. Cette dernière laisse subsister le doute en mêlant des informations vraies et fausses pour mieux faire passer les fausses.

    Par exemple, Bernays expose que la généralisation de l’instruction n’a pas élevé les capacités intellectuelles de l’homme, lequel reste tout autant perméable aux discours. Il omet toutefois de mentionner la destruction de l’esprit critique et l’imposition d’une culture de masse qui requiert justement, pour se pérenniser, « l’enseignement de l’ignorance » mâtiné de tittytainment. Bernays passe ainsi sous silence la volonté Métamètis d’« abaissement du seuil de maturité psychique », dépolitisant et créateur de docilité.

    Au contraire, la propagande qu’il vante aurait certes pour but d’infléchir les comportements mais en s’appuyant sur la vérité (propagande blanche). Elle serait le meilleur moyen de mobilisation des masses. Déjà utilisée en temps de guerre, elle constituerait une extension naturelle au civil en temps de paix. Mais derrière la fausse autonomie tant glorifiée (du style « le pouvoir pliera grâce à notre manif République-Bastille-Nation »), Bernays néglige de préciser qu’il faut y opposer le pouvoir de contre-offensive de l’ingénierie sociale et la désinformation de la multiplicité des supports de propagande, généralement détenus par ses clients les plus riches et influents, les réels « faiseurs d’opinion ». Le summum de la mauvaise foi est atteint lorsque l’auteur de Propaganda écrit que « la propagande est un outil puissant pour contrer la publicité immorale ou déloyale », alors que le spin est précisément fondé sur la manipulation pour arriver à ses fins. Charles Prats le résume en dénonçant que la propagande « fait semblant de s’adresser à notre intelligence mais atteint son maximum d’efficacité quand elle vise nos facultés irrationnelles. » Marco Della Luna et Paolo Cioni le notent dans leur brillant et exhaustif Neuro-Esclaves : Bernays lança la méthode de financement des recherches scientifiques censées démontrer l’effet bénéfique d’un produit lambda, pratique reprise des multinationales. Il suggérait la présence d’un tiers, non partie prenante, pour garantir la crédibilité de l’information. Il créa de ce fait plusieurs instituts et fondations… en réalité financés par les industriels désireux de garantir une image positive de leurs produits.

    Storytelling

    Loin d’être tombée en désuétude, cette méthode de propagande n’a eu de cesse de se perfectionner pour aboutir à la création du storytelling, apparu aux États-Unis au milieu des années 1990. Il représente aujourd’hui, selon le colonel Harbulot, « la clé de la victoire ». Christian Salmon, dans son étude de ce phénomène devenu institution, a constaté un mariage entre le Pentagone et Hollywood afin de mettre au point de nouvelles méthodes d’entraînement des soldats. Le terme de spin a été inventé par les conseillers de Reagan en 1984. Le journaliste-Bilderberger William Safire le définit comme « la création délibérée de nouvelles perceptions et la tentative de contrôler les réactions politiques. » Par conséquent, les spin doctors « se définissaient donc comme des agents d’influence qui fournissaient arguments, images et mise en scène afin de produire un certain effet d’opinion souhaité. »

    Dans le storytelling, un récit est mis en scène, raconté de manière à entraîner l’adhésion. La confrontation politique disparaît au profit du duel d’histoires fabriquées ou amplifiées pour prendre le pouvoir et l’exercer (le sanguinaire Poutine, l’ogre Bachar Al-Assad, le concentré de Zyklon-B Ahmadinejad, mais aussi les pôvres Pussy Riots et les innocentes Femen victimes des hordes fascistes, ou encore les conneries de Steve Jobs l’homme-qui-s’est-fait-tout-seul).

    Il n’est cependant pas nécessaire que l’histoire soit vraie ; celles de Reagan étaient majoritairement fausses. D’après Salmon, la présidence Sarkozy s’est appuyée sur le même procédé, aboutissant à une « narrachie », présidence narrative. Pour Richard Rose, « la clé d’une présidence postmoderne est la capacité à conduire (ou à fabriquer) l’opinion. Le résultat en est une sorte de campagne électorale permanente. » Cette Métamètis vise à manipuler la perception des sujets, transformés en simple audience, au travers d’une fictionnalisation du réel, d’une impossible dissociation entre le sensible et le virtuel. En outre, les spin doctors sont désormais des story spinners : ils aident à la création d’histoires et à la réflexion quant aux meilleurs moyens de les diffuser.

    La propagande héritée de la méthode Bernays a évacué argumentaire et programmes au profit de la création de personnages et de leur mise en récit. La clé du succès repose sur la capacité à mobiliser en sa faveur, dont le storytelling est l’arme la plus efficace. La plausibilité supplante la pertinence, et l’information se fait contre l’information via la construction d’une réalité nouvelle. Les diverses caisses de résonance qui relaient indistinctement et en permanence tant les rumeurs que les fausses nouvelles et les manipulations en garantissent l’effectivité.

    La même méthode est utilisée en entreprise. Rodin diagnostique le manager comme atteint du syndrome du magicien : volonté farouche d’influencer ; peur d’être sans effet ; recours incantatoire à des formules simplistes ; discours d’autorité empreint de fatuité ; désir de manipuler les esprits ; prétention d’être le relais d’une volonté supérieure. La systématisation du storytelling permet de contrôler les sujets puisqu’il permettra, par sa généralisation et sa banalisation, d’habituer chacun à raconter une histoire et donc de récolter en amont de nombreuses informations utiles pour mobiliser et faire accepter des changements ; en somme, fabriquer le consentement. Merci Bernays.

    Notes :

    (1) Normand Baillargeon le définit comme « la manipulation – des nouvelles, des médias, de l’opinion – ainsi que la pratique systématique et à large échelle de l’interprétation et de la présentation partisanes des faits ».

    (2) Dans Le viol des foules par la propagande politique, Tchakotine définit la chronaxie comme la vitesse fonctionnelle constante propre à chaque système nerveux. Elle est son seuil d’excitation au sein de récepteurs donnés. Sa modification, par une chronaxie de subordination, produit une action sur le nerf sensitif. Une chronaxie longue provoque l’inhibition des réactions du sujet, tandis qu’une chronaxie courte l’excite.

    (3) Daniel Estulin rappelle dans sa Véritable histoire des Bilderbergers que depuis plus de soixante ans, candidat républicain comme candidat démocrate sont membres du Council on Foreign Relations (CFR). Tout risque de candidature dissidente sérieuse est ainsi parfaitement écarté.

    Scriptoblog

  • La droite est morte, vive la droite !

    En un demi-siècle, la droite n'a guère renouvelé ses cadres, encore moins ses idées. Les bonnes volontés ne manquent pourtant pas, mais rien d'enthousiasmant ne vient les soulever. Pas de projet, que des rejets. Si avec tout cela, la droite n'est pas encore morte, c'est miracle. Quoi qu'on pense des conservateurs américains, force est d'admettre qu'en un peu plus de trente ans, ils sont parvenus à retourner l'opinion outre-Atlantique. Comment ? En renouvelant d'abord une garde-robe mitée. Puis en pensant à nouveaux frais un monde qui avait changé. C'est pas compliqué de faire une révolution conservatrice. Qu'attendons-nous ?

    Ideas matter : les idées comptent. C'est l'une des antiennes les plus connues du conservatisme américain. Et c'est sur cette conviction que ses têtes pensantes ont refait, durant les années 70 et 80, une grande partie de leur retard sur des progressistes tendance Berkeley, trop convaincus d'incarner pour toujours le sens de l'Histoire. Inconscients de la reconquête qui s'annonçait, endormis par leurs illusions, les avant-gardistes négligèrent de rouvrir leurs manuels de philosophie et de science politique : la guitare, c'était plus fun. Discipline par discipline, colloque par colloque, débat par débat, ils en arrivèrent ainsi à perdre pied face à une droite morale et pratique, plus conséquente et mieux charpentée, dont le travail de fond lui permit de gagner rapidement en assurance et d'assumer plus sereinement sa propre vision du monde.
    L’opinion publique, elle, sut vite gré aux conservateurs de lui présenter une réflexion exigeante et consistante. Le succès politique suivit, dans la foulée de la «Révolution Reagan ». Le plébiscite des urnes fut une manière pour les électeurs de faire savoir - avec un peu d'agressivité - qu'ils n'étaient pas seulement une bande de névrosés réactionnaires attendant des élites progressistes qu'elles les sauvent de leurs préjugés en les coupant de leurs racines, mais plus simplement des adultes aptes à lire, comparer, observer et juger de l'écart entre les discours et la réalité. L'intérêt de cette reconquête (ou de cette rédemption) idéologique du peuple de «droite» aux États-Unis n'est invalidé ni par la débauche de «communication» inhérente à la rhétorique reaganienne, ni par l'émergence plus tardive des néo-conservateurs, anciens gauchistes qui sont à la vraie droite américaine (tout étant relatif) ce que Bernard Kouchner est au gouvernement Sarkozy. En ce temps-là, il y eut, réellement, une reprise de l'initiative intellectuelle à droite de l'échiquier conceptuel américain ; un blitzkrieg métapolitique.
    La récente victoire d'Obama ne remet pas en cause ce phénomène, pris sur le temps long. Car la victoire de l'enfant de Chicago (et autres lieux) doit beaucoup, avant tout, à l'ineptie bushiste en matière de politique étrangère, mais aussi à l'orgie obscène dans laquelle s'est vautré pendant quinze ans le capitalisme financier américain, orgie applaudie à tout rompre, d'ailleurs, tant par les démocrates que les républicains, avant que tous, effarés, ne se voient brusquement rouler aux enfers de la récession. Cette victoire du Président métis ne s'est pas jouée sur une remise en question fondamentale des acquis intellectuels et moraux hérités du nouveau conservatisme US, mais sur la meilleure réponse à apporter à la crise économique qui secoue l'Amérique. Quant aux acquis intellectuels du conservatisme américain, solidement implantés, ils continuent à structurer l'échiquier politique, du débat sur l'avortement à la remise en cause de la discrimination positive, du renouveau du patriotisme aux passes d'armes sur la légitime défense. Malgré l'hystérie passée d'Obamania, un examen attentif des professions de foi des élus démocrates au Congrès achève d'ailleurs de balayer toute idée de raz-de-marée progressiste -tel que l'entendent les Européens - aux États-Unis.

    Sans forme, pas de fond qui tienne
    En termes de rapports de forces métapolitiques, et malgré tout ce qui nous sépare culturellement de lui, on doit donc constater que le conservatisme américain a construit du solide - je ne dis pas forcément du vrai. Comment ? Il fallait d'abord pour opérer cette cristallisation que les conservateurs deviennent crédibles et attirants : des idées et une image. En adoptant une posture s'attachant sérieusement au fond, leurs intellectuels ne commirent pas l'erreur de négliger la forme. Dans le cadre turbulent des années 70, William F. Buckley, Alan Bloom et les autres accompagnèrent leur offensive intellectuelle d'une stratégie extrêmement moderne de présentation et de séduction, portée par des cercles de réflexion innovants, percutants et sachant jouer du décalage, de l'humour et de l'insolence. Disons pour faire court qu'ils se mirent aussi à la guitare. Ils avaient tout compris. L'intelligence des garçons et des filles de 18-19 ans qui hantent les campus n'est, à tout prendre, qu'un créneau de cerveau provisoirement disponible, un marché comme un autre, qui repose sur un enthousiasme, un appétit de vivre et une radicalité rafraîchissante, à la merci du premier bouquin un peu stimulant ou du premier discours construit venu.
    À force de paradoxes brillants et de blagues philosophiques balancées d'un air détaché en jouant sur le manque d'humour conscientisé et prétentieux des libéraux - ces derniers lisant assidûment les structuralistes français, c'était facile de se moquer -, ces intellectuels conservateurs attirèrent petit à petit à eux de jeunes chercheurs, universitaires, écrivains et journalistes qui, s'ils avaient eu devant les yeux le spectacle de vieux croûtons réacs tournant en rond, ressassant leurs obsessions et racontant leur guerre, auraient été voir ailleurs et fissa. Après coup, on appelle ça une « génération intellectuelle de droite» en oubliant que rien, en ce domaine, n'est jamais spontané. Une pensée doit séduire avant de convaincre, et il vaut mieux que l'aphorisme précède le syllogisme. Cette hiérarchie n'est pas morale, disait en substance Socrate à Gorgias, mais pour arracher un jeune « desouche » à son i-phone, il faut sans doute en passer par là. Intellectuellement, si l'on danse, c'est que la mélodie est bonne (Nietzsche était un excellent joueur de piano). Il est toujours temps, ensuite, de s'intéresser à la partition.

    Qui diable a envie de s'habiller comme son arrière-grand-père ?
    Cette reconquête ne fut pas une partie de plaisir. On le sait : le reproche le plus handicapant qui soit pour la pensée de droite est le soupçon de ringardise que la gauche lui ressert régulièrement, sur l'air connu : le conservatisme s'appuie sur la tradition, qui fait référence au passé, qui s'oppose au présent donc à la vie. Qui diable a envie de penser et de s'habiller comme son arrière grand-père, demande la gauche avec l'assurance d'être entendue ? Tout ce qui vit doit s'adapter. CQFD. « Ringards » : une arme de destruction massive qui pétrifie régulièrement des conservateurs trop pusillanimes pour déconstruire ce type de sophisme. Or, le petit noyau post-Vietnam de penseurs et d'intellectuels américains « de droite » a été assez habile pour ne pas subir ce rapport de force, mais pour le retourner à son profit en renvoyant l'accusation de ringardise à la gauche. De la critique de la discrimination positive et de l'apologie des valeurs chrétiennes traditionnelles pour les conservateurs classiques, jusqu'au « wilsonisme botté » des néo-conservateurs eux-mêmes, la mouvance conservatrice et para-conservatrice américaine a su, malgré des tiraillements et des chamailleries internes importantes, imposer ses choix (quoi qu'on pense de ces derniers) comme des idées neuves, plus en phase avec la marche du monde que les nuées des libéraux.
    Plus important encore, et qui devrait nous fasciner : elle a réussi, par cette stratégie, à faire école, à transmettre une envie à sa propre relève, des trentenaires qui ont considéré qu'au lieu de céder à la pression d'une époque permissive il valait la peine de se battre pour des idées exigeantes certes, mais vivantes et stimulantes. Des idées, du foutre, du mouvement : ça facilite les vocations. Buckley est mort, mais ses descendants continuent d'écrire. Précisons bien entendu que tout ceci est arrivé en Amérique, sur une terre où droite et gauche (conservateurs et libéraux) partagent la même idéologie du progrès et la même révérence pour la démocratie et le capitalisme. Le contexte de contre-insurrection intellectuelle conservatrice que nous venons de décrire est donc, reconnaissons-le évidemment, tout à fait spécifique, et non transposable totalement à une situation française (et européenne) à la fois plus polarisée et plus nuancée. Pour autant, et malgré les impasses provisoires auxquelles le néo-conservatisme trotsko-likoudiste a conduit le conservatisme historique américain, l'histoire de ce retournement (ou de ce rééquilibrage) demeure plein de leçons pour nous. Voici pourquoi.

    L'audit inquiétant de la droite française
    Les récentes élections régionales, quelque roboratives quelles aient pu être perçues, ne doivent pas faire illusion. « Ça repart », oui. Mais vers où, et comment ? Nulle part en réalité, tant que la droite nationale française restera intellectuellement ce qu elle est : une coquille vide. D'abord, le socle, et donc une question préalable : de quels atouts dispose cette famille d'esprit ? Influence ? Zéro. Finances ? Zéro. Crédibilité ? Unité d'action ? Soyons sérieux. Ses publications sont en phase terminale, à part quelques titres dont la qualité ou l'originalité motive encore un lectorat par ailleurs sursollicité. Ses sites Internet - sauf cas rarissimes (Zentropa, F. de Souche) - sont peu professionnels ou, s'ils le sont, ne sont ni glamour, ni à jour. Les visiteurs se défoulent, faute de mieux, sur des forums mal modérés. Beaucoup de ses grilles de lecture sont datées (moins que celles du parti socialiste et de la mouvance antifasciste, chez qui l'inculture du renégat culturel le dispute au grotesque du bourgeois libertaire, mais tout de même).
    Seule richesse : ses militants, leur rage de vivre debout, leur générosité. Mais ces derniers sont éparpillés, et se soucient davantage de taper sur le copain d'à côté que de réinventer un monde, ou plus modestement de critiquer efficacement la politique gouvernementale et l'inanité intellectuelle du sarkozysme. Les talents non coordonnés de la Droite nationale, de la Réaction, de la Tradition - et autres entités à elles apparentées - exécutent une danse brownien-ne permanente autour de leurs ego majuscules. Dans ces conditions, la génération qui serait censée reprendre le flambeau intellectuel de cette famille d'esprit -exsangue et suffisamment apathique pour avoir laissé Nicolas Sarkozy récupérer ses thématiques en 2007 sans lui sauter à la gorge-devra être plus que motivée : héroïque.
    Ne doutons pas de la conviction et de la résolution de la relève qui se prépare, mais interrogeons-nous cependant sur la pérennité de ce qui prétend se rebâtir, régionales ou pas, sur des fondations pourries. Au lieu de se détendre et de boire frais, certains en arrivent même à perdre leur sens de l'humour, usant leurs maigres forces dans de picrocholines querelles où l'on contemple, effaré, de jeunes droitistes talentueux s'interrogeant gravement lors de conciles tenus à trois dans une cabine téléphonique. C'est amusant. Deux minutes. À force de faire le styliste, on finit en stylite. Les militants et les tâcherons ne faisant pas profession de purisme excessif admirent de loin les arabesques conceptuelles de ces Tertullien en Ioden, avant de prendre la tangente en haussant les épaules.

    Formation d'abord !
    Autre point douloureux : l'envie. Dans notre société individualiste, la chaire est faible parce que la chair est faible ; on manque d'orateurs et d'intellectuels parce que cela ne rapporte plus assez : l'Avenir de l'Intelligence avait déjà résumé ce débat. C'est décevant mais c'est ainsi: l'héroïsme sans compensation a des limites. Et quelles que soient les protestations plus ou moins convaincantes des matamores qui plastronnent bannière au vent, que peut aujourd'hui proposer la droite nationale à ses fidèles, sinon un dévouement systématique, sans résultats et sans horizon ? Ce n'est pas très grave dans l'absolu, mais il faut être conscients que cela durera longtemps, à vue de nez. Les traversées du désert peuvent durcir, et former des apôtres. Mais lorsque ces derniers ont quelque chose à croire et espérer. Dans le cas contraire, les traversées du désert ne fabriquent que des scissions, des abandons, des aigris, des dépressifs, ou des ratés. Pas de quoi attirer les vocations d'intellectuels organiques. Certains choisiront de considérer cela comme une saine tradition - le désespoir en politique est une sottise absolue - et serreront les dents en attendant que ça passe : le militant national est dur au mal, et saura faire tout son devoir en attendant un autre deuxième tour surprise aux élections présidentielles. On peut aussi commander une bière, s'asseoir ensemble et chercher des solutions moins cons : la vie est courte et Sarkozy convaincant, il l'a prouvé.
    La seule alternative raisonnable, en dehors de prêcher par l'exemple (familial en particulier) et sans rompre avec le combat quotidien, semble bien de faire comme les Prussiens après 1806 : se former.
    D'abord, peut-être, différencier thématiques, valeurs et idées : c'est sur cette confusion que Sarkozy a réussi son hold-up à droite (et chez les bourgeois de gauche). Pour la famille d'esprit « national », cela revient à une formation de fond, une remise à neuf des moyens d'influence, de l'arsenal idéologique, des thématiques, des réseaux, des médias de droite nationale (on ne peut plus incriminer le «complot» pour être petits et médiocres, Internet est libre). Certains vieux titres et réseaux disparaîtront ? Fors la reconnaissance que nous devons aux anciens, ce n'est pas une tragédie. Il a bien fallu un jour - c'était au XIXe - que le Gaulois, le Soleil et l'Univers mettent la clé sous la porte. Paix aux cendres presque refroidies de leurs épigones.
    D'autres canaux d'information, retrempés et plus inventifs, demeureront. De nouveaux porte-voix naîtront, qui renouvelleront sûrement l'intérêt du public pour le diagnostic droitiste, confirmé par tous les événements. Le temps travaille pour nous. Mais pour bien négocier les prochains tournants, les dix ans qui viennent devront être mis à profit pour former une génération à la dialectique, à l'histoire des idées politiques, à l'argumentation médiatique, à une vision dépoussiérée de la dichotomie droite-gauche, à la théorie économique, aux langues étrangères, à la communication, etc. En conservant nos fondamentaux, mais sans crispations puériles (il vaut mieux connaître Gary Becker - et savoir le critiquer - que d'apprendre à réciter les Poèmes de Fresnes à l'envers).

    Rajeunir les cadres, dépoussiérer les meubles
    Et surtout - surtout - sans stratégie de boutique ni morgue intellectualiste pour puceaux de parvis (laissons ça aux jeunes de gauche, rebelles bavards et subventionnés). Une fondation Terra Nova de droite nationale? Ce serait un début. Limiter à 60 ans « l'âge des capitaines » dans les mouvements « nationaux » ? Ce serait intéressant : voir la pyramide des âges du Vlaams Belang. Et pour le financement, ma foi, il a existé des cimentiers généreux, on trouvera bien des solutions pour payer ce travail intellectuel de rénovation. Internet ? Notons, en cette année 2010, la façon assez swing qu'a eu Barack Obama de prouver que le recours à la générosité populaire peut payer lorsqu'on est capable d'inspirer un espoir crédible. Voilà pour les fonds. Pour le fond au singulier, les solutions existent en France. Mieux, elles ont déjà été expérimentées - et ce sera la conclusion de cet apologue.
    L'intuition de ce que l'on a appelé la « Nouvelle Droite » était la bonne, dès les années 70 : le salut ne peut venir que d'une métapolitique originale sur la forme et solide sur le fond, sans reprise a priori de tout ce qui a été accompli avant. Reconnaître les combats menés par nos prédécesseurs : oui. Demeurer prisonnier de leurs jugements : non. Pour cela, inventer des formes nouvelles, opérer des rapprochements paradoxaux, faire bouger les lignes, au prix de quelques infarctus chez les chaisières, pourquoi pas. À l'époque, un article d'Alain de Benoist dans la revue Item commençait ainsi : « La vieille droite est morte. Elle l'a bien mérité ». C'était clair, c'était drôle, c'était brillant, insolent et inventif. C'était la Nouvelle Droite. Elle ne faisait ceci dit que formaliser une exaspération depuis longtemps ressentie par les espoirs les plus brillants de la droite nationale.
    Depuis, force est de constater que la ND, pour revenir à elle, a tourné en rond. Elle n'est pas morte - heureusement, qu'est-ce qu'on lirait ? -, mais elle a échoué. Qui bene amat, bene castigat : comme intellectuellement on lui doit beaucoup, on lui doit aussi la vérité. On dira donc que cet échec, comme la Vieille Droite qu'elle vilipendait avec raison, elle l'a bien mérité. Parce que lorsqu'on souhaite sincèrement bâtir une métapolitique du réel, on ne passe pas des années à chercher à remplacer Jésus-Christ par Zeus dans un pays qui a derrière lui le cloître de Moissac, la cathédrale de Chartres et - accessoirement - 1 500 ans de christianisme. Ne pas reprendre systématiquement ce qu'ont fait nos prédécesseurs ? Oui. Mais cela ne doit pas dispenser de garder le sens des proportions (c'est très grec, le sens des proportions). Dans les années 70, les hommes d’Église, par leur contamination marxiste, ont pu dégoûter les esprits droits. Mais il aurait fallu discerner la part de conjoncture et de permanence dans cette crise, concernant une Institution vieille d'une sagesse de 2000 ans.
    Analyser et combattre le marxisme de sacristie en gardant à l'idée la splendeur dépouillée de l'abbaye du Thoronet, c'était si dur que ça pour une droite intellectuelle qui rappelle sans cesse l'importance de la longue durée historique ?
    De certains intellectuels indiscutables, dont certains prirent comme symbole l'horloge qui présidait à leurs débats, on aurait pu attendre qu'ils intégrassent de manière plus réaliste cette dimension temporelle essentielle.

    C'est l'identité d'abord qui doit être durable
    L'important, en somme, n'est pas de savoir si concernant le derby métaphysique polythéisme/monothéisme, certes essentiel, la ND avait raison sur le fond, mais de se rendre compte qu'à le bétonner, elle perdait du temps en se coupant peu sagement de pans entiers de la droite nationale - et singulièrement des catholiques qui ont prouvé qu'ils avaient de la ressource et de la vitalité (voir la dynamique et la jeunesse des communautés traditionalistes). Insistons lourdement : le chatoiement différentialo-nominaliste des valeurs polythéistes, c'est passionnant. Mais l'inertie culturelle aussi. Dans métapolitique il y a politique, ce qui aurait dû entraîner - forcément, nous sommes dans l'infra-monde et non dans la Cité platonicienne - certaines restrictions mentales opportunes. À part ça, la ND avait tout juste (et je souligne : tout, forme et fond). Mais à cause de ça (et de quelques autres défauts mineurs), elle a raté une occasion historique de recomposer culturellement et métapolitiquement autour d'elle une nouvelle génération de droite, par-delà les chapelles mémorielles et religieuses. Une faute, compte tenu du brio intellectuel de ses membres fondateurs. Si l'on compare cette tentative qui appartient aujourd'hui à l'histoire des années 70 et 80 avec ce qui s'est passé aux États-Unis à la même période, et sur quoi débutait le présent article, on dira que la ND a peut-être manqué de réalisme. Désunis, nous ne pesons rien.
    Après cette analyse, empressons-nous de préciser que la lecture d'Elément est de salubrité publique et qu'elle devrait être recommandée aux intellectuels catholiques, qui se contentent généralement de dénigrer ce journal sans y mettre le nez : ils enrichiront leur vocabulaire limité au thomisme d'arrière-salle, se confronteront à des textes stimulants, et mettront un peu de vin dans l'eau de leur mysticisme énervant (au premier sens du terme). Pour le reste, pardon d'être raisonnablement pessimiste, mais il faut cesser de rêver : les dix ans qui viendront seront tristes, et à peine suffisants pour lire tous les livres. Nonobstant les taquineries qui précèdent, nous laisserons la conclusion à Alain de Benoist, dont la clarté inimitée viendra fort à propos cadrer le principe de reconquête intellectuelle que tous, désespérément et ardemment, nous appelons de nos vœux, quelles que soient nos chapelles : « La tradition n'est pas le passé : voilà ce qu'il ne faut pas cesser de dire et de redire. La tradition n'a ni plus ni moins à voir avec le passé qu'avec le présent et l'avenir. Elle est au-delà du temps. Elle ne se rapporte pas à ce qui est ancien, à ce qui est "derrière nous", mais à ce qui est permanent, à ce qui est "au-dedans de nous". Elle n'est pas le contraire de la novation, mais le cadre dans lequel doivent s'effectuer les novations pour être significatives et durables » (Les idées à l'endroit, éditions Libres Hallier, 1979).
    Un renouvellement significatif et durable ? Ce serait bien. Tous ensemble réunis autour d'un principe commun ? Ce serait mieux. Nous sommes Français en Europe, issus des mémoires celte, germanique et latine, de civilisation gréco-romaine et de culture chrétienne (que nous croyions au Christ ou non). Quoi qu'en disent ceux qui confondent communautés et ghettos, le pivot de nos réflexions, dans ce monde acharné à stériliser les racines, sera sans doute l'Identité. À condition de la conjuguer sereinement, sans exclusives datées, enfermements débiles ou postures puristes.
    Bruno Wieseneck LE CHOC DU MOIS juillet 2010

  • La doctrine de Monroe, un impérialisme masqué

    Le 2 décembre 1823, James Monroe déclarait : « Aux Européens, le vieux continent, aux Américains le Nouveau Monde ». Cela faisait juste quarante ans que l'indépendance des États-Unis avait été reconnue par les Britanniques et déjà « l'Amérique » faisait figure de grande puissance. Mais l'opinion américaine avait été marquée par la vanité de la guerre anglo-américaine de 1812-1814 qui n'était que la conséquence de l'obstination anglaise à parfaire le blocus maritime qu'elle imposait à l'Europe napoléonienne. Désormais les États-Unis tournaient leurs regards davantage vers leurs intérêts sur le continent américain que sur les péripéties de la politique européenne…
    La déclaration de Monroe
    Monroe précisait ainsi sa pensée : « Nous avons toujours été les spectateurs anxieux […] des événements qui se déroulent dans cette partie du globe avec laquelle nous avons tant de liens et dont nous tirons notre origine. »
« Les citoyens des États-Unis se réjouissent de la liberté et du bonheur de leurs semblables de l'autre côté de l'Atlantique. Dans les guerres […] européennes […] nous ne sommes jamais intervenus (1) et il n'est pas conforme à notre politique de le faire. […]
« C'est seulement lorsque nos droits sont atteints ou sérieusement menacés que nous ressentons l'offense ou faisons des préparatifs pour notre défense. Les événements de cet hémisphère nous touchent infiniment de plus près. […]
« À l'égard des colonies actuelles des puissances européennes, […] nous n'interviendrons pas. Mais à l'égard des gouvernements qui ont déclaré leur indépendance […] nous ne pourrions considérer aucune intervention d'une puissance européenne […] que comme la manifestation d'une position inamicale à l'égard des États-Unis. »
Cette déclaration n'est pas seulement une déclaration de principe, elle est une forme de réponse aux mouvements d'indépendance qui se propagent en Amérique latine entre 1818 et 1823 et à la Sainte Alliance qui, inspirée par défiance obsessionnelle de Metternich envers toute libéralisation, envisage avec l'appui de la France, de la Russie et de la Grande-Bretagne d'aider l'Espagne à reconquérir ses provinces révoltées.
    Un impérialisme d'essence puritaine
    C'est le début, dit-on, de l'impérialisme américain. Ce n'est pas totalement exact. En effet, comme le rappelait il y a plus de vingt ans le président R. Reagan, les puritains américains avaient proclamé dès leur arrivée sur le sol des États-Unis leur volonté de puissance, inspirée par la foi qui les portait. Les puritains, en effet, sont les fils des protestants intransigeants qui, derrière Cromwell, mirent au nom du Seigneur l'Angleterre à feu et à sang. Comme le remarque dans l'Encyclopédie protestante Nearl Blough (2), la Réforme, particulièrement avec Calvin, développe un humanisme pessimiste. En réalité, le calvinisme pur exclut « l'homme hors de Dieu », protège le vrai fidèle du monde mauvais, invitant avec Saint Jean à « vaincre le mal » et à ne point « aimer le monde et les choses de ce monde » (I Jean 2, 14-15). Simultanément Calvin invite à transformer le monde en Cité de Dieu, en cité de vérité, à l'image de la République de Genève. C'est exactement le message du premier gouvernement de Pennsylvanie à ses fidèles, la justification du procès des sorcières de Salem. Convaincu de la supériorité de son système socio-politique, le peuple américain veut en faire profiter le monde comme le rappelait il y a plus de cinquante ans Ralph B. Perry dans Puritanisme et Démocratie. Sa thèse pouvait être résumée ainsi : la démocratie d'inspiration puritaine doit être diffusée partout. C'est bien ainsi qu'il faut aussi comprendre la Déclaration de Monroe d'autant que les colonies espagnoles sont catholiques : la démocratie américaine permettra peu à peu une réelle évangélisation de ces régions « papistes ».
    Une colonisation qui ne cache que son nom
    Toujours est-il que très vite, au nom de la Déclaration de 1823, va apparaître une politique de surveillance et de contrôle du continent appelé « Dollar diplomacy », formule exprimée en 1843 par Richard Olney. Celui-ci va jusqu'à prôner la « souveraineté de fait » des États-Unis sur le continent sud américain. C'est ce qu'exprimera fort crûment un journaliste en 1843 proclamant que « la colonisation […] du continent américain appartient au destin évident des États-Unis » !
    La guerre du Mexique engagée par Napoléon III et surtout la guerre de Sécession freinèrent l'élan. Cette politique reparaît dès le temps de la Reconstruction. C'est comme le rappellent de nombreux historiens le passage du slogan « l'Amérique aux Américains » à la formule claire et nette « l'Amérique aux Nord-Américains ». Déjà les États-Unis ne s'étaient pas privés d'étendre leur territoire : dès avant la guerre de Sécession, une guerre contre le Mexique, entre 1845 et 1853, leur permit de s'emparer du Texas, du Nouveau-Mexique, du Nevada, du Colorado, de l'Utah et de la Californie. En 1854, les États-Unis envisagèrent d'acheter Cuba à l'Espagne, comme ils l'avaient fait en 1803 pour la Louisiane, mais ne réussirent pas à faire fléchir l'Espagne.
    L'extension du domaine d'intervention
    Aux confins des XIXe et XXe siècles, le slogan est mis en pratique. D'abord à l'encontre de l'Espagne qui n'avait plus guère la force d'administrer rationnellement ses colonies. Malgré une tension persistante à Cuba, les États-Unis attendirent le prétexte de l'explosion du cuirassé Maine en rade de La Havane – explosion accidentelle mais qui fut présentée comme résultant d'un attentat – pour déclencher la guerre hispano-américaine en 1898. Le résultat de cet affrontement inégal fut l'annexion de Cuba et de Porto-Rico et la vente forcée des Philippines… Porto Rico est toujours sous contrôle américain. Cuba fut reconnue indépendante en 1902 mais, dès 1903 un amendement ajouté par le Congrès américain donne à Washington un droit d'intervention à Cuba qui durera jusqu'à la victoire des révolutionnaires cubains de Castro en 1959. Les États-Unis ne conserveront alors que leurs bases militaires de Guantanamo.
    Les États-Unis, arbitres souverains du continent américain
    Depuis 1823 les États-Unis se considèrent comme les arbitres de l'évolution politique et économique de l'Amérique latine, n'hésitant pas à intervenir directement par la force militairement si Washington pense que c'est nécessaire, comme ils le firent plus récemment dans l'île de Grenade ou au Nicaragua. Mais ils n'hésitent pas non plus à agir par des moyens plus discrets comme ce fut le cas au Chili en apportant leur soutien au général Pinochet contre le président Allende ou comme ils le firent cent ans plus tôt lorsqu'ils contraignirent la Colombie à donner l'indépendance à la région Panama où se terminaient les travaux de construction du canal que le malthusianisme et la pingrerie des parlementaires français abandonnaient aux Américains.
    L'assujettissement économique
    Enfin la prégnance américaine en Amérique latine est d'abord économique. Les principaux produits de l'agriculture tropicale comme le sucre de canne, le café ou les bananes et les ressources minérales, essentiellement le pétrole, le cuivre et l'étain, produits en Amérique latine appartiennent pour une large part à des entreprises étasuniennes. De surcroît, la plupart des États latino-américains dépendent des États-Unis pour près du tiers de leurs échanges commerciaux, voire plus comme dans le cas du Mexique où ce flux dépasse les deux tiers.
    La doctrine de Monroe, on le voit, demeure d'une grande actualité. Dans quelle mesure d'ailleurs n'inspire-t-elle pas, sous une autre forme, la politique extérieure des États-Unis ?
     
    Notes :

    
1 Rompant ainsi le traité d'alliance franco-américain du 6 février 1778.

    
2 Cf. article « Réforme radicale ».
    François-Georges Dreyfus Août 2003

    Professeur émérite de l'université Paris IV-Sorbonne Ancien directeur du Centre d'études germaniques de l'université de Strasbourg